M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, sur l'article.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt occupe, dans ce grand projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, une place sympathique, quoique marginale ! À cette heure tardive, je me bornerai donc à formuler trois remarques.
Tout d’abord, le projet de loi a repris la proposition originale formulée, il y a peu, dans son discours d’Urmatt, par le Président de République. Celui-ci suggérait que l’Office national des forêts, l’ONF, puisse venir au secours des forêts privées plus ou moins délaissées ou mal entretenues. Or l’idée que la forêt publique, ou son gestionnaire, pourrait apporter son secours à la forêt privée a immédiatement suscité un amendement parlementaire, que l’on a qualifié d’« amendement miroir », suggérant que la forêt privée pourrait, elle aussi, apporter un concours de réciprocité à la forêt publique.
En réalité, il semble difficile de mettre en pratique un tel échange de bons procédés. ..
Le rapporteur, notre collègue Gérard César, a proposé en commission que ces deux mesures nouvelles, et les amendements qui les portaient – l’un gouvernemental, l’autre parlementaire –, soient abandonnées.
Mais voici que le Gouvernement revient à la charge avec l’amendement n° 675, que nous examinerons ultérieurement, visant à faire en sorte que l’ONF puisse intervenir en forêt privée sous mandat de gestion !
Les esprits sont-ils mûrs pour accepter une telle décision ? Je crains que non, ni dans le sens public-privé ni dans le sens privé-public ! On a pu le constater à la lecture des motions vengeresses des syndicats de l’ONF sur le modeste amendement parlementaire que notre collègue Philippe Leroy avait alors déposé, avec mon concours.
Je serais tenté de dire, en modifiant quelque peu un adage agricole bien connu : « Chacun son métier, et les bois seront bien gardés. »
M. Gérard César, rapporteur. Belle formule !
M. Yann Gaillard. Ensuite, les défenseurs de la forêt publique ont ressenti une grande déception en apprenant que la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative avait retenu l’idée de faire remonter une partie des recettes des chambres départementales d’agriculture vers les chambres régionales d’agriculture, sans pour autant décider de l’utilisation de ces recettes dans le sens descendant... Initialement, il avait été prévu que ces recettes serviraient à financer les investissements forestiers prévus dans les plans régionaux.
C’est pourquoi je suis très réservé sur un certain nombre d’amendements tendant à réaffirmer l’autonomie des chambres régionales d’agriculture.
Enfin, il ne faut pas croire que les forestiers publics ne veulent rien changer. Ils partagent l’objectif d’accroître la récolte de bois et sont convaincus que cela passe par des projets associant l’ensemble des acteurs.
Pour mobiliser le bois, il faut mobiliser les hommes ! C'est la raison pour laquelle ces acteurs insistent sur les démarches territoriales et les outils qui ont fait leur preuve, à savoir les chartes forestières de territoire et les plans de développement de massif. Je salue les articles qui insistent sur l’intérêt de ces dispositifs-là.
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. En 2007, le Grenelle de l’environnement donnait lieu à la signature d’un accord historique entre les acteurs forestiers et la société civile : « Produire plus de bois tout en préservant mieux la biodiversité : une démarche territoriale concertée dans le respect de la gestion multifonctionnelle des forêts. » Ainsi, était reconnue la nécessité de mettre au même niveau les fonctions économiques et les fonctions écologiques de la forêt.
Salué en son temps comme « la lumière du Grenelle » par le ministre Michel Barnier, cet accord s’est traduit par l’engagement n° 77 du Grenelle tendant à dynamiser la filière bois tout en protégeant la biodiversité forestière ordinaire et remarquable.
Or force est de constater que cet engagement n’a fait l’objet d’aucune traduction concrète dans ce projet de loi.
En mai 2009, à l’occasion de la visite d’une scierie alsacienne à Urmatt, le Président de la République marquait sa détermination à augmenter la production française de bois. Le texte que nous discutons aujourd'hui semble en effet se contenter d’assurer l’augmentation de la production française de bois.
