Mme Isabelle Debré. Nous pouvons faire les deux !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, sur l’article.
Mme Marie-Agnès Labarre. Ah, qu’ils étaient beaux, les discours enfiévrés de la majorité sur notre précieux pacte républicain, sur la solidarité entre les générations, sur la sacro-sainte retraite par répartition qu’il fallait à tout prix sauvegarder par des mesures douloureuses mais tellement nécessaires !
Et puis, patatras, surgit l’article 32 bis C de ce superbe projet de loi !
C’est par inadvertance, sans doute, que l’aveu est formulé à la fin de l’article et que la dernière salve est tirée. L’avenir de la retraite, mes chers collègues, est tracé : ce sera l’épargne-retraite, constituée, vous avez bien lu, « sur une base volontaire ou obligatoire, à titre privé ou lors de l’activité professionnelle ». L’entreprise de démolition se poursuit donc.
La méthode est insidieuse qui pousse les Français vers des modes de financement individuels de la retraite, retraite qu’au passage ils paieront deux fois : une fois par répartition pour les retraités d’aujourd’hui, une fois par capitalisation pour eux-mêmes, s’ils le peuvent.
Cette méthode du catastrophisme est éprouvée : vous la mettez en œuvre dans l’hôpital public, à La Poste et partout où l’occasion vous est offerte. Vous organisez la faillite du système pour mieux l’achever. Vous dégradez les comptes publics pour justifier la grande braderie des biens nationaux.
Parce que le comble du cynisme n’est jamais atteint et que le temps presse, vous ne résistez pas à brandir, au moment même où nos compatriotes ont le plus mal au porte-monnaie, le chiffon rouge de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF. Vous n’êtes jamais à court de provocations.
« L’épargne retraite vise à compléter les pensions dues au titre des régimes de retraite par répartition », écrivez-vous.
Comment mieux dire que les pensions sont insuffisantes et vont baisser ? Comment mieux nous convaincre que la retraite par répartition sera la retraite du pauvre ?
Les turbulences des marchés financiers sont déjà oubliées : la ruine de millions d’épargnants ne vous aura pas servi de leçon. Décidément, l’appétit des vautours qui guident vos pas est plus fort que tout !
Voilà donc les fonds de pension renforcés et rendus obligatoires dans le système de retraite des Français, avec les profits pour les uns et les risques pour les autres, mais toujours les mêmes ! Peu vous importe, visiblement, que les fonds de pension créent une nouvelle inégalité au détriment des plus faibles, ceux qui n’ont pas les moyens, ceux qui ont du mal à boucler leurs fins de mois. En votant ce texte, vous enfoncerez délibérément un coin de plus dans la cohésion nationale !
Le peuple français est dans la rue parce qu’il n’en peut plus de cette litanie de mesures qui vont toujours dans le même sens ! Il n’en peut plus de voir bafoués, jour après jour, les principes de l’égalité républicaine ! Il n’en peut plus de voir se creuser tous les jours davantage l’écart entre les riches, toujours plus riches, et les pauvres, toujours plus pauvres, et plus nombreux.
Le moyen de financer un bon niveau de retraite par répartition existe, vous le savez, mais vous avez préféré, une fois encore, rompre le fil de notre tradition républicaine. Nos débats, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, et vos excès ont montré que nos conceptions de la Nation n’étaient pas conciliables.
Arrêtez maintenant le train de l’injustice et laissez-nous faire : nous mènerons une politique de plein emploi, nous mettrons un terme aux exonérations et autres niches à rentiers, nous oserons toucher aux profits spéculatifs, nous inverserons le cours de la répartition de la richesse nationale.
La France est riche, mais sa richesse est confisquée. Le « Hiroshima social » de M. Accoyer, c’est notre Eldorado républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. Nous y voilà ! C’est ce que l’on pourrait être tenté de dire à la lecture des dispositions du titre V ter de ce projet de loi qui, sur l’initiative de notre rapporteur, tente de donner une définition du périmètre de l’épargne retraite.
Nous sommes en effet en présence d’une série de dispositions qui, sous des dehors évidents de technique financière, rouvrent le débat sur la question des fonds de pension et de l’épargne retraite.
Soyons clairs, ce titre V ter pose en fait les fondements de la retraite par capitalisation. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Mme Annie David. Ça, c’est sûr !
