Mme la présidente. La parole est à M. Adrien Gouteyron. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Adrien Gouteyron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de la navette parlementaire sur ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, j’apporterai la contribution du groupe UMP à ce débat.
Je tiens tout d’abord à souligner, comme vous l’avez fait vous-même, monsieur le ministre, l’excellent travail qui a été réalisé par les deux assemblées. Je me réjouis d’ailleurs de constater que celles-ci ont adopté des positions souvent concordantes, l’Assemblée nationale venant alors renforcer et clarifier les apports effectués par le Sénat.
Je ne peux manquer de rappeler en cet instant, non sans une certaine solennité, le contexte dans lequel s’inscrit ce projet de loi. À la suite de mon collègue et ami Jean Boyer, je veux dire combien je suis moi aussi frappé par l’ampleur des difficultés rencontrées par nos agriculteurs, notamment dans un département comme le mien, la Haute-Loire. Tout à l’heure, j’ai porté à votre connaissance ce courrier officiel. (M. Adrien Gouteyron brandit ledit document.) Je n’en ferai pas état plus longuement, rappelant simplement qu’il a été adressé à l'ensemble des maires pour les appeler à une grande vigilance sur la situation parfois dramatique de certains agriculteurs. L’initiative m’a paru suffisamment sérieuse pour que je la mentionne à cette tribune.
Sans vouloir dramatiser, je constate que le contexte actuel est grave et que nombreuses sont les sources d’inquiétude : diminution du nombre des exploitations, craintes relatives à la collecte laitière dans certaines zones, extrême volatilité des prix. Je n’oublie pas, bien entendu, la baisse extrêmement forte des revenus, qui atteint environ 50 % dans le secteur laitier. On ne peut pas ne pas être terriblement soucieux, et c’est la raison pour laquelle un texte comme celui-ci est particulièrement important.
Je voudrais maintenant évoquer l’Europe.
À cet égard, monsieur le ministre, je tiens à saluer les immenses efforts que vous avez déployés. Je dois vous le dire, j’étais de ceux qui, au début, regardaient votre action avec un certain scepticisme et se disaient : « Il ne va pas y arriver ! »
M. Charles Revet, rapporteur. C’était mal le connaître !
M. Adrien Gouteyron. Sans doute, monsieur le rapporteur, car, si, il y est arrivé !
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Dominique Braye. Il l’a fait !
M. Adrien Gouteyron. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, les positions françaises sont devenues les positions centrales, servant de point d’équilibre pour les différents pays européens. C’est l’expression que vous avez utilisée : je la trouve juste et particulièrement parlante pour donner la mesure du chemin que vous avez su parcourir. Il faut vous en féliciter.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Adrien Gouteyron. Ce débat nous en donne l’occasion.
Pour en revenir au projet de loi, l’orientation prise en faveur d’une politique de l’alimentation a été largement saluée. Jusqu’à présent, notre arsenal législatif était vierge de toute disposition sur le lien entre l’alimentation et l’agriculture, ainsi que sur le développement des circuits courts. Je reprendrai volontiers à mon compte les propos de Jean Boyer à ce sujet. Voilà un manque qui vient d’être comblé, et c’est l’un des points essentiels du texte.
Par ailleurs, le Sénat a souhaité fixer dans la loi le principe d’un étiquetage obligatoire de l’origine des produits agricoles et alimentaires, bruts ou transformés, appuyant ainsi la position de la France dans les négociations menées actuellement au niveau européen pour modifier le règlement sur l’étiquetage des denrées alimentaires.
Pour donner plus de visibilité et de lisibilité aux agriculteurs, notamment sur leurs revenus, nous avons soutenu la contractualisation, autre point évidemment essentiel. Le texte issu des travaux de nos deux assemblées renforce le poids des producteurs face aux acheteurs, dans la mise en place obligatoire de contrats entre producteurs et premiers acheteurs, qu’ils soient industriels ou distributeurs. C’est une disposition fondamentale.
