Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le grand débat sur les nanotechnologies de la Commission nationale du débat public, la CNDP, a suscité des discussions houleuses.
La CNDP a été placée en difficulté, à cause, certes, de ceux qui ne voulaient pas débattre, mais surtout de ceux qui l’ont envoyée au contact de citoyens avertis du fait que 2 000 nanoparticules manufacturées étaient déjà commercialisées, non répertoriées publiquement, non signalées, mal évaluées et que leur mise sur le marché est allée bon train, sans contrôle, à partir de plateformes d’innovations inaugurées et financées par les autorités publiques, par centaines et centaines de millions d’euros !
J’espère que notre débat conduira les autorités sanitaires et le Parlement à reprendre la main.
En effet, nous reproduisons dramatiquement le schéma de l’amiante, la culture du secret en plus : mise sur le marché sans évaluation, surdité aux lanceurs d’alerte, évaluation dans les mains des producteurs.
Les professionnels pourraient être les premiers touchés, 7 000 personnels de laboratoires et 3 200 ouvriers de l’industrie travaillant au contact de ces particules.
Mais, au fond, pourquoi tant d’inquiétudes pour un pas de plus dans la miniaturisation, dont chacun apprécie au quotidien la légèreté ? Je pense par exemple aux batteries.
L’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, oscille entre le médicament qui atteint seulement sa cible et l’homme réparé. Le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, et le CEA, le Commissariat à l’énergie atomique, évoquent une « société économe en énergie et en ressources naturelles ».
Mais permettez-nous de ne dormir que d’un œil quand le même CEA retrouve 39 kilogrammes de plutonium, non nanométrique, donc bien plus lourd, là où il pensait n’en retrouver que 7 kilogrammes !
Je souhaite tout de même apporter une petite précision. Les nanoparticules ne sont pas dans l’infiniment petit. Un milliardième de mètre, c’est quand même un milliard de fois plus gros que l’espace occupé par notre familier électron !
Justement, le risque est que nous sommes à l’échelle atomique, dans des éléments chimiques dont nous connaissions les propriétés naturelles – je pense au carbone, au cuivre ou à l’argent –, mais qui changent totalement de propriétés après que leurs atomes ont été « rangés » artificiellement.
Dès lors, la fibre de carbone se plie mais résiste, au risque de perforer les cellules pulmonaires. L’or en bille devient très réactif, l’argent se met à tuer les bactéries, et on l’a donc mis dans les déodorants quarante-huit heures et dans les chaussettes, ce qui crée des risques de migrations dans les tissus des organes, d’inflammations et de cancérisation.
Madame la secrétaire d’État, on nous avait dit que, avec les nanomatériaux, les aveugles allaient voir et que les sourds allaient entendre, et on nous fait prendre des risques sanitaires et environnementaux, parce des firmes spéculent sur les individus qui ne veulent pas se laver tous les jours !
Nombre d’institutions font part de leurs doutes.
L’AFSSA invoque le cadre réglementaire actuel pour ne pas faire l’inventaire des produits alimentaires et de leurs additifs, ainsi que de leurs emballages.
L’AFSSET a demandé un premier retrait au nom du principe de précaution.
Le Parlement européen, lors du vote du 25 mars 2009, relève des « lacunes considérables dans la connaissance indispensable à l’évaluation des risques et des méthodes toxicologiques […] existantes, qui peuvent ne pas s’avérer suffisantes pour faire face à tous les problèmes en matière de nanoparticules ».
Le règlement REACH – vous l’avez mentionné –, bien manipulé dès son élaboration, ne s’applique qu’aux produits mis en circulation dépassant la tonne. Belle astuce pour éviter l’évaluation indépendante !
Des lacunes dénoncées unanimement, et pour cause ! Les nanomatériaux franchissent les barrières cellulaires, au risque de se distribuer dans l’organisme, y compris par voie lymphatique ou nerveuse et de s’accumuler dans certains organes sans que le corps ait le moyen de les éliminer.
De très petit volume, donc pourvues d’une surface de contact proportionnellement très étendue, ces particules sur place ont de fabuleuses propriétés de réaction chimique, et présentent par conséquent des risques de toxicité in vivo.
