Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en 1959, le prix Nobel de physique Richard Feynman déclarait : « Il y a beaucoup de place en bas ». Il annonçait ainsi les perspectives offertes par la physique à très petite échelle, celle du nanomètre : le milliardième de mètre.
Depuis la révélation de ce « nano-monde » par les progrès scientifiques, l’homme a tenté d’en tirer parti. Aujourd’hui, le monde de l’« infiniment petit » est une composante à part entière du paysage scientifique, technologique et économique français.
Scientifique, d’abord, parce que, avant toute application, la recherche et les nanosciences visent à comprendre les phénomènes de dimension nanométrique.
Technologique, ensuite, puisque les instruments, les techniques de fabrication et les applications dérivées sont spécifiques à l’échelle nanométrique.
Économique, enfin, parce que ces matériaux nanométriques ont des propriétés particulières les rendant très performants et permettant d’envisager de créer des produits moins coûteux et plus solides, servant de fait le progrès technique et économique.
Des nanosciences aux nanotechnologies, l’avenir se conjugue donc désormais en « nano ». Cette nouvelle dimension oblige à appréhender les disciplines scientifiques traditionnelles – chimie, physique, technologie, biosciences, médecine ou encore sciences de l’environnement – d’un œil nouveau.
Cependant, les « nano » ne se limitent pas aux sciences. Il s’agit en effet d’une véritable révolution, dont on ne mesure pas encore toute la dimension, qui va modifier nos modes de vie et nos comportements.
Pour illustrer la révolution de la maîtrise de l’échelle nanométrique, je prendrai un exemple, celui de la médecine.
Avec le vieillissement de la population, l’émergence de maladies nouvelles liées au style de vie ou encore la prise en compte toujours plus importante du « mieux vivre », les prochaines décennies verront apparaître un besoin accru de soins médicaux.
En permettant une prise en compte optimisée des problèmes de santé à leurs différents stades – prévention, diagnostic, traitement, suivi –, les nanosciences représentent une réelle promesse pour l’avenir. C’est le cas, notamment, pour la lutte contre le cancer. À Toulouse, un dispositif en cours de validation au sein du cancéropôle se fonde sur l’expérimentation de nanoélectrodes qui détectent de très faibles quantités de marqueurs cancéreux et permettent de diagnostiquer les cancers avant même leur stade de développement agressif.
Outre la médecine, la nanorévolution aura aussi un impact considérable sur notre économie, rendant possibles l’amélioration des performances, la réduction des pollutions, les économies d’énergie, la conservation des ressources naturelles ou encore la sécurité des transports.
Les nanotechnologies auront donc un impact majeur sur notre système économique. Une étude de la Commission européenne révèle même qu’elles pourraient supplanter les biotechnologies et générer plus de profits que les technologies de l’information et de la communication. Le marché mondial est évalué à 1 000 milliards de dollars à partir de 2015.
En 2006, on dénombrait environ 6 000 entreprises dans le secteur, dont la moitié aux États-Unis, 30 % en Europe et 20 % en Asie. En France, 150 entreprises sont aujourd’hui estampillées « nanotechnologies ».
Au quotidien, les nanomatériaux investissent déjà le champ des produits d’usage courant, comme le textile, les équipements de sport, les cosmétiques ou encore les aliments.
Aujourd’hui, des milliers de produits de consommation courante incluraient des nanomatériaux. Dans notre pays, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail a recensé 246 produits manufacturés, allant de la brosse à dents à la raquette de tennis, en passant par l’ours en peluche. La Commission nationale du débat public, mise en place en octobre dernier, en a recensé 800, parmi lesquels des tissus antiodeurs et des crèmes solaires.
Pourtant, leurs dangers toxicologiques sont méconnus. Les recherches démontrent que ces matériaux de très petite taille se comportent comme des gaz. De ce fait, ils passent au travers des muqueuses, de la peau et de toutes les barrières corporelles. Les risques sont multiples : inhalation, ingestion, contact cutané.
Les études du Bureau européen de l’environnement et du Réseau international pour l’élimination des polluants organiques persistants soulignent que les nanomatériaux peuvent endommager l’ADN humain. D’ailleurs, je le rappelle, en août 2009, sept travailleuses chinoises exposées à des nanoparticules ont développé des affections cutanées et pulmonaires, entraînant le décès de deux d’entre elles.