En mettant en avant le pilier économique du développement durable, ce projet de loi se place en quelque sorte en rupture avec le Grenelle de l’environnement et l’approche équilibrée de la gestion durable dans laquelle se sont engagés les acteurs de la forêt.
La gestion durable est devenue la gestion du « produire plus ».
La gestion forestière durable implique de trouver des équilibres entre les différentes fonctions de la forêt. Ce texte rompt ces équilibres, au mépris des enjeux liés à l’érosion de la biodiversité, alors qu’il existe pourtant des territoires qui aujourd'hui nécessiteraient des démarches spécifiques.
Rappelons que le bois ne représente que 10 % de la valeur économique de la forêt, selon le Centre d’analyse stratégique, dans son rapport intitulé L’approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes.
Il ne s’agit donc pas d’hypothéquer les 90 % restants en compromettant la capacité des forêts à assurer l’ensemble des services environnementaux dont dépendent nos sociétés : la lutte contre les gaz à effet de serre, la protection des sols et des eaux, la prévention des risques naturels, la préservation de la diversité biologique.
Ainsi, malgré l’engagement pris d’enrayer le déclin de la biodiversité, le Gouvernement s’illustre par un total désintérêt pour la question, et ce alors même que l’année 2010 a été déclarée « année internationale de la biodiversité ».
À cet égard, je prendrai deux exemples.
Certes, les plans pluriannuels régionaux de développement forestier et les stratégies locales de développement forestier, les SLDF, introduisent bien une approche territoriale de la proposition du Grenelle, nécessaire à l’appropriation collective des projets, mais ils créent un déséquilibre entre les différentes fonctions de la forêt en consacrant la production de bois comme objectif prioritaire des politiques territoriales.
Ainsi, dans les SLDF, la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux se limite à « garantir la satisfaction de demandes environnementales ou sociales particulières ».
On peut ainsi considérer que les piliers environnementaux et sociaux de la gestion forestière durable sont relégués bien loin derrière le pilier économique.
Enfin, pour ce qui touche aux SLDF, on peut considérer qu’elles sont subordonnées à la mobilisation du bois : c’est contraire à l’article L. 1 du code forestier, qui inscrit la politique de l’État dans le développement durable.
Malheureusement, la loi ne corrige pas le tir, puisque le texte en discussion instaure une territorialisation forestière, confiée aux chambres d’agriculture et aux centres régionaux de la propriété forestière, qui devront déterminer ceux des territoires qui ont un effort de mobilisation à faire en ce qui concerne la quantité de bois à récolter.
Vous l’aurez compris, au moment où nous abordons sa discussion, mon ambition est d’améliorer l’article 15. C’est pourquoi je défendrai des amendements pour tenter de retrouver un certain équilibre et obtenir un texte grenellement compatible. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, sur l'article.
Mme Mireille Schurch. L’article 15 de ce projet de loi prévoit « la mobilisation du bois par une politique forestière rénovée. »
Pourtant, ce projet réclame non plus de produire plus de bois tout en préservant la biodiversité, mais seulement de produire plus de bois. Vous poussez ainsi à récolter du bois dans les espaces les moins accessibles, donc les plus préservés, sans vous soucier des enjeux de la biodiversité, alors que l’année 2010 est justement placée sous le signe de la biodiversité !
Tous les amendements que nous avons déposés sur l’article 15 sont là pour rappeler la multifonctionnalité de la forêt et souligner l’importance de cette nature multiforme pour la protection de l’environnement et de la forêt. Or, ces impératifs de protection, vous les avez simplement écartés de la politique forestière, oubliant par là même que la forêt, tout comme l’alimentation, n’est pas un produit quelconque et ne doit pas être considérée comme tel.
La gestion des forêts publiques par l’Office national des forêts a permis au patrimoine public de bénéficier d’unité et de professionnalisme de gestion dans des conditions qui font de la France l’un des modèles en la matière.
Dans l’Allier, l’ONF gère plus de 27 000 hectares de forêts domaniales ou communales, et aide les propriétaires privés à gérer plus de 35 000 hectares dans le respect des essences, de la régénération naturelle et du temps, aussi, afin d’éviter que ces forêts ne se transforment en bois de chauffage.