Encore faudrait-il que chacun puisse se saisir du débat et que la culture scientifique ne soit pas la branche mourante de nos politiques publiques !
Il est remarquable que, sur les sept ministères ayant saisi la CNDP, il n’y ait pas l’éducation nationale ; circulez, il n’y a rien à comprendre ! En revanche, il y a la défense. On pressent bien la gourmandise de l’armée, au-delà de l’allégement des uniformes, pour d’autres applications moins avouables de capacités augmentées, de peurs inhibées, voire de commandement plus efficace.
Si la production de connaissances et la recherche ont tout leur sens, l’arrogance de certaines filières industrielles est inadmissible. L’Oréal a fait faux bond aux auditions de l’Office parlementaire. La Fédération des entreprises de la beauté cautionne l’introduction sans information de ces particules dans des produits utilisés sur la peau, refuse l’étiquetage et se réfugie derrière le secret industriel pour priver les toxicologues des informations nécessaires à leurs investigations. C’est ainsi que le dioxyde de titane nanostructuré se retrouve dans les dentifrices blancs, dans les crèmes solaires, avec écran efficace mais transparent, malgré l’avis de 2006 de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, le classant dans les cancérogènes et en dépit des cassures démontrées sur l’ADN, au risque de migrations dans le derme, voire dans les tissus de l’œil et dans la très sensible rétine.
Il est hors de question de payer un tel prix aux fameux « pôles de compétitivité », à la croissance ou à la place de la France !
Quant à l’évaluation par l’industrie, elle a consisté, sur ce sujet précis, à déposer la crème sur un morceau de peau morte et à constater au bout d’une semaine qu’elle avait une faible pénétration ! Quel protocole exigeant !
Lors du Grenelle II, l’amendement des parlementaires Verts exigeant l’établissement d’une nomenclature a été sacrifié sur l’autel des intérêts industriels. La connaissance de la structure spatiale des particules, accessible à l’Institut national de la propriété industrielle, l’INPI, ou au juge quand il s’agit de lutter contre un plagiat, ne l’est pas aux agences sanitaires et de santé.
Cette transparence est pourtant indispensable, car nous ne confondons pas tous les nanomatériaux, qui vont de la nacre naturelle aux catalyseurs des carburants.
Le Parlement européen a adopté hier un règlement sur l’étiquetage, avec la mention obligatoire des nanomatériaux dans les emballages alimentaires.
Le Plan national santé environnement 2 annonce des recherches sur l’impact sanitaire des nanomatériaux.
Le respect du Grenelle II devrait obliger les entreprises à déclarer leurs usages. Nous votons, nous votons… mais rien ne se passe !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. Ça va venir !
Mme Marie-Christine Blandin. Nous votons même parfois à l’unanimité, comme pour l’instance de garantie de l’indépendance de l’expertise, qui n’a toujours pas été installée. Et nous constatons que les arbitrages solennels du Parlement ne sont pas mis en œuvre, parce que des lobbies freinent de toutes leurs forces ce qui pourrait modérer leurs imprudences rémunératrices. Dans quelle démocratie vivons-nous ?
Il faut aussi parler de la démocratie du pilotage de la recherche : la liberté du chercheur – nous la défendons ! – n’a aujourd’hui d’égale que l’opportunité de niches souhaitées par l’industrie et cautionnées par la course à la brevetabilité sans conscience de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR.
Quelle recherche le secteur public doit-il accompagner ? Quelle société se prépare ? L’avenir est-il dans les caméras miniaturisées, les dispositifs de RFID – identification par radiofréquence –, les mouchards greffés, ou bien dans la modération des doses de médicaments et la régulation de la pompe à insuline ? Où va l’argent ? En plus du niveau sanitaire, il faut se positionner au niveau éthique : à nous de tracer les grandes lignes pour placer l’humain au cœur de sa technologie, et non l’inverse.
Je terminerai en évoquant le principe de précaution constitutionnalisé, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne risque pas de s’user, puisqu’il n’est pas appliqué ! Contrairement aux mesures prises pour la grippe – je devrais plutôt parler de « démesures » ! –, les nanomatériaux font partie du « cœur de cible » du principe de précaution : il s’agit d’innovations technologiques, avec quelques dangers avérés, des faisceaux de risques repérés pour l’environnement et, corrélativement, pour la santé, qui exigent des recherches indépendantes.
