M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il m’a paru opportun qu’au moins un homme intervienne dans ce débat, et je remercie mon groupe d’avoir accepté que je prenne la parole, d’autant que j’éprouve une certaine émotion à le faire, ayant été présent dans les tribunes de la Haute Assemblée voilà trente-cinq ans, lors du débat sur l’IVG, au moment où le sénateur Jean Mézard présentait le rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de Mme Veil. J’avais pu mesurer à l’époque la dureté d’un combat à front renversé, la force des tabous, l’utilisation de l’éthique et de la morale pour s’opposer à toute avancée sociétale. Le combat était et est toujours celui de la liberté et de la dignité, en l’espèce encore plus celui de la souffrance, du désespoir des femmes les plus faibles, les plus démunies. Que de drames humains, de vies brisées…
Constatons, mes chers collègues, que la contraception et l’IVG n’ont pas entraîné la baisse de natalité annoncée et que, bien au contraire, d’immenses progrès ont été réalisés.
Depuis la loi Neuwirth, qui a autorisé la contraception, la France est devenue l’un des pays où le taux de contraception est le plus élevé, notamment en ce qui concerne les méthodes nécessitant une prescription médicale.
On assiste néanmoins à un paradoxe : une contraception très utilisée et un nombre d’interruptions volontaires de grossesse stable.
Le rapport de l’IGAS sur la prise en charge de l’IVG en France souligne un fait assez inquiétant : 72 % des femmes qui ont eu recours à l’IVG déclaraient utiliser un moyen contraceptif ; d’où la nécessité de parvenir à une meilleure adéquation des méthodes contraceptives aux conditions de vie et aux attentes des femmes, et de renforcer l’approche préventive et l’information en matière de sexualité.
Concernant la contraception, il est selon nous indispensable de mener une politique volontaire, avec des campagnes d’information efficaces et un soutien renouvelé aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial. Il est en effet primordial d’assurer et de promouvoir les deux objectifs suivants : l’information relative à la contraception et l’accès aux moyens de contraception.
À cet égard, nous partageons pleinement l’appréciation formulée par le rapport de l’IGAS quant à l’intérêt des centres de planification qui assurent, dans les faits, un accès aux conseils gratuits et confidentiels ainsi que la prescription et la délivrance de produits contraceptifs.
Madame la ministre, mes chers collègues, comment oser encore parler de confort alors qu’il s’agit de santé publique, de l’avenir, de l’équilibre de tant d’adolescentes, de jeunes femmes ?
Les progrès qui ont été réalisés avec les lois successives sont l’illustration de l’évolution des mentalités.
Nous nous réjouissons que la forte mobilisation en 2009 en faveur du maintien des crédits consacrés aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial, ait abouti à la conclusion d’un protocole d’engagement garantissant le maintien, sur la période 2009-2011, des crédits consacrés à ces structures.
Les associations du planning familial accomplissent selon nous une mission d’utilité publique à laquelle il serait inconcevable de devoir renoncer. Un désengagement de l’État en ce domaine aurait des conséquences graves, notamment pour l’information des mineures et des jeunes adultes et l’assistance des personnes les plus fragilisées. Comment relayer, sans les associations, les campagnes nationales ? « La contraception, parlons-en ! » : où va-t-on en parler si les structures qui assurent la prévention, l’information et l’assistance sont menacées ? Je pense que tel n’est pas le cas, madame la ministre, mais pouvez-vous nous garantir que la politique en matière de contraception reste pour vous une priorité – nous ne sommes pas très inquiets d’ailleurs – et que le soutien au planning familial sera renouvelé dans les années à venir ?
Le rapport de l’IGAS souligne par ailleurs la nécessité d’une meilleure prise en charge globale de l’IVG et montre que, si des progrès indéniables ont été réalisés, la place de l’IVG en tant qu’activité médicale n’est pas encore normalisée et que les avancées, partielles, demeurent fragiles.