Nous avons également voulu remédier aux dérives auxquelles peuvent conduire certaines pratiques commerciales de la distribution dans le secteur des produits frais et des fruits et légumes. Ainsi avons-nous décidé que la pratique des remises, rabais et ristournes serait désormais totalement proscrite, et ce de manière permanente.
S’agissant de la transparence des marges, nous avons, là aussi, choisi de donner davantage de pouvoirs à l’Observatoire des prix et des marges et de renforcer l’Observatoire des distorsions de concurrence.
Nous avons, en outre, accru le rôle des interprofessions, notamment en matière de connaissance des marchés et d’enregistrement des contrats.
Nous avons, bien sûr, approuvé les mesures visant à préserver les terres agricoles et décidé de taxer la spéculation en la matière au profit de l’installation des jeunes agriculteurs. C’était une initiative du Sénat, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Nous avons donné notre accord sur la généralisation de l’assurance contre les aléas climatiques, et je sais, monsieur le président de la commission de l’économie, l’importance que vous attachez à cette question. La voie choisie pour ce faire a été l’incitation, et non l’obligation. Félicitons-nous d’ailleurs de l’avancée permise par le Sénat, qui a acté l’engagement du Gouvernement à présenter les conditions et modalités d’un mécanisme de réassurance publique. Voilà en effet plus de dix ans que l’on essaie de mettre en place un tel système !
La Haute Assemblée s’est également penchée sur le développement de l’aquaculture et sur la modernisation de la gouvernance des pêches françaises. Monsieur le rapporteur, cher Charles Revet, je veux, à ce moment de mon propos, souligner tout ce que vous avez apporté au texte et saluer votre très grande compétence, qui n’a d’égale que votre conviction !
Je n’oublierai évidemment pas de rendre hommage, à mon tour, à Gérard César, « rapporteur principal », si j’ose dire, de ce projet de loi. Tout le monde a reconnu sa compétence, doublée d’une grande gentillesse. Et c’est pour moi une vraie qualité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Rendons à César ce qui est à César ! (Sourires.)
M. Adrien Gouteyron. D’autant qu’il a fait la preuve de toute sa détermination, au service de notre agriculture.
Monsieur le ministre, je ne saurais terminer sans vous remercier, sans souligner votre dévouement, votre compétence, ainsi que votre détermination. Décidément, vous ne lâchez jamais prise !
J’exprimerai un seul petit regret, qui ne vous étonnera d’ailleurs pas : celui de n’avoir pas vu aboutir le compte épargne-investissement pour la forêt.
La commission de l’économie, notamment par la voix de son rapporteur et de son président, avait souhaité envoyer un signal fort en direction de nos sylviculteurs. Le rapporteur de l’Assemblée nationale s’est battu, à nos côtés, et nous avons fait route ensemble. Malgré tout, le Gouvernement a dit non à notre proposition.
Vous-même, tout à l’heure, n’avez pas caché la difficulté du sujet. Vous vous étiez engagé devant notre assemblée à entamer une réflexion sur les moyens de renforcer les investissements dans le secteur, après avoir reconnu qu’il s’agissait, à l’évidence, d’un facteur indispensable pour la valorisation de nos forêts.
Nous attendons, bien sûr, des progrès sur ce point. La porte, semble-t-il, n’est pas fermée, mais, pour l’heure, nous sommes obligés de constater cette lacune du projet de loi.
Même si ce texte n’a pas la prétention de régler tous les problèmes qui se posent aujourd’hui aux agriculteurs, il offre néanmoins des outils nouveaux et concrets, propres à leur permettre de relever les défis de la volatilité des marchés, de la compétitivité et d’une agriculture que nous voulons durable et porteuse de projets d’avenir.
C’est la raison pour laquelle, avec l’ensemble des membres du groupe UMP, je voterai, bien entendu, ce projet de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviendrai sur ce que j’ai dit au début de mon propos. Il ne faut pas considérer ce projet de loi uniquement sous l’angle économique. Nous devons aussi tenir compte des aspects humains, car l’agriculture constitue en quelque sorte le socle sur lequel s’appuie notre pays, en tout cas beaucoup de nos départements. Et cela, nous ne pouvons pas l’oublier.
