PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 5 (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap
Discussion générale

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Dossier législatif : proposition de loi sur le recours collectif
Discussion générale (suite)

Recours collectif

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi sur le recours collectif
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi sur le recours collectif, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues (proposition n° 277, rapport n° 532).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.

Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui traite d’un sujet bien identifié : elle vise à introduire dans notre droit un mécanisme de recours collectif, afin de répondre aux préjudices de masse dont on compte de nombreuses victimes. Or ces victimes ne peuvent actuellement recourir à un dispositif efficace pour faire valoir leur droit à réparation.

La médiation – je sais que vous y êtes attaché, monsieur le secrétaire d’État, car j’ai lu le compte rendu des assises de la consommation qui se sont tenues à l’automne dernier – a une utilité certaine pour résoudre de petits litiges, mais elle suppose une démarche volontaire, acceptée par les deux parties et l’exécution de l’accord qui pourrait intervenir entre les parties est laissée à la liberté de chacune d’elles.

L’action en représentation conjointe, introduite en 1992 dans notre droit, s’est révélée lourde et compliquée ; elle a finalement été très peu utilisée.

Or la consommation de masse, les nouvelles techniques de communication, le développement du crédit, la complexité des contrats sont autant d’éléments qui modifient en profondeur l’exécution de ces contrats au détriment du consommateur.

Mais ces litiges ne se limitent au périmètre de la consommation : c’est ainsi que l’on a vu, dans la période récente, des actionnaires lésés, notamment dans l’affaire Vivendi, contraints d’aller plaider aux États-Unis, pays qui dispose depuis longtemps d’une procédure dont le nom est souvent repris en France en version originale, à tort du reste, je veux parler des class actions.

J’ai remarqué que ce terme était très souvent utilisé par ceux-là mêmes qui sont les plus hostiles à l’introduction d’une procédure collective en droit français. Ils motivent leur hostilité en s’appuyant sur des cas extrêmes et de pratiques mercantiles que le modèle procédural français, dans lequel notre proposition de loi s’inscrit, tient à distance, comme l’ont très bien démontré nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung dans le rapport d’information qu’ils ont remis au nom du groupe de travail de la commission des lois sur l’action de groupe.

Au demeurant, d’autres pays de l’Union européenne ont développé ce droit de recours collectif : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède, plus récemment la Pologne et, bientôt peut-être, la Hongrie les rejoindra-t-elle. La Commission européenne, nous le savons tous, travaille sur cette question. Faudra-t-il donc attendre, monsieur le secrétaire d’État, qu’elle présente un projet de directive ou de règlement, aboutissant à l’un de ces compromis politiques dont les institutions européennes ont le secret et qui pourrait se révéler défavorable à notre tradition ?

Nous ne voulons pas nous voir imposer un modèle qui ne serait pas le nôtre. Au contraire, nous voulons que notre pays développe son propre dispositif et, surtout, nous voulons rendre effectif le droit à réparation, répondant en cela, me semble-t-il, à notre volonté commune.

Ce matin, votre collègue secrétaire d’État à la justice, M. Jean-Marie Bockel, s’est déclaré favorable à l’introduction de ce nouveau droit, mais a demandé que l’on n’agisse pas avec précipitation ! (M. Pierre Fauchon s’esclaffe.) Permettez-moi de remarquer que le débat, en France, est lancé depuis plus de vingt ans… Je ne vois donc pas en quoi on pourrait parler de précipitation.

M. Richard Yung. Très bien !

Mme Nicole Bricq. Je citerai une seule référence : en 1983, la commission sur le règlement des litiges de la consommation rendait un rapport détaillé visant à instaurer une action de groupe dans le droit de la consommation. Le projet fut repris, en 1985, dans les propositions élaborées par la commission de refonte du droit de la consommation, présidée par M. Calais-Auloy, mais ces travaux ont immédiatement suscité l’ire du CNPF, ancêtre du MEDEF, qui publia un contre-rapport. Depuis, aucune des velléités législatives n’a abouti.

