M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Je vous propose, mes chers collègues, d’adopter sans aucune modification le dispositif de compte épargne d’assurance pour la forêt introduit à l’article 16 bis par la commission.
Alors que la forêt française a souffert de deux séries de tempêtes d’ampleur historique, en 1999 et en 2009, seulement 5 % de sa surface est assurée contre l’incendie et la tempête. Il est donc urgent de trouver une solution pour inciter les propriétaires forestiers à souscrire une assurance qui permette de réduire leurs pertes et, dans le même temps, de limiter le coût pour l’État des grands sinistres forestiers.
Ce dispositif du compte épargne d’assurance pour la forêt est inspiré des travaux de la commission sur l’assurance du risque de tempête sur les forêts, qui a rendu ses conclusions en février 2010. Ont également été prises en compte les propositions des propriétaires forestiers.
Il est délicat d’établir un équilibre entre la nécessité de rendre ce dispositif attractif et le souci d’en limiter le coût pour les finances publiques. Il me paraît essentiel, dans cette perspective, qu’une partie des sommes déposées sur le compte épargne puisse être utilisée pour financer des travaux d’investissement, un montant minimal devant être bloqué sur le compte pour servir à la lutte contre les sinistres.
Le montant du compte épargne d’assurance pour la forêt est limité à 2 000 euros par hectare, avec un plafond global de 50 000 euros : 1 000 euros seront réservés à la lutte contre les sinistres, 1 000 euros pourront être utilisés, à l’issue d’une période de six ans, pour financer la réalisation d’un projet d’investissement forestier.
De plus, la souscription du compte épargne est liée à une obligation d’assurance.
Ces contraintes, importantes, sont justifiées par la volonté d’éviter des effets d’aubaine, mais il convient de ne pas les renforcer davantage.
Par ailleurs, le dispositif comprend une aide au paiement de la prime d’assurance, qui est essentielle compte tenu du niveau prohibitif de cette prime et du rendement financier très faible de la forêt.
En instaurant le compte épargne d’assurance pour la forêt, la commission espère contribuer au développement de l’assurance dans le domaine forestier. Il s’agit d’aider les forestiers à se protéger contre les sinistres tout en respectant un principe de bonne gestion des deniers publics : mieux vaut, pour l’État, favoriser la constitution d’un marché assurantiel que de devoir apporter, à la suite des tempêtes, une aide coûteuse et longue à débloquer.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, sur l’article.
M. Yann Gaillard. Je n’ai rien à ajouter aux propos de M. le rapporteur, que je fais miens sans réserve.
M. le président. L’amendement n° 308, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade, Labarre et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Je ne partage pas tout à fait l’avis de M. Gaillard…
L’article 16 bis, introduit par la commission sur l’initiative de M. le rapporteur, tend à répondre à une situation préoccupante, due à la faible couverture assurantielle de la forêt. Son dispositif serait de nature à pallier l’utilisation marginale par les communes forestières d’un dispositif d’épargne conçu spécifiquement pour la forêt.
Il n’est guère étonnant que le compte d’épargne forestière prévu par la loi n° 2001-602 du 9 juillet 2001 d’orientation sur la forêt n’ait pas de succès. En effet, bon nombre de communes utilisent les bénéfices qu’elles tirent de l’exploitation de leurs forêts pour financer leurs dépenses courantes. Si on les privait de cette ressource, le crédit de trésorerie auquel elles devraient recourir leur coûterait cher. Les communes n’ont donc pas intérêt, en règle générale, à souscrire un compte d’épargne forestière.
Par ailleurs, le régime forestier applicable aux forêts domaniales et communales est censé financer un certain nombre de travaux d’entretien des forêts. Les communes participent donc bien au financement de la prévention des dommages en forêt.
En ce qui concerne la forêt privée, il est vrai que les choses sont plus complexes. Après les tempêtes survenues au cours des dernières années, la question de l’indemnisation de tels sinistres se pose avec acuité. Eu égard à l’ampleur de ces phénomènes, il revient à notre sens à l’État d’intervenir, et c’est d’ailleurs ce qu’il fait.