Or l’ONF perd peu à peu son rôle d’acteur public, entraîné dans des projets commerciaux et de productivité. Les répercussions sur les missions annexes de l’ONF sont déjà sensibles : moins de personnel et de temps pour l’entretien des voies et des pièces d’eau, pour la gestion et la transmission, pour l’accueil et la sensibilisation, hier gratuits, aujourd’hui payants.
Si vous souhaitez réellement développer la filière bois, il est nécessaire de mettre un coup d’arrêt au démantèlement d’un maillon qui lui est essentiel, l’Office national des forêts. Cessez de faire passer le chiffre, la statistique et l’économie de moyens avant l’intérêt général, avant les missions essentielles de la forêt !
Voilà pourquoi nous sommes opposés à l’amendement du Gouvernement qui réintroduit une disposition, pourtant censurée par la commission de l’économie, préfigurant la privatisation de l’ONF, à l’instar de ce qui a été fait pour La Poste.
Nicolas Sarkozy nous dit qu’il faut produire plus de bois, et que la forêt privée française est sous-exploitée, et ce depuis vingt-cinq ans. Pourtant, selon l’inventaire forestier national, le massif forestier national n’est riche que de 22 % de bois de diamètre admis pour le gros bois. De même, comparé à celui de nos voisins européens, notre capital sur pied en bois commercialisable est limité. Il est estimé à 170 mètres cubes par hectare, contre 330 mètres cubes par hectare en Suisse et 280 mètres cubes par hectare en Allemagne et en Slovénie.
Dès lors, une baisse systématique de l’âge d’exploitabilité des forêts risque d’être engagée, afin de répondre à ce problème lancinant de la sous-exploitation.
Il est dit qu’il faut produire plus de bois ; mais plus de quel bois ? La forêt ne peut s’apparenter à un supermarché où chacun devrait pouvoir se fournir à volonté et dont l’ONF serait le gérant, son rôle devant se limiter à disposer en permanence dans les rayons les produits demandés : s’il y a un problème avec les feuillus en général et le hêtre en particulier, alors qu’a contrario les résineux marchent bien, il faudrait donc tout simplement que les rayons regorgent de résineux !
Ce que vous nous proposez, c’est une forêt qui réponde en tout point aux besoins ponctuels du marché. Envisager l’inverse – que ce soit plutôt l’industrie qui s’adapte à la forêt – n’est pas dans la logique de ce projet de loi.
Le Gouvernement s’est fixé un objectif de récolte supplémentaire de 21 millions de mètres cubes d’ici à 2020. La forêt privée, qui représente, avec 11 millions d’hectares, les trois quarts de la surface forestière française, « devra contribuer de façon importante à l’atteinte de cet objectif ».
Pour ce faire, vous proposez la création de plans pluriannuels régionaux de développement forestier, qui n’auront pour seule ambition que de soumettre la forêt au marché, qui seront opposables aux tiers et devront « assurer une meilleure adéquation entre l’offre et la demande ».
Les stratégies locales de développement élaborées à l’échelle d’une ou plusieurs collectivités doivent être conformes à ce plan élaboré sous l’égide du préfet de région, ce qui veut dire que les stratégies communales devront se soumettre à la loi du marché et à la tutelle du préfet de région, ce qui n’est que le prolongement de votre projet d’organisation territoriale.
Enfin, comme en matière d’alimentation, nous souhaitons la valorisation des filières courtes et du commerce de proximité. Nous souhaitons, autrement dit, une valorisation locale des bois et le maintien de sites de transformation au sein des territoires forestiers, qui induirait une réduction importante du transit des bois – il se fait trop souvent par camion – et aurait également un effet important sur le maintien de l’emploi et le maillage du territoire.
On peut se demander si le concept de « multifonctionnalité » est encore d’actualité, car, si l’on veut répondre aux objectifs fixés à Urmatt par le Président de la République, il est impossible de faire de la « forêt compétitive en la préservant mieux ». On peut faire l’un ou l’autre, mais pas les deux !