Seule Mme Véronique Neiertz, secrétaire d’État à la consommation dans le gouvernement de Mme Cresson, a pu inscrire dans notre droit l’action en représentation conjointe ; dans leur rapport d’information, nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung, auquel je me référerai souvent, ont en quelque sorte décortiqué les raisons de l’échec de cette nouvelle procédure, comme nous l’avions fait nous-mêmes en déposant cette proposition de loi en 2006 ; nous avons dû la redéposer parce qu’elle était devenue caduque.

Nous voulons donc reprendre le flambeau tenu par Mme Neiertz – je l’ai personnellement bien connue, puisque j’ai siégé à ses côtés à l’Assemblée nationale –, afin de remédier à l’inertie des gouvernements qui se sont succédé depuis 2005, date à laquelle M. Jacques Chirac, alors Président de la République, avait annoncé cette réforme lors de la présentation de ses vœux.

Il nous paraît donc urgent de modifier notre droit car, faute de possibilité d’agir efficacement, les frustrations se développent, et nous savons que la multiplication des litiges est un reflet assez pertinent de l’état d’une société. Cette carence engendre des comportements de défiance vis-à-vis de l’action publique envisagée globalement, qui sapent toute notre organisation institutionnelle et minent la démocratie.

En cas de condamnation de pratiques anticoncurrentielles, est-il normal que les victimes ne soient pas indemnisées ? Non ! Tel a pourtant été le cas à la suite de la décision du 14 octobre 2004 du Conseil de la concurrence, devenu depuis Autorité de la concurrence, à l’encontre des sociétés opératrices de téléphonie mobile. Tel a encore été le cas avec la décision du 20 décembre 2007, dans laquelle le Conseil de la concurrence reconnaît que les principales victimes de l’entente sur le prix de vente entre fabricants de jouets et distributeurs sont les consommateurs. Du reste, cette dernière affaire est pendante devant la Cour de cassation.

Cette carence est d’autant plus grave que l’on voit se multiplier les plaintes des victimes au pénal, procédure peu onéreuse, mais qui intervient toujours dans un cadre individuel. Je citerai deux cas d’actualité à l’appui de mon propos.

Ainsi, les fondateurs de l’Association française d’épargne et de retraite, l’AFER, ont été condamnés pour abus de confiance, mais la question de l’indemnisation des épargnants lésés est pendante. L’association qui les représente ne peut agir en justice, faute de reconnaissance du droit à réparation collective ; elle tiendra son assemblée générale le 29 juin et cherche à regrouper les victimes.

Le second cas, très douloureux, m’a été signalé par notre collègue Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône : il s’agit de femmes victimes d’implants mammaires défectueux fabriqués par une société établie dans les Bouches-du-Rhône, qui se regroupent dans une association désignée par le sigle PPP, afin d’envisager comment elles pourront obtenir réparation. Le nombre des victimes potentielles de ces prothèses défaillantes s’élèverait à 30 000, rien qu’en France. Or la société susceptible d’être condamnée exporte dans le monde entier : les Françaises ne représenteraient potentiellement que 13 % du total des victimes dans le monde !

L’une d’elles, particulièrement atteinte, qui a appelé sur Internet au regroupement de toutes les victimes potentielles, a reçu à ce jour 1 440 réponses ; par ailleurs, 517 plaintes ont été déposées auprès du procureur de la République de Marseille. Le dossier est au parquet et nous attendons avec intérêt la suite de la procédure. Il est toutefois évident que, faute d’une possibilité de recours collectif, même si la société devait être condamnée, toutes les victimes n’obtiendront pas réparation dans le cadre de ces procédures.

Il nous faut donc introduire dans notre procédure civile une action qui permette de mutualiser les moyens tout en étant d’un coût abordable, quand les actions individuelles sont, elles, trop onéreuses. Tel est donc l’objet de notre proposition de loi que je vais très rapidement vous présenter.

Je m’y suis reprise à deux fois pour lire le rapport de M. Béteille, parce que l’une de ses affirmations m’a étonnée. J’avais lu très attentivement le rapport d’information déjà mentionné qu’il avait rédigé avec notre collègue Richard Yung, membre du groupe socialiste. Je me suis d’ailleurs rendue à la conférence de presse organisée pour la présentation de ce rapport et j’ai pris connaissance des articles qui lui ont été consacrés – je tiens d’ailleurs à remercier nos collègues de ce travail, car il fait avancer le débat, et il en a bien besoin !

