Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
MM. Jean-Noël Guérini, Bernard Saugey.
2. Saisine du Conseil constitutionnel
conduite de véhicule agricole par des employés communaux
Question de M. Jacques Berthou. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme ; Jacques Berthou.
tarif d'achat de l'électricité produite à partir de la biomasse
Question de Mme Bernadette Bourzai. – M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme ; Mme Bernadette Bourzai.
Question de M. Daniel Laurent. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme ; Daniel Laurent.
participation de l'agriculture à la mise en oeuvre des énergies renouvelables
Question de M. Gérard Bailly. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme ; Gérard Bailly.
situation de la caisse d'allocations familiales de la côte-d’or
Question de M. François Rebsamen. – MM. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; François Rebsamen.
Question de M. Jean-Jacques Lozach. – MM. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; Jean-Jacques Lozach.
situation financière des veufs et des veuves
Question de M. André Trillard. – MM. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; Jean-Jacques Lozach.
maintien des établissements départementaux des urssaf
Question de M. Marc Laménie. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Marc Laménie.
suppression de la demi-part fiscale supplémentaire attribuée aux veuves et veufs
Question de M. René-Pierre Signé. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. René-Pierre Signé.
interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif
Question de Mme Anne-Marie Payet. – Mmes Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports ; Catherine Morin-Desailly, en remplacement de Mme Anne-Marie Payet.
situation de l'hôpital de pithiviers
Question de M. Jean-Pierre Sueur. – Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports ; M. Jean-Pierre Sueur.
Question de M. Bernard Fournier. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Bernard Fournier.
amortissement des subventions d’équipement versées par les départements
Question de M. Philippe Leroy. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Philippe Leroy.
compagnie de gendarmerie de castelnaudary
Question de M. Marcel Rainaud. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Marcel Rainaud.
conditions d'engagement des sapeurs-pompiers volontaires
Question de M. François Fortassin. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. François Fortassin.
identité de genre et statut des personnes transsexuelles
Question de Mme Maryvonne Blondin. – M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement ; Mme Maryvonne Blondin.
réforme de la filière du baccalauréat technologique et conséquences pour le secteur du BTP
Question de M. Francis Grignon. – MM. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement ; Francis Grignon.
moyens d'enseignement pour la rentrée 2010
Question de Mme Claire-Lise Campion. – M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement ; Mme Claire-Lise Campion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Croatie
5. Modernisation de l'agriculture et de la pêche. – Discussion d’un projet de loi en procédure accélérée (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche ; Gérard César, rapporteur de la commission de l’économie ; Charles Revet, rapporteur de la commission de l’économie.
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.
Mme Odette Herviaux, MM. Jean-Michel Baylet, Gérard Le Cam, Daniel Soulage, Jean-Pierre Raffarin, Didier Guillaume, Aymeri de Montesquiou, Jean-Paul Virapoullé, Mme Gélita Hoarau, MM. Daniel Dubois, Yannick Botrel, Raymond Vall, Philippe Leroy, Jean-Claude Merceron, Jacques Gillot, Gérard Bailly, Jean-Jacques Mirassou, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Alain Fauconnier, Jacques Blanc, Bernard Cazeau, Antoine Lefèvre, Jacques Muller, Louis Pinton, Mme Élisabeth Lamure, MM. Pierre Jarlier, Alain Vasselle.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
Motion no 39 de Mme Marie-Agnès Labarre. – Mme Marie-Agnès Labarre, MM. Gérard César, rapporteur ; le ministre, Mme Annie David. – Rejet par scrutin public.
Motion no 86 de M. Jean-Pierre Bel. – MM. Jean-Pierre Bel, Gérard César, rapporteur ; le ministre, Mmes Évelyne Didier, Odette Herviaux, M. Jacques Blanc. – Rejet par scrutin public.
Article additionnel avant le titre Ier
Amendement n° 87 de M. Serge Larcher. – MM. Jacques Gillot, Gérard César, rapporteur ; le ministre. – Rejet.
Mme Nicole Bonnefoy, MM. Didier Guillaume, Claude Bérit-Débat, François Fortassin, Jacques Muller.
Amendement n° 646 de la commission. – MM. Gérard César, rapporteur ; le ministre. – Adoption.
Amendement n° 88 de Mme Odette Herviaux. – MM. Jean-Jacques Mirassou, Gérard César, rapporteur ; le ministre, Jacques Blanc. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Noël Guérini,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 mai 2010 d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés et soixante sénateurs de la loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
conduite de véhicule agricole par des employés communaux
M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou, auteur de la question n° 829, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Jacques Berthou. Monsieur le président, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les exigences réglementaires en matière de conduite de véhicules agricoles.
Les travaux communaux quotidiens, tels que le désherbage, les petits travaux de voirie et les travaux paysagers, nécessitent l’utilisation d’engins agricoles. Aujourd’hui, le code de la route exige, pour conduire un véhicule agricole, de détenir un permis spécifique, le permis C, pour les poids lourds. Or, le financement de la formation des employés communaux pour l’obtention de ce permis représente une charge beaucoup trop lourde pour les petites communes rurales. Celles-ci, en cas d’opérations urgentes, comme le déneigement, sont donc trop souvent dépendantes de services extérieurs, coûteux et peu efficaces.
L’article R. 221-20 du code de la route exempte de la possession du permis C tous « les conducteurs de véhicules et appareils agricoles ou forestiers, attachés […] à une entreprise de travaux agricoles ou à une coopérative d’utilisation de matériel agricole ». Il paraît souhaitable d’étendre cette exemption aux adjoints techniques des communes rurales.
La directive européenne publiée le 30 décembre 2006 au Journal officiel de l’Union européenne offre des possibilités pour faire évoluer la réglementation française, avec notamment la création des sous-catégories C1 et C1E. Cette directive n’a pas été transposée en droit français à ce jour. De plus, le député Dino Cinieri a déposé sur ce sujet, en décembre 2008, une proposition de loi qui n’a jusqu’à présent jamais été inscrite à l’ordre du jour.
Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite savoir si vous envisagez une adaptation des dispositions du code de la route pour permettre aux adjoints techniques municipaux de conduire des véhicules agricoles dans le cadre de leurs fonctions sans obligation de détenir le permis C et, dans ce cas, si un calendrier a été prévu pour l’adoption d’une telle mesure.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Monsieur le sénateur, la règle générale en matière de conduite de véhicules automobiles est que le conducteur soit en possession d’un permis de conduire, dont la catégorie est définie à l’article R. 221-4 du code de la route. Conformément à ce texte, la catégorie de permis de conduire exigée pour la conduite d’un tracteur, à savoir B, C ou E, est définie en fonction du poids total autorisé en charge du véhicule et, le cas échéant, de sa remorque.
Par exception stricte à cette règle, l’article R. 221-20 du code de la route prévoit que le conducteur d’un tracteur agricole ou forestier, attaché à une exploitation agricole, à une entreprise de travaux agricoles ou à une coopérative, est dispensé de permis de conduire sous réserve d’être âgé d’au moins seize ans, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur.
Ces dispositions découlent de la directive européenne de juillet 1991. Au sens de l’article 3 de ce texte, les « tracteurs agricoles ou forestiers » ne font pas partie des « automobiles » pour lesquelles s’appliquent les catégories du permis de conduire.
Il revient aux États membres d’instaurer, ou non, un permis spécifique pour les tracteurs agricoles : la France a choisi de conserver au bénéfice de ces véhicules la dérogation dont ils bénéficiaient de manière traditionnelle. La directive européenne encadre très strictement cette dérogation, qui ne peut être étendue à d’autres catégories de véhicules, même affectés à des usages de service public. Tout texte contraire à la directive européenne serait susceptible d’être annulé par le juge.
Tel est le cas des tracteurs utilisés par les collectivités territoriales, les entreprises de travaux publics, les entreprises industrielles, les services de l’État ou les particuliers, qui ne sont pas attachés à une exploitation agricole, à une entreprise de travaux agricoles ou à une coopérative : leurs conducteurs sont donc tenus de posséder le permis de conduire correspondant.
Monsieur le sénateur, il convient toutefois de rechercher des solutions pratiques au problème qui se pose, notamment pour les communes rurales.
À cet égard, il est vrai que les dispositions contenues dans la directive relative au permis de conduire en date du 20 décembre 2006 vont amener la création des catégories C1 et C1E du permis de conduire. Ces catégories de permis de conduire poids lourds, limité à 7,5 tonnes pour le C1 et à un total de 12 tonnes pour le C1E paraissent répondre à vos préoccupations. La France doit transposer ce texte avant le 19 janvier 2011, et elle le fera, pour une mise en œuvre complète à compter du 19 janvier 2013.
M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.
M. Jacques Berthou. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse. La tâche des communes rurales doit être facilitée, et les frais évités ; en effet, si ces derniers sont minimes pour les communes urbaines, ils représentent des sommes importantes pour les communes rurales, pour lesquelles chaque centime d’euro compte ! Je souhaite donc que la réglementation évolue en ce sens.
tarif d'achat de l'électricité produite à partir de la biomasse
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, auteur de la question n° 824, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
Mme Bernadette Bourzai. Ma question porte sur les tarifs d’achat de l’électricité produite à partir de la biomasse, notamment forestière.
Voilà exactement un an, à un jour près, le Président de la République s’est engagé à Urmatt à « doubler et si c’est nécessaire […] tripler le tarif d’achat obligatoire d’électricité produite par des unités de cogénération, de taille moyenne, à partir du bois » pour accroître la valorisation énergétique du bois ».
Mais l’arrêté tarifaire qui traduit cet engagement pose des conditions trop restrictives, notamment une puissance électrique minimale de 5 mégawatts. Dans la pratique, la plupart des entreprises concernées, pourtant proches des ressources du terrain et les mieux à même de mettre en œuvre des réseaux de chaleur et d’électricité de proximité favorisant le développement local, perdent le bénéfice de cette mesure.
L’application de cet arrêté profite dès lors aux seuls grands groupes des secteurs du papier, des panneaux et de la chimie.
Lors de la séance des questions cribles au Sénat, le 26 janvier dernier, sur le thème « Copenhague et après ? », j’avais déjà interrogé M. Borloo qui m’avait alors répondu ceci : « les entreprises qui produisent plus de 5 mégawatts, et qui bénéficient donc de tarifs plus élevés, puisque ceux-ci ont été triplés conformément aux engagements, possèdent des filtres à particules. En dessous de ce seuil, elles n’en disposent pas. Or, pour l’instant, nous ne souhaitons pas un développement massif de la biomasse produite sans filtres à particules. Ce point fait partie des difficultés que nous rencontrons, mais j’espère que nous surmonterons bientôt cette contradiction. »
Monsieur le secrétaire d'État, j’appelle toute votre attention sur le fait que, si les centrales de forte puissance sont soumises à une réglementation stricte sur les poussières et les particules, c’est également le cas pour les centrales et les chaufferies bois de plus faible puissance, au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement et, désormais, pour obtenir les aides du fonds chaleur.
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, impose en effet un seuil de 50 milligrammes par normal mètre cube, ou Nm3, pour les chaufferies collectives et de 30 milligrammes par Nm3 pour les chaufferies industrielles. Ces seuils exigent de mettre en place des filtres à particules : électrofiltres, filtres à manche ou laveur-condenseur de fumée. Classiquement, les niveaux de performance atteints sont inférieurs à 10 milligrammes par Nm3.
Compte tenu de ces précisions, et alors que le Sénat va commencer ce soir l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, lequel comprend plusieurs dispositions visant à améliorer l’exploitation du bois et à mieux rentabiliser la ressource forestière, je vous demande quelles mesures le Gouvernement compte prendre afin que les petites centrales bénéficient également de tarifs d’achat avantageux, qui prennent objectivement en compte les efforts mis en œuvre afin de limiter les émissions de particules. Pour cela, il faudrait que le seuil soit nettement inférieur à 5 mégawatts, et s’établisse si possible à 0,5 mégawatt.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Madame la sénatrice, le Grenelle de l’environnement a fixé des objectifs ambitieux de développement de la production d’énergie à partir de la biomasse. Ces objectifs ont été confirmés dans la programmation pluriannuelle des investissements adoptée en janvier dernier.
Le Gouvernement entend donner une priorité aux installations les plus performantes d’un point de vue énergétique. C’est donc la valorisation sous forme de chaleur qui est encouragée, grâce au Fonds « chaleur renouvelable », qui a été doté de 1 milliard d’euros pour la période 2009-2011.
À titre complémentaire, la valorisation électrique est également encouragée, même si cette valorisation a un intérêt moindre d’un point de vue énergétique. La programmation pluriannuelle des investissements fixe ainsi un objectif d’accroissement de capacité de 520 mégawatts à l’horizon de 2012 et de 2 300 mégawatts à l’horizon de 2020.
Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement a tout d’abord décidé de lancer dans les toutes prochaines semaines un appel d’offres pluriannuel pour développer des grandes installations de cogénération, c’est-à-dire de puissance supérieure à 12 mégawatts ; cet appel d’offres portera sur 800 mégawatts. En outre, conformément aux engagements du Président de la République, le tarif d’achat de l’électricité sera triplé pour les installations de taille moyenne, c’est-à-dire de puissance comprise entre 5 et 12 mégawatts.
En revanche, le Gouvernement n’a pas pour stratégie de développer les installations de moins de 5 mégawatts, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les installations de faible puissance ont un coût très élevé. Or le Gouvernement a pour objectif – j’imagine que vous le partagez – de maîtriser la contribution au service public de l’électricité, qui est, il convient de le souligner, acquittée par chaque consommateur d’électricité. C’est donc notre responsabilité de limiter ce coût.
Ensuite, ces petites installations ne sont pas soumises à des normes suffisamment exigeantes pour le moment en termes de qualité de l’air. Or la combustion du bois entraîne des émissions de particules nocives pour la santé. C’est pourquoi le plan national santé-environnement et le plan particules recommandent de soutenir uniquement les installations les moins polluantes.
Enfin, le développement incontrôlé de telles installations en grand nombre rendrait impossible la maîtrise des conflits d’usage sur la ressource en bois. Nos papetiers, nos fabricants de bois d’œuvre se trouveraient en effet face à des difficultés d’approvisionnement. Ce sont donc des filières industrielles entières qui se trouveraient pénalisées.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement a ouvert le tarif d’achat au segment 5-12 mégawatts.
À titre dérogatoire, les scieries qui s’engagent à disposer de capacités de séchage du bois et qui limitent au maximum leurs émissions de particules pourront bénéficier du tarif à partir de 1 mégawatt. Cette mesure, décidée lors du dernier comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, permettra de conforter les scieries implantées en secteur rural.
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le secrétaire d’État, la réponse que vous venez de me faire ne me convient pas du tout. Elle ignore totalement le développement local et l’exploitation des ressources forestières de proximité. Je pense non seulement à ce qui se pratique non seulement dans mon département, la Corrèze, mais aussi dans le reste du Limousin et dans le Massif central. D’ailleurs, d’autres massifs en France sont dans la même situation.
Quand on crée un réseau de chaleur de 6,4 mégawatts, comme je l’ai fait dans ma ville, qui chauffe l’équivalent de 1 650 logements et d’importants établissements de formation – c’est la « capitale » du génie civil en France –, auquel sont raccordées des scieries pour leurs séchoirs ou une société d’abattage et de transformation de viande, on ne peut pas se satisfaire d’une telle réponse. Je le répète, vous oubliez le développement local !
Vous placez la barre beaucoup trop haut. Ces fameux appels d’offres de la CRE, la Commission de régulation de l’énergie, sont de véritables outils de dérégulation du marché. J’en sais quelque chose ! Je n’ai pas pu signer un contrat pérenne et à prix fixe, car trois centrales de production de biomasse forestière devaient être réalisées à trente kilomètres de ma ville. Mais elles ne se feront jamais !
Je vous informe que je vais demander une évaluation des appels d’offres de la CRE afin de démonter ce système, qui est inacceptable !
intégration dans la fonction publique territoriale des personnels des parcs départementaux et compensation financière des traitements des personnels
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 847, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
M. Daniel Laurent. Ma question porte sur la loi n° 2009-1291 du 26 octobre 2009 relative au transfert aux départements des parcs de l’équipement et à l’évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers.
Ce texte prévoit un transfert au 1er janvier 2011 aux départements ayant signé une convention avant le 30 juin 2010. La date est donc proche. Dans un premier temps, les personnels seront mis à disposition de la collectivité, puis, dans un délai de deux ans, ils pourront opter pour une intégration au sein de la fonction publique territoriale.
Or, à ce jour, les décrets d’homologie entre les grades d’ouvriers des parcs et ateliers, ou OPA, et ceux de la fonction publique territoriale n’ont pas été publiés. Une concertation avec les différents partenaires concernés est actuellement en cours. Quant aux décrets, après les consultations obligatoires et l’avis du Conseil d’État, ils pourraient être publiés dans les prochains mois.
Ainsi, au moment de faire leur choix pour intégrer les services départementaux, les OPA ne savent pas sur quel grade de la fonction publique territoriale ils peuvent exercer leur droit d’option. Cette ignorance est un frein pour le choix des personnels et perturbe le processus de transfert.
L’autre volet de ma question porte sur la compensation financière, qui est un point essentiel pour nos départements.
Ainsi, la présente loi dispose que la part des emplois dont le coût n’est pas remboursé par le compte de commerce dans le total des emplois transférés à chaque collectivité bénéficiaire ne peut-être inférieure à celle qui existait au 31 décembre 2006.
Les services départementaux en charge de ce dossier avaient compris que le montant de la compensation financière devait être calculé sur l’effectif en poste au 31 décembre 2006. Or, dans les négociations avec les préfectures afin de rédiger la convention de transfert, il apparaît que les services ministériels évalueraient un effectif fictif au 31 décembre 2006 sur la base de l’effectif présent au moment du vote de la loi. Ainsi, pour le département de la Charente-Maritime, cet effectif fictif est inférieur à l’effectif réellement constaté au 31 décembre 2006, réduisant ainsi la compensation financière de manière très importante, soit d’environ 15 %.
En conséquence, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer dans quels délais seront effectivement publiés les décrets relatifs au statut des personnels ? De même, pouvez-vous nous assurer que les compensations financières seront bien calculées sur la base des effectifs réellement présents au 31 décembre 2006, sans prendre en compte les baisses d’effectifs qui ont été opérées par les directions départementales de l’équipement après cette date et pour lesquelles plusieurs départements ont déjà dû s’engager afin d’y suppléer ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité interroger M. le ministre d’État sur l’application de la loi relative au transfert aux départements des parcs de l’équipement et à l’évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers.
Je tiens tout d’abord à vous indiquer que, lors de la première vague de transfert effectuée au 1er janvier 2010, trente et un parcs ont été transférés aux départements, dont vingt et un ont été des transferts globaux.
En ce qui concerne les personnels des parcs, comme vous le savez, l’article 11 de la loi dispose qu’un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’intégration des OPA dans les cadres d’emplois de la fonction publique territoriale. Ce décret fait d’abord l’objet d’une large concertation, notamment, bien évidemment, avec l’Assemblée des départements de France. Il sera ensuite soumis au Conseil d’État. Dans l’intervalle, la mise à disposition sans limitation de durée des OPA n’est pas remise en cause, et il n’est donc pas fait obstacle à la bonne application de la loi.
En ce qui concerne le dimensionnement du service transféré et les compensations financières correspondantes, les articles 3 et 6 de la loi sont très clairs. Aux termes de l’article 6, « […] les charges de personnel transférées correspondant aux emplois fixés dans la convention […] ou, à défaut, dans l’arrêté […] font l’objet d’une compensation financière, à l’exclusion des charges remboursées au budget général par le compte de commerce […] ».
L’article 3, quant à lui, précise les modalités de dimensionnement du transfert, notamment le dernier alinéa, qui dispose ceci « La part des emplois dont le coût n’est pas remboursé au budget général par le compte de commerce […] dans le total des emplois transférés à chaque collectivité bénéficiaire ne peut être inférieure à celle des emplois dont le coût n’est pas remboursé par ce compte, pourvus dans le parc et les services chargés de fonctions de support qui lui sont associés au 31 décembre 2006 ».
La « clause de sauvegarde » issue de la loi relative au transfert aux départements des parcs de l’équipement n’assure pas à la collectivité bénéficiaire du transfert un nombre d’emplois non remboursés par le compte de commerce au moins égal à ceux présents au 31 décembre 2006, mais elle lui garantit une « part », autrement dit une « proportion », d’emplois non remboursés par le compte de commerce dans la totalité des emplois du service transféré au moins égale à ce qu’elle était dans le parc et les services supports associés au 31 décembre 2006.
Cette « clause de sauvegarde » est adaptée à la situation spécifique du transfert des parcs et au fait que seule une partie des emplois transférés, ceux non remboursés par le compte de commerce, fait l’objet d’une compensation. Monsieur le sénateur, cette clause n’a soulevé aucune objection lors du processus législatif et du vote du projet de loi.
Une compensation sur la base des effectifs réellement présents au 31 décembre 2006 n’est donc pas envisageable dans la mesure où elle serait contraire à la loi relative au transfert aux départements des parcs de l’équipement.
M. Daniel Laurent. Effectivement, le sujet est complexe.
On laisse au préfet de département une marge de négociation. Or si certains départements hésitent à accepter le transfert, c’est tout simplement parce qu’ils souhaitent que les compensations financières soient réelles. N’oublions pas que ce transfert est intéressant pour l’État, car la charge des parcs est élevée.
Quoi qu’il en soit, la réponse que je viens d’entendre ne me satisfait pas totalement.
participation de l'agriculture à la mise en oeuvre des énergies renouvelables
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 858, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
M. Gérard Bailly. Ma question porte sur les énergies renouvelables et se situe dans le droit fil de celle de notre collègue Bernadette Bourzai.
Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais savoir ce que le Gouvernement attend réellement du monde agricole en matière d’énergies renouvelables.
L’agriculture allemande, nous le savons tous, produit beaucoup plus d’énergie que la nôtre, ce qui assure un profit important aux éleveurs. Dans un contexte de crise économique sans précédent et en pleine élaboration du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont nous commencerons l’examen cet après-midi dans cette enceinte, l’agriculture française devrait être fortement impliquée dans le développement des énergies renouvelables.
Je pense à la biomasse – le fumier ou les déchets animaux –, qui devrait être valorisée. C’est en effet une source d’énergie permettant de lutter contre le réchauffement climatique, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre.
Je pense également aux biocarburants – les céréales agricoles pour le chauffage ou les huiles végétales – dont on affirme l’importance depuis des années pour remplacer le pétrole, mais qui semblent bien oubliés par les pouvoirs publics.
Je pense enfin à l’énergie photovoltaïque, qui a été beaucoup encouragée, mais qui voit aujourd’hui diminuer sensiblement les prix proposés, que ce soit sur les toits ou dans les espaces agricoles.
Monsieur le secrétaire d’État, à un moment où l’agriculture s’interroge et alors que l’on sait qu’elle peut produire beaucoup d’énergie, qu’attendez-vous d’elle dans les trois domaines de production énergétique que je viens de citer ?
Le monde agricole se demande également quelles conditions en termes économiques et en termes de pérennité lui seront offertes, compte tenu du niveau élevé des investissements. Les agriculteurs ne peuvent en effet s’engager dans ces nouveaux débouchés qu’avec des garanties pour l’avenir et toute la sérénité nécessaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avec le Grenelle de l’environnement, le Gouvernement a engagé un effort sans précédent pour développer la production et l’utilisation d’énergie renouvelable dans le secteur agricole et dans les territoires ruraux. Je vais passer en revue l’ensemble des projets existants.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’énergie photovoltaïque, de nouveaux tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque ont été mis en place. Ces tarifs, qui sont aujourd’hui les plus élevés d’Europe, assurent une juste rémunération aux investissements.
Vous le savez, le photovoltaïque a connu un phénomène d’emballement à la fin de l’année 2009. Le Gouvernement a pris soin, dans ses mesures, de traiter de manière différenciée les projets abusifs ou spéculatifs, d’une part, et les projets de taille raisonnable menés de bonne foi, notamment dans le secteur agricole, d’autre part. Avec un dispositif équitable et soutenable financièrement, le Gouvernement a entendu reconnaître le rôle déterminant du secteur agricole pour l’atteinte des objectifs du Grenelle de l’environnement et la mutation énergétique de notre pays.
Ensuite, s’agissant de la cogénération biomasse, les tarifs d’achat de l’électricité produite à partir de biomasse ont été plus que doublés au 1er janvier 2010.
Par ailleurs, le Gouvernement lance périodiquement des appels d’offres pour la construction de grandes unités de cogénération-biomasse, en privilégiant les zones rurales et les zones de massif. En janvier 2010, 32 projets ont été retenus, pour une puissance cumulée de plus de 250 mégawatts, soit le quart de la puissance d’un réacteur nucléaire.
Nous avons mis en place le Fonds chaleur renouvelable, doté d’1 milliard d’euros pour la période 2009-2011. Ce Fonds chaleur renouvelable, créé par le Grenelle de l’environnement, permet d’accélérer très fortement la construction de chaufferies bois dans les secteurs agricole, tertiaire, résidentiel et industriel.
Le premier appel à projets a été un succès : 150 millions d’euros d’investissements, soit 50 % de plus que ce qui était initialement envisagé. La moitié des projets concerne le seul secteur agroalimentaire, et 80 % des projets se situent en milieu rural. Un second appel d’offres a été immédiatement relancé en octobre 2009.
S’agissant de la méthanisation et de l’injection du biogaz dans le réseau de gaz nature, le Gouvernement a pour objectif de favoriser la valorisation du bio-méthane. Nous avons modifié la législation relative aux installations classées, et un tarif d’achat de l’électricité produite à partir de bio-méthane a été créé.
Enfin, concernant les biocarburants, la France s’est engagée dans un programme ambitieux de développement et met en œuvre une série de mesures permettant d’encourager leur production et leur mise sur le marché. Ainsi, l’objectif européen d’incorporation de 5,75 % a été avancé à 2008 et porté à 7 % en 2010.
La directive relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, dite directive « ENR », adoptée sous présidence française dans le cadre du « paquet énergie-climat », prévoit un objectif de 10 % à l’horizon de 2020, avec en outre des critères de durabilité et un objectif global en termes de bilan de gaz à effet de serre.
Voilà, monsieur le sénateur, l’ensemble des dispositions prises par le Gouvernement pour développer ces filières énergétiques en milieu rural et notamment en milieu agricole, sur lequel nous comptons pour atteindre l’ensemble de ces objectifs.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Le monde agricole, comme je l’ai dit, est en crise et attend beaucoup de cette possibilité de revenus supplémentaires que peut procurer la production d’énergie. Je rappelle qu’en Allemagne, en 2005, 3 500 exploitations utilisaient la méthanisation, alors que la France est en retard à cet égard, avec un nombre d’unités limité. Cela nécessite aussi des investissements très lourds. Il faudra que l’agriculteur soit accompagné, car il n’aura pas les moyens de procéder seul à ces investissements.
Monsieur le secrétaire d’État, je crois beaucoup à l’énergie photovoltaïque, avec des panneaux installés sur les toits des bâtiments des exploitations agricoles – ces investissements peuvent en effet être supportés plus facilement, et les installations ne sont pas gênantes pour l’environnement –, ainsi que sur des terres agricoles non productives – il faut en effet veiller à la préservation des terres agricoles. Mais nous disposons de grands espaces rocheux et plats pour réaliser du photovoltaïque. Il s’agit en tout cas d’une priorité.
Enfin, s’agissant des biocarburants, si l’on en parlait beaucoup voilà sept ou huit ans, la hausse du prix des céréales, qui n’a du reste été qu’un feu de paille, avait fait retomber le problème. Mais aujourd’hui, le niveau du prix des céréales est tel que l’espoir peut renaître, et ce d’autant plus que le pétrole, avec la baisse de l’euro, est susceptible de se renchérir.
Il y a là toute une réflexion à avoir. L’agriculture attend beaucoup de ce domaine des énergies.
situation de la caisse d'allocations familiales de la côte-d’or
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, auteur de la question n° 865, adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite interroger M. le secrétaire d’État sur la situation de la caisse d’allocations familiales de la Côte-d’Or, et plus généralement sur celle de toutes les caisses d’allocations familiales.
La caisse d’allocations familiales de la Côte-d’Or est confrontée à une situation particulièrement préoccupante qui a conduit sa direction à prendre des mesures douloureuses de fermeture provisoire pendant plusieurs semaines des accueils physique et téléphonique. Et ce n’est malheureusement pas un cas isolé.
Cette décision avait pour objectif de dégager un temps suffisant pour résorber le retard dans le traitement des dossiers et de permettre ainsi le paiement plus rapide des prestations indispensables pour les quelque 90 000 allocataires de cette caisse. Ce sont non pas de simples dossiers en retard mais bien des milliers de familles laissées pour compte.
Ces mesures ne sont pas normales, d’autant que l’origine du malaise est parfaitement connue de la Caisse nationale d’allocations familiales et de la nouvelle mission nationale de contrôle : il n’y a pas suffisamment de moyens compte tenu des charges de travail.
Des solutions sont localement trouvées, mais elles ne sauraient constituer de vraies solutions à long terme ni même à moyen terme. Le manque de personnel et les conditions de travail sont désastreux.
Par ailleurs, l’hypothèse d’une diminution de la charge de travail des caisses d’allocations familiales est à exclure compte tenu de la mise en œuvre du RSA jeunes, de la modification de la gestion de l’allocation adultes handicapées, et enfin du transfert par l’État de la gestion de la section départementale des aides publiques au logement, par exemple.
Dans le même temps, la caisse d’allocations familiales de la Côte-d’Or, comme d’autres, est sous le coup d’une réduction d’effectifs de dix postes à l’horizon de 2012.
Plus de missions, plus d’allocataires et moins de moyens : voilà une équation profondément déséquilibrée qui ne saurait déboucher sur une issue favorable pour les citoyens concernés et les professionnels de la caisse d’allocations familiales.
Être crédible consisterait à donner enfin des moyens aux caisses d’allocations familiales, car les conditions de travail mais surtout le niveau de service attendu par les allocataires – et le service public local est apprécié par nos concitoyens – sont dangereusement remis en question alors même que la crise économique sévit. Le « malaise » se répand chez les salariés du secteur social.
Pour vous donner des exemples dans mon département, l’antenne est fermée depuis sept mois dans la commune de Quetigny, cependant que, dans la commune de Châtillon-sur-Seine, les habitants se sont battus pour obtenir une journée de permanence par mois. Cette situation n’est donc pas acceptable, vous en conviendrez.
Les caisses d’allocations familiales, comme les collectivités locales – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État –, ne sont pas les « pleureuses de la République », mais elles assument des missions essentielles.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour permettre une bonne pratique professionnelle, un niveau de service correct pour les salariés de la caisse d’allocations familiales et, surtout, pour les allocataires de cette dernière ? J’ai évoqué la CAF du département de la Côte-d’Or, mais je pense que l’on peut étendre cette question à l’ensemble des caisses d’allocations familiales.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Éric Woerth qui ne peut être là ce matin.
Vous m’interrogez sur la situation de la caisse d’allocations familiales de la Côte-d’Or. Dans un certain nombre de caisses d’allocations familiales, la situation, bien qu’elle se soit significativement stabilisée, demeure difficile.
On observe ainsi depuis le début de l’année une amélioration globale de la situation des caisses d’allocations familiales, bien que les performances demeurent variables d’une à l’autre, cela va de soi.
Aujourd’hui, pour vous donner quelques précisions, la charge de travail moyenne nationale nécessaire pour gérer les stocks de dossiers représente cinq jours de travail, contre plus de huit jours en début d’année. Quatre-vingt-deux caisses d’allocations familiales ont des stocks de dossiers à traiter représentant moins de cinq jours de travail.
La caisse d’allocations familiales de Dijon, quant à elle, présente encore un stock équivalant à 7,1 jours de travail, un peu au-dessus des moyennes indiquées. Mais les difficultés sont en train de se résorber, puisque le stock de pièces à traiter s’élevait à la caisse d’allocations familiales de Dijon, en début d’année, à plus de douze jours.