Rappelons que le principe de précaution joue un rôle de moteur pour une recherche et une innovation de qualité, et donc une « bonne » concurrence. Ses péripéties en justice ne sont que les séquelles de sa non-application institutionnelle. Madame la secrétaire d’État, nous avons plus de vingt ans de retard dans la maîtrise des nanotechnologies et dans leur encadrement : appliquons les principes et les lois, donnons-nous des textes exigeants, refusons l’opacité industrielle et choisissons la science pour l’homme, plutôt que la spéculation déresponsabilisée !
Monsieur le premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, épargnons-nous les bons mots de type « lampes à huile » quand nous cherchons un consensus sur la démarche scientifique d’évaluation, laquelle pourrait inspirer des comparaisons défavorables à certains rapports de l’Office ! (Mmes Gisèle Printz et Marie-Agnès Labarre applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le Premier vice-président de l’Office, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat intervient dans des circonstances pénibles, puisque je viens d’apprendre que le bilan de la catastrophe du Var s’est encore aggravé : nous déplorons désormais 25 personnes décédées et 13 personnes disparues.
Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir pris l’initiative d’organiser un débat sur ce sujet absolument fondamental pour notre pays. Je rejoins tout à fait l’approche de M. le président Emorine : il s’agit d’une question de société, et pas simplement d’une question scientifique.
Le développement des nanotechnologies, vous l’avez tous rappelé, représente un enjeu technologique et économique qui concerne principalement trois secteurs clés : les matériaux, l’électronique et les technologies de l’information, les sciences du vivant.
Au niveau mondial, vous l’avez aussi tous indiqué, les perspectives de marché sont colossales, puisqu’elles vont de 450 milliards d’euros à 1 850 milliards d’euros d’ici à 2015. À titre de comparaison, le marché mondial de l’automobile représentait 1 100 milliards d’euros en 2005. Les fonds européens consacrés aux nanosciences et nanotechnologies s’élèvent à 530 millions d’euros : comme vous l’avez rappelé, monsieur Christian Gaudin, les enjeux sont énormes et, en revanche, l’engagement européen est trop faible. Au-delà de cet aspect économique, il s’agit également d’un enjeu en termes de création d’emplois, puisque l’on estime que 10 % des emplois manufacturiers seront liés aux nanotechnologies d’ici à 2015.
Les propriétés des « nanos » sont considérables. Je ne me livrerai à aucune comparaison, car, je dois l’avouer, Daniel Raoul a vampirisé à peu près tous les exemples dont je disposais. (Sourires.) Je tiens juste à préciser qu’il ne faut pas penser les nanotechnologies comme une catégorie unique, ainsi que l’a rappelé Jean-Claude Etienne : il faut établir une distinction entre ce qui relève des sciences, notamment médicales, des technologies de l’information, de l’alimentation et ce qui se trouve d’ores et déjà dans notre quotidien.
Il est vrai que les nanotechnologies sont très prometteuses dans certains domaines, comme celui de l’eau, puisqu’elles pourraient être utilisées comme agents filtrants ou comme agent de dépollution pour dégrader des polluants organiques. Elles sont également très prometteuses dans le domaine de l’énergie, pour augmenter par exemple la puissance des panneaux photovoltaïques. Enfin, elles représentent un espoir exceptionnel dans le domaine de la santé, comme l’a maintes fois rappelé Jean-Claude Etienne.
Certains produits sont d’ores et déjà présents dans notre quotidien. Nous disposons chacun de nos chiffres, mais, pour nous mettre tous à peu près d’accord, je m’appuierai sur un inventaire récent, qui recense environ mille produits présents sur le marché intégrant des nanotechnologies, avec de nombreux exemples qui vont des nanotubes de carbone aux chaussettes pour pieds récalcitrants. (Sourires.)
La France est un acteur de premier plan des nanotechnologies : sa très forte communauté scientifique la place au cinquième rang mondial, avec plus de 5 300 chercheurs, derrière les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne. Une concurrence que l’on peut qualifier d’acharnée s’exerce au niveau international pour se positionner sur ce futur marché. La Chine investit très fortement et est en passe de devenir un acteur de tout premier plan. Une véritable course mondiale aux découvertes et aux brevets est actuellement en cours.
