compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
Mme Sylvie Desmarescaux,
M. François Fortassin.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et sera disponible au bureau de la distribution.
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Communication
M. le président. J’informe le Sénat que M. le président du Sénat prononcera un discours à l’occasion de la fin de la session le mercredi 30 juin, à seize heures quinze.
4
Fin de mission d'un sénateur
M. le président. Par lettre en date du 17 juin 2010, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 17 juin 2010, de la mission temporaire confiée à Mme Isabelle Debré, sénateur des Hauts-de-Seine, auprès de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.
Acte est donné de cette communication.
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Taxation de certaines transactions financières
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE (proposition de loi n° 285, rapport n° 535).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà plus de deux ans que notre pays, comme l’ensemble des membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, est confronté à une crise financière sans précédent, sans aucun doute la plus grave depuis celle de 1929. C’est tout le système financier, mais aussi économique, qui a été ébranlé et qui vacille encore. L’Europe fait partie des zones les plus touchées.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il est grand temps d’agir et de réglementer le système financier, voire – tout du moins pouvons-nous l’espérer ! – de moraliser le capitalisme. Il s’agit non plus seulement de mettre un terme à des dérives ou à des effets pervers, mais de repenser le système en profondeur pour introduire de la justice fiscale et de l’éthique là où rien, ou si peu, existe.
La crise est donc l’occasion, à ne pas manquer, de prendre la seule mesure qui s’impose : taxer davantage les banques et les transactions financières. Le monde de la finance internationale, s’il peut sembler virtuel, a en effet des effets dévastateurs sur celui de l’économie réelle. En matière de moralisation, tout reste à faire !
Faut-il le rappeler, à la mi-avril de cette année, Louis Bacon, un financier qui est à la tête de Moore Capital, confiait à ses clients que l’investissement le plus intéressant résidait dans « l’écroulement potentiel de l’union monétaire européenne ».
La loi d’airain d’un libre-échange incontrôlé et totalement déréglementé pourrait donc se résumer par la formule suivante : aux fonds de placement, les bénéfices, à la collectivité, les pertes. Et ces pertes sont vertigineuses, puisqu’elles pèsent de plus en plus lourdement sur des ménages appauvris et sur des États toujours plus endettés.
En raison du caractère mondial de la crise financière, les pays membres du G20 se sont réunis en 2009 à deux reprises pour tenter – vaste programme ! – de trouver des solutions équilibrées et consensuelles afin de moraliser le marché.
Une première fois à Londres, en avril 2009, pour dresser une liste des paradis fiscaux accompagnée de sanctions à l’encontre des places et institutions financières refusant de se conformer aux exigences de transparence. Ces mesures reposaient sur de bons sentiments. La lutte contre les paradis fiscaux devait devenir une priorité.
Une seconde fois, à Pittsburgh, en septembre 2009, il a été décidé de doter le monde d’une nouvelle instance de pilotage de l’économie mondiale. Le G20 fut alors désigné comme forum principal pour la coopération économique internationale et le principe d’une taxation spécifique sur certains types de transactions financières a été arrêté.
C’est donc cette idée de taxation des transactions financières, plusieurs fois évoquée depuis Londres et Pittsburgh, que les auteurs de la présente proposition de loi ont décidé de reprendre à leur compte pour lui donner, enfin, une traduction législative.
Cette idée n’est pas nouvelle, puisqu’elle fut avancée pour la première fois en 1972 par l’économiste américain et prix Nobel d’économie James Tobin qui suggérait une taxation de toutes les transactions de change pour décourager « les spéculations qui effectuent des allers et retours en quelques semaines », voire en quelques heures aujourd'hui ! Il s’agissait « de mettre un grain de sable dans ces mécanismes et ce grain de sable prendrait la forme d’une taxe de faible taux dont les recettes seraient distribuées vers les pays les plus pauvres ».
En conséquence, mes chers collègues, la proposition que j’ai l’honneur de présenter s’inscrit dans un contexte de crise financière globale et de recours à des solutions concrètes unanimement envisagées. Les mesures à prendre s’imposent, mais elles tardent malheureusement encore à voir le jour.