La caisse d’allocations familiales de Dijon a dû, au cours des derniers mois, se résoudre à réduire de manière ponctuelle son accueil physique et téléphonique afin de concentrer ses forces de production sur le traitement des dossiers reçus.
Je vous rappelle que les moyens alloués aux caisses d’allocations familiales ont fortement augmenté. En 2009 par exemple, nous avons augmenté les effectifs des caisses d’allocations familiales de 1 257 postes à temps plein, auxquels s’ajoutent 389 emplois à temps plein au titre du remplacement de l’ensemble des départs à la retraite l’année dernière.
En 2010, la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux ne s’appliquera qu’à partir du second semestre. À ce titre, la caisse d’allocations familiales de Dijon a été autorisée, en 2009, à embaucher l’équivalent de 13,5 emplois temps plein. Ces personnels nouveaux sont aujourd’hui pour la plupart en formation et seront sur le terrain dans les toutes prochaines semaines.
Par ailleurs, nous avons aussi autorisé le recrutement à titre exceptionnel de 400 personnes en contrat à durée déterminée. Ce sont donc aujourd’hui 2 000 personnels supplémentaires qui vont travailler dans l’ensemble des caisses d’allocations familiales. Cette mobilisation devrait permettre de poursuivre l’amélioration de la situation entamée au début de 2010.
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État des éléments d’information – j’en connaissais d’ailleurs une partie – qu’il m’a donnés.
S’agissant de la caisse de Côte-d’Or, une nouvelle formation est mise en place pour les stagiaires. Mais le problème tient au fait que la formation dure dix-huit mois. Il y a eu une impréparation dans la gestion du personnel, et c’est là un problème majeur pour notre fonction publique.
Je voudrais également faire part de mes inquiétudes quant à l’avenir. Certes, les caisses d’allocations familiales parviendront à mon avis, compte tenu des efforts consentis, à résorber le retard de dossier ; mais l’arrivée du RSA jeunes, la gestion de l’allocation aux adultes handicapés et le transfert par l’État vont charger les caisses d’allocations familiales.
Par conséquent, même si nous arrivons à la fin de 2010 à résorber une partie du retard, le problème risque de se reposer en 2011 et en 2012. Je souhaite qu’il soit fait particulièrement attention à ce point.
conditions de fonctionnement et mise en œuvre des missions des maisons départementales des personnes handicapées
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la question n° 866, adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le secrétaire d'État, ma question porte sur les conditions de fonctionnement et de mise en œuvre des missions des maisons départementales des personnes handicapées, ou MDPH, et en particulier sur le financement de la prestation de compensation du handicap, ou PCH.
Je souhaite attirer votre attention sur les problèmes auxquels est confrontée la MDPH de la Creuse, cette situation étant d’ailleurs partagée par nombre d’autres établissements de ce type.
En application de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le conseil général, comme l’ensemble des départements, a largement contribué à la mise en place de la MDPH, engageant la collectivité au-delà de ses obligations.
Cinq ans après l’adoption de la loi, les engagements de l’État initialement prévus lors de la signature de la convention de mise en place sont inégalement respectés. L’État s’était pourtant engagé à financer directement les personnels mis à la disposition de la MDPH et à compenser financièrement les coûts salariaux correspondant aux personnels non remplacés ou ayant fait le choix de réintégrer leur administration d’origine.
Si des dispositions ponctuelles ont été prises en 2009 pour pallier ces insuffisances de prise en charge, les montants dus au titre de l’année 2008 demeurent cependant non réglés à ce jour. Par ailleurs, aucune assurance n’est donnée pour 2010.
La MDPH est également en attente de réponses pérennes concernant les engagements financiers de l’État et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ou CNSA, à l’égard de la charge induite par l’attribution de la prestation de compensation du handicap.
Parallèlement, l’État va-t-il honorer ses obligations à l’égard du fonds départemental de compensation du handicap ? En 2009, aucun crédit n’a été alloué à ce titre, alors que la loi prévoit que le reste à charge d’un plan de compensation ne saurait excéder 10 % des ressources personnelles du bénéficiaire.
Les MDPH, guichets uniques des départements, interfaces entre l’ensemble des acteurs du handicap sur le territoire, ne peuvent aujourd’hui continuer à fonctionner de cette manière. La loi garantissait une prise en charge partagée entre l’État et les autres partenaires pour subvenir aux besoins de financement. Un rapport sénatorial, publié en juin dernier, souligne la « grande disparité des situations entre les départements », avec une part de l’État qui peut varier de 12 % à 67 %, amenant les conseils généraux à compenser le manque financier.
En 2010, le département de la Creuse va devoir faire face à un doublement du nombre de bénéficiaires de la PCH. Face à un tel accroissement, la compensation partielle assurée via la CNSA sera inopérante.
Compte tenu des besoins, des attentes et des espoirs des personnes handicapées et de leurs familles, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, d’agir afin que les engagements de l’État en matière de fonctionnement des MDPH soient respectés.
Enfin, l’État se devant d’assurer pleinement son rôle de garant de l’équité territoriale, pourriez-vous m’indiquer si le Gouvernement compte rapidement mettre en œuvre des mesures financières en direction des départements les plus fragiles, dont les finances sont le plus directement affectées par le poids grandissant de la PCH, afin d’assurer l’indispensable solidarité nationale à leur égard ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence d’Éric Woerth ce matin.
Pour être sincère, je ne pense pas que l’on puisse dire que l’État ne s’est pas investi dans la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées. Aujourd’hui, un millier d’agents de l’État sont mis à disposition des MDPH. En 2010, l’État et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie y consacreront plus de 100 millions d’euros.
Pour la première fois d’ailleurs, et vous l’avez rappelé, les crédits nécessaires à la compensation des postes vacants, soit 24 millions d’euros, ont été inscrits en loi de finances. Plus précisément, le versement de la subvention de l’État interviendra cette année en trois fois : le premier versement sera effectué dans les prochaines semaines, le deuxième au mois de juillet et le dernier à l’automne. Une convention financière sera par ailleurs signée entre l’État et les MDPH.
Enfin, avec l’appui de l’Inspection générale des affaires sociales, que le Gouvernement a sollicitée à cet effet, des mesures de gestion des ressources humaines seront mises en œuvre pour améliorer le taux de remplacement des postes vacants.
S’agissant du financement de la prestation de compensation du handicap, le concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie représente 70 % de la dépense, soit 500 millions d’euros, fruits de la solidarité nationale par le biais de la journée de solidarité.
Cependant, nous sommes tous conscients du caractère préoccupant de la situation des finances départementales, même si des disparités sont constatées. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a demandé à Pierre Jamet un rapport sur cette question. Il réunira au mois de mai, soit dans les tous prochains jours, les ministres concernés et la Commission exécutive de l’Assemblée des départements de France afin d’engager un travail de concertation sur les nombreuses propositions de ce rapport.
Comme vous le savez, des travaux sont conduits par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, avec la participation des conseils généraux, afin de proposer des modifications de ces critères, qui pourront être mis en œuvre dès 2011.
M. Jean-Jacques Lozach. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État. Certes, l’État s’est impliqué dans la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées, mais pas au niveau qu’il avait annoncé et qui était prévu dans la loi.
Vous avez fort justement fait référence au rapport Jamet, qui a été remis au Premier ministre le 22 avril dernier. Ce rapport confirme la dégradation des finances départementales. Une typologie des départements a été établie, dans laquelle on distingue en particulier les départements ruraux pauvres, même s’il existe également des départements urbains pauvres.
Ces départements ruraux pauvres, qui sont au nombre de huit, ont progressivement eu à « digérer » l’allocation personnalisée d’autonomie, à compter de 2002, le transfert du revenu minimum d’insertion à partir de 2004, puis la loi du 13 août 2004. Aujourd'hui, les départements assistent à une augmentation de leurs dépenses sociales. Ils doivent ainsi faire face à l’accroissement du « RSA socle » du fait de l’explosion du taux de chômage sur leurs territoires et au financement de la prestation de compensation du handicap. La situation pour l’année 2011 s’annonce donc extrêmement difficile pour les départements ruraux fragiles. Il importe donc de mettre en place très rapidement un système de péréquation offensif et ambitieux afin que ne surgissent pas très vite de lourdes difficultés.
situation financière des veufs et des veuves
M. le président. La parole est à M. André Trillard, auteur de la question n° 869, adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. André Trillard. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dossier des retraites est maintenant sur la table.
Chacun d’entre nous est conscient que, d’une façon ou d’une autre, il lui faudra consentir un sacrifice pour permettre à cette extraordinaire construction que constitue notre système de retraite par répartition de perdurer.
Il est toutefois une catégorie de personnes – essentiellement des femmes – dont la situation doit être améliorée et justifie qu’elles soient épargnées par l’effort collectif : je veux parler des personnes veuves bénéficiaires d’une pension de réversion. Chacun sait ici que leur situation n’a cessé de se dégrader au cours de ces dernières années.
Je connais la position de votre ministre de tutelle sur la suppression de la demi-part supplémentaire de quotient familial attribuée aux personnes seules : il était en effet ministre du budget lorsque cette disposition a été votée. Cette demi-part aurait dû être réservée aux personnes ayant élevé seules un ou plusieurs enfants, comme c’était la vocation du dispositif. Il n’était pas normal, il faut le reconnaître, que des personnes n’ayant jamais élevé seules un enfant puissent en bénéficier, au motif qu’elles vivent seules, à l’issue d’un divorce par exemple.
Même si le Sénat a bien amélioré le dispositif proposé en 2007 en substituant à la suppression envisagée une limitation du bénéfice de la demi-part aux personnes apportant la preuve qu’elles ont élevé seules leurs enfants pendant cinq ans, il reste que nombre de veuves ne pouvant arguer de ces cinq années vont perdre en 2012 ce qui était non pas un avantage, mais une juste et modeste compensation de la faiblesse de leurs revenus. Certaines d’entre elles, qui n’étaient pas imposables jusque là, vont le devenir, avec les conséquences que cela entraîne en termes de taxe d’habitation, de contribution à l’audiovisuel public, de taux de CSG, etc.
Une autre catégorie de personnes veuves n’est, elle, même pas concernée par cette question, car, en raison de la modestie de leurs revenus, en particulier de leur pension de réversion, elles ne sont pas assujetties à l’impôt sur le revenu : de ces femmes aussi, je veux vous parler, monsieur le secrétaire d’État.
Certes, les femmes concernées ont bien noté la volonté du Gouvernement d’améliorer leur situation, symbolisée par la revalorisation de 11 % de l’ensemble des pensions de réversion au 1er janvier 2010, mais elles regrettent que celle-ci ne concerne que les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans percevant moins de 800 euros – c’est peu, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État –, alors même que la condition d’âge minimum pour bénéficier d’une pension de réversion a été rétablie à cinquante-cinq ans.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous lire un court extrait d’un courrier que m’ont adressé les représentantes de l’Association départementale des conjoints survivants de la Loire-Atlantique en février dernier : « en effet, cette pension de réversion n’est autre que le produit du travail de notre conjoint auquel nous avons participé ; nous ne demandons pas la charité, seulement de pouvoir vivre dignement ». Je dois dire que ces propos, frappés au coin du bon sens et empreints de sincérité, me sont allés droit au cœur, comme à d’autres certainement ici.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : pouvez-vous me confirmer que le Gouvernement envisage bien de réexaminer le problème spécifique des pensions de réversion, ainsi qu’il l’a indiqué à plusieurs reprises dans des réponses à des questions, et m’indiquer de quelle façon il compte le faire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les pensions de réversion des veuves et des veufs. Le Gouvernement attache une grande importance à cette question, que nous aurons l’occasion d’évoquer à l’occasion du débat sur les retraites.
Comme le Président de la République s’y était engagé, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a traduit un effort important en termes de revalorisation des pensions de réversion des veuves et des veufs se trouvant dans une situation sociale très précaire.
Le taux de la réversion a été porté de 54 % à 60 % dans le régime général, soit une augmentation de plus de 11 %. Cette augmentation bénéficie, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, à l’ensemble des conjoints survivants âgés de plus de soixante-cinq ans et dont la retraite totale n’excède pas 800 euros. Cette mesure concerne aujourd’hui plus de 600 000 personnes.
Vous évoquez par ailleurs le retour à cinquante-cinq ans de l’âge d’attribution d’une pension de réversion. Cette décision a été prise après une concertation ayant permis de confirmer les conclusions de plusieurs rapports, notamment celui qui a été rédigé en 2007 par les sénateurs Dominique Leclerc et Claude Domeizel.
La réversion ne constitue pas nécessairement une solution adaptée à la prise en charge des situations de veuvage précoce. Elle risque de pénaliser les veuves dont le conjoint décédé n’a pu, en raison du caractère précoce du décès, acquérir que des droits très réduits à l’assurance vieillesse.
L’assurance veuvage constitue, pour les veuvages précoces avant l’âge de cinquante-cinq ans, une solution plus adaptée. Elle a ainsi été rétablie et prolongée, puisqu’elle est maintenant versée pour une durée maximale de deux ans.
Vous m’interrogez enfin, monsieur le sénateur, sur le débat à venir sur la réforme des retraites, que j’ai évoqué au début de mon propos. Dans son document d’orientation, le Gouvernement s’est notamment engagé à adapter les mécanismes de solidarité des régimes de retraite à la réalité des besoins sociaux.
Dans le cadre des discussions qui sont menées, la question des veuves et des veufs, je vous le confirme, sera soulevée. Le Gouvernement fera un certain nombre de propositions qui permettront d’asseoir la solidarité nationale sur des bases justes et conformes aux difficultés rencontrées par certains de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais j’avoue que je reste un peu sur ma faim, car vous parlez au futur : le Gouvernement « fera » des propositions.
En tout cas, je souhaite que cette question importante fasse l’objet d’une étude bienveillante et qu’on n’y apporte pas seulement une réponse technique. Les situations que j’évoque sont difficiles, parfois très complexes, car les retraites des personnes concernées n’atteignent pas toujours 800 euros.
Je souhaite vivement, monsieur le secrétaire d’État, que ces personnes soient bien traitées et qu’elles soient respectées, car elles méritent de l’être.
maintien des établissements départementaux des urssaf
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, auteur de la question n° 846, transmise à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.
M. Marc Laménie. Madame la secrétaire d’État, ma question concerne la prochaine convention d’objectifs et de gestion des URSSAF, les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, en cours de négociation entre les ministères concernés et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS. Cette convention d’objectifs, ainsi que les conséquences qu’elle entraînera, suscite des inquiétudes.
Elle prévoit une régionalisation du réseau des URSSAF avec la disparition de certaines tâches au niveau départemental. L’inquiétude qui se fait jour est celle de la disparition des établissements départementaux de petite taille. Je pense notamment à l’URSSAF du département des Ardennes, qui compte quarante-neuf employés.
Dans les départements, les URSSAF jouent un rôle de proximité et d’accompagnement, notamment vis-à-vis des entreprises en difficulté, auxquelles elles apportent soutien et conseil ; d’où l’importance de telles structures, notamment dans les Ardennes, où le contexte économique est particulièrement difficile. Le maintien de l’établissement concerné est donc vraiment indispensable, d’autant que d’importants efforts de rationalisation et de mutualisation des tâches ont déjà été réalisés avec le département voisin, la Marne.
En conséquence, je souhaiterais obtenir des assurances quant à la pérennité de telles structures départementales, notamment, dans le cas des Ardennes, de l’URSSAF de Charleville-Mézières.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur Laménie, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, qui, retenu actuellement à l’Assemblée nationale pour répondre aux questions de vos collègues députés, m’a déléguée auprès de vous.
Le Gouvernement considère l’évolution des réseaux des différentes branches du régime général comme une condition de l’amélioration de l’efficience du service public de la sécurité sociale, en termes de qualité de service rendu aux citoyens et d’efficacité de ses missions.
Par ailleurs, la branche « recouvrement » doit également développer des services dématérialisés, gages notamment de simplification de la relation avec les employeurs.
Je rappelle que la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale s’était penchée sur la question en 2005. Elle avait souligné que le caractère pléthorique du réseau du régime général pouvait aboutir à une déperdition des ressources et être facteur de déséquilibre. Elle avait donc demandé une évolution du réseau.
Actuellement, l’évolution des réseaux des différentes branches du régime général s’effectue dans le sens du regroupement d’organismes, et ce dans le respect des réalités locales et de l’objectif d’accessibilité préservée à un service public de qualité. En outre, elle s’appuie sur les nouveaux outils de contact dématérialisé avec l’usager.
Dans cet esprit, la convention d’objectifs et de gestion de l’ACOSS pour 2010-2013 – vous l’avez mentionnée, monsieur le sénateur – prévoit de faire évoluer le réseau vers une organisation structurée autour d’URSSAF régionales.
Je le précise, les sites départementaux actuels ne seront pas remis en cause. Une telle évolution n’aura donc aucune conséquence sur les implantations locales, qui seront maintenues. Elles conserveront l’ensemble des activités dont la prise en charge suppose proximité, réactivité et prise en compte des contraintes locales. À ce titre, elles disposeront d’une délégation décisionnelle. L’échelon régional, pour sa part, assurera le pilotage général et la gestion des fonctions pour lesquelles la proximité ne constitue pas un facteur d’efficacité.
Les règles de gouvernance contribueront à assurer l’ancrage départemental de la branche « recouvrement » pour lui permettre de rester en phase avec les problématiques et spécificités locales.
De nouvelles missions seront confiées à l’échelon départemental. Il s’agira, par exemple, d’analyser la politique de service aux usagers ou le contexte économique et social et de lutter contre les fraudes.
La nouvelle convention d’objectifs et de gestion conforte les URSSAF en tant que partenaires privilégiés des entreprises. L’accompagnement juridique des cotisants sera renforcé pour les aider à appliquer la réglementation. Dans un contexte économique tendu, la priorité sera également accordée au recouvrement à l’amiable et au rôle des URSSAF en matière de prévention et d’accompagnement des entreprises en difficulté, sujet que vous avez abordé.
Vous avez aussi évoqué les personnels. Comme cela a été le cas pour la départementalisation dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion précédente, c'est-à-dire celle de 2006-2009, le nouveau schéma organisationnel sera mis en place sans licenciement ni mobilité forcée, conformément aux dispositifs d’accompagnement du changement négociés en 2010 pour le personnel du régime général et en concertation avec les instances locales, les conseils d’administration et les instances représentatives du personnel.
Enfin, des actions de formation et un plan d’accompagnement à la mise en œuvre de la régionalisation seront définis.
Telles sont, monsieur le sénateur, les informations que le Gouvernement souhaitait porter à votre connaissance par mon intermédiaire.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la secrétaire d'État, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre intervention. Vous avez cherché à rassurer les personnels des URSSAF, notamment dans les départements de petite taille. Les agents de ces structures sont très attachés au soutien direct ou indirect en faveur des entreprises, quelles qu’elles soient.
En outre – il ne faut pas l’oublier –, les URSSAF travaillent également pour les collectivités territoriales et jouent de ce fait un rôle de proximité très important en matière de recouvrement, d’où certaines craintes légitimes, que nous pouvons comprendre. Je tenais à vous en faire part.
Quoi qu’il en soit, madame la secrétaire d’État, je vous remercie de nous avoir rassurés et de vouloir ainsi soutenir et développer l’ensemble des missions des URSSAF.
suppression de la demi-part fiscale supplémentaire attribuée aux veuves et veufs
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 870, adressée à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite interroger le Gouvernement sur la suppression de la demi-part fiscale supplémentaire attribuée aux veuves et aux veufs. En effet, et j’attire votre attention sur ce point, la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 restreint les conditions d’attribution de la demi-part supplémentaire au bénéfice des parents isolés ayant élevé seuls leurs enfants.
À l’évidence, une telle mesure est uniquement budgétaire et elle sanctionnera plus spécifiquement la majorité des veuves ou veufs, qui, dans neuf cas sur dix, perdent leur conjoint à plus de cinquante-cinq ans et n’ont généralement plus d’enfant à charge.
Pour ces personnes, dont les revenus sont souvent faibles, une telle disposition aura plusieurs conséquences. D’abord, il y aura augmentation de l’impôt sur le revenu. Ensuite, une population âgée qui n’était jusqu’à présent pas imposée le sera désormais, perdant ainsi le bénéfice d’exonérations ou de dégrèvements en matière de taxe d’habitation et de redevance audiovisuelle. Enfin, le montant des droits liés au niveau d’imposition – je pense notamment à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA – diminuera. Et, dans le même temps, ces personnes continueront à supporter seules les frais de résidence, qu’il s’agisse du loyer, des charges, des impôts locaux ou du chauffage…
Cette mesure pénalisera donc les plus modestes. Des personnes déjà fragilisées par le décès de leur conjoint verront leur pouvoir d’achat encore amputé. Des veuves ayant élevé leurs enfants perdront leur avantage et, de ce fait, la reconnaissance qui leur était due pour avoir ainsi sacrifié leur carrière.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite savoir quelles dispositions seront prises par le Gouvernement pour traiter le cas particulier des conjoints survivants aux revenus modestes qui sont spécifiquement affectés par un tel dispositif.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur Signé, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui m’a chargée de vous apporter des éléments de réponse concernant les nouvelles modalités d’attribution de la majoration de quotient familial pour les personnes vivant seules et ayant élevé un ou plusieurs enfants.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, les modifications des conditions d’attribution de la demi-part supplémentaire pour ceux que l’on appelle les « vieux parents » ont été adoptées dans la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, sur la base d’une initiative parlementaire.
Il faut le rappeler, la demi-part supplémentaire accordée aux parents vivant seuls et ayant élevé un ou plusieurs enfants, faisant l’objet d’une imposition distincte, était une dérogation importante au système du quotient familial. À l’origine, elle était fondée sur la prise en compte de la situation des veuves de guerre. (M. René-Pierre Signé acquiesce.)
Or il est apparu qu’un tel avantage ne correspondait plus à aucune charge effective, qu’elle soit familiale ou liée à une invalidité.
Dans ces conditions, le législateur a décidé de recentrer cet avantage fiscal à compter de l’imposition des revenus de l’année 2009 au bénéfice des seuls contribuables célibataires, divorcés, séparés ou veufs vivant seuls et ayant aussi supporté seuls, à titre exclusif ou principal, la charge d’un enfant pendant au moins cinq années. Auparavant, il suffisait de vivre seul, même en ayant élevé l’enfant ou les enfants concernés à deux.
Désormais, pour les contribuables qui ne satisfont pas à la condition d’avoir supporté la charge d’un enfant pendant au moins cinq ans, l’imposition du revenu est ramenée à un niveau identique à celui des contribuables ayant le même âge, les mêmes revenus, les mêmes charges, mais n’ayant pas eu d’enfant.
À notre sens, il ne serait pas justifié de vouloir revenir aujourd’hui sur le principe d’une telle mesure, qui est de cohérence et d’équité.
Pour éviter des sursauts d’imposition, l’avantage fiscal en matière d’impôt sur le revenu est maintenu à titre provisoire et dégressif pour l’imposition des revenus des années 2009 à 2011.
Ainsi, pour les contribuables ayant bénéficié d’une demi-part supplémentaire pour le calcul de leur impôt sur le revenu au titre de l’année 2008 et ne satisfaisant pas aux nouvelles conditions, à savoir non seulement vivre seul, mais avoir élevé seul un enfant pendant au moins cinq ans, la demi-part est maintenue pour la période 2009-2011, afin d’assurer une transition. La situation de ces contribuables au regard de la taxe d’habitation et de la contribution à l’audiovisuel public sera également préservée pour les années 2010, 2011 et 2012.
Il faut d’ailleurs le rappeler, les personnes âgées de plus de soixante ans, puisque c’est surtout d’elles qu’il s’agit, et les veuves ou veufs peuvent bénéficier d’une exonération de la taxe d’habitation sur leur habitation principale et du dégrèvement de la contribution à l’audiovisuel public lorsque leur revenu fiscal de référence n’excède pas certaines limites prévues par la loi.
Enfin, puisque vous avez évoqué l’APA, je précise que les modalités de son calcul dépendent du niveau des revenus et du nombre de personnes, et non du nombre de parts du foyer fiscal. Ainsi, la nouvelle disposition fiscale relative à l’impôt sur le revenu n’a pas de conséquences sur les modalités de détermination du montant de cette prestation.
Telles sont, monsieur le sénateur, les informations que Christine Lagarde m’avait chargée de porter à votre connaissance.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, je souhaite d’abord remercier Mme la secrétaire d’État, même si sa réponse ne m’a pas convaincu.
Le prétexte invoqué – vous avez parlé d’« équité », madame la secrétaire d’État - pour adopter une telle mesure, qui modifie les dispositions de l’article 195 du code général des impôts, paraît difficilement défendable. En effet, le motif avancé est le suivant : la demi-part ayant été instituée après la Seconde Guerre mondiale pour prendre en compte la situation particulière des veuves de guerre, elle n’aurait plus de pertinence aujourd’hui, car elle favoriserait les situations de ruptures de couples par rapport aux unions. À mon sens, cela ne tient pas.
Il est clair que la décision est uniquement budgétaire et qu’elle sanctionnera plus spécifiquement la majorité des veuves ou des veufs.
En France, chaque année, 235 000 personnes perdent leur conjoint et, dans neuf cas sur dix, le survivant est âgé de plus de cinquante-cinq ans et n’a plus d’enfant à charge.
Madame la secrétaire d’État, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que la situation des personnes concernées est identique à celle des personnes n’ayant pas eu d’enfant. Ne pas avoir eu d’enfant et en avoir eu mais ne plus les avoir à charge, ce n’est tout de même pas exactement pareil !
Je le répète, pour les veuves ou veufs dont les revenus sont faibles, une telle mesure entraînera une augmentation de l’imposition, alors que les frais de résidence resteront évidemment les mêmes.
Je crois donc que cette disposition pénalisera les plus modestes. Des personnes déjà fragilisées par le décès de leur conjoint verront leur pouvoir d’achat, déjà mis à mal par une faible revalorisation des retraites, encore amputé. Des femmes qui ont élevé leurs enfants pendant que leur mari travaillait et qui sont aujourd'hui devenues veuves perdront le bénéfice d’un tel avantage et, de ce fait, la reconnaissance qui leur est due pour avoir ainsi sacrifié leur carrière.
Certes, ces raisons sont d’ordre plus sentimental que budgétaire, mais elles devraient néanmoins être prises en compte.
Madame la secrétaire d'État, le Gouvernement doit agir pour traiter le cas particulier des conjoints survivants aux revenus modestes, qui sont affectés et touchés par cette décision.
interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, en remplacement de Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 819, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
Mme Catherine Morin-Desailly. Cette question porte sur l’effectivité du décret du 15 novembre 2006 relatif à la mise en place de l’interdiction de fumer dans l’ensemble des lieux à usage collectif.
La mise en place de l’interdiction de fumer dans l’ensemble des lieux à usage collectif en 2006 a permis une avancée notoire dans la protection de la population contre la fumée de tabac.
Malgré ce premier succès, de plus en plus de dérives et de tentatives de détournement de la loi sont observées jour après jour. Les plaintes de personnes confrontées à la fumée de tabac dans les lieux visés – bureaux, terrasses de restaurant et de café, transports en commun, parties communes d’immeuble, salles de spectacles, etc. – sont en recrudescence.
M. René-Pierre Signé. Il ne faut pas exagérer !
Mme Catherine Morin-Desailly. Une enquête TNS-Direct d’octobre 2009 réalisée dans deux cent cinquante lieux de convivialité sur le territoire montre que 83 % des personnes sondées sont régulièrement incommodées par des clients fumeurs, et 70 % en outre-mer.
Dans les entreprises et sur les lieux de travail, 20 % des actifs subissent un tabagisme passif en 2009 contre 8 % l’an dernier. Le pourcentage d’exposition le plus élevé - 27 % - concerne les entreprises de taille moyenne.
Parallèlement, on note un laxisme, voire une absence manifeste de contrôles sur le terrain, ce qui risque de nous ramener à la situation antérieure à la loi.
Or ce sont près de 66 000 de nos concitoyens qui seront susceptibles de mourir des suites du tabagisme actif ou passif cette année, le tabac représentant la première cause de décès évitable en France.
Il n’est pas nécessaire de présenter de nouveaux aménagements législatifs, mais il faut demander une application de la loi plus responsable afin que les efforts entrepris par les associations et l’État ne soient pas vains.
C’est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d'État, de bien vouloir nous faire connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre afin de remédier à cette situation.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Madame la sénatrice, vous avez bien voulu attirer l’attention de Mme Roselyne Bachelot sur l’application de l’interdiction de fumer, en particulier à la suite des constats figurant dans le rapport de l’association Les Droits des Non-Fumeurs, dite DNF.
Ce rapport porte, notamment, sur l’évolution des comportements à l’égard du tabac et de la législation dans notre pays trois ans après l’entrée en vigueur du décret du 15 novembre 2006 venu renforcer l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, en particulier depuis le 1er janvier 2008, dans les cafés, bars, restaurants et discothèques.
Dans ce rapport, l’association DNF reconnaît un recul indéniable de l’exposition à la fumée de tabac dans la majorité des lieux à usage collectif. Cette observation rejoint celle du ministère de la santé et des sports : la mesure est en effet bien respectée.
Ainsi, les enquêtes de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, et de l’Office français de prévention du tabagisme, l’OFT, menées de 2006 à 2008, ont montré un effondrement de la pollution de l’air dans les lieux dits de « convivialité ».
En effet, si en décembre 2007 plus de 50 % des établissements du secteur des cafés, hôtels, restaurants, discothèques, dépassaient les niveaux d’alerte à la pollution de l’air des villes, on observait un taux résiduel de 10 % en janvier 2008, ce qui correspond à une chute de 80 %.
M. René-Pierre Signé. Pas des cancers !
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. De même, les enquêtes de perception montrent que la majorité des Français se déclarent aujourd’hui non exposés à la fumée de tabac dans les lieux collectifs.
Enfin, l’adhésion à cette mesure est très forte, chez les non-fumeurs comme chez les fumeurs. Par exemple, 95 % de la clientèle non fumeuse et 85 % de la clientèle fumeuse des restaurants soutient cette interdiction.
La mise en œuvre du décret du 15 novembre 2006 est donc un succès et constitue une avancée majeure en matière de santé publique.
Pour autant, le rapport de l’association DNF nous rappelle avec force qu’il ne faut pas baisser la garde. Nous devons poursuivre sans relâche les efforts afin d’ancrer ces avancées dans la durée.
Cela passe par l’information et par l’éducation. C’est pourquoi Mme la ministre de la santé et des sports a demandé à l’INPES de renforcer cet axe dans ses communications relatives au tabagisme.
Cela passe aussi, vous l’avez souligné, par le contrôle sur le terrain du respect de la loi et, le cas échéant, par la mise en œuvre de sanctions pour les contrevenants.
Deux circulaires ont ainsi été publiées, en 2007 et en 2008, afin de rappeler la réglementation, de préciser particulièrement l’application aux terrasses couvertes de l’interdiction de fumer et d’appeler les préfets à mobiliser les corps de contrôle relevant de leur autorité.
Plus récemment encore, en juillet 2009, avec la promulgation de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », le renforcement des pouvoirs des agents de contrôle du secteur « travail-santé » sur l’interdiction de fumer a été inscrit dans la loi.
Le ministère de la santé et des sports ne peut, toutefois, outrepasser son champ de compétence.
C’est pourquoi, au cours de l’année 2009, Mme Bachelot-Narquin a saisi le ministre de l’intérieur, de l’outre mer et des collectivités territoriales, compétent en la matière, pour lui demander de remobiliser les services de police sur l’application de la mesure d’interdiction de fumer.
Soyez assurée, madame la sénatrice, de la détermination et de l’engagement de Mme la ministre de la santé et des sports dans le combat contre le tabagisme auquel, tout comme vous, elle est particulièrement attachée.