Trois points soulignés par I’IGAS m’apparaissent comme particulièrement préoccupants.
Premier point : une diminution du nombre des établissements qui pratiquent l’IVG, et des inégalités territoriales trop importantes dans la prise en charge de l’IVG.
Des « goulots d’étranglement » persistent dans certaines zones, notamment les grandes villes, et le nombre d’établissements pratiquant l’IVG en France est passé de 729 en 2000 à 639 en 2006. Ainsi, un établissement sur vingt a des délais de prise en charge supérieurs à quinze jours. Or moins de centres pratiquant l’IVG et moins de moyens ne peuvent que nuire à une bonne prise en charge de l’IVG et aboutir à des situations de grande détresse.
Deuxième point : le rapport souligne un éventail incomplet des techniques d’IVG dans les structures hospitalières. De ce fait, il existe un risque que le choix des techniques utilisées – médicamenteuse ou chirurgicale – soit principalement déterminé par la pratique des centres hospitaliers, alors qu’il devrait relever de la décision des intéressées après information.
Troisième point – et ce n’est pas le moindres : la faible attractivité de l’activité d’orthogénie pour les futurs médecins doit être prise en compte.
Face à ce constat, il semble primordial de reconnaître cette activité comme partie intégrante de l’offre de soins. Si l’IVG est, pour les établissements hospitaliers, une activité déficitaire et, pour les praticiens, une activité peu porteuse, cela ne peut générer que des difficultés. Le système de santé doit selon nous être en mesure d’appliquer la loi de la République sur tout le territoire et non être soumis à des choix budgétaires locaux ou être à la merci de choix personnels, même respectables.
Madame la ministre, le 8 mars dernier, vous avez annoncé, à l’occasion de la Journée de la femme, que vous souhaitiez augmenter la rémunération des actes d’interruption volontaire de grossesse. Pour pallier la fermeture des lieux de prise en charge, les forfaits versés aux établissements pratiquant des IVG seraient augmentés en moyenne de près de 50°% dès 2010.
Pouvez-vous nous confirmer les mesures qui seront prises pour que, à l’avenir, un nombre suffisant de médecins pratiquant l’IVG soit assuré ?
Trente-cinq ans après la loi Veil, il reste beaucoup de chemin à parcourir dans l’accès à l’information, à la contraception et à l’IVG... Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour que l’action initiée avec tant de courage par votre illustre « prédécesseure » (Sourires) soit poursuivie et renforcée dans l’intérêt des femmes et donc de l’humain. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la ministre, sur la question qui nous préoccupe, nous ne partageons pas le même regard. Aussi, j’ai hésité un temps à m’exprimer, sachant que mon point de vue – celui qui donne à croire que la certitude de l’éternité commence au premier jour de la vie, c'est-à-dire au jour de la conception – n’est pas partagé par la majorité d’entre nous.
Madame André, ce n’est pas faire le choix du conservatisme ou d’un archaïsme social de le croire, de l’affirmer, de le vivre : ce choix a aussi droit à la parole. Mais il ne s’agit pas aujourd’hui de se situer sur ce plan : l’heure est au bilan.
Premièrement, on relève un nombre trop élevé d’avortements dans notre pays, conjointement avec l’un des plus forts taux de contraception d’Europe, paradoxe mis en évidence par l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS. L’Institut national d’études démographiques, l’INED, le confirme : « La propension à recourir à l’avortement en cas de grossesse non prévue s’est accentuée à mesure que la maîtrise de la fécondité s’améliorait. » Ainsi, selon un sondage IFOP, 72 % des femmes qui ont eu recours à l’IVG utilisaient une méthode de contraception au moment où elles se sont trouvées enceintes.
Deuxièmement, le nombre d’IVG est en augmentation chez les mineures : 13 300 mineures ont eu recours à une IVG en 2006, soit une sur cent environ.
