Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, madame le ministre d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le débat sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public concerne non pas, de façon anecdotique, quelques centaines ou quelques milliers de personnes, mais notre société et, surtout, l’idée que l’on peut se faire de la France.
La discussion que nous avons aujourd’hui est fondamentale, car elle nous invite à nous poser des questions de fond sur la façon dont nous concevons, dans notre Nation, le « vivre ensemble » et sur les valeurs de ce « vieux pays », comme pourraient dire les Américains, qu’est la France.
Nous sommes tous, et jusqu’à maintenant, issus d’horizons très différents : sans remonter aux Wisigoths, aux Ostrogoths et autres Burgondes, notre pays est le melting pot par excellence de tribus, de races, de peuplades qui, au fil des siècles, a progressivement donné naissance sur ce territoire hexagonal à un peuple riche de la diversité de ses origines.
Au-delà des hommes, la France a été historiquement profondément façonnée par une culture judéo-chrétienne millénaire qui s’est enrichie au cours du siècle des Lumières dans sa réflexion, sa diversité et, surtout, sa tolérance au point que la Révolution française a été la première dans le monde à créer cet être original, étrange à tous égards, qu’est le Citoyen, et je l’entends avec un « c » majuscule.
Cet être asexué dont on ignore les mœurs, la religion, la couleur de peau ou les convictions politiques est le fondement de la République et donc de nos valeurs, aujourd’hui encore.
Le génie de la France, par cette invention, a permis de transcender les différences individuelles. Chers collègues, gardons-nous de porter atteinte à cette avancée de la liberté et de l’égalité !
Si quantité de pays, de nations n’ont toujours pas découvert ce symbole démocratique, la France peut néanmoins être fière de cette création porteuse des symboles d’universalisme et de fraternité qui sont nos fondements moraux.
En 1905, face aux menées cléricales de certains cercles traditionalistes catholiques, la loi de séparation des Églises et de l’État a marqué un coup d’arrêt et a confirmé le caractère laïque de notre République et son ouverture à tous, autant à ceux qui croyaient au ciel qu’à ceux qui n’y croyaient pas.
Dans le cadre de cette tradition, notre démocratie, qui n’a pas à rougir de ses valeurs – bien au contraire ! –, a le droit et le devoir de réagir à nouveau au moment où cette vision du monde façonnée par notre histoire peut être mise en cause par des actions de groupuscules qui, à l’évidence, ne partagent pas nos idéaux républicains.
Madame le ministre d’État, chers collègues, souvenons-nous qu’il y a quelques années l’union républicaine et laïque de tous a su faire face avec succès à l’offensive similaire des signes religieux dans nos écoles, au point qu’aujourd’hui - je parle sous le contrôle de tous ici - ce sujet n’est plus d’actualité.
La République a des valeurs ; elle a su faire passer le message à l’époque. Pourquoi ne saurait-elle pas le faire passer aujourd’hui ?
Cette précédente réaction nous montre la marche à suivre pour maintenir dans notre pays les valeurs qui sont les nôtres face à l’intégrisme, à tous les intégrismes, d’où qu’ils viennent, en l’occurrence, plus précisément, une forme de prosélytisme à caractère d’ailleurs plus politique que religieux.
Chers collègues, notre attitude est d’autant plus fondée que les autorités religieuses musulmanes au plus haut niveau ne rangent pas le port du voile intégral parmi les prescriptions de l’islam, ce qui montre bien que notre action est dirigée non pas contre une religion mais contre des dérives fondamentalistes, ce qui est totalement différent !
Concrètement, la dissimulation du visage heurte notre société. Les Français sont opposés pour 82 % d’entre eux à la dissimulation du visage.
Comme l’a très bien montré notre rapporteur, François-Noël Buffet, et comme l’a confirmé par ailleurs Mme Élisabeth Badinter, bien qu’elle soit de sensibilité différente, « le visage n’est pas le corps et il n’y a pas, dans la civilisation occidentale, de vêtement du visage ».
Cette attitude, en mettant en cause la relation à autrui et la réciprocité d’un échange s’opposerait directement aux exigences du « savoir vivre ensemble », exigences qui s’imposent à chacun, quelle que soit sa confession.
