M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parce qu’est absolument nécessaire un contrôle extérieur indépendant qui tienne compte des spécificités des domaines en jeu, mon groupe émettra, en l’état, un vote négatif sur ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, nous franchissons une étape supplémentaire dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions importantes issues de la dernière révision constitutionnelle.
Ce texte fait partie des quelques dispositions législatives d’application de la révision de 2008 non encore examinées par le Parlement.
Je saisis l’occasion qui m’est donnée pour rappeler qu’un important texte d’application n’a toujours pas, à ce jour, été déposé sur le bureau du Parlement, près de deux ans après l’adoption de la révision constitutionnelle.
Comme le soulignent les membres du comité de réflexion présidé par M. Édouard Balladur dans leur récent rapport La réforme institutionnelle deux ans après, le projet de loi sur le référendum d’initiative partagée n’a toujours pas été déposé sur le bureau du Parlement.
J’en viens aux textes que nous examinons aujourd'hui. C’est sur l’initiative du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, que l’appellation « Défenseur des droits » a finalement été retenue et non celle de « Défenseur des droits des citoyens », comme le prévoyait le projet initial de loi constitutionnelle.
Ainsi, l’article 71-1 de la Constitution crée un Défenseur des droits, auquel toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public pourra adresser une réclamation.
Le Défenseur prend la suite d’une institution née en 1973, le Médiateur de la République, dont le succès ne s’est jamais démenti.
Il est aujourd’hui incontestable que cette institution a contribué à l’amélioration des relations entre les administrations et les citoyens. Durant toutes ces années d’activité, elle a traité plus de 750 000 réclamations et a émis plus de 750 propositions de réformes.
Parmi celles qui ont abouti en 2010, on peut citer la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dont nous débattions dans cet hémicycle il y a à peine quelques mois.
Il était important de rappeler ce succès, et plus généralement la popularité de cette institution, pour mieux mesurer l’importance de celle qui doit la remplacer, d’autant plus que le Défenseur des droits est une institution qui a vocation à aller bien au-delà de ce qu’était le Médiateur de la République.
En 2008, le Constituant a fait le choix de regrouper des autorités administratives indépendantes dont les missions étaient voisines, afin de consolider leurs attributions en les confiant à une autorité constitutionnelle dotée de pouvoirs renforcés.
Comme l’a rappelé notre excellent rapporteur, la commission des lois de notre assemblée a continué sur cette voie, allant plus loin que ce que prévoyait le texte déposé par le Gouvernement : elle a en effet décidé que le Défenseur des droits devrait reprendre l’intégralité des pouvoirs dévolus à la HALDE.
Ainsi, le Défenseur des droits sera compétent pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié par la France.
Je me félicite de l’initiative proposée par notre rapporteur concernant la HALDE. Je suis persuadé que ce rattachement ira dans le sens d’un renforcement de la lutte contre les discriminations.
Je me permets toutefois, monsieur le rapporteur, de regretter que la CADA ne fasse pas partie des autorités intégrées. Pour quelle véritable raison s’oppose-t-on à ce que ses missions soient reprises dès maintenant par le Défenseur des droits ?
Je souhaite revenir sur l’un des points important de la réforme : la saisine directe du Défenseur des droits.
L’article 4 du projet de loi organique permet à toute personne, physique ou morale, qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une personne publique ou par une personne investie d’une mission de service public, de saisir le Défenseur.
Ce dernier peut également connaître d’agissements de personnes privées lorsque ceux-ci sont de nature à mettre en cause la protection des droits d’un enfant ou qu’ils constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité.
On constate ici une autre différence par rapport au Médiateur : le Constituant a souhaité étendre le champ de compétence du Défenseur à la sphère privée. Par conséquent, la mission qui lui est confiée par la Constitution lui permet de traiter des réclamations mettant en cause des personnes privées.
La mise en place d’une saisine directe a pour objet de supprimer le filtre parlementaire obligatoire, dont chacun reconnaît qu’il est devenu obsolète au fil des ans.
L’article 7 dresse la liste des autorités publiques qui peuvent être amenées à saisir le Défenseur des droits par des voies de saisine complémentaires. Parmi celles-ci, certaines ont une réelle légitimité, d’autres apparaissent superflues, voire en contradiction avec la saisine directe.