Troisièmement, l’avortement n’a rien d’anodin pour les femmes : s’il n’est certes pas remis en question dans l’opinion publique, néanmoins 61 % des Françaises estiment qu’il y a trop d’avortements dans notre pays, et 83 % que l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre. C’est dire que, derrière nos statistiques, les enjeux humains de ce débat sont loin d’être négligeables.
Aussi, je veux remercier Michèle André d’avoir suscité ce débat. Elle nous donne ainsi l’occasion de nous arrêter sur un sujet grave pour faire un état des lieux de la situation, pour avoir le courage de reconnaître que notre politique en la matière pourrait être plus cohérente, de manière à la faire évoluer et soutenir les femmes et les hommes de notre pays, puisque cette responsabilité s’accorde au féminin, mais aussi au masculin – ce que nos collègues semblent avoir été nombreux à oublier aujourd’hui.
Je voudrais, madame la ministre, vous poser trois questions.
La première a trait à la contraception.
Aucun rapport de grande ampleur n’a été établi à l’échelon national pour appréhender les conséquences sur l’organisme humain de la prise de contraceptifs par les femmes pendant des dizaines d’années, à l’heure où le corps médical ne cesse de constater une augmentation significative des cancers. Une étude du Centre international de recherche sur le cancer, agence qui dépend de l’OMS, a classé il y a quelques années la pilule contraceptive parmi les produits cancérogènes du « groupe 1 », c’est-à-dire ceux dont l’action est « certaine », indiquant pour autant qu’elle « diminue le risque de cancer de l’endomètre et de l’ovaire », mais « augmente celui du cancer du sein, du col utérin et du foie ». D’autres études récentes évoquent a contrario les effets positifs de la pilule sur la santé tandis que d’autres sont en revanche très alarmistes.
C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, je vous demande si vous envisagez de mener une étude approfondie sur ce sujet, de manière à pouvoir éventuellement protéger la santé des Françaises qui ont recours à la contraception médicamenteuse.
Ma deuxième question concerne la pratique de l’avortement liée au risque d’un éventuel handicap, notamment celui de la trisomie 21.
N’y a-t-il pas, madame la ministre, une contradiction à ne pas avoir inscrit dans notre loi de bioéthique de liste des « affections d’une particulière gravité » qui peuvent faire l’objet d’une IMG, une interruption médicale de grossesse, et à vouloir explicitement intégrer la trisomie 21 au nombre des maladies à dépister systématiquement lors d’un diagnostic préimplantatoire ? N’y a-t-il pas un risque d’eugénisme, dans une société où tout ce qui sortirait de la norme devrait faire l’objet d’un équarrissage ? (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) N’est-ce pas cette tendance qui pousse à l’élimination quasi systématique des enfants à naître atteints de trisomie 21 ? Rappelons que 96 % d’entre eux font l’objet d’une IMG ! Fonder le droit de vivre sur le fait que toute vie nouvelle est désirée, n’est-ce pas admettre a contrario la possibilité de supprimer la vie qui n’est pas désirée ? Répondre oui à cette question, n’est-ce pas instituer un principe effrayant, celui de l’élimination des indésirables, en l’occurrence des trisomiques ? Madame la ministre, avez-vous l’intention de remédier à cette tendance ? (Mêmes mouvements.)
Ma troisième question porte sur votre volonté ou non de favoriser un espace de rencontre et d’accueil en amont de la prise de décision d’IVG ou d’IMG.
En effet, d’une part, des enquêtes démontrent que, parmi les femmes qui ont accepté l’avortement, un certain nombre auraient, mieux informées, gardé leur enfant. D’autre part, la loi prévoit un entretien particulier et préalable qui revêt une importance fondamentale si l’on souhaite éviter des décisions d’IVG hâtives, issues d’un désarroi sans aucun doute réel, mais peut-être momentané. Or cet entretien, qui devrait être suivi d’un délai de plusieurs jours, n’est plus pratiqué systématiquement puisque la consultation d’un établissement d'information, de consultation ou de conseil familial, d’un service social ou d’un autre organisme agréé est devenue facultative, sauf pour les mineures. Comptez-vous, madame la ministre, revenir sur cette disposition ?