Le dispositif proposé ne nous satisfait pas, car il entérine un certain désengagement de l’État et tend à instaurer, plutôt qu’un mécanisme de mutualisation des risques, une assurance privée et personnelle.
La dépense fiscale liée à la mise en œuvre du dispositif est faible – de l’ordre de 4 millions d’euros –, l’article 199 du code général des impôts ne concernant que 3 240 ménages ou sociétés. En outre, l’amendement du Gouvernement recentre à juste titre le champ de la mesure.
Cependant, l’accumulation de dépenses fiscales en faveur des forestiers, notamment des plus fortunés d’entre eux, nous pose problème. Je rappelle que les parts des groupements fonciers forestiers sont exclues de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Enfin, nous sommes favorables à l’instauration, au travers d’un fonds de péréquation et de solidarité, d’un système d’assurance obligatoire, sur le modèle de celui qui a trait aux risques agricoles.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons la suppression du présent article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 79, présenté par Mme Des Esgaulx et M. Pintat, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4
Après le mot :
physiques
insérer les mots :
et aux groupements forestiers
II. - Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
ou y avoir son siège social
III. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I et du II ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Les groupements forestiers sont des sociétés civiles à vocation forestière, régies par les articles L. 241-1 et suivants du code forestier et soumises au régime fiscal des sociétés de personnes. Ils ont généralement pour objet de détenir et de conserver des propriétés boisées, et sont principalement constitués au sein d’un même groupe familial afin d’éviter le morcellement de la propriété, génération après génération.
Il importe d’ouvrir à ces sociétés civiles particulières la possibilité de souscrire un compte épargne d’assurance pour la forêt.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Cet amendement vise à ouvrir l’accès au compte épargne d’assurance pour la forêt aux groupements forestiers, qui sont des sociétés civiles auxquelles des particuliers ont transféré leur propriété forestière. Nous savons que ces groupements forestiers permettent, dans certains cas, d’éviter le démembrement des propriétés.
Cette proposition est intéressante, mais je crois préférable de limiter l’accès à ce compte épargne d’assurance, pour l’instant, aux seules personnes physiques. Le bilan prévu à l’avant-dernier alinéa du présent article permettra de déterminer s’il y a lieu d’élargir les conditions d’ouverture du compte épargne.
Je demande donc à Mme Des Esgaulx de bien vouloir retirer son amendement. Il faut expérimenter le dispositif avant d’envisager d’étendre son périmètre, par exemple à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011. À défaut de retrait, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je partage l’avis du rapporteur. L’amendement de Mme Des Esgaulx est intéressant, mais il serait prématuré d’adopter une telle disposition. Mieux vaut, pour l’heure, limiter le champ de ce dispositif assurantiel, quitte à l’élargir ultérieurement en fonction des résultats obtenus.
Je demande également le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
M. le président. Madame Des Esgaulx, l’amendement n° 79 est-il maintenu ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je trouve que l’on manque quelque peu d’ambition ! J’accepte, toutefois, de retirer cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 79 est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
L’amendement n° 656, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. -Alinéas 9 à 11
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« II. Les sommes déposées sur le compte épargne d'assurance pour la forêt sont employées exclusivement pour financer les travaux de reconstitution forestière à la suite de la survenance d'un sinistre naturel d'origine sanitaire, climatologique, météorologique, ou lié à l'incendie, ou les travaux de prévention d'un tel sinistre. Un décret fixe les conditions et modalités d'emploi des sommes concernées. »
II. - Alinéa 14, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
« Tout versement au-delà de la période autorisée de constitution de l'épargne entraîne la clôture du compte.
