M. Dominique Leclerc, rapporteur. Cet amendement, cher à M. de Rohan et à Mme Debré, présente à nos yeux une certaine importance.
Depuis le début de ce débat, la commission des affaires sociales a souvent répété qu’il fallait que tous les assurés participent à l’effort et que nous devions éviter de prévoir des dérogations catégorielles.
À cet instant, je propose pourtant une mesure particulière au bénéfice des militaires du rang, parce qu’il nous a semblé que la réforme créait une situation inéquitable à leur égard.
Aujourd’hui, les militaires du rang peuvent bénéficier, après quinze ans de services, d’une pension à jouissance immédiate. Cette pension est portée au minimum garanti, de sorte que son montant atteint environ 600 euros par mois.
À la suite de la réforme des retraites, les militaires du rang ne pourront plus bénéficier de la pension qu’après dix-sept ans de services. Cela est normal et la commission des affaires sociales n’a nullement l’intention de remettre en cause ce principe.
Toutefois, après la réforme du minimum garanti, ces militaires ne se verront accorder une pension au niveau du minimum garanti qu’après dix-neuf ans et demi de services, et non plus dix-sept ans. C’est là qu’un problème se pose à nos yeux.
Dans un premier temps, j’avais déposé un amendement tendant à ce que tous ces militaires puissent conserver le bénéfice d’une pension portée au minimum garanti après dix-sept ans de services. Vous m’avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État, qu’une telle solution remettrait en cause les règles de la loi Fillon sur la décote. J’ai donc retiré mon amendement.
Mais j’estime, et c’est l’objet de l’amendement n° 1221, qu’il faut au moins préserver la situation de ceux qui se sont engagés en sachant qu’existait cette possibilité de retraite au minimum garanti et qui ont déjà passé dix ans dans l’armée. Par conséquent, je propose que ces militaires conservent le bénéfice d’une pension au minimum garanti lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite.
Cette proposition, qui concerne un nombre de cas tout à fait limité, a une valeur symbolique très forte pour l’armée. Je rappelle que nous parlons ici non d’officiers ou de sous-officiers, mais bien de militaires du rang contractuels, c’est-à-dire d’engagés qui assument des missions particulièrement difficiles, en particulier ces derniers temps.
M. le président. Le sous-amendement n° 1229, présenté par M. Laménie, est ainsi libellé :
Dernier alinéa de l'amendement n° 1221
Supprimer les mots :
, diminuée de cinq années
La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Ce sous-amendement, qui va tout à fait dans le sens de la proposition de M. le rapporteur, vise à exonérer de la réforme du minimum garanti tous les militaires du rang qui auront atteint quinze ans d'ancienneté au 1er janvier 2011.
Par ailleurs, il est important que le Gouvernement précise ses intentions quant à l'accompagnement de la réforme pour les militaires ayant déjà effectué entre dix et quinze années de services.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 1229 ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission n’a pas eu le temps d’examiner ce sous-amendement. J’ai exposé, en défendant l’amendement n° 1221, une situation difficile à laquelle il n’était pas évident de trouver une solution. Ce sous-amendement nous offre une possibilité de prendre en compte la situation de personnes peu nombreuses, particulièrement exposées et dont les carrières sont très courtes. Il s’agit d’engagements qui, en général, ne durent que quelques années et ne sont pas suffisamment répétés pour arriver au nombre d’années ouvrant droit au minimum garanti.
À titre personnel, j’émets un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Nous sommes au cœur d’un sujet très complexe sur le plan technique. Mme Debré a su, là encore, mettre le doigt sur un problème de fond.
Il fallait faire en sorte d’éviter un effet de seuil trop brutal. Dès lors que le bénéfice du taux plein sera requis pour l’attribution du minimum garanti et que, simultanément, la borne d’âge sera reculée de deux années, la durée de services pour obtenir une pension au niveau du minimum garanti passe de quinze ans à dix-neuf ans et demi. De fait, il y a là un véritable effet de seuil, que l’amendement de la commission vise à corriger, en incluant dans son dispositif les militaires dont la durée de services a dépassé deux fois la durée moyenne des contrats, soit dix années.