Par ailleurs, en ce qui concerne les IMG, pouvons-nous espérer faire classer administrativement la décision de garder un enfant comme une « poursuite de grossesse » et non comme « un refus d’IMG », comme c’est actuellement le cas lorsque la situation se présente ? En effet, si nous continuons à qualifier les poursuites de grossesse de refus maternels d’IMG, cela ne signifie-t-il pas que nous les considérons comme un déni de réalité ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) De plus, cela dévalorise et culpabilise les parents, qui parfois dépensent une grande énergie à essayer de faire entendre leur choix. Ils ont pourtant déjà à subir, avec l’annonce de la maladie de leur enfant à venir, un véritable choc et une vraie souffrance. Pour éviter un choix par défaut, il convient de leur ouvrir celui de l’accompagnement.
Cet accompagnement, étrangement, est proposé dans l’après-naissance, avec un suivi psychologique. Il me paraît nécessaire qu’en amont de la décision, une fois le choix fait, un espace d’accueil et d’accompagnement soit ouvert aux couples confrontés à une telle épreuve.
Madame la ministre, une maman qui, ayant fait un autre choix que celui de l’IMG, a porté jusqu’au bout son bébé atteint d’une maladie létale et l’a tenu quelques heures dans ses bras, entre sa naissance et sa mort, disait : « Quand le temps est compté, chaque minute compte. » Ce propos, me semble-t-il, vaut aussi pour chaque décision individuelle prise avant une IVG ou une IMG, car, une fois la décision prise, l’irrémédiable, mes chers collègues, peut être vécu comme une souffrance, une souffrance plus ample, une souffrance plus complexe, une souffrance enracinée dans le corps et l’être même de la femme.
Ce propos vaut aussi pour le corps que constitue notre société ; car multiplier le taux d’IVG, c’est aussi, d’une certaine façon, défavoriser le renouvellement des générations. N’est-ce pas Raymond Aaron qui disait que l’Europe, que nos pays étaient en train de mourir par dénatalité ? Mais c’est là un débat qui se tiendra, dans d’autres lieux, prochainement.
Nous venons d’avoir un débat sur l’hôpital, et vous avez indiqué, madame la ministre, que vous souhaitiez le voir se renouveler chaque année. L’article L. 2214-3 du code de la santé publique indique que, chaque année, le ministère de la santé, en liaison avec l’INED, doit, avant la discussion du projet de loi de finances, présenter un rapport rendant compte des aspects socio-démographiques des conséquences de l’avortement. Pourrions-nous vous suggérer, madame la ministre, que ce rapport, s’il est établi chaque année, permette à notre assemblée, comme l’a fait aujourd’hui la question orale de Michèle André, d’avoir un débat sur le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui ?
Je vous remercie de votre attention, mes chers collègues. Pardon d’avoir peut-être indisposé quelques-uns d’entre vous par mes propos, comme je l’ai senti à travers les mouvements sur certaines travées. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter notre collègue Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes, d’avoir pris l’initiative de cette question orale avec débat sur un tel sujet, tant les enjeux en la matière sont importants.
Ces enjeux auraient à mon sens mérité d’être discutés dans l’hémicycle ; mais sans doute, s’agissant d’une question qui concerne uniquement les femmes, cette salle Médicis a-t-elle été jugée suffisante ! (Protestations sur certaines travées de l’UMP.)
Cependant, mes chers collègues, ne vous y méprenez pas ! Je ne suis pas contre la tenue de cette séance, car, comme le note l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dans son rapport publié en octobre dernier, « l’IVG est loin d’être un élément exceptionnel dans la vie des femmes ».
