M. Serge Dassault. C’est pourquoi il faudrait rendre la formation professionnelle possible à partir de quatorze ans et obligatoire jusqu’à dix-huit ans.
Au lieu de verser des primes pour l’emploi, il serait bien plus utile de prévoir un financement de la formation professionnelle. Voilà l’enjeu : inactivité égale délinquance et activité égale sécurité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Il faut donc supprimer l’inactivité pour supprimer la délinquance ou au moins la réduire.
Actuellement, plus de 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire – collège, lycée, université – sans qualification et sans métier, ce qui est considérable et témoigne de l’ampleur des actions à mener.
Il faudrait également cesser d’orienter les jeunes vers des diplômes et les diriger plutôt vers les métiers, en finançant leur formation. Par une sorte d’hypnose, on fait croire que le bac est la seule voie d’avenir pour les jeunes, alors qu’il ne sert à rien à ceux qui sont réfractaires aux études.
On ne peut quand même pas affirmer que le système éducatif actuel soit très efficace et qu’il ne faut surtout rien changer, car il n’atteint pas son objectif : former tous les jeunes à la vie professionnelle, comme cela se pratique en Allemagne et dans d’autres pays.
Mme Gisèle Printz. Cela ne marche pas !
M. Serge Dassault. Il y a vingt ans ou trente ans, ce système était sans doute adapté à la situation des jeunes, mais il ne l’est plus aujourd’hui, car les jeunes ont changé. Peut-être sont-ils moins « jeunes »…
Qu’allons-nous faire pour éviter que ceux qui, à dix-huit ans ou plus, restent sans formation ou sans travail ne deviennent des délinquants ? Une solution pourra être apportée par le service civique, déjà mis en place, mais à condition qu’il devienne obligatoire pour tous les jeunes de dix-huit ans sans travail et sans formation. Actuellement, ce service civique est facultatif et donc peu utilisé, malheureusement !
À ce sujet, je tiens à souligner que les écoles de la deuxième chance sont très efficaces, comme l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE. Ces écoles devraient devenir obligatoires pour les délinquants et les jeunes qui n’ont aucune formation. Il faudrait qu’une condamnation à la prison puisse être remplacée soit par une affectation dans l’une de ces écoles, car le séjour en prison ne sert à rien, soit par l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général pendant au moins un an auprès des pompiers, au sein des administrations, de la police, de la gendarmerie, ou – pourquoi pas ? – de l’armée.
Les quartiers regagneraient en sécurité, comme du temps du service militaire, qu’il est très regrettable d’avoir supprimé. Quand il existait encore, on n’entendait pas parler de la délinquance des jeunes de dix-huit ans, car ils étaient au service militaire : ils étaient occupés et apprenaient quelque chose. Aujourd’hui, ces jeunes restent inactifs dans leurs quartiers, où ils font des bêtises !
Mais la sécurité se traite également en aval, en améliorant l’efficacité de la police et de la justice.
La police doit améliorer ses relations avec les habitants et respecter les jeunes lors des contrôles d’identité. Tout tutoiement devrait être banni, car les jeunes ne le supportent pas, et c’est ainsi que surviennent les problèmes. De même, les policiers ne doivent pas accepter de se laisser tutoyer : le respect doit être mutuel.
Je tiens à saluer au passage le travail des fonctionnaires de police, qui assument la dure tâche du maintien de l’ordre public et de la sécurité dans des secteurs souvent difficiles, activité qui n’est pas sans risques pour eux, comme l’actualité le démontre malheureusement trop souvent. À ce sujet, la loi sur le délit de complicité devrait s’appliquer immédiatement à tout membre d’un groupe agressant des policiers : tous devraient subir la même peine.
Ce projet de loi sur la sécurité devrait aussi prévoir, mais vous l’avez dit, monsieur le ministre, d’améliorer les moyens matériels des forces de l’ordre, car les commissariats sont souvent trop petits – c’est le cas à Corbeil-Essonnes – et leur budget devrait être augmenté.
Les conséquences en aval concernent surtout la justice et l’application des peines qui, il faut le dire, ne sont pas toujours exécutées. Le juge peut en effet prononcer des sanctions, y compris des peines de prison, sans les assortir d’un mandat de dépôt et le délinquant sort libre du tribunal, triomphant et narguant les policiers, ce qui ne leur fait pas plaisir, car ils ont l’impression d’avoir accompli un travail inutile. J’en ai eu un exemple récent à Corbeil-Essonnes.
