compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

M. Philippe Nachbar,

Mme Anne-Marie Payet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Discussion générale (suite)

loi de finances rectificative pour 2010

Adoption définitive d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (projet n° 511, rapport n° 513).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Question préalable

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, seules des circonstances exceptionnelles pouvaient conduire le Gouvernement à vous proposer une troisième fois de modifier le budget de l’année en cours.

Vous vous en souvenez, notre précédent rendez-vous était guidé par notre détermination à respecter nos engagements européens. C’est avec le même objectif que nous nous présentons de nouveau devant vous.

Le 7 mai dernier, soit dès le lendemain du vote par le Parlement d’un dispositif de soutien à la Grèce, les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro se sont de nouveau réunis le soir et la nuit pour un Conseil européen un peu exceptionnel – habituellement, les chefs d’État et de gouvernement se réunissent à vingt-sept et non pas à seize – pour demander à la Commission européenne et aux ministres des finances et de l’économie des 27 États membres de l’Union européenne de trouver, dans les plus brefs délais, un mécanisme de nature à assurer la stabilité, l’unité et l’intégrité de la zone euro.

Une telle mobilisation, moins d’un mois après le soutien européen exceptionnel consenti à la Grèce, s’explique évidemment, lui aussi, par des circonstances exceptionnelles.

Les rendements exigés par les marchés à l’égard des États dits « périphériques », et non envers ceux qui appartiennent au cœur de la zone euro, étaient tels que toute demande de financement ou de refinancement de l’un d’entre eux était quasiment impossible.

Ces tensions s’étaient propagées aux marchés interbancaires, qui, de nouveau, présentaient des signes de tension typiques de ceux que nous avions connus lors de la crise financière du mois d’octobre 2008.

Enfin, les marchés boursiers se ressentaient également de cette situation, et l’euro commençait à se déprécier.

C’est pourquoi les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ont demandé aux ministres des finances et de l’économie de l’Union européenne de mettre en place un mécanisme européen de stabilisation destiné à préserver la stabilité financière en Europe. Deux jours plus tard, au terme d’un week-end durant lequel nous avons travaillé à l’élaboration de solutions éventuelles, nous avons décidé, dans la nuit du 9 mai – jour célébrant le centième anniversaire de l’appel de Robert Schuman pour l’Europe ! –, de mettre en place un mécanisme dit à trois « étages ».

Le premier étage, qui comprend une première tranche de 60 milliards d’euros, permet à la Commission européenne de mobiliser, sur le fondement de l’article 122-2 du traité de Lisbonne, des moyens pour venir en aide à un État membre.

Le deuxième étage est constitué, à hauteur de 440 milliards d’euros, de prêts garantis qui peuvent être obtenus sur le marché, puis accordés à des États dans le besoin par le biais du Fonds européen de stabilité financière, le FESF. Ce dernier est un véhicule juridique à détermination très spécifique : le soutien des États membres de la zone euro en difficulté, qui bénéficient de la garantie des États de la zone euro à concurrence de 440 milliards d’euros. C’est cet étage particulier du mécanisme de soutien qui justifie le texte qui vous est soumis aujourd’hui par François Baroin et moi-même.

Le troisième étage, qui complète les deux premiers, correspond à la contribution du Fonds monétaire international, le FMI, accordée à concurrence de 50 % pour tout concours qui serait consenti par le Fonds européen de stabilité financière.

Au total, avec les 60 milliards d’euros prévus au premier étage, les 440 milliards d’euros programmés, au deuxième étage, sous forme de prêts garantis au titre du FESF et un potentiel supplémentaire de 50 % de tous les montants mobilisés, inscrit au troisième étage, ce sont, optimalement, 750 milliards d’euros qui pourraient être rassemblés pour soutenir les États membres en difficulté de la zone euro.

Quid du Fonds européen de stabilité financière ?

Tout d’abord, nous sommes convenus qu’il était préférable de le soumettre au droit luxembourgeois, dans la mesure où il recourra aux services et au soutien administratif de la Banque européenne d’investissement, qui, de tout temps, a été régie selon le droit du Luxembourg.