La forêt n’est pas une usine à bois. Le rythme de la forêt – cinquante, voire cent cinquante ans ! – n’est pas celui du marché. Il suffit pour cela de regarder la forêt de Tronçais, la plus grande chênaie d’Europe, située dans mon département, dont le rythme atteint… deux siècles !
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux, sur l'article.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prends la parole au nom de Bernadette Bourzai, qui n’a pas pu rester ce soir.
Avec l’article 15 du projet de loi, nous abordons plusieurs dispositions qui visent à améliorer la gestion et l’exploitation de la forêt française.
En France, la forêt est sous-exploitée. On ne récolte que 40 % de la croissance naturelle du bois, mais le bois représente le deuxième poste du déficit commercial de notre économie, alors que la France dispose du troisième parc forestier de l’Union européenne.
Pourtant, la richesse forestière est présente sur tout notre territoire, dont un tiers est couvert de forêts. Elle est même plus particulièrement présente dans les zones les moins favorisées économiquement et socialement.
En effet, si l’existence de forêts étendues fait l’originalité de territoires comme la Lorraine, la Sologne ou les Landes, les taux de boisement particulièrement élevés se retrouvent toujours dans des zones de relief, là où les mises en valeur des sols sont plus difficiles et là où les densités de population sont plus faibles.
Valoriser l’exploitation de la forêt doit permettre le développement local de ces espaces ruraux fragiles.
Les paradoxes de la question de la forêt et du bois ont été très fortement soulignés par le Président de la République, il y a un an, dans son discours sur le développement de la filière bois prononcé à Urmatt, en Alsace.
La question à la lumière de laquelle il convient d’examiner les solutions proposées pour dynamiser l’exploitation de la forêt et développer la filière bois consiste à déterminer si celles-ci profiteront aux territoires qui sont les plus défavorisés, qui en ont le plus besoin et qui ont souvent des taux de boisement dépassant les 30 %, allant parfois jusqu’à 75 % sur le plateau de Millevaches.
Il convient donc de favoriser toutes les formes de valorisation des ressources forestières.
Permettez-moi de partir d’un exemple concret, que je connais bien, celui du bois-énergie, c’est-à-dire du bois utilisé pour alimenter les centrales de cogénération produisant de la chaleur et de l’électricité, qui permet de valoriser les sous-produits du bois.
À Urmatt, le Président de la République s’était engagé à tripler le tarif d’achat obligatoire de l’électricité produite par des unités de cogénération à partir du bois. Il s’agissait de susciter l’intérêt des investisseurs pour cette technologie.
En effet, cette annonce a suscité beaucoup d’intérêt. Malheureusement, l’arrêté tarifaire qui traduit cet engagement pose des conditions de seuil trop restrictives, notamment une puissance électrique minimale de 5 mégawatts.
Dans la pratique, la plupart des entreprises concernées, pourtant proches des ressources du terrain et les mieux placées pour mettre en œuvre des réseaux de chaleur et d’électricité de proximité favorisant le développement local, perdent le bénéfice de la mesure annoncée.
Il faudrait abaisser le seuil à 0,5 mégawatt. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Il faut par ailleurs savoir que dix semi-remorques par jour sont nécessaires pour alimenter une installation de 5 mégawatts. Pour amener le combustible à ces grosses centrales bois-énergie, les camions peuvent sillonner nos routes sur plus de cent kilomètres. Le bénéfice écologique qui est gagné d’un côté est ainsi perdu de l’autre.
Au-delà de la question du bois-énergie, la valorisation de la forêt en vue de développer l’économie locale nécessite d’encourager les différents usages du bois, notamment le bois pour la construction, et de sécuriser les approvisionnements en bois afin de favoriser la confiance réciproque entre les acteurs de l’amont et de l’aval des filières bois en leur donnant des perspectives, sans oublier les collectivités locales, qui jouent un rôle essentiel en matière d’aménagements et de transports.
Beaucoup de dérogations de tonnage à l’essieu sont déjà accordées pour le transport du bois dans les massifs forestiers, mais cela se traduit par une dégradation considérable des routes communales et départementales, sans contrepartie financière pour les collectivités locales.