Comme l’a très bien fait tout à l’heure mon ami Jean Boyer, je veux dire que nous devons être très attentifs à la situation de nos agriculteurs. Nombre d’entre eux sont dans le malheur, confrontés à de très grandes difficultés. Qu’ils sachent qu’ici, en ce moment, nous pensons à eux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen de ce qui devait être une grande loi,…
M. Bruno Sido. C’en est une !
M. Jacques Muller. … celle de la modernisation de l’agriculture française et de la pêche.
Prenons le temps de resituer cette « modernisation » dans son contexte : en cette fin de la première décennie du xxie siècle, nous sommes à la veille d’une profonde révision de la politique agricole commune.
Aujourd’hui, plus d’un milliard de personnes souffrent de sous-nutrition ou de famine, tandis que l’Union européenne, notamment la France, essaie de caser ses excédents céréaliers sur les marchés mondiaux, participant ainsi, avec les autres grandes puissances agricoles, à une guerre commerciale sans merci dont les effets directs sont la volatilité extrême des prix agricoles, la ruine des agricultures vivrières des pays les plus pauvres et la faim !
Parallèlement, notre agriculture industrielle cherche une échappatoire, qui consiste à transformer les céréales et oléagineux en agro-carburants.
MM. Dominique Braye et Bruno Sido. En biocarburants !
M. Jacques Muller. Alimenter les moteurs des voitures plutôt que nourrir les hommes ?... Je n’en dirai pas plus !
Dans le même temps, cette agriculture continue d’importer toujours plus de protéines animales pour nourrir nos élevages industriels, ce qui incite certains pays pauvres à préférer produire pour le marché mondial plutôt que de développer une agriculture vivrière pourtant seule à même de nourrir les populations autochtones.
L’agriculture industrielle n’a cessé de substituer le capital au travail. Elle le fait d’autant plus que l’agriculture est le seul secteur de l’économie dans lequel les pouvoirs publics subventionnent le capital productif, hectares ou têtes de bétail, au détriment du travail humain. Nos campagnes se sont progressivement vidées, ce qui affaiblit le rôle de l’agriculture dans l’aménagement durable des territoires.
Mais le plus grave n’est pas le plus visible. L’agriculture dominante est devenue dramatiquement dépendante des énergies fossiles, de surcroît importées : gazole, pétrole pour fabriquer les engrais de synthèse ou pour produire les pesticides et herbicides, dont la consommation s’est accrue parallèlement à l’artificialisation du milieu provoquée par la suppression des rotations et l’emploi de variétés privilégiant systématiquement le rendement par rapport à la résistance aux maladies.
Cette agriculture productiviste n’a cessé d’impacter l’environnement – abeilles, rivières et nappes phréatiques, qualité des sols, de l’air et des paysages de France – et, selon les cas, les produits alimentaires.
Oui, il était grand temps que l’on « modernise » cette agriculture-là ! Mais surtout pas pour continuer sur la lancée actuelle : produire toujours plus, en essayant désormais de faire un peu attention à l’environnement ; produire toujours moins cher, pour « améliorer la compétitivité du système agroalimentaire français », selon vos propres termes, monsieur le ministre, ce qui signifie implicitement produire avec toujours moins de paysans.
Cette politique agricole productiviste nous a conduits dans l’impasse : elle a, en quelque sorte, trop bien réussi au regard des objectifs qui lui avaient été fixés dans les années soixante et qui sont évidemment aujourd’hui obsolètes !
Ainsi, les crises récentes, notamment dans les céréales et le lait, ne sont pas conjoncturelles. Elles traduisent une situation grave, une crise structurelle jamais vue depuis la mise en place de la politique agricole commune.
C’est pourquoi nous avions un vrai défi à relever : développer une agriculture moderne, c’est-à-dire capable de répondre prioritairement aux besoins alimentaires français et européens.