Le conseil d’administration de cet établissement comprendra un représentant de chacun des États membres de la zone euro, et les principales décisions afférentes au fonctionnement du fonds, notamment aux décaissements, seront prises à l’unanimité des membres.

La constitution de ce fonds, ses règles de gouvernance et les principes généraux qui le guident ont été débattus et sont bien évidemment le résultat d’un compromis.

Les modalités juridiques de création et de fonctionnement de ce fonds sont en cours de finalisation, en lien avec la Commission européenne, et je vous tiendrai bien sûr informés, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’achèvement des travaux.

Sachez-le, pour s’assurer que l’assistance et les prêts du Fonds européen de stabilité financière permettront à l’État bénéficiaire de faire face aux défis économiques et budgétaires auxquels il est confronté, nous avons exigé – et cela figurera dans le véritable pacte d’actionnaires que passeront ensemble les États membres du FESF – que l’octroi de ces financements s’accompagne de conditionnalités très strictes, négociées entre l’État qui souhaite bénéficier du soutien de ce fonds, la Commission, le FMI et, bien sûr, la Banque centrale européenne.

C’est dans ces conditions que nous avons mis en place les mécanismes de conditionnalité et de suivi avec l’État grec, et c’est selon ces mêmes modalités que nous souhaitons faire fonctionner ce fonds. D’ailleurs, pour ceux qui s’en souviennent, le fonds que nous avions institué pour soutenir les établissements financiers à l’occasion de la crise d’octobre 2008 fonctionnait un peu selon les mêmes conditions.

Par ailleurs, le FESF bénéficiera de garanties apportées par l’ensemble des États membres de la zone euro, à l’entité elle-même et à chacune des émissions que celui-ci réalisera sur les marchés. Je précise – c’est un point important – que les garanties des États membres ne sont pas conjointes et solidaires : chacun apportera une garantie individuelle et proportionnelle à sa quote-part dans le capital libéré de la BCE, augmentée, à titre conventionnel, de 20 %.

Cette majoration volontaire vise à prendre en compte le fait qu’un ou plusieurs États pourraient ne pas participer au mécanisme. Il convient donc de majorer la part de chacun des États membres pour prendre en compte cette éventualité. Cette majoration devrait également faciliter une bonne notation de chacune des émissions.

Il va sans dire que la garantie ouvre droit à rémunération des États membres octroyant celle-ci, à l’instar du mécanisme mis en place dans le cadre du plan français de soutien aux banques ou du mécanisme du prêt que nous avons consenti à la Grèce.

Quel est le montant de la quote-part de la France ?

Selon le mode de calcul que nous avons retenu – c’est ce que l’on appelle « la clé BCE » –, la part détenue par la Banque de France dans le capital libéré de la BCE s’élève à 92 milliards d’euros. Cette garantie sera majorée de 20 %, pour prendre en compte les éventualités que j’ai évoquées tout à l'heure. C’est donc une somme de 111 milliards d’euros que nous sollicitons au titre de la mise en place du Fonds européen de stabilité financière. À cet égard, je laisserai à mon collègue François Baroin le soin de vous expliquer l’impact de cette mesure sur le solde budgétaire et la trésorerie de l’État.

L’autre disposition essentielle de ce projet de loi de finances rectificative concerne le FMI, auquel, tirant les enseignements de la crise, nous souhaitons octroyer des moyens supplémentaires.

À l’occasion du G20 de Londres, les chefs d’État et de gouvernement avaient décidé d’augmenter considérablement les ressources du Fonds monétaire international – à hauteur de 500 milliards de dollars –, sous la forme d’une contribution additionnelle aux nouveaux accords d’emprunt qui lient le FMI et certains de ses membres, telle que révisée à la suite de l’assemblée d’avril 2010.

Or, comme elle l’a fait valoir depuis le début de la crise, la France doit avoir un comportement exemplaire dans la traduction, au niveau national, de cet engagement du G20.

