Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la réforme des retraites est un enjeu majeur pour chacun d’entre nous, pour chaque Française, pour chaque Français. Elle aura des conséquences directes sur nos modes de vie et sur l’avenir de notre pays.
Certes, comme l’ont très bien expliqué Jean-Pierre Bel et les intervenants de notre groupe, une réforme s’impose. Cependant, celle que vous nous proposez va à l’encontre de toute solidarité nationale et des valeurs que nous, femmes et hommes de gauche, nous portons.
Parce qu’elle aura des conséquences à long terme, cette réforme doit relever d’un vrai choix de société et non pas, comme on y assiste aujourd’hui au Sénat ou hier à l’Assemblée nationale, d’une course contre la montre. Elle doit évidemment prendre en compte l’allongement de la durée de vie, mais également les mutations actuelles du monde du travail, en particulier l’éclatement des carrières et des parcours professionnels.
Pour une réforme juste et durable, le niveau des retraites doit être garanti et tous les revenus doivent être mis à contribution. Malgré les fortes mobilisations de ces dernières semaines, le Gouvernement reste inflexible. J’ai même entendu un collègue parler ici de « tohu-bohu » : voilà qui est méprisant pour le peuple ! Voilà pourquoi nous nous opposons fermement à cette réforme, voilà pourquoi nous ne battrons pas en retraite et nous voterons la motion référendaire, car il ne faut pas avoir peur du peuple. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début de ces débats, vous répétez à l’envi que la question des retraites est essentielle, importante et incontournable. Vous nous le dites et vous nous le redirez, tout à l’heure et dans les jours qui viennent !
Pourtant, comment ne pas faire le constat paradoxal que vous voulez confisquer ce débat prétendument fondamental, et adopter votre réforme dans le dos du peuple ? Oui, monsieur le ministre, votre réforme se fait dans le dos des Français ! Lorsque vous n’écoutez pas ce que vous disent les organisations syndicales, vous vous moquez du peuple ! Et lorsque vous n’écoutez pas ce que vous dit la rue, vous vous moquez du peuple !
J’ajouterai que, lorsque vous entrez dans cet hémicycle en déclarant que vous ne reviendrez pas, dans le cadre du débat parlementaire, sur le passage de l’âge légal de départ en retraite de 60 ans à 62 ans, sur le passage de l’âge du départ à taux plein de 65 ans à 67 ans, vous vous moquez également du Parlement. Tout à l'heure, avec M. Longuet vous nous avez dit que nous, sénateurs, devrions nous réjouir d’avoir cette responsabilité de participer à la réforme des retraites. (M. le ministre s’entretient avec Mme la présidente de la commission.)
Monsieur le ministre, vous voyez, vous ne prenez même pas la peine de m’écouter en ce moment. C’est bien la preuve que vous vous moquez de ceux qui s’expriment dans cet hémicycle !
M. Alain Anziani. Vous en avez tout à l’heure appelé au respect du Parlement. Si vous le respectiez vous-même, vous ne nous auriez jamais imposé une procédure accélérée, c'est-à-dire une forme de démocratie expédiée ! Vous auriez donné à l’Assemblée nationale et au Sénat le temps de débattre !
Différentes façons de consulter le peuple existent.
Le référendum est la première d’entre elles. Comment ne pas s’étonner de votre ignorance constitutionnelle, lorsque vous prétendez nous donner une leçon et nous dites qu’il n’est pas possible d’y recourir ? Que faites-vous de l’article 11 ?
Cet article prévoit qu’un référendum peut être organisé sur toute question économique ou sociale. Il a permis de consulter le peuple sur des sujets extrêmement complexes, tels que l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Europe, le Traité européen ou encore le statut de la Nouvelle-Calédonie.
Mais il y a une autre manière de consulter le peuple : c’est l’élection présidentielle ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) Or, quand le Président de la République déclare lui-même qu’il ne va pas porter devant le corps électoral une réforme sur une question aussi essentielle, de nature à marquer solennellement son mandat, on a envie de lui dire, comme à vous d’’ailleurs, chers collègues de la majorité : « Ayez le courage d’inscrire ces propositions dans votre programme pour l’élection présidentielle ! Ayez le courage d’affronter le peuple à ce moment-là ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également. )
M. Éric Doligé. Le courage, il n’est pas de votre côté !
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nombre d’entre vous, je suis moi-même un élu local. Et, en tant que maire, je suis quotidiennement au contact de mes concitoyens.
