M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur ces questions difficiles d’insécurité, qui préoccupent à juste titre nos concitoyens, je suis soucieux de garder un ton mesuré, ne voulant pas entrer dans un jeu de rôles très au point.
L’article 1er du projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, a pour but d’approuver un rapport annexé sur les objectifs et les moyens de la police, de la gendarmerie et de la sécurité civile à l’horizon 2013.
La plupart des objectifs affichés ne sont guère contestables. Qui pourrait, en effet, s’opposer à l’utilisation de technologies nouvelles au service de la sécurité de nos concitoyens ?
Je pense qu’il faut relativiser la controverse sur la vidéoprotection. Si j’en crois mon expérience, ce dispositif a pu montrer une certaine efficacité.
Cependant, le manque d’indépendance des organes de contrôle de la vidéosurveillance n’est pas satisfaisant, comme le fera observer ma collègue Anne-Marie Escoffier.
Par ailleurs, il faut laisser aux collectivités locales leur marge d’initiative, puisque l’exploitation et le coût de la vidéosurveillance leur incomberont.
Je ne vous chercherai pas non plus de querelle au sujet des fichiers. Les fichiers sont nécessaires, la police en a besoin. Il faut, naturellement, que leur utilisation reste contrôlée, sous l’égide de la CNIL, la commission nationale de l’informatique et des libertés.
Je voudrais en venir au problème des moyens. S’agissant des crédits, l’augmentation est très faible : 2,7 % au total, alors que vous prenez déjà en compte, en ce qui concerne la modernisation des équipements, le plan de relance, déjà réalisé. Cette programmation n’est donc pas très ambitieuse.
Bien plus grave est la suppression par la RGPP de 9 000 emplois de policier et de gendarme depuis trois ans, selon mes informations. Cette politique va continuer d’exercer ses effets. Je n’ai pas tout à fait les mêmes chiffres que M. Anziani : 1 329 postes dans la police nationale et 1 303 postes dans la gendarmerie doivent disparaître d’ici à 2013. Peut-être nous apporterez-vous une précision sur ce point.
Votre réponse, c’est le recentrage de la police sur son cœur de métier : voilà votre argument. Vous avez choisi de laisser se développer les sociétés de sécurité privées et les polices municipales, dont vous suggérez qu’elles sont la véritable police de proximité. Cependant, cela ne fait que 18 000 policiers, et vous savez très bien que toutes les collectivités ne sont pas égales. Vous allez laisser s’accroître l’écart entre les communes riches et les communes pauvres. C’est l’égalité des citoyens devant la sécurité qui en fera les frais !
L’équilibre réalisé par la loi d’avril 1998 entre la police nationale et les polices municipales est en passe de se rompre. En 2003, votre prédécesseur, M. Sarkozy, a supprimé, bien à tort, la police de proximité. C’était pourtant une réponse de bon sens que d’affecter une police territorialisée à des bassins de délinquance bien identifiés.
Sans doute la formule lancée en 2000 était-elle perfectible ; mais vous ne lui avez pas laissé le temps de faire ses preuves. Vous y revenez d’ailleurs subrepticement, au moins dans vos textes, en évoquant la création d’une « police de quartier ».
Les moyens vous manquent : est-il raisonnable de vouloir y remédier par un simple transfert de charges à des collectivités que, par ailleurs, vous voulez mettre à la diète ?
Il y a des glissements dangereux dans ce cantonnement de la police nationale à ses tâches régaliennes stricto sensu et dans ce retrait progressif de son rôle de proximité au service de la sécurité quotidienne de nos concitoyens.
Les sociétés de sécurité privées n’offrent pas les mêmes garanties de déontologie que la police nationale. Je pourrais prendre l’exemple, révélé par la justice, de certaines sociétés d’investigation françaises et étrangères qui ont opéré pour le compte d’entreprises du secteur de l’armement, comme Thomson et Matra. Que de débordements, que d’excès, que d’intrusions illicites !
Il est certes utile d’encadrer les activités privées d’intelligence économique, mais les interdictions d’exercice que vous proposez sont tout à fait insuffisantes, d’autant qu’elles peuvent être assorties de dérogations. La notion de service public en est donc ébranlée.