M. Guy Fischer. Nous pouvons nous interroger pendant de longues heures sur les motivations profondes de cette orientation. Tenez : pas plus tard que ce lundi, sur l’initiative de M. Marini, le Club de l’épargne salariale se réunissait au restaurant du Sénat : il ne pouvait pas être mieux accueilli !
Mme Isabelle Debré. Je n’étais même pas invitée ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. Première observation : tout laisse à penser, quand on y réfléchit un peu, que l’on a mis en perspective la réforme de notre régime de retraite par répartition pour amener les habitants de ce pays, les assurés sociaux, à procéder à la souscription de plans d’épargne retraite : il suffit d’ouvrir son poste de télévision pour s’en convaincre.
Cette intervention est donc l’occasion de revenir sur quelques-uns des aspects du projet de loi.
Comme nous l’avons vu, les mesures mises en œuvre pour le régime général comme pour le régime de la fonction publique vont conduire à la réduction des prestations servies par l’un et l’autre régime. Vous pourrez toujours dire ce que vous voudrez, monsieur le ministre, mais ce sera le cas, quoi qu’on en dise ou quoi qu’on fasse !
Tout concourt, dans le projet de loi portant réforme des retraites, pour jouer au détriment des salariés et au profit de l’équilibre comptable des régimes de retraite et, par-dessus tout, au profit du patronat, que vous avez systématiquement refusé de placer face à ses responsabilités en matière de protection sociale.
Vous nous répondrez évidemment, dans ce cadre-là, que vous avez préservé les régimes de retraite par répartition, mais vous avez préservé des retraites au petit pied, une solidarité à la petite semaine, qui ouvre en fait la porte aux pires inégalités de situation entre retraités, car tel sera le résultat de l’application du présent projet de loi.
Dans les faits, tout laisse à penser, à y regarder d’assez près, que ce n’est rien d’autre qu’une extension de l’étage individualisé de retraite qui est mise en œuvre, rompant avec l’équilibre solidaire des régimes par répartition. Nous ne pouvons en particulier oublier, dans ce débat, que seuls ceux qui en ont les moyens pourront vraiment épargner, ce qui ne fera que transposer à la retraite les inégalités de ressources existant entre salariés.
Nous sommes évidemment obligés de nous interroger sur une question d’ordre macroéconomique : quels seront les effets de ces dispositifs d’épargne sur la croissance économique ? La France est en effet un pays où l’épargne des ménages est très importante, notamment chez les retraités et les actifs âgés de plus de 40 ans. Avec ce titre V ter, nous courons le risque d’un développement complémentaire de cette épargne qui pèsera sur la croissance, à moins qu’il ne s’agisse de recycler – le but de la manœuvre est là – une partie de cette épargne accumulée, ou encore d’en modifier l’affectation, c’est-à-dire de pomper cette épargne pour asseoir les fonds propres des entreprises.
Le recyclage des primes d’assurance vie, la vidange de l’épargne logement, la décollecte du livret A sont autant d’objectifs visés à travers ce titre. À moins, bien entendu, qu’il ne s’agisse plus prosaïquement d’engager de nouvelles masses financières sur les marchés boursiers ! Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Comme l’expérience des plans d’épargne pour la retraite collectifs, les PERCO, n’est pas nécessairement concluante – vous ne l’avez pas dit, madame Debré, vous n’avez mentionné que leur montée en puissance –, surtout depuis les ébranlements de l’été 2008, nous ne pouvons que nous intéresser de très près aux amendements qui vont maintenant être discutés. Nous défendrons nos positions, argument contre argument ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l’article.
M. Jacques Muller. Il convient de resituer dans leur contexte les dispositions de cet article 32 bis C. Je dénonce ici les fondements de ce projet de loi, car ils traduisent en fait une vision archaïque de l’économie d’aujourd’hui et la volonté politique inavouée de sauver les riches !
En effet, accentuation du déséquilibre entre actifs et inactifs oblige, la refondation nécessaire de notre système de retraites par répartition, élaboré consensuellement par le Conseil national de la Résistance, ne saurait faire fi d’une réalité macroéconomique structurelle, à savoir l’envolée historique des dividendes versés aux actionnaires. Autrement dit, la nécessaire solidarité intergénérationnelle ne peut plus reposer sur la seule taxation du travail.