Or, depuis mon élection au Sénat voilà deux ans, je n’ai été que très rarement interpellé sur la plupart des sujets dont notre Haute Assemblée a été saisie. Mais nombreux sont ceux qui sont venus me voir sur la question dont nous débattons aujourd'hui afin de me faire part de leur inquiétude pour eux-mêmes, pour les membres de leur famille, pour l’avenir.
Lorsque je me suis rendu dans les manifestations organisées par les syndicats,…
M. Éric Doligé. Il ne faut pas y aller ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Yannick Botrel. … j’y ai rencontré beaucoup de personnes peu habituées à s’y rendre. Peut-être même était-ce une première pour nombre d’entre elles.
Monsieur le ministre, vous auriez tout intérêt à mesurer la portée d’un tel mouvement de fond et à entendre le message que les citoyens vous adressent, ainsi qu’à la majorité, à l’ensemble du Gouvernement et au Président de la République lui-même ! Ce qu’ils veulent vous exprimer, c’est leur inquiétude légitime et, au-delà, le profond sentiment d’injustice qu’ils éprouvent à l’encontre non pas du principe d’une réforme des retraites, mais des solutions que vous prétendez leur imposer !
Ceux qui vous interpellent sont nos concitoyens les plus exposés, les moins protégés ! Ce sont ceux qui ont commencé à travailler dès leur jeune âge ou qui – c’est le cas de nombreuses femmes – ont des carrières incomplètes !
M. Yannick Botrel. C’est cela le courage dont vous parliez, monsieur le ministre ? Faire des plus pauvres les premiers contributeurs de votre réforme ?
Ce que nous vous demandons, c’est que la parole leur soit donnée, qu’ils puissent s’exprimer sur vos propositions ! Le vrai courage, monsieur le ministre, serait de reconnaître le mouvement social et son ampleur ! Il serait de respecter vos concitoyens et, par conséquent, d’interroger la nation !
C’est la conviction du groupe socialiste, et c’est aussi la mienne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le ministre, sachez que la présente motion référendaire est une chance pour vous ! En consultant nos concitoyens par référendum, vous pourrez connaître leur état d’esprit et leur sentiment sur la réforme que vous leur proposez.
M. René-Pierre Signé. Eh oui ! Ce serait un bon sondage !
M. Jean-Louis Carrère. Et cette fois il n’y aurait pas deux chiffres, celui de la police et celui des autres !
Mme Françoise Cartron. Les manifestations des jours derniers ne vous ont pas éclairé sur la détermination et l’inquiétude de nos concitoyens. Vous ne voyez dans ces mobilisations que stagnation ou recul, alors que les personnes qui descendent dans la rue pour exprimer leur refus d’une telle réforme sont de plus en plus nombreuses !
Dès lors, puisque vous refusez d’entendre les critiques, puisque vous les traitez avec mépris (Exclamations sur les travées de l’UMP), je pense qu’il est nécessaire d’organiser un référendum pour vous faire connaître le sentiment de tous, en particulier des femmes !
Car, compte tenu de leur parcours professionnel – faut-il rappeler leur combat pour l’égalité réelle dans la société d’aujourd'hui ? –, les femmes seront doublement pénalisées par une telle réforme !
Monsieur le ministre, la présente motion référendaire vous donne l’occasion d’entendre ce que les femmes ont à vous dire sur leur réalité actuelle, sur leur avenir… Il ne faut pas avoir peur de leur donner la parole. Saisissez-vous de cette chance, offrez-leur la possibilité de s’exprimer et écoutez ce qu’elles vous diront ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons évidemment la présente motion ; notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat a clairement expliqué pourquoi.
Toutefois, je souhaite également rappeler un élément de fond. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2007 n’ont eu de cesse de démanteler les acquis sociaux. Ce que d’aucuns appellent le « détricotage » du code du travail…
M. René-Pierre Signé. C’est Pénélope !
M. Guy Fischer. … a des conséquences terribles sur les conditions de vie des salariés.
Et là, on continue à s’attaquer au code du travail ou à la protection sociale ! Je pourrais ainsi évoquer la privatisation rampante de l’assurance maladie ou les conditions de travail de plus en plus difficiles des salariés !