Il me paraît utile que les membres du Parlement puissent, de leur propre initiative, saisir le Défenseur des droits d’une question. De même, il est légitime que le président de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat puisse transmettre au Défenseur toute pétition dont l’assemblée a été saisie.
En revanche, qu’un député ou un sénateur puisse continuer à transmettre au Défenseur une réclamation individuelle alors que le texte instaure une saisine directe m’apparaît problématique.
Comment ne pas craindre de voir apparaître, dans les faits, deux types de réclamations, de poids différents, avec, d’un côté, les réclamations simples et directes et, de l’autre, celles qui sont présentées par un parlementaire ? D’autant que la commission a souhaité préciser que le Défenseur serait tenu d’informer les parlementaires des suites données à leurs transmissions : une telle modalité ne fait, à mon sens, que renforcer un peu plus le poids des réclamations transmises par un parlementaire par rapport à celles qui seraient adressées par voie directe.
Cette voie de saisine complémentaire ne me semble pas apporter de réelle plus-value. Elle risque, au contraire, de dévaloriser la saisine directe du Défenseur.
Pour toutes ces raisons, je vous présenterai un amendement visant à supprimer la possibilité pour un parlementaire de transmettre au Défenseur une réclamation individuelle pour un tiers, ce qui ne l’empêchera pas, bien entendu, d’en déposer une en son nom propre.
Le deuxième point sur lequel ce texte me paraît critiquable concerne le Défenseur des enfants, qui a été institué par la loi du 6 mars 2000. Le projet de loi organique prévoit son absorption par le Défenseur des droits. Or sa suppression risque d’avoir des conséquences néfastes, au regard tant des engagements internationaux de la France que de l’efficacité et, cela me semble plus important, du niveau de protection des droits des enfants.
La dilution du rôle du Défenseur des enfants dans celui du Défenseur des droits affecterait l’accessibilité ainsi que la lisibilité de l’institution aux yeux de ceux qui me sont les plus chers, les enfants. Aujourd’hui, le Défenseur des enfants est une autorité parfaitement identifiée et accessible directement aux enfants, qui ont ainsi un interlocuteur visible, reconnu, spécialement chargé de la défense et de la promotion de leurs droits.
Le Défenseur des enfants serait désormais remplacé par un simple adjoint, placé sous l’autorité directe du Défenseur des droits et n’ayant aucune autonomie d’initiative et de décision.
Je constate que nombre des pays qui ont conféré un rang constitutionnel à un ombudsman général, et cela depuis longtemps, ont, malgré tout, conservé un défenseur chargé des droits des enfants. J’ai défendu cette position durant des années au Conseil de l’Europe. C’est pourquoi il m’a semblé indispensable, par souci de cohérence et par conviction, de présenter un amendement visant à sortir le Défenseur des enfants du périmètre de la nouvelle entité qu’est le Défenseur des droits.
Pour finir, je tiens à saluer le travail réalisé par notre rapporteur, Patrice Gélard, qui a su apporter de nombreuses améliorations de fond à ce texte de mise en œuvre de la dernière révision constitutionnelle.
Je terminerai mon propos en rappelant l’une d’elles : le texte adopté par la commission des lois intègre une disposition prévoyant que le Défenseur des droits devra établir un règlement intérieur et un code de déontologie. Cette innovation, dont je me félicite, aura notamment pour objet d’éviter tout conflit d’intérêt et reflète, une fois encore, la qualité du travail réalisé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, il ne me paraît pas anodin de rappeler que ce projet de loi organique relatif au Défenseur des droits s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Le Défenseur prend place au côté d’autres innovations majeures adoptées par le Constituant pour renforcer la protection des droits et libertés dans notre pays. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut à tout le moins citer la faculté pour le justiciable de contester la conformité à la Constitution de la loi qui lui est appliquée à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction ou l’ouverture à ce même justiciable de la saisine disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.
La création du Défenseur des droits répond au même souci de renforcer la protection des droits fondamentaux, ce qui explique notre étonnement, pour ne pas dire notre frayeur rétrospective, lorsque nous nous remémorons combien le vote du Congrès de l’été 2008 avait été serré.
Désormais, dans la nébuleuse des autorités administratives indépendantes – ces objets juridiques non identifiés, pour reprendre l’expression de Patrice Gélard –, l’une d’entre elles brillera d’un éclat tout particulier en sa qualité d’autorité constitutionnelle de protection des droits.