M. Charles Revet, rapporteur. C’est bien ce qu’on fait !
M. Jacques Muller. C’est le principe de souveraineté alimentaire, qui est strictement à l’opposé d’une agriculture toujours plus extravertie et, par conséquent, toujours plus exposée aux aléas des marchés européen et mondial.
Une agriculture authentiquement moderne est fondée sur des exploitations agricoles plus économes et autonomes en intrants, qu’il s’agisse de carburant, d’engrais, de pesticides et d’alimentation animale : c’est le concept, effectivement très moderne, d’« agriculture intégrée » : hélas, un tabou pour la Haute Assemblée !
C’est une agriculture qui se diversifie en profondeur, notamment avec la prise en compte de nouveaux systèmes de production agricoles émergents, capables de fournir à une clientèle de proximité des aliments transformés de qualité, élaborés à partir des produits de la ferme.
C’est une agriculture qui produit concomitamment des services à la collectivité en termes d’entretien du milieu, de paysages, de protection des ressources en eau… Ce sont autant d’externalités positives qui doivent être enfin rémunérées correctement.
Chacun aura compris que nous devons inventer une agriculture soutenable : plus autonome, plus riche en emplois, plus centrée sur les marchés de proximité, choisissant – guidée par la sagesse paysanne ! – de valoriser son milieu plutôt que de se contenter de l’exploiter et contribuant ainsi à l’aménagement durable du territoire.
Sur ces enjeux stratégiques, la présente loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche botte purement et simplement en touche !
Elle ignore la souveraineté alimentaire : c’est un tabou de plus pour la majorité présidentielle ! Celle-ci l’a d’ailleurs balayée par le recours légal, mais antidémocratique, au scrutin public !
Le texte ignore tout autant l’autonomie des exploitations agricoles : ce défi concernerait-il de trop près les lobbys de l’agrochimie, promoteurs du leurre que constitue l’« agriculture raisonnée » ?
Il ne prend pas en compte de nouvelles formes d’installation, qui répondraient aux besoins d’une agriculture de proximité, mais qui sont toujours exclues du statut actuel d’exploitant agricole.
Enfin, il n’apporte aucune réponse aux problèmes, pourtant récurrents, de couverture sociale : les injustices au niveau des cotisants solidaires, des retraites et du statut du conjoint perdurent malheureusement.
En revanche, vous semblez fier, monsieur le ministre, d’avoir pu faire valider par le Parlement une « modernisation » qui, pourtant, n’engage en rien la nécessaire mutation de l’agriculture productiviste telle que je l’ai décrite tout à l’heure, mais qui anticipe, pis : entérine l’abandon d’une certaine idée de la politique agricole commune.
La généralisation des contrats, le renforcement de l’interprofession ne sont évidemment pas critiquables en soi, bien au contraire. Mais ils ne peuvent en aucun cas se substituer à l’abandon programmé d’une « ardente obligation », celle de réguler efficacement les marchés agricoles. Nous attendions de la France une autre posture que cette capitulation devant la dérive néolibérale de la politique agricole européenne.
En témoigne l’instauration, pour les producteurs qui en auront les moyens – actuellement subventionnée, mais pour combien de temps encore ? –, de la très anglo-saxonne assurance contre la chute des revenus liée à l’effondrement des prix agricoles.
À ce sujet, je serais curieux, monsieur le ministre, de connaître votre avis sur l’introduction des marchés à terme pour s’accommoder des fluctuations des prix avec, pour corollaire, la certitude de les voir fluctuer encore plus, à l’instar de ce que l’on observe sur les marchés financiers.
Pour conclure, je me dois, hélas ! de dénoncer deux nouvelles trahisons du Grenelle de l’environnement, qui feront plaisir aux lobbys de l’agrochimie et de la frange la plus productiviste de la profession agricole.
La première concerne les préparations naturelles peu préoccupantes, PNPP, dont le célèbre purin d’orties. L’Assemblée nationale avait introduit une excellente disposition visant à publier une liste de PNPP réputées autorisées, à l’instar de ce qui est pratiqué par la plupart des pays de l’Union européenne : leur promotion se trouvait ainsi facilitée dans le strict respect des directives européennes.