Ce constat alarmant doit aussi nous conduire à nous interroger également sur les conséquences environnementales du contact direct des nanoparticules avec la faune et la flore au cours du processus de production et lors de l’émission de déchets. De surcroît, la fabrication des nanomatériaux requiert énormément d’eau et d’énergie pour des rendements plutôt faibles. Les réductions de consommation d’énergie, rendues possibles par les nanotechnologies, s’avéreraient moindres que les besoins en matières premières qu’elles mobilisent pour leur fabrication.
Les risques sanitaires représentés par l’usage des nanomatériaux semblent pour l’instant largement sous-estimés : sur 1,4 milliard d’euros alloués par la Commission européenne aux nanotechnologies, seuls 38 millions d’euros sont destinés aux travaux sur les risques pour l’environnement et pour les opérateurs.
Mes chers collègues, au-delà de toute application concrète, l’émergence des nanotechnologies nous conduit à nous poser avant tout des questions d’ordre éthique.
Si toutes leurs applications nouvelles sont sans conteste considérées comme remarquables, leur usage suscite de graves inquiétudes et promet des bouleversements aux conséquences incertaines.
Il serait sage de légiférer sur ces questions. Pour les « nano » comme pour les OGM ou encore l’amiante, le principe de précaution devrait s’appliquer. Leur usage devrait être encadré par la loi. Ne nous contentons pas d’un débat : il ne tient qu’à nous, parlementaires, de dessiner les contours de ce cadre législatif !
Par exemple, nous pourrions commencer par rendre obligatoire l’information des usagers, notamment sur l’étiquetage des produits contenant des nanotechnologies. Il me paraît en effet indispensable de permettre aux citoyens de décider de leur succès ou de leur échec commercial.
Les nanotechnologies suscitent des attentes, mais elles soulèvent aussi des inquiétudes justifiées dans l’opinion publique quant aux possibilités de dérives dans leur utilisation. Parmi celles-ci figure l’atteinte aux libertés individuelles. Le développement de nanosystèmes laisse en effet entrevoir des capacités inédites d’échange, mais surtout de transmission de données qui permettront le recueil d’informations sur la localisation, le mouvement ou les paramètres personnels. Or rien n’est prévu pour l’instant contre ce risque d’atteintes graves aux libertés individuelles et au droit de la personne, en particulier à l’insu des intéressés.
Quel réel besoin avons-nous de forcer la nature à ce point ?
Comme l’ont déjà préconisé certains d’entre nous sur ces travées, il est urgent de mettre en place un cadre législatif pour réguler le développement de ces nouvelles technologies et respecter un principe de précaution bien légitime face à leur propagation sauvage.
Avant de conclure, je rappellerai qu’un débat public a déjà eu lieu du 15 octobre 2009 au 24 février 2010. Il a été organisé sur l’initiative des pouvoirs publics, à la suite du Grenelle de l’environnement. Il devait permettre de dégager les pistes appropriées à un développement responsable et sécurisé des nanotechnologies, et de répondre aux interrogations des opérateurs et des citoyens.
Nous attendions de ce débat qu’il nous éclaire sur les orientations de notre pays en matière de soutien à la recherche et aux innovations dans le domaine des nanotechnologies, d’information ou de protection des travailleurs et des consommateurs et, enfin, d’organisation du contrôle et de la gouvernance. Cependant, aucun moratoire n’ayant été décidé, ce débat public est, une fois de plus, intervenu après la bataille, les premières applications ayant déjà été mises sur le marché. De surcroît, le caractère local de son organisation en a considérablement restreint la portée.
Parmi les principales préconisations qui se sont dégagées de ces échanges, la question du principe de précaution et de la nécessaire protection des consommateurs, des travailleurs et des citoyens s’est imposée.
De manière concrète, il me semble que l’augmentation des budgets consacrés à la recherche et aux études toxicologiques en matière de nanotechnologies est essentielle, tout comme il conviendrait de former plus de scientifiques et de professionnels spécialisés sur ces questions et leurs répercussions.
Dans ce sens, une coordination réelle entre les différents organismes appelés à se prononcer sur la question des nanotechnologies permettrait une optimisation des résultats de ces recherches. Ce travail pourrait être assuré par une instance de contrôle dédiée, chargée de mettre en place un encadrement éthique du développement des nanotechnologies et de traiter les questions d’ordre éthique liées aux dangers de l’usage des nanotechnologies.
