M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah bon ?
M. Aymeri de Montesquiou. ... nombre de discriminations risquent de demeurer impunies, accroissant ainsi le délitement du tissu social.
On peut comprendre les arguments de rationalisation et d’économies budgétaires.
Malgré certains excès qui peuvent survenir, et qu’il est nécessaire de corriger, la HALDE dispose de tous les outils lui permettant de lutter efficacement pour l’égalité et contre les discriminations de toutes natures. Son indépendance en fait un aiguillon utile des pouvoirs publics, mais aussi de toutes les personnes privées. Je crains que le respect qu’elle a su acquérir ne se dissolve, car le Défenseur des droits fera figure de grande machine bureaucratique immobile. La lutte contre les discriminations que nous menons risque ainsi de perdre de nombreuses années.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, de maintenir la HALDE comme autorité indépendante.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les amendements identiques nos 37 et 60 rectifié tendent à limiter la création du Défenseur des droits à une constitutionnalisation du Médiateur de la République, ce qui est contraire à l’article 71-1 de la Constitution. Si nous les adoptions, il y aurait sanction du Conseil constitutionnel pour incompétence négative. Par conséquent, je ne peux qu’émettre un avis totalement défavorable sur ces deux amendements.
Il en va un peu différemment des amendements identiques nos 24 rectifié quater et 68 rectifié, qui visent à maintenir le Défenseur des enfants en dehors du périmètre du Défenseur des droits.
Le projet de loi organique qui est aujourd'hui soumis au Sénat tend à intégrer le Défenseur des enfants au Défenseur des droits. La commission des lois a souscrit à cet objectif, sous réserve de plusieurs améliorations qui ont été très largement inspirées par Mme Dominique Versini, Défenseur des enfants.
Tenant compte des éléments fournis par cette dernière, la commission a adopté plusieurs amendements.
Un premier amendement visait à mentionner, dans les compétences du Défenseur des droits, le respect des engagements internationaux relatifs aux droits de l’enfant.
Un deuxième amendement tendait à prévoir que le Défenseur des droits conduit des actions de communication pour défendre et promouvoir les droits de l’enfant.
Un troisième amendement avait pour objet de compléter et renforcer la composition du collège chargé d’assister le Défenseur en matière de droits de l’enfant, afin de garantir un examen pluridisciplinaire de chaque dossier.
Enfin, un dernier amendement visait à prévoir la nomination par le Défenseur des droits d’un adjoint vice-président du collège, chargé de la défense des droits des enfants, afin de permettre une bonne identification de la compétence et une représentation au plan international.
Ces modifications donnent au Défenseur des droits les moyens d’assurer efficacement la défense et la promotion des droits des enfants. Le système proposé assure donc, comme celui qui existe actuellement, accessibilité, lisibilité et transparence.
J’ajoute que le Défenseur des droits ayant une compétence générale, rien ne lui interdit de défendre également les droits des enfants, même si le Défenseur des enfants est maintenu. Par conséquent, à terme, le risque est d’aboutir à une situation bizarre de conflits de jurisprudence entre les deux autorités. Or, bien évidemment, ce sera l’autorité constitutionnelle qui l’emportera sur l’autorité administrative.
M. Nicolas About. Supprimez le juge des enfants !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cette situation me paraît aléatoire et dangereuse. C’est la raison pour laquelle je demanderai aux auteurs de ces deux amendements identiques de bien vouloir les retirer, faute de quoi la commission sera contrainte d’émettre un avis défavorable.
L’amendement n° 3, quant à lui, est contraire à la position de la commission, qui a choisi de donner explicitement au Défenseur des droits la compétence en matière de lutte contre les discriminations.
La lecture du premier alinéa de l’article 4 du projet de loi organique montre d’ailleurs que cette lutte fait partie de la compétence générale du Défenseur des droits.
La commission des lois s’est donc limitée à préciser que, dans ce domaine, le Défenseur des droits pourrait être saisi de réclamations mettant en cause des personnes privées, par des associations agissant conjointement avec des victimes de discrimination.