Reste que, monsieur le rapporteur, dans l’une des têtes de chapitre de votre rapport législatif, vous estimez que notre proposition de loi est « éloignée des recommandations du groupe de travail sur l’action de groupe ». On peut raconter ce que l’on veut, faire des chicanes et user de procédures, mais nous avons toujours affirmé, et par écrit et par oral, que notre proposition était amendable et que nous voulions surtout avancer.

Nous ne revendiquons aucun droit d’auteur ; le rapport d’information va dans le même sens que notre proposition de loi et il est d’autant plus utile qu’il éclaircit bien le sujet avec la précision coutumière à la commission des lois. Encore une fois, mes chers collègues, je vous en remercie très solennellement !

J’en arrive à la présentation des articles de notre proposition de loi.

L’article 1er instaure la procédure de recours collectif, menée en représentation par une association agréée. Vous nous reprochez ce point, monsieur le rapporteur, mais nous avons choisi cette formule pour tenter de canaliser la procédure. Peut-être n’est-ce pas la bonne entrée ! Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien compris que vous étiez favorable à cette modalité, mais vous posez tellement de conditions que la procédure ne fonctionnera pas, à court terme.

Vous posez notamment une condition très délicate, car vous exigez une restructuration préalable du milieu associatif, supposant une diminution du nombre d’associations, qui sont dix-huit à l’heure actuelle. Je me doute bien qu’une telle opération, menée avec toutes les précautions nécessaires, ne se fera pas en six mois. Ces délais font que l’action de groupe ne sera pas applicable, à court et même à moyen terme.

Sur cette question de la représentation, je suis ouverte à toutes les propositions. Du reste, les avocats que nous avons rencontrés à l’occasion de l’élaboration de notre proposition de loi se sont préoccupés du sujet : pourquoi avoir recours à un filtre dans ces actions de groupe et pourquoi ne pas simplement s’adresser à eux ? À l’époque, nous n’avons pas souhaité retenir cette dernière solution.

L’article 2 tend à autoriser la sollicitation publique des mandats.

L’article 3 traite du champ d’application du recours collectif.

Monsieur le rapporteur, vous reprochez également à ces mesures d’être trop vagues et trop larges. Mais les propositions formulées dans le rapport d’information que vous avez élaboré avec mon collègue Richard Yung nous conviennent parfaitement !

Vous prévoyez d’ouvrir l’action de groupe au droit de la consommation, au droit de la concurrence, au droit financier et au droit boursier. Cette précision est plus qu’utile, elle est nécessaire ! Comme nous l’avons toujours dit, nous sommes favorables à ce périmètre.

Évidemment, le sujet est sensible, car tout le monde s’inquiète que le dispositif aboutisse à des pratiques foisonnantes et incontrôlées. Je précise que, dans notre proposition de loi, nous avions pris la précaution de renvoyer la fixation précise de ce champ d’application par secteur à un décret en conseil des ministres. Sur un sujet comme celui-ci, on ne peut effectivement pas avancer à la légère et une véritable concertation est nécessaire.

L’article 5 instaure une procédure déclinée en deux temps : le juge vérifie d’abord la réalité du préjudice de masse, puis il évalue ce préjudice.

Le rapport d’information évoque également une procédure en deux temps qui, même si elle est plus détaillée que la nôtre, n’en est pas pour autant « éloignée », monsieur le rapporteur. Si la rédaction diffère, l’esprit est bien le même ! Étant précisé que le groupe socialiste ne bénéficie pas du recours aux talentueux administrateurs de la commission des lois – c’est d’ailleurs parfaitement normal –, je reconnais donc toute l’utilité du travail effectué par celle-ci.

L’article 6 autorise les associations agréées à recourir au démarchage et l’article 7 prévoit la mise en œuvre du mécanisme selon lequel l’action en réparation n’est ouverte qu’aux victimes ayant expressément manifesté le souhait d’être parties à l’instance. Cette procédure dite de l’opt in, en bon français (Sourires), s’oppose aux pratiques d’opt out qui prévalent en droit américain.