De plus, au-delà de la mise en cause de la relation à autrui, la dissimulation du visage porte directement atteinte à la dignité de la personne, ce qui constitue, nous semble-t-il, une base constitutionnelle incontestable pour l’interdiction prévue, d’autant qu’elle est limitée à l’espace public, je le rappelle.
De même, le Conseil d’État a relevé que le respect de la dignité de la personne humaine fait partie intégrante de l’ordre public. Je rappelle que le 27 juin 2008 – c’est récent – le même Conseil d’État a rejeté la requête d’une Marocaine qui s’est vu refuser l’accès à la nationalité française en raison de sa pratique religieuse radicale, qui incluait le port de la burqa.
L’ordre public est également mis en cause du fait de l’impossibilité d’une identification, laquelle concerne d’ailleurs tous les modes possibles de dissimulation du visage, et toutes les justifications, alors même que les préoccupations de sécurité aujourd’hui sont maximales pour nos concitoyens.
Alors, oui, comme l’a dit M. le Premier ministre, « l’enjeu en vaut la chandelle ».
Aussi, à la lumière des différents arguments que je viens d’exposer et compte tenu des principes qui fondent notre pacte républicain et du contrat social qui nous lie tous, il me paraît plus que jamais indispensable de défendre, à travers l’approbation de ce texte, nos valeurs fondamentales et de combattre le communautarisme d’où qu’il vienne, car si celui-ci devait se développer, il porterait un coup fatal à notre modèle d’intégration à la française. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je m’exprimerai au nom des sénateurs du Parti de gauche du groupe CRC-SPG.
Tout d’abord, avant de vous exposer notre position sur ce projet de loi, nous tenons à souligner que nous regrettons la façon dont ce projet de loi a été mis en scène, et nous souhaitons marquer notre distance vis-à-vis des membres de la majorité qui se veulent aujourd’hui les grands défenseurs des droits des femmes et de la dignité humaine, alors même que ce sont eux qui, aujourd’hui comme hier, s’attaquent à ces principes républicains.
J’en viens à notre position en faveur de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public.
Le port du voile intégral est avant tout un traitement dégradant pour la femme qui le porte. En premier lieu, il réduit les femmes à être un simple objet sexuel, une proie sexuelle potentielle. Comme il serait ennuyeux de crever les yeux des hommes, seule la dissimulation permet de soustraire l’objet du désir à la concupiscence naturelle, et donc légitime, de tous ceux qui le regardent.
J’ajouterai qu’il est également dégradant pour les hommes d’être perçus comme de simples prédateurs obsédés par le sexe opposé.
En voilant sa femme, l’homme s’octroie le droit exclusif de la regarder, possédant un « droit de regard » qui va naturellement de paire avec le « droit d’user et d’abuser ».
Or un être humain ne peut être la propriété d’un autre. Cela est fondamentalement contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui proclame que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. C’est également contraire à l’article 1er de la Constitution, qui garantit que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Dans une République, la volonté de vivre ensemble suppose l’acceptation du regard d’autrui, la possibilité de voir et d’être vu par les autres. Dès lors, la femme voilée est niée comme personne particulière puisque son voile annonce qu’elle n’existe pas, non seulement parce qu’il est impossible de l’identifier, mais aussi parce que, étant consciente de ce fait, elle proclame ainsi qu’elle se nie elle-même en tant que sujet autonome.
Donner le spectacle d’une telle auto-humiliation est un trouble manifeste à l’ordre public. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Je ne m’avance donc pas outre mesure en affirmant que, dans cette assemblée, chacun s’est déjà senti mal à l’aise en croisant ces malheureuses femmes soumises dans leur accoutrement de la honte.
Certains nous disent qu’une telle loi stigmatiserait les femmes concernées et contribuerait à les enfermer davantage à la maison. On ne saurait pourtant accuser le législateur de stigmatiser des femmes qui se stigmatisent elles-mêmes !