Il faudrait également envisager, avec l’éducation nationale, d’intégrer les nanosciences et leurs applications dans l’enseignement des sciences.
Enfin, parce que les nanosciences ne connaissent pas les frontières, il serait adéquat que, dans un contexte de mondialisation, la maîtrise et la réglementation des nanotechnologies se fassent à l’échelon européen, voire international. Pour l’heure, le Parlement européen travaille sur une proposition de règlement destinée à protéger les consommateurs et à encadrer l’utilisation par les industriels des substances issues des nanotechnologies.
Confrontée aujourd’hui à ce nouveau défi, l’humanité doit y apporter des réponses non seulement éthiques, mais aussi pragmatiques et, par voie de conséquence, législatives. Je forme donc le vœu, au nom du groupe RDSE, que notre débat ne reste pas lettre morte. (M. le président de la commission de l’économie et Mme Gisèle Printz applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Türk. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous présenter, en quelques minutes, les problèmes que poseront les nanotechnologies dans le domaine des systèmes d’information.
Le risque est simple à comprendre : les experts que nous rencontrons un peu partout dans le monde prévoient qu’il sera possible dans moins de dix ans de créer des systèmes d’information pratiquement invisibles à l’œil nu et qui permettront d’entendre, de voir et de communiquer à distance. Cela entraînera, chacun le comprend, un véritable bouleversement de nos modes de vie et de notre société, une transformation profonde des rapports humains puisque chaque fois que nous nous exprimerons, nous nous demanderons si nous ne sommes pas vus et entendus ! Cela signifie une aliénation totale de notre liberté d’expression, ainsi que de notre liberté d’aller et de venir. Chacun sur nos travées jugera que c’est absolument insupportable. Tout cela, je le répète, se produira dans moins de dix ans !
J’attire votre attention sur le fait que la miniaturisation à laquelle nous allons aboutir signifie l’invisibilité et que l’invisibilité implique l’irréversibilité : quand les objets nanoparticulaires se répandront dans la nature, il ne sera plus possible de les récupérer. Nous assisterons alors à une sorte de développement métastasique. Aujourd'hui, quand on me parle de Big Brother, je réponds bien souvent que je crains davantage les millions de petits brothers qui vont se disséminer dans la nature que le bon gros Big Brother contre lequel il nous reste tout de même le droit à l’insurrection.
Il faut bien comprendre que le passage aux nanotechnologies constitue non pas un changement de degré, mais un changement de nature. Ce n’est pas parce qu’on réduit la taille d’un phénomène qu’on peut dire qu’il s’agit seulement d’un changement de degré.
Il y a une terrible urgence. Au fond, d’une certaine manière, et je profite de votre présence, madame la secrétaire d’État, pour le dire, le combat pour nos libertés est le même que celui pour la protection de l’environnement. L’environnement naturel ne se reconstituera pas une fois qu’il aura été franchement mutilé. Il en va de même pour notre liberté. Notre intimité, notre dignité et notre identité forment un patrimoine qui nous est donné à la naissance. Alors que, pendant des siècles, des pays se sont battus pour ce patrimoine, il serait inconcevable qu’une société dite « démocratique » et « évoluée » ne prenne pas les mesures nécessaires pour le préserver.
Voilà trente-cinq ans, lorsque quelques hurluberlus nous ont expliqué que le monde et l’environnement seraient en danger dans quelques décennies, nous étions nombreux à nous interroger. Trente-cinq ans plus tard, nous nous demandons s’il n’est pas trop tard. J’en déduis que cela a bien dû être le bon moment à un certain moment !
En matière de systèmes d’information, le bon moment est arrivé. L’urgence est grande, d’autant que, chacun l’a compris, le problème, n’est pas national. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette question préoccupe moins nos homologues de l’Union européenne, chez qui les nanotechnologies se développent beaucoup plus vite qu’en France sans qu’il y ait la recherche d’un équilibre.
Bien entendu, je ne prétends pas un instant qu’il faille renoncer aux nanotechnologies définitivement et globalement. Je dis simplement que nous devons rapidement effectuer un travail d’analyse extrêmement approfondi.