Il est dangereux de mêler sécurité intérieure et sécurité extérieure, comme le préconise le Livre blanc. C’est ouvrir la voie, on l’a vu, à bien des confusions et à des amalgames sommaires. Il vaut mieux que les agents de renseignement n’interfèrent pas trop avec la sécurité publique, au risque de dérives qui mettent en jeu les libertés.
Ce que vous réalisez en catimini, monsieur le ministre, c’est une privatisation de la sécurité publique. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Alain Anziani l’a dit avant moi : il y a 170 000 agents dans les sociétés de sécurité privées, contre 220 000 policiers et gendarmes. Le moment n’est pas loin où il y aura plus de monde dans les sociétés de sécurité privées que dans les forces publiques !
Votre bilan en matière de sécurité est loin d’être aussi flatteur que vous le laissez paraître dans le rapport annexé. La politique du chiffre impose des charges de travail excessives aux services de sécurité. Les statistiques n’enregistrent pas correctement la délinquance de proximité. La « main courante » se substitue au dépôt de plainte. Ce procédé ne peut dissimuler l’augmentation de violences faites aux personnes, et notamment aux forces de sécurité, auxquelles je veux rendre l’hommage qu’elles méritent, compte tenu des risques croissants qu’elles encourent du fait de la violence accrue des bandes.
Vous reconnaissez d’ailleurs, d’une certaine manière, l’échec de votre politique en multipliant les équipements de protection des forces, équipements dont elles ont besoin. La réponse que vous prétendez apporter, avec la déchéance de la nationalité des auteurs de violences contre les policiers et les gendarmes, sera inefficace, vous le savez bien – à supposer qu’elle soit compatible avec la Constitution !
Mai là n’est pas le problème à vos yeux. Votre politique est essentiellement gesticulatoire. M. Sarkozy, il y a cinq ans, prétendait nettoyer les quartiers au Kärcher, et faire la guerre à la « racaille », ce qui n’est pas tout à fait la même chose que les « sauvageons », soit dit en passant ! (Sourires.)
Ministre de l’intérieur hier, Président de la République aujourd’hui, M. Sarkozy enfourche son destrier, fait lever les oriflammes et sonner les trompettes, tous les ans, et même plusieurs fois par an - deux fois par an, selon M. Anziani ! Et force est de constater, puisqu’il déclare la guerre au moins deux fois par an depuis plusieurs années, qu’il ne la gagne pas… (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Votre politique, monsieur le ministre, nourrit la violence plutôt qu’elle ne la calme, car l’excitation – nous le savons bien dans les assemblées – est communicative. Selon mes chiffres, vous avez plus que doublé le nombre des gardes à vue depuis l’an 2000, alors que vous n’avancez qu’un modeste plus 51 % dans votre rapport. Ne pensez-vous pas qu’une politique plus ciblée, comme le dira M. Mézard tout à l’heure, serait aussi plus efficace ?
Vous brandissez l’arme de la déchéance de la nationalité, comme si M. Sarkozy ne s’était pas targué d’abolir, en 2002, ce que l’on appelait – improprement, d’ailleurs – la « double peine », c’est-à-dire la peine complémentaire consistant à reconduire à la frontière les délinquants ayant commis des actes particulièrement graves.
La gauche avait maintenu cette peine complémentaire, je le rappelle. Mais vous, vous allez beaucoup plus loin, jusqu’à la déchéance de la nationalité, prévue pour des gens que, par ailleurs, vous recevez dans les préfectures pour des cérémonies où ils sont intronisés dans la communauté nationale. Où est la logique ? On ne peut pas faire et défaire, valoriser et dévaloriser.
Votre logique, monsieur le ministre, est tout électoraliste : vous exploitez un filon !
Peut-être mon propos aura-t-il l’heur de vous plaire si je vous compare à Napoléon, qui choisissait toujours son terrain : le plateau de Pratzen, à Austerlitz ; les marécages dans lesquels on écraserait les Russes et les Autrichiens... Vous voudriez faire de même avec la gauche : vous pensez qu’en l’entraînant sur un terrain fangeux, là où les idées ne sont pas toujours claires, vous allez pouvoir mettre de votre côté les « bons citoyens », auxquels vous faites régulièrement appel.