À l’instar de nos partenaires, nous nous sommes engagés à prendre, dans cette contribution additionnelle, une part conforme à notre participation au FMI, soit 18,7 milliards de droits de tirage spéciaux ou l’équivalent de 21 milliards d’euros environ.

Le projet de loi de finances rectificative que nous soumettons à votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs, vise à traduire cet engagement de la France. La mise en œuvre de celui-ci doit être d’autant plus rapide que le FMI, concerné par le troisième étage du mécanisme européen de stabilisation, pourrait avoir besoin de mobiliser les sommes prévues dans le cadre de la mise en jeu du Fonds européen de stabilité financière.

Tels sont, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais vous apporter.

En outre, je tiens à remercier tout particulièrement M. le rapporteur général pour la qualité de son rapport.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je vous remercie, madame la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre. J’ai notamment été très sensible à l’ensemble des considérations relatives aux CDS, les credit default swaps, et aux CDS souverains, qui, on s’en souvient, ont alimenté un certain nombre des difficultés rencontrées sur les marchés, notamment au regard de la crise grecque. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a quelques semaines, vous avez adopté un projet de loi de finances rectificative visant à permettre un prêt de la France à la Grèce. Aujourd’hui, Christine Lagarde et moi-même vous présentons un nouveau projet de loi de finances rectificative, approuvé très récemment par l’Assemblée nationale, projet qui tend notamment à autoriser la France à participer au mécanisme européen de stabilité financière que les pays de la zone euro viennent d’adopter. Nous sommes très heureux de représenter le Gouvernement devant vous pour évoquer cet important sujet.

C’est à nous, membres de la zone euro, de donner à cette période complexe, faite de tensions, la marque que nous souhaitons lui imprimer. C’est donc à nous d’agir et de prouver la solidarité de la zone euro, en dépit du scepticisme de certains. En effet, les plus pessimistes considèrent peut-être cette période comme un obstacle majeur, voire un constat d’échec de la construction européenne. Mais ceux dont Christine Lagarde et moi-même, avec l’ensemble du Gouvernement, faisons partie pensent au contraire que cette épreuve est l’occasion d’un resserrement durable des liens entre les pays européens.

Certes, on constate des incertitudes et des faiblesses dans l’Europe que nous avons construite, mais nous ne devons pas pour autant nous décourager. Au contraire, nous devons saisir cette occasion, car c’est le fait de prendre conscience des difficultés qui permet d’avancer. L’histoire est jalonnée de telles crises, qui ont permis de renforcer la construction européenne.

Les tensions sur les marchés financiers menacent la stabilité, l’unité et l’intégrité de la zone euro. Le mécanisme que nous vous présentons aujourd’hui vise à les contrer. La France agit de façon solidaire, car attaquer un pays de la zone euro, c’est s’en prendre aux États membres dans leur ensemble et s’exposer à une réponse ferme et déterminée, ce que propose le plan.

Les difficultés rencontrées par la Grèce ont indiscutablement joué un rôle de révélateur, en mettant en évidence l’absence de dispositif permettant de venir en aide à un État membre de la zone euro en difficulté financière. Les marchés auraient pu spéculer sur une possible contagion de la crise grecque au sein de la zone euro. C’est la raison pour laquelle les États de la zone euro ont voulu avec force se prémunir d’une telle éventualité. Ne pouvant se contenter du sauvetage au cas par cas, ils ont donc adopté une approche globale et coordonnée.

C’est dans un esprit de responsabilité et d’exemplarité que les chefs d’État et de gouvernement européens ont agi. Début mai, ils ont choisi de doter l’Europe de moyens financiers importants, mobilisables en cas de besoin par l’ensemble des pays membres de la zone euro. La réponse européenne fait d’ailleurs partie d’un ensemble plus vaste de résolutions visant à tirer les leçons de la crise grecque. Les États membres sont ainsi convenus d’assurer rapidement la consolidation des finances publiques et la mise en œuvre de réformes structurelles. C’est donc tout un dispositif qui permettra à l’Union européenne d’améliorer la gouvernance économique européenne.