C’est pourquoi les membres du RDSE ont décidé, à l’unanimité, de prendre leurs responsabilités en déposant et en inscrivant ce texte à l’ordre du jour de notre Haute Assemblée. Ainsi, notre proposition de loi prévoit la création d’une taxe anti-spéculative due par les établissements bancaires sur leurs transactions sur devises, dont le taux serait infime, et donc indolore.
Mes chers collègues, les deux principes qui fondent notre proposition de loi sont, d’une part, la conviction – et la nôtre est grande ! – et, d’autre part, la responsabilité.
En effet, appliquer une taxe sur les transactions financières est désormais une question d’intérêt général économique. Une telle taxe permettrait de réduire le risque systémique beaucoup plus sûrement qu’une taxe sur les banques, qui présente certes un intérêt, mais qui ne permet pas de s’attaquer à la racine des phénomènes spéculatifs.
Par ailleurs, une taxe sur les banques ne présente pas que des avantages au regard de l’exigence de couverture contre les risques pris par les opérateurs et de l’internalisation des « déséconomies extrêmes », selon l’expression utilisée par les économistes.
Taxer les transactions financières permettrait de trouver les ressources nécessaires pour restaurer l’équilibre des finances publiques mis à mal par les abus spéculatifs du secteur financier privé, et ce à un moindre coût pour nos compatriotes et pour la croissance économique.
Selon les services du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, l’application en France de la taxe Tobin à un taux de 0,2 % rapporterait un peu moins de 11 milliards d’euros annuels. Le taux de la taxe que nous proposons pourrait, selon les cas, atteindre 0,5 %. Au moment où nos déficits publics atteignent la somme abyssale de 150 milliards d’euros, une telle taxe serait vraiment opportune !
Taxer les transactions financières permettrait également de rétablir l’équité, le sentiment de justice et la confiance de nos concitoyens dans la politique et dans la société dans laquelle ils vivent, cette confiance qui est une condition absolument nécessaire à la croissance économique.
Une telle mesure serait, quoi qu’on en dise, réaliste. Des pays incomparablement moins puissants que la France – je pense au Chili – ont su mettre des barrières à l’exubérance des marchés de capitaux à court terme. L’Allemagne a courageusement montré qu’il était possible à un pays seul d’interdire les opérations spéculatives que sont les ventes à découvert à nu.
Nous avons nous-mêmes adopté une taxe sur les billets d’avion, à l’instigation du président Jacques Chirac, alors que celle-ci, disaient certains, devait conduire les compagnies aériennes et nos plateformes aéroportuaires au désastre.
Dans son dispositif, notre proposition de loi fixe le taux commun de la taxe à 0,05 %. Pour les transactions effectuées avec certains États, deux taux dérogatoires sont prévus selon le degré de coopération fiscale et bancaire de ces derniers avec la France : un taux de 0,1 % pour les États issus de la « liste grise » des paradis fiscaux établie par l’OCDE et un taux maximum de 0,5 % pour les États issus de la « liste noire », laquelle a été récemment confirmée par les services du ministère de l’économie.
Le dispositif prévoit également que le taux applicable est modifié en loi de finances à chaque nouvelle publication par l’OCDE des listes de paradis fiscaux.
Outre l’avantage pour l’État de percevoir un gain annuel substantiel, ce dispositif permettra également de mieux appréhender l’impact de notre politique sur le comportement des acteurs financiers, les effets de l’évolution de nos accords bancaires et fiscaux avec les pays issus des deux listes et surtout les réactions mimétiques éventuelles de nos partenaires de l’Union européenne ou d’États membres du G20.
Dans le contexte actuel, la volonté politique existe pour qu’un effet positif de contagion ait lieu chez nos partenaires du G20, voire, comme je l’espère, au-delà. Ce ne serait pas une mauvaise chose que la France, et même le Sénat, en soit à l’origine. De ce point de vue, la taxation que nous proposons sur les transactions financières n’a pas grand-chose à voir avec la taxe sur les banques annoncée ces jours derniers, à la veille du G20 de Toronto, par la France, l’Angleterre et l’Allemagne, qui semble en être l’initiatrice.