Cela pose problème dans la mesure où une inégalité nouvelle est alors créée. Le sous-amendement de M. Laménie tend à y remédier, en limitant le champ du dispositif présenté par M. le rapporteur aux militaires ayant effectué au moins quinze ans de services. Pour cette raison, je suis favorable à ce sous-amendement.
Cela étant, monsieur le rapporteur, je puis prendre l’engagement, au nom du Gouvernement, d’examiner selon quelles modalités un pécule pourrait être versé aux militaires ayant dix ans d’ancienneté Au demeurant, une telle mesure intéressera sans doute beaucoup plus les militaires concernés qu’une rente d’un montant trop faible. Le montant de ce pécule sera fixé par décret.
Pour résumer, le Gouvernement est favorable à l’amendement de la commission, modifié par le sous-amendement de M. Laménie.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 1229.
Mme Marie-Christine Blandin. Cette intervention n’engage absolument pas le groupe.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, alors que vous avez été parfaitement sourds à tous les plaidoyers en faveur de toutes les catégories, voilà que, tout à coup, votre cœur s’ouvre pour les militaires engagés…
Pourtant, nous savons que les militaires, après quinze ans de services, exercent tous une autre profession. Ils trouvent sans difficultés du travail, notamment comme vigiles !
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Marie-Christine Blandin. Vous êtes donc prêts à consentir une exception en faveur de militaires engagés, c’est-à-dire de personnes dont le métier consiste aussi à enlever la vie (Protestations sur les travées de l’UMP),…
Mme Isabelle Debré. À défendre le pays, pas à enlever la vie !
Mme Marie-Christine Blandin. … alors que, pour les professionnels qui donnent la vie ou la sauvent, tels que les anesthésistes, les sages-femmes, les infirmières, il n’y a pas de dérogation possible !
Nous ne voterons pas une telle mesure !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Mme Blandin nous a habitués, depuis le début du débat, à pousser le bouchon tellement loin, lors de ses rares interventions, que nous avions décidé de ne pas lui répondre, mais je ne peux laisser passer de tels propos.
Madame la sénatrice, j’aimerais savoir comment vous pouvez à la fois vous exprimer en ces termes et défendre la cause des militaires dans le cadre de l’examen du présent texte, comme a pu le faire l’opposition.
Mme Marie-Christine Blandin. Ce n’était pas ma position !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. En réalité, c’est du grand n’importe quoi, parce que vous n’avez pas davantage pris connaissance de ce dispositif que des autres ! Je vais vous le démontrer immédiatement.
Ce dispositif vise à corriger un effet de seuil brutal, qui allait concerner un millier de personnes, dû à la conjonction d’une modification des règles d’attribution du minimum garanti et du relèvement de deux années de l’âge légal de la retraite. L’objet de l’amendement de M. le rapporteur, modifié par le sous-amendement de M. Laménie, est précisément de remédier à cette situation, sans créer une nouvelle inégalité.
Madame la sénatrice, je tiens à souligner que c’est exactement ce que nous avons fait pour les mères d’au moins trois enfants ou les infirmières. Quand nous considérons qu’un correctif est nécessaire, nous le mettons en place. Les propos que vous avez tenus étaient donc, comme d’habitude malheureusement, tout à fait déplacés et excessifs ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le secrétaire d’État, je ne crois pas que les propos de Mme Blandin soient aussi excessifs que vous le dites.
M. Nicolas About. Ce sont des propos maladroits !
M. Jean Desessard. Nous nous interrogeons sur les critères retenus. M. le rapporteur a mis l’accent sur la difficulté des missions de ces militaires engagés.
S’ils interviennent sur des théâtres d’opération lointains – nous ne soutenons d’ailleurs pas de telles interventions –, ils touchent des primes de risque. C’est une autre question.
S’il s’agit simplement de prendre en compte la pénibilité de leur travail, il convient alors de revenir aux critères qui valent pour tous. Peut-être le groupe CRC-SPG n’a-t-il pas présenté suffisamment d’amendements exposant la pénibilité de bien d’autres professions… Il me semble donc que, selon les métiers, on ne retient pas les mêmes critères pour juger de la pénibilité.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Il s’agit non pas d’une retraite différée, mais d’une retraite à jouissance immédiate ! Nous sommes dans une logique de durée, pas dans une logique d’âge !