Mes chers collègues, vous pouvez constater que nous sommes vraiment raisonnables : nous préférons un pas, même modeste, vers un nouveau droit plutôt que le statu quo.

Je crois que nous partageons ce sens de la mesure avec MM. Laurent Béteille et Richard Yung. Notre proposition de loi est examinée après la remise de leur rapport d’information et, pour nous, il ne fait pas de doute que leurs recommandations sont proches des nôtres.

Notre conclusion est donc logiquement que la possibilité de l’ouverture de ce droit au recours collectif est arrivée à maturité.

Je sais bien, monsieur le secrétaire d’État, que la politique et la logique ne cheminent pas toujours de conserve. Mais il me semble – je m’adresse ici à mes collègues de la majorité – que cette maturité autorise une initiative parlementaire, en l’occurrence propice à une avancée du droit.

Certes, le Gouvernement ne semble pas très favorable à cette orientation. Mme Christine Lagarde s’y est récemment déclarée opposée, mais, s’agissant d’un écho paru dans la presse, je ne prête pas une attention démesurée à ces propos.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. C’est sage !

Mme Nicole Bricq. Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État, que je remercie d’être présent au banc du Gouvernement, vous affichez une position favorable. Il en va de même de M. Jean-Marie Bockel, qui estime néanmoins qu’il ne faut pas se presser…

S’agissant de l’hostilité des organisations patronales – c’est tout de même le nœud gordien dans l’affaire –, elle devrait s’atténuer avec les conclusions du rapport qui a été remis à la Direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne en 2008 et dont le rapport d’information de nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung fait état.

Cette étude de droit comparé, menée dans treize pays de l’Union européenne, avait pour objet de vérifier si l’introduction du droit au recours collectif comportait un risque pour les entreprises, notamment d’atteinte à leur compétitivité. Elle aboutit à la conclusion que ce risque est très mince.

On peut donc s’autoriser à penser que le débat est venu à maturité et que le Sénat peut choisir d’aller de l’avant.

Ayant lu le rapport de M. Laurent Béteille, j’ai bien compris que la majorité ne veut pas le faire aujourd’hui. C’est regrettable ! Mais je veux croire qu’à l’occasion de l’examen d’une future proposition de loi, déposée cette fois-ci par un groupe majoritaire, nous pourrons faire en sorte de débattre conjointement de ce texte et de celui que nous défendons aujourd’hui. Nous avons toujours indiqué, et je le répète solennellement, que notre proposition de loi était amendable.

Ainsi, notre travail conjoint pourrait être confié, sans trop de risque, à la navette parlementaire et le Sénat – je pense que c’est à lui de le faire – porterait à son actif cette véritable conquête démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en présentant la proposition de loi du groupe socialiste sur le recours collectif, notre collègue Nicole Bricq vient d’exposer les raisons pour lesquelles il était désormais nécessaire d’introduire une procédure d’action de groupe dans notre droit.

Il faut saluer la constance de notre collègue dans ce domaine, ainsi que celle de son groupe, puisqu’une première proposition de loi, presque identique à celle que nous examinons aujourd’hui, avait déjà été déposée au début de l’année 2006.

L’objectif est ici d’apporter une réponse effective aux petits litiges répétitifs de consommation qui demeurent sans réparation, car les montants en jeu, trop faibles, n’incitent pas à engager une action individuelle devant les tribunaux.

Qui, en effet, n’a pas été confronté, dans sa vie quotidienne, à un petit litige de quelques euros avec un professionnel, après des relances infructueuses de son service consommateurs ? Pour autant, pourquoi engager une procédure longue et coûteuse devant les tribunaux pour seulement quelques euros ou quelques dizaines d’euros ?

J’ai la conviction que l’action de groupe, en mutualisant les frais de procédure, apporte une vraie réponse à ce problème. Non seulement elle permet la réparation de préjudices avérés, mais elle incite également, par son existence, à l’abandon des comportements à l’origine de tels préjudices.

Il n’est pas de bonne justice que des préjudices, même de faible montant, ne puissent trouver réparation.