Techniquement, l’assiette de cette taxe pose des problèmes que résout la taxe sur les transactions que nous proposons, par ailleurs moins coûteuse et plus ciblée, car elle permet en particulier de réduire les exigences de renforcement des fonds propres.
Le second dispositif de notre texte tient compte de la réalité économique de notre pays. Il prévoit que le produit de la taxe soit affecté à deux fronts : pour moitié, dans des activités non bancaires et non financières soutenant en priorité la création d’emplois, la recherche et l’innovation ; pour moitié, au Fonds de réserve pour les retraites.
Dans le premier cas, il s’agirait bien évidemment d’une affectation d’intérêt collectif dans le domaine de l’emploi, de la recherche et de l’innovation, à condition que les sommes affectées ne puissent pas profiter à des entreprises publiques ou privées dans lesquelles un établissement bancaire ou financier actionnaire dispose d’une minorité de blocage.
Dans le second cas, à l’heure où le pays tout entier se mobilise pour sauvegarder notre système de retraite par répartition, une affectation au Fonds de réserve pour les retraites permettrait d’assurer des actifs substantiels complémentaires. Rappelons que ce fonds a pour mission de gérer les sommes qui lui sont affectées en les mettant en réserve jusqu’en 2020, afin de contribuer à la pérennité des régimes obligatoires d’assurance vieillesse et du régime social des indépendants. C’est dire à quel point notre proposition de loi tombe à point nommé !
Selon les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites, les besoins annuels de financement du régime général des salariés du secteur privé vont s’accentuer, passant d’environ 13 milliards d’euros en 2020 à près de 39 milliards d’euros en 2040, avec l’hypothèse d’un chômage de 7 % à compter de 2015.
L’affectation des sommes prévues par notre proposition de loi permettrait de renflouer de façon pérenne les caisses du Fonds de réserve pour les retraites et de leur assurer un gain non négligeable.
Avant de conclure, je souhaite répondre par anticipation aux objections qui pourraient m’être opposées concernant la taxe que nous proposons sur les transactions financières. Je m’adresse plus particulièrement à M. le rapporteur, dont je ne partage – cela ne surprendra personne – ni les analyses ni les conclusions.
Première objection que l’on nous oppose : « Il faut réserver les mesures fiscales aux seules lois de finances ».
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Exactement !
M. Yvon Collin. Cet argument ne repose que sur un point de vue. C’est pourquoi il est choquant de lire dans le rapport que « la commission des finances du Sénat a décidé d’appliquer la règle selon laquelle les questions fiscales doivent être examinées en loi de finances. Par là, elle ne fait qu’anticiper les futures dispositions constitutionnelles qui réserveront la matière fiscale aux seules lois de finances ».
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est visionnaire !
M. Yvon Collin. Que je sache, il n’appartient pas à la commission des finances de s’arroger un pouvoir constituant.
Par ailleurs, je voudrais vous rendre attentifs non seulement aux grandes questions de principe, mais aussi aux problèmes pratiques, de bon sens, qu’impliquerait à l’avenir l’adoption d’un tel dispositif constitutionnel. À mes yeux, il serait de nature à limiter de façon insupportable les prérogatives des parlementaires.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Yvon Collin. La Constitution nous ôtant déjà la possibilité d’augmenter les charges publiques ou de réduire les recettes publiques, veut-on également restreindre nos marges de manœuvre sur les recettes quand il s’agit de les augmenter ?
Les lois de finances, dont l’initiative appartient au pouvoir exécutif, sont généralement rares, même si le gouvernement actuel fait exception en les multipliant.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il y en a une tous les mois maintenant !
M. Yvon Collin. C’est probablement le signe d’une faible capacité à anticiper et donc à gouverner.
Ainsi, en matière fiscale, l’initiative parlementaire serait suspendue à l’initiative du Gouvernement. Est-ce cohérent avec l’esprit de la révision constitutionnelle ?