Et voilà aujourd'hui une loi de régression sociale comme nous n’en avons jamais connu ! Une loi injuste socialement et inefficace économiquement !
La droite affirme la main sur le cœur vouloir réduire les inégalités salariales ! Parlons-en, des inégalités salariales ! Aujourd’hui, le salaire des femmes est, en moyenne, inférieur de 20 % à celui des hommes. Avec votre réforme, les écarts de pensions de retraite entre les femmes et les hommes seront de 40 % !
En fait, ce qui intéresse M. Sarkozy et, avec lui, la droite la plus dure, c’est la remise en cause de la retraite à 60 ans ! Le Président de la République a donné à sa majorité la mission d’accrocher la retraite à 60 ans pour tous à son tableau de chasse ! C’est cela la vérité !
Mais ne nous méprenons pas ! Le mécontentement s’amplifie chaque jour, et les mobilisations du 12 octobre en seront une illustration très importante.
Nous le voyons bien, il est absolument indispensable de rejeter cette réforme, qui est une loi de régression sociale pour les Françaises et les Français ! Ce sont les humbles, les plus pauvres, les habitants des quartiers populaires qui en feront les frais !
Certains ont même eu le cynisme d’affirmer qu’il était normal de prendre aux plus pauvres puisqu’ils sont les plus nombreux ! Ainsi, on exonère les revenus du capital et on fait payer les salariés, les retraités, les personnes modestes ou en situation de précarité…
C'est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire d’approuver la présente motion référendaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 4, tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi portant réforme des retraites.
Je rappelle que, en application de l’article 68 du règlement du Sénat, l’adoption par le Sénat d’une motion concluant au référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi.
Je rappelle également que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 5 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 141 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
10
Nomination de membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l'évaluation interne
Mme la présidente. Je rappelle qu’il a été procédé à l’affichage de la liste des candidats aux fonctions de membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne.
Le délai fixé par le règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, la liste est ratifiée et je proclame membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne MM. Joël Bourdin, Claude Domeizel, Thierry Foucaud, Jean-Pierre Fourcade, Yann Gaillard, Adrien Gouteyron, Jean-Jacques Jégou, Gérard Miquel, Jean-Pierre Plancade et Simon Sutour.
11
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
12
Réforme des retraites
Suite de la discussion d'un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites [projet n° 713 (2009-2010), texte de la commission n° 734 (2009-2010), rapports nos 733,727 et 721 (2009-2010)].
Rappels au règlement
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour un rappel au règlement.
Mme Raymonde Le Texier. Mon rappel au règlement est fondé sur les articles 13 à 23 du règlement relatifs aux travaux des commissions.
Je veux dénoncer en cet instant les conditions dans lesquelles sont examinés les amendements en commission, en particulier ceux qui sont déposés par les membres de l’opposition.
Je tiens à préciser que mes propos ne sont dirigés ni contre Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, ni contre M. le rapporteur, Dominique Leclerc, et encore moins contre les collaborateurs de ladite commission : ils font les uns et les autres ce qu’ils peuvent dans le temps qui leur est octroyé.
En réalité, je souhaite dénoncer la vitesse à laquelle nous sommes amenés à travailler, à mal travailler, y compris en commission. Le temps imparti à nos travaux interdit systématiquement tout travail de fond.
Sur le présent projet de loi comme sur d’autres, nous examinons les amendements déposés « au kilo », « à la louche ». Nous procédons à un examen à la chaîne, sans qu’il soit question de ne pas tenir la cadence. Ce n’est pas sérieux et c’est pour le moins regrettable. Tous les sénateurs, sur quelques travées qu’ils siègent, ne cessent de se plaindre, à juste titre, de cette dérive.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Non !
Mme Raymonde Le Texier. Pas tous, mais un certain nombre ! Dont acte.
Par ailleurs, manifestement, les amendements déposés par les membres de l’opposition sont moins bien traités que ceux qui émanent de la majorité. On ne peut que constater deux poids deux mesures ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Paul Blanc. Ce n’est pas vrai !