Si l’on suit la commission, le Défenseur des droits reprendra les compétences du Médiateur de la République, autorité administrative indépendante qui est incontestablement la plus appréciée du grand public par son ancienneté et par le nombre et la qualité de ses interventions. Je ne peux d’ailleurs manquer de mentionner ici le rôle éminent joué par l’actuel titulaire de cette charge, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean-René Lecerf. Mais le Défenseur reprendra également les compétences de la CNDS, du Défenseur des enfants et de la HALDE.
Il n’est guère contestable que la multiplication, voire la prolifération, des autorités administratives indépendantes pose aujourd’hui problème. Certaines d’entre elles, notamment les autorités de régulation, suscitent des interrogations en termes de démocratie.
En effet, comment le Gouvernement, qui est censé disposer de l’administration, pourrait-il endosser devant le Parlement la responsabilité d’autorités administratives indépendantes sur lesquelles il n’exerce, par hypothèse, aucun pouvoir de contrôle ?
D’autres, comme celles qui veillent à la protection de certains droits et libertés, inquiètent en raison de leur dispersion, dispersion qui ne peut manquer d’induire des effets pervers en termes d’efficacité, d’enchevêtrement des compétences et de coût.
Nous savons bien qu’il en allait ainsi jusqu’à présent pour les autorités dont le texte, modifié par les amendements de notre rapporteur, envisage le regroupement, et cela en dépit de l’unanime bonne volonté des uns et des autres.
Dans ces conditions, il importe de se poser deux questions aussi simples qu’essentielles.
D’une part, ce regroupement se traduira-t-il, même de manière infinitésimale, par une diminution des pouvoirs relevant jusqu’alors du Défenseur des enfants, de la CNDS ou de la HALDE, et donc par une régression en termes de protection des droits et libertés ?
D’autre part, l’institution du Défenseur des droits se limitera-t-elle à une mesure de simplification, au demeurant déjà opportune, ou permettra-t-elle de notables avancées dans tous les domaines relevant de sa compétence ?
Dans le remarquable rapport de notre collègue Patrice Gélard, un tableau répond à la première question bien mieux que ne pourrait le faire une longue argumentation. Ce tableau comparatif des pouvoirs du Défenseur des droits et de ceux des autorités de défense des droits et libertés qu’il remplace nous montre que, sur l’ensemble des pouvoirs et attributions, la solution maximale a été retenue.
Il en va ainsi pour les recommandations, tant en droit qu’en équité, pour la publication d’un rapport spécial, après recommandation et injonction non suivies d’effets, pour la transaction, pour la présentation d’observations devant les juridictions, pour la saisine de l’autorité disciplinaire, pour la demande d’avis au Conseil d’État, pour l’interprétation de dispositions législatives et réglementaires, etc.
Bref, dans tous les cas de figure, les pouvoirs sont portés à leur niveau maximal. Pour permettre au défenseur des droits d’assumer dans les meilleures conditions ses compétences et d’assurer une identification rapide par l’opinion publique de ses différents secteurs d’intervention, la commission des lois a, sur proposition de son rapporteur, largement précisé l’organisation interne de cette nouvelle institution.
Le Défenseur nommera ses adjoints, dont trois seront respectivement chargés de le seconder en matière de déontologie de la sécurité, de défense et de promotion des droits de l’enfant et de lutte contre les discriminations. Leur nomination sera soumise à l’avis des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat.
De même, il sera le président de chacun des trois collèges chargés de l’assister dans ses compétences spécifiques, dont la composition et le mode de désignation s’inspirent des règles actuellement en vigueur.
Ne peut-on, dès lors, interpréter la multiplication des réticences largement exprimées ces dernières semaines comme l’expression de la volonté, somme toute compréhensible, de toute institution à se pérenniser en l’état ?
Comme l’écrivait un ancien candidat à la présidence de la République, plus connu pour ses talents d’écrivain et de poète, Alphonse de Lamartine, « borné dans sa nature, infini dans ses vœux, l’homme est un dieu déchu qui se souvient des cieux ».