Je pense qu’il n’est pas bon de tout mélanger. La fermeté est nécessaire, mais vous devez ne pas distinguer entre les Français selon leur origine, et ne pas transformer les juges en robots en étendant constamment, et sans efficacité, le champ des peines planchers. De même, vous devez reconnaître aux étrangers les droits qui sont les leurs, sans faire d’une communauté entière le bouc émissaire pour des faits délictueux que nous voulons réprimer autant que vous, mais de manière plus ciblée.
En mélangeant tout, vous cherchez à exploiter à la fois la peur et la bêtise.
Je ne pense pas que vous pourrez arriver à vos fins en spéculant sur l’angélisme d’une partie de la gauche. Même si c’était le cas, je ne vous en féliciterais pas pour autant ! J’observe, en revanche, que le doute s’insinue dans les rangs de votre majorité. M. Juppé, dans l’édition du Figaro d’hier, s’interrogeait : « Est-ce qu’il faut surmédiatiser le problème de l’insécurité et donner le sentiment qu’on s’en sert pour repiper des voix sur l’extrême droite ? Je n’en suis pas sûr ! ».
Écoutez plutôt le conseil qu’il vous donne : « Chaque matin, on nous annonce une nouvelle loi sécuritaire. Appliquons d’abord celles qui existent. » On ne saurait mieux dire…
M. Yvon Collin défendra tout à l’heure une motion de renvoi en commission, afin de vous donner le temps de réfléchir et de revenir à une politique de sécurité sans démagogie. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, il y a des lois qui ne sont pas nécessaires. Je le dis franchement, nous vous applaudirions si vous appreniez à gouverner par circulaires ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le débat que nous abordons aujourd’hui revêt une importance toute particulière. En effet, il s’inscrit dans la continuité de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dite LOPSI 1, ainsi que des textes adoptés depuis 2002, et il définit les grands axes de la politique de sécurité jusqu’en 2013.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une évolution inéluctable de la délinquance, qui revêt de multiples formes dans un monde à l’économie globalisée. Cela nécessite donc une remise en cause permanente des cadres d’action traditionnels des forces de l’ordre.
C’est pourquoi, comme vous le rappeliez, monsieur le ministre, le Président de la République vous a demandé de préparer une nouvelle loi donnant à l’État tous les moyens techniques, juridiques et opérationnels pour combattre résolument toutes les formes de délinquance.
Le groupe UMP du Sénat soutient un tel vœu d’efficacité dans l’action et de modernisation des moyens, véritable ligne conductrice du présent projet de loi.
Ce texte n’est ni une loi d’affichage ni une loi liberticide, contrairement à ce que laissent supposer les commentaires traditionnellement entendus sur le côté gauche de cet hémicycle.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Très bien !
Mme Catherine Troendle. Il s’agit d’un texte d’action et de détermination qui fournit les outils indispensables à nos forces de l’ordre pour assumer la première de nos obligations d’élus locaux : maintenir la sécurité de nos concitoyens.
Je ne suis pas de celles et ceux qui opposent sécurité et liberté, ni même prévention et répression. Il est de notre devoir de rechercher en permanence un équilibre entre ces principes et ces modes d’action.
Sur ce point, je tiens à saluer les travaux de nos collègues Jean-Patrick Courtois, rapporteur,…
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Merci, ma chère collègue.
Mme Catherine Troendle. … ainsi que de Jean Faure et d’Aymeri de Montesquiou, rapporteurs pour avis.
En effet, en commission des lois, nous avons eu à cœur d’adopter une attitude pragmatique, avec pour objectif unique de garantir l’efficacité des forces de police et de gendarmerie, dans le respect des libertés individuelles et des principes de notre droit.
Depuis 2002, nous avons adopté de nombreuses mesures, tant préventives que répressives. Après avoir entendu M. le ministre, je n’ai aucun doute sur la volonté du Gouvernement de maintenir l’équilibre entre ces deux types de dispositions.
Le fil rouge de ce texte tient donc en six lettres : L-O-P-P-S-I, chacune d’elles renvoyant à un mot doté d’un sens profond, sur lequel je souhaiterais m’arrêter un instant.
La première lettre, « L », est peut-être celle que nous sommes censés appréhender le mieux, puisqu’elle est l’initiale du mot « loi ».
Pourquoi une loi ?
Le Sénat est sans doute le plus sensible aux besoins législatifs actuels, du fait d’un certain nombre de vides juridiques dans l’administration quotidienne de nos collectivités pour protéger nos concitoyens. Nous avons besoin de cadres clairement définis, comme M. le Président de la République nous l’a rappelé cet été, à Grenoble. J’y reviendrai en évoquant plus tard les questions de vidéosurveillance, de police municipale et de bassin de délinquance.