Mme Raymonde Le Texier. Certains de nos collègues de la majorité protestant, je souhaite rappeler dans quelles conditions se sont déroulés les travaux hier soir, lors de la réunion de la commission pendant l’heure du dîner.
Furent appelés successivement les amendements nos 1 à 24, sur lesquels furent émis d’emblée des avis défavorables. Puis, arriva l’amendement n° 25, qui, lui, fut examiné car il émanait de la majorité, et il reçut un avis favorable, ce dont je me réjouis car c’est un amendement intéressant. Mais il est un peu ennuyeux que la commission n’ait pas jugé bon d’examiner un amendement similaire, déposé juste avant par les membres du groupe socialiste – la situation aurait été identique si les signataires avaient été les membres du groupe CRC-SPG.
M. Paul Blanc. N’importe quoi !
Mme Raymonde Le Texier. Ensuite, la litanie reprit ; les amendements nos 26 à 34 furent rejetés. L’amendement n° 35 ayant été déposé par les membres de la majorité, il fut examiné un petit peu…
Mme Colette Giudicelli. C’est une caricature !
Mme Raymonde Le Texier. Je déplore que le seul fait d’émettre un avis défavorable fasse office d’analyse, de débat, de sentence. Ce n’est plus acceptable !
Madame la présidente, pourriez-vous faire savoir en haut lieu que nous souhaitons d’autres conditions de travail afin que la démocratie soit respectée ? Nous ne voulons plus que le seul fait de débattre soit considéré comme de l’obstruction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.
M. Guy Fischer. Les membres du groupe CRC-SPG partagent l’analyse de Mme Le Texier. Les conditions de travail qui nous sont aujourd’hui imposées méritent que l’on s’y attarde.
Nous avons une certaine expérience…
M. Éric Doligé. Du blocage ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. … de la vie parlementaire et de l’examen de textes lourds. Dans le présent cas de figure, nous savons que, lors de la conférence des présidents – elle aura lieu dans un peu plus d’une heure –, des décisions qui auront certainement une incidence sur le déroulement de nos débats, notamment sur l’examen d’amendements d’ordre financier, seront prises.
Bien sûr, nous travaillons en collaboration avec tous les services du Sénat. Cependant, force est de reconnaître que, malheureusement, les conditions dans lesquelles le débat de ce jour s’engage ne permettent pas de travailler sérieusement, notamment de pouvoir donner et obtenir des explications lors de la présentation des différents amendements.
Je comprends que M. le rapporteur, Mme la présidente de la commission des affaires sociales, avec l’assistance des services, le Gouvernement puissent appréhender la situation de manière plus globale. Mais, pour notre part, nous estimons intolérables de telles conditions de travail. Il fallait que ce soit dit et répété.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli, pour un rappel au règlement.
Mme Colette Giudicelli. Monsieur Fischer, vous n’avez pas assisté hier soir aux travaux de la commission, puisque les membres de votre groupe avaient décidé de ne pas y participer.
Mme Annie David. De toute façon, notre présence ne sert à rien !
Mme Colette Giudicelli. Je suis quelque peu étonnée, car nous avons l’impression de travailler en parfaite harmonie avec nos collègues de l’opposition.
Madame Le Texier, vous avez décrit les conditions de travail en commission en visant l’appel en bloc, si je puis dire, de plusieurs amendements, puis leur rejet. Mais vous avez oublié d’indiquer que, pour justifier une telle pratique, M. le rapporteur a constaté que ces amendements étaient semblables…
M. Guy Fischer. Mais non !
M. Éric Doligé. C’est de l’efficacité !
Mme Colette Giudicelli. … et visaient, par exemple, à supprimer un article ou encore avaient tous des incidences financières sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ce matin, nous avons été saisis de vingt-cinq amendements dont l’objet était identique, mais qui étaient relatifs soit aux vendeurs de perruques, soit aux vendeurs de poisson, aux restaurateurs, aux vendeurs de je ne sais quoi… La commission était alors tout à fait à même de procéder globalement à leur examen.
Je remercie Mme la présidente de la façon constructive dont le travail se déroule au sein de la commission, aussi bien avec les membres de la majorité qu’avec ceux de l’opposition. Je félicite M. le rapporteur du travail et des explications qu’il donne en prenant le temps nécessaire à l’examen du texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Acte est donné de ces rappels au règlement.