D’autres soutiennent que, pour certaines femmes, le port du voile intégral serait un compromis leur permettant de sortir de chez elles, et que son interdiction les obligerait à rester au foyer. Nous pensons au contraire que la loi permettra à celles qui sont soumises et contraintes à porter le voile intégral de s’appuyer sur le droit pour ne plus le porter.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Agnès Labarre. De plus, on ne peut nier que le port du voile intégral en public n’est en rien une pratique purement personnelle puisqu’il a des incidences importantes sur l’environnement des personnes. Le voile intégral a en effet une fonction idéologique et politique. Il est un moyen pour ses promoteurs d’imposer leur loi « particulière » dans l’espace public à la place de la loi commune. Ainsi, dans la logique des intégristes, il s’agit de cette façon de pointer du doigt toutes celles qui ne portent pas le voile intégral, de jeter sur elles le doute et la suspicion.
Nous avons également entendu dire que la loi aurait dû s’appliquer non pas dans tous les lieux publics mais uniquement dans les services publics. Cela reviendrait cependant à découper notre territoire en différents espaces, les traitements dégradants étant ici acceptés et là interdits. Faudrait-il demander aux postiers, aux infirmières et à tous les représentants des services publics de jouer le rôle de la police ? Vous voyez bien que ce n’est pas sérieux !
D’autres vont nous reprocher de voter avec la droite.
Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Avec les femmes !
Mme Marie-Agnès Labarre. C’est vrai qu’il nous est difficile d’accepter ce genre de consensus, surtout lorsque le parti de la majorité n’y appelle pas pour de bonnes raisons.
À cette objection je réponds cependant qu’il ne faut pas oublier toutes nos camarades de la gauche de transformation sociale qui luttent dans leur pays pour l’interdiction du voile intégral, ce voile de la honte et de l’humiliation.
En adoptant ce texte, nous adressons un signe à celles qui se battent et luttent tous les jours contre une pratique archaïque et profondément dégradante pour le genre humain. Le port du voile intégral est pour nous un symbole indéniable d’aliénation et d’oppression de la femme.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous nous alarmons donc des dérives obscurantistes que des siècles de lutte avaient réussi à faire plier.
C’est pour toutes ces raisons que les sénateurs du Parti de gauche se prononceront en faveur de ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la question du voile intégral dans l’espace public nous préoccupe tous et toutes.
Elle nous interpelle en tant qu’élues, mais également en tant que femmes et en tant que militantes contre le sexisme et le racisme. Ma pensée va donc en premier lieu vers ces femmes qui, au quotidien, luttent inlassablement contre la tyrannie de certains régimes qui ont érigé une telle pratique en prescription religieuse et en ont fait un instrument de domination masculine.
Ces femmes, en Afghanistan ou dans d’autres pays, nous regardent et observent la manière dont nous appréhendons, à sa juste mesure, ce phénomène singulier.
Le voile intégral questionne notre capacité à élaborer des réponses adaptées et proportionnées à des phénomènes certes marginaux, sectaires, mais qui portent en eux les germes de l’exclusion de la femme et de son enfermement physique et psychique.
Je le dis donc avec conviction, même si un débat a eu lieu entre nous sur la nécessité ou non de faire intervenir la loi, les parlementaires Verts s’opposent, de manière totale et sans équivoque, au port du voile intégral.
Un sénateur de l’UMP. Bravo !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous sommes solidaires de toutes les femmes opprimées, en France comme à l’étranger, et réaffirmons notre détermination à lutter contre toutes les formes de sexisme qui oppriment et discriminent les femmes.
Pour autant, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui résonne de manière particulière. En effet, nous devons nous interroger sur la manière dont le débat sur le voile intégral a surgi en France et sur le contexte, alarmant, dans lequel il nous est présenté.
Ce contexte est celui de l’orientation sécuritaire de la politique du Gouvernement. Hier la LOPPSI, aujourd’hui la burqa, demain la loi sur l’immigration : le calendrier parlementaire traduit, à lui seul, une démarche d’amalgame et de stigmatisation mise en œuvre par la droite pour livrer à la vindicte populaire des coupables tout désignés, responsables de tous les maux de notre société.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Dans un contexte d’islamophobie galopante, le Gouvernement ravive des peurs, alimente des fantasmes, entretient volontairement un amalgame intolérable entre immigration et délinquance, entre burqa et islam, attisant ainsi une xénophobie jamais égalée sous la Ve République. (Murmures sur les travées de l’UMP.)
