M. Richard Yung. Vous le pensez !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … mais je le pense très fort, et pour les raisons explicitées tant par vous-même que par MM. Chevènement et Bizet. Nous, nous soutenons le rapport.
Hier, j’ai utilisé devant le Conseil l’image du flash du radar sur l’autoroute, car nous ne sommes pas sur la nationale 118 ! Quelque chose sur la route vous oblige brutalement à vous déporter ou à accélérer. Flash du radar ! Vous aurez un PV. La sanction est tombée brutalement.
Que deviennent nos parlements nationaux, nos politiques économiques en cas d’obstacle s’il est nécessaire d’accélérer ? Allez-vous décélérer, vendre la voiture, pour être dans d’autres clous ? C’est absurde ! Voilà pourquoi nous sommes tous d’accord avec votre formule de tout à l’heure.
Je vous ai répondu sur les sanctions et le veau d’or.
J’ai aussi répondu en grande partie à M. Chevènement.
J’ai vraiment apprécié la qualité de vos interventions. Sans forcer le trait, il me semble qu’il y a quand même un vrai consensus entre nous sur l’ensemble de ces points, en particulier sur la nécessité de mettre en place des cautions qui fonctionnent, afin de ne pas avoir à donner sa carte de crédit !
Mme Annie David. Il n’y a pas de consensus sur les réductions budgétaires !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Madame David, je respecte les positions qui sont les vôtres.
Je reviendrai sur deux points.
Concernant la pérennité du mécanisme de crise, contrairement à ce que vous avez dit, il ne s’agit nullement d’un abandon à la Commission. C’est, au contraire, le moyen de faire fonctionner cette caution entre les États.
Quant au comparatif sur les retraites, je le tiens à votre disposition. Le voici. (M. le secrétaire d'État fait passer le document à Mme Annie David.)
Mme Annie David. Je vous remercie.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je vous en prie, madame, je suis là pour le bonheur des peuples ! (Sourires.)
Ce n’est pas du tout un document politique ; il est fait à partir de nos postes.
Certains pays prévoient effectivement des départs anticipés...
Mme Annie David. Avec des décotes !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. ... avec des décotes absolument considérables. Mais nous n’allons pas rouvrir le débat…
M. Yvon Collin. Nous n’allons pas refaire le match !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … et en effet refaire le match. (Mme Annie David s’exclame.)
Cependant, si l’idée est de garder la limite de 60 ans pour que les gens partent pauvres, alors il faut faire comme les Suédois ou d’autres ! Tous les éléments figurent dans le document que je viens de vous faire passer.
Monsieur Jacques Blanc, je suis en parfait accord sur beaucoup des points que vous avez évoqués.
S’agissant de l’Union pour la Méditerranée – j’y reviendrai en répondant à M. Robert del Picchia –, naturellement, nous allons tout faire pour maintenir la réunion prévue le 21 novembre. Nous avions envisagé un sommet intermédiaire à Paris à la fin du mois d’octobre, mais nous avons malheureusement dû y renoncer à la suite de la position des Israéliens, qui ont refusé d’arrêter les constructions d’habitations et donc de participer à l’exercice.
En réalité, les négociations reprises à Washington voilà un mois sont déjà mort-nées et la responsabilité en revient au gouvernement israélien, qui a persisté dans la volonté de poursuivre les constructions dans les territoires palestiniens. La partie arabe ne pouvant continuer à négocier dans ces conditions-là, le processus était dans l’impasse !
C’est précisément parce que les négociations directes étaient dans l’impasse que le Président de la République a cherché à trouver un autre vecteur d’accompagnement. Il a essayé de reprendre le dialogue en ne le focalisant pas sur le gel total des implantations. Pour y parvenir, il voulait utiliser l’Union pour la Méditerranée, mais le sommet intermédiaire à la fin du mois d’octobre n’a pu avoir lieu. Maintenant, nous faisons notre possible pour que celui qui est prévu fin novembre soit maintenu.
J’en viens à la politique agricole commune, point sur lequel vous m’avez également interrogé.
Dans notre travail au Conseil, dans la préparation des perspectives financières, la politique agricole commune est absolument prioritaire, et M. Jean Bizet le sait bien. Mon collègue Bruno Le Maire y travaille. Nous avons formé une équipe européenne qui comporte vingt-deux pays.