L’impunité n’est acceptable ni pour la justice, ni pour la police, ni pour les victimes, ni pour l’État.
Rendre la formation professionnelle possible à partir de quatorze ans – comme je le réclame en vain depuis longtemps – et obligatoire jusqu’à dix-huit ans (M. Daniel Raoul s’exclame), obliger les jeunes de dix-huit ans sans travail à s’engager dans le service civique, les écoles de la deuxième chance ou un travail d’intérêt général, imposer un respect mutuel entre la police et les jeunes, ramener la majorité pénale à seize ans, supprimer la possibilité pour les juges de décider de ne pas appliquer les peines qu’ils prononcent, introduite par la loi Perben : telles sont donc les propositions que je voulais vous présenter, monsieur le ministre. Elles n’ont rien à voir avec votre projet de loi, qui est ce qu’il est, mais elles sont nécessaires, parce que, je le répète, la délinquance est due au fait que des jeunes n’ont pas de travail.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Serge Dassault. Si plus de jeunes avaient un travail, il y aurait moins de délinquants et, si les condamnations étaient effectives, les délinquants seraient peut-être moins nombreux…
Mme Françoise Laborde. Vous voulez donc plus de prisons ?
M. Serge Dassault. Il faut donc remédier aux diverses causes de cette situation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propositions sortent des thèmes abordés par le projet de loi qui nous est soumis, mais je crois qu’elles le complètent, en amont et en aval, et le rendront certainement plus efficace. Je pense qu’il serait utile, si possible, de les étudier et, je l’espère, de les appliquer un jour. Cela sera bénéfique pour tout le monde, y compris pour vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Gautier. Merci, patron ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, beaucoup de choses ont été dites, mais permettez au maire que je suis d’exprimer son sentiment sur ce projet de loi.
Qu’il me soit d’abord permis de m’élever, monsieur le secrétaire d’État, contre les propos de votre collègue Christian Estrosi qui s’est cru autorisé, durant l’été, à mettre en cause l’action des maires. Cette stigmatisation intolérable, et irresponsable, visait à tenter de monter nos concitoyens contre leurs maires, alors que chacun sait que ces derniers sont en première ligne et que, depuis des décennies, ils se sont engagés au quotidien dans des politiques publiques de prévention et de dissuasion courageuses, aux côtés de la police, de la justice et de l’ensemble des acteurs sociaux.
Par ailleurs, ils ont fait face au désengagement de l’État, en reprenant de nombreuses tâches qui lui étaient dévolues. C’est ainsi que les villes s’occupent dorénavant de la délivrance des pièces d’identités, de la sécurité des sorties d’écoles, de la gestion des objets trouvés ou de l’enlèvement des voitures épaves, sans parler du développement des polices municipales.
Les maires ont assumé ces nouvelles missions à la demande des ministres de l’intérieur de l’époque, afin de leur permettre, disaient-ils, de libérer les policiers des tâches administratives qu’ils assumaient pour faire en sorte qu’une force de police plus importante intervienne sur le terrain. En fait, les divers gouvernements de droite qui se sont succédé en ont profité pour réduire les effectifs de policiers.
Ainsi, dans ma ville, le commissariat de police comptait plus de 130 agents, il y a encore peu de temps ; il n’en a plus aujourd’hui qu’une centaine…Quant à la gendarmerie, elle a été fermée !
Comment s’étonner, alors, du développement de la délinquance dans nos villes ?
Je ne vous ferai pas le reproche d’en faire trop sur le terrain de la sécurité, bien au contraire, mais je vous ferai celui de mal faire, de n’être ni efficace, ni performant et de vous contenter d’esbroufe. Depuis que celui qui prétend être le « premier flic de France » est au pouvoir, rien n’est réglé, au contraire ! Depuis huit ans, la délinquance continue de gangrener notre société et les violences explosent.