Permettez-moi de m’appuyer sur un certain nombre de données chiffrées tirées des comptes de la Nation, établis par une institution incontestée, l’INSEE.
Sur la longue période, la progression du salaire mensuel net moyen, inflation déduite, est restée modeste : entre 1970 et aujourd’hui, il est passé de 1 850 euros à 2 200 euros, soit une augmentation de 14 % du pouvoir d’achat en quarante ans, ou de 0,4 % par an. Ces chiffres moyens ne doivent pas occulter une explosion des inégalités salariales, entraînée par la dérégulation systématique du marché du travail. En effet, le néolibéralisme a sévi, multipliant les emplois précaires, les contrats à durée déterminée, l’intérim, le temps partiel non choisi et, le plus souvent, mal payé.
Dès lors, comment financer nos retraites, dans un contexte démographique aussi déséquilibré ? Le Gouvernement essaie de nous faire croire qu’il n’y aurait pas de solution de rechange à son projet de loi. Ce faisant, il ignore délibérément la progression exponentielle des dividendes versés aux actionnaires : ils sont passés, en euros constants, c’est-à-dire inflation déduite, de quelque 20 milliards d’euros, en 1970, à 230 milliards d’euros aujourd’hui !
De plus, depuis 2003, ces dividendes prélevés sur la valeur ajoutée des entreprises dépassent l’excédent net d’exploitation : autrement dit, les dividendes pèsent directement, aujourd’hui, sur l’investissement économique et l’emploi, dans la mesure où les entreprises s’endettent désormais pour payer leurs actionnaires.
Il nous faut donc mettre à contribution ces dividendes colossaux, essentiellement versés aux ménages les plus riches, en rompant avec la logique qui prévaut depuis maintenant un demi-siècle. Il faut cesser de construire la nécessaire solidarité intergénérationnelle sur des prélèvements limités aux seuls revenus du travail. Il faut oser innover et mettre à contribution, enfin, les revenus du capital.
Cela relève, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, d’une « ardente obligation » ! Mais le Gouvernement s’y refuse, il préfère s’arc-bouter sur ses positions, en continuant de faire reposer le financement du système sur les seuls salariés et en n’hésitant pas à sacrifier, au passage, les plus précaires et les femmes, qui seront les grands perdants !
S’agit-il de conservatisme ?
M. André Trillard. Mais oui !
M. Jacques Muller. De paresse intellectuelle…
M. Josselin de Rohan. Encore oui !
M. Jacques Muller. … ou d’alliance de classe avec les riches ? (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
J’allais dire : peu importe !
En tout cas, en introduisant des dispositions très concrètes pour stimuler l’épargne retraite, le Gouvernement confirme, une fois de plus, sa soumission à une idéologie néolibérale qui gangrène notre système économique et social…
M. Dominique Braye. Toujours oui ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Muller. En fait, ces dispositions constituent l’aveu implicite de l’échec comptable programmé de cette détestable réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle, sur l’article.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Avec cette disposition, nous voilà au cœur de la pensée qui sous-tend l’ensemble de ce texte. Cette logique était également à l’œuvre dans la réforme de 2003 : dévitaliser les régimes par répartition pour favoriser les systèmes par capitalisation.
À ce titre, le sixième assureur mondial affirme que les vingt-sept pays de l’Union européenne devront trouver 1 900 milliards d’euros pour assurer une « retraite décente » à leurs citoyens qui prendront leur retraite entre 2011 et 2051. La France devrait, quant à elle, trouver 243 milliards d’euros. Cet assureur considère que nos concitoyens devront épargner 8 000 euros par an pour compléter leur retraite future. D’autres analyses laissent apparaître qu’en fonction de la baisse du taux de remplacement qu’imposerait ce texte le marché pourrait représenter la bagatelle de 40 à 100 milliards d’euros !
Avec l’instauration des « plans d’épargne pour la retraite collectifs », les PERCO, des « plans d’épargne retraite populaire », les PERP, et la baisse du montant des pensions, la réforme Fillon de 2003 a constitué une première étape dans la généralisation du système de retraite par capitalisation.
Mme Isabelle Debré. L’un n’empêche pas l’autre !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Nos concitoyens demeurent pourtant attachés au système par répartition, à la solidarité entre générations et à la justice. Ils le manifestent actuellement et n’ont que peu versé dans cette logique de fonds de pension.