Mais, il ne faut pas se le cacher, un certain nombre de pays refusent de continuer à financer l’agriculture. L’exercice consistant à dresser les nouvelles perspectives budgétaires post-2013 pour l’Union va, selon moi, être très difficile !
MM. Chirac et Jospin ont, à l’époque, arraché un compromis aux autres Européens pour maintenir la politique agricole commune en l’état jusqu’en 2013. Mais, après, les choses vont se compliquer, puisqu’un certain nombre de pays ne veulent pas poursuivre cette politique. Je pense en particulier à la République tchèque dans laquelle je me suis rendu récemment. Ne souhaitant pas augmenter le budget de l’Union, ils considèrent que le peu d’argent européen doit être utilisé pour la recherche, par exemple, ou encore pour la relance dans certains domaines industriels, mais certainement pas dans l’agriculture.
Nous allons avoir une explication de texte très difficile. Je veux que vous le sachiez : avec le Président de la République, nous nous sommes beaucoup battus pour que le mot « agriculture » figure dans la Stratégie Europe 2020, car c’est un outil industriel majeur de rayonnement de l’Europe.
Je fais partie de ceux qui considèrent que la bataille sera extrêmement rude. En effet, alors que la contribution de la France au budget européen correspond à un point de PIB, c’est-à-dire pas loin de 20 milliards d’euros, nous ne recevons que 12,5 milliards d’euros au titre de la PAC et 1,5 milliard d’euros au titre des fonds structurels, soit 14 milliards d’euros, le déficit annuel est de 6 milliards d’euros.
Nous sommes devenus des contributeurs nets à moins 6 milliards d’euros, tout en retirant 12,5 milliards d’euros de l’agriculture. Il est bien évident que si la part agricole baisse, les équilibres globaux vont être de plus en plus compliqués pour nous.
Pourquoi payons-nous davantage ? Parce que l’Europe s’est élargie et que nous sommes riches par rapport aux nouveaux venus.
M. Jean-Pierre Chevènement. Nous sommes de moins en moins riches !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Certes, de moins en moins, surtout quand l’argent destiné aux plus pauvres n’est pas transféré. Vous comprendrez mon exaspération par rapport à certains propos de la fameuse commissaire sur le problème des Roms, quand on constate que l’argent ne va pas aux Roms. En revanche, il faut que les Français accueillent les Roms. Accueillez-les et payez pour leur insertion, alors que cette insertion ne se fait pas ! Le système ne fonctionne pas. Mon rôle est aussi de dire la vérité sur ces points.
J’en viens aux propos de M. del Picchia. Comment procède-t-on pour réviser le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ? Je pense que les chefs d’État et de gouvernement vont demander à M. Van Rompuy de regarder cela dans le détail au cours des semaines qui viennent.
Il ne m’appartient pas de vous dire comment il faut faire. Il existe plusieurs hypothèses dans le traité pour le réviser. Un commissaire ne peut pas dire aux États : « vous ne révisez pas ». Pour réviser le traité, plusieurs formules sont possibles, dont une procédure simplifiée qui est régie par l’article 48, paragraphe 6. La révision serait possible sans convoquer de conférences ou conventions.
Sur le Service européen d’action extérieure, je me réjouis, bien sûr, de voir la mise en place de notre ami Pierre Vimont, notre ambassadeur à Washington, dans un poste parfaitement stratégique, puisqu’il est le secrétaire général du service européen d’action extérieure européen, et ce dans une équipe de quatre personnes. Il est le primus inter pares, à côté de Mme Ashton.
Il y aurait beaucoup à dire, et l’heure est tardive. Vous demandiez si nous sommes satisfaits de tout cela ? Oui, et nous y travaillons. Il faut faire en sorte que ce service soit un plus pour la politique étrangère de la France et des États sur les sujets que nous considérons comme clés.
Il y a des domaines sur lesquels nous avançons, comme sur les sanctions à l’encontre de l’Iran : l’Europe est capable de prendre des décisions, ensemble et en européens.
Sommes-nous satisfaits de la place des Français dans le dispositif ? Je dispose de chiffres. Au terme de la première série de recrutement menée dans le Service européen d’action extérieure, douze délégations de l’Union européenne sont dirigées par des Français à partir de cet automne, contre dix-sept jusqu’à présent. Mais il faut relever qu’il s’agit de Français qui sont en poste à la Commission européenne.