M. René-Pierre Signé. C’est une société de répression !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je remercie Mme la secrétaire d'État des éléments de réponse qu’elle nous a apportés. Je ne manquerai pas de les transmettre à ma collègue sénatrice de la Réunion, qui, comme chacun sait, mène un véritable combat contre le tabagisme.
situation de l'hôpital de pithiviers
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 862, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la secrétaire d'État, je souhaitais appeler votre attention sur la situation de l’hôpital de Pithiviers, dans le Loiret.
Le fait que le poste de directeur de cet hôpital ne soit désormais plus pourvu et que le directeur du centre hospitalier de Montargis assure la direction des deux établissements a suscité des interrogations quant au devenir de l’hôpital de Pithiviers.
J’observe, d’ailleurs, que le poste de directeur du centre hospitalier de Montargis sera vacant et que, dans l’appel à candidatures, il est question d’un directeur pour l’hôpital de Montargis et non d’un directeur pour l’hôpital de Montargis et pour celui de Pithiviers.
Je souhaite vous rappeler, madame la secrétaire d'État, que l’hôpital de Pithiviers joue un rôle essentiel pour les habitants du Pithiverais, mais aussi pour ceux des secteurs nord et ouest du département du Loiret. Si la coopération entre les établissements hospitaliers est utile et nécessaire, il serait incompréhensible et très préjudiciable que celle-ci se traduise négativement pour l’hôpital de Pithiviers.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir me confirmer que les services apportés par cet hôpital seront maintenus, en particulier le bloc opératoire et la maternité, auxquels les habitants de ce vaste secteur sont extrêmement attachés.
Je souhaite, en outre, vous poser une question complémentaire.
Une coopération a été mise en place il y a plusieurs années entre les hôpitaux de Pithiviers et d’Étampes. Pouvez-vous dissiper les inquiétudes qui sont nées de directives qui auraient été données en vertu desquelles chaque établissement devrait désormais se « recentrer » sur sa région sanitaire ? Si Étampes se recentre sur Étampes et Pithiviers sur Pithiviers, cette coopération pourrait naturellement se trouver mise à mal…
De nouvelles coopérations sont, certes, à rechercher et à développer, mais de telles orientations appliquées arbitrairement pourraient être néfastes, car elles porteraient atteinte à un partenariat constructif associant aujourd’hui les médecins des deux établissements concernés.
Je vous remercie par avance, madame la secrétaire d'État, des réponses que vous pourrez m’apporter.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’avenir de l’hôpital de Pithiviers au regard, notamment, du poste de direction de l’établissement, occupé aujourd’hui par le directeur du centre hospitalier de l’agglomération montargoise.
Le poste de directeur du centre hospitalier de Pithiviers et de l’hôpital local de Beaune-la-Rolande a fait l’objet d’une publication de vacance de poste.
Cependant, un seul candidat, ne répondant pas au profil du poste, s’est déclaré.
Aussi le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation du Centre a préféré confier l’intérim de la direction du centre hospitalier de Pithiviers et de l’hôpital local de Beaune-la-Rolande au directeur du centre hospitalier de Montargis.
Cet intérim ne remet pas en cause le développement de l’établissement. Au contraire, le renforcement des coopérations avec le centre hospitalier de Montargis peut sécuriser le développement du centre hospitalier de Pithiviers, en l’adossant à un établissement de référence.
Le centre hospitalier de Pithiviers et le centre hospitalier de l’agglomération montargoise sont distants de 46 kilomètres. L’établissement de Pithiviers est un hôpital de proximité, qui répond pleinement aux besoins de santé de la population. Il dispose d’un plateau technique et d’un service d’urgences, et propose des activités de médecine, de gynécologie-obstétrique et de gériatrie.
Le centre hospitalier de Montargis est, quant à lui, comme vous le savez, un pôle de référence pour l’est et le sud du Loiret.
Un renforcement de la coopération doit permettre de développer de nouvelles prestations sur le site du centre hospitalier de Pithiviers, avec des consultations spécialisées proposées par le centre hospitalier de Montargis.
La coopération doit permettre, également, de développer les échanges entre les professionnels dans le cadre de formations communes et de partage des pratiques professionnelles dans un souci d’amélioration de la qualité du service.
Le développement du centre hospitalier de Pithiviers passe donc par une coopération avec un centre hospitalier de référence tel que le centre hospitalier de l’agglomération de Montargis.
Ce rapprochement pourra conduire les établissements à créer une communauté hospitalière de territoire, dans l’intérêt commun des deux établissements et, bien sûr, de la population.
La gouvernance des établissements devra, quant à elle, évoluer pour mieux répondre à ces nouveaux enjeux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie et me réjouis de votre réponse, qui garantit que l’ensemble du potentiel médical et hospitalier de l’hôpital de Pithiviers sera préservé et, vous l’avez dit, renforcé.
Cette précision ne manquera pas de rassurer celles et ceux qui éprouvaient des inquiétudes à ce sujet.
Il est très positif qu’existe une solide coopération entre l’hôpital de Montargis et celui de Pithiviers, dans le respect des spécificités de chacun, mais en toute complémentarité, au nom de l’intérêt public.
J’observe cependant que vous n’avez pas apporté de réponse à ma question complémentaire sur la coopération actuelle entre Étampes et Pithiviers. Peut-être aurons-nous l’occasion d’en reparler, avec vous-même ou avec Mme la ministre de la santé et des sports ?
publication du décret relatif aux règles d'aménagement des points d'eau servant à l'alimentation des engins de lutte contre l'incendie
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 848, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les règles d’implantation des points d’eau servant à la défense contre l’incendie dans les communes.
Ces règles suscitent de nombreuses difficultés de mise en œuvre, tout particulièrement en zones rurales.
Ainsi, dans le cadre de la défense extérieure contre l’incendie, un nouveau décret revenant sur ces règles est très attendu. Malheureusement, son adoption a été maintes fois repoussée et, à présent, il devient urgent d’agir.
Les nouvelles règles d’aménagement des points d’eau servant à l’alimentation des engins de lutte contre l’incendie doivent maintenant évoluer.
Ce décret a justement pour objet de réformer et de moderniser les règles et les textes anciens, notamment la circulaire du 10 décembre 1951.
Le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé sur ce dossier lors de la discussion de la loi de modernisation de la sécurité civile, en 2004.
Madame le ministre, je mesure parfaitement l’ampleur et la complexité de cette réforme, puisque l’on parle d’un recadrage général du domaine. Cependant, il est essentiel de ne pas perdre de vue qu’elle est aussi particulièrement attendue par de nombreux élus locaux et par les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS. Beaucoup d’élus ruraux sont particulièrement inquiets à ce sujet et il paraît indispensable aujourd’hui de leur apporter certaines garanties, de réaffirmer et clarifier les pouvoirs des maires en la matière, tout en améliorant et en adaptant le cadre de leur exercice.
Par ailleurs, que dire des rôles respectifs des communes, des établissements publics de coopération intercommunale et des SDIS, que le projet de décret vise également à mettre en cohérence avec les lois de décentralisation, la réforme des services d’incendie et de secours ou encore la gestion générale des ressources en eau ?
Outre le fait de développer une défense efficiente contre l’incendie, les nouvelles règles d’implantation dans les communes des points d’eau servant à cette défense doivent permettre aux élus de trouver des adaptations aux particularités de leur territoire. En effet, dans un contexte économique difficile, les petites communes, dont les budgets sont limités, ne peuvent pas se permettre d’effectuer des investissements trop lourds financièrement. Enfin, il est bien difficile de déclasser des terrains desservis par tous les réseaux, sauf par celui de la défense contre l’incendie.
Aussi est-il urgent que la publication des textes réglementaires aboutisse, et à une échéance véritablement raisonnable. En conséquence, madame la ministre, je souhaite connaître vos intentions et celle du Gouvernement sur cette question.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur le sénateur, depuis plusieurs années, les règles d’implantation des points d’eau servant à la défense contre l’incendie dans les communes suscitent, comme vous le soulignez, de nombreuses interrogations, en particulier dans les zones rurales.
C’est pourquoi, en 2004, à l’occasion de la discussion de la loi de modernisation de la sécurité civile, le Gouvernement a décidé de réfléchir à une réforme qui aboutisse à l’abrogation de tous les anciens textes relatifs au sujet. Ce projet de réforme, certes complexe, vise à répondre aux attentes des élus, en définissant une approche plus rationnelle de la défense extérieure contre l’incendie. Il repose, comme vous l’exposez, sur une analyse des risques, prend en compte l’ensemble des moyens en eau mobilisables et s’articule sur un cadre juridique à trois niveaux : national, départemental et communal.
Un projet de décret et un projet d’arrêté fixant le cadre national ont été rédigés et soumis, en 2009, à la consultation des partenaires concernés. Il est toutefois ressorti de cette concertation que ces textes ne permettaient pas de régler de manière satisfaisante le transfert aux intercommunalités de la défense extérieure contre l’incendie.
Aussi, pour mieux répondre à la demande des élus relayée par l’Association des maires de France, le Gouvernement a-t-il dû recourir à une disposition législative. Cette dernière, introduite par voie d’amendement gouvernemental dans la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 2 décembre 2009, vise à préciser le cadre juridique de la gestion intercommunale de la défense extérieure contre l’incendie.
Monsieur le sénateur, dès que cette disposition législative aura été définitivement adoptée par le Parlement, le Gouvernement s’engage à publier son décret d’application dans les meilleurs délais. L’enjeu de la réforme est en effet de répondre au mieux aux attentes juridiques, techniques et financières de tous les partenaires concernés, l’objectif commun restant la sécurité de nos concitoyens.
Le ministre de l’intérieur comprend votre légitime attente, ainsi que celle de nombreux parlementaires. Il tient à vous assurer, monsieur le sénateur, qu’il entend mener à bien la réforme de la défense extérieure contre l’incendie qui, rappelons-le, a été tentée à trois reprises, mais sans succès, au cours des cinquante dernières années.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Je remercie Mme la ministre de sa réponse, complète et précise.
J’ai bien noté que le Gouvernement s’engageait à nous faire parvenir dans les meilleurs délais ce décret très attendu, je le rappelle, par les élus locaux et, notamment, les élus ruraux.
amortissement des subventions d’équipement versées par les départements
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy, auteur de la question n° 856, transmise à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.
M. Philippe Leroy. Madame la ministre, permettez-moi d’appeler l’attention du Gouvernement sur l’instruction budgétaire et comptable M. 52 des départements, et plus particulièrement sur le principe de l’amortissement des subventions d’équipement. Cette question est certes technique, mais ses conséquences budgétaires sont très lourdes !
Les subventions d’équipement sont, chacun le sait, inscrites dans la section d’investissement du budget. La règle posée par l’instruction M. 52 veut qu’elles soient amorties en cinq ans au plus, lorsque les bénéficiaires sont des personnes privées, ou en quinze ans au plus, lorsque les bénéficiaires sont des personnes publiques.
Par conséquent, alors même que la collectivité dont procède la subvention n’est pas propriétaire du patrimoine qu’elle finance, il lui est pourtant imposé d’amortir cette subvention, au même titre que les immobilisations inscrites à son propre patrimoine. Or, madame la ministre, l’amortissement n’est à mes yeux rien d’autre que la réduction irréversible, répartie sur une période déterminée, du montant des immobilisations figurant au bilan. Son objet consiste essentiellement à favoriser le renouvellement du patrimoine propre de la collectivité.
Dès lors, l’amortissement des subventions d’équipement peine à se justifier, puisque le versement de celles-ci ne s’inscrit pas dans cette logique de renouvellement patrimonial. J’ajoute, par ailleurs, que la collectivité bénéficiaire de la subvention procède déjà à l’amortissement du bien considéré sur son propre budget.
C’est pourquoi j’estime qu’une nouvelle réflexion doit être engagée au plus tôt pour rendre possible une neutralisation de l’amortissement des subventions d’équipement versées par les départements, comme elle existe déjà dans l’instruction M. 52 pour les bâtiments publics et, surtout, dans l’instruction M. 71 applicable aux régions, qui pose le principe de la neutralisation des amortissements, tant pour les bâtiments publics que pour les subventions d’équipement versées. Les départements sont un peu jaloux et se sentent lésés, car ils voient dans cette situation deux poids et deux mesures !
Madame la ministre, vous conviendrez avec moi que ce sujet mérite d’autant plus d’attention que les marges de manœuvre financières des départements tendent à s’amenuiser. Par conséquent, sur un plan très pratique, la moitié au moins des départements ne peuvent pas inscrire la totalité de leurs amortissements dans leur budget, qui devient donc illégal !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur Leroy, le Gouvernement ne peut que se montrer prudent sur la neutralisation de l’amortissement des subventions d’équipement versées par les départements.
Cette question appelle trois remarques de ma part.
Premièrement, les subventions d’équipement versées ne constituent pas de véritables actifs durables pour la collectivité qui les a distribuées : elles ne peuvent donc subsister indéfiniment à son bilan. En conséquence, leur inscription directe en section d’investissement impose aux départements l’obligation de les amortir dans leurs comptes. Cependant, afin de lisser dans le temps les conséquences financières de cette charge, la durée d’amortissement a déjà été prolongée de manière dérogatoire jusqu’à une durée maximale de quinze ans pour les subventions d’équipement versées aux organismes publics.
Deuxièmement, il ne paraîtrait pas de bonne administration de revenir aujourd’hui sur l’amortissement de ces subventions et de permettre aux conseils généraux de neutraliser leur amortissement, même lorsqu’ils sont aux prises avec une contrainte budgétaire forte, sauf à fausser l’approche patrimoniale des collectivités locales.
Troisièmement, la neutralisation de l’amortissement n’aurait sans doute qu’un effet très limité. Elle ne saurait, à elle seule, résoudre les problèmes structurels que peuvent rencontrer certains départements, ce jeu d’écritures d’ordre ne permettant que de soulager à très court terme la section de fonctionnement de certaines collectivités, celles qui ont accordé, de manière récurrente et à un haut niveau, des subventions d’équipement à des tiers, des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale.
M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, chargé par le Premier ministre d’établir un rapport sur les finances départementales, n’a d’ailleurs pas retenu cette piste parmi celles qu’il propose pour soulager certains départements qui connaissent actuellement des difficultés financières.
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Madame la ministre, je vous remercie de vous réponse, bien que celle-ci ne me paraisse pas totalement satisfaisante, vous le comprendrez bien !
D’une part, pourquoi les régions sont-elles autorisées à neutraliser l’amortissement des subventions d’équipement qu’elles versent, contrairement aux départements ? Le fondement juridique de cette différence de traitement m’échappe…
D’autre part, ces dispositions très techniques permettent au Gouvernement d’exercer une forme de tutelle sur les départements, ce qui ne me paraît pas tout à fait conforme à l’esprit des lois de décentralisation.
Cette question mérite donc d’être à nouveau examinée, madame la ministre, et, si je me suis permis de la poser, c’est bien parce que M. Jamet, dans le rapport que vous avez évoqué, n’en parle pas !
compagnie de gendarmerie de castelnaudary
M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud, auteur de la question n° 861, adressée à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.
M. Marcel Rainaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus audois ont accueilli avec une profonde surprise le projet de réorganisation territoriale du groupement de gendarmerie de l’Aude et, plus particulièrement, la partie relative à la compagnie de Castelnaudary, dont le caractère de plein exercice est appelé à disparaître, du fait du transfert de son commandement et de sa brigade de recherches à Carcassonne, chef-lieu du département.
La raison invoquée pour justifier cette proposition est la recherche d’une meilleure capacité opérationnelle. Cet argument est pour le moins surprenant, car les communes relevant du ressort territorial de cette compagnie sont situées, dans leur très grande majorité, de part et d’autre d’axes de circulations très fréquentés, à proximité de la métropole toulousaine. Si ces communes tirent une réelle force économique, sociale et culturelle de ce positionnement géographique, celui-ci est à l’origine de phénomènes de délinquance qui, malgré le grand professionnalisme des gendarmes, ont tendance à s’accroître et sont éloignés de la problématique que rencontre la compagnie de gendarmerie de Carcassonne, dont l’environnement économique et social est différent.
De plus, le territoire du Lauragais audois, particulièrement dynamique, devrait accueillir des zones d’activité importantes dans un avenir très proche, ainsi que 20 000 habitants supplémentaires à l’horizon de 2020.
Ces perspectives sont connues de tous, puisqu’elles font l’objet de l’élaboration du schéma de cohérence territoriale du Lauragais, et se situent dans le cadre d’une réflexion plus large, portant sur l’inter-SCOT toulousain.
Ainsi, éloigner l’organe de décision et de commandement des unités d’un territoire en plein développement ne ferait qu’altérer ses capacités d’analyse de la délinquance, sa connaissance du terrain et des populations. Cette démarche ne tendra pas à améliorer la politique de sécurité mise en œuvre au niveau de cet échelon de commandement. Bien au contraire, elle en réduira l’efficacité, parce qu’elle conduira à effectuer un diagnostic à distance et sans concertation avec les élus locaux. En effet, les communes relevant de la compagnie de Carcassonne doivent faire face à une délinquance aux caractéristiques différentes.
Dans ces conditions, placer les brigades de la compagnie de Castelnaudary sous le commandement de celle de Carcassonne entraînera une perte d’efficacité et éloignera inéluctablement les services de l’État des objectifs de sécurité publique que votre Gouvernement a affichés.
Pour ce qui concerne la brigade de recherches, force est de constater que cette unité est présente dans toutes les compagnies de gendarmerie. En prise directe avec son environnement, elle est un rouage opérationnel incontournable. Par conséquent, éloigner ce service du territoire appauvrira la connaissance qu’il peut acquérir des phénomènes de délinquance qui s’y produisent et réduira son efficacité ainsi que sa capacité d’anticipation.
De plus, remplacer une unité de six personnes par trois militaires affectés en renfort dans une unité éloignée ne saurait aucunement garantir une efficacité similaire. La délinquance constatée sur le territoire de Carcassonne, à elle seule, mobilise entièrement la brigade de recherches de cette ville, même renforcée.
Nous craignons donc de voir cette brigade de recherches travailler uniquement en périphérie du chef-lieu du département et de ne plus disposer d’une unité à même de traiter les faits les plus importants constatés dans le Lauragais. Je suis convaincu, madame la ministre, que telle n’est pas votre conception du service public de sécurité.
Ni les élus ni la population ne saisissent de quelle façon la disparition programmée de la compagnie de Castelnaudary, dans sa fonction de plein exercice, serait de nature à renforcer la capacité opérationnelle du groupement de gendarmerie de l’Aude !
Seule une compagnie de gendarmerie de plein exercice ayant à sa tête un véritable groupe de commandement – il existe aujourd’hui et il a fait ses preuves ! – paraît capable de garantir une réponse adaptée et efficace à la nature de la délinquance propre à ce territoire, au plus proche des attentes de nos concitoyens.
C’est ce que les élus, les Audoises et les Audois souhaitent conserver aujourd’hui, et il ne s’agit pas là d’une demande démesurée.
Je vous remercie donc, madame la ministre, de bien vouloir préciser la position que le Gouvernement entend adopter sur ce dossier.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, vous interrogez le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur le devenir de la compagnie de gendarmerie départementale de Castelnaudary, dans le département de l’Aude.
Assurer la sécurité de tous nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national constitue naturellement une préoccupation majeure pour le ministre de l’intérieur. Il ne doit y avoir aucune population négligée ni aucun territoire oublié. Ainsi, le maillage territorial des forces de sécurité intérieure, qui répond parfaitement aux attentes des Français en termes de proximité et de contact, ne sera pas remis en cause. Le principe même de son existence est donc réaffirmé.
Toutefois, la situation n’est pas figée ; elle ne l’a jamais été. En effet, les ajustements ponctuels du maillage sont indispensables et permettent d’adapter le dispositif opérationnel aux évolutions observées, à savoir notamment la répartition de la population, les formes de la délinquance, les bassins de vie et flux de circulation.
S’agissant du département de l’Aude, et plus particulièrement de l’arrondissement de Carcassonne, des réflexions sont effectivement en cours. Elles visent à améliorer l’efficience des structures de la gendarmerie en rationalisant les fonctions support et l’architecture du commandement, sans dégrader la qualité du service public de sécurité assuré au profit de nos concitoyens.
Cette adaptation continue du dispositif opérationnel aux contingences locales a démontré toute sa pertinence et participé à la baisse de la délinquance. Ainsi, entre 2002 et 2009, les atteintes aux biens et les cambriolages constatés par les unités du groupement de gendarmerie départementale de l’Aude ont reculé respectivement de 7,6 % et 8,9 %.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, soyez assuré que le niveau de sécurité assuré par la présence des gendarmes sur ce territoire sera maintenu. Aucune décision ne sera en outre arrêtée sans qu’une concertation préalable soit menée, avec les élus concernés, sous l’égide de Mme le préfet de l’Aude.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud.
M. Marcel Rainaud. Madame la ministre, votre réponse est bien entendu loin de nous satisfaire et d’apporter les garanties nécessaires aux élus et à la population de l’ouest Audois.
Cette réorganisation semble une nouvelle fois avoir pour seul objectif la réalisation d’économies de fonctionnement à court terme. À travers elle, nous voyons bien se dessiner les contours de ce qui nous attend : le transfert au commissariat de police de Castelnaudary de l’ensemble de la circonscription aujourd’hui couverte par la compagnie de gendarmerie.
Une telle solution, si elle peut apparaître comme un renforcement du pôle urbain de ce bassin de vie, va, là encore, démunir les territoires ruraux.
C’est votre conception de l’aménagement du territoire ; elle est à l’opposé de la mienne, à l’opposé aussi des besoins de celles et ceux qui vivent au quotidien le retrait des services publics des zones rurales !
conditions d'engagement des sapeurs-pompiers volontaires
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, auteur de la question n° 885, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
M. François Fortassin. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les règles applicables à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires, notamment depuis le décret n° 2009-1224 du 13 octobre 2009 portant diverses dispositions relatives aux sapeurs-pompiers volontaires.
En effet, l’instauration de la possibilité de maintien en activité des sapeurs-pompiers volontaires jusqu’à l’âge de soixante-cinq ans, sur leur demande et sous réserve de leur aptitude médicale, constitue un nouvel outil à la disposition des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, leur permettant de faire face à certaines situations ou problématiques particulières. Je pense notamment à la difficile fidélisation des sapeurs-pompiers volontaires, à la nécessaire valorisation des compétences des personnels expérimentés et, sur un plan plus opérationnel et dans certains secteurs, aux difficultés à assurer la gestion et la direction des centres d’incendie et de secours, en particulier lorsque les structures disposent d’effectifs relativement réduits.
Néanmoins, certaines difficultés d’interprétation de ces nouvelles mesures relatives à la limite d’âge conduisent à en restreindre la mise en œuvre et le bénéfice tant pour les SDIS que pour les sapeurs-pompiers volontaires, et ainsi à laisser subsister les problèmes constatés.
Je souhaiterais en conséquence connaître la position du ministère de l’intérieur sur ces interprétations et les actions qui peuvent être mises en œuvre afin de renforcer la fidélisation des sapeurs-pompiers volontaires et la valorisation de leur expérience.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, l’âge limite d’exercice de l’activité de sapeur-pompier volontaire est fixé à soixante ans, conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article 43 du décret du 10 décembre 1999 relatif aux sapeurs-pompiers volontaires. C’est également l’âge maximal auquel un SDIS peut procéder au recrutement d’un sapeur-pompier volontaire.
Le décret du 13 octobre 2009 portant diverses dispositions relatives aux sapeurs-pompiers volontaires a modifié l’article 43 précité, afin de prévoir le maintien en activité des sapeurs-pompiers volontaires au-delà de l’âge de soixante ans, sous réserve de leur aptitude médicale.
Le code général des collectivités locales dispose que les sapeurs-pompiers volontaires membres du corps départemental « sont engagés et gérés par le service départemental d’incendie et de secours ». En vertu du principe de libre administration des collectivités locales, il appartient donc aux SDIS de juger de l’opportunité du réengagement de sapeurs-pompiers volontaires qui ont dépassé l’âge de soixante ans.
S’agissant du renforcement de la fidélisation des volontaires, je vous rappelle que les SDIS sont composés à 85 % de sapeurs-pompiers volontaires, ces derniers disposant de compétences identiques à celles des sapeurs-pompiers professionnels.
Ce contexte de forte prégnance du volontariat guide actuellement les travaux de la commission « Ambition volontariat », qui s’inscrivent dans la continuité du rapport remis par M. Luc Ferry, à l’automne dernier, au ministre de l’intérieur.
C’est dans ce cadre, monsieur le sénateur, que vos préoccupations relatives à la valorisation de cette activité ont d’ores et déjà été intégrées.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Je vous remercie de ces réponses, madame la ministre. Il m’appartient désormais de saisir le colonel Patrick Heyraud, directeur du SDIS de mon département, et de rechercher avec lui des solutions qui, dans un certain nombre de cas, pourraient se révéler extrêmement intéressantes. Par exemple, il est parfois difficile pour des sapeurs-pompiers volontaires ayant un emploi d’assurer l’entretien des véhicules de leur centre d’incendie et de secours, alors que ceux d’entre eux qui sont à la retraite, encore aptes physiquement et médicalement, peuvent s’acquitter de ces tâches au bénéfice de tous.
identité de genre et statut des personnes transsexuelles
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 832, adressée à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Mme Maryvonne Blondin. Hasard du calendrier, au lendemain de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie et le jour même où le président du Portugal ratifie une loi autorisant le mariage entre homosexuels, je voudrais attirer l’attention de Mme Michèle Alliot-Marie sur la discrimination subie par des milliers de personnes du fait de leur identité, non pas nationale, mais de genre.
Le Conseil de l’Europe, dont je suis membre, a adopté en avril dernier une résolution avec une recommandation visant à lutter, au sein des quarante-sept pays membres, contre les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Le débat a aussi porté sur l’importance de favoriser le respect des personnes lesbiennes, gay et bisexuelles – dites personnes LGB –, de combattre les préjugés ainsi que de faciliter les débats publics et les réformes sur ces questions.
Je m’emploie donc à relayer auprès du Gouvernement ces recommandations du Conseil de l’Europe.
Aujourd’hui encore, l’identité de genre est un mobile récurrent de discriminations, d’agressions, mais aussi de suicides. Or elle ne figure toujours pas dans la liste des dix-huit motifs de discrimination prohibés par la loi. Pourtant, au regard de nos engagements internationaux, cette inscription ne peut plus être retardée !
Il est tout aussi urgent que notre système facilite et allège la procédure visant à la reconnaissance juridique du nouveau sexe des personnes transgenres.
En effet, jusqu’à présent, le législateur français s’est toujours refusé à encadrer juridiquement le statut des personnes transsexuelles, laissant au seul juge le soin de définir, par sa jurisprudence, les dispositifs permettant la reconnaissance juridique de leur nouveau sexe.
Ainsi, à ce jour, le changement d’état civil pour les personnes transsexuelles est judiciarisé et nécessite des procédures très longues et coûteuses.
Les différences de pratiques d’un tribunal à l’autre confinent à l’arbitraire et l’opération chirurgicale, même si elle n’est pas obligatoire en droit, reste une condition largement exigée. Or elle ne résout pas forcément les incohérences. Des situations ubuesques s’imposent en effet aux personnes transgenres et révèlent l’iniquité de traitement qui leur est réservée d’une administration à l’autre, mais également d’un territoire à l’autre.
Notre législation ne permettant pas la reconnaissance juridique des couples de même sexe, il est notamment impossible aux personnes transsexuelles d’obtenir un changement de sexe à l’état civil, si elles sont préalablement mariées et ne souhaitent pas divorcer.
Je pense notamment au cas d’un habitant de Besançon, marié à une femme depuis trente-neuf ans, mais devenu femme depuis deux ans. Ce cas a d’ailleurs servi de base de réflexion à la sixième recommandation du rapport de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme, Droits de l’homme et identité de genre. Cette recommandation vise à supprimer les dispositions qui portent atteinte au droit des personnes transgenres de demeurer mariées.
Avec ces mesures, se profilent des enjeux liés non seulement à l’application du principe fondamental de l’universalité des droits, mais également à celle du droit au respect de la vie privée et familiale, tel que défini par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Aussi, afin que la France se montre à la hauteur de ses déclarations et des engagements internationaux qu’elle a souscrits, je voudrais savoir quelles mesures elle entend prendre aujourd’hui pour promouvoir un message clair de respect et de non-discrimination à l’égard des personnes transgenres, mais également et surtout pour faciliter et alléger la procédure de reconnaissance juridique de leur nouveau sexe.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, je tiens avant tout à excuser ma collègue Michèle Alliot-Marie qui, pour des raisons d’agenda, ne peut vous répondre elle-même ce matin.
L’identité sexuelle est l’une des composantes de l’état des personnes et, à ce titre, elle est soumise au principe, d’ordre public, d’indisponibilité. C’est la raison pour laquelle une décision judiciaire est et doit rester nécessaire pour statuer sur les demandes de changement de sexe.
En 1992, la Cour de cassation a précisé les critères permettant le changement de sexe devant les tribunaux : la personne doit, d’une part, à la suite d’un traitement médico-chirurgical suivi dans un but thérapeutique, ne plus posséder tous les caractères de son sexe d’origine et, d’autre part, avoir pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social.
Si ces conditions sont remplies, le principe du respect de la vie privée justifie, pour la Cour de cassation, que l’état civil indique le sexe dont la personne a l’apparence.
Les tribunaux doivent donc apprécier au cas par cas les demandes de changement de sexe, au regard de ces critères, et notamment du caractère irréversible du processus. Ce dernier peut être démontré par le suivi de traitements médico-chirurgicaux, comme l’hormonothérapie, associés le cas échéant à la chirurgie plastique.
Pour autant, il n’apparaît pas nécessaire d’exiger systématiquement qu’une opération de réassignation sexuelle ait été réalisée.
La médecine a beaucoup progressé en ce domaine. Désormais, la prise durable des traitements hormonaux peut entraîner des changements irréversibles, même en l’absence d’opération chirurgicale d’ablation des organes génitaux.
Par ailleurs, s’il est légitime d’exiger des personnes transsexuelles de rapporter la preuve des faits qui justifient leur demande, les expertises judiciaires doivent, elles, être ordonnées dans les seuls cas de doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur, notamment en l’absence d’attestations de médecins ayant suivi la personne concernée.
Pour l’ensemble de ces raisons, une circulaire a été adressée, le 14 mai dernier, aux parquets. Celle-ci invite le ministère public à émettre un avis favorable aux demandes de changement de sexe à l’état civil dès lors que les traitements conférant une apparence physique et un comportement social correspondant au sexe revendiqué ont bien entraîné un changement irréversible.
Par ailleurs, cette circulaire préconise de limiter le recours aux expertises aux seuls cas où les circonstances l’exigent véritablement. Ces instructions devraient aboutir à une réelle simplification des démarches des personnes transsexuelles et à une harmonisation des pratiques des différentes juridictions.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, j’ai bien pris note de votre réponse et surtout de la circulaire du 14 mai dernier, qui, je l’espère, va effectivement faciliter une harmonisation sur l’ensemble de notre territoire, car il est regrettable d’y constater autant de disparités. Peut-être la France pourra-t-elle imiter la Belgique, qui, à la suite d’une loi de 2007, a adapté son code civil aux besoins de la société pour prévoir que la simple rectification de l’état civil peut se faire désormais devant l’officier d’état civil de la commune. Et – qui sait ? – peut-être la France pourra-t-elle également, après le Portugal, légaliser le mariage homosexuel…
réforme de la filière du baccalauréat technologique et conséquences pour le secteur du BTP
M. le président. La parole est à M. Francis Grignon, auteur de la question n° 867, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.
M. Francis Grignon. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les conséquences que risque d’entraîner le projet de réforme de simplification de la filière technologique sur les lycées des métiers et, par conséquent, sur le développement de certains secteurs clés de notre économie.