III. - Alinéas 15 et 16
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. L. 261-4. - En matière de nettoyage et reconstitution, et à compter du 1er janvier 2011 et jusqu'au 31 décembre 2016, l'État pourra prendre en charge, de manière partielle, les conséquences des dommages causés aux surfaces en nature de bois et forêt par les tempêtes d'ampleur exceptionnelle. La prise en charge des dommages accordée pour des surfaces forestières non assurées contre le risque de tempête sera significativement inférieure à celle accordée aux surfaces assurées.
« À compter du 1er janvier 2017, la prise en charge de l'État en matière de nettoyage et reconstitution ne pourra être accordée pour les surfaces forestières non assurées contre le risque de tempête.
IV. - Alinéas 17 à 19
Remplacer ces alinéas par dix alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 261-5. I. Les sommes versées sur le compte épargne d'assurance pour la forêt ainsi que les intérêts capitalisés sur le compte sont indisponibles pendant une période de six ans à compter de l'ouverture du compte.
« II. Par exception aux dispositions du I, les sommes et intérêts mentionnés au même I peuvent être employés au cours de la période de six ans pour financer des travaux de reconstitution forestière à la suite de la survenance d'un sinistre mentionné au II de l'article L. 261-1. Dans ce cas, le titulaire du compte dispose d'un délai de six ans à compter de la date du ou des retraits des fonds pour reconstituer son épargne capitalisée à hauteur du ou des retraits effectués.
« Les sommes et intérêts mentionnés au I peuvent également être employés pour financer des travaux de prévention d'un sinistre mentionné au II de l'article L. 261-1. Dans ce cas, seules les sommes versées depuis plus de six ans sur le compte peuvent être retirées et le titulaire du compte dispose d'un délai de six ans à compter de la date du ou des retraits des fonds pour reconstituer son épargne capitalisée à hauteur du ou des retraits effectués.
« III. Le retrait des fonds est opéré par le teneur du compte dans les conditions prévues au II après vérification des justificatifs présentés par le titulaire du compte.
« Art. L. 261-6. Le compte épargne d'assurance pour la forêt fait l'objet d'une clôture dans les cas suivants :
« 1° les sommes versées sur le compte excèdent les plafonds de versement mentionnées au I de l'article L. 261-2 ;
« 2° la cessation totale ou partielle de la souscription de l'assurance mentionnée au premier alinéa du I de l'article L. 261-1 a pour effet que les sommes versées sur le compte excèdent le plafond de dépôt, exprimé en proportion du nombre d'hectares assurés contre le risque de tempête, mentionné au I de l'article L. 261-2 ;
« 3° les sommes retirées du compte ne sont pas employées pour financer les travaux mentionnés au II de l'article L. 261-1 dans les conditions prévues au II de l'article L. 261-5 ;
« 4° le titulaire du compte cède l'intégralité de la surface de bois et forêt dont il est propriétaire ;
« 5° le titulaire du compte décède. »
V. - Alinéa 20
Remplacer la référence :
L. 261-6
par la référence :
L. 261-7
et remplacer la référence :
L. 261-5
par la référence :
L 261-6
VI. - Alinéa 24
Remplacer la référence :
L. 261-6
par la référence :
L. 261-7
VII. - Alinéa 25
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L'exonération mentionnée au premier alinéa est remise en cause au titre de l'année de survenance de l'un des cas mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 261-6 du code forestier.
VIII. - Alinéa 30
Remplacer les mots :
un g ainsi rédigé :
par les mots :
par deux alinéas ainsi rédigés
IX. - Après l'alinéa 31
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La réduction d'impôt n'est pas applicable aux dépenses mentionnées aux d, e et g payées dans le cadre de l'utilisation de sommes prélevées sur un compte épargne assurance forêt défini aux articles L. 261-1 à L. 261-6 du code forestier. »
X. - Alinéa 36
Supprimer les mots :
mentionnés à l'article L. 122-7 du code des assurances
La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Cet amendement très important a pour objet de recentrer le compte épargne d’assurance pour la forêt exclusivement sur l’assurance en cas de sinistre.