En France, le Gouvernement a accompagné le développement de ce nouveau secteur par le plan « Nano-Innov », lancé en 2009, qui aborde simultanément la recherche fondamentale, la recherche technologique et la recherche sur la sécurité des nanotechnologies.
La recherche a d’ailleurs été renforcée en 2009 dans le cadre d’un appel à projets spécifique financé à hauteur de 17 millions d’euros par le plan de relance. L’« écosystème grenoblois » a également fait l’objet d’une dotation exceptionnelle dans le cadre du plan « Nano 2012 », avec un effort global de 457 millions d’euros sur la période 2008-2012.
Nous engageons donc des moyens importants pour développer le plus possible la recherche dans ce secteur. Cet effort n’est peut-être pas encore suffisant, car nous devons encore travailler sur de nombreux sujets.
Mais, vous l’avez tous dit, face à ce formidable potentiel, d’énormes inconnues demeurent. Les données dont nous disposons sur la toxicité des nanoparticules proviennent pour l’essentiel d’études sur les particules fines de la pollution atmosphérique et sur les nanoparticules manufacturées. Comme vous l’avez rappelé, monsieur Louis Nègre, nos connaissances sont très insuffisantes : les études montrent que les nanoparticules peuvent être plus toxiques que les particules de plus grosse taille – je simplifie, parce que je ne suis pas une spécialiste comme vous. Par ailleurs, ces substances peuvent, sous certaines conditions, franchir les barrières naturelles de l’organisme et pénétrer jusque dans les cellules.
Il est donc essentiel de progresser dans la connaissance des effets sanitaires de ces produits, de leur devenir dans l’environnement, en apportant une grande attention à l’exposition des travailleurs, comme l’a souligné Mme Blandin. En effet, lorsque l’on étudie les risques associés à différentes techniques ou substances, il faut cibler soit les personnes exposées à un volume important de ces substances, donc les travailleurs, soit les personnes les plus fragiles.
Je souhaiterais que nous évitions de reproduire, dans ce débat, les erreurs commises à l’occasion d’autres débats. Si nous abordons ces innovations sous un angle purement scientifique, n’essayons pas de démontrer désespérément qu’elles ne représentent aucun risque, puisque nous savons que la science comporte toujours une part d’incertitude. De même, si l’on envisage ces technologies sous l’angle purement économique, on oublie de placer, en regard des gains espérés, les avantages attendus par la société.
On pourrait faire le parallèle avec un vaccin : vous ne vous faites pas vacciner parce que le vaccin présente a priori peu de risques dans l’état actuel des connaissances, et que cela va rapporter beaucoup d’argent aux laboratoires. Vous le faites parce que vous savez que c’est nécessaire pour votre santé et pour la société dans son ensemble.
La question primordiale est donc la suivante : pourquoi voulons-nous ces nanotechnologies, pour quels avantages et quelles utilisations ? On se trompe souvent de débat en n’envisageant la question qu’en termes de risques. Il faut que la société choisisse les nanotechnologies qu’elle souhaite, celles qu’elle veut développer en priorité.
Les questions d’ordre social ou éthique qui portent sur l’opportunité de certaines applications, ainsi que sur d’éventuelles dérives, sont en général mal posées ou oubliées. Par exemple, la création des « nano-mouchards », que nous allons appeler nano brothers sur le modèle de Big Brother, pose une question centrale, qui constitue le cœur du débat, celle de la protection de la liberté individuelle, point qui a été évoqué par M. Alex Türk. C’est probablement le sujet sur lequel nous n’avons pas encore assez travaillé. On ne résoudra pas la question des nanotechnologies dans nos sociétés au sens large sans travailler de manière fouillée ce sujet profondément éthique.
Face aux interrogations sur les effets de ces technologies, nous devons construire une réponse globale et démocratique, effectuer un choix de société qui mette en balance la dimension scientifique et la dimension socio-économique.
Dans ce débat très délicat, le Gouvernement refuse de tomber dans deux types d’excès, qui ont été rappelés par M. Jean-Claude Etienne.