Dans les mois à venir, nos efforts devront davantage se porter sur les candidats issus de nos services diplomatiques. Il est à noter que ni la France ni le Royaume-Uni, qui ont pourtant les deux plus importants services diplomatiques de l’Union européenne, n’ont obtenu des postes d’ambassadeur. Peut-être faut-il que l’on regarde cette situation de très près.
Enfin, je tiens à évoquer ce qui s’est produit aux Nations unies, et que M. del Picchia a souligné. Cela m’a frappé et est très peu sorti dans la presse française. L’Union européenne a souhaité être représentée de façon digne à l’Assemblée générale des Nations unies.
Tel n’est pas le cas aujourd’hui puisque les nouveaux représentants de l’Union européenne, le président du Conseil européen, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la Commission européenne et les délégations de l’Union européenne sont considérés comme les représentants d’une organisation internationale. Ils n’ont donc qu’un statut d’observateur ; ils n’ont pas le droit de participer aux débats et de prendre la parole.
Une résolution visait à donner à l’Union européenne une place, en tant que personne morale, au sein de l’Assemblée générale de l’ONU. Or, le 14 septembre 2010 – cela a été passé sous silence, en tout cas dans les presses française et européenne –, la résolution visant à corriger cette anomalie a été ajournée. Cet ajournement s’est produit à l’initiative, tenez-vous bien, des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. La majeure partie des ACP, la Chine et la Russie ont voté cette motion de procédure. Des pays proches, comme le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, se sont abstenus.
Voilà qui en dit long lorsque nous, européens, continuons de nous considérer comme le centre du monde et faisons des discours que je trouve, parfois, exagérément empreints d’autosatisfaction. J’ai eu l’occasion de le dire hier au représentant de la Commission qui expliquait que tout allait bien et que l’Europe rayonnait dans le monde.
L’Europe ne parvient pas à se faire admettre à l’assemblée générale des Nations unies, alors qu’elle dispose de la personnalité morale, qu’elle a un président stable, qu’elle a des choses à dire et que, surtout, elle distribue 60 % de l’aide mondiale au développement, soit presque 60 milliards de dollars par an. Lorsque l’Europe subit – il n’y a pas d’autre mot – un affront de cette ampleur, je crois que cela donne à méditer.
Je travaille activement, avec mes collègues, à la mise en œuvre d’un service d’action extérieure européen efficace. Je vous le dis franchement : nous avons aujourd’hui un service, mais pas encore de politique étrangère, et encore moins le respect, qu’il nous reste à construire et à mériter, des grands acteurs du monde de demain. Quand nous n’obtenons pas l’accès à l’Assemblée générale de l’ONU, il nous reste à obtenir le respect de la Chine et des autres. C’est cela la réalité de l’Europe, et non pas les grands discours.
Pour reprendre un propos du général de Gaulle, je ne suis pas là pour sauter comme un cabri en disant : l’Europe, l’Europe, l’Europe, tout va bien ! Nous avançons – c’est difficile. Il faut maintenir cette volonté en permanence. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.
La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé du dernier point de l’ordre du jour où le Conseil européen est appelé à se prononcer sur l’évolution de Saint-Barthélemy, qui a demandé à passer du statut de Région ultrapériphérique, ou RUP, à celui de Pays et territoires d’outre-mer, PTOM.
Le temps imparti ne me permet pas d’entrer dans les détails. Toutefois, je tiens à remercier le président Bizet de m’avoir donné l’occasion d’intervenir longuement devant la commission. Pour les collègues présents, je tiens à souligner qu’il s’agit avant tout pour la collectivité de faire correspondre le régime juridique de spécialité législative qui régit Saint-Barthélemy en droit national avec le régime en droit européen.
En effet, en demeurant RUP, Saint-Barthélemy serait soumise au droit commun européen, même dans les matières où elle ne l’est plus en droit national, en raison de son statut de collectivité d’outre-mer.