C’est un constat d’échec patent de votre politique qu’il nous faut dresser aujourd’hui, et vous ne tromperez personne en avançant des chiffres tronqués, parfois trompeurs, voire mensongers. Il suffit d’ailleurs de demander à nos concitoyens, qui pendant un temps ont cru à vos discours, ce qu’ils en pensent ! Aujourd’hui, mesurez le climat d’insécurité qui règne dans notre société, souvent chez les plus faibles.
Finalement, la seule chose que l’on puisse porter à votre actif, c’est le climat de tension que vous avez instauré dans notre société.
Par exemple, en transformant les gardiens de la paix en force d’intervention permanente, en parlant de « guerre intérieure », vous avez créé les conditions d’une distorsion forte entre les forces de polices et la population.
Votre projet de loi est d’ailleurs révélateur de votre démarche. Au nom de la lutte contre la délinquance et la criminalité, nous allons traiter de plusieurs dizaines de nouvelles incriminations, du renforcement des peines dans des domaines aussi variés que la vente à la sauvette, le trafic de drogue, la violence dans les stades, le droit de la propriété intellectuelle, le cyberespace, les empreintes génétiques, la pédophilie, la police scientifique, les fichiers de police, le code de la route, la vidéosurveillance, la lutte contre le terrorisme, l’intelligence économique, la responsabilité parentale, la sécurité routière, et cetera, et cetera, et cetera.
Cette liste à la Prévert, la poésie en moins, ne fait pas une politique de prévention et de lutte contre la délinquance, au contraire !
Certes, la prévention est un gros mot pour vous, cependant, vous n’y changerez rien : si vous voulez lutter efficacement contre la délinquance, il faut d’abord en reconnaître les causes et mener conjointement, selon le triptyque bien connu, des actions éducatives et sociales de prévention – elles supposent des moyens pour le logement, l’emploi, les loisirs, l’enseignement –, des actions de dissuasion – par la présence d’une police de proximité – et des actions de répression justes et proportionnées.
C’est parce que vous avez oublié ces fondamentaux, reconnus par le plus grand nombre, que vous êtes en échec aujourd’hui. Disant cela, je ne fais preuve d’aucun angélisme. Je recherche non pas des excuses, mais les raisons de ce mal-être qui font un délinquant. En déterminer les éléments est le plus sûr moyen d’une intervention en amont pour éviter le passage à l’acte. Cela nécessite des moyens que vous vous refusez à mettre en œuvre. Pire, avec la révision générale des politiques publiques, vous ne cessez de réduire les interventions dans tous ces domaines.
Enfin, ne pensez-vous pas que la recherche d’argent facile, l’économie souterraine, a aussi à voir avec votre modèle de société, où celui qui est reconnu et valorisé est celui qui a de l’argent ? Aux dires mêmes du Président de la République, plus un individu a d’argent, plus grande est la preuve de son mérite. Pour toutes ces raisons, comment s’étonner de votre triste bilan ?
Aussi, contre vents et marées, je reste persuadé que Victor Hugo avait raison lorsqu’il déclarait : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ». Vous n’avez pas fait la preuve que le grand homme se trompait, au contraire : vous avez fermé des écoles et ouvert des prisons, mais vous n’avez pas endigué la délinquance !
Oui, en matière de sécurité comme en tant d’autres domaines, il faut changer de politique : il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, plusieurs d’entre nous y ont fait plus ou moins allusion au cours de ce débat : l’été que nous venons de vivre aura été marqué par une petite musique de piètre qualité.
Beaucoup ont eu le sentiment qu’on leur servait, une nouvelle fois, une recette éculée, dont l’objet était de faire oublier les incessants rebondissements d’un feuilleton, véritable saga politico-financière, qui porte atteinte à l’idée même que nous nous faisons de notre République.
Cet été, discours incantatoires, déclarations tonitruantes et coups de menton présidentiels ont, au fond, traduit le choix qui a été fait de promouvoir ce qui divise, ce qui oppose, ce qui déchire, à l’heure où, en période de crise, notre pays a besoin de lien social et de réhabilitation du politique !
Au grand étonnement, en particulier, de nos voisins européens, nous avons assisté à une communication faite de surenchère, de stigmatisation, de chasse aux sorcières, en un mot, un spectacle ayant peu de chose à voir avec l’idéal républicain qui, y compris sur ces travées, rassemble nombre d’entre nous, au-delà même de nos différences !