Il est en effet envisagé, dans le cadre de la réforme du lycée, de réduire les baccalauréats STI, sciences et technologies industrielles, à un seul baccalauréat se déclinant en un tronc commun et quatre dominantes : énergie et développement durable, système d’information et numérique, innovation technologique et éco-conception, architecture et construction.
Cette simplification apparente fait peser le risque de voir se réduire de façon drastique le recrutement des lycées de métiers au profit de lycées polyvalents ainsi que la qualité de la formation indispensable à la préparation de brevets de technicien supérieur spécifiques, tout particulièrement ceux de la filière du bâtiment et des travaux publics.
Dans le département du Bas-Rhin, cette mesure affecterait le lycée Le Corbusier d’Illkirch, seul lycée des métiers de l’architecture, de la construction et du design du département pour ce qui concerne le « pré-bac », et seul en Alsace pour le « post-bac ».
Cet établissement dispose de ressources et d’équipements pédagogiques spécifiquement adaptés au secteur du bâtiment et des travaux publics qu’aucun lycée polyvalent ne pourrait offrir à ses élèves dans le cadre d’une formation unique et générale.
Or le secteur de la construction a depuis toujours marqué son attachement à la formation des jeunes. Attirés par les perspectives pérennes d’emploi et d’évolution de carrières, nombreux sont les jeunes à se former aux métiers du BTP, de l’ouvrier à l’ingénieur. Les 81 diplômes professionnels et technologiques reflètent la diversité et la richesse de ces métiers.
Voici ce qu’indiquait André Montès, directeur de la fondation École française du béton dans un « point de vue » paru dans Le Moniteur de novembre 2009 : « Malgré la crise économique et financière récente, les perspectives d’embauches du secteur du BTP se maintiennent à un haut niveau depuis le début des années deux mille. En effet, le recrutement annuel est de 80 000 personnes. Or toutes les formations initiales de l’éducation nationale, des ministères de l’enseignement supérieur et de la recherche, du travail, ajoutées à celles qui sont assurées par les établissements privés, ne couvrent pas la moitié de ces besoins. »
Il serait donc regrettable d’abandonner la formation spécifique et adaptée aux exigences de ce secteur clé de notre économie, ces mêmes exigences se trouvant aujourd’hui renforcées par la politique que mène le Gouvernement en faveur de la construction durable et de l’économie d’énergie.
C’est en ce sens que les responsables de formation, relayés par les représentants de la profession du BTP, souhaitent le maintien de quatre baccalauréats distincts correspondant spécifiquement à chacune des quatre dominantes prévues par le projet de réforme.
Il va sans dire que j’adhère à ce point de vue, raison pour laquelle j’aimerais connaître l’évolution de vos réflexions sur ces sujets.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Grignon, vous m’interrogez sur la réforme de la filière du baccalauréat technologique et sur les conséquences qu’elle risque d’entraîner sur le lycée des métiers, mais aussi sur certains secteurs clés de notre économie, tels que celui du bâtiment et des travaux publics.
Je voudrais vous rassurer sur ce point.
Après la rénovation de la voie professionnelle et celle de la voie générale, la réforme du lycée vient de franchir une étape importante en donnant une nouvelle ambition à la voie technologique.
La réforme de la série STI, sciences et technologies industrielles, était très attendue par les membres de la communauté éducative mais aussi par les branches professionnelles, car cette série subissait des pertes importantes d’effectifs – diminution de 20 % en moins de dix ans –, sans doute liées au manque de lisibilité et à un éclatement en quatorze spécialités, alors que, comme vous l’avez rappelé, beaucoup d’entre elles sont très porteuses de débouchés de proximité, notamment dans le bâtiment et les travaux publics.
Par ailleurs, les programmes de cette filière n’avaient pas été revus depuis plus de vingt ans dans des domaines technologiques qui, par ailleurs, sont en pleine évolution.
Cette filière a vocation, comme la voie générale, à porter tous ses élèves vers l’enseignement supérieur tout en prenant appui sur ce qui fait sa spécificité, c’est-à-dire des pratiques pédagogiques fortement ancrées dans une démarche inductive, des activités et des études portant sur des objets ou des situations concrètes à partir desquelles les élèves acquièrent des connaissances scientifiques ou des compétences technologiques.
Nous avons donc remis à plat la filière STI, qui intégrera dorénavant une dimension « développement durable » et sera organisée en quatre spécialités, l’objectif étant d’accroître la polyvalence tout en répondant à l’ensemble des métiers de l’industrie : innovation technologique et éco-conception ; système d’information et numérique ; énergie et développement durable ; enfin, architecture et construction.
C’est dans cette dernière spécialité que le grand domaine du bâtiment et des travaux publics s’incarnera. Il était en effet très important de réserver une place importante à ce fleuron de notre économie, qui continue à créer de l’activité et de l’emploi et qui est identifié par les élèves ainsi que par la communauté éducative comme une voie porteuse d’avenir et d’innovation avec de réelles perspectives d’emploi.
Cette rénovation de la filière STI s’organise donc en parfaite cohérence avec celle de la voie professionnelle. Elle permettra d’orienter davantage de jeunes vers ces filières et de les amener au niveau du baccalauréat afin de préparer leur insertion dans l’enseignement supérieur.
Ainsi, les lycées des métiers vont sortir renforcés de cette réforme du lycée qui vise à conduire chaque élève dans un parcours de réussite, et ce en fonction de ses goûts et de ses aptitudes.
M. le président. La parole est à M. Francis Grignon.
M. Francis Grignon. Je viens d’une région très attachée à l’apprentissage, à la formation professionnelle, à tout ce qui permet aux jeunes de trouver un métier pouvant répondre directement et rapidement aux besoins des entreprises. J’espère donc que toutes les propositions que vous avez exposées seront réalisées et qu’elles permettront de progresser en ce sens.
moyens d'enseignement pour la rentrée 2010
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la question n° 868, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le ministre, je souhaite évoquer ce matin la question de la répartition des moyens d’enseignement pour la rentrée de 2010.
En effet, dans mon département, les collèges et les lycées se prononcent progressivement contre les dotations horaires globales, au motif qu’elles sont insuffisantes, ce qui est d’autant moins compréhensible en effet que, en Essonne, le nombre d’élèves augmente, notamment dans les collèges.
Devant cette situation difficile, les directions des collèges sont obligées de supprimer de nombreux dédoublements, de constituer des classes surchargées, de limiter les options, et sont de plus en plus contraintes dans leurs choix pédagogiques.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de prendre quelques exemples pour illustrer mon propos.
Tant au collège Jean-Zay, à Morsang-sur-Orge, qu’au collège Albert-Camus, à Ris-Orangis, les équipes ont le choix entre des classes surchargées et un reliquat d’heures pour faire des projets, des dédoublements, du soutien, ou alors des effectifs raisonnables mais sans projets ni dédoublements possibles.
Les choix opérés à Ris-Orangis ont entraîné la suppression d’un groupe de latin en cinquième ; ils ont également eu pour conséquence, en anglais, la perte des groupes en troisième et du soutien oral en sixième, et, en mathématiques, la perte d’une heure en sixième et d’une demi-heure en cinquième.
À Morsang-sur-Orge, en anglais, les élèves de la section d’enseignement général et professionnel adapté, ou SEGPA, n’ont toujours pas le nombre d’heures légal. La quatrième d’aide et de soutien est supprimée et remplacée par des moyens non pérennes.
Enfin, au collège Gérard-Philipe, à Massy, la dotation ne tient pas compte du profil particulier du collège, qui accueille une population très hétérogène, avec un nombre important d’élèves en difficulté, à quoi s’ajoute l’intégration quasi complète de deux unités pédagogiques d’intégration, UPI, soit une vingtaine d’élèves.
J’arrête ici l’énumération, mais les exemples sont encore nombreux en Essonne et concernent évidemment aussi les lycées ; je pense notamment au lycée Jean-Baptiste-Corot, à Savigny-sur-Orge.
Les dotations ne répondent donc pas aux besoins réels des élèves et compromettent fortement leur scolarité.
De plus, l’augmentation des heures supplémentaires n’est pas satisfaisante en soi. Ces heures supplémentaires ont pour conséquence mécanique de diminuer les heures consacrées au suivi des élèves et à l’approfondissement des pratiques pédagogiques dans les établissements. Elles sont également facteurs de surcharge de travail et de stress, alors qu’elles devraient être transformées en heures postes qui garantiraient un taux d’encadrement supérieur et un enseignement de qualité.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je souhaite connaître les mesures que vous envisagez de prendre afin que les moyens donnés aux établissements soient en adéquation avec les annonces du Gouvernement quant à une réforme servant l’intérêt de tous les élèves et, surtout, la réussite de chacun d’entre eux.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame le sénateur, vous attirez mon attention sur les moyens d’enseignement dont disposeront les établissements à la rentrée 2010, en particulier dans votre département, l’Essonne.
Je voudrais tout de suite vous rassurer : ces moyens vont progresser à la rentrée prochaine. Au niveau national, de 2009 à 2010, le budget dévolu à l’enseignement scolaire a augmenté de 960 millions d’euros, pour s’établir à 59,6 milliards d’euros, soit un accroissement de 1,6 % en un an, et ce dans le contexte budgétaire que vous savez.
Forts de cette détermination réaffirmée, nous avons apporté une attention toute particulière à la répartition des dotations horaires globales pour la rentrée prochaine. L’effet s’en est d’ailleurs fait sentir : soumises au vote des conseils d’administration, ces répartitions ont été mieux acceptées que l’année dernière – 75 % d’acceptations dans les collèges, contre 67 % l’année dernière.
Comme vous le savez, ces dotations dépendent évidemment de l’évolution des effectifs. Nous prévoyons d’accueillir à la rentrée prochaine, sur l’ensemble des établissements du second degré de l’Essonne, environ 400 élèves de plus qu’à la rentrée dernière.
Afin de faire face à cette augmentation, nous avons doté ces établissements de 1 058 heures de plus qu’en 2009. Cela permettra à ces établissements de conserver un ratio heure/élève stable en collège. Je puis en outre d’ores et déjà vous assurer que 71 % des lycées de l’Essonne disposeront d’un ratio heure/élève supérieur à celui de l’année dernière.
Quant au nombre d’élèves par classe, que vous jugez trop élevé, s’il est certes supérieur d’un point à la moyenne nationale, il correspond cependant à la moyenne académique : on compte aujourd’hui dans le département une moyenne de 25 élèves par classe en sixième et cinquième, et de 27 élèves par classe en quatrième et troisième. Au regard de ce critère, les conditions d’enseignement ne me semblent donc pas impossibles.
Vous avez également évoqué la question du dédoublement.
Le dédoublement systématique, tel qu’il était pratiqué, voilà quelques années, dans certaines disciplines, a largement montré ses limites en termes d’efficacité pédagogique.
Pour être plus efficaces, il nous fallait être plus précis.
C’est pourquoi la concertation avec les chefs d’établissement à propos de la hauteur de la dotation s’est portée sur la manière d’envisager avec plus de finesse la réponse aux besoins des élèves, avec le souci permanent d’optimiser les moyens et en faisant confiance aux équipes locales.
La question de l’accompagnement personnalisé fait d’ailleurs l’objet d’une attention spécifique pour chacun des lycées, lesquels disposeront d’une autonomie dans la gestion de cet accompagnement.
Enfin, aucune option n’a été négligée lorsqu’elle se justifiait par l’intérêt qu’y portent à la fois les élèves et leurs familles.
Je tiens à rappeler, madame le sénateur, que rien dans les dotations non plus que dans les heures supplémentaires n’est encore définitif : comme chaque année, des ajustements auront lieu en juin et en septembre pour faire face aux évolutions inopinées d’effectifs et pour abonder, le cas échéant, certains projets.
Sur la question plus globale des moyens, je vous répondrai en faisant référence au récent rapport de la Cour des comptes : c’est non pas l’ajout continu de moyens qui doit tenir lieu de politique éducative, mais bien notre capacité à orienter les moyens là où ils sont le plus nécessaires, c'est-à-dire au bénéfice des établissements et des élèves qui en ont le plus besoin.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir rappelé quelle était la politique du Gouvernement en matière d’éducation, mais vous comprendrez que je ne puisse faire miens les arguments que vous avez développés, au vu de la situation que nous connaissons dans l’Essonne.
Vous avez vous-même fait état de l’évolution positive des effectifs dans les collèges dans mon département. Or, on ne peut que le constater, dans un grand nombre d’établissements essonniens, au-delà même de ceux que j’ai cités, les moyens ne sont pas en adéquation avec les besoins, notamment avec les besoins créés par cette évolution positive des effectifs.
Il est donc nécessaire de poursuivre l’ajustement des moyens aux besoins pour assurer aux élèves un accueil de qualité dans ces établissements.
À ce propos, j’ai bien noté, monsieur le ministre, que, comme chaque année, des ajustements seront possibles en juin et en septembre – je compte d’ailleurs contrôler, avec une attention toute particulière, que les moyens seront attribués aux établissements qui en ont besoin, nombreux, je le répète, dans mon département – mais je doute, monsieur le ministre, que cela puisse suffire…
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Croatie
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation de cinq députés de la Diète de Croatie, conduite par le président de la commission des lois, le docteur Goran Marić. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Cette délégation est accompagnée de notre excellente collègue Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Cette délégation participera demain, sur l’initiative du rapporteur général du budget, M. Philippe Marini, à une réunion de la commission des finances du Sénat consacrée notamment à la Croatie, pays avec lequel nous entretenons des liens d’amitié étroits.
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que nos collègues croates portent à notre institution. Je garde un excellent souvenir de la visite officielle que j’ai effectuée à Zagreb, en octobre dernier, en compagnie de Mme André.
Au nom du Sénat de la République, je forme des vœux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays, et je leur souhaite la plus cordiale bienvenue. (Nouveaux applaudissements.)
5
Modernisation de l'agriculture et de la pêche
Discussion d’un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (projet n° 200, texte de la commission n° 437, rapport n° 436).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Bruno Le Maire, ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’économie, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise agricole que nous vivons marque la fin de trente ans d’histoire agricole française et européenne. Elle constitue un tournant majeur pour notre agriculture.
Notre responsabilité à tous, parlementaires ou membres du Gouvernement, est de défendre un secteur stratégique pour notre nation. Je veux dire ici, au moment où nous commençons l’examen d’un projet de loi d’une importance décisive pour elle, que je crois dans les forces et les atouts de l’agriculture française.
Agriculture ne veut pas dire seulement tradition et passé ; agriculture veut dire aussi innovation, recherche, compétitivité, développement durable et, tout simplement, pour la France, avenir.
Encore faut-il que nous soyons lucides sur la nouvelle donne agricole mondiale qui est en train de se dessiner. Cette dernière est source d’une volatilité des prix insupportable pour la grande majorité des agriculteurs. En un an, le prix du blé peut passer de près de 300 euros la tonne à 100 euros à peine ; en un an, le prix du lait peut passer de plus de 400 euros la tonne à moins de 230 euros ; en un an le prix des matières premières peut varier selon une fourchette de 50 % à 80 %.
Dans cette nouvelle donne agricole mondiale, on voit aussi apparaître de nouveaux acteurs, comme l’Inde, la Chine, le Brésil ou la Russie.
Hier, nous n’avions que peu de concurrents quand nous exportions du blé à destination de l’Égypte, du Maroc, de l’Algérie ou d’autre pays africains. Aujourd’hui, nous devons compter avec tous les pays du bassin de la mer Noire.
Hier, nous n’avions pas à nous soucier de la production de beurre et de poudre de lait dans les pays éloignés, comme la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, nous savons qu’une production excédentaire dans ce pays peut déstabiliser l’ensemble du marché laitier mondial.
Hier, nous étions seuls à maîtriser certaines techniques de production agricole. Nous savons aujourd’hui que le Brésil, la Chine ou l’Inde sont sur le point de les dominer aussi bien que nous, si tel n’est pas déjà le cas. Certains pays sont même parfois capables d’aller plus loin.
Cette nouvelle donne agricole mondiale, c’est aussi une politique agricole commune en cours de redéfinition.
En 1957, notre seul objectif était de produire le plus possible pour nourrir chacun. Pour l’atteindre, le seul moyen était une gestion administrée de l’offre. Demain, nous devrons répondre à la demande. Demain, nous devrons nous adapter toujours davantage aux exigences du consommateur.
À monde nouveau, agriculture nouvelle. Il est temps de donner les moyens à notre agriculture de relever les défis immenses auxquels elle doit faire face : le défi de la volatilité, pour stabiliser les revenus des agriculteurs ; le défi de la compétitivité, pour redonner de la puissance à notre agriculture face à la concurrence de nouveaux acteurs ; le défi de l’environnement et de la sécurité sanitaire, enfin, pour répondre aux attentes des consommateurs et prendre en compte les impératifs de développement durable et de sécurité sanitaire.
La présentation de ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche intervient donc à un moment décisif pour notre agriculture. Ce texte donnera aux agriculteurs les instruments nécessaires pour faire face à cette nouvelle donne agricole mondiale.
Notre agriculture a d’abord besoin d’un cap politique : ce cap, c’est celui de l’alimentation.
C’est une évidence, la fonction première de l’agriculture est de nourrir. La légitimité de notre agriculture tient à la qualité de l’alimentation qu’elle apporte à tous les Français. C’est pour cela que le Gouvernement a tenu à ce que le titre Ier du projet de loi vise à mettre en place une politique publique de l’alimentation.
Cette politique publique doit garantir une alimentation saine à tous les Français, en rassemblant des instruments d’intervention jusque-là dispersés. Elle reposera sur des objectifs nutritionnels contraignants et contrôlés pour la restauration collective, en particulier scolaire et universitaire.
Personne ne peut se résigner à l’augmentation de l’obésité en France, même si ce phénomène est mieux contenu que dans d’autres pays développés ; personne ne peut se résigner à ce que ce problème de santé publique se concentre sur les personnes aux revenus les plus faibles : la question de l’alimentation est avant tout une question sociale.
Cette politique publique de l’alimentation défendra aussi un nouveau modèle de commercialisation des produits, pour mettre fin aux aberrations que nous constatons tous. Il n’est pas raisonnable, en effet, que les produits agricoles parcourent en moyenne 2 000 kilomètres, avant de se retrouver sur la table du consommateur ! Nous développerons donc les circuits courts, en modifiant le code des marchés publics et en préservant les terres agricoles à proximité des grandes agglomérations.
Au-delà de ces mesures, c’est un modèle alimentaire que nous voulons défendre : contre l’uniformisation des produits, nous défendons la diversité du goût ; contre la confusion de l’origine et des labels, nous défendons la transparence et l’identification des produits.
Mais il n’y aura pas d’alimentation sans agriculteurs, et pas d’agriculteurs sans un revenu stable et décent pour chacun d’entre eux.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Charles Revet, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le premier objectif du projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd’hui est donc de garantir aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre dignement de leur travail.
Il n’est pas acceptable que des milliers de producteurs, en France, vendent leurs produits au-dessous de leur coût de revient. Il n’est pas acceptable que des biens agricoles qui ont demandé de la patience, du temps et de l’énergie soient produits à perte.
Pour atteindre cet objectif, nous devons changer de modèle économique. Trop de producteurs investissent des sommes considérables pour moderniser leur exploitation, pour se doter d’équipements performants, sans savoir ce qu’ils vont toucher à la fin du mois. Pour leur donner de la visibilité sur leurs revenus, nous allons mettre en en place des contrats écrits obligatoires mentionnant un prix, un volume et une durée.
Je connais, bien entendu, les inquiétudes des producteurs par rapport aux contrats. Je veux leur dire que nous avons entouré ceux-ci de toutes les garanties nécessaires.
Première garantie : ce sont les interprofessions qui négocieront en première instance les contrats, afin que les particularités de chaque filière soient respectées.
Deuxième garantie : les pouvoirs publics garderont une capacité d’examen concernant la mise en œuvre de ces contrats.
Troisième garantie : les interprofessions pourront fixer des indicateurs de tendance de marché qui serviront à la conclusion des contrats.
Ce modèle de contrat ne se limitera pas, j’en suis convaincu, au seul territoire français. Il deviendra une référence en Europe. Il a d’ailleurs déjà fait l’objet d’une réflexion approfondie au sein de la Commission européenne.
Je veux également être clair sur un point : les contrats seuls ne feront pas tout. Ils devront s’appuyer sur une régulation des marchés à l’échelle européenne pour stabiliser les prix et nous permettre de réagir en cas de crise. Un observatoire des volumes, de nouveaux outils de gestion des marchés, des instruments d’intervention plus flexibles et plus efficaces me paraissent donc indispensables. Nous avons engagé ce combat pour la régulation des marchés, à l’échelle européenne ; nous le mènerons jusqu’au bout.
Face à la multiplication des aléas économiques, climatiques et sanitaires, nous devons aussi offrir des garanties plus solides aux producteurs.
Les dérèglements climatiques, l’intensification des échanges et la spéculation sur les marchés des matières premières ont conduit, depuis quelques années, à des phénomènes de sécheresse ou d’inondation de plus en plus fréquents, à des crises sanitaires multiples et à l’accroissement de la volatilité des prix. Il ne s’agit pas de nier cette réalité, mais de donner aux agriculteurs les moyens d’y faire face.
Pour cela, il est indispensable de renforcer les dispositifs assurantiels. Pour la première fois dans l’histoire de notre agriculture, nous allons donc mettre en place des dispositifs assurantiels pour l’ensemble des filières agricoles, sans exception. Le Gouvernement étudiera un mécanisme de réassurance publique qui avait été écarté jusqu’à présent. Avec l’aide de l’Europe, il maintiendra également un niveau élevé de subvention des assurances, à hauteur de 65 %, de façon à inciter le plus grand nombre d’agriculteurs possible à s’engager dans cette voie.
Cet engagement de l’État signifie que l’assurance sera de la responsabilité de tous, pour une meilleure répartition des responsabilités entre les producteurs et la puissance publique.
Ces garanties plus solides passent aussi par une refondation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, qui continuera à indemniser les dégâts climatiques, mais dont le champ d’intervention sera élargi aux risques sanitaires et environnementaux. Cela ne dispensera cependant pas les agriculteurs de mettre en place des fonds de mutualisation, qui seront soutenus par l’État. Donner plus de responsabilités à chacun contribuera aussi à assurer l’avenir de l’agriculture.
Les aléas touchent également la forêt, et ce de manière plus fréquente. La tempête de 1999 devait être la « tempête du siècle ». Or, nous l’avons vu, dix ans plus tard, la tempête Klaus s’est révélée plus grave encore. Nous développerons donc aussi des assurances destinées à couvrir le risque de tempête en forêt, pour que les forestiers disposent des mêmes outils que les autres agriculteurs.
Avec ces nouveaux instruments économiques, nous pourrons engager une profonde rénovation des circuits de commercialisation des produits agricoles.
Les producteurs doivent d’abord se regrouper en organisations de producteurs et au sein d’interprofessions : plus ils sont dispersés, plus ils sont en position de faiblesse pour négocier les prix avec l’aval de la filière ; plus ils seront unis et organisés, plus ils seront forts. La future loi nous permettra donc de dresser le bilan de l’organisation économique des producteurs, pour en tirer toutes les conséquences. Nous continuerons les négociations avec la Commission européenne afin d’obtenir les aménagements nécessaires au droit de la concurrence et de permettre aux producteurs de mieux se regrouper face aux industriels et aux distributeurs.
Nous voulons aussi rééquilibrer le partage de la valeur au sein de la filière alimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes.
Nous supprimerons totalement les pratiques de remises, rabais et ristournes. Nous encadrerons le prix après vente : plus aucun fruit ou légume qui n’aura pas été commandé ne pourra se retrouver sur un marché ; plus aucun fruit ou légume ne pourra quitter une exploitation sans que les modalités de fixation de son prix aient fait l’objet d’un contrat écrit.
La grande distribution appliquera enfin une baisse automatique de ses marges en période de crise, sur la base de l’accord signé hier sous l’égide du Président de la République et qui sera applicable dès cet été.
Pour nous assurer que ces instruments donneront des résultats, nous renforcerons l’Observatoire des prix et des marges. Ce dernier étudiera tous les produits agricoles, sans exception, et analysera les coûts de production. Il rendra un rapport au Parlement. Son président aura la responsabilité d’analyser les données et de procéder aux interprétations nécessaires.
Toutes ces décisions dessinent une nouvelle organisation des filières agricoles. Elles expriment une solidarité nouvelle et indispensable entre leurs différents acteurs : distributeurs, industriels et producteurs. Car nous devons tous en avoir conscience : ce n’est pas en opposant les uns aux autres que nous trouverons des solutions aux difficultés actuelles. C’est au contraire en travaillant ensemble, en répartissant les efforts de manière équitable, en améliorant notre organisation économique et en rééquilibrant les rapports de force au profit des producteurs que nous dégagerons des voies d’avenir.
La France est la première puissance agricole européenne. Elle ne le restera que si elle préserve ses terres agricoles.
Dans cette perspective, le projet de loi tend à mettre en place un observatoire national chargé d’étudier la consommation des terres agricoles, d’identifier les zones de plus grande perte et de proposer des moyens pour éviter une telle situation. Nous ne pouvons pas continuer à perdre 200 hectares de terres agricoles chaque jour, soit l’équivalent d’un département tous les dix ans.
Nous créerons des commissions départementales, composées de professionnels et d’élus des collectivités, ayant pour mission de donner un avis sur les déclassements de terres agricoles.
Nous proposons enfin d’instaurer une taxe sur la spéculation des terres agricoles. Je souhaite que son produit soit affecté en priorité à l’installation des jeunes agriculteurs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Pour que la France reste la première puissance agricole européenne, elle doit non seulement garder ses terres agricoles, mais aussi poursuivre ses efforts en matière d’innovation. L’innovation a fait la force de notre agriculture. C’est elle qui nous permettra de conserver une agriculture performante et durable.
Pour cela, nous accompagnerons les exploitations, par exemple en encourageant le développement de la méthanisation.
Ce processus permettra aux exploitants d’utiliser les effluents d’élevage et de les traiter ; ils pourront ainsi produire de l’énergie, afin d’améliorer leur autonomie énergétique ou de la revendre, qu’il s’agisse de gaz ou d’électricité, pour en tirer un revenu complémentaire, comme cela se pratique dans toutes les grandes puissances agricoles européennes, en particulier en Allemagne et aux Pays-Bas.
Une agriculture durable est dans l’intérêt de tous, qu’il s’agisse des citoyens, de plus en plus attentifs à la qualité de leur environnement, ou des agriculteurs eux-mêmes, qui ont fait des efforts considérables d’adaptation au cours de ces dernières années et qui doivent réduire leur dépendance aux énergies fossiles. Agriculture et développement durable vont de pair, pourvu que nous respections le rythme d’adaptation des exploitants et la nécessaire harmonisation des règles européennes.
Le Gouvernement a souhaité que le présent projet de loi concerne aussi la pêche. En effet, en 2012, la réforme de la politique commune des pêches précédera celle de la politique agricole commune. Il est indispensable de doter ce secteur, qui a déjà fait d’énormes efforts de restructuration, d’outils performants avant la réforme.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle dans le domaine des produits de la mer. Les importations, qui représentent 80 % de notre consommation, s’élèvent à 4 milliards d’euros et notre production à 1,5 milliard d’euros seulement, alors que la France possède la deuxième zone de pêche du monde.
Nous allons donc réformer la gouvernance des pêches et de la conchyliculture, en clarifiant les rôles des différentes organisations et en leur confiant de nouvelles responsabilités.
Nous allons également améliorer les relations entre pêcheurs et scientifiques, en mettant en place un comité de liaison scientifique et technique. Nous leur permettrons de travailler ensemble à l’évaluation des ressources, afin que les décisions de gestion des stocks soient acceptées par tous.
Enfin, nous développerons la pisciculture marine en France, car malgré le formidable potentiel de nos côtes maritimes, elle ne couvre que 15 hectares.
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous faciliterons l’accès aux espaces maritimes dans le respect des règles environnementales.
Pour que le présent projet de loi soit complet, le Gouvernement a souhaité que l’outre-mer fasse l’objet d’un titre à part entière. Les états généraux de l’outre-mer, lancés par le Président de la République en 2009, ont fait ressortir très clairement la nécessité de favoriser la diversification agricole dans ces territoires.
En effet, comment accepter que le taux de chômage y soit supérieur à 20 %, alors que l’agriculture représente un gisement d’activité si important ? Comment accepter que seulement 17 % de la viande de bœuf consommée en Guyane soit produite localement ou que la part du lait local ne représente que 5 % de la consommation en Martinique ? Les marges de progrès existent ; le dynamisme de la filière de la banane en est la preuve.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd’hui prévoit donc les mesures nécessaires au renforcement des chambres d’agriculture, à la préservation du foncier agricole et au développement de la pêche et de l’aquaculture. Il y a urgence : si rien n’est fait, il n’y aura plus, dans trente ans, de terres agricoles aux Antilles.
L’agriculture est un secteur d’avenir, non un reliquat du passé. Activité stratégique pour la nation, au même titre que l’énergie, l’industrie ou la défense, elle est un pilier, et non une composante accessoire de notre économie.
Ce projet de loi s’inscrit dans une stratégie globale du Gouvernement pour construire une nouvelle donne agricole.
Le plan de soutien exceptionnel à l’agriculture, décidé par le Président de la République et doté de 1,8 milliard d’euros, a permis aux exploitations de surmonter leurs difficultés conjoncturelles.
Les plans de développement, filière par filière, que j’annoncerai dans les prochains mois permettront de redonner à nos entreprises agricoles la compétitivité qui leur est indispensable.
Le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche dont nous commençons aujourd'hui l’examen permettra à nos producteurs et à nos pêcheurs de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens et de dégager un revenu décent pour prix de leur travail.
À l’échelon européen, nous continuerons à défendre un modèle de régulation des marchés agricoles et le maintien d’une politique agricole commune forte.
Au plan international, nous soutiendrons également l’idée de régulation agricole, notamment lors de la présidence française du G20.
M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce au travail remarquable qui a été effectué en commission, sous la présidence de Jean-Paul Emorine et avec le concours des rapporteurs, Gérard César et Charles Revet, qui ont permis d’améliorer le texte du Gouvernement, la France disposera des moyens de rester la première puissance agricole européenne et un acteur agricole majeur dans le monde de demain. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard César, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins de cinq ans, nous adoptions, dans cette enceinte, la loi d’orientation agricole pour donner à notre agriculture de nouveaux instruments de développement : regroupement des producteurs, modernisation du cadre juridique et fiscal applicable aux exploitations, encouragement à la diversification.
Peu d’entre nous imaginaient alors que le monde agricole connaîtrait tant de bouleversements en quelques années. En raison de la hausse des cours, il a vécu deux années exceptionnelles, le sommet ayant été atteint en 2007, essentiellement pour les grandes cultures ou le lait. Mais la chute n’en a été que plus brutale : depuis la mi-2008, les prix sont orientés à la baisse et la quasi-totalité des productions sont aujourd’hui en crise.
Notre agriculture connaît une situation inédite : après une première baisse de revenu de 23 % en 2008, les exploitants en ont enregistré une de 32 % en 2009. Aucun autre secteur de l’économie n’est aussi durement touché.
Le secteur du lait est emblématique. La vie des éleveurs laitiers est contraignante, mais leur revenu était considéré comme relativement stable. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, et, depuis maintenant deux ans, les acteurs du marché n’arrivent pas à se mettre d’accord.
Les apports de la loi d’orientation agricole n’ont pas été balayés, mais la situation actuelle justifie que le législateur intervienne de nouveau, par le biais de l’examen du présent projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Ce texte fait suite au grand débat sur l’agriculture lancé à l’automne dernier. Il est marqué par un double impératif : à court terme, répondre à l’urgence de la crise agricole ; à moyen terme, préparer notre agriculture aux changements prévisibles de la politique agricole commune après 2013.
L’urgence est telle qu’elle a été prise en compte avant même la discussion du présent projet de loi : le plan de soutien exceptionnel à l’agriculture a permis d’injecter plus de 1,6 milliard d’euros dans les exploitations, selon un bilan établi le mois dernier par notre collègue député Nicolas Forissier, nommé médiateur national pour le plan précité.