Je rappelle que cette extension de compétence est prévue par l’article 71-1 de la Constitution,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Explicitement !
M. Patrice Gélard, rapporteur. …par renvoi à la loi organique.
Par ailleurs, la lutte contre les discriminations s’inscrit au cœur de la protection des droits et libertés, car les discriminations sont des atteintes intolérables au principe d’égalité. Il semble donc indispensable que cette mission soit confiée à la nouvelle autorité constitutionnelle, qui bénéficiera d’une visibilité et d’un poids institutionnel que n’a pas la HALDE.
L’attribution au Défenseur des droits de compétences en matière de lutte contre les discriminations est non pas un recul, mais une avancée. Je rappelle que le collège défini par la commission sera aussi indépendant que celui de la HALDE, dont il reprend largement la composition. Il sera saisi de tous les dossiers de discrimination.
En outre, je tiens à faire une mise au point au sujet des récents propos tenus par Mme la présidente de la HALDE, aux termes desquels le Défenseur des droits décidera seul de l’opportunité ou non d’instruire des dossiers et sans avoir à se justifier, alors que la HALDE instruirait tous les dossiers. Ces propos sont doublement erronés.
Tout d’abord, la HALDE, comme toutes les autorités administratives indépendantes, ne traite que les dossiers recevables. Ainsi, en 2009, sur 10 545 réclamations, elle en a instruit 1 552, soit 16,6 % ; elle en a rejeté 7 231 et réorienté 1 043.
Ensuite, la HALDE n’est pas tenue d’indiquer les motifs du rejet des réclamations.
En revanche, s’agissant du Défenseur des droits, la commission des lois a tenu à préciser, à l’article 20 du projet de loi organique, et contrairement à ce que prévoyait le texte initial, que le Défenseur devrait indiquer les motifs pour lesquels il décide de ne pas donner suite à une saisine. La commission a ainsi voulu que le Défenseur des droits soit une autorité transparente, puissante et efficace.
La lutte contre les discriminations mérite mieux que les polémiques et les approximations que l’on entend depuis deux semaines : elle requiert une mobilisation énergique et forte. C’est ce que souhaite la commission des lois en confiant cette mission au Défenseur des droits.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 3.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Je ne reviendrai pas sur l’analyse amendement par amendement à laquelle M. le rapporteur vient de procéder, avec beaucoup de précision et de compétence.
Comme nous avons tous pu le constater au cours de notre vie politique, qu’elle soit nationale ou locale, il est toujours très difficile de faire évoluer les choses et, surtout, de modifier des habitudes. Pour autant, reconnaissons avec modestie que notre rôle est d’appliquer la volonté du constituant, que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs ; je n’en serai pour ma part que plus modeste.
Qu’a souhaité le constituant ? Il a voulu moderniser, renforcer une institution de défense des droits et des libertés et lui faire faire un « saut qualitatif », comme je l’indiquais tout à l’heure.
C’est la raison pour laquelle il a souhaité créer, à la différence des actuelles autorités administratives, une autorité constitutionnelle. Je souligne en ma qualité de garde des sceaux que sa vocation est très large. Elle pourra probablement intégrer également d’autres autorités, et ce de façon progressive et pragmatique. En effet, comme je vous l’ai indiqué, cela implique, pour certaines autorités, soit une évolution de leur domaine d’action, soit une distinction de leurs différentes compétences.
En tout état de cause, nous avons voulu instaurer une autorité dotée d’un pouvoir bien plus important.
Bien entendu, je suis également attentive aux remarques relatives à l’existence de publics particuliers, qui ont besoin d’un interlocuteur proche d’eux, auquel ils puissent s’identifier, confier plus facilement leurs problèmes et s’en remettre pour leur défense.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement – et la commission a encore amélioré le projet de loi organique sur ce point – a voulu confier la défense d’un certain nombre de droits et libertés à l’autorité constitutionnelle.