Comme Mme Christine Lagarde l’a évoqué tout à l’heure avec le talent qu’on lui connaît, nous avons souhaité que le mécanisme européen repose sur deux piliers, l’un communautaire et l’autre intergouvernemental. Par ailleurs, ce projet de loi de finances rectificative vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de tirer les conséquences de l’accord du G20 visant à octroyer de nouvelles capacités d’emprunt au FMI.

Des épisodes successifs de tensions sur les marchés financiers expliquent la mise en place de ce mécanisme européen de stabilisation financière. Le volet communautaire permettra à l’Union européenne de mobiliser jusqu’à 60 milliards d’euros, tandis que le volet intergouvernemental prendra la forme d’un fonds européen de stabilité financière.

Vous le savez, ce projet de loi vise aussi à octroyer de nouvelles capacités d’emprunt au FMI, pour lui permettre, en cas de besoin, de participer au mécanisme de stabilisation. À cet égard, je souhaite apporter une précision : il nous est apparu plus cohérent, politiquement plus sincère à l’égard de la représentation nationale et plus marquant de présenter conjointement le plan de soutien à la zone euro et le renforcement des ressources du Fonds monétaire international.

Par ailleurs, ce nouveau projet de loi de finances rectificative ne modifiera aucun des équilibres budgétaires fixés lors du dernier collectif. Les ressources et les charges de l’État demeurent inchangées ; le solde budgétaire reste par conséquent à son niveau actuel, soit moins 152 milliards d’euros. Toutefois, la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, que nous appliquons nous impose de passer par une loi de finances. Ainsi, une transparence totale sera assurée en ce qui concerne les engagements de l’État.

Par ailleurs, il n’y a pas de modification du tableau de financement, et donc pas de modification du programme d’émission français.

Plusieurs raisons expliquent cette absence d’impact budgétaire du projet de loi. Tout d’abord, le volet communautaire relève de l’Union européenne. Quant au fonds européen de stabilité financière, il s’agit d’une garantie, donc avant tout d’un dispositif de précaution à vocation dissuasive, dont la mise en œuvre devrait être exceptionnelle. Il ne pourrait y avoir d’impact budgétaire qu’en cas d’appel effectif de la garantie, c’est-à-dire en cas de défaut de remboursement d’un État bénéficiaire. Enfin, le relèvement de la contribution de la France au FMI, conformément aux Nouveaux accords d’emprunt, n’aura pas d’incidence sur le solde budgétaire. Des mécanismes de compensation entre l’État et la Banque de France permettent en effet d’assurer la neutralité de cette opération.

Je rappelle, en guise de conclusion, que l’Europe a déjà traversé nombre d’épreuves ; il a fallu beaucoup de recul, mais aussi de détermination pour y faire face. Il est évidemment de la responsabilité de la France, comme de celle des autres États membres, de continuer à tracer le chemin que nous avons encore à parcourir ensemble.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouirais de voir que ces convictions sont aussi les vôtres. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord permettez-moi de dire que notre commission retrouve toujours avec grand plaisir le ministre du budget pour l’examen d’une loi de finances rectificative.

Mme Nathalie Goulet. Elle en a quelques occasions !

Mme Nicole Bricq. On n’arrête pas !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut s’en réjouir, mes chers collègues, car plutôt que de voter, à la fin de l’année précédente, un document théorique et de le laisser vivre, il est préférable que le Parlement soit associé aux événements et aux choix. Et mieux vaut, dans les périodes difficiles, avoir des rendez-vous réguliers dans l’hémicycle avec le ministre du budget.