Cependant, le sentiment prévaut que, cette fois, la ficelle est un peu grosse et que la manœuvre ne trompe personne. Elle ne masque rien des réalités que vivent les Français, et d’abord sur le front de l’emploi, de la croissance, du pouvoir d’achat. Elle ne masque rien de la vie de plus en plus difficile de nos concitoyens.
En matière de sécurité comme ailleurs, et contrairement aux longs plaidoyers d’autosatisfaction du ministre de l’intérieur, le constat est également inquiétant. Non, les résultats que vous nous annoncez depuis que vous êtes aux responsabilités ne sont pas au rendez-vous !
Depuis plus de huit ans, Nicolas Sarkozy prétend faire régner l’ordre dans notre pays, mais aucun problème n’a véritablement été réglé, on l’a bien vu.
Le Gouvernement s’abrite derrière le recul de la délinquance générale. Les faits sont pourtant têtus ! Ainsi, en 2009, les vols avec violence ont progressé de 6 %, les violences contre les personnes de 3 %, soit, pour ces dernières, une hausse de 16 % en cinq ans ! Et que dire de l’augmentation de plus de 12 %, sur la même période, des délits financiers, la fameuse « délinquance en col blanc » ?
Le projet de loi LOPPSI 2 apporte-t-il des solutions aux problèmes que rencontrent les Français en matière de sécurité ?
Vous évoquez une loi d’orientation, mais aucune orientation claire ne se dégage de ce texte ! Comme cela a été dit, nous avons affaire à un projet de loi « fourre-tout », sans fil conducteur, sans ligne directrice. C’est une juxtaposition de mesures tous azimuts, sans véritable vision ni projet politique pour une sécurité républicaine.
En définitive, la seule orientation claire qui ressort de la politique que vous mettez en avant, c’est celle de la stigmatisation et de la défausse.
Stigmatisation, d’abord : certains d’entre nous y ont fait allusion au cours de l’après-midi, nous avons entendu un ministre désigner les élus locaux comme étant responsables des échecs de son propre Gouvernement. C’est inadmissible, et le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, ne peut l’accepter !
Toujours dans l’ordre de la stigmatisation, vous avez, de fait, désigné des boucs émissaires faciles, la communauté des Roms. Non, messieurs les ministres, quand on a à prendre des mesures – c’est souvent nécessaire –, on ne juge pas les gens sur ce qu’ils sont, mais plutôt sur ce qu’ils font !
Défausse, ensuite : vous vous déchargez de pans entiers des politiques de sécurité sur les collectivités territoriales, mises en demeure de prendre en charge des investissements lourds, notamment en matière de vidéosurveillance.
Défausse encore, puisque vous vous apprêtez à sous-traiter au secteur privé la sécurité et l’intelligence économiques, alors que ce secteur régalien, comme l’indiquait précédemment Jean-Pierre Chevènement, est plus que jamais stratégique à l’heure de la mondialisation.
Vous évoquez une loi de programmation, mais aucune programmation précise ne nous est proposée.
Vous évoquez également une loi sur la performance, mais comment ne pas voir que la performance se résume à une politique du chiffre, simpliste et brutale ?
Comment, en outre, parler de « performance » quand on sait que les hommes et les femmes qui servent dans les forces de l’ordre en sont la première richesse, mais que vous vous apprêtez à engager un gigantesque plan social dans la gendarmerie et la police nationales ?
Il y a aujourd’hui moins de policiers qu’en 2002 ! Sur la période couvrant les années 2009 à 2011, près de 7 000 postes seront supprimés au total.
Quelle sera donc la performance dans ce contexte ?
Vous évoquez enfin une loi sur la sécurité intérieure, mais votre doctrine de sécurité intérieure est illusoire. Elle nous propose de poursuivre le rapprochement entre gendarmerie et police nationales sans se prononcer clairement sur l’avenir de la gendarmerie et le respect de son identité.
Les sénateurs de mon groupe sont aussi des élus ayant une connaissance du terrain. À ce titre, ils ont pour souci de bâtir une vraie politique de sécurité articulée autour de trois orientations.