Exceptionnelles, en revanche, sont les difficultés pour les femmes d’accéder à cette « composante structurelle de la vie sexuelle et reproductive », comme le souligne également ce même rapport de l’IGAS. Et que dire de l’accès à la contraception pour tous et des moyens de la gynécologie médicale, axes pourtant majeurs de la prévention des grossesses non désirées !
Certes, des évolutions législatives et réglementaires, dont nous avons d’ailleurs pu débattre ici, ont permis de réels progrès ces dix dernières années. Malgré tout, alors que 40 % des femmes y ont recours dans leur vie, l’interruption volontaire de grossesse garde une place fragile dans notre système de santé.
Les raisons ? Toujours selon le rapport de l’IGAS déjà cité, l’un des premiers obstacles rencontrés par les femmes est l’accès difficile à des structures réalisant de tels actes. Le maillage territorial en la matière est loin d’être assuré, et les disparités régionales demeurent fortes.
Psychologiquement difficile, la décision d’interrompre sa grossesse peut se révéler pour une femme, selon son lieu de résidence, un parcours véritablement semé d’embûches. L’Île-de-France est particulièrement touchée par ces difficultés. Le nombre d’IVG y reste très élevé, avec un taux de recours de 19 pour 1 000 femmes – contre 14 pour 1 000 femmes en régions –, soit, selon la Statistique annuelle des établissements de santé, 56 255 IVG pratiquées en Île-de-France en 2006. Or cette région connaît une diminution importante des établissements pratiquant cet acte : alors qu’on en comptait 176 en 1999, il n’en reste désormais que 124 pour toute l’Île-de-France, dont six ne réalisent que des interruptions thérapeutiques de grossesse. L’un de nos collègues a cité précédemment les chiffres nationaux.
Je ne m’attarderai pas à énumérer des chiffres ni à faire la distinction entre établissements privés et établissements publics : le désarroi de toutes ces femmes montre, mes chers collègues, combien la situation est catastrophique dans notre région, où la demande est pourtant en constante augmentation.
L’offre se réduit tellement que certaines femmes des départements franciliens sont contraintes de se tourner vers des établissements des départements voisins, pourtant eux-mêmes déjà fortement affectés par le manque de places. Ainsi, 30% des Val-de-Marnaises ayant choisi d’interrompre leur grossesse ont dû se diriger, faute de places disponibles, vers des structures des départements limitrophes.
De plus, alors qu’aucun centre ne pratique l’IVG médicamenteuse, l’hôpital Jean-Rostand d’Ivry-sur-Seine a fermé ses portes, et l’hôpital intercommunal de Créteil est surchargé. Il ne reste donc plus que trois établissements publics pour réaliser des IVG dans un bassin de population dense où la demande va croissant. Pour les Val-de-Marnaises, le repli vers des établissements privés est loin d’être assuré puisque seuls cinq établissements sont répertoriés, mais ont souvent peu de places disponibles.
Madame la ministre, quand allez-vous cesser de fermer les yeux sur les menaces très graves qui pèsent sur l’accès à l’avortement et à la contraception ? Faut-il vous rappeler l’obligation légale d’organiser l’offre de soins en matière d’avortement à l’hôpital public et l’indispensable présence de centres IVG partout sur le territoire ?
Mes chers collègues, je suis certaine que l’état des lieux de l’accès à l’avortement dans mon département n’est pas différent de celui que l’on pourrait dresser dans le vôtre et que les associations œuvrant en la matière, tel le Planning familial, vous ont déjà alertés sur leurs difficultés.
Dans une entrevue récente, Mme Simone Veil, à qui nous, les femmes d’aujourd’hui, devons en partie notre liberté de choix, s’est dite inquiète de la situation actuelle !
Il est inutile de se poser longuement la question du pourquoi de cette inquiétude, tant la réponse est évidente. La réforme de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris à laquelle il est procédé dans la loi hôpital, patients, santé et territoires et, plus largement, la politique actuellement menée sont les principales sources de l’inquiétude des professionnels de santé ou des militants associatifs.