Ainsi, le statut de PTOM permettra à Saint-Barthélemy de rester fidèle aux principes fondateurs de l’Union européenne, tels que la citoyenneté et la monnaie, auxquelles la population est particulièrement attachée, mais dans un cadre juridique un peu moins contraignant que celui de RUP, qui se révèle souvent exorbitant pour une île si petite, 24 kilomètres carrés, et si éloignée de l’Europe.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, dans la perspective de l’examen du changement de statut de Saint-Barthélemy lors du prochain Conseil européen, pourriez-vous m’apporter quelques indications complémentaires ?
La Commission européenne s’étant en effet prononcée favorablement le 18 octobre dernier, pouvons-nous raisonnablement attendre une décision du Conseil européen allant dans le même sens ? C’est une manière de vous demander, monsieur le secrétaire d’État, si le Gouvernement s’est assuré de tous les soutiens nécessaires.
Par ailleurs, si elle était adoptée, la modification de statut devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2012. Pouvez-vous d’ores et déjà m’indiquer, dans les grandes lignes, cela s’entend, puisque ce n’est pas l’objet du débat actuel, quelles seront les étapes qui suivront la décision du Conseil européen ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Premièrement, nous n’avons aucune inquiétude sur la décision que prendra le Conseil européen à l’unanimité, jeudi et vendredi, de transformer le statut de Saint-Barthélemy de RUP en PTOM. C’est une transformation nécessaire, que le Président de la République a demandée le 30 juin 2010, par lettre à José Manuel Barroso, je l’ai rappelé.
Deuxièmement, avec la décision du Conseil européen, la procédure sera achevée sur le plan européen. La France aura rempli l’ensemble des conditions prévues à l’article 355 du traité. Voilà qui répond exactement à votre question.
Troisièmement, comme nous l’avons demandé, une période d’adaptation s’ouvrira, dès que la décision du Conseil européen aura été prise. Cette période durera un an : Saint-Barthélemy deviendra un PTOM le 1er janvier 2012.
Quatrièmement, enfin, pendant cette période d’adaptation, la ministre chargée de l’outre-mer, Marie-Luce Penchard, passera en revue, avec les autorités locales, la législation de Saint-Barthélemy pour examiner ce que la collectivité gardera du droit européen, dans le domaine de compétences qui lui est propre. L’examen portera, à titre d’exemple, sur l’environnement, les déchets et la fiscalité.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen doit définir les principaux messages politiques de l’Union en vue du sommet Union européenne–États-Unis, qui se tiendra à Lisbonne, le 20 novembre, en marge du sommet de l’OTAN.
Le retour dans l’OTAN fut à la fois source d’inquiétude et d’espoir. Certains craignaient que cela ne rende impossible l’autonomie dans la solidarité de la diplomatie française. D’autres espéraient que cette intégration facilite la constitution d’une défense européenne partenaire de l’OTAN.
Face à des tensions internationales croissantes, il faut incontestablement redynamiser le dialogue transatlantique, qui est aujourd’hui bien atone.
Les Etats-Unis ont du mal à voir dans l’Europe un acteur stratégique et un partenaire crédible. Comment pourrait-il en être autrement alors que nous n’avons pas une véritable politique de sécurité et de défense commune, alors que notre effort de défense, aujourd’hui en réduction et dispersé, est en décalage manifeste avec celui qui est fait par nos alliés américains ?
Soyons lucides et modestes, les opérations actuellement menées par l’Union européenne sont le plus souvent à dominante civile et de faible ampleur et, lorsqu’elles sont militaires, dictées dans la majorité des cas par les Américains.
Si l’Europe a l’ambition d’être un véritable partenaire des États-Unis, elle doit fixer clairement ses priorités et ses objectifs stratégiques. Elle doit se doter d’un budget à la hauteur de ses ambitions par une contribution de tous. Enfin, elle doit avoir une industrie d’armement non éclatée et coordonnée.
L’Europe de la défense ne se fera pas sans une base industrielle et technologique solide et compétitive. C’est une nécessité stratégique. C’est aussi une exigence économique, renforcée par un souci de rationalité et par la contraction des budgets nationaux de défense.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous éclairer sur les perspectives à venir, notamment en ce qui concerne l’agence européenne de défense, attendue depuis tant d’années ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Deux minutes ne suffiront pas à rendre justice à une question aussi fondamentale.
D’abord, l’une des raisons pour lesquelles la France est revenue pleinement dans l’OTAN était d’éviter que l’argument de sa non-participation à l’Alliance ne soit en permanence utilisé par tous ceux qui ne voulaient pas avancer sur la voie de la défense européenne, c’est-à-dire dépenser davantage et s’organiser mieux.