Une telle situation atténue de façon injustifiée la responsabilité des professionnels fautifs, impose des coûts indus aux consommateurs et, plus profondément, porte atteinte à la confiance dans les relations commerciales, qui est le principe même d’une économie de marché fonctionnant correctement.

Notre regretté collègue Alain Peyrefitte n’écrivait-il pas, dans son essai intitulé La Société de confiance, que « le ressort du développement réside en définitive dans la confiance accordée à l’initiative personnelle, à la liberté exploratrice et inventive – à une liberté qui connaît ses contreparties, ses devoirs, ses limites, bref sa responsabilité, c’est-à-dire sa capacité à répondre d’elle-même » ?

À sa mesure, l’action de groupe peut contribuer à restaurer la confiance dans notre système économique et dans nos entreprises, souvent sujets de défiance aujourd’hui, en redonnant sa place au principe de responsabilité.

L’inscription de cette proposition de loi offre ainsi au Sénat l’occasion d’un débat en séance publique sur l’action de groupe, alors que le groupe de travail créé sur ce sujet en octobre 2009 par la commission des lois, dont nous étions, avec Richard Yung, les corapporteurs, a rendu ses conclusions le 26 mai dernier.

À cet égard, je tiens à souligner la convergence qui se dégage désormais sur la question de l’action de groupe. Chacun s’accorde en effet à reconnaître que son introduction dans notre droit est nécessaire, en vue de parachever la protection des consommateurs. Je sais que Richard Yung partage ce constat.

Il faut également rappeler que, depuis quelques années, tout concourt à avancer sur cette question : les travaux d’expert, les rapports officiels, mais aussi les initiatives législatives de tous horizons dans les deux assemblées, sans oublier le texte présenté à la fin de l’année 2006 par le ministre de l’économie et des finances de l’époque, Thierry Breton. Pour sa part, la commission des lois du Sénat avait organisé, au début de l’année 2006, une journée d’auditions publiques sur le sujet.

Aujourd’hui, toutes les réflexions ont été menées, et largement menées, comme l’ont illustré les travaux de notre groupe de travail. Il est donc temps d’agir, me semble-t-il.

Je commencerai par rappeler brièvement les raisons qui doivent conduire à introduire dans notre droit une action de groupe. Je parle ici – c’est un point essentiel – d’une action de groupe qui serait authentiquement « à la française », c’est-à-dire respectueuse des principes procéduraux de notre droit civil et des règles déontologiques de la profession d’avocat, afin de se prémunir efficacement contre toute évolution à l’américaine. En effet, nous avons tous à l’esprit les dérives spectaculaires des class actions d’outre-Atlantique, qui sont le principal frein à l’introduction de l’action de groupe dans notre droit.

Nous avons constaté que les dispositions existantes dans le code de la consommation ne permettent pas de réparer les préjudices individuels des consommateurs de faible montant : les actions dans l’intérêt collectif des consommateurs n’ont pas vocation à réparer les préjudices individuels, tandis que l’action en représentation conjointe, que nous évoquions précédemment, est loin d’avoir rencontré le succès escompté. Cinq actions, seulement, ont été menées depuis sa création, en 1992, et aucune n’a abouti.

Ainsi, le débat sur l’action de groupe est arrivé aujourd’hui à maturité, avec l’appui, certes, des associations de consommateurs, mais également, comme Richard Yung et moi-même avons pu le constater au cours de nos auditions, des magistrats, avocats ou universitaires.

Le Gouvernement lui-même, monsieur le secrétaire d’État, ne m’apparaît pas fermé sur cette question, même s’il pose des préalables que l’on peut comprendre : développement de la médiation, réorganisation du mouvement consumériste, avancée des projets européens et sortie de la crise.

J’en veux pour preuve les déclarations que M. Luc Chatel, votre prédécesseur au portefeuille de la consommation, a faites à plusieurs reprises, y compris lors des débats parlementaires, ainsi que les propos que vous avez vous-même tenus à l’occasion des assises de la consommation, en octobre 2009. Nous pourrions ajouter à cette liste les toutes récentes déclarations de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.