La suppression de cette liste par la CMP revient à leur imposer la même procédure d’homologation, financièrement rédhibitoire et techniquement inapplicable que celle qui est prévue pour les pesticides de synthèse. Au-delà des aspects environnementaux et de santé publique, qui doivent nous conduire à diminuer l’usage des pesticides, la compétitivité des produits « bio » français sera pénalisée, alors que notre pays en importe de plus en plus ! Car il faut aussi parler de compétitivité pour les produits « bio ».
La seconde trahison du Grenelle que je veux dénoncer, c’est l’introduction par l’Assemblée nationale d’une disposition – hélas ! validée par la CMP – permettant de simplifier les procédures, notamment d’exonérer d’enquête publique et d’études d’impact l’extension des élevages. Toujours au nom de la compétitivité, elle permettra de faciliter la concentration des élevages industriels porcins. Une telle disposition est franchement ahurissante eu égard à l’exigence de protection et de restauration de la qualité de nos rivières et eaux souterraines et à la prolifération des fameuses algues vertes sur certaines de nos côtes !
Au final, cette loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, telle qu’elle est issue de la CMP, me paraît globalement hors sujet. De plus, elle cautionne implicitement l’abandon d’une PAC digne de ce nom et aggrave, s’il en était encore besoin, le sabordage du Grenelle de l’environnement. C’est tout simplement désespérant !
Votre courtoisie, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, n’y changera rien. Nous ne pouvons cautionner les conclusions de la CMP. Par conséquent, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet, rapporteur. C’est dommage ! Il y a de bonnes choses dans ce texte !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, je voudrais d’abord vous dire combien je regrette de ne pas avoir pu assister davantage aux travaux de notre assemblée sur ce texte. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à la qualité des réflexions qui ont été menées.
M. Charles Revet, rapporteur. Nous y sommes sensibles !
Mme Anne-Marie Escoffier. Le président Yvon Collin a exprimé tout à l’heure la position de la grande majorité du RDSE sur ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Je fais miens, bien sûr, ses propos, mais je souhaite y ajouter quelques observations. En effet, j’ai siégé à la CMP quelques jours seulement après la visite du Président de la République en Aveyron. Il s’est rendu en particulier sur l’Aubrac, où il a pu goûter – je le dis même en l’absence de M. Jacques Blanc – la meilleure viande qui soit. (M. Jacques Gautier applaudit.)
M. Roland du Luart. Une des meilleures ! (Sourires.)
Mme Anne-Marie Escoffier. Ma première observation concerne les interprofessions. La contractualisation a le mérite de la transparence, mais pour que le rapport « gagnant-gagnant » s’établisse, elle doit se dérouler dans le cadre d’une négociation loyale et équilibrée, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui ! Il est vrai que, à la différence d’autres secteurs de notre économie, le secteur agricole est peu organisé, insuffisamment organisé.
Les filières doivent aujourd’hui prendre leurs responsabilités, prendre leur destin en main. Le Sénat a modifié le dispositif présenté par le Gouvernement en y introduisant un principe de subsidiarité : il appartient, d’abord, à tous les acteurs d’un secteur de s’asseoir autour d’une même table pour élaborer des contrats types ; l’intervention de l’État n’est prévue qu’en cas d’échec ou d’abstention.
Nous sommes favorables à cette disposition qui place les interprofessions plus directement sur des enjeux économiques, et non pas seulement techniques.
Néanmoins, il y a, à notre sens, deux conditions préalables qui ne sont pas réunies : la fixation de règles du jeu collectives, comme des modalités d’établissement des prix qui garantissent un niveau de prix au moins égal au coût de production et, surtout, la représentativité des interprofessions.
Celles-ci doivent s’ouvrir plus largement aux organisations dites « minoritaires », afin que la responsabilité des décisions qui y sont prises soit plus largement partagée. Certaines interprofessions persistent à refuser la diversité et à se crisper sur une défense – intenable – du monopole syndical. C’est aussi le cas dans d’autres instances de concertation et de décision, comme, parfois, au sein des SAFER.