Dans l’examen du projet de loi, nous en sommes parvenus à la discussion des articles.
TITRE Ier
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Chapitre Ier
Pilotage des régimes de retraite
Article 1er A
À la sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale, il est inséré un paragraphe 1er A ainsi rédigé :
« Paragraphe 1er A
« Objectifs de l’assurance vieillesse
« Art. L. 161-17 A. - La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations.
« Tout retraité a droit à une pension en rapport avec les revenus qu’il a tirés de son activité.
« Les assurés doivent pouvoir bénéficier d’un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent.
« Le système de retraite par répartition poursuit les objectifs de maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités, de lisibilité, de transparence, d’équité intergénérationnelle, de solidarité intragénérationnelle et de pérennité financière. »
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. À la lecture du projet de loi, vous n’avez visiblement pas tiré toutes les conséquences de l’article 1er A, qui résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement déposé par les députés communistes et les députés du Parti de gauche.
Cet amendement s’inscrivait dans une logique globale et constituait le préambule d’une proposition alternative que vous avez écartée, prévoyant d’assurer un financement pérenne et solidaire des régimes de retraite, notamment afin de développer les droits des salariés, particulièrement des plus précaires.
Aujourd’hui, il est réduit à une simple pétition de principe, tout comme l’est l’article 1er de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Celui-ci dispose que « la nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. »
Et pourtant, cela ne vous a pas empêchés de développer, depuis, des mesures qui remettent en cause la solidarité entre les générations, comme le cumul emploi-retraite, les reports des limites d’âge ou, tout simplement, votre politique en matière d’emploi ? qui retarde de plus en plus l’accès des jeunes à l’emploi. Ces problèmes sont précis.
Et pour la répartition, on sait ce qu’il en est : qu’il s’agisse du plan d’épargne retraite populaire, le PERP, ou du plan d’épargne pour la retraite collectif, le PERCO, les propositions ne cessent de se multiplier, sous forme de recommandations, bien sûr.
Tout est fait pour favoriser l’épargne individuelle et donner l’illusion à nos concitoyens que le système par répartition, intrinsèquement solidaire, serait à bout de souffle et qu’en dehors de la capitalisation il n’y aurait point de salut.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exactement !
M. Guy Fischer. Votre discours alarmiste, couplé à un assèchement savamment organisé des comptes de la sécurité sociale, consiste à accroître l’inquiétude des jeunes.
Selon un sondage daté de 2008, près de neuf jeunes actifs sur dix se disent inquiets lorsqu’ils pensent à leur retraite, soit 88 % d’entre eux, dont près de la moitié, 45 %, se disent très inquiets. C’est précisément sur cette peur que vous rebondissez pour imposer ce projet de loi qui en est la démonstration : toujours plus de capitalisation et toujours moins de solidarité !
Ce mécanisme où l’anxiété nourrit votre force de réforme, qui nourrit elle-même l’anxiété, vous conduira, c’est en tout cas ce que vous espérez, à la suppression insidieuse des mécanismes solidaires des retraites.
Cette réforme vous entendez la mener en 2018, c’est-à-dire quand ses effets ne seront plus suffisants pour financer les retraites. Elle prendra la forme d’un basculement de système : le passage aux comptes notionnels, proposé, d’ailleurs, par notre commission.
Enfin, pour conclure, je voudrais dire à quel point le dernier alinéa de cet article nous laisse profondément perplexes.
Il dispose que « le système de retraite par répartition poursuit les objectifs de maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités ».
Connaissant les choix idéologiques qui sont les vôtres, on est en droit de se demander à quelle hauteur vous placez le « niveau de vie satisfaisant des retraités ».
Particulièrement lorsque l’on sait que l’article 24 prévoit de réformer les conditions d’accès au minimum garanti et, par voie de conséquence, de peser sur les plus petites pensions des fonctionnaires, c’est-à-dire celles n’excédant pas 1 070 euros.
Pire, selon l’INSEE et le Conseil d’orientation des retraites, le COR, qui a remis en 2009 un rapport similaire à celui de l’INSEE, il y aurait en France 990 000 retraités, soit près d’un million, qui vivraient en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 900 euros par mois.