Aux termes de la rédaction établie par la commission, les forestiers ont la possibilité d’épargner soit en vue de faire face à un sinistre, soit pour financer la réalisation d’un projet d’investissement forestier. Or je suis totalement défavorable à l’instauration d’un nouvel avantage fiscal au bénéfice de l’investissement forestier : c’est là un des rares points sur lesquels je suis en désaccord avec M. le rapporteur, mais c’est pour moi une question de principe.
Si nous voulons que ce compte épargne d’assurance pour la forêt fonctionne correctement, il doit être exclusivement dédié à la constitution d’une épargne de précaution devant permettre de faire face à des sinistres. Il ne me semble pas équitable qu’un tel dispositif puisse également servir à financer des investissements : cela pose un vrai problème au regard de la justice fiscale. Il convient donc de le recentrer sur la seule assurance.
On a d’ailleurs pu constater, dans d’autres domaines, que de tels comptes d’épargne destinés à financer l’investissement et assortis d’un avantage fiscal donnaient lieu très souvent à des dérives, notamment à des investissements excessifs ou inappropriés.
Par conséquent, évitons de créer, pour la forêt, un effet d’aubaine qui a pu être observé dans d’autres secteurs d’activité, et recentrons le dispositif sur la seule épargne de précaution en vue d’éventuels sinistres. En l’état actuel des comptes publics et des déficits de notre pays, il me paraîtrait déraisonnable de consacrer ne serait-ce que 1 euro de dépense fiscale à des investissements.
M. le président. L’amendement n° 81, présenté par Mme Des Esgaulx et M. Pintat, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 261-3. - La périodicité et le montant des dépôts sur le compte épargne d'assurance pour la forêt sont libres.
II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Limiter à 2 000 euros par hectare de bois assuré le montant maximal des dépôts sur le compte épargne doit suffire. Selon moi, toute autre condition restrictive serait préjudiciable au développement de l'épargne de précaution dans ce secteur économique.
En effet, dans un secteur où la gestion ne peut être envisagée que sur le long terme, il n'est pas fondé de limiter à six ans la durée pendant laquelle les dépôts sont possibles. Selon le stade de maturité de ses arbres, un propriétaire forestier ne pourra pas forcément dégager des revenus forestiers susceptibles d'alimenter son compte pendant ce laps de temps.
M. le président. L'amendement n° 83, présenté par Mme Des Esgaulx et M. Pintat, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 22
Supprimer les mots :
ne bénéficiant pas de l'exonération mentionné au 23° du même article
II. - Alinéas 23, 24, 25 et 26
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Compte tenu des difficultés à mettre en œuvre la défiscalisation des intérêts produits par le compte épargne d’assurance pour la forêt dans la limite d’un taux de rémunération de 2 %, il est proposé de ne pas retenir cette exonération. Toutefois, les intérêts produits par ce compte seraient soumis au taux de prélèvement libératoire de 18 %.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. L’amendement du Gouvernement n’est pas anodin, et va à l’encontre de la proposition de la commission. Mais ce sera peut-être notre seul point de divergence sur ce texte !
L’amendement du Gouvernement comporte plusieurs dispositions qui, je le crains, risquent de restreindre l’utilisation du dispositif du compte épargne d’assurance pour la forêt, conçu à l’instar de l’assurance récolte, et de porter atteinte à son efficacité.
La vocation prioritaire du compte épargne d’assurance pour la forêt est d’aider à une meilleure protection des forestiers contre les aléas climatiques. Il est important que les forestiers puissent, d’une part, constituer une épargne, et, d’autre part, souscrire une assurance. Toutefois, le dispositif ne pourra fonctionner que s’il est suffisamment attractif. Or ce ne sera pas le cas, à mon avis, si les sommes ne peuvent être utilisées qu’en cas de sinistre, et non pour les investissements. Il convient, comme l’a proposé M. Puech dans son rapport remarqué sur la mise en valeur de la forêt française, de mettre en place un compte épargne consacré à la fois à la protection et à l’investissement en forêt.