Par ailleurs, la loi de finances rectificative pour 2010 votée au mois de février dernier a prévu l’application, au 1er janvier de cette année, d’une exonération des charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels, ce qui donnera une bouffée d’air aux producteurs de fruits et légumes et aux exploitants viticoles, en particulier.
Le texte qui nous est soumis vise donc non seulement à répondre aux enjeux de court terme, mais aussi à fournir les instruments d’une politique agricole ambitieuse et rénovée.
Je salue au passage le choix du Gouvernement de saisir en premier le Sénat du présent projet de loi. Monsieur le ministre, nous y sommes très sensibles.
Ce choix est une marque de confiance en la qualité du travail sénatorial. Il montre aussi que, lorsqu’il y a urgence, le Sénat sait répondre présent.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné sur ce texte plus de cent-dix représentants d’entreprises ou d’organisations professionnelles, afin d’établir un diagnostic et une analyse partagés.
L’ensemble des personnalités rencontrées se sont accordées sur un point : le fonctionnement de l’économie agricole est aujourd’hui gravement perturbé, comme en témoignent les trois caractéristiques suivantes.
Première caractéristique : l’instabilité des prix est devenue extrêmement forte, d’une campagne à l’autre, mais aussi au cours d’une même année. L’agriculteur n’a plus de visibilité, plus de repères, tant les prix varient. Et ce phénomène concerne non plus les seules productions saisonnières très marquées par les conditions climatiques, comme les fruits d’été, mais toutes les filières.
Deuxième caractéristique, moins nouvelle : le producteur a peu de pouvoir pour influer sur les cours. Malgré des efforts d’organisation, qui doivent encore être poursuivis, les agriculteurs restent petits et faibles face à l’aval des filières, beaucoup plus concentré.
Troisième caractéristique : l’agriculture est désormais pleinement exposée à la concurrence internationale. Après les réformes successives de la PAC, les prix mondiaux guident les marchés et s’imposent désormais aux agriculteurs européens. Il est illusoire de penser construire une quelconque digue pour y échapper. Si nous sommes trop chers, l’industrie ou la distribution se fourniront à l’étranger, comme c’est parfois déjà le cas aujourd’hui.
Face à ces évolutions, le monde agricole porte une double demande d’organisation et de régulation.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMAP, sera l’un des leviers d’une stratégie globale consistant à orienter la politique agricole vers plus de régulation. Je constate avec intérêt l’évolution des jugements sur ce texte. Ne nous faisons pas d’illusion : la LMAP n’est pas une baguette magique qui résoudra d’un seul coup l’ensemble des problèmes de la filière agricole. Aucune loi nationale concernant l’agriculture ne saurait l’être, d’ailleurs.
Il faut juger le texte pour ce qu’il est : une boîte à outils qui met en place des instruments utiles par leur combinaison : contrats, interprofessions, moralisation des relations commerciales pour la filière des fruits et légumes, assurance, plan régional de l’agriculture durable et foncier agricole. Toutes les mesures proposées vont dans le bon sens : celui du rééquilibrage des forces par une meilleure organisation des producteurs, la restructuration des marchés et l’organisation des filières.
La commission n’a pas remis en cause l’équilibre général du texte. Elle l’a toutefois beaucoup modifié, adoptant 123 amendements, provenant de tous les groupes. Elle a aussi réduit le nombre des ordonnances prévues par le projet de loi. De même, elle souhaite très clairement que le nombre de rapports soit le plus faible possible.
S’agissant du titre Ier, la commission a approuvé l’orientation prise en faveur d’une politique de l’alimentation, nouveau fondement de la légitimité d’une intervention publique dans le domaine de l’agriculture. Nous vous remercions, monsieur le ministre, d’avoir choisi de poser les fondements d’une politique publique de l’alimentation dans ce texte. En effet, tout est lié en matière d’agriculture et de consommation.
Le contenu du programme national pour l’alimentation a été enrichi, notamment pour permettre des actions en faveur des circuits courts.
L’alimentation passe par la connaissance des produits consommés. Aussi, la commission a ajouté un article 1er bis, qui fournit une base juridique pour imposer l’étiquetage obligatoire de l’origine des produits alimentaires, bruts ou transformés.
Les modalités d’application sont renvoyées à un décret, mais cet article permettra d’avancer. La commission appuie, par son texte, la position de la France dans les négociations menées actuellement au niveau européen pour modifier le règlement sur l’étiquetage des denrées alimentaires. Connaître la provenance de ce qu’il mange est un droit fondamental du consommateur.
La commission a également ajouté, au sein du titre Ier, un article concernant la formation obligatoire des professionnels en matière d’hygiène alimentaire et, sur proposition de notre collègue Françoise Férat, un article visant à moderniser l’enseignement agricole.
Le titre II est le cœur du texte. Nous avons souhaité en améliorer la rédaction pour que chacun des outils qu’il contient soit plus efficace.
À l’article 3, relatif aux contrats obligatoires, le texte de la commission tend à mettre en place un principe de subsidiarité : l’intervention des pouvoirs publics pour imposer le contrat ne sera possible que si l’interprofession n’arrive pas à s’entendre. Ce point me paraît très important.
Aux articles 4 et 5, la commission a souhaité renforcer l’encadrement des pratiques commerciales dans le secteur des fruits et légumes, en décidant, d’une part, que toute vente de fruits et légumes devrait faire l’objet d’un accord de prix conclu à l’avance, interdisant de fait la pratique du prix après vente et, d’autre part, que la pratique des trois « R » – remises, rabais et ristournes – serait désormais totalement proscrite, alors que votre texte, monsieur le ministre, ne prévoyait une telle interdiction qu’en cas de crise conjoncturelle.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Gérard César, rapporteur. À l’article 6, une visibilité accrue est conférée à l’Observatoire des prix et des marges, rebaptisé « Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires », s’est vu doté d’une visibilité accrue par la désignation d’un président. En outre, des dotations financières nouvelles sont prévues. Le président et son équipe doivent en effet avoir les moyens de faire fonctionner cette instance.
La commission a également souhaité renforcer l’Observatoire des distorsions de concurrence, pour qu’il puisse comparer, dans le domaine agricole, les mesures prises dans notre pays et à l’étranger, que ce soit en Europe ou dans les pays tiers.
Hier après-midi, sur l’initiative du Président de la République, nous avons rencontré à l’Élysée les représentants de la grande distribution et ceux des organisations professionnelles, pour signer un accord de modération des marges de la distribution applicable à l’ensemble de la filière des fruits et légumes frais pendant les situations de crise conjoncturelle. Ce point important mérite d’être souligné.
À l’article 7, la commission a renforcé la capacité à agir des interprofessions, notamment concernant l’élaboration d’indicateurs de tendance des marchés. L’idée n’est pas d’aboutir à des prix administrés, mais de donner aux acteurs des éléments contribuant à leur information. Les producteurs sont souvent mal informés, ce qui ne les met pas en position de force dans les négociations.
Concernant l’assurance contre les aléas climatiques – dont vous avez également parlé, monsieur le ministre –, la commission a approuvé la généralisation proposée. La LMAP s’inscrit donc dans le prolongement de la loi d’orientation agricole et de la décision prise par la France, dans le cadre du bilan de santé de la PAC, de mobiliser 100 millions d’euros supplémentaires pour subventionner les primes d’assurance contre les aléas climatiques.
La commission a adopté un amendement signé conjointement par M. Soulage et moi-même, permettant de clarifier les règles de fonctionnement du Fonds national de gestion des risques en agriculture. Je salue au passage le travail accompli depuis plusieurs années sur ce sujet par notre collègue.
Enfin, si nous partageons l’idée que l’agriculteur est un entrepreneur qui doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour gérer les risques sur son exploitation, nous n’avons pas souhaité permettre la création par ordonnance d’un statut d’agriculteur-entrepreneur, qui suscitait trop d’interrogations.
Au titre III, la commission a procédé à deux modifications importantes.
D’une part, à l’article 13, la nouvelle taxe sur les plus-values de cessions de terrains agricoles devenus constructibles a été supprimée. Elle n’était pas illégitime, mais, dès lors qu’il s’agissait de lutter contre la surconsommation de terres agricoles, il fallait en affecter le produit au financement d’actions tendant au maintien d’activités agricoles sur le territoire, notamment à l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs, qui nous paraît primordiale pour l’avenir de notre agriculture. Il n’était pas possible de prendre une initiative parlementaire en ce sens, mais nous attendons que le Gouvernement fasse des propositions.
D’autre part, la commission a institué le compte épargne d’assurance pour la forêt, afin d’aider au développement du marché de l’assurance des bois et forêts. La forêt française reste en effet une « belle endormie », qu’il convient d’exploiter davantage, plutôt que de recourir à des importations de pays ne respectant pas toujours les règles d’une gestion durable de la forêt.
Je laisserai mon collègue co-rapporteur, M. Charles Revet, vous parler du titre IV relatif à la pêche maritime et à l’aquaculture, thème qui lui est cher.
Le titre V a également été modifié, pour permettre la pleine application de la LMAP à l’outre-mer.
La commission ne s’est pas contentée d’examiner les dispositifs proposés par le Gouvernement dans le projet de loi. Elle a, de sa propre initiative, ouvert deux chantiers.
D’une part, l’accompagnement à l’installation fait l’objet de deux articles additionnels, notamment afin d’encourager l’installation sous forme sociétaire. Là aussi, les professionnels attendent une unification du statut social des porteurs de projet d’installation, à propos de laquelle nous espérons des propositions du Gouvernement.
D’autre part, la commission a ouvert un volet social et fiscal, la question des charges étant fondamentale. Elle a adopté plusieurs dispositifs fiscaux, sur lesquels nous pourrons revenir en détail au cours de la discussion des articles.
Certes, les mesures proposées ne représentent pas des sommes faramineuses, mais nous avons essayé, compte tenu du contexte, d’obtenir des avancées. J’espère que la discussion en séance publique permettra quelques aménagements supplémentaires, car des attentes subsistent.
D’abord, il est indispensable, pour permettre le développement de l’assurance, de mettre en place un dispositif pouvant aller jusqu’à la réassurance publique, en complément de la réassurance privée, pour faire face à des évènements climatiques exceptionnels et massifs.
Ensuite, il existe des attentes qui excèdent le champ du texte. Face à la crise, il est souhaitable que l’État joue un rôle d’accompagnement et de réorientation des agriculteurs. La seule solution ne doit pas être l’arrêt de l’activité. Il faut aider à la reconversion des exploitations, lorsque celle-ci leur permet d’être viables à moyen terme.
Enfin, vous le savez, monsieur le ministre, nous avons des attentes à l’échelon européen. La commission des affaires européennes, présidée par M. Jean Bizet, et la commission de l’économie, présidée par M. Jean-Paul Emorine, viennent de créer un groupe de travail conjoint sur la réforme de la politique agricole commune.
Le Parlement devra peser sur les négociations. Au cours de la discussion de la LMAP, nous devons réaffirmer notre souhait d’une meilleure régulation européenne des marchés, pour porter plus fermement encore cette exigence auprès de nos partenaires européens, nombreux à se rallier aujourd’hui à cette position, grâce à votre précieux concours, monsieur le ministre.
Je conclurai par deux mots-clefs : compétitivité et modernisation.
La compétitivité est aujourd’hui essentielle : elle n’est pas un choix, mais une contrainte. Toutefois, nous ne devons pas limiter notre recherche à la compétitivité-coût. L’agriculture française est riche de ses filières de qualité, mais aussi de ses terroirs. Sachons les valoriser, et nous permettrons à toute une agriculture de petites et moyennes exploitations de trouver sa place dans l’économie agricole, avec des niveaux de rémunération acceptables.
La modernisation est un outil et un mouvement perpétuel. Parler de modernisation aujourd’hui ne signifie pas que l’agriculture française ne s’est pas modernisée pendant toutes ces années. Au contraire, beaucoup d’efforts ont été faits. Il s’agit simplement de donner à notre agriculture les armes pour se battre dans la compétition mondiale.
Ce projet de loi propose un chemin qui n’est ni le « tout-marché » ni la régulation par les outils du passé, que la France, au demeurant, n’a pas les moyens de mettre en œuvre toute seule. Aux illusions, aux proclamations vaines, je préfère la responsabilisation des acteurs. Ce texte traduit une profonde confiance dans notre agriculture, mais aussi dans sa capacité à rebondir après la crise.
L’agriculture reste essentielle à notre pays. Comme le disait le Président de la République dans un récent entretien avec la presse spécialisée agricole, « l’agriculture, en matière économique, c’est aussi important que le spatial, que l’aéronautique ou que l’industrie. »
J’ajoute que l’agriculture est également vitale pour la vie de nos territoires, dans tous ses aspects, pas seulement économiques.
Je ne doute pas que nos travaux seront l’occasion d’échanges passionnants et passionnés, qui permettront d’enrichir encore ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européenne, et M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. Charles Revet, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite souligner à mon tour la qualité du travail mené en commun avec les services du ministère.
J’évoquerai plus particulièrement le volet du projet de loi relatif à la pêche et à l’aquaculture, que l’on a parfois tendance à oublier, alors qu’il n’est pourtant pas anecdotique.
Avec six articles, le titre IV du projet de loi répond à un double impératif : développer l’exploitation de la mer et moderniser la gouvernance des pêches maritimes et de l’aquaculture.
Je me permettrai tout d’abord d’insister sur l’impératif de développement de la production. La France importe aujourd’hui de 80 % et 85 % des produits de la mer qu’elle consomme, alors qu’elle dispose, avec les États-Unis, de la plus grande zone économique maritime du monde. Sa façade maritime est immense, même si l’on ne prend en compte que les territoires métropolitains ; elle l’est plus encore si l’on considère l’étendue des espaces maritimes de l’outre-mer. Il y a là un grand paradoxe !
Au sein de la filière des produits de la mer, l’aquaculture marine est très peu développée. Elle repose essentiellement sur la conchyliculture, et en particulier sur l’ostréiculture. La pisciculture marine est marginale : avec moins de 8 000 tonnes produites chaque année et un chiffre d’affaires d’un peu plus de 50 millions d’euros, notre pays n’est pas à la hauteur de ses potentialités. Il nous faut impérativement développer celles-ci, pour améliorer la couverture de nos besoins. N’oublions pas, par ailleurs, que la mer constitue un enjeu important en vue de la satisfaction des besoins alimentaires futurs de l’humanité.
L’article 19 du projet de loi vise à sortir de ce sous-développement. Conformément aux recommandations du rapport Tanguy de 2008, il prévoit un zonage des sites propices à l’aquaculture sur le littoral. En effet, dans ce domaine, l’absence d’une carte des sites possibles constitue le principal obstacle aux projets, qui, du coup, sont constamment contestés au nom d’usages différents, et peut-être plus rémunérateurs, du littoral.
La commission a souhaité améliorer le texte en renforçant le schéma régional de développement de l’aquaculture, qui devra être établi dans l’année suivant la promulgation de la loi et qui sera placé au même niveau que les autres documents de planification.
Par ailleurs, la commission a introduit un article additionnel visant à mettre davantage en cohérence les schémas régissant l’utilisation du littoral, à travers la création d’une conférence régionale sur l’utilisation de la mer et du littoral, qui se réunirait tous les cinq ans.
En effet, les différents schémas ne doivent pas conduire à empêcher purement et simplement l’activité économique de prospérer sur le littoral ! Or cette tendance est à l’œuvre, et elle fait peser une menace sur notre potentiel de production d’origine marine. Mettons un terme à cette évolution, pour retrouver le chemin de l’ambition en matière de pêche et d’aquaculture !
Moderniser la gouvernance de la pêche et de l’aquaculture constitue le second objectif du titre IV. Plusieurs outils sont mobilisés dans cette perspective.
Tout d’abord, scientifiques et pêcheurs sont incités à développer une analyse commune de l’état de la ressource au sein d’un comité de liaison scientifique et technique. Il faut qu’ils constatent ensemble la réalité de la situation, ce qui devrait permettre d’améliorer leur compréhension des problèmes et d’éviter certains conflits ! La commission a approuvé la création de cette instance ; elle a prévu également que les analyses devront pouvoir être effectuées en situation réelle, à bord des navires de pêche.
Ensuite, le texte donne davantage de responsabilités aux organisations de producteurs : gestionnaires des sous-quotas, elles distribueront désormais également les autorisations de pêche pour les espèces soumises aux quotas communautaires et disposeront, à l’égard de leurs membres, d’un plus grand pouvoir de sanction, afin d’améliorer le contrôle des pêches. La commission a également approuvé cette orientation.
Enfin, le dernier axe d’amélioration de la gouvernance concerne l’organisation interprofessionnelle des pêches maritimes et élevages marins. Resserrée autour des seuls producteurs, celle-ci voit le nombre de ses structures réduit, autour du comité national, des comités régionaux et des comités départementaux, ces derniers absorbant les comités locaux.
En effet, la profession n’a plus les moyens d’entretenir une organisation pléthorique : une réforme s’imposait, qui n’interdit pas le maintien, à l’échelon local, d’une structure de proximité, dès lors que celle-ci semble utile et s’appuie sur un potentiel suffisant.
L’examen de l’article 21 permettra peut-être de préciser les missions et le fonctionnement des comités des pêches à leurs différents échelons. L’article 22 prévoit de réformer dans le même sens l’organisation professionnelle de la conchyliculture.
Enfin, je signale que la commission a fait œuvre utile en précisant directement la procédure d’information et de consultation du public sur les décisions publiques relatives à l’exercice de la pêche maritime, alors que le texte initial renvoyait ce soin à une ordonnance.
À ce stade, je souhaiterais ouvrir une brève parenthèse pour indiquer que la courte période séparant le passage en commission de ce texte de son examen en séance publique a été marquée par la publication, le 7 mai dernier, de quatre ordonnances prises en application de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures de 2009. Celles-ci ont renuméroté certaines partie du code rural et intégré les divers textes législatifs concernant la pêche maritime et l’aquaculture au sein d’un nouveau titre IX de ce code, rebaptisé pour l’occasion « code rural et de la pêche maritime ». Cela obligera la commission à présenter plusieurs amendements de coordination avec la nouvelle numérotation. Espérons que nous nous y retrouverons, car ces changements confèrent un degré de complexité supplémentaire à l’examen de ce texte !
Pour en revenir au fond, la partie « pêche et aquaculture » du projet de loi n’est pas la plus visible du texte, même si elle n’en constitue pas non plus le parent pauvre. Toutefois, il faut noter que, comme pour l’agriculture, nous sommes ici dans un domaine fortement soumis à la réglementation communautaire.
Une discussion a lieu actuellement sur la réforme de la politique commune de la pêche. Le mémorandum français établi en février 2010 a jeté les bases de la position de notre pays, qui est attaché à une approche responsable et équilibrée de l’exploitation de la mer, ainsi qu’au maintien d’une intervention publique substantielle.
Cette vision est largement partagée, mais les enjeux de la pêche ne se réduisent pas à la politique commune. J’espère que la discussion au Sénat du titre IV du projet de loi permettra d’évoquer quatre aspects qui, à mes yeux, sont essentiels pour le bon fonctionnement du secteur de la pêche.
Premièrement, l’avenir de la pêche, comme celui de l’agriculture, passe par l’installation de jeunes. Or les investissements initiaux sont colossaux. Nous devrons donc être capables de mobiliser des financements pour faciliter l’acquisition de nouveaux bateaux, plus performants, notamment sur le plan énergétique, et pas seulement pour sortir de la flotte des pêches des navires obsolètes.
Deuxièmement, l’avenir de la pêche passe par la construction d’un instrument performant en aval. En effet, la transformation est un facteur clef du succès des filières : la coquille Saint-Jacques en offre un bon exemple, avec des usines de surgélation qui absorbent les pics de production.
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout à fait !
M. Charles Revet, rapporteur. Troisièmement, la question des rejets devra être traitée plus efficacement qu’aujourd’hui, car ceux-ci sont inacceptables sur les plans écologique et économique.
Il s’agit là d’un scandale d’autant plus choquant que des taux de rejet pouvant atteindre 50 % ont été signalés... Ne jetons pas la pierre aux pêcheurs : c’est souvent l’absurdité des réglementations qui explique une telle situation.
Quatrièmement, nous devrons également réfléchir au développement de la pêche lointaine, en particulier celle qui est menée à partir des territoires ultra-marins. En effet, alors que de larges espaces maritimes ne sont pas soumis à des limitations de captures, la flotte française ne prélève qu’une infime partie de leur potentiel de pêche. Ainsi, autour des îles Kerguelen, il serait vraisemblablement possible d’augmenter nos capacités de pêche.
Même si nombre de ces aspects ne font pas directement l’objet du texte qui nous est soumis, nous devons avoir ces problématiques à l’esprit lorsque nous légiférons sur la pêche et l’aquaculture.
En effet, personne ne nous demande de renoncer à une pêche et à une aquaculture compétitive. Je m’attacherai, durant cette discussion, à défendre les ambitions des pêches françaises et de l’aquaculture. Il existe là, je le répète, un important potentiel, que nous avons le devoir de développer ; dans cette perspective, il nous appartient de nous doter des moyens nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous ici des familiers du monde agricole. Notre présence, nombreuse, n’est qu’un faible écho de la détresse de nombreux agriculteurs, notamment dans le secteur laitier, que les élus du département de la Manche connaissent bien.
La LMAP est à la fois un appui dont les agriculteurs ont besoin et une étape dans le retour vers la confiance du monde agricole. L’examen de ce projet de loi est un temps d’écoute et d’espoir. Toutefois, il doit être aussi un moment de vérité, même si celle-ci n’est ni facile à dire ni agréable à entendre. En effet, si la situation française est connue de tous, le contexte européen n’est guère plus favorable ; il est même, à certains égards, assez anxiogène.
Tout d’abord, malgré les discours apaisants du commissaire européen chargé de leur secteur, les agriculteurs ont quelques raisons de craindre que la Commission et certains États membres ne préparent le démantèlement de la PAC. Les DPU, les droits à paiement unique, sont contestés ; les aides de marché s’effritent. Le concept même d’intervention est suspect, tandis que celui de régulation peine à recevoir un contenu concret. Seul le deuxième pilier de la PAC semble trouver des appuis, mais c’est presque pire pour les agriculteurs producteurs, qui ne peuvent se résoudre à un tel glissement vers le développement rural et paysager !
Ainsi, année après année, le cadre institutionnel semble se désagréger. Nos agriculteurs ont le sentiment diffus de la fin d’une époque ou, pis encore, d’un abandon. Bien sûr, la France n’est pas à l’origine de cette évolution – nous avons tous entendu le Président de la République affirmer la plus ferme détermination –, mais l’impression générale reste d’un lent délitement.
Le deuxième élément anxiogène est l’évolution du marché européen. Une telle mise en perspective était l’objet du rapport sur le prix du lait dans les États membres de l’Union européenne, dont la commission des affaires européennes m’avait confié la rédaction l’année dernière. Comment nous situons-nous par rapport à nos partenaires ? Quelles sont les perspectives ? Sur ces deux points, il faut admettre que nous pouvons nourrir quelques inquiétudes.
En ce qui concerne les prix, il existe aujourd’hui un différentiel qui n’est pas favorable à la France : il atteint 15 % avec l’Allemagne, et jusqu’à 30 % avec d’autres pays.
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est trop !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Or, tant qu’il y avait des quotas, les marchés nationaux étaient relativement cloisonnés. Sans ce dispositif, ils sont ouverts, et, par conséquent, les prix sont comparés.
Un industriel qui produit pour le marché communautaire peut-il vendre au prix européen et acheter au cours français ? Peut-on reprocher à nos compétiteurs d’essayer de tirer parti de leur avantage-prix ?
Or cette compétition européenne n’en est qu’à son tout début, comme le montre l’analyse de l’évolution des marchés en 2009. En effet, face à la crise du secteur laitier, deux stratégies étaient possibles. L’une, celle de la France et de plus de la moitié des pays membres de l’Union européenne, a consisté à réduire les volumes pour faire remonter les prix ; l’autre, celle de l’Allemagne et des pays de l’Europe du Nord, dont les prix sont très compétitifs, a consisté à compenser les prix par les volumes.
En France, les importations de lait en provenance d’Allemagne ont bondi de 60 % en 2009. Les grands groupes laitiers d’Europe du Nord, eux aussi, mènent une stratégie de développement au Sud, c’est-à-dire chez nous. Nous ne pouvons les en blâmer, car nous ne pouvons nous plaindre du jeu de la concurrence quand il nous est défavorable et nous en satisfaire quand il nous est profitable : si la compétition est dure pour le lait, elle nous est favorable pour d’autres produits, des divergences existant entre secteurs.
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela ne console pas !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Effectivement !
Comment répondre ? La pire des choses serait de se fermer. On ne peut créer d’alliances à propos de la PAC en renversant les camions de ses partenaires.
À mon sens, deux issues différentes mais complémentaires s’offrent à nous : soit jouer la concurrence – nous avons des marges et des atouts pour gagner en compétitivité –, soit jouer la carte de la valeur ajoutée en organisant des filières, en impliquant les producteurs dans la fabrication de produits finis ou dans la commercialisation, en créant des concepts, en quittant le seul segment de la production pour se rapprocher du consommateur. La première finalité du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est d’opérer cette préparation.
Dans ce contexte européen particulièrement difficile pour nos éleveurs, l’élaboration de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est aussi l’occasion de poser quelques jalons qui pourraient être utiles pour la préparation de la prochaine PAC.
La première bataille à conduire est celle des mots et des idées. L’indépendance et la sécurité alimentaires doivent rester des objectifs prioritaires et non négociables. C’est important pour nous, Européens, mais aussi pour les autres. Nous ne pouvons faire reposer la sécurité alimentaire sur des approvisionnements extérieurs, comme le voudraient les tenants de la spécialisation internationale. Ce qui était vrai hier l’est encore plus aujourd’hui, dans le nouveau contexte d’extrême volatilité des prix. En effet, si l’Europe pourra toujours payer pour se nourrir, quel que soit le prix, les pays les plus pauvres ne le pourront pas et seront évincés. La sécurité alimentaire des Européens est donc aussi celle de tous.
Ces deux concepts de l’indépendance et de la sécurité alimentaires doivent rester au cœur de la stratégie européenne. En revanche, je crois possible de prendre quelque distance avec des notions qui nous sont familières mais qui heurtent souvent nos partenaires. Je pense, par exemple, à la préférence communautaire : c’est une demande des agriculteurs nationaux,…
M. Jacques Blanc. Ils ont raison !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … et il est normal, monsieur le ministre, que vous y ayez prêté attention.
Toutefois, une vision européenne m’oblige à tempérer cette ardeur. Ce concept, jugé parfois protectionniste, a toujours fait débat. Mais, dans la stratégie d’alliance que j’appelle de mes vœux, il nous faut écouter nos partenaires : disons-le clairement, ils n’en veulent pas. Faut-il en faire un drame ? Ne serait-il pas possible de nous retrouver sur des concepts de substitution plus acceptables, voire plus positifs ? Une politique de proximité et d’excellence aurait le même effet qu’une politique de préférence, sans en présenter les inconvénients. Si nous voulons sauver la PAC, il faut retravailler les concepts. Le débat sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche en est l’occasion.
La seconde bataille européenne est celle de l’organisation. La répétition des crises en Europe dans différents domaines a mis en lumière un défaut de réactivité et une hétérogénéité entre États membres. Ces handicaps s’appliquent aussi à la PAC.
M. Charles Revet, rapporteur. Oui !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La dérégulation a entraîné la volatilité des prix. Il est important d’ajuster le temps politique au temps des marchés et, par conséquent, de donner de la réactivité à l’action européenne.
De même, la concurrence sera d’autant mieux acceptée que les producteurs auront le sentiment que les règles sont équitables et respectées. La crise monétaire a montré l’importance qu’il fallait accorder à la discipline collective. Cela vaut aussi pour l’agriculture, bien entendu. Attention, toutefois, aux comparaisons trop hâtives et partielles : il suffit de circuler en Europe pour se rendre compte que chaque État se plaint des pratiques de son voisin et concurrent, qui, lui-même, dénonce en retour telle ou telle disposition qu’il juge déloyale. Nous n’avons rien à gagner, me semble-t-il, à ce grand déballage, qui ne sera jamais exhaustif et manque de faire éclater l’homogénéité qui nous reste.
Plutôt que de nous déchirer pour trouver des fautifs, il nous faut conduire une réflexion sur ce que la PAC nous a apporté collectivement. N’ayons pas peur de son évaluation, qui permettra de déterminer, j’en suis convaincu, sa valeur ajoutée européenne, curieusement contestée aujourd’hui.
La réforme de la PAC est anxiogène parce qu’elle est portée par un discours d’abandon.
M. François Patriat. Oui !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Il faut trouver un discours positif. Je crois que les agriculteurs sont d’accord pour de nouvelles règles du jeu, à condition de disposer des outils pour participer et des atouts pour gagner. En d’autres termes, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche peut, à travers la contractualisation, organiser les rapports entre producteurs et fabricants et tendre à les rééquilibrer. Cette loi est une étape vers la maturité d’un secteur plus organisé, mais il faudra aussi donner aux producteurs les chances de peser dans la négociation, fût-ce en faisant évoluer le droit de la concurrence.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche offre une occasion de redonner du sens à l’action collective. La PAC ne sera sauvée que si l’opinion publique a le sentiment qu’elle est utile, qu’elle lui est utile. N’ayons pas peur d’ouvrir les portes, de travailler en commun avec nos partenaires, comme avec le citoyen-consommateur. C’est ensemble que nous devons négocier ce tournant de l’histoire ; c’est ensemble que nous réussirons. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture et la pêche connaissent une situation de crise sans précédent : pertes de revenus supérieures à 30 %, remboursement d’aides qui ont été versées alors qu’elles n’étaient pas « eurocompatibles », incertitudes quant à l’avenir de la PAC après 2013…
Notre responsabilité collective est donc majeure : il s’agit à la fois d’apporter des réponses aux situations de détresse qui se multiplient et de proposer des perspectives d’avenir crédibles à nos agriculteurs et à nos pêcheurs, qui en ont tant besoin.
Malheureusement, monsieur le ministre, le texte qui nous est soumis nous semble éloigné de ces objectifs. Même si je salue le travail important des rapporteurs et de la commission de l'économie, je crains que ces mesures ne se révèlent finalement assez peu efficaces.
Nous le savons tous, les racines du mal résident tout d’abord dans les impasses du modèle libéral, à l’échelon tant mondial qu’européen ou national : loi du marché, libre-échange et dérégulation n’ont fait qu’accentuer la volatilité des prix agricoles, aggraver les crises alimentaires et amplifier la spéculation.
La crise que traverse aujourd’hui le monde agricole illustre les dérives d’un modèle à bout de souffle, privilégiant le court terme et la recherche effrénée de la production au moindre coût. En l’espèce, la question du prix des productions et des mécanismes de formation de ce prix reste cruciale.
Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix –rappelons-nous les promesses de « mondialisation heureuse » ! – et plus récemment encore, les chantres de la libéralisation et de la mise en concurrence de toutes les productions et des services ont ainsi prétendu qu’il s’agissait là des solutions miracles aux déséquilibres internationaux. Nous avons, hélas ! pu en observer les effets destructeurs. Depuis 2002, les gouvernements successifs ont contribué à accentuer cette dérive qui a structurellement affaibli notre modèle en matière de pêche et d’agriculture : je pense à la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, dont l’objectif affiché n’était que de faire des exploitations agricoles des entreprises comme les autres, à la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, qui n’a eu aucun effet sur les prix à la consommation tout en permettant à la grande distribution d’imposer aux exploitants agricoles des prix de moins en moins rémunérateurs (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste), au bilan de santé de la PAC, qui a été adopté sous présidence française de l’Union européenne et qui a marqué un pas de plus vers la dérégulation.