La deuxième lettre, « O », désigne l’« orientation » à donner à la politique de sécurité au service de nos concitoyens.
Le rapport annexé au projet de loi nous permet de constater la volonté réelle du Gouvernement de maîtriser l’évolution des crédits en ne sacrifiant jamais l’action, d’adapter les cadres réglementaires aux nouvelles formes de délinquance et de favoriser l’usage des nouvelles technologies.
L’objectif est clair : « La sécurité partout et pour tous ».
La troisième lettre, « P », comme « programmation », nous renvoie peut-être à l’action la plus complexe pour les responsables politiques que nous sommes, car elle est difficile à mettre en œuvre. Et pourtant, n’est-il pas fondamental d’appréhender notre monde de manière globale, dans le temps et dans l’espace ?
Votre stratégie est claire : des objectifs ciblés, des moyens dédiés, une capacité à utiliser tous les moyens disponibles et la mobilisation de toutes les forces, dans le respect des libertés.
La quatrième lettre, qui est certes identique à la précédente, prend ici un sens tout particulier : la « performance ».
Cette préoccupation est nouvelle, puisque, comme l’a rappelé notre rapporteur, la LOPSI 1 était centrée sur une problématique de moyens. Il s’agit par là de valoriser l’apport des outils, techniques et cadres juridiques adaptés à l’intervention de l’ensemble des acteurs chargés de la sécurité.
La politique de sécurité du Gouvernement obtient des résultats, parce qu’elle s’adapte et parce qu’elle ne fait l’impasse sur aucun moyen, sur aucun partenariat quand ils sont nécessaires à l’efficacité de l’ensemble.
La cinquième lettre est certainement celle que nous connaissons le mieux : « S », pour « sécurité ». Et pourtant, bon nombre de personnes appréhendent ce terme comme un gros mot. N’ayons pas honte, dans notre pays, de vouloir redonner confiance et tranquillité aux Français. Il s’agit à la fois d’un objectif, d’un droit précieux et d’une valeur profonde pour notre formation politique.
J’en viens enfin à la dernière lettre, le « I », pour « intérieure».
Même si la sécurité intérieure ne peut plus ni commencer ni s’achever aux frontières de la métropole et des territoires d’outre-mer, comme le rappelait le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, il s’agit pour nous de lutter contre une délinquance quotidienne et de proximité, bien contenue depuis 2002, tout en mettant l’accent sur la prévention et la répression de certains types de violences particulièrement graves.
Par ailleurs, ce texte renforce la protection des agents de renseignement et instaure un régime d’agrément et d’autorisation pour les activités d’intelligence économique.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte responsable pour notre pays.
L’axe majeur de cette LOPPSI 2 est un recours accru aux nouvelles technologies, afin de lutter contre la délinquance et d’améliorer l’efficacité des dispositifs de sécurité.
Les nouvelles technologies offrent des possibilités inédites à la police et la gendarmerie, de la captation de données à la surveillance. Néanmoins, ce développement moderne peut très rapidement devenir source de nouveaux délits. Il s’agit alors pour les forces de l’ordre d’investir ces nouveaux champs, souvent virtuels.
C’est tout le sens des mesures proposées pour lutter contre la cybercriminalité et la pornographie sur Internet. Je tiens à cet instant à saluer les nombreux efforts déjà consentis par le Gouvernement en la matière.
La nouvelle donne « high-tech », symbole du xxie siècle, nous impose donc d’utiliser l’ensemble des possibilités offertes par ces technologies, afin d’améliorer l’efficacité de la prévention et de la répression.
La transmission de données en est le premier volet. Qu’elle se fasse par vidéo ou par scanner, il s’agit, dans les deux cas, de moyens de surveillance préventifs.
C’est pourquoi le groupe UMP se satisfait pleinement de l’évolution sémantique que vous avez souhaité apporter à la « vidéosurveillance » pour la rebaptiser « vidéoprotection ». L’objectif est bien de proposer une protection a priori à nos concitoyens, et nullement de poser sur eux un regard intrusif.