Tel est le contexte dans lequel le débat sur la burqa a surgi : celui d’une surenchère sécuritaire, sur fond de débat sur l’identité nationale, qui fabrique de la peur et qui instrumentalise un fait de société à des fins électoralistes. (Protestations sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement, qu’il le veuille ou non, a confessionnalisé le débat sur la burqa, laissant croire aux citoyens qu’il fallait expliquer le port de ce vêtement par une radicalisation de l’islam en France.
Non, la burqa n’a rien à voir avec l’islam ! Merci, madame la ministre, de l’avoir rappelé tout à l’heure. C’est une grave erreur de prétendre le contraire, qui assimile une religion au fanatisme, au sectarisme, et qui nourrit en réalité l’extrémisme.
Ne donnons pas aux extrémistes de tous bords l’occasion d’affirmer que l’interdiction de la burqa est une atteinte à la liberté religieuse : non, la burqa n’a rien à voir avec la liberté religieuse, pas plus qu’elle n’a à voir avec la religion ! Il faut le rappeler encore et encore : la burqa est étrangère à l’islam. Elle ne saurait découler d’une prescription religieuse.
Dès lors, nous pensons qu’il faut détacher le débat sur la burqa de la question de la laïcité. Il n’est pas question de remettre en cause celle-ci ; au contraire, nous voulons la réaffirmer. Mais nous sommes ici devant un piège dangereux : on assimile une pratique sectaire, qu’il faut combattre, à la religion musulmane, qu’il faut respecter.
Cet amalgame a pourtant largement été entretenu par les médias et par certains membres du Gouvernement, ayant trouvé en la personne d’un citoyen nantais l’occasion d’afficher leur détermination : on a ainsi vu l’islam associé à la burqa, à la polygamie, à la délinquance et à la fraude aux prestations sociales. C’est scandaleux ! Il faut lutter contre les raccourcis de ce genre, par lesquels on entretient délibérément une confusion intolérable, nourrissant les divisions et la haine, libérant la parole raciste.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’en viens maintenant au texte qui nous est présenté.
Nous nous interrogeons, légitimement, sur sa conformité aux engagements européens et internationaux de la France, ainsi que sur son applicabilité.
Que le port de signes extérieurs soit interdit dans des circonstances particulières strictement déterminées est une chose, mais une interdiction générale et absolue dans l’espace public en est une autre, qui ne manquerait pas de soulever de réelles difficultés juridiques.
Oui, le Conseil d’État a clairement affirmé son opposition à une telle interdiction générale. Il faut donc prendre en considération cette position, tout comme il convient d’évaluer la conformité de ce dispositif à la Convention européenne des droits de l’homme.
Il est absolument erroné de considérer a priori qu’une telle interdiction est légale du point de vue de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, l’interdiction du voile intégral implique une restriction générale et absolue aux droits protégés par celle-ci. Cette convention nous impose d’évaluer la proportionnalité d’une telle interdiction à l’objectif visé par la loi. Est-elle prononcée au nom du respect d’un nouvel ordre public immatériel ? Est-ce au nom du principe de l’égalité entre l’homme et la femme ?
Le texte du projet de loi ne s’embarrasse pas d’une telle précision : l’interdiction n’est assortie d’aucun objectif légitime propre à la justifier. Or, mes chers collègues, une telle omission ne manquera pas d’entraîner une censure, tant les atteintes à la liberté individuelle doivent être strictement justifiées et proportionnées aux risques encourus.
Il convient, dès lors, de justifier juridiquement les raisons de cette interdiction : la loi ne s’accommode pas des évidences. Pis encore, elle peut, par son silence, avoir des effets pervers. En effet, si elle peut aider certaines femmes, elle peut aussi donner aux hommes un argument supplémentaire pour enfermer les leurs.
À ce titre, la question de l’égalité homme-femme aurait pu fournir une justification suffisante et pertinente. Nous devons, en effet, combattre toutes les formes de discrimination vécues par les femmes, en France comme ailleurs.