La restructuration de ces services dédiés aux femmes ne peut pas s’effectuer selon des critères de rentabilité financière, dont l’application a des conséquences trop nombreuses : fermeture de centres ou de services spécialisés, refus de pratiquer la méthode chirurgicale faute de blocs opératoires disponibles, difficultés pour recruter des médecins, multiplication du recours aux IVG médicamenteuses sans accompagnement suffisant…
Par exemple, l’Est parisien, notamment le XXe arrondissement, où se situe l’hôpital Tenon, est particulièrement touché par l’application de la loi HPST. Cet arrondissement d’origine sociale et géographique variée n’a plus de centre IVG. Les femmes sont donc dirigées vers l’hôpital Saint-Antoine, situé dans le XIIe arrondissement – mais sa maternité et son centre IVG vont fermer au début de l’année prochaine ! –, et vers l’hôpital Trousseau, qui est en pleine restructuration et dont on ne sait pas s’il aura les moyens de répondre à toutes les demandes.
De ce fait, les délais s’allongent, ce qui fait courir des risques inacceptables aux femmes !
Par ailleurs, ces centres IVG sont trop souvent regroupés dans les services de gynécologie-obstétrique où l’IVG, considérée comme non rentable, est loin d’être une activité prioritaire.
Mes chers collègues, comment ne pas songer à la souffrance et à la détresse de toutes ces femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse et sont contraintes de patienter dans des salles d’attente dont les murs sont tapissés de photos de nourrisson ou de conseils aux futures mères !
Pourtant, le rapport de l’IGAS indique « qu’une offre de qualité, respectant le choix éclairé des femmes, exige un lieu dédié, une équipe formée et des temps de blocs opératoires réservés ».
Ces recommandations sont plutôt aujourd’hui à contre-courant de la tendance du Gouvernement de mutualiser les moyens et les personnels pour comprimer les coûts. Le rapport de l’IGAS reconnaît aussi que, « en l’absence d’un responsable impliqué et influent, l’orthogénie tend à se voir reléguée à un moindre niveau de priorité ».
Fragile, soumise aux pressions économiques des établissements et des actions anti-IVG, l’interruption volontaire de grossesse demeure encore et toujours, quarante ans après sa légalisation, un parcours d’obstacles, et l’application de son droit est loin d’être garanti à toutes les femmes qui le souhaiteraient !
Les premières victimes du désengagement du secteur public, notamment de l’AP-HP, et de leur déresponsabilisation en la matière, sont, une fois encore, les femmes les plus précaires. Parmi elles figurent les jeunes majeures, qui représentent 25 % des IVG en Île-de-France. Dépendant de la sécurité sociale de leurs parents, elles sont restreintes à l’offre publique si elles souhaitent la confidentialité, et sont, de ce fait, plus que les autres, confrontées au manque de places.
Les femmes qui ne sont pas affiliées à la sécurité sociale ne peuvent également s’adresser qu’aux hôpitaux publics, déjà surchargés, pour bénéficier d’une aide médicale ponctuelle par les services sociaux.
Une autre zone d’ombre soulignée par l’IGAS concerne les mineures, qui représentent pourtant, dans la région parisienne, 5 % des avortements, et ce pourcentage ne cesse d’augmenter.
Malgré la loi du 4 juillet 2001, qui permet aux jeunes filles ayant un dialogue difficile avec leurs parents de déroger à l’autorisation parentale, certains anesthésistes refusent d’intervenir sur des mineures en l’absence de cette autorisation. Qui plus est, certaines d’entre elles se voient également demander le paiement d’un examen complémentaire de sang ou une autre échographie. Ces jeunes filles se retrouvent, de fait, dans des situations complexes, alors qu’elles traversent déjà des moments délicats et doivent prendre des décisions difficiles et lourdes de conséquences pour leur vie future de femme.