D’une part, il est hors de question d’abandonner ces technologies à leur propre mouvement, sans se préoccuper des questionnements qu’elles suscitent, ni des dommages potentiels. Cette attitude entraînerait inévitablement un rejet et conduirait donc les industriels eux-mêmes dans une impasse.
D’autre part, il serait tout aussi déraisonnable de geler complètement ce développement technologique parce que nous serions incapables de procéder à des choix collectifs.
Le vrai problème, surtout pour notre pays, consiste à se réconcilier avec le progrès en le maîtrisant et en le choisissant. Comme vous l’avez dit dans votre conclusion, monsieur le président, l’enjeu est démocratique, parce que les « sachants » ne peuvent pas déterminer seuls l’avenir du monde, en tout cas l’avenir de notre société.
C’est pour cette raison que huit ministres, dont le ministre de la défense, ont décidé de porter le débat public.
Mme Marie-Christine Blandin. Sept !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Non, nous étions bien huit à signer la lettre de saisine de la Commission nationale du débat public… même si je ne suis que sous-ministre ! (Sourires.)
Contrairement à vous, madame Blandin, la participation du ministère de la défense me paraît plutôt positive, car je l’analyse comme un signe d’ouverture. Ce débat répondait à une demande du Grenelle de l’environnement, qui n’avait d’ailleurs jamais été liée à une demande de moratoire sur les nanotechnologies.
Je voudrais insister sur un point essentiel, à l’intention des partisans du développement technologique : le débat ne saurait être assimilé à une sanction. On discute non pas pour sanctionner ou pour critiquer, mais pour poser les bases du développement du progrès et pour donner un peu de visibilité aux producteurs. Ce débat ne constituait pas non plus un alibi pour maintenir les pratiques en cours jusqu’à présent, parce que l’État est bien décidé à tenir compte des positions qui ont été exprimées.
Ce débat a été particulièrement atypique. C’était la première fois que la procédure de la Commission nationale du débat public était utilisée sur un thème aussi vaste et général. Je tiens donc à remercier la Commission d’avoir pleinement joué son rôle, car le travail réalisé présente d’immenses qualités.
Le débat s’est tenu entre le 15 octobre 2009 et le 24 février 2010, et son bilan a été rendu public le 13 avril 2010. Au total, le site Internet dédié a été visité 163 500 fois ; 661 questions du public ont reçu des réponses écrites ; plus de 3 000 personnes ont participé aux réunions publiques organisées dans les régions ; 51 cahiers d’acteurs émanant des diverses parties prenantes ont été versés au débat.
Ce bilan peut sembler mitigé, car on aurait pu espérer que ces chiffres soient plus élevés. Mais ce sujet est peu connu et difficilement accessible, parce que des domaines extrêmement divers sont regroupés sous un même vocable. Compte tenu des 1 500 « retombées presse », on peut estimer que l’information du public a été améliorée. Enfin, les matériaux collectés sont d’une grande qualité, suffisante en tout cas pour en tirer des conclusions.
Comme vous l’avez unanimement reconnu, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat a mis en lumière les lacunes de nos connaissances scientifiques, qu’il s’agisse de détection, de toxicologie ou d’écotoxicologie.
Il a également démontré que le public est demandeur d’informations plus abondantes et, peut-être, simplifiées, pour une meilleure compréhension du sujet.
Le public a surtout souhaité pouvoir mieux comprendre comment se font les choix portant sur les grandes orientations des politiques publiques dans ce domaine. Effectivement, monsieur Etienne, les technologies évoluent beaucoup plus rapidement que les consciences, et l’on a parfois l’impression que personne ne maîtrise vraiment les décisions publiques.
Sachez que le Gouvernement n’a pas attendu l’issue du débat pour commencer à agir.
Les agences de sécurité sanitaire, dont les représentants assistent à notre débat, ont été saisies à diverses reprises, au cours des dernières années.
Par ailleurs, la France a été très active dans ce domaine, notamment en portant le débat sur le règlement REACH, c'est-à-dire « enregistrement, évaluation et autorisation, restriction des produits chimiques ».
En effet, quand ce règlement a été conçu, dans les années deux mille, la question des nanoparticules et des nanotechnologies se posait moins, ces dernières n’étant apparues dans le domaine manufacturier grand public qu’à partir de 2005.