Les craintes des représentants des entreprises, qui s’inquiètent des coûts supplémentaires que pourrait faire peser l’action de groupe sur la compétitivité des entreprises, fondées sur l’observation des dérives du système américain, doivent pouvoir être apaisées si l’on met en place, comme je l’ai indiqué, une procédure d’action de groupe « à la française », respectueuse des principes de notre droit et conçue précisément pour empêcher de telles dérives.

Il s’agit, avant toute autre préoccupation, de refuser le principe dit de l’opt out – principe dont la constitutionnalité est d’ailleurs plus que douteuse - selon lequel toute victime potentielle doit être intégrée au groupe en vue de son indemnisation, même à son insu.

Enfin, le contexte européen et international nous invite également à agir.

Plusieurs projets d’action collective sont en gestation au sein de la Commission européenne et, même s’ils évoluent actuellement lentement, notamment en raison du renouvellement récent de la Commission, qui semble vouloir joindre ces initiatives, la France aurait plus de poids dans les futures négociations européennes sur le sujet si elle se dotait de son propre dispositif.

Par ailleurs, il faut en être conscient, le risque de délocalisation des contentieux des affaires devient réel, ainsi que l’illustre, aux États-Unis, la class action lancée par des actionnaires de Vivendi, à laquelle des actionnaires français ont été admis à se joindre. Se doter d’une procédure nationale d’action de groupe réduirait, pour nos entreprises, le risque de subir des class actions devant des tribunaux étrangers, en particulier américains, très volontaires dans ce domaine.

Sur ces bases, quel dispositif le groupe de travail a-t-il envisagé ?

Avec Richard Yung, nous avons retenu différents principes.

Premièrement, nous proposons, dans un premier temps, d’ouvrir le champ de l’action de groupe tout en la limitant à certains types de dommages.

Le champ de la consommation constitue, par excellence, le domaine de l’action de groupe. Pourraient s’y ajouter le droit de la concurrence, pour les pratiques qui lèsent des consommateurs, ainsi que certaines infractions au droit financier et au droit boursier.

En dehors des nécessités de l’action de groupe, nous en appelons à l’application des principes généraux du droit de la responsabilité civile. Compte tenu de sa finalité, l’action de groupe viserait les seuls litiges contractuels imputables à un professionnel ayant causé un préjudice exclusivement matériel à une personne physique et relevant du juge judiciaire. Toutefois, pour des raisons d’équité et de commodité pratique, il n’apparaît pas pertinent de plafonner le montant des préjudices pouvant faire l’objet d’une action de groupe.

J’ajoute, au sujet du plafond, que la mutualisation des frais de justice qu’offre l’action de groupe est susceptible de profiter non seulement au consommateur mais aussi à l’entreprise, qui peut se défendre lors d’un seul et même procès, là où de nombreuses procédures auraient pu être engagées. C’est particulièrement vrai lorsque le litige répétitif porte sur des sommes excédant les quelques euros dont je parlais tout à l’heure.

Il faut savoir qu’aux Pays-Bas, ce sont les entreprises elles-mêmes, à travers le « MEDEF » néerlandais, si vous me permettez ce qualificatif, qui ont appelé à la création d’une action de groupe, pour éviter justement d’avoir à exposer les frais de multiples procès, un seul étant suffisant lorsque les préjudices sont les mêmes.

Deuxièmement, pour éviter la multiplication d’actions abusives et, au contraire, appuyer celles qui sont légitimes, les associations de consommateurs, aujourd’hui un acteur incontournable, doivent exercer un rôle de filtre des actions de groupe, en détenant le monopole de leur introduction devant quelques tribunaux de grande instance spécialement désignés pour traiter ces contentieux de masse.

Pour exercer cette compétence, les associations devraient justifier d’un agrément renforcé, de façon que les pouvoirs publics, et également les consommateurs, soient assurés de leur compétence et de leur représentativité. En cas de pluralité d’associations engagées sur une même action, l’une d’entre elles pourrait jouer le rôle de chef de file.

Troisièmement, il conviendrait d’instituer une procédure en deux phases : une déclaration de responsabilité suivie, après publicité et constitution du groupe, d’une décision sur l’indemnisation des victimes qui se seraient jointes à l’action.