Mme Françoise Laborde. Non !
M. Yvon Collin. En outre, il y a déjà beaucoup de choses dans les lois de finances. On a vu avec la réforme de la taxe professionnelle à quel point la discussion d’une réforme fiscale pouvait exercer un effet d’éviction sur tous les autres sujets. Est-ce ainsi que l’on restaure la fonction de contrôle du Parlement ?
Deuxième objection à laquelle il me faut répondre : « Cette taxe, c’est très bien, mais il faut attendre un accord international pour l’instituer ». Cette phrase, j’ai entendu tout le monde la prononcer en commission des finances.
Voilà bien l’argument de l’attentisme et, finalement, de l’immobilisme. À ce sujet, j’ai été particulièrement choqué de lire dans le rapport de la commission des finances que « la France ne saurait avoir raison toute seule ». Quelle résignation et quelle offense pour tous ceux qui croient encore en notre souveraineté nationale et en la dignité de la France !
Si l’on se fonde sur cet argument, on ne fera rien. Il faut alors dire à l’opinion publique qu’il existe des échanges financiers qui resteront à jamais exemptés de toute contribution au financement de biens publics.
Mme Françoise Laborde. C’est inacceptable !
M. Yvon Collin. Il faut dire aux Français, qui acquittent une TVA à 5,5 % lorsqu’ils achètent une baguette de pain, que l’arbitragiste qui spécule contre l’euro, faisant au passage augmenter le prix de leur baguette, sera à jamais débarrassé de l’épouvantable charge d’acquitter une taxe de 0,05 %.
Je voudrais à ce sujet rappeler les propos tenus par Jim Flaherty, ministre des finances canadien, à l’issue de la réunion des ministres des finances du G20 en Corée du Sud, le 5 juin dernier : « Il est évident que la plupart des membres du G20 n’appuient pas l’idée d’une taxation universelle ». Autrement dit, déclarer attendre un accord international au niveau du G20 pour agir, c’est annoncer qu’il n’y aura pas de taxation des banques, c’est se condamner à l’impuissance.
Or nous ne sommes pas impuissants, et nous ne devons pas accepter de l’être. Les Allemands se sentent-ils impuissants lorsqu’ils annoncent la création d’une taxe spécifique sur les banques ? Nous sommes-nous sentis impuissants quand, sur l’initiative de Jacques Chirac, nous avons voté la taxation des billets d’avion ?
Notre souveraineté fiscale est-elle à ce point anéantie ? Qu’y a-t-il fondamentalement à craindre à imposer une taxe, au demeurant modeste, sur des transactions dont l’utilité économique est nulle, mais dont les dégâts qu’elles peuvent causer sont potentiellement dévastateurs ?
N’avons-nous plus confiance en l’influence que peut exercer la France sur ses voisins, européens notamment, par l’exemple de l’action ?
Troisième argument que l’on nous oppose : « Cette taxe ne freinera pas la spéculation ».
Pour tous ceux qui, dans cet hémicycle, considèrent que la spéculation est plus un bien qu’un mal, voilà une bonne nouvelle ! Je me souviens d’ailleurs des discussions épiques entre le rapporteur général de la commission des finances et notre ancien collègue Jean-Luc Mélenchon.
Je ne peux pas dire de combien cette taxe freinera la spéculation, mais l’augmentation des coûts de transaction sur les opérations internationales à court terme me semble plutôt aller dans ce sens que dans le sens contraire. Au demeurant, je rappelle que plusieurs pays ont mis en place des barrières à l’entrée des flux spéculatifs avec un succès probant.
En admettant que le volume des opérations concernées par cette taxe reste inchangé, nous aurions malgré tout lieu de nous réjouir de récupérer les recettes publiques que cette taxe produira. Car c’est évidemment dans le contexte financier créé par la crise globale que nous traversons qu’il faut se situer pour affirmer à quel point il est erroné d’alarmer sur les conséquences économiques de la taxe sur les transactions financières.