Pourtant, alors que nous ne cessons d’entendre affirmer, à cette même tribune, que les produits agricoles ne doivent pas être traités comme des biens de consommation comme les autres, force est de constater que, à l’échelon des négociations mondiales, rien ne semble bouger. Les règles de l’OMC ne prennent quasiment pas en compte les facteurs non commerciaux tels que la reconnaissance primordiale du droit à la santé, avec le principe de précaution, ainsi qu’à une alimentation suffisante et saine, la lutte contre le changement climatique, le respect des ressources naturelles et de la biodiversité, sans parler du respect des normes sociales. Monsieur le ministre, y aura-t-il enfin bientôt une véritable volonté de la France, mais aussi de l’Europe, de faire appliquer de nouveaux critères légitimes dans les négociations commerciales, garantissant la reconnaissance des spécificités de l’agriculture européenne ?
Plus grave encore demeure le problème récurrent de l’affaiblissement programmé des finances de l’État. Les lois de finances successives présentent un budget agricole sous-dimensionné et des moyens humains inadaptés pour accompagner sur le terrain les agriculteurs, ce qui laisse la place libre à une gestion de crise par à-coups, sans aucune vision de long terme.
À quoi sert-il d’afficher une volonté de réguler les relations commerciales s’il n’y a plus de moyens humains pour les contrôler ? Pourquoi promettre des outils de gestion quand il n’existe aucun moyen de les mettre en œuvre et de les évaluer dans de bonnes conditions sur le terrain ?
Dans un tel contexte, je déplore aussi le dévoiement du fameux article 40 de la Constitution, la finesse du crible différant parfois selon l’origine des amendements…
M. Didier Guillaume. Toujours !
Mme Odette Herviaux. Cela étant, nul n’est à l’abri d’un oubli !
Par exemple, monsieur le ministre, l’article 40 a été invoqué contre nos amendements visant à réaffirmer l’importance du rôle de l’ex-DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de la DSV, la Direction des services vétérinaires, ou des moyens de contrôle de votre ministère,…
M. Didier Guillaume. Eh oui !
Mme Odette Herviaux. … alors que nous réclamions simplement que l’État s’engage à assumer ses responsabilités !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il a bon dos, l'article 40 !
Mme Odette Herviaux. Si ce n’est pas de la rigueur, voire de la récession, qu’est-ce donc ? (Marques d’approbations sur les travées du groupe socialiste.)
Le nécessaire rééquilibrage des comptes de l’État ne doit ni aboutir au sacrifice des outils de gestion et d’intervention essentiels ni permettre d’opérer indistinctement des coupes claires dans des budgets ministériels stratégiques, comme l’est celui de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, puisqu’il s’agit selon vos propres termes, monsieur le ministre, d’un secteur stratégique pour la nation.
Au contraire, il conviendrait que le Gouvernement réfléchisse aux impasses d’une politique fiscale particulièrement injuste du point de vue social et singulièrement improductive sur le plan économique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
Mme Odette Herviaux. Il y va de la place de notre économie, du maintien des emplois de nos agriculteurs et de nos pêcheurs, de la vitalité de nos territoires et de l’équilibre alimentaire de l’Europe.
Or, comment croire encore le Président de la République lorsqu’il prétend abandonner le dogme libéral et promouvoir de nouvelles régulations, sans en définir plus concrètement le contenu, menacer la grande distribution tout en défendant et en préservant la LME,…
M. Gérard Miquel. Personne ne le croit !
Mme Odette Herviaux. … faire la promotion du Grenelle II après avoir déclaré que les « normes environnementales, ça suffit », enfin réunir les partenaires la veille du débat pour tenter de « régler le problème » sans attendre le vote du projet de loi dont nous débutons l’examen aujourd’hui ? Quelles promesses fait-il ? Je ne reprendrai pas, à cet instant, les appréciations de certains quotidiens nationaux ou régionaux, mais tout de même : son attention se porte uniquement sur la gestion des périodes de crise dans la filière fruits et légumes, alors que ce sont toutes les filières qui souffrent !
La manifestation des céréaliers, voilà quelques semaines, est symptomatique des limites du modèle productiviste orienté vers les exportations. Ceux qui sont censés être les plus compétitifs, qui reçoivent le plus d’aides européennes, ont eux aussi été rattrapés par la crise !
Face aux désillusions et à la perte de confiance du monde agricole, le présent texte vise à généraliser la contractualisation dans un cadre privé. Si cette dernière présente l’avantage indéniable de clarifier les relations entre producteurs et acheteurs et d’anticiper ce que sera peut-être la future PAC, elle ne remplacera en rien une régulation publique de l’offre agricole à l’échelle européenne. Elle ne prend par ailleurs pas en compte les services rendus par les agriculteurs sur l’ensemble de nos territoires, services qui ont notamment été reconnus dans les CTE, les contrats territoriaux d’exploitation.
En outre, ce texte ne prête que peu d’attention aux hommes, notamment aux jeunes souhaitant s’installer, aux plus âgés en recherche de transmission ou de reconversion, aux retraités n’arrivant pas à s’en sortir avec leur maigre pension. Si l’on met cela en parallèle avec ce qui est envisagé en termes de protection du foncier, on est en droit de s’interroger !
À ce titre, l’Europe sociale que nous appelons de nos vœux consiste non pas à aligner le coût de la main-d’œuvre agricole française sur celui de certains de nos partenaires européens, mais à enclencher une dynamique d’intégration par le haut.
Enfin, en ce qui concerne le secteur de la pêche, je rappellerai tout d’abord que, lors d’une conférence sur le Livre vert qui s’est tenue à Bruxelles au mois de décembre dernier, très nombreux ont été ceux qui ont préconisé une plus grande décentralisation de la politique commune des pêches, afin de prendre en compte certaines spécificités régionales et de reconnaître la diversité des activités impliquant les intervenants du secteur. Il apparaît clairement que seule une approche territorialisée demeure susceptible de permettre une alliance solide entre l’exigence environnementale, la performance sociale et le dynamisme économique. L’uniformisation et la recentralisation de ce secteur, promues au travers du texte qui nous est soumis, ne me semblent pas tenir entièrement compte de ces préoccupations.
Les dispositions relatives à la pêche portent en effet essentiellement sur la structuration et l’organisation de la filière.
L’abandon du caractère interprofessionnel des comités des pêches contredit ainsi la recherche d’une efficacité économique, tandis que l’abandon de la gestion de la ressource aux organisations de producteurs, qui, je le rappelle, ne représentent pas tous les professionnels, peut constituer un risque de régression écologique au regard de l’implication des comités.
Ces comités locaux que vous sacrifiez sur l’autel de la rentabilité ont pourtant fourni toutes les preuves de leur utilité sociale et écologique, qu’il s’agisse de leur implication dans la mise en place de zones protégées ou de la représentation équilibrée de tous les acteurs : armateurs, patrons pêcheurs, mais aussi marins salariés. Selon les régions, leur histoire et leur lien au territoire sont différents, mais toujours très forts. Dans beaucoup de ports, notamment en Bretagne, leur disparition ne peut se concevoir sans une forte amertume.
Par ailleurs, l’absence de proposition concrète pour le financement et la pérennisation des ressources déployées dans le cadre de la restructuration de la filière interdit toute projection et plonge les professionnels dans une angoisse bien compréhensible.
Monsieur le ministre, notre ambition aurait été de faire de ce texte une vraie loi de modernisation agricole, fondatrice d’une agriculture performante, respectueuse de l’environnement, éco-productive, rémunératrice mais plus équitable, pourvoyeuse d’emplois et de productions variées dans tous nos territoires.
Nous formons donc le vœu que vous-même et les rapporteurs de la commission de l’économie soyez plus à l’écoute de l’opposition et, surtout, de la détresse des agriculteurs et des pêcheurs, faute de quoi nous ne pourrons voter ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, l’agriculture traverse une crise dont on ne perçoit pas l’issue, tant elle est profonde, durable et générale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la baisse des revenus atteint 32 % en moyenne pour toutes les productions, et même 53 % pour la filière arboricole !
Si quelques secteurs, comme celui des céréales, ont connu récemment deux années fastes avec une montée des cours en 2006 et en 2007, l’agriculture est en permanence soumise à des turbulences, et ce depuis de nombreuses années.
Déjà, en 2005, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation agricole, nous cherchions à donner à ce secteur les moyens de faire face à des difficultés conjoncturelles récurrentes. Depuis, chaque année, lors du débat budgétaire, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », nous faisons le constat de fortes incertitudes économiques.
Bien qu’il soit très combatif et toujours prêt à s’adapter et à se moderniser, le monde agricole est gagné par le désespoir. Comment pourrait-il en être autrement alors que le travail des agriculteurs est en permanence remis en cause ? Quand ce ne sont pas les aléas climatiques qui mettent régulièrement en danger leurs récoltes, ce sont les aléas sanitaires qui frappent brutalement leurs exploitations, avec, pour couronner le tout, la menace permanente de la volatilité des cours ! Quel autre secteur de la vie économique cumule autant de handicaps venus de l’extérieur et vit ainsi dans une insécurité permanente et la peur du lendemain ? Aucun !
Le soutien des pouvoirs publics est donc indispensable afin de ne pas laisser disparaître un monde qui, malgré tout, continue de revêtir une importante dimension stratégique.
En effet, mes chers collègues, la production agricole française porte l’industrie agroalimentaire, dont le chiffre d’affaires a tout de même atteint 138 milliards d’euros en 2007 et qui contribue de façon essentielle aux exportations de notre pays.
L’agriculture est en outre garante de l’équilibre et de l’aménagement du territoire. Elle est le poumon de plusieurs milliers de communes dont la vie économique est totalement dépendante de cette activité. N’oublions pas, par ailleurs, que le défi alimentaire que nous aurons à relever demain impose de créer les conditions du maintien du plus grand nombre d’exploitations possible.
Dans cette perspective, que nous proposez-vous, monsieur le ministre ? Une loi de modernisation agricole.
Ce texte est naturellement bienvenu sur le plan du principe, même si son intitulé surprend : en matière de « modernisation », voilà longtemps que les exploitants font preuve d’une grande capacité d’innovation. Ainsi, au cours des dernières années, malgré un contexte économique défavorable, les rendements se sont améliorés dans quasiment toutes les filières. C’est une simple question sémantique, me direz-vous, mais il me semble important de veiller à donner du monde agricole l’image la plus précise et la meilleure possible.
Aujourd’hui, les agriculteurs ont surtout besoin d’une palette d’outils leur permettant de contrebalancer la libéralisation des marchés agricoles. Je regrette que le projet de loi n’aille pas vraiment dans cette direction. Certes, il contient quelques pistes, en matière de régulation interne, soutenables quant à leurs objectifs.
Oui, monsieur le ministre, il est utile de renforcer la contractualisation afin d’inscrire l’agriculteur dans une relation transparente et équilibrée avec ses acheteurs. Les producteurs de fruits et légumes attendent la suppression des remises, rabais et ristournes, la fin des « prix après-vente » et l’encadrement des annonces de prix hors lieu de vente. À cet égard, un premier pas a été franchi hier soir, avec la signature d’un accord de modération des marges et des prix ; on peut s’en féliciter.
Oui, il est également souhaitable d’encourager l’action des interprofessions pour une organisation plus solide des filières.
Oui, on peut aussi débattre de la façon dont sont organisés les producteurs.
Mais une fois que tous ces points auront été examinés, nous n’aurons pas répondu au problème de la dérégulation progressive de l’agriculture à l’échelle internationale, contexte dans lequel le modèle agricole français, soucieux de performances économiques mais aussi sociales et environnementales, a bien du mal à s’imposer.
Monsieur le ministre, l’Appel de Paris, que vous avez lancé le 10 décembre 2009, a-t-il été bien entendu par nos partenaires européens ? Que nous réserve la PAC après 2013 ? La France recherche un nouveau mode de régulation, tenant compte des efforts des uns et des carences des autres. Nos agriculteurs ne redouteraient pas la concurrence si celle-ci était loyale, nous le savons tous. Mais comment accepter que, dans un marché de plus en plus ouvert, les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs soient différentes d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre ? L’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, sous prétexte d’assurer l’accès aux marchés, ne fait qu’organiser une grande braderie agricole. Dans ces conditions, les agriculteurs français souffrent d’un véritable désavantage compétitif. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ne me paraît pas, hélas, de nature à inverser le cours des choses.
Pour apporter une réponse plus immédiate à la crise, il aurait été par exemple utile de prolonger l’effort consenti dans la loi de finances rectificative pour 2009 en faveur de l’allègement des charges, qui est un facteur clé de la compétitivité de l’agriculture. Cependant, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre, au travers des propos que vous avez tenus hier, que telle n’était pas la direction dans laquelle nous nous engagions.
Mes chers collègues, la situation de l’agriculture est alarmante. Des milliers d’emplois vont encore disparaître si les bonnes réponses ne sont pas apportées dès aujourd’hui. Or, malgré quelques avancées, le présent projet de loi est globalement décevant, et les solutions franco-françaises qu’il comporte seront vite dépassées si notre modèle n’est pas mieux défendu au sein des instances internationales.
En tout cas, monsieur le ministre, les radicaux de gauche considèrent que ce texte ne permettra pas de répondre à la gravité de la crise que subissent les agriculteurs français. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi dit de modernisation de l’agriculture et de la pêche nous est présenté alors que la quasi-totalité des filières sont en crise. Derrière elles, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent, mais aussi des collectivités locales qui voient leurs campagnes se vider de leurs paysans et leur agriculture se concentrer à outrance.
Nous partageons la première partie des objectifs que se fixe le Gouvernement, selon lequel « la Nation doit proposer des réponses structurelles aux secteurs de l’agriculture, de la forêt, de l’aquaculture et de la pêche qui sont stratégiques pour continuer à garantir sa sécurité alimentaire, mais aussi participer à sa dynamique économique, contribuer au défi énergétique et environnemental et répondre aux enjeux de l’aménagement du territoire et du maintien d’un tissu rural actif et performant ».
A contrario, la seconde partie de ces objectifs montre que ce texte est avant tout un projet de loi d’adaptation, et non de modernisation, puisqu’il s’agit de préparer « la poursuite des négociations du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce, la réforme de la politique agricole commune de 2013 et de la politique commune des pêches en 2012 ».
L’objectif d’adaptation au cycle libéral et interminable de Doha est pour le moins inquiétant pour notre agriculture. Il faut sortir ce secteur du champ de ces négociations.
L’objectif d’adaptation à la politique commune des pêches de 2012 et à la politique agricole commune de 2013 nous laisse profondément dubitatifs quand nous lisons le rapport de l’eurodéputé libéral britannique George Lyon, qui propose une PAC plus équitable, plus durable et plus verte. Pour ce monsieur, une agriculture « équitable » signifie une agriculture productive et compétitive bordée de « filets –minimaux – de sécurité pour gérer la volatilité extrême des marchés ». Cet exemple en dit long sur l’adaptation à laquelle il va falloir procéder !
Quant à l’aide de base à l’hectare, également prévue pour 2013, si elle n’est pas encadrée, elle peut devenir une formidable prime à l’agrandissement démesuré des exploitations, au détriment de celles de taille humaine et familiale.
Alors, modernisation ou adaptation ? Dans les deux cas de figure, il faut être vigilant, tant le terme « modernisation » a pu figurer dans l’intitulé de lois en réalité très régressives.
Je voudrais à présent revenir sur le travail de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, laquelle a amélioré le texte sur certains points sans en changer l’économie générale.
Nous apprécions cependant la suppression de l’article consacré au statut d’agriculteur-entrepreneur, ainsi que les mesures tendant au renforcement des circuits courts, de la situation des producteurs de fruits et légumes frais et du rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous partageons également le souhait de voir mettre en place une réassurance publique pour l’assurance-récolte, ainsi qu’une meilleure coopération entre pêcheurs et scientifiques. Voilà pour les principales évolutions par rapport au texte initial.
En revanche, nous regrettons que la commission ait supprimé l’article créant une taxation des plus-values sur les cessions de terrains, alors qu’il aurait été préférable de revaloriser celle-ci au profit des collectivités locales et de l’installation des jeunes agriculteurs.
L’article relatif à l’installation sous forme sociétaire qui a été inséré par la commission est quant à lui beaucoup trop restrictif au regard de la diversité de la demande.
Par ailleurs, si le lissage fiscal proposé relève certes de bonnes intentions, concernera-t-il l’ensemble des statuts agricoles ?
Enfin, nous regrettons que la commission, en dépit de la volonté commune affirmée par une très grande majorité de ses membres, ne soit pas revenue sur les dispositions très négatives de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
Je reviendrai dans quelques instants sur l’article 3, qui est la clé du texte. Rien n’y garantit des prix rémunérateurs aux producteurs ; en l’état, les dispositions de la LME ont d’ailleurs un effet inverse.
Pour l’heure, intéressons-nous au texte de la commission, sur lequel nous sommes appelés à nous exprimer.
Au titre Ier, l’article 1er tend à définir et à mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation. Ce titre est le plus consensuel et le plus positif du projet de loi, puisqu’il s’agit de promouvoir les circuits courts et les productions locales, ainsi que d’informer les consommateurs sur l’origine des produits et sur la présence, fréquente, de colorants, de conservateurs, d’OGM et autres éléments dont les effets sur la santé humaine restent incertains.
L’enseignement général et les familles doivent prendre à bras-le-corps les questions liées à l’alimentation, à l’approvisionnement, à la préparation des mets, au repas structuré. Or le texte reste flou sur les impératifs sociétaux. Les conditions de vie de nos concitoyens, soumis à rude épreuve en matière de revenus, de rythmes de travail et de logement, ne facilitent pas une évolution positive dans ce domaine vital qu’est l’alimentation.
Quant à l’article 2, il tend à donner carte blanche au Gouvernement pour tirer les conséquences des états généraux du sanitaire. Nous en demanderons la suppression dans la mesure où il conforte la RGPP.
Le titre II est le cœur de ce texte. Ses dispositions sont censées permettre d’améliorer le revenu agricole, mais restent très éloignées des crises récentes, de leurs causes et des remèdes efficaces à y apporter.
Le titre II est intitulé « Renforcer la compétitivité de l’agriculture française ». Mais jusqu’où cette compétitivité peut-elle aller ? S’il s’agit de rivaliser avec les prix mondiaux, la bataille est perdue d’avance ; s’il s’agit de produire toujours plus de quintaux à l’hectare ou d’animaux au mètre carré, c’est très inquiétant pour l’environnement.
La contractualisation encadrée et renforcée nous est présentée comme la solution idéale. La LME, ou loi de modernisation de l’économie, restant effective, permettez-moi d’en douter, d’autant qu’une telle contractualisation existe déjà dans le code rural et de la pêche maritime et n’a pas été utilisée.
Monsieur le ministre, la seule bonne loi de nature à favoriser des revenus agricoles rémunérateurs est une loi qui fera hurler les tenants de la grande distribution. Pour l’instant, je n’entends ni ne vois rien de nouveau : les centrales d’achat continuent d’imposer leur loi d’airain, leurs propres règles, et élargissent leur dictature, y compris sur les produits biologiques, pour modéliser ce type d’agriculture, comme elles l’ont fait pour l’agriculture conventionnelle.
L’accord sur les fruits et légumes intervenu hier avec la grande distribution ne garantit en rien des prix rémunérateurs, dans la mesure où il se réfère aux années passées, au cours desquelles les prix étaient particulièrement bas. Il en faudra bien plus pour désamorcer les crises à répétition.
Nous proposerons donc d’amender cette partie du texte, afin d’interdire la vente à perte, de définir un prix plancher au-dessous duquel on ne peut vendre et un prix minimum indicatif. Nous souhaitons en outre que soient obligatoirement précisés dans le contrat le prix payé et les conditions de résiliation.
Quant au coefficient multiplicateur, voté mais rarement appliqué, il mérite d’être adapté et élargi, car il porte dans son principe l’équilibre entre producteurs et distributeurs, tout en respectant le consommateur. Il devrait être à la base d’une réflexion économique approfondie et généralisée pour assurer cet équilibre à tous les niveaux. Nous sommes ouverts à toute proposition constructive dans ce domaine, monsieur le ministre.
La réactivation de l’Observatoire des distorsions de concurrence est une bonne mesure. Pour ce qui concerne un autre observatoire, celui des prix et des marges, nous tenterons de renforcer encore ses prérogatives, dans le but notamment d’obtenir des centrales d’achat et de la grande distribution les données qu’elles refusent aujourd’hui de transmettre, sous couvert du secret commercial.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires doit devenir un véritable outil d’information, de prospective et d’alerte de la profession, pour anticiper et éviter les crises.
À propos des interprofessions, nous entendons améliorer leur fonctionnement en promouvant une gouvernance plus démocratique. Leur incapacité à réguler les volumes et les prix témoigne non seulement des dysfonctionnements du système, victime de la dictature des marchés, mais aussi d’une docile adaptation des responsables en leur sein.
Nous l’avons dit et redit, la concentration des organisations de producteurs, coopératives ou non, n’est pas une garantie de meilleurs prix agricoles. Il existe déjà des mastodontes qui ne pèsent pas lourd face aux centrales d’achat. Plus inquiétant est le lien qui va s’établir entre les producteurs et les organisations de producteurs, afin que personne ne reste au bord du chemin, parce que « trop petit », « trop éloigné » ou « trop revendicatif ». Monsieur le ministre, la crise laitière vient de mettre ces risques en évidence. Des dispositions législatives doivent y pallier.
Par ailleurs, l’assurance récolte est un vrai sujet, auquel nous sommes tous attachés.
D'une part, le niveau de revenu est la première condition nécessaire pour que chacun puisse assurer sa récolte. D'autre part, au mécanisme prévu par le projet de loi, qui confie cette responsabilité aux grands groupes d’assurance privés, nous préférons une solution publique et mutualisée.
Monsieur le ministre, la timidité du Gouvernement en matière de réassurance publique du système proposé interpelle l’ensemble des sénateurs sur sa volonté réelle d’aboutir. Si celui-ci est adopté, il doit être non lucratif pour les grands groupes d’assurance et intégré dans leur volet « développement durable ».
Le projet de loi entérine la vision mercantile de la gestion de la forêt soutenue par Nicolas Sarkozy dans son discours d’Urmatt.
La politique engagée dans ce domaine recèle énormément de dangers pour l’avenir de notre patrimoine forestier. Elle signe l’abandon de fait du principe de la gestion multifonctionnelle de cette forêt, pourtant inscrite dans la loi, en lui appliquant une gestion purement mercantile.
La gestion forestière ne s’appréhende qu’à très long terme. Or la révolution, c'est-à-dire le temps nécessaire qui sépare deux peuplements forestiers, se situe à l’échelle du siècle. Il est donc impératif de soustraire la gestion forestière aux influences et aux aléas du marché.
C'est la raison pour laquelle le code forestier confie l’ensemble des forêts publiques françaises à l’Office national des forêts.
C'est aussi pour cette raison qu’a été institué un versement compensateur : ainsi, chaque collectivité, quelle que soit la valeur marchande de sa forêt, peut bénéficier de la même qualité de gestion.
Si le domaine forestier français va mal, la responsabilité en incombe d’abord à l’État, et doublement : il s’est désengagé du financement du service public forestier, et ce au mépris de la loi ; il prône une politique de réforme générale des politiques publiques entraînant baisse des effectifs et hausse des récoltes.
Pourtant, les tempêtes qui dévastent cycliquement la forêt française démontrent qu’il n’est pas sérieux de maintenir cette politique de réduction des effectifs, de suppression des triages et de fermeture des services administratifs de proximité.
J’en viens maintenant au titre IV, qui vise à moderniser la gouvernance de la pêche.
La mise en œuvre des dispositions qu’il prévoit va conduire aux mêmes déficiences démocratiques que celles qui existent déjà en matière agricole. M. Revet, rapporteur du texte, a raison.
M. Charles Revet, rapporteur. Merci de le souligner !
M. Gérard Le Cam. Si les pêcheurs et les scientifiques doivent travailler ensemble, il est également urgent, eu égard aux enjeux de biodiversité, que les recommandations du Grenelle de la mer, notamment la protection des aires marines, soient mises en œuvre.
Cependant, il est à noter que la question de la situation économique et sociale des pêcheurs et de leurs familles et de toutes les activités qui en dépendent ne figure ni dans le chantier opérationnel défini par M. Borloo en avril dernier ni dans le présent projet de loi.
Monsieur le ministre, ce texte comporte certes des dispositions de bon sens, mais il ne remet pas en cause les logiques de marché, de concentration et de productivisme, qui ont fait tant de mal à la profession depuis des décennies. Vous reconnaissez vous-même que le droit européen à la concurrence doit évoluer, pour donner un peu plus d’efficacité à ce texte, notamment en matière de revenu agricole. Le fait d’attendre cette évolution d’une Europe divisée et libérale, qui se complaît dans le cadre du traité de Lisbonne, n’est-il pas un leurre ?
Aucune disposition n’interdit la spéculation sur les denrées agricoles. Rien ne limite les importations abusives extranationales ou extracommunautaires pour casser les prix à la production. De surcroît, je l’ai dit, la LME reste effective.
La profession attendait également un volet social, absent de ce texte, notamment sur le dossier brûlant des retraites agricoles et celui des préretraites. Cela permettrait à ceux qui souffrent le plus de quitter le métier dans des conditions acceptables.
Les semaines et les mois à venir nous serviront de baromètre pour mesurer les effets éventuels de ce projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui, dans son adaptation à la future PAC et aux contraintes de l’OMC, aura bien du mal à dégager une vision optimiste pour l'ensemble de l’agriculture française et européenne.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, en l’état, nous ne pouvons voter ce texte. Nous soutiendrons ce qui va dans le bon sens paysan et nous combattrons tout ce qui porte atteinte au développement d’une agriculture durable à dimension humaine et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’été dernier, nous n’avons cessé de parler de la crise agricole et de la chute exceptionnelle de revenus que subissent nos agriculteurs.
À l’automne, le Gouvernement a identifié les besoins et conçu un plan de soutien à la profession. Pour l’essentiel, les besoins ont été bien ciblés et des crédits très importants ont été débloqués. Mais une grande partie d’entre eux a été accordée sous forme de prêts bonifiés, qui, malheureusement, viennent s’ajouter à la dette, déjà très lourde, des agriculteurs.
Bien entendu, au lendemain du bilan de santé de la PAC et à la veille de l’ouverture des négociations en vue d’aboutir à une nouvelle PAC pour 2013, les marges de manœuvre nationales pour moderniser et dynamiser l’agriculture sont bien étroites. Elles le sont d’autant plus dans ce contexte de crise générale, et tout particulièrement de crise budgétaire qui impose une rationalisation de la dépense publique.
Le défi est pourtant de taille : trouver des réponses appropriées à des problématiques différentes en agriculture, qu’il s’agisse des grandes cultures, de l’élevage ou de la production de fruits et légumes.
Deux de mes collègues de l’Union centriste interviendront aussi lors de la discussion générale : Daniel Dubois abordera le problème de la compétitivité et Jean-Claude Merceron vous fera part de ses réflexions au sujet de la pêche.
En ce qui me concerne, je souhaite aborder ici le chapitre des assurances, qui constitue selon moi l’innovation principale de ce projet de loi.
Dans le Sud-Ouest, de nombreux agriculteurs se sont retrouvés dans des situations dramatiques après de violentes intempéries. J’attache donc une importance toute particulière à tout ce qui touche à la problématique des assurances, et je souhaite ardemment que les choses avancent au plus vite.
Il faut sécuriser les revenus des agriculteurs. Dans cette perspective, l’assurance est un point fondamental. Autour du président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, Jean-Paul Emorine, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à souhaiter depuis de nombreuses années la mise en place d’une assurance récolte à l’image de ce qui est fait dans de nombreux pays.
Grâce à la participation de Bruxelles et au cofinancement de l’État et grâce à vous, monsieur le ministre, qui vous êtes battu pour ce texte, ce sera chose faite avec la LMAP que vous nous présentez. C’est un texte court, mais très important.
Je suis heureux d’avoir apporté ma pierre à l’édifice, au travers de l’amendement de réécriture de l’article 9, adopté en commission et fusionné avec celui du rapporteur, Gérard César. Je me réjouis d’avoir permis l’amélioration du fonctionnement du futur fonds national de gestion des risques en agriculture, et je remercie sincèrement tous les acteurs ayant contribué à cette avancée, particulièrement vos services, monsieur le ministre.
J’exprimerai cependant un regret : contrairement à ce qui avait été annoncé par le Président de la République, le projet de loi ne prévoit pas l’intervention de l’État en tant que réassureur.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Daniel Soulage. Je suis convaincu que l’assurance publique conditionne le bon développement des assurances, comme c’est le cas dans bien des pays, notamment en Italie, en Espagne et aux États-Unis.
Certes, nous sommes sur le bon chemin, mais nous risquons de perdre beaucoup de temps. Il nous faut aller plus loin.
Si, aujourd’hui, le projet de loi sécurise les agriculteurs face aux risques climatiques et sanitaires, demain, cette assurance devra être étendue aux risques économiques ; c’est à ce prix que les exploitations agricoles pourront être pérennisées dans leur diversité.
Cela étant, il n’y aura pas de développement important de l’assurance récolte sans réassurance de l’État.
En effet, il est certain que les assureurs ne seront pas en mesure de couvrir les exploitants agricoles contre ces risques, puisque les contraintes prudentielles auxquelles ils sont soumis les en empêchent, sans compter que ces règles seront considérablement renforcées avec l’entrée en vigueur de la directive européenne dite « Solvabilité II ».
Pour la France, en cas d’une couverture complète – j’insiste sur ce terme – des exploitations, le risque maximal serait de l’ordre de 4,4 milliards d’euros, plus de quatre fois le montant annuel des primes d’assurance ainsi collectées. Les assureurs seront donc dans l’impossibilité de supporter un tel risque, qui mettrait en péril cette assurance et potentiellement leur existence.
Aujourd’hui, le niveau de protection contre ces risques susceptible d’être apporté par la réassurance privée ne dépasse guère 600 millions d’euros.
Si certains réassureurs présents sur le marché français ont pu affirmer que la réassurance privée serait à même de répondre intégralement aux besoins des assureurs, d’autres réassureurs majeurs ont exprimé des avis opposés. C’est le cas de Swiss Re et Munich Re, les deux plus grands réassureurs mondiaux, qui sont par ailleurs les deux plus gros réassureurs agricoles.
Il paraît en effet irréaliste que la France, qui peut être soumise à des aléas climatiques majeurs, ne se dote pas d’un système de réassurance à la hauteur de ses besoins. Pourquoi y aurait-il une exception française en la matière ?
Un mécanisme de réassurance publique est nécessaire. Sans cela, il n’y aura pas de développement de l’assurance multirisque climatique sur les récoltes. À l’instar de la protection contre les attentats et le terrorisme, la Caisse centrale de réassurance interviendrait ainsi en surplus des capacités de réassurance privée, avec la garantie de l’État, pour couvrir les assureurs contre des événements extrêmement coûteux, mais très peu probables. Ce mécanisme ne serait donc pas du tout mobilisé en temps normal.
Par ailleurs, les assureurs paieraient bien entendu le coût de cette réassurance à son tarif habituel. Aucun effet d’aubaine ne sera donc possible.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, la question des assurances constitue l’un des enjeux essentiels de l’agriculture de demain, que le projet de loi se doit de porter.
Monsieur le ministre, nous avons confiance en vous. Vous vous êtes battu, et bien battu, je l’ai déjà dit. Le Président de la République vous a entrouvert la porte sur cette question. Nous sommes derrière vous pour vous aider à entrer ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. La porte n’est pas suffisamment ouverte ! (Sourires ironiques sur les mêmes travées.)
M. Daniel Soulage. L’amendement que j’ai déposé sur la réassurance publique ayant été frappé par le couperet de l’article 40 de la Constitution, j’espère que vous jugerez utile de le reprendre ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour saluer le travail fait par la commission et par les rapporteurs, Gérard César et Charles Revet, et pour vous remercier, monsieur le ministre, de nous donner l’occasion d’une réflexion approfondie sur la place de l’agriculture dans notre stratégie nationale.