Alors que nous vous avons entendu dire que vous étiez favorable à une représentation pluraliste, monsieur le ministre, comment comprendre le refus de tous les amendements, notamment ceux du RDSE, en faveur de ce qui paraît être un minimum dans une démocratie sociale ? La représentativité des syndicats, c’était d’ailleurs le fondement de votre texte relatif à la démocratie sociale dans les petites entreprises. Mais il est vrai que vous n’avez pas été suivi !
Ma seconde observation concerne l’installation.
En effet, à quoi servira-t-il de préserver le potentiel foncier s’il n’y a plus de capital humain ? Or les départs à la retraite sont nombreux et les jeunes prêts à prendre la relève, de plus en plus rares. Comment les en blâmer ? Pourquoi seraient-ils tentés par un labeur de tous les jours très faiblement rémunéré, puisque beaucoup d’agriculteurs sont aujourd’hui dans ce cas ? Ils en ont d’autant moins envie qu’ils doivent, pour bénéficier de l’assurance maladie, payer une cotisation minimale qui n’existe pas dans d’autres secteurs ? Quant à leur retraite, ils savent qu’elle sera maigre !
Alors que le projet de loi initial ne prévoyait aucune mesure favorisant l’installation des jeunes, le Sénat a introduit quelques dispositions en ce sens ; malheureusement, déjà insuffisantes, elles ont été encore réduites…
Je regrette par ailleurs que n’aient pas été adoptés les amendements visant à étendre le champ d’application du contrôle des structures pour favoriser les installations et à modifier le critère d’affiliation au régime de protection sociale des non-salariés des professions agricoles, qui ne permet pas les installations progressives avec une acquisition sur plusieurs mois. C’est une occasion manquée.
Je ne peux également que déplorer, monsieur le ministre, le silence assourdissant qui a entouré un sujet pourtant au cœur des préoccupations dans mon département : je veux parler des CUMA, les coopératives d’utilisation du matériel agricole.
Enfin, je regrette que la question des retraites n’ait pas été abordée dans ce texte ou qu’elle ne l’ait été que très peu. Trop d’agriculteurs perçoivent encore aujourd’hui une retraite de l’ordre de 500 euros, alors que le minimum vieillesse s’élève à plus de 700 euros et devrait augmenter. Notre groupe avait déposé plusieurs amendements pour permettre à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui travaillent dur de quitter le métier dans des conditions dignes.
Il faudrait, monsieur le ministre, trouver des solutions concrètes pour remédier à cette situation. Sinon, comment arriverons-nous à susciter des vocations ?
« Les paysans sont sans cesse au travail et c’est un mot qu’ils n’utilisent jamais », disait Tchekhov. C’est sans doute parce que ce sont des hommes et des femmes passionnés et combatifs. Ils méritent donc une attention particulière.
Ils ont fait part de leurs préoccupations, le 1er juillet, devant le Président de la République et, s’ils ont bien entendu les assurances de soutien du Gouvernement, ils n’en sont pas moins inquiets, en particulier du fait du recours systématique à l’article 40 pour venir au secours de votre administration, monsieur le ministre, ce qui ne manquera pas de limiter les effets d’une loi dans laquelle, à titre personnel, je trouve bien des éléments positifs, bien des innovations.
À ce dernier égard, je veux, monsieur le ministre, rendre hommage à votre clairvoyance, ainsi d’ailleurs qu’à votre courtoisie sans faille. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le ministre, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche par notre assemblée, nous vous avons dit qu’il s’agissait selon nous d’une loi de circonstance destinée à apporter une réponse ponctuelle à la crise agricole, et non de l’aboutissement d’une réflexion de fond sur un grand sujet, qui concerne tous nos territoires et mériterait un grand projet.
Bien entendu, l’urgence de la situation implique que les agriculteurs aient le sentiment d’être écoutés et compris. Mais, au-delà de l’immédiat, ils attendent aussi que leur soient indiquées clairement quelles seront les perspectives et les conditions dans lesquelles ils exerceront leur métier demain.