M. Jean Desessard. J’entends ce que vous dites, monsieur le secrétaire d’État, mais, comme l’a indiqué Mme Blandin – je reprends donc à mon compte des propos que vous trouvez excessifs –, les militaires peuvent partir à la retraite assez jeunes, ce qui leur permet de cumuler leur pension avec les revenus d’une nouvelle activité.
M. Jean Desessard. Nous n’avons pas la même notion de la pénibilité et de l’équité !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Madame Blandin, je suis très choquée que vous puissiez affirmer que le métier des militaires est d’ôter la vie. Leur rôle est de nous protéger, souvent en donnant leur vie, comme cela a été le cas aujourd’hui encore !
M. Jean Desessard. Que font-ils en Afghanistan ?
Mme Nicole Bricq. C’est vous qui envoyez des troupes en Afghanistan !
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Madame Blandin, il est rare que je prenne la parole, mais j’ai été extrêmement choquée par vos propos et je ne pouvais les laisser passer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote sur l’article 24.
Mme Christiane Demontès. Nous ne voterons pas l’article 24.
Même si, contrairement à ce qu’affirme la majorité, les situations respectives des secteurs privé et public sont en réalité plus proches qu’on ne le croit, il est souhaitable, pour qu’une réforme des retraites soit juste, que les conditions d’une convergence progressive des divers systèmes soient recherchées.
Cependant, l’article 24, au lieu de prévoir de nouvelles règles de calcul des pensions minimales applicables aux salariés du secteur privé plus favorables, impose un nouveau mode de calcul du minimum garanti aux agents de la fonction publique. Désormais, pour que le versement de ce minimum garanti ne soit pas affecté d’une décote, les fonctionnaires concernés devront avoir réalisé une carrière complète. Cette disposition tire évidemment l’ensemble du système vers le bas.
Ainsi, ceux qui vont pâtir de ce nouveau mode de calcul seront les fonctionnaires les plus modestes,…
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
Mme Christiane Demontès. … ceux dont la carrière n’est pas complète – il s’agit notamment, une fois encore, des femmes, qui comptent en moyenne six trimestres de cotisation de moins que les hommes –, mais aussi ceux qui ont eu des parcours difficiles ou sont entrés plus tardivement dans la fonction publique.
Tout l’intérêt de ce minimum garanti était là : il constituait une mesure de solidarité envers ceux qui avaient eu un parcours plus difficile que les autres, mais dont on considérait, à juste titre, qu’ils avaient tout de même droit à un minimum leur permettant de vivre décemment une fois à la retraite.
En application du dispositif du minimum garanti actuellement en vigueur dans la fonction publique territoriale, 54 % des femmes et 39 % des hommes ont touché, en 2008, une pension mensuelle majorée de 150 euros en moyenne. Nous nous en réjouissons. Même si le montant du minimum garanti ne sera pas revu à la baisse, le nouveau mode de calcul que vous proposez, en renforçant les conditions d’obtention, induira tout de même une diminution du montant des retraites.
Ainsi, avec cet article 24, on retrouve bien la logique de l’ensemble de votre projet de loi. En relevant de 65 ans à 67 ans l’âge ouvrant droit à une retraite sans décote, vous avez pénalisé ceux qui ont eu des parcours morcelés dans le secteur privé. Cette fois, vous vous en prenez très directement aux fonctionnaires les plus modestes, ceux de la catégorie C, voire de la catégorie B, qui sont très souvent, je le rappelle, des femmes. Leurs retraites seront souvent, de ce fait, plus faibles que celles du secteur privé. Dès lors, comment parler d’égalité ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une approche de la « convergence » qui introduit une nouvelle iniquité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'article 24, modifié.
(L'article 24 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 24 (réservés)
M. le président. Je rappelle que l’ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels ont été réservés jusqu’après l’article 33.
Article 24 bis A
(Non modifié)
Avant le 31 mars 2011, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les bonifications inscrites à l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite.