J’en viens à la défense des droits des enfants. Comme l’a indiqué M. le rapporteur, je rappelle que le Défenseur des droits a une compétence générale concernant tous les droits et libertés. Par conséquent, même si une autorité telle le Défenseur des enfants existe à ses côtés, le Défenseur des droits pourra intervenir dans le champ de compétences du Défenseur des enfants.
M. Nicolas About. C’est pareil pour la CADA et pour la CNIL !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. On aboutirait alors à une situation où l’on aurait un Défenseur des enfants, autorité administrative aux compétences limitées de par la loi, face à un Défenseur des droits, qui pourra intervenir dans le même domaine avec tous les pouvoirs que lui confère son statut constitutionnel. Il se poserait, on le voit, un vrai problème d’autorité des uns et des autres.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable aux amendements identiques nos 37 et 60 rectifié, aux amendements identiques nos 24 rectifié quater et 68 rectifié, ainsi qu’à l’amendement n° 3.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 37 et 60 rectifié.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le rapporteur, madame le garde des sceaux, selon vous, l’adoption de ces amendements nous ferait sortir du cadre constitutionnel. C’est à voir !
L’article 71-1 de la Constitution dispose : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. » Il n’indique à aucun moment que tous les champs possibles des manquements des administrations doivent être transférés dans les compétences du Défenseur des droits. Aucune compétence minimale ou maximale n’est visée.
Monsieur le rapporteur, nous avons en effet la volonté de constitutionnaliser le Médiateur de la République, et c’est une constante de notre part. Mais je ne vois pas en quoi ce serait inconstitutionnel !
La loi organique peut attribuer des compétences au Défenseur des droits, mais ce n’est pas une obligation. Si ce dernier devait se voir transférer toutes compétences en matière de défense des administrés face à l’administration, vous auriez dû étendre son champ d’intervention en y incluant les attributions détenues par la CADA, la CNIL ou d’autres autorités indépendantes. Vous ne l’avez pas fait, et je ne sais d’ailleurs pas comment vous pourriez couvrir tous les domaines.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter ces deux amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage les propos tenus par M. Peyronnet. Conserver un champ de compétences propre à certaines autorités n’a rien d’inconstitutionnel. Selon notre logique, une telle démarche va de pair avec l’obligation imposée au Défenseur des droits, lorsqu’il est saisi, de transmettre à l’autorité compétente les réclamations contre telle ou telle atteinte aux droits. Une harmonisation en la matière est donc parfaitement possible.
D’ailleurs, comme l’a dit notre collègue, si l’on suit le Gouvernement et la commission, le Défenseur des droits entrerait d’ores et déjà en concurrence, si l’on peut dire, avec la CNIL, la CADA, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Par conséquent, l’argumentation qui nous est opposée n’est pas justifiée, et nous maintenons l’amendement n° 37.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour explication de vote.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame le garde des sceaux, s’agissant de la HALDE, il n’y a pas encore d’habitude, mais on peut parler de maturité et de bonne notoriété.
Monsieur le rapporteur, j’oublierai dans mes propos les arguments présentés par le constitutionnaliste Guy Carcassonne.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tant mieux !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous sommes une assemblée politique. Je crains que la dissolution de la HALDE ne soit perçue comme un recul, alors même que les tensions discriminatoires risquent de s’accroître.
C’est la raison pour laquelle il me paraît important que la HALDE conserve son autonomie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Dans une révision constitutionnelle, il y a le texte définitif, mais aussi les travaux préparatoires. Vous en conviendrez, monsieur Badinter, il est important de savoir dans quel esprit est faite la révision.
Dès le départ, il était question de regrouper des autorités. L’objectif n’était pas du tout de constitutionnaliser le Médiateur. D’ailleurs, tous les ombudsmans ou Défenseurs du peuple, dans la mesure où ils sont constitutionnels, ont des pouvoirs bien plus importants que des autorités administratives indépendantes comme le Médiateur, aussi admirable que soit son action, qui s’est d’ailleurs renforcée depuis quarante ans.