La première phase consisterait, après vérification de la recevabilité de l’action permettant d’écarter les requêtes abusives, en un jugement sur le principe de la responsabilité de l’entreprise, sur la base de cas exemplaires présentés par l’association, sans nécessité bien sûr d’avoir recours au mandat de plusieurs consommateurs. Cette procédure serait donc simple et peu coûteuse pour l’association, qui ne serait plus confrontée à la gestion d’une masse de dossiers, comme c’est le cas dans l’action en représentation conjointe.

Ce jugement serait susceptible des voies normales de recours. Une fois passé en force de chose jugée, il ferait l’objet de mesures de publicité appropriées décidées par le juge, à la charge du professionnel reconnu responsable, afin de le faire connaître aux victimes potentielles et de constituer le groupe avec celles qui le souhaitent, sur la base d’une adhésion volontaire. C’est le système dit de « l’opt in ».

La seconde phase serait celle de l’indemnisation, soit dans le cadre d’une médiation entre l’association et le professionnel se concluant par une homologation par le juge, soit par la détermination par le juge du montant de l’indemnité revenant à chaque consommateur, soit enfin par la définition par le juge d’un schéma d’indemnisation à appliquer à chaque cas individuel. La réparation pourrait être effectuée en nature, si toutefois l’objet du litige s’y prête.

Quatrièmement, il faudrait s’appuyer sur les dispositifs existants pour limiter les coûts de la procédure et financer les actions de groupe.

Le dispositif conçu par le groupe de travail ne nécessite pas la mise en place de mécanismes supplémentaires de financement des associations, de type « fonds de soutien aux actions de groupe ». Il n’y aurait pas pour les associations de frais particuliers de gestion des dossiers, cette tâche revenant in fine aux greffes concernés, ni de frais de publicité. La réalité du travail fourni par l’association et son conseil serait prise en compte au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les deux phases de la procédure.

Le groupe de travail exclut toute modification des règles déontologiques s’appliquant aux avocats, de même que toute dérogation dans le cadre des actions de groupe, tant sur la rémunération, qui n’a pas à être proportionnelle au résultat obtenu, que sur le principe du démarchage, qu’il faut, me semble-t-il, éviter à tout prix.

Cinquièmement, il conviendrait également, dans les domaines où intervient une autorité de régulation, d’articuler la procédure d’action de groupe avec les décisions de cette autorité.

Dans le domaine de la concurrence comme dans le domaine boursier, le juge saisi d’une action de groupe doit tenir compte des prérogatives de l’Autorité de la concurrence ou de l’Autorité des marchés financiers. Dans ces conditions, soit l’autorité est reçue à l’action civile comme amicus curiae lorsqu’elle n’a pas elle-même été saisie des faits, soit le juge sursoit à statuer lorsque l’autorité est appelée à rendre une décision sur lesdits faits.

Pour illustrer cette configuration, je reprendrai l’exemple, qui a fait grand bruit à l’époque, de la condamnation, en 2005, des opérateurs de téléphonie mobile par l’Autorité de la concurrence à une amende collective de 534 millions d’euros pour pratiques anticoncurrentielles. Les consommateurs lésés n’ont pas été indemnisés individuellement, alors qu’il aurait été préférable selon moi d’infliger une amende moins sévère aux opérateurs et d’affecter le reste de la somme à l’indemnisation des clients, laquelle pouvait, dans le domaine de la téléphonie, se faire en nature, par exemple, sous la forme de minutes de communication offertes. (Mme Nicole Bricq acquiesce.)

Cet exemple plaide pour que l’action de groupe s’étende au domaine de la concurrence, mais en s’appuyant sur l’expertise de l’Autorité de la concurrence. Il en est de même pour l’Autorité des marchés financiers, à l’encontre de certains délits portant atteinte aux intérêts des investisseurs.

Au regard de ces recommandations, qui ont depuis été saluées pour leur justesse, comment apprécier la proposition défendue par notre collègue Nicole Bricq ?

Cette proposition de loi, rédigée bien avant l’achèvement des travaux du groupe de travail de la commission, ne pouvait, évidemment, en reprendre les recommandations.