M. le président. L'amendement n° 964, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au plus tard le 31 décembre 2010, sur le bureau de deux Assemblées, un rapport portant sur le coût pour l'État et les avantages pour les fonctionnaires de l'instauration d'une mesure permettant qu'en cas de bénéficiaires multiples, la part de réversion de l'un des bénéficiaires décédant accroisse la part du ou des autres bénéficiaires survivants.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous entendons aborder ici la question des pensions de réversion, plus particulièrement de celles d’entre elles qui sont servies à la suite du décès d’un agent de la fonction publique.
Concernant les assurés relevant du régime général ou des régimes affiliés, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites et les textes pris pour son application ont modifié les conditions d’attribution de cette prestation.
Désormais, et l’on ne peut que s’en féliciter, les veufs peuvent eux aussi bénéficier d’une pension de réversion au décès de leur épouse.
Or, même si le mécanisme de la réversion constitue une avancée importante, les évolutions législatives tendent à en réduire la portée. Tel est le cas, pour les assurés du régime général, des mesures visant à conditionner le droit à réversion à un niveau de ressources maximum ou à réintroduire des limites d’âge.
Ces dernières devaient pourtant théoriquement disparaître à l’horizon 2011. En dépit des engagements présidentiels, la promesse a été oubliée en 2008 : aujourd’hui, pour pouvoir bénéficier de la pension de réversion, il faut avoir au moins 55 ans. Cette dernière mesure, qui ne sera pas sans incidence sur les éventuels bénéficiaires, est dictée par une logique exclusivement comptable, comme l’atteste le rapport sénatorial sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, aux termes duquel « si [l’] aspect humain [de la suppression progressive de toute condition d’âge pour l’accès à une pension de réversion] n’est pas contestable, elle a pour inconvénient majeur d’augmenter considérablement le nombre de personnes éligibles à une pension de réversion, entraînant une dépense supplémentaire estimée à 150 millions d’euros pour la CNAV en 2008 ».
Concernant les pensions de réversion dont bénéficient les survivants d’un fonctionnaire, la réforme de 2003 a eu pour effet de modifier l’article L. 45 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Dans sa nouvelle rédaction, cet article prévoit que, en cas de bénéficiaires multiples, la part de réversion de l’un des bénéficiaires décédant n’accroît plus la part du ou des autres bénéficiaires survivants.
Là encore, cette mesure semble avant tout destinée à réduire les dépenses sociales, alors même que ses effets peuvent être très lourds pour les bénéficiaires d’une pension de réversion.
Aussi proposons-nous que le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à évaluer les conséquences et les coûts de l’application d’une mesure prévoyant le retour à la rédaction antérieure à la loi de 2003, c’est-à-dire permettant que, en cas de bénéficiaires multiples, la part de réversion de l’un des bénéficiaires décédant puisse accroître la part du ou des autres bénéficiaires.
Nous aurions d’ailleurs préféré proposer purement et simplement le rétablissement du dispositif antérieur, mais, nous le savons, un tel amendement se serait vu opposer l’article 40 de la Constitution. C’est pourquoi nous nous limitons à demander la remise d’un rapport.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Cet amendement fait suite à une recommandation du Médiateur de la République, mais l’établissement d’un rapport ne nous semble pas nécessaire. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour explication de vote.
M. Jean-François Voguet. L’amendement que nous venons de présenter est d’une grande importance pour les épouses ou époux survivants d’agents de la fonction publique.
En effet, la pension de réversion constitue aujourd’hui un droit acquis : dans une logique patrimoniale, elle vise à transférer une partie des droits acquis par l’assuré de son vivant à son conjoint et/ou ses ex-conjoints survivants. Si la logique n’est plus celle d’une pension de subsistance, la réversion n’en demeure pas moins fondée sur la solidarité, car elle est la continuation, dans la mort, des liens de solidarité qui unissaient les couples de leur vivant.