Certes, ce n’est pas un remède à tous les maux, mais les faits sont là pour attester l’utilité d’une telle technique. C’est d’ailleurs, comme vous l’avez rappelé, le constat qu’a dressé l’Inspection générale de l’administration, selon laquelle la délinquance diminue deux fois plus vite dans les zones équipées de caméras que dans celles qui n’en ont pas.
La vidéoprotection n’est ni l’alpha ni l’omega de la sécurité, mais elle est un outil de travail précieux pour ceux qui sont chargés de cette liberté : la sécurité pour tous.
Les maires pourront ainsi se satisfaire des propositions faites en la matière par le Sénat. La Haute Assemblée suggère de sécuriser davantage la possibilité de déléguer la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes morales de droit privé. Elle propose aussi d’ouvrir le contrôle des dispositifs à la CNIL, que préside notre collègue Alex Türk. Cette autorité pourra également conseiller les collectivités et demander aux préfets de sanctionner les manquements qu’elle constatera.
Vous l’aurez remarqué, mes chers collègues, la commission des lois a adopté une attitude très équilibrée quant aux libertés individuelles et à la protection des données personnelles, que nous préservons avec vigueur.
Sur ce sujet, vous l’aurez compris, l’État est aux côtés des collectivités territoriales, et nous nous en réjouissons.
Par ailleurs, il me semble tout à fait opportun d’avoir introduit des dispositions relatives à l’usage de scanners corporels dans les aéroports.
Je tiens à cet instant à rappeler le travail que nous avons effectué en commission pour lever toute ambiguïté quant à l’utilisation de tels outils : les opérateurs ne pourront visualiser simultanément les personnes et leur image produite par le scanner.
Cette disposition me semble fondamentale pour le respect de l’identité de chacun d’entre nous, tout comme l’est, pour la liberté individuelle, la possibilité de refuser de se soumettre à un tel dispositif à condition d’être soumis à une autre technique de contrôle.
Nous avons recherché les moyens d’éviter tout blocage inutile du dispositif global de sécurité par le seul refus d’un homme ou d’une femme de se soumettre à un contrôle de sécurité prévu pour l’ensemble des passagers d’un avion.
Le prélèvement d’empreintes génétiques est le second volet de l’utilisation des nouvelles technologies au service de la police.
Mes chers collègues, n’imaginez pas entrer dans les arcanes d’une de ces séries policières télévisées que nous connaissons bien maintenant ! Ne fantasmons pas non plus sur les capacités réelles de toutes ces techniques modernes d’identification que la police et la gendarmerie sont en mesure d’utiliser !
En revanche, il était nécessaire de codifier les fichiers d’antécédents et d’analyse sérielle créés dans la loi adoptée en 2003.
Le second axe de cette réforme relève d’une approche globale, attentive à la logique de performance.
Dans le droit fil du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, vous avez souhaité que cette LOPPSI comporte des dispositions visant à améliorer la protection des intérêts de la Nation, notamment des dispositions concernant les services de renseignement.
Je ne m’étendrai pas sur cette partie, que M. le rapporteur pour avis Jean Faure a excellemment bien présentée ; et le groupe UMP remercie notre collègue du travail approfondi qu’il a effectué.
Vous l’aurez compris, nous adhérons pleinement aux propositions formulées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Je souhaiterais en revanche m’attarder sur trois sujets qui imposent une performance accrue de nos méthodes. Je pense à la sécurité routière, à la lutte contre la délinquance des mineurs et contre les violences scolaires, ainsi qu’à la sécurité quotidienne pour nos concitoyens.
Les faits divers lus dans les pages locales de notre presse quotidienne régionale nous font régulièrement regretter l’inconscience de ceux qui sont en infraction sur la route.
Vous avez souhaité densifier les mesures en faveur de la sécurité routière en renforçant la lutte contre les comportements à risque, et nous nous en félicitons. Je mentionne ainsi la promotion de l’autocontrôle d’alcoolémie, l’installation obligatoire d’un éthylotest anti-démarrage en cas de délit de conduite sous l’emprise d’alcool et l’introduction d’une peine de confiscation obligatoire du véhicule en cas de conduite sans permis ou de récidive soit de grands excès de vitesse, soit de conduite sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants.