Après le débat important qui a eu lieu en 2005 sur la loi d’orientation agricole défendue par l’un de vos excellents prédécesseurs, M. Bussereau, cette discussion est très opportune. Je vous en remercie et veux saluer l’action personnelle qui est la vôtre à Bruxelles, à Paris et sur le terrain auprès des agriculteurs aujourd’hui confrontés à des difficultés majeures.
Naturellement, ma responsabilité ne se limite pas à rechercher des motifs de satisfaction dans le projet qui nous est soumis. Ces motifs sont nombreux, et je voterai ce texte avec le groupe UMP, monsieur le ministre.
Je veux néanmoins attirer votre attention sur trois sujets qui me paraissent très importants.
Le premier est une menace d’ordre institutionnel. Vous êtes à la tête d’un ministère très vaste qui, non content d’avoir en charge des secteurs aussi variés que l’économie et l’alimentation, englobe une grande partie de la recherche et de la formation.
Il est inacceptable que les décisions prises pour l’agriculture se prennent durablement à l’extérieur de votre ministère. Or vos collègues de l’environnement, de la santé et de l’aménagement du territoire s’emparent petit à petit de la réflexion agricole.
Il y a là, selon moi, une dérive institutionnelle. Et si j’ai appelé avec quelques-uns de mes collègues à un « Varenne de l’agriculture » (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.), c’est parce que nous voulons vraiment que les institutions reprennent leur place : nous voulons qu’un ministère puisse défendre l’agriculture et parler en son nom.
C’est au Premier ministre de faire les arbitrages. En effet, quand un conflit oppose le ministère de l’agriculture à ses homologues en charge de l’alimentation, de la santé ou de l’environnement, ce n’est pas à un quelconque Grenelle, aussi loué soit-il, de rendre systématiquement des arbitrages sur les décisions qui concernent l’agriculture. Ces arbitrages, ils reviennent à la fonction interministérielle, donc au Premier ministre.
En l’occurrence, quand on discute agriculture, il ne s’agit pas d’aller contre la santé ou l’environnement. Il faut définir une stratégie globale et responsable qui pense l’agriculture.
Or dans cette perspective, on a vraiment le sentiment qu’un certain nombre des décisions qui le concernent échappe au ministère de l’agriculture.
M. René-Pierre Signé. On a vu de meilleur Premier ministre !
M. Jean-Pierre Raffarin. Or nous ne voulons pas que le Grenelle fasse oublier le Varenne. C’est la raison pour laquelle nous voulons que, grâce à votre talent, monsieur le ministre, le ministère de l’agriculture se fasse entendre.
C’est une nécessité, attendue par les agriculteurs dépités de voir certaines décisions importantes prises sans intégrer la dimension agricole du sujet.
C’est ainsi que le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’aborde pas le sujet très important de l’eau. Notre collègue Alain Chatillon voulait intervenir aujourd’hui sur ce point, mais il en est empêché par un deuil dans sa famille. On a le sentiment que la politique de l’eau, richesse stratégique pour l’agriculture, doit être aussi pensée dans le domaine agricole, quitte à avoir ensuite des arbitrages avec les autres ministères.
Ouvrir un « Varenne de l’agriculture », redonner toute sa place au ministère de l’agriculture a également une importance dans le cadre de l’Union européenne, qui a aujourd’hui beaucoup de mal à définir une politique des prix.
Sur le plan national, on voit bien, en revanche, qu’il est souvent plus facile d’intervenir sur les charges. Faute de pouvoir maîtriser les prix, l’objet d’un « Varenne des charges » serait justement d’arrêter la part nationale des charges susceptible d’être allégée. Or les agriculteurs ont bien besoin aujourd’hui d’un allégement des charges dans leur compte d’exploitation !
D’ailleurs, dans son programme de 750 millions d’euros, l’Allemagne n’a-t-elle pas allégé de plus de 45 % la cotisation « accidents » supportée par les agriculteurs ? Cette question mérite réflexion : il s’agit, dans une approche à la fois très agricole et interne, de dégager ce qui relève des décisions nationales en vue de procéder aux différents allégements.
Monsieur le ministre, cette dimension est très importante pour que nos agriculteurs se sentent mobilisés. La vocation du ministère de l’agriculture, c’est moins de défendre les agriculteurs que de penser avec eux l’avenir de l’agriculture. Vous avez les talents et les capacités pour y parvenir. Nous sommes à vos côtés pour poursuivre dans cette voie. C’est cette dérive institutionnelle que je voulais souligner d’abord.
Le deuxième sujet qui me préoccupe relève, comme le premier, de la menace. Il concerne les conséquences régionales et territoriales d’une évolution de la pensée agricole très présente à Bruxelles. C’est ainsi que j’entends dire assez souvent dans les couloirs bruxellois que la bonne solution pour l’agriculture française, notamment pour l’élevage et le lait, consisterait à faire en sorte d’organiser correctement et dignement le départ de 20 % de producteurs laitiers dans notre pays. Au terme de ce raisonnement, la production laitière française serait meilleure grâce à la réduction ainsi décrétée. Cette menace-là est très préoccupante parce qu’elle ne tient pas compte de l’identité territoriale et agricole de la France.
En effet, à procéder de la sorte, on aura une grande région productrice de lait, la grande région Bretagne, élargie à son nord et à son sud. Et la production laitière disparaîtra du quart sud-ouest de la France, des zones de montagne et d’une grande partie de l’est de la France, soit des trois quarts de nos territoires français.
M. Charles Revet, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. De telles logiques conduiraient à créer une grande région céréalière, la Beauce, et une grande région laitière, qui sera le grand Ouest. Quant à toutes les régions intermédiaires, qui constituent une grande partie de la réalité agricole de notre pays, elles seront menacées et exposées à un avenir incertain.
Quand on pense agriculture, il faut naturellement intégrer la diversité territoriale de notre pays. Et nous avons besoin d’une économie céréalière à l’extérieur de la Beauce, comme nous avons besoin d’une économie laitière à l’extérieur de la Bretagne…
M. Charles Revet, rapporteur. Ou de la Normandie ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin. … sans que je mette en cause ni les Bretons ni les Beaucerons ! Mais il est clair que notre identité territoriale nous impose d’animer nos territoires.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Pour cela, nous avons besoin de conjuguer un certain nombre de productions. C’est un élément très important.
Prenons la question des allocations provisoires en matière laitière. On voit bien que les régions laitières ont besoin d’une augmentation des allocations provisoires. En effet, sinon, à force de perdre des producteurs, et donc des volumes, les coopératives auront de moins en moins de lait et verront se réduire leurs capacités financières à envisager l’avenir. Ces régions subiront finalement une sorte de double peine : après avoir perdu des producteurs, elles perdront des outils industriels, notamment des outils coopératifs.
C’est la deuxième menace sur laquelle je tenais à mettre l’accent au cours de cette intervention, monsieur le ministre. Je veux faire bien mesurer que la question agricole ne se réduit pas à des statistiques. Derrière les chiffres, il y a des personnes, qui vivent sur des territoires.
Le troisième sujet sur lequel je voulais intervenir est plus spécifique, mais néanmoins très important pour notre pays. Il concerne un secteur de l’économie laitière qui ne dépend pas de Bruxelles et pourrait nous donner l’occasion de renforcer notre souveraineté.
Je veux parler du lait de chèvre. Il s’agit d’une production nationale soustraite aux préoccupations bruxelloises. Dans ce secteur où nous ne sommes pas enfermés dans des contraintes extérieures, démontrons notre détermination ! L’interprofession vous fait des propositions d’intervention qui se chiffrent à environ 26 millions d’euros sur lesquels les producteurs et les syndicats sont prêts à prendre à leur charge 14 millions d’euros. Les coopératives sont prêtes à prendre 7 millions d’euros à leur charge sous réserve d’une aide de l’État à hauteur de 5 millions d’euros pour la gestion des stocks.
Grâce à une bonne gestion des stocks sur le plan national, nous pourrions montrer, dans ce secteur du lait de chèvre qui n’est pas une économie sous tutelle européenne, notre attachement souverain à une agriculture importante pour notre territoire.
Telles sont les trois menaces que je voulais souligner, monsieur le ministre.
Naturellement, je souligne aussi que ce texte contient des avancées considérables. C’est la raison pour laquelle, j’ai salué tout à l’heure le travail de la commission.
Mes chers collègues, je relève des évolutions très importantes, y compris pour la distribution et les contrats. Je suis très heureux de voir retenue cette logique des contrats, laquelle reprend au fond la logique des coopératives. Elles ont été les premières à mettre en place les contrats structurés qui donnent aux producteurs des assurances pour l’avenir en leur offrant cette capacité d’union.
C’est la raison pour laquelle je tiens à vous dire que, sur la distribution, j’approuve ce qui a été fait par le Président de la République.
M. René-Pierre Signé. Ah ! Il faut bien se rattraper à la fin !
M. Jean-Pierre Raffarin. Une vieille expérience acquise en exerçant les fonctions de ministre des PME me fait dire que la distribution a un talent extraordinaire pour utiliser les règlements nationaux à son avantage.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. Après moult réflexions – peut-être nourries de l’audace de l’expérience –, je pense que toute tentative sera vaine tant que l’on ne taxera pas les produits financiers. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Ne triomphez pas si vite, mes chers collègues ! En effet, le gros problème avec la grande distribution, c’est que les grandes surfaces font leurs marges plus sur les produits financiers que sur l’action commerciale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Moi, je suis pour un commerce libéral, et pas pour un commerce détourné qui est fait sur des produits financiers. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) C’est là la source des profits des grandes surfaces et, sauf à y remédier, les difficultés subsisteront.
Monsieur le ministre, vous avez mon estime, mon amitié et mon soutien. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ah ! si la droite dirigeait ce pays depuis quelques années, que ne verrions-nous pas dans le domaine de l’agriculture et quelles évolutions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Parce que l’heure est grave, je voulais dire que nous savons, notamment dans cet hémicycle, ce que sont les territoires ruraux, ce qu’est l’agriculture. En effet, nous sommes tous, soit paysans, soit fils ou fille de paysans. Et nous savons combien, dans nos territoires ruraux, toute l’économie vit autour de notre histoire rurale et agricole.
Elle vit grâce à ces hommes et à ces femmes qui courbent l’échine et font un métier ô combien magnifique et enthousiasmant. Mais c’est un métier qui, depuis quelques années, ne paie plus. Comme aurait dit Fernand Raynaud, « ça eût payé », mais non, décidément, aujourd’hui cela ne paie plus !
C’est la raison pour laquelle nous devons toutes et tous, à l’occasion de cette discussion, réaffirmer, au-delà de notre soutien et de notre estime, tout le respect que nous devons au monde agricole, aux agricultrices et aux agriculteurs sans lesquels nous serions aujourd’hui peu de chose.
Comme M. Raffarin vient de le dire, ces agriculteurs sont organisés en structures, notamment en GAEC. Le travail effectué dans le cadre de la coopération est essentiel. Dans les petits départements, c’est grâce à la coopération que les agriculteurs, filière par filière, ont pu s’en sortir, sont compétitifs et peuvent vendre leurs produits.
C’est la raison pour laquelle nous ne devons jamais oublier, au cours de cette discussion, qui nous sommes, d’où nous venons et ceux qui travaillent sur le territoire.
Monsieur le rapporteur Gérard César, vous disiez tout à l’heure que c’était une bonne chose que le Gouvernement ait soumis ce projet de loi en premier lieu au Sénat. Monsieur le ministre, oui, c’est une très bonne chose ! Je vous rejoins, monsieur le rapporteur : entre le texte qui a été présenté par le Gouvernement et celui qui nous est aujourd’hui soumis par la commission, une vache n’y retrouverait pas ses petits ! Pas plus qu’une truie, d’ailleurs ! (M. le ministre sourit.)
Le texte aujourd’hui en discussion nous convient tout de même mieux que celui que vous nous aviez présenté voilà quelques semaines. Il est le fruit du travail réalisé en commission et j’espère que, dans quelques jours, il nous conviendra encore mieux. Mais je n’en suis pas totalement sûr.
En effet, j’ai entendu dire tout à l’heure que 120 amendements venant de tous les groupes ont été retenus en commission. Des amendements venant de tous les groupes ? Sept ou huit de la gauche contre cent vingt et un de la droite ! Il n’en demeure pas moins que tous les groupes ont participé à l’amélioration de ce texte. Et, s’il y a un déséquilibre, certains des amendements présentés par M. le rapporteur nous conviennent tout à fait ; nous l’avons d’ailleurs dit très objectivement. En effet, lorsque les choses vont dans le bon sens, nous nous en félicitons !
Dans la crise sans précédent que traverse l’agriculture, tous les secteurs sont touchés, avec plusieurs conséquences.
Premièrement, l’agriculture française a perdu en Europe sa prééminence et son leadership. En effet, nous devons l’affirmer, là encore haut et fort, l’agriculture française ne saurait se porter au mieux dans un contexte de libéralisme économique.
Je suis heureux d’entendre que tous les orateurs, quelle que soit leur appartenance politique, se réfèrent à la régulation économique que nous réclamons depuis des années. Il faut le dire, elle est essentielle pour notre pays et pour l’Europe, particulièrement pour l’agriculture. Monsieur le ministre, c’est la raison pour laquelle notre groupe sera à vos côtés pour soutenir la régulation économique comme un axe fort de ce texte.
Deuxièmement, il n’est pas possible de poursuivre la politique du « toujours moins cher ». Il faut expliquer à nos concitoyens que les produits ont un coût. Continuer à faire des rabais, des remises, des ristournes – « les trois R » –, à baisser les prix et à solder les produits ne nous permettra pas d’avancer, car, derrière tout cela, les agriculteurs n’arrivent plus à s’en sortir.
Évidemment, avec un pouvoir d’achat en berne, voire en baisse, nos concitoyens recherchent les prix les plus bas. Mais nous devons tenir les deux bouts de la chaîne : d’un côté, les Français doivent pouvoir acheter des produits agricoles de qualité ; de l’autre, les agriculteurs doivent vivre de leur métier, de leur production.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Didier Guillaume. À cet égard, le travail qui a été accompli hier par vous-même, monsieur le ministre, et par le Président de la République nous semble important. Mais ces mesures arrivent un peu tard et nous ne sommes pas certains qu’elles pourront être appliquées, notamment celles qui concernent les fruits et légumes, que vous avez évoquées.
Ainsi, il est prévu que, lorsque le prix d’un produit chutera de 40 % au-dessous de son cours, les « trois R » seront supprimés. Mais, nous le savons, les prix se sont effondrés depuis deux ou trois ans et ont déjà baissé de 40 % ; ils n’iront donc pas beaucoup plus bas ! Nous ferons des propositions sur ce point.
Si les mesures annoncées hier constituent bien une avancée, il faut, à n’en pas douter, les encadrer et faire en sorte qu’elles puissent être adaptées à tous.
Le Gouvernement doit apporter une réponse conjoncturelle forte et identitaire, et approfondir ses aides à l’agriculture, sans quoi les mesures structurelles prévues dans ce texte risquent de ne pas servir à grand-chose. En effet, à trop tarder, il n’y aura quasiment plus d’agriculteurs aptes à réussir lorsque la loi sera mise en œuvre !
C’est la raison pour laquelle ce texte doit s’appuyer sur deux piliers : une réponse conjoncturelle forte et rapide, pour manifester aux agriculteurs français toute l’affection que nous leur portons et notre volonté de les sortir de cette crise – aujourd’hui, ils n’en sont pas totalement convaincus – et une réponse structurelle propre à offrir une vision d’avenir et une meilleure compétitivité européenne, pour montrer que l’agriculture a un avenir en Europe. Plusieurs orateurs ayant déjà évoqué ce point, je n’insisterai pas.
Monsieur le ministre, je tiens à vous décerner un deuxième satisfecit – il risque de ne pas y en avoir d’autres pendant les quinze prochains jours ! – pour avoir placé les intérêts des consommateurs et la question de l’alimentation, trop souvent oubliés à mes yeux, en tête des objectifs de votre loi.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Didier Guillaume. C’est une bonne chose, et force est de constater qu’en la matière vos intentions ne sont pas feintes. Si nous avons déposé des amendements, c’est pour nous assurer que tout cela ne sera pas qu’un simple effet d’annonce – une tête de gondole ! –, sans rien derrière.
Vous avez également évoqué le revenu des agriculteurs, qui doivent pouvoir vivre de leur travail. Il est inadmissible que des produits agricoles soient vendus au-dessous de leur prix de revient : nous devons absolument prendre les mesures qui permettront de mettre fin à cette situation. Aucune autre profession en France ne serait prête à endurer ce que les agriculteurs ont accepté.
Les dispositions relatives aux marchés publics nous importent beaucoup, mais les amendements que nous avons présentés en commission ont tous été « retoqués ». Monsieur le ministre, je suis heureux de constater que vous avez évoqué cet après-midi une réforme des marchés publics, sans laquelle rien ne pourra être accompli.
M. Jean-Paul Virapoullé. Eh oui !
M. Didier Guillaume. Nous devons intervenir sur les circuits courts et donner les moyens à la restauration collective et scolaire de s’approvisionner sur les territoires. Pour ce faire, il faut absolument modifier les dispositions du code des marchés publics, tout en gardant le cadre général, afin que la puissance publique, les donneurs d’ordre puissent acheter des produits alimentaires, notamment pour la restauration scolaire, sur un territoire plus recentré.
M. Jean-Pierre Plancade. Ce serait bien !
M. Didier Guillaume. En ce qui concerne les calamités et l’assurance récolte, notre spécialiste en chef, Daniel Soulage, en a tout à l’heure beaucoup parlé, et nous y reviendrons à l’occasion de la discussion des articles.
Monsieur le ministre, vous avez signalé lors de votre intervention que, si l’assurance récolte devenait obligatoire, l’Europe ne mettrait plus sur la table les 100 millions d’euros qu’elle pourrait verser au système d’assurance que vous proposez. Nous ne partageons pas votre analyse : il s’agit non pas d’une règle, mais bien d’une question de volonté politique.
Nous devrions appliquer une règle que le Président de la République a déjà évoquée à plusieurs reprises en ce qui concerne l’agriculture : il faut faire plier l’Europe, car ce n’est pas elle qui va dicter aux États ce qu’ils doivent faire aujourd'hui. S’il n’y a pas d’assurance récolte obligatoire interrégionale et interfilières, alors il est à craindre qu’elle ne joue pas pleinement son rôle.
Pour conclure, il faut nous interroger : est-il possible de moderniser l’agriculture en période de crise ? C’est là toute la difficulté, tant il est vrai que les choses auraient été beaucoup plus faciles en phase de croissance. Mais nous devons garder à tout prix la spécificité de l’agriculture française.
Certes, la France a de grandes entreprises : elles se développent à l’export, spéculent et sont présentes sur les marchés internationaux. Mais ce qui fait la force et l’histoire de notre pays, ce sont les petites exploitations agricoles de quelques dizaines d’hectares, les agriculteurs de montagne, ceux qui font de la polyculture. Si nous n’y prêtons pas attention, ce système agricole, qui a fait notre histoire, n’existera bientôt plus. Nous ne pourrons pas vivre dans un pays dans lequel la taille des exploitations agricoles se comptera en centaines d’hectares et où, n’en doutons pas, plus aucun jeune ne s’installera.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette loi, nous devons redonner de l’espoir et offrir des perspectives pour que nos jeunes aient encore envie de s’installer et d’exercer ce beau métier. Nous voulons affirmer avec force que l’agriculture a encore un bel avenir devant elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les orateurs ont souligné les difficultés, parfois mortelles, auxquelles sont soumises les exploitations agricoles. La diminution continue et inexorable de leur nombre l’illustre. Les installations de jeunes agriculteurs suivent aussi, en l’accentuant, cette tendance.
J’orienterai mon propos non pas sur les aléas des marchés, leur organisation et les charges des agriculteurs, mais sur les calamités administratives inventées et produites par Bruxelles.
Imaginez l’état d’esprit d’un agriculteur qui cherche à survivre et à qui on impose des charges administratives absurdes. S’il ne s’y plie pas, il est sanctionné et sa situation s’aggrave. Pouvez-vous comprendre qu’il éprouve, au-delà de l’exaspération, du ressentiment contre une Europe de plus en plus éloignée de ses préoccupations, de ses difficultés, de ses angoisses ?
Monsieur le ministre, si le politique ne reprend pas la main sur l’administratif, vous ne pouvez pas prévoir la violence des réactions.
Avez-vous essayé de remplir un dossier PAC ? Tentez l’expérience, vous allez perdre votre sang-froid ! Je voudrais vous citer quelques exemples des astreintes imbéciles auxquelles vous devrez faire face.
Tout d’abord, armez-vous de patience, du plan de votre exploitation, d’un stylo rouge et d’un stylo vert. Le rouge pour créer, modifier ou supprimer les îlots, le vert pour délimiter et identifier vos parcelles culturales et les surfaces engagées dans des mesures agroenvironnementales ou biologiques. Ne vous trompez pas de programmation, ni d’abréviation et, surtout, n’oubliez aucun formulaire ou justificatif, vous seriez immédiatement sanctionné par une administration autiste qui ne justifie son existence que par son inutile pouvoir de sanction. L’observation satellitaire permettrait la mise en application d’une RGPP agricole à un coût administratif très inférieur.
Précisez scrupuleusement la quantité d’engrais utilisée sur votre exploitation non pour l’ensemble de la surface, mais pour chacune des parcelles. Pour quelle raison ? Il y a quelques années, on épandait sur des semis de blé 150, 180, voire 200 unités d’azote et on ajoutait un raccourcisseur pour que le blé ne verse pas. Cette époque est révolue. Les intrants sont trop chers. Ayez à l’esprit que, aujourd’hui, un agriculteur vise non plus les rendements, mais les marges.
Après avoir épandu un pesticide, n’oubliez surtout pas de reporter sur la fiche son numéro d’autorisation de mise sur le marché et sa date de péremption. Pourquoi ?
Peu importe l’état de développement de vos cultures, la pluviométrie ou la température, attendez les dates autorisées pour répandre l’azote. Or qui mieux que l’exploitant lui-même peut décider du bon moment ? Si vous considérez l’agriculteur comme un entrepreneur, laissez-lui gérer son entreprise comme il l’entend.
Pour établir votre contrat d’assurance, inscrivez scrupuleusement vos rendements moyens et le prix de vente de vos récoltes sur les cinq dernières années. Pour quelle raison ? Il suffit de s’entendre avec l’assureur sur un chiffre d’affaires à l’hectare.
La liste de ces astreintes n’est pas exhaustive, hélas !
Au final, vous aurez passé un temps considérable à remplir des papiers administratifs dont la complexité et l’absurdité confinent au ridicule. La solennité de ces lieux m’interdit d’utiliser des termes plus crus.
Monsieur le ministre, vous avez dit que les idées françaises faisaient leur chemin à Bruxelles. Défendre celle de la simplification administrative est une première urgence.
Vous ne souscrivez pas à ma proposition d’assurance-récolte obligatoire, car elle conduirait l’Europe à supprimer ses subventions. Pourquoi procéderait-elle ainsi si cette assurance obligatoire permet une plus grande mutualisation des risques, donc une vraie solidarité, et la survie des entreprises agricoles en cas d’accident climatique ? L’Europe ne peut pas avoir comme seul argument : « C’est comme ça parce que c’est comme ça ».
Dans l’esprit des contrats, qui sont une bonne idée, ne peut-on garantir un prix sur un rendement donné, par exemple 40 ou 50 quintaux par hectare, et laisser la possibilité de négocier la production supérieure à ce rendement au prix du marché ? Cela permettrait de garantir un revenu minimum aux exploitations. L’Europe était hostile à cette idée il y a une vingtaine d’années. La prise de conscience du rôle essentiel de l’agriculture a pu la faire évoluer.
Monsieur le ministre, les économistes prévoient que, à moyen terme, le monde sera déficitaire en produits agricoles : par conséquent, les prix augmenteront. Mettez en place une politique qui permette aux agriculteurs de survivre jusque-là ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Alain Fauconnier applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’agriculture est un secteur vital pour l’économie métropolitaine, elle l’est encore plus pour les RUP, les régions ultrapériphériques, que constituent les départements d’outre-mer.
Ayant milité pour l’intégration de ces derniers au sein de l’Europe, je voudrais souligner ici les bienfaits de la politique agricole commune qui a transformé l’Europe de la pénurie d’après-guerre en une Europe des excédents et fait de la Communauté économique européenne l’une des premières puissances agroalimentaires du monde.
Aujourd'hui, l’Europe traverse une triple crise : financière – nous le savons bien –, politique et, sur le plan agricole, identitaire. En effet, l’application des mesures adoptées dans le cadre du cycle de Doha a abouti à mettre en place une mondialisation que je qualifierais d’hypocrite, car elle n’est pas libérale. Si elle l’était, il n’y aurait ni mesures de dumping monétaire ou social ni manquements aux règles de l’environnement.
Pour toutes ces raisons, les agriculteurs français sont aujourd'hui confrontés à deux problèmes : la concurrence internationale, qui est faussée, et la concurrence interne. On nous dit ici et là, notamment à Bruxelles, qu’il faut en finir avec la politique agricole commune parce qu’elle coûte trop cher.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que les Européens ne devraient avoir aucun complexe en matière de libéralisme. L’excellent rapport de nos collègues Gérard César et Charles Revet montre que le pays qui subventionne le plus son agriculture est les États-Unis. Cela va des assurances aux agrocarburants…
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui, tout est subventionné !
M. Jean-Paul Virapoullé. … en passant par le coton, qui est d’ailleurs subventionné au-delà de la valeur du produit de la récolte.
Si je soutiens le projet de loi qui nous est présenté, c’est parce qu’il s’agit d’un premier volet et que d’autres réformes plus importantes vont suivre : celle de la politique commune de la pêche, en 2012, et celle de la politique agricole commune, en 2013.
Le décor étant planté, je veux maintenant remercier vos services, monsieur le ministre, avec lesquels nous avons beaucoup travaillé cette année, ainsi que vous-même, qui avez été l’un des principaux artisans d’une décision qui devrait sauver l’économie sucrière de la Réunion, à savoir la valorisation à sa juste valeur de la biomasse de la canne. Je me réjouis que le Premier ministre ait arbitré en ce sens. La prime bagasse, qui évoluera certainement avec le temps, représentera donc un complément de revenus substantiel pour les planteurs.
Je tiens également à saluer les mesures innovantes de ce projet de loi concernant la contractualisation et l’assurance. Je souhaite que nous puissions être associés à l’ordonnance, prévue au titre V, qui sera prise concernant l’application de ce texte aux départements d’outre-mer.
Dans la perspective de la réforme de la politique commune de la pêche et de la politique agricole commune, sachez qu’un outil est à votre disposition pour aider les régions ultrapériphériques, je veux parler du traité de Lisbonne, qui reprend les dispositions de l’article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, dans l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il prend en effet en compte notre situation économique et sociale structurelle, notre éloignement, l’étroitesse de notre marché, la proximité des PMA, ou pays les moins avancés, qui, vous le savez, peuvent importer leurs produits chez nous sans payer de droits de douane. Or, comme il s’agit de produits de même nature, l’économie sucrière, la filière bananière et l’agriculture vivrière de nos régions pourraient être anéanties.
La nouvelle politique agricole commune a été voulue par le chef de l’État, par le Premier ministre et par vous-même. Je peux vous dire que nous la soutenons. D’ailleurs, nous vous félicitons de ne pas avoir baissé les bras à Bruxelles et d’avoir lancé l’Appel de Paris, qui a été signé par vingt-deux États membres.
Forts de ce rassemblement, définissons ensemble, grâce au traité de Lisbonne, une nouvelle approche de la politique agricole commune concernant les productions essentielles pour l’outre-mer – la banane et la canne, notamment – ainsi que le positionnement stratégique des RUP françaises par rapport aux PMA. Nous sommes à votre disposition pour y travailler.
Monsieur le ministre, sachez également que vous êtes assis sur un trésor, et que vous ne le voyez pas. (Sourires.) Grâce aux DOM, la France possède un vaste espace maritime, mais elle ne l’exploite pas. En fait, celui-ci est pillé par des navires asiatiques, notamment dans le sud de l’océan Indien.
M. Marcel-Pierre Cléach. Absolument !
M. Jean-Paul Virapoullé. Dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche, en 2012, vous pourriez donc créer un groupe de travail réunissant des parlementaires, des élus des conseils régionaux et d’autres collectivités territoriales ainsi que des représentants de l’État en charge de ces questions afin d’expertiser les ressources halieutiques dans ces régions.
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé. Cet espace nous appartient collectivement. Ne laissons pas des bateaux venus de Taïwan, du Japon ou d’ailleurs piller notre poisson !
Pourquoi ne l’exploitons-nous pas nous-mêmes, me rétorqueront certains ? La raison en est simple : la Réunion est un territoire européen, et nous ne pouvons pas construire de bateaux pour pécher dans les zones économiques exclusives européennes, contrairement aux pirates.
M. René Garrec. Eh oui !
M. Jean-Paul Virapoullé. C’est absurde !
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Paul Virapoullé. Dans le cadre de la nouvelle politique de 2012, faisons adopter un nouveau règlement européen. Car, ne l’oubliez pas, ce qui est valable pour l’hémisphère nord ne vaut pas pour l’hémisphère sud ! Il faut donc autoriser l’armement de navires de l’hémisphère sud et travailler en joint venture avec d’autres bateaux nationaux dans les eaux qui nous appartiennent.
Telles sont les deux suggestions que je souhaitais vous faire : utilisons le traité de Lisbonne et l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour construire l’avenir des régions ultrapériphériques et définissons une nouvelle politique de la pêche afin que la France soit présente dans les zones qui lui appartiennent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant plus de deux siècles, la monoculture de la canne à sucre a dominé l’agriculture réunionnaise. Cette culture a forgé l’histoire, l’aménagement du territoire et les rapports sociaux de cette île.
Les crises successives ayant frappé le marché du sucre ont conduit les responsables à s’orienter vers la diversification. Celle-ci s’est appuyée sur la persistance de la culture de la canne, qui assurait aux agriculteurs, dans le cadre du marché sucrier européen, des revenus garantis leur permettant de consacrer une partie de leur surface agricole à d’autres spéculations.
Aujourd’hui, 72 % de la consommation locale de fruits et légumes frais est assurée par la production locale. Les filières agricoles, autres que celle de la canne, tendent à s’organiser, à se moderniser. Cependant, tout le monde considère qu’il est encore possible et nécessaire de réduire la dépendance de la Réunion à l’égard de l’extérieur aussi bien pour les fruits et légumes que pour la viande bovine et porcine. L’effort de diversification doit donc impérativement être poursuivi, d’autant que les crises que nous avons connues et que nous connaîtrons sur les plans tant économique qu’énergétique, climatique ou alimentaire imposent aux Réunionnais d’aller le plus vite et le plus loin possible vers l’objectif de l’autosuffisance alimentaire.
Toutefois, la diversification agricole ne doit pas se faire au détriment de la canne à sucre, qui reste le pivot des unités agricoles. Outre le caractère patrimonial que revêt la filière canne à sucre à la Réunion, celle-ci constitue un savoir-faire mondialement reconnu, exporté à travers le monde tant pour la culture de la canne que pour l’industrie sucrière. Sa multifonctionnalité est également établie dans le domaine environnemental, notamment avec l’utilisation de la bagasse, qui fournit plus de 10 % de l’électricité de l’île. Plus que jamais, les agriculteurs qui acceptent de s’orienter vers la diversification doivent s’appuyer sur l’assurance d’un revenu garanti que seule la canne leur procure actuellement, dans le cadre de l’organisation commune des marchés du sucre.