Et si son caractère vital – pour les bénéficiaires – peut paraître atténué par rapport à sa création – notamment en raison des évolutions sociétales, telles que le remariage, le concubinage ou l’ensemble des organisations du mode de vie différentes du mariage, et de l’augmentation du taux de travail des femmes –, le bénéfice de la pension de réversion demeure important et permet souvent à ses bénéficiaires, malgré ses insuffisances, de vivre plus dignement que s’ils n’en bénéficiaient pas. Aussi pourrait-on dire aujourd’hui de la pension de réversion qu’elle relève d’un modèle hybride, à mi-chemin entre la pension d’assurance et la pension d’assistance.
À titre d’exemple, malgré l’augmentation du taux d’emploi des femmes, la pension de réversion continue à jouer un rôle fondamental dans le niveau de vie de ces dernières, une fois l’âge de la retraite atteint. En effet, en prenant en compte l’ensemble des droits propres, des droits dérivés et du minimum vieillesse, les femmes retraitées de 60 ans et plus percevaient, en 2004, une retraite moyenne de 1 020 euros par mois, soit 62 % de celle des hommes, qui s’élevait à 1 636 euros par mois.
Pourtant, ce sont précisément les femmes qui sont, dans l’immense majorité des cas, les bénéficiaires de la pension de réversion – 92 % des bénéficiaires selon le sixième rapport du Conseil d’orientation des retraites, le COR. Cette pension, qui s’élève en moyenne à 548 euros mensuels pour les femmes, contre 238 euros pour les hommes, représenterait, toujours selon le sixième rapport du COR, plus de la moitié de la retraite totale des femmes.
Ces réflexions nous ont conduits à déposer une proposition de loi sur ce sujet, et vous comprendrez donc que nous vous invitions à voter en faveur de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 24 bis A.
(L’article 24 bis A est adopté.)
Article 24 bis
(Non modifié)
I. – Le h de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite est abrogé.
II. – Les fonctionnaires recrutés avant le 1er janvier 2011 conservent pour les périodes antérieures à cette date le bénéfice du h de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. Le métier d’enseignant a particulièrement évolué. La précarité grandissante que subissent les familles a des conséquences indéniables pour les enfants. L’accroissement de toutes les violences, la dégradation des quartiers populaires et les craintes considérables quant à l’avenir des jeunes passent aujourd’hui les grilles des lycées. Ceux-ci ne sont pas des sanctuaires, des lieux hors du temps ou des difficultés sociales. Les enseignants, qui jouent un rôle fondamental, sont en première ligne, face à une génération pour qui l’avenir s’accorde, pour un certain nombre, avec précarité, galère, mépris ou misère.
Tout cela se répercute sur les enseignants, comme l’atteste la montée en charge des dispositifs chargés de traiter les difficultés enseignantes : les cellules d’écoute, les directions des ressources humaines, les psychologues du travail se multiplient et appuient des professionnels qui ont, eux-mêmes, de plus en plus besoin d’une aide professionnelle. Est-il besoin de rappeler des expériences récentes, notamment le dossier France Télécom ? Cette souffrance est d’autant plus forte que le domaine d’intervention des professionnels est complexe ou exposé aux critères que je viens de mentionner.
Cette réflexion nous conduit tout naturellement à nous interroger sur la signification de cet article 24 bis qui supprime la bonification dont bénéficient les professeurs de l’enseignement technique. Cette mesure est d’autant plus regrettable que vous menez une politique désastreuse à l’égard de l’enseignement professionnel.
Selon une étude en date de 2004, « les difficultés liées aux tensions du métier mènent à une réelle souffrance, quand les enseignants ne supportent plus la situation sans pouvoir en changer. On peut l’exprimer de la façon suivante : “ je ne peux continuer comme ça et mais je ne peux changer ”. Cette absence d’issue est un véritable marqueur de cette souffrance ordinaire. Cette impossibilité d’issue se manifeste clairement dans le corps depuis le fait de s’isoler […] à des somatisations diverses. Les enseignants mettent ainsi l’accent sur les manifestations physiques de leurs tensions ».
Or, nous le savons, c’est dans l’enseignement professionnel que l’on retrouve les enfants des classes populaires, le plus souvent d’origine immigrée.
Cet article 24 bis va donc pénaliser ces professeurs,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Guy Fischer. … et vous aurez compris que nous ne souhaitons pas supprimer la bonification dont ils bénéficiaient !