Nous subissons une crise économique sans précédent avec des pertes de production considérables qui ont ruiné l’équilibre des finances publiques. Nous avons soutenu un secteur financier qui, aujourd’hui, entend faire payer le prix de ses excès aux contribuables une deuxième fois. Ainsi que le disent les économistes, nous sommes en plein aléa moral, les incendiaires faisant payer les pompiers.
Le Gouvernement a annoncé ce qu’il faut bien appeler une politique d’austérité. Cette politique excessive par les effets déflationnistes qu’elle risque fort de déclencher, nous devons tenter de la modifier.
Force est de constater que la proposition de loi du groupe du RDSE représente une aide pour le Gouvernement.
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
M. Yvon Collin. Elle permettrait de dégager des ressources publiques et, par là même, d’atténuer les sacrifices que vous entendez imposer aux Français, tout en ne pesant pas sur la croissance potentielle de notre pays.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Formidable !
M. Yvon Collin. Qu’avons-nous à redouter en faisant contribuer à l’équilibre de nos finances publiques un secteur particulièrement prédateur pour l’économie et dangereux pour sa stabilité ?
J’ai entendu dire que l’instauration de cette taxe, « ce serait se tirer une balle dans le pied … Plusieurs milliers d’emplois seraient menacés ». Est-il bien vrai que nos banques consacrent autant d’emplois à des opérations sans presque aucune utilité économique ?
J’aimerais avoir des précisions sur ce qui fonde cette perspective. Je voudrais surtout rappeler ici les centaines de milliers d’emplois détruits en France du fait des conditions de fonctionnement de notre si brillante ingénierie financière et de la merveilleuse efficience des marchés et les centaines de millions d’emplois détruits dans le monde.
Même si l’on nous oppose, une fois de plus, le risque de délocalisations de structures financières comme Euronext – qui, soit dit en passant, n’a jamais respecté son engagement de maintenir son activité en France, sa plateforme se situant depuis un peu plus d’un an à Londres –, ces arguments ne sont guère recevables et ces difficultés sont loin d’être insurmontables.
Mes chers collègues, il ne faut pas détruire le sentiment de justice de nos concitoyens en plus de réduire leur revenu. Le risque, ce serait la perte de confiance généralisée et, avec elle, la déflation économique, dont les coûts seraient incalculables, avec une crise sociale et politique majeure.
Il est donc devenu urgent d’introduire, via une taxe à faible taux, une petite viscosité dans les mouvements internationaux de capitaux afin de renforcer la responsabilité des acteurs financiers et la traçabilité des flux. L’objet de notre proposition de loi n’est pas d’effrayer l’organisation des marchés, ni de bouleverser leur efficacité, ni même d’en réduire la rentabilité, mais de mettre un frein aux pratiques spéculatives excessives et de les encadrer en allant dans le sens de la moralisation que, tous ici, nous appelons de nos vœux.
Je le répète, dans le contexte actuel de crise globale, c’est une question de conviction et de responsabilité. Pour les radicaux de gauche et l’ensemble des membres du RDSE, il y a urgence à agir. C’est notre devoir d’élus de la République ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de notre collègue Yvon Collin et des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, nous sommes réunis cet après-midi pour examiner une proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières.
Voilà un texte qui arrive à point nommé pour que le Sénat puisse débattre de questions au cœur de l’actualité et inscrites à l’agenda de la prochaine réunion du G20, qui se tiendra à Toronto ce week-end.
À cet égard, nous devons toujours garder à l’esprit le contexte international pour analyser le dispositif qui nous est proposé, à savoir rendre effective, en droit français, la taxe Tobin.
Les auteurs de la proposition de loi veulent instaurer « une taxation spécifique » sur les transactions financières « afin de ne plus inciter à la spéculation financière ». Pour ce faire, ils proposent une modification de l’article 235 ter ZD du code général des impôts qui institue une taxation sur les transactions sur devises, également appelée « taxe Tobin à la française ».
Je ferai un bref rappel historique. L’article 235 ter ZD a été adopté sur l’initiative de la commission des finances de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2002. Deux conditions avaient toutefois été introduites à l’époque avec pour effet de le rendre inapplicable dans l’immédiat et de lui conférer une portée essentiellement symbolique.