À cet égard, je tiens à remercier à la fois le président de la commission de l'économie et le président du Sénat. Je vous remercie également de votre présence, madame la secrétaire d’État, puisque c’est la première fois, me semble-t-il, qu’un début de dialogue est engagé sur un tel sujet en présence des pouvoirs publics. Cela constituera, je l’espère, une sorte d’appel du 17 juin ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’économie, mes chers collègues, en ces temps de « grenello-scepticisme », il est important de souligner que c’est justement dans le cadre du Grenelle de l’environnement qu’il a été décidé d’organiser un débat public sur les risques et les bénéfices des nanotechnologies. Il s’agissait, pour être précis, de l’engagement n° 159. La commission particulière du débat public sur les nanotechnologies a donc été missionnée par la Commission nationale du débat public, la CNDP, pour réaliser cet exercice difficile de « démocratie participative ». Le débat a bien eu lieu, malgré les difficultés qu’il a rencontrées.
Lorsqu’on évoque les nanotechnologies, on parle d’une échelle qui va du milliardième au cent milliardième de mètre. Surtout, la matière peut acquérir des propriétés physiques particulières lorsqu’elle est structurée en objet d’aussi petite dimension. Prenons le cas du carbone. Nous savons tous que, depuis des siècles, il peut être cristallisé sous forme de diamant. On découvre qu’il peut aussi s’organiser en nanotubes aux propriétés physiques et chimiques totalement nouvelles. La même substance peut alors – cela rend le sujet encore plus complexe – prendre différentes formes. En outre, ses propriétés peuvent varier.
De telles caractéristiques ne sont pas sans conséquences en termes de maîtrise de ces technologies. Elles impliquent en effet d’inventer de nouveaux appareils pour détecter ces nouveaux matériaux ou encore de mettre au point des méthodes spécifiques en toxicologie.
Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Depuis qu’il est sur Terre, l’homme vit avec des nanoparticules qui ne sont pas exactement celles que vient d’évoquer M. Türk : la fumée des volcans, la poussière des déserts ou les embruns marins en sont composés.
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que nos industries commencent à utiliser ces matériaux de façon abondante dans des objets courants, qu’il s’agisse des produits cosmétiques, dont les fameuses crèmes solaires, des lunettes, des piles, des pneumatiques, des raquettes de tennis ou encore du ketchup. Toutes nos industries sont concernées : de l’électronique à l’information et aux communications, en passant par la cosmétologie, l’agroalimentaire, ou encore les transports et le bâtiment. La situation est telle que, aujourd’hui, la présence de ces matériaux est identifiée dans plus de 700 produits de consommation.
Les applications des nanomatériaux semblent ainsi illimitées. Je relevais récemment que des chercheurs de l’université de Stanford aux États-Unis avaient réussi à stocker de petites batteries électriques dans un simple vêtement grâce à des nanotubes de carbone, ce qui ouvrirait la possibilité, à l’avenir, de recharger un téléphone portable ou un baladeur radio grâce à une simple chemise, et ce dans les cas d’application favorables.
Les potentialités offertes par ces nouvelles sciences sont donc particulièrement passionnantes, car celles-ci combinent la haute technologie avec des aspects pratiques de la vie quotidienne de millions d’individus.
D’autres utilisations, sans doute plus intéressantes pour l’humanité, se profilent, notamment dans le domaine médical : médicaments ciblés et encapsulés dans des nanovecteurs, imagerie moléculaire, aide à la chirurgie, technique des implants cérébraux, nanopuces pour déceler et suivre l’évolution des maladies. Dans le domaine médical, les espoirs semblent donc être immenses. Les nanotechnologies permettront peut-être, et nous l’espérons, de traiter des maladies qui sont aujourd'hui hors de portée de la médecine. À Grenoble, où se trouvent les pionniers de ces thérapies, des chercheurs travaillent sur l’application des nanotechnologies depuis plus de vingt ans.
Si le potentiel des nanosciences semble illimité, et alors que ces produits commencent à être fabriqués en masse, le débat sur la réglementation des nanotechnologies lui, en revanche, débute à peine, madame la secrétaire d’État. Et pourtant, il existe bel et bien des risques pour l’homme, son environnement et ses libertés.
L’AFSSET, dont on ne peut mettre en cause l’indépendance, soulignait par exemple les risques d’effets biopersistants des nanotubes de carbone rigides dans le corps humain. En clair, notre corps ne serait pas en mesure de les assimiler ou de les détruire, ce qui entraînerait un risque pour la santé humaine.