Comme vous l’avez rappelé, c’est un enjeu essentiel. Des milliers de vies ont été sauvées grâce à la détermination des gouvernements précédents en la matière. Les dispositions que nous adopterons marqueront, j’en suis certaine, un palier supplémentaire pour descendre en dessous du seuil encore trop élevé des 3 000 victimes annuelles.
La question de la lutte contre la délinquance des mineurs fait trop souvent débat. Devons-nous faire évoluer l’âge de la responsabilité pénale ? Les parents sont-ils responsables de l’ensemble des actes de leurs enfants, en toutes circonstances ? Notre arsenal législatif comporte déjà un certain nombre de mesures protectrices, préventives et répressives.
Et pourtant, monsieur le ministre, la violence à l’école est un fléau. Or, souvent, elle est le fait non pas des élèves eux-mêmes, mais de délinquants qui réussissent à s’introduire frauduleusement dans les établissements. C’est pourquoi nous avons déjà, avec la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, dite « loi anti-bandes », créé et prévu de réprimer de nouveaux délits, afin de punir ceux qui ont décidé de perturber la vie des établissements et de semer le trouble et le désordre dans nos collèges ou nos lycées.
Vous travaillez activement avec le M. le ministre de l'éducation nationale à la mise en œuvre des dispositifs que vous avez créés et qui permettent d’agir à deux niveaux.
Premier niveau, il faut dissuader des personnes extérieures de rentrer dans les établissements, par exemple avec la vidéoprotection. Je souhaiterais vous soumettre une idée. Pourquoi ne pas prévoir l’obligation d’installer des systèmes de vidéoprotection dans les établissements scolaires du second degré ayant une très grosse capacité d’accueil ?
En effet, 92 % des diagnostics de sécurité que vous avez demandés dans les collèges et les lycées ont été réalisés et vous avez très rapidement souhaité installer un policier référent dans cinquante-trois établissements très sensibles.
Ces actions déterminées montrent qu’éducation et sécurité ne sont pas incompatibles.
Second niveau, et il était nécessaire d’agir en ce sens, vous instituez des mesures pour prévenir les tensions dans les établissements et, quand elles apparaissent, pour donner les moyens au corps enseignant de faire face, grâce aux équipes mobiles de sécurité.
Après de trop nombreuses années au cours desquelles nous avons laissé l’autorité au sein des établissements se dégrader – à cet égard, la gauche a une grande part de responsabilité –, nous disposons aujourd’hui de bons moyens pour agir.
Le renforcement des mesures de responsabilisation des parents contribuera aussi à faire prendre conscience de la nécessité d’agir encore plus fort, qu’il s’agisse du couvre-feu des mineurs, du contrat de responsabilité parentale et, bientôt, de la lutte contre l’absentéisme scolaire, absentéisme qui peut être l’antichambre de la délinquance quand il devient habituel.
Au regard de tous ces éléments, il est important que l’ensemble de l’entourage de l’enfant soit concerné par les actes de celui-ci au sein de l’école, qui ne doit pas fermer sa porte à la famille.
Je souhaiterais, enfin, aborder un sujet qui nous est cher, à nous, élus maires : celui de la police municipale. Véritable « troisième force » de police dans notre pays, elle est le maillon fort, de proximité, entre les élus et nos concitoyens.
Nous nous réjouissons que ce texte prévoie de renforcer les pouvoirs de la police municipale et que le Gouvernement recherche en permanence à mieux répondre aux besoins de sécurité des différents territoires.
Notre devoir à tous est donc de renforcer la lutte contre la criminalité, en rendant nos méthodes plus efficientes.
Mes collègues du groupe UMP qui prendront la parole après moi développeront d’autres points sur lesquels je ne m’attarderai donc pas.
Il n’y a pas de grande ou de petite délinquance. C’est pourquoi je tiens à redire en cet instant tout notre soutien à la politique menée par le Gouvernement pour faire face avec fermeté, et en dehors de toute polémique, à une réalité constante : le mépris pour les valeurs fondamentales de notre société. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Alex Türk applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur quelques travées du RDSE.)
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, qu’il me soit permis, en guise d’introduction, de vous rappeler cette phrase de Portalis, qui veille sur nos travaux : « Quand la raison n’a point de frein, l’erreur n’a point de bornes ». (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, nous subissons une avalanche déraisonnable de textes dits « sécuritaires ».