Avec ce texte, comme nous l’ont révélé notamment quelques amendements déposés à l’Assemblée nationale, la logique de 2003 est considérablement renforcée. Le PERP et le PERCO sont des fonds de pension investis en bourse ; ils sont l’un comme l’autre abondés par le salarié, selon ses moyens, et par son employeur, selon sa volonté, avec en général une contrepartie : le gel des salaires ou une très faible revalorisation.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Ce système entraîne donc automatiquement une baisse des cotisations du régime général, comme le souligne un hebdomadaire satirique cette semaine. Il s’agit donc, dans les faits, d’un transfert de fonds du système par répartition vers la capitalisation individuelle.
Cette logique de fragilisation des recettes est renforcée par ce texte, puisqu’il est désormais question de généraliser les PERCO, jusqu’alors réservés aux grandes entreprises, pour les étendre aux PME.
En outre, il est proposé d’y affecter la moitié des sommes versées au titre de la participation et d’exiger des entreprises offrant une retraite chapeau à leurs dirigeants de créer systématiquement un PERCO à destination de leurs salariés.
Enfin, il est proposé aux salariés qui n’auraient pas fait valoir leurs droits aux réductions de temps de travail de les reverser sur un fonds d’épargne retraite.
M. Guy Fischer. Et voilà !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Comment ne pas voir dans ce faisceau de mesures, toutes issues d’amendements parlementaires déposés au cours de l’examen à l’Assemblée nationale, la volonté de généraliser la retraite par capitalisation, alors qu’elle a été, jusqu’à présent, une exception ?
Une récente étude universitaire, réalisée par un centre de recherche d’une université américaine, Boston College, sur la base des chiffres de la Banque centrale sur le patrimoine des ménages, montre qu’il manque 6 600 milliards de dollars aux fonds de pension américains pour maintenir le niveau de vie de leurs assurés pendant leur retraite, soit 45 % du produit intérieur brut des États-Unis. Parallèlement, les fonds de pension des cent premières entreprises américaines accusent un déficit de 460 milliards de dollars.
De fait, les retraités américains ne sont pas sûrs de recevoir le fruit de leur épargne…
Qui plus est, les diverses crises financières que nous avons connues ces deux dernières décennies ont causé, dans la société américaine, de véritables drames, des millions de citoyens ayant vu leur épargne retraite disparaître du jour au lendemain.
On n’aurait pu croire que des leçons seraient tirées… Il n’en est rien, puisque c’est bien ce système que le Gouvernement et la majorité sont en train d’imposer aux Français !
Ainsi, ce projet de loi, comme nous l’avons vu durant ces dernières semaines de débat, tend à fragiliser les régimes par répartition. Dès lors, le cadre propice à l’éclosion et au développement du marché des retraites par capitalisation est mis en place. Si tel était le cas, il serait du plus grand intérêt pour les grands groupes d’assurance d’investir ce marché et on comprendrait bien que des alliances se fassent d’ores et déjà.
Ce qui pourrait être un peu moins compréhensible serait, par exemple, qu’un groupe privé en capacité d’investir ce marché fasse, par exemple, alliance avec la Caisse des dépôts et consignations ou avec sa filiale, la Caisse nationale de prévoyance !
En effet, la Caisse des dépôts et consignations gère les 33 milliards d’euros du Fonds de réserve pour les retraites. Dès lors, il serait complètement antinomique de sa part de nouer des liens avec le système adverse. (C’est terminé ! C’est fini ! sur les travées de l’UMP.)
Mes propos semblent vous déranger, chers collègues de la majorité… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle. Non, vous avez épuisé votre temps de parole, c’est tout !
M. Roland Courteau. Vous feriez mieux d’écouter !
M. le président. Je vous prie de conclure, ma chère collègue !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Ce serait donc incompréhensible (Vives protestations sur les mêmes travées.), sauf à supposer l’existence d’une logique de vases communicants entre un système de retraite par répartition fragilisé et un système par capitalisation se renforçant.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article. (On s’en réjouit sur les travées de l’UMP.)
Mme Annie David. Quel succès !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai écouté avec beaucoup d’attention, comme toujours, les propos de notre collègue Isabelle Debré.