À ce propos, nous aurions souhaité que le Gouvernement fasse preuve d’autant de zèle pour lutter contre toutes les autres formes de discrimination subies par les femmes ! Il aurait pu, par exemple, abandonner son projet de loi portant réforme des retraites (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP), qui, de ce point de vue de l’égalité entre les sexes, traduit une régression majeure puisqu’il approfondit encore un peu plus la discrimination intolérable que vivent les femmes !
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est bien essayé !
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’inégalité entre l’homme et la femme, c’est également le scandale de l’inégalité salariale, auquel nous devons rapidement mettre un terme.
Lutter contre l’inégalité entre l’homme et la femme impose également à la France de réaffirmer, dans ses relations diplomatiques, son opposition aux régimes qui humilient et persécutent les femmes. Dénonçons ensemble les accords bilatéraux avec les États qui oppriment et discriminent les femmes, qui les persécutent ou les lapident, comme Sakineh a pu l’être ! (M. Jean-Paul Virapoullé applaudit.)
M. Roland Courteau. Vous avez raison !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La France a beaucoup à faire pour assurer l’égalité homme-femme ; c’est le combat d’une vie, notre combat à toutes et à tous, permanent, entier et sincère.
Malheureusement, le texte que vous nous proposez aujourd’hui n’est, en revanche, pas très sincère. Il est l’œuvre d’une manipulation, d’une opération médiatique, d’une instrumentalisation sans pareille dans notre paysage politique.
Nous savons qu’une réponse adaptée au phénomène du voile intégral doit être trouvée, mais cette réponse ne résultera pas d’un projet de loi de circonstance, rédigé dans la seule perspective de surfer sur les eaux nauséabondes d’une politique sécuritaire et discriminatoire !
Nous ne voterons pas contre ce texte, car il répond partiellement à une attente de nos concitoyens, que nous comprenons.
Nous ne voterons pas non plus pour ce texte, car il n’est pas le fruit d’une réflexion aboutie sur ce phénomène du voile intégral et n’apporte aucune véritable solution aux femmes concernées.
Parce que, aujourd'hui, ils refusent de participer à l’instrumentalisation politique et électoraliste de nos grands principes fondamentaux, tel celui de l’égalité entre les hommes et les femmes, les parlementaires Verts ne prendront pas part au vote. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire de la République est, d’abord, celle de l’émancipation des individus de l’asservissement dans lequel l’obscurantisme, sous toutes ses formes, les avait plongés. Les radicaux peuvent s’enorgueillir d’avoir contribué à ce que ce projet politique ait été bâti sous l’empire de la raison.
La laïcité est un des principes de l’État, un bloc de granit jeté sur le parvis de la République : elle garantit la libre expression des convictions religieuses par la neutralité de l’État. Mais cette liberté religieuse possède des limites inhérentes au maintien des principes et valeurs qui garantissent le pacte républicain. Tels sont les termes de notre débat d’aujourd’hui, et je suis de ceux qui estiment que le principe de laïcité est au cœur du présent texte !
Malgré des décennies de lutte pour le progrès et l’avènement de l’égalité entre tous, notre vigilance doit rester intacte, comme le prouve la question du port du voile intégral dans la France du xxie siècle. N’y aurait-il, dans notre pays, qu’une seule burqa, la République devrait s’interroger, car la burqa est le symbole de l’intégrisme et du totalitarisme religieux.
Mme Nathalie Goulet. Non !
M. François Fortassin. Elle ne cesse de constituer un défi aux valeurs qui fondent notre pacte républicain, à la volonté de vivre ensemble dans le creuset national qui sont le bien commun de notre démocratie.
À l’indignité, à l’inégalité entre les hommes et les femmes, au sectarisme, au repli sur soi, nous opposerons toujours la force de l’égalité entre les citoyens, la dignité de la personne humaine et l’humanisme universel.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Louis Nègre. Bravo !
M. François Fortassin. La République doit se concevoir à visage découvert : nous ne saurions donc admettre le port de tenues visant à dissimuler le visage dans l’espace public, quelles qu’en soient les raisons.
En tant que représentants de la nation, nous avons la légitimité nécessaire pour adresser aujourd’hui un message solennel à tous ceux qui entendent s’attaquer aux fondements des valeurs universelles de la démocratie et qui affichent ostensiblement un rejet de la République. Qu’ils sachent que notre détermination sera totale !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. François Fortassin. La revendication du port du voile intégral est d’abord le symptôme d’une conception rétrograde de la place de la femme dans la société, un symbole de la négation de sa dignité.