L’environnement peut, lui aussi, être directement concerné par les nanomatériaux. Prenons l’exemple bien connu des chaussettes composées de nano-argent, aux propriétés antibactériennes et antitranspirantes. Ce qui peut paraître formidable à première vue l’est moins si l’on pense aux effets potentiels en chaîne. Ainsi, le lavage de ces chaussettes dans votre lave-linge pourrait techniquement faire passer dans l’eau des nanoparticules d’argent qui se retrouveraient ensuite dans les stations d’épuration. Malheureusement, ces nanoparticules sont aussi susceptibles de « tuer » les « bonnes » bactéries, lesquelles sont pourtant indispensables au traitement de l’eau dans ces stations.
Ces deux exemples très simples nous invitent à ne pas sous-estimer les risques de dissémination dans l’environnement, d’une utilisation non maîtrisée des nanotechnologies.
Or, il est paradoxal de le constater, jusqu’à très récemment, notre législation ne prévoyait aucune obligation d’information sur les usages des substances à l’état nanoparticulaire. La situation, madame la secrétaire d’État, est désormais plus claire, grâce au projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des rapporteurs. À cet égard, il faut rendre hommage au travail du Gouvernement. En effet, nous avons rendu obligatoire, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, la déclaration des substances nanoparticulaires pour les fabricants et les importateurs, ce qui devrait permettre d’identifier précisément les substances concernées, ainsi que les usages qui en sont faits et les quantités mises sur le marché.
En tant que rapporteur de ce texte, j’ai eu l’occasion d’examiner les dispositions relatives aux « risques pour la santé et l’environnement ». Qu’il s’agisse d’exposition des personnes aux ondes électromagnétiques, question sur laquelle le débat a également été intense, ou d’encadrement de l’utilisation des substances nanoparticulaires, les problématiques me paraissent similaires.
À la lumière de cette expérience, permettez-moi d’exprimer une conviction forte : quelles que soient nos opinions politiques, il nous faut écouter toutes les parties, recueillir tous les avis, confronter sans cesse les points de vue. Je suis même tenté de dire que l’opposition au débat fait partie intégrante du débat. (Mme Marie-Agnès Labarre fait un signe de dénégation.) Toutefois, elle ne saurait nuire à la bonne tenue d’une confrontation ou légitimer le recours à la violence de ceux-là mêmes qui dénonceraient simultanément un projet politique « totalitaire » des nanosciences.
Certes, ce débat est complexe et d’une grande technicité : son champ est presque aussi large que celui des technologies qu’il concerne. Pour compliquer le tout, nous devons faire face à de nombreuses contradictions qui s’entrecroisent : besoin de financer correctement la recherche publique en toxicologie, décalage entre la pression économique en faveur de l’innovation et les précautions nécessaires au développement des nanotechnologies, etc.
Dans ces conditions, on le comprend aisément, la tâche du législateur est loin d’être facile. Elle devient même particulièrement délicate lorsqu’il nous revient le soin d’examiner la question de la conciliation de ces nouvelles technologies avec la nécessaire préservation des libertés individuelles. Comment nous prémunir contre le risque d’une fuite en avant technologique ? Il s’agit finalement de la question lancinante de la conciliation du progrès scientifique avec le principe de précaution, impératif qui s’applique désormais à l’ensemble de nos politiques publiques puisque – faut-il le rappeler ? – celui-ci a fait l’objet d’une consécration constitutionnelle dans la charte de l’environnement.
Or, comment faire pour que le principe de précaution ne devienne pas également, en matière de nanotechnologies, un principe de l’inaction ? Voilà un véritable défi qui nous est lancé, mes chers collègues !
Oui, tout serait si simple, me direz-vous, si nous disposions de connaissances incontestables dans ce domaine. Hélas ! à l’heure actuelle, nous ne savons presque rien des dangers potentiels que les nanotechnologies font peser sur l’homme et sur son environnement. Et le plus grave est sans doute que nous n’avons pas encore les bons outils pour les mesurer.
Malheureusement, aujourd'hui, seulement 2 % des études scientifiques sur les nanotechnologies traitent des risques pour la santé et l’environnement. Ce manque de connaissances scientifiques et l’absence de preuve sur la fiabilité des nanotechnologies rendent donc la réglementation difficile.