Je le confirme donc à M. Louis Nègre et à Mme Marie-Agnès Labarre, nous comptons bien défendre à l’échelon européen le dossier de la révision des seuils dans le cadre du règlement REACH, révision qui nous paraît prioritaire.
Enfin, nous avons aussi porté le fameux article 73 du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dit Grenelle II, qui pose le principe d’une déclaration obligatoire aux autorités des nanomatériaux produits ou importés en France.
C’est une grande première, sans équivalent connu ailleurs, ce qui prouve que la France est beaucoup plus sensible à ces questions que d’autres de ses partenaires européens.
D’ailleurs, madame Blandin, je me réjouis à la pensée que vous allez sans doute voter les conclusions de la CMP, ce qui nous permettra de mettre en œuvre cet article. (Sourires.)
Mme Marie-Christine Blandin. Il n’y a pas que cela dans le texte !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Pour autant, outre ces engagements et les actions entreprises, nous sommes déterminés à répondre aux diverses questions soulevées à l’occasion du débat public. C’est d’ailleurs tout le mérite de la procédure que de nous contraindre à le faire. Il est bon en effet que le Gouvernement soit contraint de répondre aux questions posées dans le cadre d’un débat public.
Nous travaillons donc sur les suites à donner. Mais rien n’est fait, et nous sommes au milieu du gué. Nous avons identifié les grandes lignes des réponses qui devront être données à la mi-juillet, mais il serait aujourd’hui totalement prématuré de préempter, en quelque sorte, les conclusions de ce travail.
Pour ma part, j’estime que, au-delà du nécessaire investissement dans la recherche sur les deux sujets que vous avez tous mentionnés, mesdames, messieurs les sénateurs, à savoir les effets des substances et le lien avec la biodiversité – souvent un peu le parent pauvre, d’ailleurs –, la question centrale est celle de la gouvernance, comme vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le président de la commission.
Qui décide des priorités et des choix faits, tout particulièrement au sujet des nanotechnologies, que nous voulons développer et mettre au service de notre société ? Telle est la question.
Nous devons innover pour associer le mieux possible le public à ce débat global et à ces choix globaux, tout en veillant à organiser aussi le débat au sein du Parlement. Celui que nous avons aujourd’hui est très positif et, une fois encore, je remercie le Sénat d’en avoir pris l’initiative ; il en faudra également un sur les choix définitifs.
Cet échange sur les nanotechnologies est peut-être aussi pour nous l’occasion de réfléchir sur la question du débat public en France.
Comme cela a été rappelé par M. Jean-Paul Emorine, une moitié seulement des dix-sept réunions publiques ont pu se dérouler dans des conditions normales, du fait de l’agitation de quelques opposants très radicaux.
Qu’il y ait des manifestations bruyantes, des oppositions virulentes et fondées, c’est tout à fait normal dans le cadre d’un débat démocratique où chacun peut s’exprimer. En revanche, le caractère organisé et systématique de ces perturbations, au motif que – je cite de mémoire – « débattre, c’est accepter », est totalement inadmissible.
Ce qui me peine le plus, c’est que l’on puisse assimiler de tels comportements à l’écologie. Or c’est précisément tout le contraire. L’écologie repose sur des principes forts que sont la participation du public, l’organisation de débats rassemblant toutes les parties prenantes de la société civile, sur tous les sujets et sans tabou, la prise de décisions collectives.
Nous serons capables de développer les sciences et les technologies dans notre société et de nous réconcilier avec le progrès uniquement lorsque nous aurons construit une démocratie un peu plus apaisée et plus régulée, dans laquelle pourront être abordées les thématiques de la transparence, du respect du débat public, de l’inversion de la charge de la preuve, autant de sujets sur lesquels il nous reste encore tant à faire !
Tels sont les éléments que je souhaitais livrer à votre réflexion, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue d’un débat qui nous aura permis de nous interroger, non seulement sur les nanotechnologies, mais aussi sur l’organisation des débats publics en France, et nous avons encore beaucoup à apprendre dans ce domaine…
Quoi qu’il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous remercier encore une fois de cette initiative. Je réitère également les remerciements que j’ai adressés à la CNDP pour le travail qu’elle a effectué. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur les nanotechnologies.