Ce sont donc bien 10 % des retraités de notre pays qui peinent chaque mois et tentent de survivre. Cette situation est naturellement la conséquence de la massification du chômage, de l’explosion de la précarité et de l’effondrement des salaires.
Nous avons vu naître, en France, ce qui n’existait pas jusque-là, les retraités pauvres !
Aussi, monsieur le rapporteur, puisque vous êtes l’auteur de l’amendement réformant l’article 1er A, j’ai pour vous une question : à quoi correspond, selon vous, « un niveau de vie satisfaisant » ? Et comment entendez-vous permettre aux futurs retraités de vivre dignement, sans mettre à contribution ceux qui ont eu un niveau de vie indécent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er A pourrait pratiquement être adopté tel quel. Mais nous ne pouvons nous soustraire à un débat de fond sur ce que l’on attend d’un texte portant réforme des retraites.
Tout, dans cet article, introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative du groupe de la Gauche démocratique et républicaine, pourrait procéder de la déclaration d’intention s’il ne fallait nous entendre sur les principes, avant même de débattre du fond.
Ainsi, la nation, c’est-à-dire la communauté des habitants de ce pays – salariés ou non, travailleurs indépendants, jeunes, de nationalité française comme d’origine étrangère, retraités et inactifs –, fait de la retraite par répartition le fondement de notre pacte social, cher au président Larcher, me semble-t-il.
Il s’agit donc de confirmer l’engagement ferme de la Résistance, tel que traduit en son temps par le programme « Les Jours heureux » du Conseil national de la Résistance, c’est-à-dire ce qui, dans le préambule de la Constitution de 1946, affirme clairement que la vieillesse n’est pas un obstacle insurmontable et que les personnes âgées ont droit au soutien de l’ensemble de la collectivité nationale.
Mais que le principe soit réaffirmé ne suffit pas en soi à donner quelque qualité à la pseudo-réforme qui nous est proposée aujourd’hui.
« Proposée » n’est, d’ailleurs, pas tout à fait le mot qui convient, puisque le texte en a été dicté depuis le siège du MEDEF, et que la réforme dont nous allons débattre entend clairement faire porter la quasi-totalité de l’effort sur les salariés et sur les retraités : aux uns, toujours plus de cotisations et de durée d’affiliation, sous peine de décote ; aux autres, toujours moins de pension et une paupérisation largement encouragée.
C’est un peu comme si le pacte intergénérationnel devenait une sorte de punition, tant pour les salariés que pour les retraités, et comme si la retraite, avec la pension qui l’accompagne, devenait la récompense, de plus en plus réduite, des sacrifices et des efforts consentis, comme si, en fait, la reconnaissance des principes passait par une sorte de mise à l’épreuve.
La défense et la garantie du pouvoir d’achat des retraités appellent cependant des réponses d’une tout autre nature.
Poser la question des retraites, c’est poser les vraies questions.
Quelle part de la richesse nationale sommes-nous prêts, dès maintenant et pour l’avenir, à consacrer à la prise en compte des attentes des retraités, notamment en termes de niveau de pensions ?
Sommes-nous prêts, pour ne donner qu’un exemple, à ne plus supporter le scandale de la faiblesse des retraites agricoles, véritable aumône piteusement financée par une fiscalité dédiée parfaitement insuffisante, qui font des retraités agricoles et, singulièrement, des conjoints collaborateurs – d’ailleurs, le plus souvent, des conjointes collaboratrices – les nouveaux pauvres des régions rurales de notre pays ?
Sommes-nous décidés, dans le même ordre d’idées, à créer les conditions d’une prise en charge collective de la dépendance, plus opératoire et efficace que l’actuel système d’allocation d’autonomie qui varie selon les départements avec la capacité budgétaire des assemblées locales ?
Sommes-nous décidés à consacrer une part plus significative de la richesse créée pour financer les retraites, permettant de fait aux pensionnés de bénéficier d’un pouvoir d’achat digne de ce nom, dans la France de 2010 ?
L’affirmation des principes nous engage sur la durée mais aussi dans l’immédiat.
Oui à la retraite par répartition, oui au légitime partage des richesses qui découle de notre pacte social unissant la nation dans la diversité de ses membres ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)