La première orientation est celle de l’efficacité. Nous n’avons pas peur de le dire, toute infraction mérite sanction. C’est évident ! Mais cette sanction doit être juste et proportionnée, et non aveugle. Elle doit être rapide, alors que vous déstabilisez le système judiciaire en lui imposant sans cesse de nouveaux textes inapplicables et, d’ailleurs, bien souvent inappliqués.
La deuxième orientation est celle de la proximité et de l’ancrage territorial. Il faut, bien sûr, tirer les leçons de nos échecs passés, mais comment ne pas voir que rien ne remplacera jamais la connaissance du terrain et le travail de fond dans la durée ?
La troisième et dernière orientation est celle de la mobilisation de toutes les politiques au service de la sécurité. Vous opposez la prévention et la répression pour mieux justifier le recours exclusif à la seconde, mais une politique de sécurité, comme toute politique, doit marcher sur ses deux jambes ! L’éducation, la politique de la ville, une réponse judiciaire adéquate sont autant d’éléments aujourd’hui négligés.
Faute de prendre en compte ces orientations, votre texte n’atteint pas sa cible. Il comporte de nombreux reculs et bien peu d’avancées concrètes. Vous donnez des leçons à la terre entière, mais vous ne tirez aucune leçon de vos échecs passés. (M. Rémy Pointereau proteste.)
Ainsi, vous vous exposez à un nouvel échec – un de plus – en ne bâtissant pas une politique de sécurité digne de ce nom, digne de notre République et digne des attentes des Français.
C’est pourquoi, nous nous opposerons au projet de loi tel qu’il nous est présenté aujourd’hui et nous serons vigilants sur chacun des amendements que vous introduirez dans les jours à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, l’été n’a pas été, comme d’aucuns auraient pu le penser, une période de répit. Nous avons vu le ministre de l’intérieur se rendre sur tous les lieux où des drames humains s’étaient joués, mettant peu ou prou sur le devant de la scène policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers.
Sa présence aux côtés des représentants de l’État disait suffisamment son émotion, la part prise dans chacun de ces drames et sa détermination personnelle à apporter une solution à la violence sous toutes ses formes – violences contre les personnes, violences contre les institutions, violences contre les biens, actes criminels contre notre patrimoine naturel. Elle apparaissait un peu aussi, pour nous, sénateurs, qui avions achevé au mois de juillet dernier l’examen, au sein des commissions saisies, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, comme la justification des mesures proposées dans ce texte.
Qui de nous pourrait en effet accepter les rodéos criminels dans nos banlieues difficiles, le commerce – presque à visage découvert – de la drogue, la violence routière meurtrière, les gestes assassins destructeurs de nos forêts ?
Qui de nous ne se dirait pas favorable à une politique consacrée à protéger les personnes et les biens, à les défendre, à anticiper la menace par la prévention, à sanctionner par la répression ?
Cette politique est bien la mission du ministre de l’intérieur, une tâche certes noble, mais difficile.
Mais voilà que l’été est passé et que le tolérable est devenu intolérable à tolérer…
La LOPPSI 2 a dit son vrai visage : intolérance, suspicion systématisée, recul de toutes les valeurs qui ont fait la dignité de la France, d’une France généreuse, celle des droits de l’homme.
Comment croire ou, plutôt, qui croire ? Le ministre de l’intérieur que je voyais il y a quelques jours encore dans un petit film d’accueil diffusé aux étrangers devenus français à l’occasion de la remise de leur décret de naturalisation, leur ouvrant les bras de la grande famille libre, égale et fraternelle, ou le ministre de l’intérieur qui assène des menaces d’aggravation des peines à l’égard de délinquants étrangers ou d’expulsion des populations de Roms installées illégalement – mais, souvent, qu’y peuvent-ils ? – sur des terrains insalubres ?
Moi qui suis tintinophile, j’ai entendu, il y a quelques jours à peine, l’écrivain et philosophe Benoît Peeters parler des Bijoux de la Castafiore. Je voulais demander à M. Hortefeux, sans aucun irrespect de ma part, s’il se rappelle le passage où le bon capitaine Haddock, estimant inacceptable de maintenir une famille de Romanichels sur un dépotoir – « Comment des êtres humains peuvent-ils vivre sur un tas d’ordures ? C’est révoltant ! » –, leur propose de s’installer dans la prairie de son château de Moulinsart.