Madame la ministre, quelles solutions comptez-vous apporter à ces jeunes filles ou à ces femmes en souffrance ? Si l’accès à l’avortement est un parcours d’obstacles, quelle épreuve ce doit être pour les plus précaires de nos concitoyennes ! Je ne puis m’empêcher d’imaginer l’angoisse de ces femmes qui se heurtent à la démobilisation de l’État dans ses obligations à mettre en œuvre les moyens adéquats. L’absence de prise en charge de ces patientes, qui découle d’un manque de moyens financiers pour le fonctionnement de ces structures, porte un coup indéniable à « cette liberté existentielle » pour les femmes, une liberté dont le volet de la prévention est loin, très loin, d’être suffisant !
De récentes études ont montré une corrélation entre les actions de sensibilisation et de prévention et la diminution du taux de recours à l’IVG, notamment auprès des plus jeunes. Or le droit à la contraception n’est toujours pas un libre choix possible, car, bien souvent, la méthode la plus adaptée est la plus chère et n’est pas remboursée.
La contraception est un droit fondamental des femmes, mais, aujourd’hui, le choix de cette contraception est souvent effectué en fonction de son coût.
Alors que la loi prévoit le remboursement de la contraception, il reste beaucoup à faire pour que ce remboursement concerne tous les contraceptifs connus, notamment les plus récents. La liberté de chacun de choisir librement sa sexualité et de disposer de son corps ne doit pas servir uniquement au profit des laboratoires pharmaceutiques. Là encore, les associations compétentes déplorent le manque de moyens mis à leur disposition. L’information des femmes est une donnée essentielle pour prévenir les grossesses non désirées.
Dans le Val-de-Marne, par exemple, la permanence téléphonique régionale « Info IVG Contraception » a reçu 770 appels l’année dernière. Mes chers collègues, en matière de contraception, combien de jeunes, filles ou garçons, sont aujourd’hui mal informés ?
Madame la ministre, alors que vous n’avez de cesse de déplorer le coût financier de la santé, quelles mesures comptez-vous prendre pour sensibiliser nos concitoyens sur l’accès à une contraception choisie ? Et, surtout, quelles dispositions comptez-vous mettre en place pour rendre effectif et total le remboursement des moyens de contraception ? Il ne s’agit pas simplement de lancer une campagne à grand coup de communication, à l’instar de celle qui fut lancée pour l’année 2010, déclarée « année de lutte contre les violences faites aux femmes », mais dont les actions concrètes et utiles se font encore attendre !
Aujourd'hui, le manque de moyens financiers accordés à la prévention, comme au respect du droit à l’avortement, est, dans notre pays, un exemple des nombreuses injustices sociales subies par les femmes !
Depuis les lois Neuwirth et Veil, la contraception et le droit à l’IVG sont facteur d’une liberté indiscutable et primordiale pour les femmes, constitutive d’une société égalitaire. Mais, pour être effectifs, ces droits doivent être garantis !
À cet égard, le rapport de l’IGAS démontre que les centres IVG offrent aux femmes mineures comme majeures qui font appel à leurs services un accès libre et gratuit à l’avortement et à la contraception, ainsi qu’un service d’écoute, d’information et de prévention. Ces centres, qui sont un outil nécessaire et fondamental dans l’animation du droit à la contraception, jouent donc un rôle essentiel en matière de santé publique et de droit à une sexualité sans risque.
Cette question est pour moi, au nom du groupe CRC-SPG, l’occasion de déplorer la politique de santé qui est actuellement menée. Aussi aimerais-je savoir, madame la ministre, quelles mesures vous entendez prendre pour veiller au maintien des structures existantes et au développement de nouveaux centres IVG afin de garantir, partout dans notre pays, le droit à l’avortement.
Par ailleurs, que comptez-vous faire des conclusions rendues par l’IGAS et quels moyens financiers allez-vous mettre en place pour répondre aux préconisations formulées dans son rapport et aux attentes légitimes des femmes et des associations ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)