Mme Nicole Bricq. Il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas de crise financière !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Madame le ministre de l’économie, je voudrais, au début de ce bref exposé, vous dire toute l’admiration que beaucoup d’entre nous éprouvent pour la manière dont vous exercez vos fonctions, en particulier le volet international de ces dernières, compte tenu des événements exceptionnels que nous vivons et de la nécessité où vous êtes de représenter la France, de négocier sans cesse, de trouver le juste équilibre dans ce monde si périlleux. Je crois, mes chers collègues, que nous pouvons, s’agissant d’une tâche aussi délicate, aussi lourde de responsabilités, remercier et féliciter Mme la ministre pour la manière dont elle nous représente toutes et tous. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Le projet de loi que nous examinons vise à autoriser l’État à garantir un dispositif opérationnel au plus vite. À cet égard, soulignons notre réactivité, puisque nous serons le deuxième État dont le Parlement approuvera ce plan de stabilité financière de l’Europe et de l’euro. L’Allemagne s’étant déjà livrée à cet exercice législatif, il nous appartient maintenant de le faire, pour que l’accord intergouvernemental du 9 mai dernier puisse se traduire dans les faits.

Vous avez bien voulu, madame, monsieur le ministre, nous présenter les grandes lignes de ce dispositif. Je rappelle que l’entité ad hoc pourrait émettre jusqu’au 30 juin 2013 et à concurrence de 440 milliards d’euros. Notre garantie, accordée à hauteur de 111 milliards d’euros, viendrait s’ajouter aux autres garanties déjà allouées, notamment celles qui ont été créées dans le cadre de la crise financière.

Permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, qu’au 31 décembre 2009, la dette garantie de la France s’élevait à 150 milliards d’euros, dont 108 milliards d’euros au titre des mesures de soutien à l’économie et au secteur financier adoptées en octobre 2008.

Le dispositif que vous nous proposez, madame, monsieur le ministre, est adapté aux circonstances. Il est surtout porteur d’un changement profond et indispensable de la gouvernance de la zone euro.

Les marchés, ces dernières semaines, se sont efforcés d’introduire des différenciations, d’enfoncer un coin entre les différents États membres de la zone euro. Normalement, celle-ci devrait être considérée comme un tout : l’euro est une seule et même monnaie, et les émissions de titres souverains des États membres de la zone devraient bénéficier d’une crédibilité unique.

Or le comportement des opérateurs et la réalité des marchés ont abouti ces dernières semaines à des différenciations croissantes, qui constituent une grave menace à laquelle il a fallu répondre sous la forme de l’accord intergouvernemental du 9 mai dernier, qui engendrera un changement profond. En effet, même si les États qui participent à l’accord intergouvernemental n’apportent pas de garanties conjointes et solidaires, il n’en reste pas moins que le principe de solidarité financière entre les États membres de la zone euro est réaffirmé. En d’autres termes, le « centre » se porte garant pour la « périphérie », celle-ci ayant vocation à converger avec le centre pour que la zone euro retrouve une seule et même crédibilité.

Nous le savons, madame le ministre, ce dispositif n’est pas encore parfait. Les éléments de mise en œuvre sont toujours en cours de négociations, mais il n’est pas indispensable de connaître la conclusion effective et juridique de ces dernières pour souscrire à la garantie qu’il nous est demandé d’autoriser.

J’en viens aux aspects un peu plus structurels de toute cette affaire. Je voudrais vous convier, mes chers collègues, à quelques instants de réflexion sur une double crise, celle de l’Europe, mais aussi celle de la confiance en l’Europe. Agissant comme un révélateur, elle est l’enfant de la crise financière et économique qui a commencé en 2007, avant de prendre le tour dramatique que nous connaissons en 2008. Elle projette une lumière crue qui renvoie les États membres à leurs responsabilités. Après avoir créé et assumé la zone euro et l’euro, ils ont pour mission de les faire vivre dans la durée.

Nous le savons bien, nous n’avons pas le choix : il nous faut redevenir totalement maîtres de notre monnaie et des conditions de sa crédibilité.

Il n’est pas acceptable que des intervenants de marché, des agences de notation soient en situation de sanctionner des États soit parce que ceux-ci sont trop laxistes, soit parce qu’ils sont trop rigoureux. Pour autant, je ne veux pas incriminer ces opérateurs, ces intermédiaires ou ces agences de notation, dont il sera question dans le projet de loi de régulation bancaire et financière que le Sénat examinera prochainement, car, aussi imparfait soit-il, le thermomètre n’est pas responsable de la température ! Les données qu’il affiche, si cruelles soient-elles, sont bien le signe d’un mal qu’il faut combattre.