Au-delà de la médiation, le Défenseur des droits aura, notamment, le pouvoir d’injonction. Ce n’est pas le cas du Médiateur, même si, en réalité, il a largement étendu son pouvoir d’influence. Nous avons d’ailleurs adopté des dispositions législatives à la suite de ses constatations, que nous étions d’ailleurs très heureux de prendre en compte.
Comme l’ont dit Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur, il ne s’agit pas seulement d’une constitutionnalisation du Médiateur. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a conclu une convention avec le Médiateur. Demain, les personnes privées de liberté pourront saisir le Contrôleur, mais aussi le Défenseur des droits, par exemple pour des problèmes de dysfonctionnements administratifs ou de discrimination.
En revanche, la situation générale dans les prisons relève des fonctions importantes du Contrôleur général des lieux privatifs de liberté. D’ailleurs, il s’agit bien du Contrôleur général des lieux, sur le modèle britannique, et non d’un contrôleur tout court. Sa fonction est non pas d’examiner systématiquement des réclamations, mais d’étudier la situation dans les lieux de privation de liberté.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, monsieur Peyronnet. Pour avoir été également rapporteur de ce texte, je sais exactement ce qu’il en est !
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou CNIL, dont il a été question, émet des autorisations ou des avis en matière de traitement de fichiers. Dans ce cas, il ne s’agit pas seulement de défense des droits, mais aussi de régulation.
M. Nicolas About. Elle devrait être totalement intégrée !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certains veulent extraire des compétences que la Constitution donne au Défenseur des droits pour les ramener à des lois particulières. À l’inverse, la constitutionnalisation risque de renforcer le pouvoir de toutes ces institutions.
Il faut s’efforcer, comme l’a fait M. le rapporteur, de conserver toutes les spécificités possibles au sein du Défenseur des droits.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. J’écoute toujours M. Hyest avec beaucoup d’intérêt. Parfois nous sommes d’accord, parfois non.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n’avez pas voté la Constitution !
M. Bernard Frimat. Monsieur le président de la commission, si vous souhaitez m’interrompre, je vous laisse volontiers continuer, mais la façon dont vous créez le trouble ne vous ressemble pas ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pardonnez-moi, mon cher collègue !
M. Bernard Frimat. Vous avez fait allusion à la révision constitutionnelle. Sa défaillance initiale est de ne pas avoir défini le périmètre du Défenseur des droits.
M. Peyronnet vous a lu l’article 71-1 de la Constitution, que vous reprenez d’ailleurs dans le premier alinéa de l’article 4 de votre texte.
Si le Conseil constitutionnel, selon le raisonnement de M. le rapporteur, devait invoquer l’incompétence négative en considérant que nous nous limitons à la constitutionnalisation du Médiateur de la République, pourquoi ne l’invoquerait-il pas également pour les autres autorités indépendantes que vous n’avez pas incluses dans le périmètre du Défenseur des droits ? Ce dernier en comprend quatre selon votre projet, mais peut-être faudrait-il considérer qu’il devrait idéalement en inclure six ou sept ?
On le voit, votre argument n’est pas pertinent. Il est non pas juridique, mais de circonstances !
Concernant le Défenseur des enfants, vous invoquez la compétence générale du Défenseur des droits. La Constitution dispose que le Défenseur des droits intervient dans toute la sphère publique, et elle renvoie à la loi organique pour définir les conditions d’exercice de son pouvoir. Mais la Constitution ne donne au Défenseur des droits aucun pouvoir dans la sphère privée. Par conséquent, la compétence générale pourra s’appliquer à la sphère publique, mais non à la sphère privée.
Si nous nous en tenons à cet élément, nous pouvons très bien suivre la proposition visée par les amendements identiques nos 24 rectifié quater et 68 rectifié sur lesquels nous allons nous prononcer tout à l'heure, qui est moins ambitieuse que la nôtre.
Pour conclure, je suis tout à fait prêt à entendre des raisonnements juridiques, mais si l’on évoque une incompétence négative qui n’existe pas à mes yeux, je me permets d’émettre un avis légèrement différent. Mais le Sénat tranchera dans le sens que nous savons !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 37 et 60 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 24 rectifié quater et 68 rectifié.