De ce point de vue, l’honnêteté m’oblige à vous le dire, la démonstration est faite que si l’Europe de la défense n’avance pas, ce n’est pas à cause de la France et de son lien avec l’OTAN, c’est parce qu’il n’y a pas la volonté politique chez un certain nombre d’États européens de dépenser ne serait-ce qu’un peu d’argent dans ce domaine.
Par conséquent, l’écart continue malheureusement de se creuser entre les États-Unis et une Europe où 40 % des dépenses militaires sont désormais engagées par la France et la Grande-Bretagne, sans parler du fait que, en matière de recherche et développement, presque 90 % des dépenses sont d’origine française ou britannique.
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous avez été naïfs !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Non, ce n’est pas une question de naïveté ! Aujourd’hui, l’argument politique qui était en permanence avancé contre la défense européenne n’est plus valable.
En vérité, monsieur Chevènement, la volonté d’avancer n’existe pas, que ce soit en faveur de l’Alliance atlantique ou de l’Europe. Des pays européens sont en train de sortir de l’histoire géopolitique, considérant que les questions stratégiques ne les concernent plus. Ce n’est pas parce qu’ils sont tellement atlantistes, comme pendant la guerre froide, qu’il refuse l’Europe de la défense. Ils refusent les deux à la fois !
Le meilleur exemple en est d’ailleurs ce débat surréaliste sur la disparition du nucléaire. Aujourd’hui, des députés européens de différents pays, y compris en Allemagne, sont des militants antinucléaires, qui considèrent que le moment est venu d’entrer dans une phase postnucléaire, postdissuasion, postdéfense (M. Jean-Pierre Chevènement s’exclame.), l’Europe n’ayant plus besoin, au fond, de tout cela.
Évidemment, pour en revenir au sommet avec les États-Unis et à l’avenir de l’OTAN, c’est problématique du point de vue américain. Bien sûr, les institutions sont complexes. Cependant, j’entends dire en coulisse, ce qui n’est pas très agréable, que l’administration Obama ne fait pas preuve d’une grande patience pour savoir qui préside quoi. Du côté américain, on s’interroge également sur le poids géopolitique de l’Europe en cas de crise. Quel est l’apport de l’Europe, hormis les contingents isolés fournis par les Français, les Britanniques et quelques autres ?
Pour l’instant, nous sommes en train de bâtir, comme je l’ai dit, un service diplomatique. Aucun instrument de défense digne de ce nom n’est encore prévu, ce qui constitue, vous avez raison de le souligner, monsieur Aymeri de Montesquiou, un véritable problème.
Pour conclure, je dirai que l’Europe ne peut pas simplement s’installer dans le rôle de banquier du Proche-Orient, de « voyeur » de crise et, au mieux, d’ONG humanitaire qui dit le droit et distribue de l’argent. Si tel est le devenir stratégique de l’Europe, les historiens seront extrêmement sévères sur les gouvernants européens qui auront laissé s’installer une telle évolution.
Pour cette raison, il est, selon moi, de notre devoir, en tant que Français, de porter sans cesse le flambeau d’une Europe capable de défendre ses intérêts. C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous n’avons cessé de faire sous tous les gouvernements depuis l’impulsion donnée par le général de Gaulle, et c’est ce que nous continuerons à faire.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, le sommet européen s’inscrit dans un contexte connu : la crise économique, qui sévit de part et d’autre de l’Atlantique ; par ailleurs, en vertu du calendrier prévu, le Président de la République française prendra la présidence du G20 lors du sommet mondial de Séoul.
Le Président de la République a défini quatre priorités pour son mandat, parmi lesquelles le système monétaire européen et la gouvernance mondiale, deux sujets qui sont bien sûr liés.
Les ministres de l’économie et des finances se sont réunis en Corée du Sud. Prenant conscience, semble-t-il, dans leur déclaration finale, du risque des dévaluations compétitives, ils souhaitent prévenir une guerre des monnaies.