M. Charles Revet. Et vous avez raison, car notre collègue ne dit que des choses intelligentes !
M. Dominique Braye. Tout à fait !
Mme Isabelle Debré. C’est trop d’honneur !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez commencé, madame Debré, par dire avec beaucoup de fermeté : « Nous sommes pour la retraite par répartition ! ». Vous l’avez ensuite répété.
Je me suis donc interrogé : finalement, si cela va de soi, pourquoi le dites-vous et le redites-vous ? (Mme Isabelle Debré marque son étonnement.)
J’ai aussitôt pensé, monsieur le président Longuet, à la célèbre pièce de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, qui s’intitule Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile. (Sourires.) C’est en effet une précaution inutile, parce que, si vous commencez la rhétorique en disant que vous êtes pour la retraite par répartition et que vous tenez à le dire, et si vous le dites et le redites un certain nombre de fois, cela finit par devenir suspect. En d’autres termes, si cela va de soi, ce n’est pas la peine de le dire ! (M. Roland Courteau acquiesce.)
En réalité, madame Debré, dès votre première intervention, vous sentiez bien qu’il fallait tenter – de nouveau, c’est une précaution inutile – de vous justifier et de répondre par avance aux reproches qui pourraient vous être faits. En effet, ce titre, relatif à l’épargne retraite, met en cause la retraite par répartition et ouvre la porte à la retraite par capitalisation.
M. Josselin de Rohan. Nous savons qui vous êtes, madame Debré,… un agent du grand capital ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. D’ailleurs, monsieur le rapporteur, j’ai lu votre rapport, dans lequel vous commentez les modifications apportées par l’Assemblée nationale, et il est vrai que, comme Mme Annie Jarraud-Vergnolle l’a dit à l’instant, on a bien senti à l’Assemblée nationale quelque montée en puissance de mécanismes relevant de la capitalisation.
Que lis-je dans votre rapport, à la page 272 ?
« Cet article part d’un bon sentiment : » – vous savez que l’enfer est pavé de bonnes intentions, mon cher collègue – « offrir la possibilité au salarié de choisir une gestion des fonds du PERCO moins risquée à l’approche de sa retraite. Il est vrai que les règles prudentielles d’un PERCO sont aujourd’hui moins contraignantes que celles d’un contrat assurantiel.
« Pour autant, la rédaction choisie, même si elle renvoie à un décret d’application, est obscure. »
Vous avez raison de le dire !
Que cache donc cette obscurité ? On se le demande, mais nos interrogations ne durent pas longtemps puisque, en lisant votre rapport jusqu’à la page 274, on voit bien ce qu’il en est par rapport à la participation.
« L’idée originelle des commissions des finances et des affaires sociales de l’Assemblée nationale était d’obliger à la création de PERCO en cas d’accord de participation dans l’entreprise et d’orienter les sommes dues au titre de la participation vers ce type de plan. »
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Voilà !
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit donc, avec toutes les génuflexions dues à la retraite par répartition, d’en maintenir le principe mais en ouvrant, dans le même temps, des quantités de brèches. Ce que vous mettez en œuvre après le PERCO, chers collègues de la majorité, c’est une épargne retraite obligatoire, avec des négociations obligatoires, des décisions obligatoires, au niveau tant de l’intéressé que de l’entreprise et de la branche.
La participation est un très bon dispositif.
Mme Isabelle Debré. Je suis contente de vous l’entendre dire !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne sommes pas contre, tout comme, d’ailleurs, nous ne nous opposons pas à l’épargne retraite (Exclamations sur les travées de l’UMP), dès lors qu’elle est volontaire. Mais là, il s’agit de créer un « tuyau » qui flèche, de manière évidente, la participation vers l’épargne retraite obligatoire.
Il est donc assez facile de voir que, en dépit de toutes les précautions, il y a là un danger tout à fait clair. Ce danger, nous tenons à le mettre en évidence mais aussi à le combattre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 278 est présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.
L'amendement n° 1107 est présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 278.
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, avec cet article 32 bis C, vous allez faire quelques heureux ! Les compagnies d’assurance et les compagnies bancaires l’attendent avec impatience ! Je pense, en particulier, au groupe Malakoff Médéric, dirigé par un certain Guillaume S. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
J’ai dit « S. », et non « X. », parce que ce monsieur est connu ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Le PERCO, en effet, n’est rien d’autre qu’un fonds de pension à la française, qui vient en sus de la retraite versée par la sécurité sociale et de sa retraite complémentaire.