Si le Gouvernement incarnait aujourd'hui l’un des personnages de cet album, il serait Nestor, celui qui reproche vertement au capitaine Haddock d’accueillir « ces vauriens, ces voleurs ».
Et pourtant, j’aimerais tant que le Gouvernement ait la générosité, la bonté, l’humanité du capitaine Haddock, qui sait qu’il n’est pas admissible, au regard de la civilisation des droits de la personne humaine, d’assimiler toute une communauté à quelques-uns de ses membres auteurs de délits, comme s’il existait une responsabilité collective.
J’aimerais tant – mais rien qu’à utiliser ce verbe ici, je sais que je me trompe ! – que ce projet de loi retrouve la voie de la raison, du raisonnable, de l’applicable, et chasse toutes ces mauvaises manières qui consistent à pousser jusqu’à l’excès le besoin sécuritaire qui sommeille en chacun de nous.
Fallait-il vraiment traduire dans ce projet de loi les inquiétudes de l’opinion publique dans des dispositifs qui ont pour intérêt de faire de la communication et qui sont surabondants par rapport aux mesures existantes ? Je pense notamment aux sanctions pour violences aux personnes vulnérables – après le meurtre d’un couple de retraités, dans l’Oise –, à celles qui concernent la distribution de pièces et billets sur la voie publique – à la suite de l’opération de marketing menée à Paris, à la fin de l’année 2009 –, ou encore les supporters sportifs susceptibles d’occasionner des troubles graves à l’ordre public.
Entendez-moi bien : il ne s’agit en aucun cas de minimiser la gravité de faits incriminés. Je m’interroge seulement sur la nécessité d’aggraver des peines qui, on peut certes le regretter, ne sont pas appliquées lorsqu’elles existent.
Les nouvelles incriminations en matière de télésurveillance ou de cybercriminalité ne sont, sur le principe, pas contestables, mais elles emportent de nouvelles peines, plus lourdes, dont nous voudrions bien savoir comment elles peuvent être mises en œuvre.
Avec quels moyens police et gendarmerie pourront-elles exercer leurs nouvelles compétences ? Je n’entrerai pas dans ce débat comptable qui ajoute de la police là où l’on retranche de la gendarmerie ou vice versa, pas plus que je n’aborderai l’effet « statistiques », dont j’ai déjà dénoncé ici le caractère aléatoire.
Dans quelles conditions seront maintenus dans les maisons d’arrêt ou dans les centres de détention ceux dont les peines sont allongées, quand on connaît la grande misère de nos prisons et le besoin urgent d’en augmenter le nombre pour améliorer les possibilités de réinsertion dans la société ?
Dans quelles conditions les parquets pourront-ils exercer leur contrôle sur les fichiers de police pour s’assurer de leur mise à jour ? Certains d’entre eux – je pense au parquet de mon ressort – sont exsangues et dans l’incapacité absolue d’absorber des missions nouvelles.
En ce qui concerne la liberté d’aller et de venir des mineurs de treize ans, s’est-on interrogé sur la capacité des services de l’aide sociale à l’enfance de recueillir provisoirement ledit mineur alors que, globalement, les locaux d’accueil manquent et que cet accueil suscitera des dépenses dont on ne sait qui pourra les assumer ?
Comment encore ne pas relever la création d’un fonds de soutien pour la police scientifique et technique alimenté par les assurances, ce qui confirme l’incapacité dans laquelle se trouve l’État d’assurer ses propres missions régaliennes ?
J’ai délibérément choisi ici, monsieur le secrétaire d'État, de n’appeler votre attention que sur les points qui n’ont pas manqué de me rendre dubitative quant à l’application possible, effective, réelle, de ce projet de loi. Il resterait bien d’autres points à évoquer qui ne manquent pas d’inquiéter aujourd'hui nos amis policiers et gendarmes, notamment le partage de responsabilités avec les polices municipales, voire avec les polices privées, mais aussi le partage de responsabilités entre le préfet et le maire.
Mais l’examen du texte nous permettra d’aborder ces points et d’en débattre, afin peut-être de les éclaircir, de les enrichir et de faire en sorte que, à l’issue de notre discussion, cette loi soit vraiment porteuse des valeurs qui fondent notre ordre républicain. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.