Le 27 janvier 2010, devant l’Assemblée nationale, vous déclariez : « Aux critiques, que j’entends ici ou là, sur le nombre de lois promulguées ces dernières années, je répondrai qu’il y aura autant de lois que de problèmes à régler ». Vu la multiplicité des problèmes auxquels est de plus en plus confronté notre pays, nous aurons beau siéger jour et nuit, cela ne sera pas suffisant, d’autant que les textes issus de nos travaux sont non appliqués – voyez les décrets d’application de la LOPSI 1 –, parfois contradictoires, voire redondants.
Oui, trop de lois tue la loi, surtout quand la recherche du choc médiatique prend le pas sur le fond.
Je vous ai entendu tout à l’heure prononcer les mots « guerre » et « bataille », utiliser le verbe « cingler », et d’autres encore. Or la sécurité et la justice sont des thèmes qui nécessitent la recherche de l’équilibre, de la sérénité, oserai-je dire de la « force tranquille »,…
M. Jean-Pierre Bel. Oui !
M. Jacques Mézard. … parce que la protection des personnes et la protection des biens sont indissociables de l’exercice de la liberté vécue, hélas ! différemment suivant que l’on est plus ou moins faible. C’est que les premières victimes de l’insécurité sont souvent les plus faibles, les plus démunis. La vie est plus dangereuse dans les quartiers dits « sensibles » que dans les beaux quartiers. Aussi, nous tenons la sécurité pour ce qu’elle est : une priorité. Aucune justice ne saurait exister valablement là où la sécurité fait défaut.
Ce que nous reprochons à votre politique et à vos nombreux textes, c’est de faire du thème de la sécurité non un moyen de rapprocher les citoyens, de faciliter l’émergence d’un consensus au sens noble du terme, mais un instrument de rupture et de division.
L’opposition serait un parterre « d’angélistes » inconscients ou peu soucieux des difficultés et des craintes de nos concitoyens lesquels, grâce à vous, échapperaient aux conséquences désastreuses de notre incorrigible laxisme !
M. Jacques Mézard. Non, monsieur le ministre, c’est faux, et c’est dangereux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Cette vision est volontairement caricaturale et ne sert que des fins strictement électorales.
Dans cet hémicycle, sur toutes les travées, siègent des élus investis de lourdes responsabilités locales, proches de leurs concitoyens et tous conscients qu’il n’est point de liberté sans règle, et que la rigueur de la loi est souvent indispensable quand elle s’applique de la même manière pour tous.
Selon les statistiques que vous nous présentez, la délinquance est en forte baisse depuis 2002. Pourtant, jamais le discours sécuritaire ne fut plus prégnant qu’aujourd’hui : cherchez l’erreur !
M. Jean-Luc Fichet. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Jamais l’utilisation de faits divers inacceptables ne fut plus évidente. Les personnes âgées ont souvent peur, c’est vrai. Eh bien, vous ne les rassurez pas : vous les apeurez sur tout le territoire ! La télévision à elle seule suffit à convaincre un habitant de la Lozère que les Roms sont à sa porte, que l’immigration va submerger Mende, Guéret ou Aurillac. Un habitant de la Creuse peut être convaincu du bien-fondé du couvre-feu pour les mineurs…
Nous considérons que ce n’est pas raisonnable.
Certes, pour en revenir aux événements de l’été, de très nombreux élus locaux sont excédés par les comportements d’une partie des gens du voyage. Mais, par le caractère excessif de la campagne actuelle, vous allez compliquer encore davantage la tâche des élus locaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Or, en même temps, on constate un malaise de plus en plus inquiétant tant dans la police que dans la gendarmerie ou dans la magistrature, cette malaimée, ainsi qu’une méfiance néfaste entre ces différents corps.
Monsieur le ministre, ce que nous voulons est clair : appliquer la loi avant de la changer sans arrêt ! À titre d’exemple, concernant les gens du voyage, qu’attendez-vous pour appliquer la loi Besson ? Qu’attend l’État pour réaliser les travaux de construction d’aires d’accueil aux frais des collectivités récalcitrantes, y compris à Paris ?
M. Charles Gautier. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Qu’en est-il des pénalités pour non-réalisation de logements sociaux ?
Mme Gisèle Printz. À Neuilly !