Les dispositions que nous allons examiner prévoient d’établir, sous l’autorité du préfet de région, un plan pluriannuel régional de développement forestier. Pour qu’il ait une réelle efficacité, il faut que tous les acteurs de la forêt et de la filière bois puissent contribuer à son élaboration.
Chacun doit être respecté, notamment les propriétaires privés, qui attendent une amélioration du rendement de leur bien par une gestion durable de la forêt. Leurs représentants doivent pouvoir tenir leur rôle, au côté des chambres d’agriculture régionales et départementales, et j’insiste sur ces deux niveaux !
Le rôle des collectivités territoriales, en particulier celui des communes forestières, des conseils généraux et régionaux, doit y être déterminant, dans une logique de décentralisation au service de l’aménagement du territoire. Les élus locaux sont les plus légitimes et les mieux informés pour impulser des logiques de développement durable de la forêt, de ses ressources et de ses autres usages potentiels.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Renée Nicoux. Cet aspect est particulièrement important, car le Gouvernement a la volonté de favoriser le rôle des gestionnaires forestiers professionnels, notamment fiscalement, à travers le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement créé l’année dernière.
Il faut être certain que ces gestionnaires ne rechercheront pas seulement leur intérêt patrimonial au détriment des équilibres territoriaux. Leur action devra respecter les règles de gestion durable des forêts. Afin d’éviter des « tensions » entre l’action de certains gestionnaires et les objectifs exprimés dans les futurs plans pluriannuels régionaux de développement forestier, il faut que l’autorité de ces derniers soit forte.
M. le président. Veuillez maintenant conclure, madame Nicoux.
Mme Renée Nicoux. C’est pourquoi, et j’en termine, nous accordons dans l’examen de cet article une grande importance à la participation active et transparente de tous les acteurs de la forêt à l’élaboration de ces documents.
M. le président. L'amendement n° 296, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade, Labarre et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. L’article L. 1 du code forestier rappelle le caractère multifonctionnel et durable de la gestion forestière. Les fonctions assignées à la forêt s’inscrivent dans une approche globale de la société : elles sont certes économiques, mais aussi environnementales et sociales. C’est ce caractère multifonctionnel que cet article bat en brèche.
La gestion de la forêt doit être durable, c’est-à-dire qu’elle doit prévoir, entre autres choses, le maintien de la diversité biologique des forêts et de leur capacité de régénération. Or la gestion durable n’apparaît qu’à la marge de ce texte, alors même que la nécessité de placer au même niveau les fonctions économiques, sociales et environnementales de la forêt est reconnue depuis la conférence de Rio, en 1992, et consacrée dans l’article 1er de la loi de 2001.
De plus, il existe déjà une multitude d’instruments permettant de mettre en œuvre une politique forestière qui tienne compte des spécificités respectives des forêts publiques et des forêts privées, tout en s’adaptant aux niveaux régional et local.
Ce projet introduit pourtant un nouvel instrument, le plan pluriannuel régional de développement forestier, qui non seulement crée un peu plus de complexité mais, surtout, a pour seule orientation l’exploitation marchande de la forêt. Ces plans ont ainsi pour seul objectif la soumission de la forêt au marché.
Dans le même temps, les chartes forestières de territoire disparaissent. Ces instruments, qui permettaient l’association des collectivités territoriales à la politique forestière, ne sont plus au goût du jour, et ce bien qu’ils aient démontré leur utilité et leur attractivité. En effet, ces chartes pouvaient être élaborées à l’initiative d’élus des collectivités concernées, sur la base d’une démarche consensuelle.
La souplesse offerte par cette formule contractuelle et de concertation permettait, compte tenu de la diversité des massifs forestiers et des réalités locales, de répondre tout autant à des demandes environnementales ou sociales qu’à des préoccupations liées à l’emploi, à l’aménagement rural, au regroupement des propriétaires, à la restructuration foncière et aussi à la compétitivité de la filière bois.
Est-ce l’esprit de partenariat visant à garantir la multifonctionnalité des forêts locales qui gêne tant le Gouvernement ? C’est la concertation et l’association volontaire d’acteurs locaux qui est profondément remise en cause, dans la droite ligne de la réforme des collectivités locales que le Gouvernement propose.