Alors peut-être recherche-t-on parfois dans les institutions l’immortalité à laquelle on ne peut prétendre dans notre nature humaine. Cela expliquerait que, de la CNDS au défenseur des enfants, de la HALDE au juge d’instruction, du département à la région ou du pays au schéma de cohérence territoriale, il soit finalement si difficile dans notre pays de toucher à quoi que ce soit !
J’en viens à ma seconde question. Je suis convaincu que l’avènement du Défenseur des droits marquera un saut qualitatif au regard de l’état actuel de notre ordonnancement juridique. Cette évolution tiendra notamment au surcroît d’autorité morale et de prestige dont disposera cette nouvelle autorité constitutionnelle et à sa capacité à imposer ses décisions.
J’éprouve le plus grand respect et la plus grande estime, cher Jean-Claude Peyronnet, pour la qualité du travail de la CNDS. Mais quand, après avoir pris connaissance de ses avis particulièrement pertinents, par exemple sur l’attitude de tel surveillant de prison, le rapporteur pour avis du budget de l’administration pénitentiaire que je suis constate que le même surveillant exerce toujours dans le même établissement avec les mêmes responsabilités, je ne puis m’empêcher de penser que notre appareil juridique a tourné à vide.
M. Richard Yung. Et ça va changer ?
M. Jean-René Lecerf. Qui peut imaginer que, demain, l’intervention du Défenseur des droits restera ainsi lettre morte ?
Mes chers collègues, bien des points pourraient encore être abordés. Quoi qu’il en soit, je rejoins totalement notre rapporteur, tant dans son souhait de ne pas intégrer le champ de la CNIL, notamment en raison de l’aspect technologique de sa mission, à celui du Défenseur des droits – tout en suggérant pour l’avenir l’absorption de la CADA par la CNIL – que dans sa décision de ne pas y intégrer, au moins à moyen terme, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Lorsque, en partie d’ailleurs grâce à l’action de ce dernier, l’univers carcéral sera digne des valeurs de la République, il sera temps de se demander si le rôle du Contrôleur général, qui est de veiller non seulement au respect des droits des personnes détenues, mais aussi à l’amélioration des conditions de détention, peut être fondu dans celui du Défenseur des droits.
Enfin, vous ne vous étonnerez pas que j’approuve sans réserve la consécration du principe d’autonomie budgétaire du Défenseur des droits, qui me rappelle un autre combat du Sénat et de sa commission des lois, concernant le Conseil supérieur de la magistrature.
Je formulerai deux dernières remarques.
Je souhaite, premièrement, appeler votre attention, mes chers collègues, sur le rôle essentiel joué par les délégués du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants et de la HALDE. Leur implication participe pour beaucoup aux résultats incontestables de ces autorités. Veillons à conserver leur grande souplesse de fonctionnement. N’oublions pas non plus qu’ils exercent leur activité à titre bénévole et qu’ils ne perçoivent qu’une indemnité représentative de frais.
Deuxièmement, je souhaite que, à l’occasion du vote de ces deux textes, un point puisse être fait sur les implantations immobilières des autorités administratives indépendantes, dont la localisation sacrifie trop souvent au superflu plutôt qu’elle ne répond au nécessaire. Autant les crédits alloués au Défenseur des droits devront additionner ceux des précédentes autorités, autant toute économie dans la mise à disposition des locaux permettra d’abonder les moyens de travail de l’institution. Cette remarque vaut d’ailleurs aussi pour bien d’autres autorités indépendantes.
Je ne voudrais pas achever cette intervention sans féliciter une fois encore notre rapporteur pour l’excellence de son travail et la détermination qu’il a mise à opérer les meilleurs choix pour la défense des droits, ni sans remercier le président la commission des lois d’avoir su ménager, naguère, en sa qualité de rapporteur du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, une importante marge d’appréciation au législateur organique. Il en a été fait bon usage dans la mise en place de ce Défenseur des droits, en qui je me plais aussi à voir l’avènement de l’ombudsman à la française que nous étions nombreux, depuis des décennies, à appeler de nos vœux.
Le groupe de l’UMP apportera donc tout son soutien au projet de loi organique et au projet de loi ordinaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame le ministre d'État, mes chers collègues, instituer un Défenseur des droits procède d’un postulat selon lequel la Constitution de 1958 n’offre pas de garanties suffisantes en matière de protection des droits et des libertés. Est-ce si exact que cela ? Personnellement, je ne le crois pas : les droits sont garantis et protégés par l’autorité judiciaire !