L’AFSSET, que j’ai eu l’occasion d’auditionner avant ce débat, me confirmait la difficulté de procéder à des évaluations satisfaisantes des risques pour l’homme, en raison même du manque de recherches.
Mais, attention ! ce n’est pas parce que nous ne savons pas mesurer les conséquences exactes de l’arrivée des nanotechnologies dans notre monde que les laboratoires s’interdisent, eux, de mener leurs travaux d’exploration ou que les industriels se refusent à les utiliser dans leur processus de production.
Qu’on le veuille ou non, la course est donc bel et bien lancée, et la recherche y joue un rôle prépondérant. La France est au cinquième rang, avec près de 6 % des publications mondiales. Mais elle se situe loin derrière les États-Unis et la Chine, à l’origine chacun de près de 15 % des publications mondiales, ou même l’Allemagne, avec 8,2 % de ces publications.
En 2008, le marché global des produits issus des nanotechnologies a atteint plus de 700 milliards d’euros. On estime – d’autres intervenants ont évoqué ce point – que, entre 2010 et 2015, les enjeux économiques liés à l’avènement des nanotechnologies au niveau mondial devraient atteindre 1 000 milliards d’euros par an, tous secteurs confondus. Parallèlement, cela permettrait d’employer 2 millions à 3 millions de personnes dans le monde.
De ce point de vue, je rejoins le président de la commission de l'économie, Jean-Paul Emorine, sur la nécessité d’envisager de manière extrêmement prudente toute idée de moratoire sur les nanotechnologies. Un encadrement trop contraignant ne risquerait-il pas d’entraver ainsi la recherche et de faire perdre à la France une nouvelle bataille ? Je crois que l’on peut s’attacher à répondre à cette question.
D’une part, comme pour tout procédé industriel, il faut, pour chaque nanoproduit ou objet, analyser les processus de fabrication et se prémunir contre leur éventuelle dangerosité. Dès lors, la nécessité de poursuivre la recherche en la matière s’impose logiquement. Il nous faut des données précises pour rendre la traçabilité de ces matériaux effective. C’est pourquoi je propose que, sur la base des travaux actuellement coordonnés par l’AFSSET, notre pays se dote rapidement d’une grille de cotation des risques, permettant de catégoriser les risques toxicologiques et écotoxicologiques des nanomatériaux mis sur le marché.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois vous avouer mon étonnement lorsque j’ai découvert, à l’occasion de mes auditions, qu’il n’existait à l’heure actuelle aucune autorisation préalable de mise sur le marché de ces produits. J’ai par ailleurs constaté qu’au niveau européen la fameuse réglementation REACH, prévoyant l’enregistrement et l’évaluation de toutes substances chimiques mises sur le marché, ne s’appliquait absolument pas aux nanomatériaux, et ce tout simplement pour des raisons de seuil de production.
Répondre à cette distorsion entre les textes légaux européens et les progrès fulgurants dans le domaine de l’utilisation des nanotechnologies constitue, me semble-t-il, une priorité de notre action.
Dans ces conditions, je lance un appel solennel et demande au Gouvernement de bien vouloir appeler l’attention de la Commission européenne, afin que celle-ci formule des propositions communautaires concrètes pour encadrer la mise sur le marché de ces produits, une action en la matière n’étant envisageable qu’à cette échelle pour éviter toute distorsion de concurrence. Il y va, mes chers collègues, de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures, et nous ne pourrons pas dire alors que nous ne savions pas !
D’autre part, on ne peut juger de l’opportunité du développement d’une nanotechnologie qu’à l’aune des finalités considérées comme « estimables » par la société. Nos concitoyens jugeront sans doute « estimable » de comprendre, de soigner, d’économiser des ressources rares ou de protéger l’environnement. À l’inverse, il y a fort à parier qu’ils considéreront comme suspecte la volonté de rester dans la compétition internationale ou d’augmenter le contrôle des individus. En l’occurrence, nous le voyons bien, tout dépendra de choix collectifs et « raisonnés », ce qui posera inévitablement la question de la gouvernance des nanotechnologies.
En définitive, mes chers collègues, je suis convaincu que nous devons non pas freiner la croissance de telles technologies, mais encadrer, les yeux grand ouverts, leur développement, dans le respect de la santé, de la sécurité des consommateurs et des libertés de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mmes Françoise Laborde et Gisèle Printz applaudissent également.)