À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous nous avez dit les différences, et peut-être même les divergences d’approche sur ce sujet à l’échelon européen. Il serait illusoire, c’est vrai, de songer que nous pourrions nous abstraire du contexte communautaire parce qu’il s’agit de notre marché et aussi parce qu’il s’agit du cadre qui définit les règles de fonctionnement des marchés agricoles.
C’est une raison supplémentaire d’affirmer les principes qui doivent gouverner l’agriculture, en particulier l’équité de traitement des producteurs en Europe, la régulation des productions et la garantie d’un revenu décent. La défense de ces principes doit conduire l’action de la France en Europe et de l’Europe elle-même.
Or, en dépit d’une crise qui dure, qui s’éternise, nous n’avons le sentiment ni de voir les choses avancer ni d’assister à une prise de conscience suivie de décisions.
L’Europe, qui s’est ralliée au dogme libéral, paraît avoir rompu avec une politique agricole qui a été un des moteurs de sa construction. Sar doute faut-il chercher là les causes de la crise en même temps que les motivations de ce projet de loi.
Un des principaux fils conducteurs de ce dernier, monsieur le ministre, est la compétitivité. Plusieurs des mesures phares qu’il contient en témoignent.
Oui, notre agriculture doit pouvoir se comparer, en termes de compétitivité, à celles des autres pays de l’Union, mais cela ne doit pas s’inscrire dans une course sans fin, dans une concurrence effrénée qui serait l’alpha et l’oméga des politiques agricoles nationales et communautaires. À ce compte, de même que sur le marché mondial, on peut toujours trouver un producteur sur lequel s’aligner au plus bas, on trouvera toujours des productions européennes moins chères que celles des voisins.
Cette mise en concurrence, nous en connaissons les effets : diminution constante du nombre des agriculteurs avec, en corollaire, une concentration toujours plus importante des productions ; des agriculteurs devenus les variables d’ajustement des politiques économiques et d’équilibre des marchés. C’est le modèle que nous refusons !
Il ne s’agit pas pour autant de tout remettre en cause dans ce projet de loi que vous avez porté et défendu devant nous mais d’en dire les limites.
Ainsi, la contractualisation permet, dans son principe, de clarifier les relations entre producteurs et industriels ou transformateurs, et, à ce titre, elle se justifie pleinement.
Convenez cependant, monsieur le ministre, que la contractualisation existe déjà, et depuis longtemps dans certaines productions. Convenez également qu’elle n’a ni apporté de solutions à tous les problèmes ni complètement sécurisé les producteurs.
Or on ne peut que constater que la contractualisation, telle qu’elle découlera de cette LMAP, comportera des lacunes.
Si les contrats ne prennent pas en compte les coûts de production, qui empêchera un acheteur de garantir une meilleure rémunération à un producteur lui assurant la livraison d’un gros volume qu’à un petit producteur économiquement moins intéressant ?
S’agissant des interprofessions et des groupements de producteurs, nous avons bien saisi que ce ne seront pas les lieux de la prise en compte du pluralisme syndical, un pluralisme qui n’est pas vraiment la caractéristique des instances de l’agriculture française…
Certes, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué votre souci de recevoir et d’écouter les représentants des diverses sensibilités, ce dont on peut vous donner acte, mais vous ne pouvez ignorer l’excessive concentration des pouvoirs et des représentations au sein des instances institutionnelles et économiques de la profession, non plus que les passerelles entre elles.
À la faveur de la crise, les agriculteurs se sont exprimés pour voir cesser cette curieuse singularité. Nos propositions sur ce point ont été vite écartées, et le texte ne permet finalement aucune avancée à cet égard. C’est regrettable et, selon nous, c’est une faute.
L’Observatoire des marges et des prix, s’il est pertinent dans son principe, va jouer un rôle limité. Pourtant, nous savons bien que la question est sensible : il est manifestement nécessaire d’établir un moyen de connaître la répartition des marges au sein de chaque filière.