Enfin, ce texte met en avant une politique d’exploitation accrue des bois, sans garde-fous sérieux en matière de préservation de la biodiversité.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Je suis opposé à la suppression de l’article 15, et ce ne sera pas une surprise pour M. Vera. Il serait en effet anormal, dans un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, d’oublier le volet forestier, compte tenu de l’importance de la forêt dans nos territoires, notamment ruraux.
La commission est donc défavorable à l'amendement n° 296.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Il est évidemment défavorable, car, comme cela a été rappelé très clairement, un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ne peut se concevoir sans un volet forestier, et c’est précisément l’objet de cet article 15.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 297, présenté par MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade, Labarre et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
I. - Première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et garantit une gestion durable des forêts
II. - Seconde phrase
Après les mots :
avec l'État
insérer les mots :
, notamment dans le cadre des chartes forestières de territoire,
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Nous souhaitons rappeler, par cet amendement, le rôle de l’État, en partenariat avec les collectivités territoriales dans la mise en avant d’une gestion durable des forêts. Il nous paraît important de préciser le rôle que jouent les chartes forestières de territoire, les CFT, dans ce partenariat.
Les chartes forestières de territoire sont un outil contractuel créé par l’article 1er de la loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001. Elles ont pour finalité de mettre en relation l’ensemble des acteurs et des usagers de la forêt à l’échelon d’un territoire donné afin de veiller à ce que les demandes de chacun relatives à l’usage de la forêt soient satisfaites.
Il s’agit donc d’outils d’animation du territoire centrés sur la forêt, qui permettent de valoriser et de conforter la multifonctionnalité de celle-ci par un équilibrage des fonctions environnementales et sociales avec les fonctions de production.
En effet, la forêt, au-delà de son rôle économique, sur lequel ce projet de loi insiste largement – trop largement à notre goût –, joue également un rôle déterminant en matière environnementale. La forêt contribue ainsi au maintien de la biodiversité animale et végétale, à la régulation du cycle de l’eau, à la protection des sols et à la préservation des grands équilibres naturels et climatiques, notamment au travers du stockage de carbone et de la fonction énergétique du bois. Enfin, en matière sociale, notamment au travers de la préservation d’espaces attractifs, la forêt contribue à la qualité du cadre de vie et à l’attractivité des territoires.
Le point d’équilibre entre ces trois fonctions peut varier selon les territoires et les populations. La création des chartes forestières de territoire avait marqué une volonté de laisser la possibilité aux territoires d’adapter la politique nationale aux attentes locales.
Il s’agissait ainsi de garantir la satisfaction de demandes environnementales ou sociales particulières concernant la gestion des forêts et des espaces naturels, de contribuer à l’emploi et à l’aménagement rural, notamment par le renforcement des liens entre les agglomérations et les massifs forestiers, de favoriser le regroupement technique et économique des propriétaires forestiers, la restructuration foncière ou la gestion groupée à l’échelle d’un massif forestier, et de renforcer la compétitivité de la filière de production, de récolte, de transformation et de valorisation des produits forestiers.
Un rapport d’évaluation établi en 2008 a, de plus, conforté l’utilité des CFT, pour les acteurs de la forêt, de la filière bois et de la société civile.
Il s’agit donc là d’un outil pertinent et qui a prouvé son efficacité.
Dans ces conditions, nous estimons qu’il serait opportun de s’y référer à l’article L. 2 du code forestier, dans la rédaction prévue par l’article 15, qui définit les modalités de mise en œuvre de la politique forestière, comme nous le proposons dans cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 172 rectifié, présenté par MM. Leroy, Gaillard, Grignon et Pintat, Mme Des Esgaulx, MM. du Luart, Houel, B. Fournier et Houpert, Mme Sittler et MM. Pierre, J. Blanc, Hérisson, Poniatowski et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 3, deuxième phrase
Après les mots :
avec l'État
insérer les mots :
, notamment dans le cadre des chartes forestières de territoire,
La parole est à M. Philippe Leroy.