La première de ces conditions porte sur le taux. En l’état actuel, celui-ci ne doit pas excéder 0,1 % ; la loi renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer le taux définitif dans la limite de ce plafond. Le décret n’est jamais paru, car la seconde condition n’est pas remplie.
En effet, aux termes du IV de l’article 235 ter ZD, ces dispositions entreront en vigueur « à la date à laquelle les États membres de la Communauté européenne auront dû achever l’intégration dans leur droit interne […] d’une taxe sur les transactions sur devises […] ».
En un mot, la France appliquera la taxe pour autant que l’ensemble de nos partenaires l’appliquent, ce qui est encore loin d’être le cas aujourd’hui.
La proposition de loi lève ces deux conditions et rend donc effective, en droit français, la taxe Tobin. Elle fixe un taux, même plusieurs – j’y reviendrai –, et elle supprime la condition de réciprocité avec nos partenaires européens.
Je ne crois pas cependant que la proposition de loi puisse atteindre les objectifs qu’elle se fixe.
Selon ses promoteurs, la taxe Tobin permettrait de limiter la spéculation. Certes, la taxe aurait pour effet mécanique de renchérir les flux de capitaux à court terme. Si nous assimilons la spéculation à ces flux, alors, effectivement, la taxe Tobin tend à limiter la spéculation. Hélas, ce n’est probablement pas aussi évident. De nombreuses opérations de court terme peuvent être adossées à des opérations économiques réelles. Mais lesquelles ? À cette question, nous ne savons pas toujours répondre. Florence Parly, secrétaire d’État au budget en 2001, expliquait à ce sujet que « la différence observable entre une légitime couverture en devises sur une vente à terme et une obscure spéculation est infime ».
Dès lors, il ne me semble pas que la taxe Tobin puisse atteindre les objectifs qu’on lui prête. D’ailleurs, sa mise en œuvre se heurte à deux obstacles majeurs.
Le premier est qu’elle doit être internationale, faute de quoi les transactions se délocaliseront dans les pays qui ne l’appliquent pas.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Charles Guené, rapporteur. Pour cette simple raison, la proposition de loi n’est pas opérante et ne peut donc pas être adoptée. Elle serait même très dommageable à l’attractivité de la place de Paris : nous devons absolument éviter de nous tirer une « balle dans le pied », pour reprendre une expression déjà citée par M. Collin.
Le second obstacle à la taxe Tobin est plus technique et porte, notamment, sur la question de la définition de l’assiette.
Il est à craindre en effet que le développement incessant de l’ingénierie financière ne nuise à l’efficacité d’une telle taxe. On m’objectera que, pour autant, la France défend avec force le principe d’une taxe sur les transactions financières. Certes, mais il importe de lever quelques malentendus.
M. François Marc. Ah !
M. Charles Guené, rapporteur. Tout d’abord, la France défend la taxe sur les transactions financières sur le plan international.
D’une part, notre pays participe activement au groupe pilote sur les financements innovants pour le développement. Ce groupe, composé de cinquante-neuf États, d’organisations internationales et d’ONG, étudie notamment la création d’une taxe sur les transactions financières. Il s’attache à lever les obstacles techniques que j’ai évoqués plus haut.
D’autre part, la France et l’Allemagne ont convaincu leurs partenaires européens de défendre le principe d’une taxe sur les transactions financières dans le cadre du G20.
Pour la France, il est incontestable qu’une telle taxe doit être globale !
Ensuite, le projet français n’a pas pour objet de lutter contre la spéculation.
En décembre dernier, dans une tribune publiée dans Le Monde, Christine Lagarde et Bernard Kouchner expliquaient ainsi qu’il « ne s’agit pas de proposer la mise en place d’une taxe Tobin [...]. Non, il s’agit de financer le développement, sans perturber les transactions financières ».
La France propose un taux de 0,005 % – 5 centimes pour 1 000 euros de transactions –, soit dix fois moins que le taux de base retenu par la proposition de loi, qui est de 0,05 %.