Par ailleurs, le Gouvernement propose, par cet amendement, d’inscrire dans la loi qu’en aucune manière l’État n’aidera les propriétaires forestiers non assurés après 2017. Cette disposition ne me paraît guère réaliste, dans la mesure où ce même amendement réduit considérablement l’intérêt du compte épargne d’assurance pour la forêt.
Pour conclure, permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, les conséquences de la tempête Klaus de 2009 sur le prix du bois : la valeur du chargement d’un camion représente 25 euros, le mètre cube étant payé au forestier 0,5 euro ! Le coût du transport est supérieur à la valeur de la marchandise ! Dans ces conditions, croyez-vous, monsieur le ministre, que les propriétaires forestiers peuvent vivre de la vente de leur bois ?
C’est pourquoi j’estime absolument nécessaire que le dispositif ne soit pas exclusivement dédié à l’épargne de précaution, mais puisse également servir à financer des investissements. En conséquence, je préconise le maintien du texte de la commission et j’émets un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement.
Par ailleurs, la commission est également défavorable aux amendements nos 81 et 83 de Mme Des Esgaulx, qui à l’inverse vont plus loin que son dispositif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 81 et 83 ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Par cohérence, je suis bien évidemment défavorable à ces deux amendements.
Je voudrais revenir sur mon seul point de réel désaccord avec la commission, tout en soulignant quel plaisir j’ai eu à travailler avec M. le rapporteur durant toute cette semaine.
M. Gérard César, rapporteur. C’est réciproque !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le dispositif adopté par la commission pose un problème majeur en termes d’équité fiscale. Tous les autres secteurs économiques en crise pourraient demander à bénéficier d’une niche fiscale favorisant l’investissement ! On ne peut singulariser un domaine d’activité de cette façon. Un tel mécanisme ne permettra pas de faire remonter le prix du bois. Je souhaite que ce compte épargne d’assurance pour la forêt ne serve qu’en cas de sinistre. Il convient d’éviter tout effet d’aubaine lié à la possibilité de consacrer 25 000 euros d’épargne défiscalisée à l’investissement. C’est une question de justice !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. N’étant pas encore amnésique, je me souviens, monsieur le ministre, des échanges que nous avons eus avec Mme Lagarde sur ce sujet.
À l’instar du secteur agricole, la forêt mobilise beaucoup de capitaux pour une faible rentabilité. Selon moi, les propriétaires forestiers sont davantage motivés par l’attachement à leur territoire et à une activité traditionnelle que par une recherche de rentabilité financière. Sur ce plan, mieux vaut être actionnaire de L’Oréal ou de LVMH qu’exploitant forestier !
Lors de nos discussions sur l’assurance récolte, nous avons évoqué la dotation pour investissement dont bénéficient depuis longtemps déjà les agriculteurs, ce qui est une très bonne chose. Au nom du parallélisme des formes, nous demandons que le compte épargne d’assurance pour la forêt puisse servir en partie, au bout de six ans, à financer des investissements, dans la limite d’un plafond de 25 000 euros. Cette somme, qui n’est tout de même pas très importante, peut constituer une incitation à investir en vue de préserver notre forêt, à laquelle nous sommes tous très attachés.
J’espère, monsieur le ministre, que nos arguments auront pu vous convaincre et que nous surmonterons ce désaccord. En tout état de cause, nous nous parlerons encore après le vote de cet amendement ! (Rires.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote sur l’amendement n° 656.
M. Didier Guillaume. La situation est quelque peu délicate…
Depuis le début de l’examen de ce texte, nous travaillons au service des agriculteurs, en essayant de faire en sorte de leur assurer un revenu décent. Cependant, notre groupe est plutôt favorable à l’amendement du Gouvernement.
En conséquence, je me demande s’il ne serait pas possible de trouver un moyen terme, comme le suggérait le président Emorine. Faut-il prévoir la faculté d’utiliser une partie d’une épargne défiscalisée pour financer des investissements ? Je ne suis pas certain que ce soit là adresser un bon signal, même s’il faut sortir du cliché du grand propriétaire forestier : dans mon département, la forêt, très morcelée, comprend nombre de toutes petites parcelles.