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. François Fortassin. Tant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que le préambule de la Constitution de 1946 énoncent le principe de la stricte égalité entre les hommes et les femmes, quelles que soient leur origine, leur opinion et leur religion. Cela n’est pas négociable ! (Marques d’approbation sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Sauf pour le conseiller territorial ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Accepter aujourd’hui le voile intégral dans l’espace public reviendrait à renier des décennies de combat pour l’émancipation de la femme, un combat d’ailleurs toujours d’actualité.
M. Yvon Collin. Ô combien !
M. François Fortassin. Aujourd’hui, ces femmes voilées sont confinées dans un véritable isoloir social. Et cela non plus, nous ne pouvons l’admettre !
M. François Fortassin. Allons-nous demain accepter que des horaires soient réservés aux femmes dans les piscines ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. François Fortassin. Allons-nous demain accepter que des femmes refusent de se faire examiner par des médecins hommes ? (Non ! sur diverses travées. – Mme Nathalie Goulet manifeste également son opposition.) Allons-nous accepter que des jeunes filles soient dispensées de cours d’éducation physique dans les lycées de notre République ? (Mêmes mouvements.)
M. Louis Nègre. Sûrement pas !
M. Roland Courteau. Pas question !
M. François Fortassin. Ce serait ouvrir la voie à une forme de ségrégation revendiquée, alors même que la République a toujours refusé que l’on puisse porter atteinte à sa propre dignité.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. François Fortassin. Enfin, je formulerai une remarque plus légère, mais à mon avis importante : le port du voile, c’est la négation de la grâce féminine ! (Exclamations amusées.) C’est la négation de toute notion de mode ! Pourrait-on voir une rivière de diamants sur la gorge d’une piquante Andalouse si elle portait le voile intégral ? (Sourires.)
Le port du voile intégral est une dérive communautariste que nous réprouvons. Il n’y a dans notre pays qu’une seule communauté, celle des citoyens.
Naturellement, nous sommes conscients que légiférer sur cette question suppose de prendre des précautions juridiques. Il ne serait pire signal que d’adopter un texte qui puisse être censuré.
Comme cela a été rappelé par de nombreux orateurs, aucun précepte de la religion musulmane n’impose le port du voile : c’est de l’intégrisme pur et simple, c’est réduire la femme à une forme d’indignité totalement inacceptable ! À ce propos, les remarquables travaux de la mission d’information de l’Assemblée nationale ont permis d’entendre toutes les opinions et d’éclairer avec pertinence la réflexion de la représentation nationale et, au-delà, celle de tous nos concitoyens.
La loi constitue un dernier recours nécessaire pour rappeler solennellement la primauté des valeurs républicaines. Ce projet de loi souligne ainsi, avec gravité, que ces valeurs mettent en relief l’ordre public, la dignité de la personne et l’égalité entre les sexes. Il s’appuie plus particulièrement sur l’ordre public sociétal, que le Conseil d’État a défini comme le « socle commun minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ».
J’approuve, bien entendu, cette déclaration.
Les femmes qui portent le voile ne sont pas des coupables ; elles sont avant tout des victimes d’un environnement sociétal rétrograde, d’un quasi-conditionnement. Aussi la loi doit-elle être utilisée avec fermeté, mais avec discernement, afin de respecter la dignité de ces femmes.
La République ne doit pas faiblir face au défi qui lui est aujourd’hui opposé. Une démission serait la pire des réponses à ceux qui souhaitent, en réalité, engager la déconstruction de l’universalisme des Lumières hérité de 1789.
Nous sommes conscients de la responsabilité presque historique qui nous incombe aujourd’hui : celle de rappeler une nouvelle fois l’égale dignité des femmes et des hommes au travers de notre volonté de vivre ensemble.
Nous voterons donc ce projet de loi, comme pourraient le voter tous les républicains, afin de faire reculer l’obscurantisme et le sectarisme, de faire triompher les valeurs de laïcité et les principes de dignité de la personne. Nous considérons en effet que ce texte dépasse les clivages traditionnels. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)