La dénomination « Défenseur des droits » est d’ailleurs curieuse. Il aurait mieux valu, n’en déplaise à notre cher président de la commission des lois, parler de Défenseur des libertés, car, pour défendre des droits, encore faut-il pouvoir sanctionner leur violation. Or le Défenseur des droits n’aura aucun pouvoir de coercition.
Mais il y a plus grave. La réforme proposée vaut en fait condamnation implicite de nombreuses autorités indépendantes. Pourtant, rien ne donne à penser qu’elles ont démérité, au contraire ; j’en veux pour preuve qu’elles sont de plus en plus sollicitées.
Le regroupement arbitraire – pourquoi les unes et pas les autres ? – sous une même autorité de compétences par nature différentes et obéissant à des logiques divergentes n’offrira pas les mêmes garanties de visibilité et risquera d’aboutir à une dilution des compétences. Cette décision n’était donc pas indispensable, monsieur le rapporteur, même si je tiens à saluer le travail que vous avez accompli.
La Constitution ne fixant pas de périmètre pour les pouvoirs du Défenseur des droits, il vous était loisible d’y mettre ce que vous vouliez. En sus des pouvoirs prévus par le Gouvernement, vous y avez donc inclus la HALDE. Pourquoi ne pas y avoir ajouté la CADA, la CNIL ou le Contrôleur général des lieux de privation de libertés ? J’ai une petite idée sur la réponse, mais nous y reviendrons tout à l’heure.
En attendant, je limiterai mon intervention à la suppression du Défenseur des enfants, qui est absolument inacceptable. La personne de l’enfant doit en effet être prise en compte en tant que telle. Or cela ne sera plus le cas.
Contrairement à ce que l’on pense souvent, dans une société de plus en plus injuste et égoïste comme l’est la société française, les enfants ne sont épargnés ni par la maltraitance ni par l’exploitation sexuelle. Tous ceux qui, de près ou de loin, s’occupent de la protection de l’enfance le savent.
Eh bien, désormais, les enfants ne trouveront plus l’oreille attentive que la loi du 6 mars 2000 leur avait offerte. C’est un recul par rapport aux engagements internationaux de la France, qui a été l’une des premières à ratifier la convention internationale des droits de l’enfant, comme par rapport à la convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant, adoptée à Strasbourg le 25 janvier 1996 et ratifiée par notre pays le 1er août 2007.
À ce jour, le Défenseur des enfants a traité environ 20 000 réclamations. Le nombre de saisines a même été en augmentation de plus de 10 % ces dernières années, ce qui prouve que l’institution a trouvé ses marques. D’ailleurs, 8 % des saisines émanent des mineurs eux-mêmes et un quart d’entre elles concerne des enfants âgés de onze à quinze ans. Ces chiffres prouvent bien que l’institution est connue et reconnue, notamment par la population concernée. Or je doute fort qu’autant de réclamations concernant des enfants arrivent jusqu’au Défenseur des droits.
Il est en effet à craindre que cette nouvelle institution, dont l’appellation ne correspond pas au vocabulaire que connaissent les enfants, fasse perdre sa spécificité à une instance qui a su prouver son efficacité et assurer sa visibilité.
Le texte tel qu’il est rédigé est en net recul par rapport aux missions actuelles du Défenseur des enfants, qui défend non seulement les enfants, mais également les droits qui leur sont attribués par la loi et par les conventions internationales auxquelles nous avons souscrit. En outre – et c’est peut-être là que le bât blesse le plus –, cette institution est appelée à donner son avis sur les différents projets de loi et décrets relatifs à la protection de l’enfance et au statut des enfants.
La France, comme je viens de le dire, a été l’un des premiers pays à ratifier la convention internationale des droits de l’enfant et à avoir mis en place cette autorité. Alors que quatre-vingts pays l’ont suivie en créant des autorités spécialement dédiées aux droits des mineurs, le dernier en date étant la Fédération de Russie, en 2009, notre pays fait aujourd’hui marche arrière !