Pourquoi ajouter un troisième étage à ce système dont beaucoup disent qu’il est déjà trop complexe ?
Depuis 1993, les réformes successives ont eu pour conséquence de faire baisser le taux de remplacement. Ainsi, en quinze ans, celui-ci a diminué de dix points et ne se situe plus qu’à 65,3 %. Cela signifie qu’une personne touchant un salaire de 2 000 euros en fin de carrière percevait une pension de 1 500 euros en 1995, alors que, à situation identique, sa retraite n’est plus que de 1 300 euros aujourd’hui.
Votre projet de loi ne fera que prolonger cette évolution. D’ores et déjà, les compagnies qui vendent des produits d’épargne retraite avancent à leurs clients que leur taux de remplacement ne sera plus que de 50 % !
La baisse du taux de remplacement sera particulièrement sévère – nous le répétons depuis les dernières semaines – pour les salariés qui auront subi des « trous » de carrière et pour les générations qui prendront leur retraite après l’année 2020. Belle perspective, sachant que vous avez prétendu, pendant toute la durée des débats, défendre la retraite par répartition !
Ces articles 32 bis C et suivants illustrent le désengagement de l’État vis-à-vis du système de retraite.
Nous allons devenir plus dépendants encore des marchés financiers, car cet argent est placé en actions et en obligations, de sorte qu’une baisse de la valeur de ces titres constitue une menace pour des millions de retraités, actuels ou futurs. Or nous savons que spéculer avec l’argent des retraites n’est pas raisonnable. Cette pratique est même dangereuse pour l’ensemble de la société.
C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs Verts demandent la suppression de cet article et voteront contre toutes les dispositions tendant à promouvoir l’épargne retraite. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l'amendement n° 1107.
Mme Annie David. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes également opposés à l’ensemble des dispositions proposées dans ce titre V ter et concernant la retraite par capitalisation.
Par cet amendement, nous vous proposons précisément de supprimer l’article 32 bis C, qui a été introduit par M. le rapporteur en commission.
Cet article est, pour nous, révélateur de la volonté de la majorité d’asseoir encore un plus la légitimité de l’épargne retraite, dans l’objectif inavoué de la rendre obligatoire. En outre, il répond parfaitement aux doléances des compagnies d’assurance et des banques. Je souscris aux propos que vient de tenir notre collègue Jean Desessard sur ce sujet et n’insisterai pas davantage.
Il est vrai que la retraite est un marché alléchant, puisque ce sont 230 milliards d’euros par an qui sont versés au titre des pensions, une somme phénoménale qui échappe donc aux marchés financiers. Lors de l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable, j’évoquais l’« or gris » tant convoité.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, force est de constater – en ce sens, je rejoins notre collègue Jean-Pierre Sueur – que l’article 1er du présent projet de loi, selon lequel « la Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations », n’est qu’un affichage.
En effet, tout au long du texte, vous incitez nos concitoyennes et concitoyens à souscrire des plans d’épargne retraite, au motif que ces dispositifs complètent parfaitement le régime par répartition.
Or, de toute évidence, en organisant la mise à mal de ce régime, les unes et les autres, si tant est qu’elles et ils le peuvent, n’auront pas d’autre choix que de se retourner vers ces dispositifs.
Si nous garantissons, à toutes et à tous, une retraite équitable, juste et décente – tout d’abord par la mise en place d’une meilleure politique salariale, puis à travers le renforcement de notre système par répartition, expression de la solidarité nationale –, nul besoin d’avoir recours à une retraite par capitalisation individuelle, par ailleurs intrinsèquement inégalitaire !
Outre le problème de fond que nous vous avons exposé, il me semble que l’article pose également un problème de forme.
Nous disposons effectivement d’une belle déclaration d’intention, qui ne fait référence à aucun code, qu’il s’agisse du code du travail ou du code de la sécurité sociale. Nous ne savons donc pas où le texte de cet article apparaîtra. Mes chers collègues, il me semble qu’il serait nécessaire de rectifier au moins ce point et de préciser dans quel code l’article sera inséré.