M. le président. L’amendement n° 32, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission est défavorable à la suppression de l’article 24 bis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Georges Tron, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Je précise, d’une part, que l’état du droit antérieur permettait une double validation, qui pouvait aboutir, en moyenne, à cumuler deux cents trimestres dans deux régimes différents. Reconnaissez avec nous que cette situation est particulièrement choquante et ne correspond pas à la situation que vous décriviez, monsieur Fischer.
D’autre part, une mesure d’exonération est prévue pour tous les personnels recrutés avant le 1er janvier 2011. Nous faisons donc très attention à ce que cette disposition n’ait aucun effet rétroactif.
Je pense par conséquent que cette mesure n’encourt pas les critiques que vous avez émises.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La situation des enseignants des lycées professionnels et technologiques me préoccupe et je considère que cet article porte un véritable coup à leurs retraites.
Cet article 24 bis porte atteinte au droit à la retraite de manière générale, comme le reste du projet de loi, mais il constitue surtout un coup de plus assené à l’enseignement technologique et professionnel. Il tend à supprimer purement et simplement les bonifications de retraites accordées aux enseignants des lycées professionnels. Celles-ci résultaient pourtant directement des spécificités du métier et de son mode de recrutement. En effet, ces bonifications sont accordées au titre de l’expérience professionnelle antérieure, et extérieure à l’enseignement, effectuée dans le domaine de l’industrie.
Il faut ici rappeler que cette activité professionnelle dans l’industrie est tout simplement exigée pour être recruté à ces postes : à hauteur de cinq ans pour les titulaires d’un diplôme de niveau III, et même de sept ans pour les titulaires d’un diplôme de niveau IV. Cette expérience est une condition sine qua non pour se présenter au concours.
Rien ne saurait justifier une telle atteinte à une profession exigeante et difficile. Supprimer cette bonification de retraite, c’est dissuader encore davantage l’orientation vers des métiers de l’enseignement professionnel et technologique, et c’est mal récompenser les efforts fournis quotidiennement par ces professeurs qui s’en trouveront découragés. Avec un recrutement exigeant et un métier souvent éprouvant, la suppression d’une contrepartie accordée dans le calcul des retraites ne saurait qu’aggraver la situation de ces professeurs.
Pourtant, l’enseignement professionnel et technologique, tout comme ses acteurs qui le font vivre, élèves et professeurs, mériterait la plus grande attention. Ces derniers devraient constituer le cœur de notre réflexion globale sur l’éducation nationale.
Le lycée professionnel et technologique doit faire face à des difficultés réelles et cumulatives. Malgré la volonté affichée de revalorisation de ses filières, il reste toujours, et fort injustement, associé à un discours de dévalorisation. Il est avant tout considéré comme une voie de relégation pour des élèves en échec scolaire n’ayant pas réussi au sein de la voie consacrée, celle du lycée général. Les filières de notre système éducatif sont fortement hiérarchisées au détriment des filières technologiques et professionnelles et, de ce fait, les élèves qui fréquentent les établissements professionnels et technologiques s’y retrouvent souvent orientés de force et par l’échec. Or, il est extrêmement difficile de sortir de cette spirale.
Cette concentration d’élèves en difficulté, qui se retrouvent là souvent par hasard et sans connaissance réelle des objectifs de la filière qu’ils intègrent, ne favorise pas l’exercice de l’activité des professeurs, ni l’apprentissage de l’enseignement dispensé. Le cumul des difficultés scolaires, des lacunes non comblées au collège et de l’orientation imposée jouent sur le manque de motivation des élèves auquel doivent faire face leurs enseignants. Ces filières stigmatisantes et peu valorisantes pour les élèves influent sur l’exercice du métier d’enseignant et ne le rendent ni aisé ni particulièrement attractif.
Je souhaite pour ma part lutter contre ce phénomène et faire de l’enseignement professionnel et technologique une voie d’excellence reconnue, avec ses spécificités. Je ne peux dès lors que m’interroger sur le contenu de cet article. (M. Guy Fischer applaudit.)