Toutefois, – c’est sur ce point que je souhaite insister – il existe à cet égard une responsabilité proprement européenne, puisque l’austérité générale a été déclarée au sein de l’Union. Ce faisant, l’Union compte sur les autres, et notamment les pays émergents, pour assurer la reprise, tout en misant sur le modèle allemand, qui consiste à privilégier l’exportation. Or celui-ci n’est pas forcément durable et ne correspond pas au schéma économique de la France.
Les politiques budgétaires restrictives menées en Europe, et singulièrement avalisées par les conclusions du groupe Van Rompuy, ouvrent, il ne faut pas craindre de le dire, une guerre des monnaies, celle-là même que l’on prétend prévenir, d’autant plus que, chacun le sait, le différentiel entre le taux de croissance de l’économie européenne et la politique de taux d’intérêt mené par la Banque centrale européenne est facteur de déflation, cette dernière étant le véritable risque que nous courons.
Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’un tel contexte risque de compliquer singulièrement l’une des priorités que veut mettre à l’ordre du jour le président français du G20 au cours de l’année 2011 ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Il s’agit également d’un débat de fond auquel je ne pourrai rendre justice en deux minutes.
Selon vous, madame Bricq, l’Europe fabriquerait, comme le disaient tout à l’heure MM. Yung et Chevènement, de la déflation, aggravant ainsi la crise. C’est exactement ce que dit le gouvernement américain,…
M. Richard Yung. Oui !
Mme Nicole Bricq. C’est de la déflation à la japonaise, au moins !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Il est tout de même paradoxal que la gauche européenne dise la même chose que les autorités américaines, lesquelles laissent filer leur monnaie afin de pouvoir mener une politique fondée sur l’exportation concernant les parts de marché conquises grâce à ce dispositif. (Mme Bricq s’exclame.) En Europe, au contraire, nous avons une banque centrale indépendante, qui ne conduit pas la même politique.
Mais il est également paradoxal, le dernier sommet l’a montré, que la Chine n’ait pas été franchement convaincue par les Européens de réévaluer sa monnaie.
Au demeurant, pour confronter nos points de vue sur un tel sujet, il ne convient pas de nous envoyer des slogans à la figure ! (Mme Bricq s’exclame de nouveau.) Nous ne fabriquons pas la déflation. La vérité, c’est que l’Europe est devenue une zone de dépression démographique, de vieillissement de population, mais aussi de déperdition de compétitivité à l’échelle mondiale.
Dans ces conditions, comment fabriquer de la compétitivité ? Certains, comme les Américains, le font en laissant filer leur monnaie, tout en comptant sur les activités de recherche et le rebond de la société. Les autres, comme les Européens, doivent à la fois mettre en œuvre une politique industrielle et remettre de l’ordre dans leurs dépenses publiques.
Très honnêtement, je ne pense pas que l’on puisse qualifier les politiques de la France et de l’Allemagne de déflationnistes.
Mme Nicole Bricq. Je le souhaite !
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Ma question concerne l’élaboration en cours du budget européen.
Traditionnellement, les deux codécideurs en cette matière adoptent des postures divergentes : le Parlement européen demande plus d’Europe, tandis que le Conseil européen exige plus de rigueur.
La difficulté des temps et l’ampleur des déficits publics pourraient exacerber les tensions entre ces deux autorités. Or, le Parlement européen semble avoir été plutôt impressionné par la situation. Il a ainsi adopté, la semaine dernière, une position relativement modérée, tout en demandant la réouverture de négociations sur la création de ressources propres pour alimenter le budget européen.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle position entendez-vous prendre face à cette demande ? Vous sentez-vous prêt à y répondre, à entrer dans le débat ? Attendez-vous, sur ce sujet, quelque chose de la part des parlementaires français ?
À l’heure où nous nous exprimons, le Parlement européen et le Conseil n’ont toujours pas trouvé d’accord. Dans ce contexte, la nouvelle procédure budgétaire prévoit la mise en place d’un comité de conciliation, qui va entamer ses travaux.
Avez-vous l’intention de faire des propositions pour favoriser l’émergence rapide d’un consensus ? La mise en place du Service européen d’action extérieure pourrait-elle souffrir de ce contexte ? Je rappelle qu’il s’agit d’une procédure nouvelle. Dès lors, que se passera-t-il si le comité de conciliation ne réussit pas à concilier les uns et les autres ? Quelle attitude adopterez-vous pour éviter une crise, qui serait très mal venue par les temps qui courent ?