C’est d’autant plus affligeant que, le 22 juin 2009, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU rendait un rapport dans lequel il notait les avancées de la France, mais où il pointait aussi ses insuffisances en l’invitant « à continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants […] et à lui allouer les ressources financières et humaines suffisantes […] ». Ce même comité avait d’ailleurs noté, en 2002, que l’accès des enfants aux organismes susceptibles de protéger leurs droits était en général limité. Il est vrai que, depuis 2002, des progrès ont été accomplis à cet égard.
Quoi qu'il en soit, les recommandations des deux Défenseures des enfants que nous avons connues ont permis des évolutions législatives notables sur plusieurs points : l’accès des familles à leur dossier d’assistance éducative, l’accès des individus à leurs origines, la lutte contre les mariages forcés en élevant l’âge du mariage des jeunes filles de quinze à seize ans, la prise en charge des mineurs en zone d’attente.
Les Défenseures des enfants successives ont émis des critiques contre la loi relative à la prévention de la délinquance, qui instaure des peines planchers. Elles ont également pointé les graves dysfonctionnements de la France en matière de traitement des mineurs étrangers isolés et des familles étrangères retenues dans des centres de rétention administrative.
La disparition programmée de la Défenseure des enfants, à moins que le Sénat n’ait un sursaut de dignité, mes chers collègues, comme celle de la CNDS et, grâce à M. Gélard, de la HALDE paraissent donc en cohérence avec une volonté très actuelle de limiter au maximum l’influence de certains contre-pouvoirs. Il faut croire que leur indépendance dérange le pouvoir en place...
En fait, le Gouvernement prend le prétexte d’une réforme constitutionnelle qui ne l’y obligeait nullement pour faire disparaître des institutions indépendantes qui le dérangeaient. Trois institutions, qui sont autant d’exemples, sont supprimées : la CNDS, qui pointe chaque année les manquements des autorités de police et de gendarmerie ; la HALDE, qui a pris position contre les tests ADN – ils ont d’ailleurs été abandonnés depuis – ; la Défenseure des enfants, qui a critiqué la situation des mineurs étrangers en détention.
Si toutes les autorités indépendantes qui ont des compétences en matière de libertés individuelles avaient été regroupées sous la seule entité constitutionnelle du Défenseur des droits, alors oui, peut-être, la situation aurait été différente. Mais tel n’est pas le cas. Il faut donc bien l’admettre : le texte qui nous est présenté ne peut pas être voté en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, nous sommes enfin saisis, près de deux ans après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, de la création de ce qui était présenté par les laudateurs de la réforme comme l’une des pierres angulaires de celle-ci, à savoir la création du Défenseur des droits.
Je regrette qu’il nous ait fallu attendre aussi longtemps pour débattre de cette institution, comme d’ailleurs de nombreux autres textes d’application de la révision de 2008. Ce retard, aussi fâcheux que récurrent, nous a déjà obligés à proroger le mandat des membres du Conseil supérieur de la magistrature et, pour ce qui a trait au Défenseur des droits, celui du Médiateur de la République.
Cette situation est d’autant plus singulière que le Défenseur des droits doit constituer la première autorité indépendante dont l’existence est constitutionnellement garantie et que son domaine d’intervention est au fondement de ce qui fait notre République. Nous proposerons d’ailleurs par l’un de nos amendements de solenniser davantage cette autorité dans la Constitution.
L’évolution et l’extension en quelques décennies des formes de l’action administrative dans notre pays ont fait surgir des problématiques nouvelles, mettant en jeu le statut du simple citoyen face à une machine bureaucratique aux rouages parfois impénétrables. La création, puis la multiplication des autorités administratives indépendantes, les fameuses AAI, ont précisément eu pour objet de répondre à ce besoin d’une nouvelle régulation des relations entre administration et administrés, à la recherche de modes non contentieux de résolution des litiges.
À cet égard, le champ des droits fondamentaux est particulièrement balisé par ces autorités administratives indépendantes. Comme le relevait M. Gélard dans son rapport de 2006 consacré à ce sujet, l’hétérogénéité des statuts, des pouvoirs et des missions a toutefois induit la nécessité de mieux harmoniser leurs règles de fonctionnement, leurs garanties d’indépendance et leur contrôle démocratique.
Telle est la philosophie générale qui a présidé à la création du Défenseur des droits, conçu initialement par le comité Balladur comme destiné à se substituer « à l’ensemble des autorités administratives indépendantes qui œuvrent dans le champ de la protection des libertés ».