M. Nicolas About. Je ferai deux remarques.
Tout d’abord, on a cru nécessaire de mettre en place le juge des enfants. Cela ne date pas d’hier, l’ordonnance de 1945 l’a fait en matière pénale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et en matière civile !
M. Nicolas About. Les compétences ont été étendues en matière civile le 23 décembre 1958, monsieur le président de la commission.
Il s’agissait de protéger les mineurs en danger. La complexification du droit rendait nécessaire une spécialisation des magistrats dans ce domaine.
Mais les choses changent : le Défenseur des droits devient un être tellement compétent et surhumain qu’il pourra tout prendre en charge ! Pourtant, comme l’écrit Guy Raymond, « le juge des enfants n’est ni un psychiatre ni un assistant de service social. Il est et demeure un juge. »
Or le Défenseur des droits ne sera pas un juge ; il sera plus que cela : il sera un avocat aux multiples facettes. Il devra défendre le droit, préparer l’avenir, s’occuper de cas particuliers et assurer un suivi avec ses équipes départementales.
Par ailleurs, l’argument de la compétence générale, que l’on oppose au maintien du Défenseur des enfants en dehors du périmètre du Défenseur des droits, se retourne contre la logique de vouloir laisser les autres grandes autorités indépendantes.
D’ailleurs, le Défenseur des droits concerne non pas uniquement les personnes physiques, mais aussi les personnes morales.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. J’interviendrai plus particulièrement sur la question du Défenseur des enfants et je soutiendrai le point de vue de M. Portelli.
Je ferai d’abord un rappel. Tout ce qui concerne le droit des enfants a une spécificité particulière, à l’échelon aussi bien national qu’international. C’est une exigence qui dépasse les considérations juridiques. Je consacre d’ailleurs, à la demande de l’UNICEF, un temps considérable à lutter pour la sauvegarde et « l’amélioration » de la condition des mineurs incarcérés dans d’autres pays que le nôtre.
Cela étant rappelé, l’idée selon laquelle la révision constitutionnelle impose la disparition de toutes les autorités indépendantes est fausse : il ne s’agit pas d’une compétence obligatoire. Certes, il est possible de le faire, mais le doit-on ?
La réponse avancée par M. Portelli rappelle que le Défenseur des enfants est né d’une obligation internationale indiquant que cette mission doit être exercée par un organe spécial.
Ce ne sera pas le cas du Défenseur des droits, qui a sous son autorité différents services spécialisés, mais qui n’a pas lui-même ce caractère de spécialité.
La conséquence est aisée à tirer : il faut mettre de part le Défenseur des enfants, qui a une vocation particulière et trouve son assise dans un texte international prévoyant un organe spécial. L’obligation de l’absorber dans le cadre de la fonction de Défenseur des droits ne résulte pas du texte de la Constitution. D’ailleurs, au départ, le projet de loi et le rapport de M. Gélard laissaient de côté d’autres autorités indépendantes.
Par conséquent, la conclusion s’impose d’elle-même. Pour des raisons évidentes, s’agissant de la spécificité de la protection des enfants et de son importance essentielle au regard de notre droit et des obligations humaines, il faut laisser vivre et survivre le Défenseur des enfants !
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Je ferai une remarque technique. L’amendement dont nous discutons vise à supprimer l’alinéa de la loi organique qui prévoit les attributions du Défenseur des droits en matière de droit des enfants.
Dans ce cas, l’argument selon lequel le Défenseur des droits conserverait une compétence générale tombe, puisque nous supprimons ses compétences en matière d’enfance, qui reviendront au Défenseur des enfants. Le Défenseur des droits conservera le reste de ses compétences hormis celles-ci.
J’ajoute aux propos tenus par M. Badinter que, si cet amendement n’était pas adopté, il y aurait non pas simplement un contrôle de constitutionnalité sur la loi organique, mais également un contrôle de conventionalité.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Ma remarque aura un caractère réconfortant.