M. Jacques Mézard. En matière pénale, est-il raisonnable dans chaque texte d’augmenter le quantum de la sanction encourue alors que le parquet, donc le Gouvernement, est juge de l’opportunité des poursuites et que les procédures de rappel à la loi, voire de médiation pénale, sont multipliées pour cause d’engorgement des tribunaux, et ce souvent dans le domaine délictuel ?
Multiplier les condamnations à des peines de prison ferme pour ensuite accélérer les sorties de prison pour cause de surpopulation n’est pas une « performance » en termes de sécurité intérieure !
La délinquance ne se combat efficacement que par une conjugaison de dispositions équilibrées incluant des mesures d’urbanisme sur la mixité sociale, des mesures sociales et économiques pour les jeunes, mais aussi par la fermeté, dont il faut savoir faire preuve lorsque c’est nécessaire.
En fait, ce projet de loi se caractérise par un assortiment de dispositions hétéroclites. Certaines d’entre elles vont dans le sens d’une nécessaire adaptation à l’évolution des nouvelles technologies et de la délinquance.
Monsieur le ministre, je ne pense pas, et je n’ai jamais pensé, que vous vouliez personnellement attenter aux libertés individuelles. Mais il est dans ce texte des dispositions dangereuses, car elles sont souvent introduites pour répondre à des cas particuliers ou à des contextes territoriaux spécifiques. Je pense à l’effacement des fichiers informatiques, à l’allongement de la durée des interceptions téléphoniques, ainsi qu’à la généralisation de la visioconférence en matière de procédure pénale, phénomène grave.
En tout état de cause, ce texte n’est pas équilibré : ici, on ne protège pas le citoyen, on le surveille, on s’en méfie !
Cette frénésie législative sécuritaire ne résoudra pas les problèmes de sécurité. Cessez de justifier l’insuffisance de résultats en matière de sécurité par l’inadéquation des textes législatifs, alors que la vraie question est celle des moyens que l’on met à la disposition de ceux qui sont chargés d’appliquer les innombrables textes déjà en vigueur !
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, ce que nous voulons, c’est d’abord l’application des lois existantes, réellement, efficacement. Comme le disait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » ! (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi, pour l’amélioration de la sécurité intérieure, devrait être l’occasion d’élargir le débat, à la fois en amont et en aval : en amont, en analysant les causes qui conduisent à l’accroissement annuel du nombre de délinquants, qui sont de plus en plus jeunes ; en aval, en améliorant les relations de la police avec les habitants et en mettant en place les moyens pour appliquer réellement les sanctions prononcées par la justice, y compris les sanctions de substitution, pour que les délinquants reviennent dans le circuit du travail.
Je ne vous proposerai pas d’amendements, mais je souhaite que cette vision élargie de la sécurité soit prise en compte pour résoudre réellement les problèmes de sécurité.
La raison principale de la délinquance est l’inactivité des jeunes qui quittent le collège à seize ans sans y avoir rien appris, ne sachant souvent ni lire ni écrire, sans aucune compétence ni formation professionnelle !
À seize ans, ils sont sortis du système scolaire et personne ne s’occupe plus d’eux.
M. Daniel Raoul. Vive l’apprentissage !
M. Serge Dassault. Ils traînent dans la rue, ne font rien et ne sont obligés à rien. Mais ils sont malheureusement rapidement pris en main par des bandes, se mettent à vendre de la drogue, à voler ou à brûler des voitures et à agresser les policiers.
Forts de l’impunité qui les protège jusqu’à dix-huit ans, ils n’ont aucun complexe. Nous en avons des exemples tous les jours ! C’est pourquoi ramener la majorité pénale à seize ans me semble indispensable.
Cette situation des jeunes sans formation est due essentiellement aux inconvénients du collège unique, qui oblige tous les jeunes à suivre la même formation, alors qu’un certain nombre d’entre eux n’en ont ni le goût ni la capacité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Comme il n’y a plus ni contrôles ni sanctions, ils passent automatiquement en classe supérieure, sans avoir rien appris.
Résultat ? Ils sortent du collège à seize ans, sans aucune compétence professionnelle, après avoir perdu leur temps et fait perdre le leur aux autres ! Ils deviennent les acteurs de l’insécurité que votre projet de loi doit réduire, monsieur le ministre.
Or, si ces jeunes travaillaient ou étudiaient, ils ne traîneraient pas dans les rues et la sécurité régnerait. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Et il faudrait reculer l’âge de départ à la retraite ?