Vous avez plaidé, monsieur le président Emorine, pour un parallélisme des formes, en évoquant le secteur agricole et l’assurance récolte, mais veillons à ne pas réserver un sort plus favorable aux propriétaires forestiers.
Pour ma part, j’avais envisagé de déposer un sous-amendement visant à inclure dans le champ du dispositif les investissements relatifs à la défense de la forêt contre les incendies. À mon sens, le compte épargne pourrait être utilisé pour financer ce type d’actions.
En tout état de cause, nous nous sentons un peu plus proches de la position du Gouvernement que de celle de la commission. Un compromis est peut-être encore possible, mais si les choses en restent là, la Haute Assemblée votera sans doute dans le sens souhaité par M. le rapporteur. Néanmoins, je ne suis pas sûr qu’il soit souhaitable aujourd’hui d’instaurer une nouvelle mesure de défiscalisation. Cela étant, la navette permettra peut-être de faire évoluer la situation.
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy, pour explication de vote.
M. Philippe Leroy. Je m’exprimerai, à cet instant, avec une certaine gravité.
Il faut bien avoir conscience, monsieur le ministre, que depuis des années nous n’investissons plus dans notre forêt.
M. Gérard César, rapporteur. Et pourquoi ?
M. Philippe Leroy. C’est cette évidence qui fonde à mes yeux notre combat constant, dans cette enceinte, en faveur de la forêt, en particulier pour le maintien de l’Inventaire forestier national dans un cadre neutre, le mettant à même de bien mesurer la valeur écologique et économique de notre forêt. Depuis dix ou vingt ans, le secteur forestier français n’investit pas et vit sur ses acquis. Comme je l’ai déjà indiqué, ce désengagement trouve selon moi son origine dans la disparition du Fonds forestier national. Une donnée tout à fait objective permet d’en prendre la mesure : le nombre de plants achetés et plantés chaque année dans la forêt française. Force est de le constater, la chute est brutale depuis vingt ans : on n’achète plus de plants, on ne reboise plus !
Telle est l’exacte situation : notre forêt est riche… de ses acquis ! À condition de relancer d’urgence l’investissement forestier, on pourrait mobiliser 10 millions de mètres cubes supplémentaires de bois chaque année. La forêt est affaire de long terme. On peut faire des bêtises pendant vingt ans avant d’en constater les effets. C’est un vieux forestier, un vieux praticien qui vous parle. Monsieur le ministre, il m’appartient aujourd’hui de vous mettre en garde contre la chute de la production que l’on constatera dans vingt ans si nous ne recommençons pas à investir. Il faut en prendre conscience, la forêt n’intéresse plus les investisseurs. Même les communes forestières s’en inquiètent.
Monsieur le ministre, la profonde inquiétude que j’éprouve m’amène à soutenir la position, mesurée, de M. le rapporteur. Si la forêt française est actuellement en bon état, c’est parce que les générations précédentes ont fait ce qu’il fallait pour qu’il en soit ainsi. Il revient à la nôtre de prolonger leur action. Il convient de sensibiliser l’opinion au fait que nous devons continuer à investir dans notre forêt si nous voulons qu’elle reste belle. Pour l’heure, notre erreur a été de relâcher l’effort en matière de plantation d’arbres. Étant d’un naturel optimiste, il n’est nullement dans mes habitudes de dramatiser les choses, mais il s’agit là d’un point fondamental pour l’avenir.
Heureusement, la forêt bénéficie d’une énorme inertie, d’une résilience extraordinaire. Elle a surmonté les conséquences de conflits majeurs : je me bornerai à évoquer, à cet égard, les « bois de mitraille » de la Première Guerre mondiale. La forêt est capable de se relever de bien des crises, mais il est urgent de reprendre les investissements.