Dans cette assemblée, nous avons tous le même but : assurer de la façon la plus efficace la protection et la promotion des droits de l’enfant. En revanche, nos avis divergent sur le choix de la méthode la plus appropriée.
En relisant le rapport de M. Gélard, en particulier le tableau de la page 44, auquel j’ai fait allusion lors de la discussion générale, j’ai comparé les pouvoirs du Défenseur des droits à ceux du Défenseur des enfants. Sur nombre de points, concernant notamment la transaction, la présentation d’observations devant les juridictions ou la saisine de l’autorité disciplinaire, j’ai constaté une disproportion entre les pouvoirs du Défenseur des enfants et ceux du Défenseur des droits qui sont très supérieurs.
Je redoute simplement que notre volonté de mieux faire ne nous conduise finalement à adopter des dispositions allant à l’encontre de l’objectif que, globalement, nous partageons tous.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je regrette évidemment que le Sénat n’ait pas voté notre amendement précédent, identique à celui du groupe socialiste, car il aurait donné un autre caractère à l’organisation de la défense des droits.
Force est de constater que, tout en ayant chacune leur spécificité, les différentes autorités sont plus ou moins directement liées au pouvoir régalien de l’État.
Si certaines instances, notamment dans le domaine du droit des étrangers, telles que la CNDS ou la HALDE, sont saisies abondamment aujourd’hui et si elles ont été amenées à émettre de nombreuses observations, c’est parce qu’au contact du terrain, elles ont pris une certaine indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. C’est là un point qui me tient particulièrement à cœur.
À l’évidence, je plaide également en faveur du maintien de la spécificité du Défenseur des enfants. La situation particulière des mineurs, dans le domaine de la justice entre autres, ne cesse d’être remise en cause en France et sur le plan international. Refuser de rayer d’un trait de plume la spécificité du Défenseur des enfants serait un bon signe de notre part.
Je voterai donc ces amendements.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je répondrai à toutes ces interventions, en commençant par le cas de la CNIL et de la CADA, maintes fois citées.
Ces deux instances, je tiens à le préciser, disposent d’un pouvoir de sanction. Ce n’est pas le cas du Défenseur des droits, qui est donc un organisme différent.
Par ailleurs, ces deux institutions exercent un rôle spécifique de régulation, en matière de réutilisation des données publiques, pour la CADA, en matière de fichiers, pour la CNIL.
Leurs pouvoirs sont très étendus et diffèrent de ceux, de médiation ou de défense, du Défenseur des droits.
J’ai également entendu que la spécificité de la défense des enfants disparaîtrait. Ce n’est pas le cas ! Au contraire, avec le Défenseur des droits, elle est maintenue dans son intégralité.
Par ailleurs, aucune convention internationale n’impose l’instauration d’un organisme spécifique pour assurer la défense des enfants. En matière de justice, le président About l’évoquait, la spécificité n’existe plus ni en appel ni en cassation ; elle subsiste simplement au niveau de la première instance.
Monsieur Portelli, la lecture de l’article 3 de la loi du 6 mars 2000 est éclairante : « Lorsqu'une réclamation mettant en cause une administration, une collectivité publique territoriale ou tout autre organisme investi d'une mission de service public présente un caractère sérieux, le Défenseur des enfants la transmet au Médiateur de la République ». Il est étonnant de constater que la procédure est la même, sauf que la réclamation est transmise au Défenseur des droits.
En réalité, tous les arguments qui ont été énoncés successivement n’ont pas de véritable fondement, si ce n’est le choix de certains de maintenir, en dehors du Défenseur des droits, le Défenseur des enfants.
Cette position est parfaitement défendable, mais les arguments prétendument techniques ne sont pas recevables, car il s’agit d’un choix politique ! Le dispositif du Défenseur des droits satisfait en revanche tous les critères techniques. Ce n’est pas la peine d’aller chercher plus loin.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 rectifié quater et 68 rectifié.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe de l'Union centriste et, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)