L’an dernier, à pareille époque, nous étions au cœur des manifestations, tendues et même parfois violentes, des producteurs de lait : ils étaient bien placés pour savoir qu’ils ne gagnaient plus leur vie. Mais les autres segments de la filière, à les entendre, ne se considéraient guère responsables de cette situation. Dans le même temps, le consommateur ne constatait pas de baisse des prix dans le commerce. D’où l’intérêt de l’institution de cet Observatoire des marges et des prix.
Néanmoins, nous restons, là encore, au milieu du gué, car il aurait fallu que soit prévue une procédure d’intervention accompagnée de mesures plus contraignantes. À défaut, demeurera la situation que nous connaissons d’un rapport de force absolument déséquilibré, défavorable à la production agricole, exacerbé par l’asymétrie des forces en présence, avec de cinq à sept centrales d’achat face à de nombreux producteurs et transformateurs.
Faute de se voir doté de moyens d’intervention, l’Observatoire ne sera qu’une sorte d’objet décoratif sans véritable utilité : autrement dit, un gadget !
Je persiste à déplorer le peu de place consacré à l’installation des jeunes agriculteurs. Une politique agricole ambitieuse devrait, sinon commencer par là – encore que… –, du moins affirmer qu’il s’agit d’une priorité vitale.
Les moyens réglementaires auraient pu être réactivés, en particulier à travers le rôle redéfini et affirmé des CDOA, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture.
Laisser libre cours à l’initiative privée pour réguler le marché foncier agricole va à l’encontre de tout ce qui a été fait depuis plusieurs décennies et qui, certes avec des limites, a permis l’installation de nombreux jeunes, installation qu’une vraie politique de l’agriculture devrait afficher clairement comme primordiale.
Je voudrais également, monsieur le ministre, vous faire part des réactions provoquées par l’amendement présenté par un député breton et adopté par l’Assemblée nationale, quand bien même les dispositions qu’il a introduites ont été réécrites depuis.
Comme vous le savez, cet amendement avait pour effet de relever les seuils d’agrandissement des exploitations soumises à autorisation en tant qu’installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, au prétexte de délais administratifs trop longs dans le traitement des dossiers. Si l’observation selon laquelle les délais sont excessifs est fondée, la réponse est à côté du sujet : dans cette situation, la disposition la plus cohérente et la plus efficace qui puisse être prise passe, évidemment, par le renforcement des moyens humains réservés à l’instruction administrative. (Mme Odette Herviaux manifeste son approbation.)
Les réactions, qui n’ont pas tardé, ont porté sur les conséquences environnementales des dispositions prises ; elles ont été à ce point nombreuses et fortes que je n’y insisterai pas. Ce qui a été peu relevé en revanche, c’est la possibilité qui était ainsi ouverte à une nouvelle concentration des élevages, c’est-à-dire à une agriculture s’éloignant chaque jour davantage du modèle des exploitations à dimension économique humaine. Cela entérine le choix d’un modèle productiviste et destructeur d’exploitations agricoles.
Monsieur le ministre, quel rôle voulons-nous voir jouer à l’agriculture européenne comme à notre agriculture ?
S’agit-il, pour l’agriculture, d’assurer seulement un volume de production ou, au contraire, de permettre un développement homogène et harmonieux de nos territoires, avec des producteurs reconnus dans leurs fonctions professionnelles, sociales et sociétales ?
C’est donc bien un choix de modèle qui est en question, et nous n’avons pas la conviction que le présent projet de loi répond aux préoccupations, aux attentes, aux espoirs de la profession et de la société.
Monsieur le ministre, nous ne pouvons que le déplorer et regretter qu’en dépit de votre réelle du dossier de l’agriculture nous ayons abouti à si peu. Vous aurez compris qu’à l’heure du vote le scepticisme et l’insatisfaction l’emportent toujours dans les rangs du groupe socialiste, malgré le travail accompli par la commission et par les rapporteurs, malgré la qualité du débat et votre implication dans celui-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)