C’est pourquoi nous devons veiller à rétablir ensemble les conditions d’une confiance qui nous permette d’aller de l’avant pour sortir de la crise. À cette fin, nous devons prendre rapidement des mesures concrètes et crédibles.

Incontestablement, les esprits évoluent. J’en veux pour preuve les propositions de la Commission européenne et du groupe Van Rompuy en faveur d’un « semestre européen ». Même si, sur le plan technique, on ne sait ce que recouvre très précisément cette notion, on devine néanmoins l’orientation qu’elle sous-tend.

Ces propositions font écho à nos débats internes sur la trajectoire des finances publiques et la crédibilité des engagements de la France.

Madame, monsieur le ministre, l’ensemble de ces éléments conduisent la commission des finances à réaffirmer quatre principes.

Premièrement, l’Eurogroupe doit être renforcé. S’il doit se doter d’un secrétariat susceptible de travailler en lien étroit avec la commission, encore convient-il de préciser que la zone euro est d’abord l’affaire des pays ayant adopté l’euro comme monnaie unique, et, très secondairement à mon sens, celle des autres États membres, c'est-à-dire de ceux qui n’ont pas voulu s’astreindre à cette discipline et à cette association.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. L’Eurogroupe n’est pas une maison de tolérance ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Le renforcement de l’Eurogroupe représente un enjeu absolument fondamental, car lui seul peut exercer une fonction de surveillance mutuelle et multilatérale.

Mes chers collègues, selon qu’on estime qu’un gouvernement devrait soumettre son projet de budget à la Commission ou bien que l’on considère qu’un État membre de la zone euro a le devoir de jouer le jeu vis-à-vis des autres États membres de ladite zone, et donc accepter de se livrer à un processus itératif, à des allers et retours, à des consultations, les enjeux diffèrent considérablement. Le premier terme de cette alternative n’est pas acceptable du point de vue de la souveraineté des États, tandis que le second est, au contraire, la conjugaison logique des engagements déjà pris.

Deuxièmement, nous devons lever les doutes qui existent – et ils perdureront si nous n’agissons pas – dans l’esprit des acteurs de marché sur les données comptables des États. De ce point de vue, les États sont comme des entreprises : de même qu’un opérateur ne peut intervenir sur un marché sans respecter les normes comptables internationales, un État ne peut s’affranchir des règles en la matière. La situation dramatique de la Grèce nous rappelle cette règle de base, s’il en était besoin.

Mme Nicole Bricq. Il n’y a pas que le Grèce !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Les petits compromis, les appréciations complaisantes,…

M. Philippe Marini, rapporteur général. … les astuces, la créativité permettent sans doute de vivre au jour le jour, mais ils minent la confiance. La création d’une sorte d’autorité européenne des normes comptables, ainsi que le préconise la commission, permettrait d’objectiver cette surveillance multilatérale que j’évoquais plus haut et garantirait à l’ensemble de nos interlocuteurs extérieurs que le budget – et, peut-être, à terme, les éléments patrimoniaux – de chacun des États membres de la zone euro fait l’objet d’un examen et d’un contrôle rigoureux, garantie de la stabilité.

Troisièmement, les prévisions macroéconomiques qui servent de base à l’élaboration des documents financiers, des lois de programmation budgétaire, des lois de finances, des lois de financement de la sécurité sociale doivent être à la fois homogènes et, à terme, incontestables.

Madame, monsieur le ministre, le taux de croissance ne doit plus être un outil de communication politique, ce qu’il n’aurait d’ailleurs jamais dû être.

Mme Nicole Bricq. Nous l’avons souvent dit !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous l’avez fait, comme les autres !

Mme Nicole Bricq. Vous avanciez encore cet argument lorsque nous examinions le projet de suppression de la taxe professionnelle !

M. François Marc. Cela fait huit ans que vous dites cela !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Chacun doit faire son autocritique. Ces sujets doivent échapper aux débats partisans. Ils sont beaucoup trop fondamentaux pour que nous nous échangions des quolibets à leur égard !