Ce marché communautaire du sucre, même s’il a vu le prix de cette denrée baisser de 36 % sous la pression de l’OMC, garantit aux planteurs de canne une compensation assurée par l’État français afin que ceux-ci ne subissent aucune perte de revenu. L’autorisation de compensation a été accordée par l’Union européenne au titre de l’article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’OCM du sucre est ainsi un outil de lutte contre les aléas économiques et une assurance de revenus décents pour les agriculteurs : deux ambitions de votre projet de loi, monsieur le ministre.
Cependant, la fin de cette organisation du marché du sucre en 2013 crée une grande inquiétude, non seulement chez les planteurs de canne, mais aussi chez tous les agriculteurs à la Réunion et dans les Antilles. L’avenir de l’agriculture dans les DOM est subordonné à une série de questions à laquelle le texte qui nous est soumis ne répond malheureusement pas.
L’Europe va-t-elle continuer à céder devant la pression de l’OMC pour baisser le prix du sucre ? Si oui, l’Union européenne pourra-t-elle continuer à autoriser les compensations ? Dans ce cas, le gouvernement français est-il prêt à maintenir son aide aux planteurs de canne afin que leurs revenus leur permettent d’accentuer la diversification en vue de répondre aux besoins alimentaires de la Réunion, qui compte 800 000 habitants aujourd’hui et en comptera 1 million demain ?
Nos agriculteurs attendent des assurances dans ce sens, surtout que le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays andins est actuellement en cours de signature à Madrid ; accord qui, selon le Président de la République lui-même, est susceptible de remettre en cause l’ensemble de l’effort communautaire en faveur des RUP.
Concernant le titre IV du projet de loi, nous ne pouvons que saluer la volonté de structurer les activités liées à la pêche. Il en va de même pour la création du Comité de liaison scientifique et technique.
S’agissant de la composition de ce comité, qui sera précisé par décret, nous espérons que l’outre-mer pourra avoir un représentant par bassin maritime, car, grâce à ses territoires, la France possède l’une des plus grandes superficies maritimes du monde.
Toutefois, ces mesures n’ont pas l’envergure susceptible d’encourager et de soutenir durablement cette filière à fort potentiel en termes d’emplois, de capacité de pêche et d’exportation à la Réunion. À titre d’exemple, en 2008, la pêche locale a débarqué 11 000 tonnes, contre 8 200 tonnes en 2000, soit une augmentation de 30 %. Plus de 70 % de la production locale a été écoulée vers l’Europe et l’Asie, faisant de la pêche le deuxième poste d’exportations après la canne à sucre.
Ces chiffres dénotent le dynamisme de la filière. Cependant, ils ne doivent pas masquer les handicaps de ce secteur. La double appartenance de la Réunion à l’aire géographique de l’océan Indien et au contexte juridique de l’Union européenne soulève des contradictions entravant le développement de ce secteur.
En effet, les directives européennes réglementant nos zones de pêche sont prises en fonction de la situation de surpêche des mers des pays européens continentaux, où les ressources halieutiques sont menacées. À la Réunion, la situation est différente : les ressources abondantes et l’immensité du territoire maritime exploitable depuis l’île – 2,8 millions de kilomètres carrés, soit dix fois la zone économique exclusive métropolitaine – nécessitent une adaptation des règlements communautaires, rendue possible grâce au traité de Lisbonne et à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
De plus, l’ouverture, par les accords de partenariat économique, des marchés communautaires aux produits compétitifs des pays ACP de la zone sud-ouest de l’océan Indien fragilisera les entreprises réunionnaises, qui doivent déjà faire face aux contraintes d’un marché local exigu et aux frais inhérents à l’éloignement pour les exportations et les importations, notamment d’intrants.
Enfin, alors que l’Union européenne affiche pour les régions ultrapériphériques une grande politique de coopération régionale, certains États européens concluent des accords bilatéraux avec les pays de la zone de l’océan Indien sans passer par la Réunion, qui bénéficie pourtant d’un port de pêche « industrielle », moderne et performant.
Aujourd’hui, la pêche à la Réunion représente environ 1 000 emplois et génère 67,2 millions d’euros. C’est peu au regard de ses potentialités !
Monsieur le ministre, la filière pêche peut être porteuse d’emplois et créatrice de valeur à la Réunion. Encore faut-il se donner les moyens de cette ambition, c’est-à-dire prendre en compte ses spécificités pour mettre en place une réelle politique de pêche en outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est censé répondre à la crise structurelle que traverse notre agriculture, laquelle plombe le revenu de nos agriculteurs depuis 2009.
Dans mon intervention, je voudrais m’attacher plus particulièrement au titre II, qui traite de la compétitivité. Il se propose notamment, en s’appuyant sur la filière et le contrat, de mieux réguler les quantités et les prix et, ainsi, de mieux sécuriser les revenus.
Mais ces instruments sont-ils à la hauteur des défis que l’agriculture doit relever sur les marchés européens ? Ces instruments sont-ils suffisants pour que la France reste la deuxième puissance agricole mondiale ?
L’agriculture française connaît, depuis une dizaine d’années, une dégradation de sa compétitivité sur les marchés, alors même que toutes les conditions sont réunies pour en faire un secteur dynamique : d’importantes surfaces disponibles, des sols et un climat assurant un bon rendement, ainsi qu’une réelle compétence technique de nos agriculteurs.
Je commencerai par dresser un tableau de la compétitivité de l’agriculture française.
Nos exportations ont diminué de 20 % entre 2008 et 2009, soit une perte de 3,1 milliards d’euros. Les secteurs les plus touchés sont les produits laitiers, avec une diminution de 16 % ; les vins et le champagne, dont les exportations ont chuté de 22 % ; les céréales et les produits à base de céréales, qui accusent respectivement une baisse de 24 % et de 22 %.
De même, au cours des dix dernières années, les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 15 %, alors qu’elles progressaient dans le même temps de 21 % en Allemagne et de 22 % aux Pays-Bas. C’est en particulier le cas de la culture des asperges, des fraises, des carottes.
Quant à la production porcine, elle stagne depuis une dizaine d’années, alors que l’abattage allemand de porcs a connu une croissance de plus de 35 % en dix ans.
L’Allemagne et les puissances agricoles émergentes de l’Europe de l’Est récupèrent ces parts de marché que nous perdons.
Nos producteurs, en cette période de crise, se voient offrir pour leurs produits un prix d’achat parfois inférieur au coût de revient, et cela sans que le consommateur en tire un quelconque profit !
Face à ce constat alarmant, nous doutons de l’efficacité de la proposition relative aux filières et à la contractualisation pour répondre aux défis que l’agriculture française doit relever sur les marchés européens et mondiaux.
Nous n’ignorons pas que de nombreuses réponses sont bruxelloises et que cette proposition de texte fait partie d’un ensemble plus vaste de mesures. Toutefois, nous considérons que le pilier de la compétitivité n’est pas suffisamment pris en compte dans la démarche présentée.
Nous disons oui à la filière !
Il est évident qu’une meilleure organisation des producteurs leur permettra de peser dans les négociations commerciales, à la condition qu’elles ne soient pas excessivement sectorisées territorialement.
Nous souhaitons que ces filières interprofessionnelles puissent développer des instruments favorisant la compétitivité des produits. Il s’agirait par exemple de soutenir la généralisation du transfert de propriété pour les organisations de producteurs, afin d’en augmenter la capacité commerciale.
Elles pourraient également intervenir comme médiateur auprès des parties à un contrat de vente, dans le but de prévenir les conflits entre les acteurs et non de réparer les pots cassés. Nous nous réjouissons d’ailleurs d’avoir obtenu satisfaction en commission sur ce point.
Nous disons également oui au contrat, qui fixe une quantité, une durée et un prix entre deux cocontractants.
Nous regrettons cependant que, dans des filières qui comptent parfois cinq ou six cocontractants, nous nous limitions à des accords qui prennent insuffisamment en compte le circuit global de la commercialisation.
J’attire également votre attention sur le fait que ces deux instruments, filière et contrat, n’auront une efficacité réelle qu’à condition que notre agriculture retrouve des marges de manœuvre !
C’est pourquoi le troisième étage de la fusée doit être constitué d’un observatoire de la compétitivité qui comprendrait deux sections, celle des prix et des marges et celle des distorsions de concurrence, en réalité très liées.
Pour casser la boîte noire des prix et des marges, la première section aurait la possibilité, donnée par décret, de demander l’affichage des informations et statistiques dont elle dispose devant les caisses des supermarchés dont les centrales d’achat ne jouent pas le jeu de la transparence des marges.
Le name, blame and shame cher aux Anglo-Saxons nous paraît bien plus efficace que de dérisoires amendes. Il imposerait le consommateur comme arbitre des réelles distorsions de marge entre le prix d’achat au producteur et le prix payé par le consommateur.
Enfin, la deuxième section de cet observatoire devra réaliser chaque année une étude exhaustive des distorsions de concurrence imposées à nos agriculteurs, tant dans l’application des directives communautaires que dans les multiples réglementations et normes franco-françaises. Ces dernières ont en effet, au fil du temps, corseté une agriculture à qui on demande de courir un 400 mètres haies pour résister à la crise !
Puisque la situation budgétaire du pays n’admet plus les largesses, donnons de l’air à notre agriculture en demandant à cette section d’établir d’ici à la fin de l’année le diagnostic de ces distorsions. La connaissance des distorsions européennes nous permettra de mieux négocier à Bruxelles ; le diagnostic proprement français pourra lui aboutir à un moratoire visant à supprimer rapidement tous les règlements et les normes qui pèsent anormalement sur la compétitivité de notre agriculture.
Cela rejoint l’annonce faite récemment par le Président de la République de la légalisation du seuil de 44 tonnes pour le transport des produits des secteurs agricole et agroalimentaire.
Sous ces conditions, monsieur le ministre, nous admettons que la filière et le contrat, s’appuyant sur une réelle transparence des marges et sur un réel toilettage des normes qui asphyxient notre compétitivité, pourraient redonner une partie de l’oxygène nécessaire à notre agriculture.
Voilà l’avis du groupe de l’Union centriste sur ce sujet particulier. Nous attendrons cependant la fin des débats et le vote des amendements pour arrêter une position définitive sur ce texte, car nous considérons que filière, contrat, compétitivité et transparence doivent être au cœur du dispositif visant à redonner de l’oxygène à notre agriculture ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise affecte durement, depuis plus d’un an, toutes les filières de l’agriculture française. Elle ne doit cependant pas nous occulter l’évolution, voire la mutation préoccupante de la dernière décennie.
À titre d’exemple, la diminution du nombre d’exploitations au niveau national, en moyenne de 19 300 par an de 2000 à 2005, s’est accélérée de 2005 à 2007, passant à 30 000 disparitions annuelles. Aujourd’hui, la simple observation locale des conséquences de la crise que nous traversons montre que le phénomène s’est amplifié et que la concentration se poursuit.
Concernant la crise elle-même, l’analyse est largement partagée. L’Europe, initialement ambitieuse dans la place accordée à l’agriculture, s’est détournée de ce qui était alors sa priorité, renvoyant aux États sa gestion courante. L’idée selon laquelle les marchés s’autorégulent dans l’harmonie, dont on perçoit aujourd’hui la naïveté, a placé les producteurs en position de faiblesse.
Quelles ont été les conséquences de la loi de modernisation de l’économie au plan national ? Qui a bénéficié de son application? On peut déjà affirmer que ce ne sont ni les producteurs ni les consommateurs !
C’est dans ce contexte, régi par la crise conjoncturelle, que le Président de la République a annoncé le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
C’est un projet de loi composite, abordant de nombreux sujets, qui se justifie par les réponses ponctuelles qu’il apporte à une profession terriblement ébranlée. C’est un projet de loi de temporisation également, en attendant 2013 avec la réforme de la PAC et 2015 avec la fin des quotas laitiers.
La LMAP est une réponse dictée par les circonstances aux attentes d’une profession désormais sans perspectives.
La commission de l’économie a procédé à de nombreuses auditions. De même, dans nos régions, nous avons noué des contacts avec des représentants professionnels de toutes sensibilités syndicales.
Nous pouvons en tirer un constat : tous jugent le cadre européen pertinent, nécessaire, voire indispensable pour l’avenir de l’agriculture. Ils font également état de l’urgence qui existe à mettre en place des règles d’équité véritablement communes et rétablissant l’égalité des chances entre les producteurs.
Il faut croire que cette nécessité est réelle et urgente puisque le Président de la République en personne s’est déclaré prêt à soutenir une épreuve de force sur le sujet.
Cependant, dans l’immédiat, qu’attendent les agriculteurs ? Ils souhaitent des prix suffisamment rémunérateurs pour assurer l’équilibre économique des exploitations ; leur stabilité et la lisibilité dans la durée, seul moyen de faire des choix de gestion sans avoir le sentiment de jouer au casino ; l’équité dans les rapports commerciaux au sein des filières, car l’asymétrie est évidente. La variable d’ajustement est toujours la production, au bénéfice de la distribution.
Le cœur de ce projet de loi est donc le titre II consacré à la compétitivité, clé de voûte de la régulation vue par le Gouvernement.
J’aborderai en premier lieu la contractualisation qui, c’est le moins que l’on puisse dire, soulève à juste titre les interrogations des agriculteurs. La crainte existe qu’elle puisse déboucher sur l’intégration. Une inquiétude s’exprime également sur la nature du transfert de propriété induite et son extension possible aux droits à produire.
Par exemple, quelle sera la nature exacte de l’obligation d’un industriel à contractualiser ? Dans la perspective de la suppression des quotas, sur quels volumes porteront les contrats ? Qu’adviendra-t-il après 2015 ? Autre grande question : le contrat prévoira-t-il que soit incluse dans les coûts de production la rémunération du producteur ? Quels moyens d’arbitrage seront mis en place pour régler les conflits ?
L’État est attendu sur les moyens qu’il entend se donner afin de veiller au respect de l’équilibre entre les contractants. Enfin, il importe que le contrat soit collectif et non pas individualisé.
Le renforcement des organisations de producteurs est le deuxième point que je souhaite aborder. Si sur le principe personne ne s’y oppose, c’est sur leur organisation, leurs compétences et leur représentativité que portent les interrogations.
L’exemple suisse justifie de telles inquiétudes. Dans ce pays, depuis la fin du système des quotas en 2009, les organisations de producteurs se livrent à une concurrence effrénée. Incapables de parvenir à un accord, elles produisent désormais des volumes de lait supérieurs aux besoins du marché, provoquant par là même la baisse des prix payés aux producteurs. Dans ce contexte, les organisations interprofessionnelles s’avèrent à leur tour incapables d’arbitrer les conflits.
Il convient donc de placer les organisations de producteurs au niveau pertinent que constituent les bassins de production, mais également d’introduire le pluralisme syndical dans les différentes instances, seul moyen de les rendre incontestables.
Cette idée, sensée et évidente, fait son chemin dans les esprits. Le moindre des paradoxes ne serait pas que ce qui se pratique partout ailleurs dans le fonctionnement des relations sociales soit considéré comme non applicable à l’agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il en va de la crédibilité de votre démarche auprès de tous les agriculteurs !
Une dernière question, qui n’est pas sans conséquences, doit également trouver une réponse. Il apparaît en effet que le regroupement des producteurs, même à un stade modeste, serait de nature à contrevenir aux textes législatifs relatifs aux pratiques anticoncurrentielles.
Cela peut prêter à sourire quand on connaît la puissance des cinq ou sept centrales d’achat des principaux groupes de la grande distribution en France. « Selon que vous serez puissants ou misérables… », serait-on tenté de dire !
S’il y a lieu de réglementer, sans doute est-ce du côté de cette concentration anormale du pouvoir économique qu’il faudrait faire porter la vigilance et la rigueur des textes.
Par ailleurs, l’assurance aléas, qu’ils soient climatiques ou sanitaires, consiste à renvoyer au secteur privé la mission d’indemniser les producteurs et, en définitive, à exonérer l’État du rôle qui devrait être le sien. À cet égard, il existe un risque évident de disparité dans le traitement des situations.
Le récent épisode neigeux en Centre Bretagne, qui a touché plus de 1 000 exploitations agricoles, a démontré le caractère variable des réponses apportées par les assureurs.
Sauf à remettre les politiques publiques au centre du jeu, on peut s’interroger sur l’inégalité de traitement qui résulterait de ces propositions.
L’Observatoire des prix et des marges est un instrument utile à la compréhension des rapports économiques au sein des filières, de la production jusqu’à la distribution. Je ne doute pas de l’utilité de sa mise en place ; il conviendra cependant de lui donner des moyens réels de fonctionnement et d’investigation, ainsi qu’une indépendance qui rendra ses rapports incontestables.
Il importe également de connaître l’usage qui sera fait des travaux de l’observatoire. En effet, une chose est de comprendre, une autre est d’agir !
Quelles mesures seront prises, dans le cas, d’ailleurs probable, où des dysfonctionnements ou des anomalies seraient constatées ? Il a été rapporté à la commission une information selon laquelle, alors qu’une centrale d’achat a été condamnée pour abus de position dominante, la décision de justice n’a jamais été appliquée.
Certes, l’établissement d’un rapport par l’observatoire sera intéressant, au même titre que la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, mais il sera sans doute suivi de peu d’effets si l’on en reste là.
Sur le sujet, stratégiquement essentiel, de l’installation des jeunes agriculteurs et de leur accès au foncier, le projet de loi est singulièrement muet. Dans ce domaine, le constat est éloquent et sans appel : il n’y a plus de gestion du foncier agricole.
Mme Odette Herviaux. Eh oui !
M. Yannick Botrel. Depuis 2006, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture, les CDOA, dans leur section « structures », ont été vidées de leur contenu et de leur raison d’être : désormais, le contrôle de la plupart des transferts de foncier leur échappe. De surcroît, un usage habile des formes sociétaires d’exploitations permet, par la substitution de l’un des membres, de contourner davantage encore les contrôles.
Mme Odette Herviaux. Tout à fait !
M. Yannick Botrel. Il en résulte une nouvelle concentration des moyens de production au détriment des jeunes qui cherchent à s’installer ou des exploitations en dessous du projet agricole départemental. Dans ce domaine, il faut protéger la profession d’elle-même et de certains comportements. Sur ce sujet, votre parole est attendue, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, le modèle agricole qui a été construit est désormais hors de tout contrôle ; aujourd'hui, il dévore les producteurs.
Au-delà de cette constatation, à laquelle on ne peut bien entendu se résoudre, je tiens à dire avec force, avec les membres du groupe socialiste, que nous sommes attachés à la taille humaine des exploitations, que l’agriculture ne peut pas être mise au rang d’une activité économique banale et que, à ce titre, elle doit être organisée et régulée, et, enfin, que sa fonction consiste non seulement à produire, mais aussi à contribuer à la gestion des espaces et des territoires ruraux, dont elle constitue bien souvent la dernière activité économique.
Tel est, monsieur le ministre, le sens de notre engagement dans ce débat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites, je serai donc bref afin de nous faire gagner du temps. Nous partageons tous dans cette enceinte le même constat : la situation de l’agriculture est grave.
Permettez-moi, monsieur le ministre, puisque vous le connaissez bien, de vous parler un peu du département du Gers, où se cumulent tous les problèmes qui ont été évoqués et où, en outre, un certain nombre de dérèglements climatiques ont entraîné des situations extrêmement graves, au point que le revenu des agriculteurs gersois est inférieur au RMI pour près de 40 % d’entre eux et au SMIC dans 55 % des cas. Vous l’avez compris, dans le Gers, le bonheur n’est plus dans le pré ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. En Haute-Garonne non plus !
M. Raymond Vall. En effet, mon cher collègue !
Cette situation ne peut perdurer. Tout a été dit sur le poids de l’agriculture dans l’économie, les difficultés du secteur agroalimentaire, les chiffres correspondants.
Pour ma part, j’insisterai sur le problème de la sécurité alimentaire. Cela a été dit, un certain nombre de décisions permettront, notamment, d’assurer une meilleure traçabilité, de faciliter le contrôle, de décerner des labels. Le problème de l’obésité a été évoqué,…
M. Raymond Vall. … problème certes majeur, monsieur le ministre, mais il faut peut-être avoir le courage d’aller plus loin.
D’autres problèmes existent également. Dans un territoire comme le nôtre, qui compte trois pôles de compétitivité, s’agissant de la sécurité alimentaire, nous pourrions créer une solidarité entre le consommateur et le producteur.
Le pôle de compétitivité Agrimip Innovation, présidé par Alain Chatillon, a réalisé, en relation avec le pôle cancer-bio-santé, des études accablantes sur certains produits arrivant en France et suspectés, au vu des données statistiques, d’être à l’origine de maladies bien plus graves que l’obésité.
Des réponses à ce grave problème de la sécurité alimentaire devront être recherchées, en concertation notamment entre le ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche et celui de la santé et des sports.
D’une manière plus générale, comment se positionner par rapport à ce texte ? Nous en sommes tous convaincus, des solutions doivent être trouvées pour adapter l’agriculture à notre temps et pour sauver les agriculteurs dans l’attente de jours meilleurs. Dès lors, voter contre ce texte reviendrait à repousser des mesures importantes.
Tout d’abord, les relations entre le secteur de la distribution et les agriculteurs sont insuffisamment développées. C’est d’ailleurs étrange, car, sur mon territoire, la grande distribution a accepté de réduire ses marges pour raconter une histoire, celle du commerce équitable ! (M. Jean-Jacques Mirassou rit.)
Je n’ai rien contre le commerce équitable – ma ville compte d’ailleurs quatre-vingts emplois dans ce secteur –, mais je ne comprends pas que la grande distribution réduise d’elle-même ses marges dans un souci humanitaire pour venir en aide aux populations concernées des pays en voie de développement et que, dans le même temps, il faille la contraindre pour qu’elle accepte de sauver les agriculteurs de nos territoires ! Or la situation est si grave en France que les agriculteurs sont désespérés, pour ne pas dire plus. Nous allons peut-être devoir faire face à des actes irréparables. C’est pire que du désespoir !
Sur ce point, notre groupe attend de savoir comment vous allez recevoir nos amendements pour prendre position.
Ensuite, j’évoquerai les filières courtes. Aujourd'hui, certaines situations sont ridicules. Parmi les nombreux exemples, je citerai celui des mandarines qui remontent par bateau jusqu’à Paris avant de revenir, le cas échéant, en Corse ! De même, 80 % de la viande consommée dans la capitale régionale provient de l’extérieur de la région.
Monsieur le ministre, vous venez de vous engager à modifier le code des marchés publics afin de favoriser les filières courtes. Cet engagement devra se traduire de manière concrète avant la fin de la discussion de ce texte. C’est important, car la meilleure manière de sauver les agriculteurs ou de leur donner un peu d’espoir, c’est non pas de leur verser des aides à titre de compensation, mais de leur permettre d’écouler immédiatement leurs produits sur des marchés concrets qui préservent leurs marges.
Enfin, je souhaiterais que l’on réfléchisse aussi à de nouveaux instruments de type crédit d’impôt carbone pour certaines filières. Il faut en faire bénéficier l’agriculture. Un certain nombre d’initiatives sont déjà engagées. Un pôle d’excellence rurale, appelé pôle d’expérimentation et d’application des techniques satellitaires, ou PATS, que M. le rapporteur Gérard César est venu visiter, est prêt à se lancer dans une expérimentation qui permettrait à certaines filières de bénéficier de ce dispositif. Monsieur le ministre, nous savons que vous vous battez sur ce dossier, qui n’est pas facile.
Au total, le projet de loi qui nous est soumis comporte des points positifs. Néanmoins, le groupe RDSE attendra de connaître le sort qui sera réservé à ses soixante-cinq amendements avant de prendre position sur l’ensemble du texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Leroy. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail accompli par MM. les rapporteurs, mais aussi le vôtre, monsieur le ministre, et, en particulier, votre affirmation selon laquelle l’agriculture reste l’une des grandes spéculations économiques du monde de demain.
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui ! On mangera toujours…
M. Philippe Leroy. Même le Mosellan que je suis, originaire d’une terre d’industrie, partage cette conviction. En Moselle, territoire de la sidérurgie et du charbon, qui compte plus d’un million d’habitants, l’agriculture reste une spéculation économique d’avenir. C’est dans ce cadre que nous devons réfléchir à la future PAC.
Je commencerai par évoquer les circuits courts. Ils sont importants, car ils permettent de commercialiser les produits agricoles sans recourir aux intermédiaires traditionnels. Le volume de production agricole susceptible de passer par ces circuits est appelé à se développer.
Pour ma part, en tant que président d’une collectivité locale, je suis prêt à vous suivre, monsieur le ministre, pour expérimenter dès que possible, avec d’autres collectivités, la meilleure façon de faire entrer les produits agricoles mosellans ou lorrains dans les cent collèges de mon département,…
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui ! C’est important.
M. Philippe Leroy. … ainsi que dans les cent dix maisons de retraite, où des milliers de repas sont servis quotidiennement, ce qui est phénoménal. Puisque nous disposons de nos propres cuisines, il n’y a pas loin de la coupe aux lèvres ! Il est donc possible aujourd'hui de passer à l’expérimentation des circuits courts en grandeur réelle. Nous vous remercions, monsieur le ministre, de nous faciliter les choses en modifiant le code des marchés publics.
J’en viens maintenant au thème principal de mon intervention, la forêt, qui a été qualifiée tout à l'heure de belle endormie.
Elle est belle, parce qu’elle a reçu beaucoup de soins pendant des siècles et qu’elle a bénéficié d’investissements colossaux depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le Fonds forestier national, qui a malheureusement été supprimé pour des raisons que je n’ai toujours pas comprises, a permis de traiter plus de cinq millions d’hectares au cours des cinquante dernières années.
Mais la forêt est également fragile, comme nous l’ont démontré les tempêtes.
Cela étant, elle est globalement en bon état.
Mme Évelyne Didier. Pour l’instant !
M. Philippe Leroy. C’est d’ailleurs le constat qui est fait par l’ensemble de nos partenaires s’agissant de la forêt française, comme de la forêt européenne de façon générale, en dépit des blessures qui ont été infligées à ces dernières.
L’ensemble des naturalistes reconnaissent que l’on peut sans danger demander plus de bois à la forêt sans compromettre ses fonctions écologiques. C’est là un point intéressant.
La forêt française couvre quinze millions d’hectares. On s’en soucie peu, mais elle représente tout de même 33 % du pays.
Or ce tiers du territoire national ne coûte pas cher au contribuable français ! (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) Quand on donne deux centimes à la forêt, on a l’impression de donner beaucoup ; or, faites le compte, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt ne coûte pratiquement rien.
Par ailleurs, on entend souvent dire que la forêt est complètement endormie. Permettez-moi d’objecter que la filière bois, forêt et industrie du bois, emploie aujourd'hui autant de salariés qu’il y a trente ans. Peu de secteurs réalisent une telle performance. En réalité, la forêt offre quantité de possibilités.
Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, mais le discours du Président de la République à Urmatt montre que les pouvoirs publics et le Gouvernement ont bien compris que l’on pouvait éveiller cette belle endormie, avec prudence s’entend.
Monsieur le ministre, les articles relatifs à la forêt dans le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche sont à mes yeux extrêmement intéressants. Je vous remercie d’avoir présenté les plans pluriannuels régionaux de développement forestier, qui constituent une innovation. Ils permettront de territorialiser une politique nationale. Cette proposition donne concrètement suite au discours du Président de la République.
À présent, permettez-moi d’évoquer la tempête de 1999 et d’aborder un problème grave. En effet, le Sénat n’a toujours pas reçu le rapport de l’administration forestière sur cette tempête. Or nous avons exigé l’an dernier de pouvoir disposer de ce rapport, car il devrait se révéler assez riche d’enseignements.
En lien, me semble-t-il, avec les services du ministère de l'agriculture et de la pêche, M. le rapporteur Gérard César a déposé un amendement très positif, auquel je tiens beaucoup, visant à instituer un compte épargne d’assurance pour la forêt. Sans un tel dispositif, nous ne pourrons pas disposer, dans les années à venir, des moyens de reconstituer des forêts abîmées par la tempête. Il s’agit donc là d’une grande avancée.
Monsieur le ministre, je sais que vous n’êtes pas opposé intellectuellement à une telle mesure. Pour ma part, je la défends ardemment. C’est la première réponse à apporter aux problèmes soulevés par la tempête.
Je terminerai en abordant un sujet que notre collègue Jean-Pierre Raffarin a également soulevé. Monsieur le ministre, pour que la mobilisation supplémentaire de bois, évoquée tout à l’heure, soit un succès, l’État doit reprendre toute son autorité en matière forestière. Sur ce point, votre administration est excellente, mais insuffisante. Les moyens dont vous disposez, à Paris comme en province, ne vous permettent pas de conduire une politique forestière responsable et respectueuse de la sylviculture.
L’agriculture moderne va revenir aux règles de l’agronomie, nous dit-on. Cette discipline, qui prône le respect des sols et des climats, représente l’avenir de l’agriculture. Étant moi-même agronome et naturaliste ardent, je suis fermement convaincu que, demain, la richesse agricole reposera sur ces techniques.
Il en va de même pour la sylviculture. Simplement, en France, nous sommes en train de l’oublier, car tout le monde aborde cette discipline de manière sectorielle, en se préoccupant de tel ou tel parasite du chêne ou de l’orme, de tel ou tel petit système d’alimentation en oligo-éléments, de tel ou de tel arbre…
Personne ne s’occupe plus de la gestion conceptuelle des grandes populations de forêt, de la sylviculture et de l’aménagement forestier ! Pourtant, compte tenu de tels enjeux, notre action en la matière se doit d’être conçue dans une perspective à vingt, à cinquante, voire à cent ans ! Mais aucun scientifique ne se préoccupe plus d’un tel sujet, pas même au sein de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, ou de l’Office national des forêts, l’ONF ! Depuis quelques années, il existe un formidable déficit de réflexion en matière forestière.
Monsieur le ministre, au-delà de la réflexion sur l’agronomie, soyez donc, et je vous y aiderai de toutes mes forces, l’artisan de la renaissance d’une école de sylviculture et d’aménagement forestier en France ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.
M. Jean-Claude Merceron. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les problématiques de compétitivité et de revenu, voire de survie, réunissent aujourd’hui l’agriculture et la pêche françaises.
Au cours de leurs interventions respectives, mes collègues Daniel Soulage et Daniel Dubois viennent de fixer le cap et de présenter les mesures concrètes et cohérentes qu’il est impératif de prendre si nous voulons, ensemble, que le présent projet de loi permette aux agriculteurs d’exister encore demain grâce aux revenus de leurs productions, tout en assumant leur mission alimentaire et en poursuivant l’aménagement de notre territoire, dans une démarche de développement durable.
Pour ma part, je soulignerai les questions propres au secteur de la pêche, auquel le projet de loi réserve cinq articles, axés sur la modernisation de sa gouvernance.
La pêche connaît, elle aussi, des temps très difficiles, non seulement parce que les quantités débarquées entre janvier 2009 et janvier 2010 ont diminué de 15 %, mais également parce que ce secteur connaît une balance commerciale fortement déficitaire, à hauteur de 2,5 milliards d’euros.
Les Français consomment bien entendu une partie importante des 730 000 tonnes de poissons pêchés par la France, mais, en réalité, 85 % des poissons sur nos étals sont importés, notamment le saumon et le cabillaud.
Certes, le projet de loi n’a pas vocation à changer les habitudes de consommation. Mais nous nous intéresserons aux quelques dispositions qu’il prévoit pour la pêche.
Le secteur halieutique compte quelque 16 000 marins embarqués et induit – je tiens à le rappeler – trois fois plus d’emplois à terre, que ce soit dans la construction navale, le ravitaillement ou la transformation des prises.
Un point positif concerne la mise en place d’un comité de liaison scientifique. En effet, il est indispensable – je porte ce message depuis longtemps – que le monde scientifique et les pêcheurs dialoguent. C’est une nécessité pour mieux appréhender et partager le diagnostic du niveau de la ressource halieutique et pour rendre plus acceptables les décisions de restriction de pêche, qui sont prises pour protéger cette ressource.
Par ailleurs, si le projet de loi modifie l’organisation de la filière, il est fondamental, et j’insiste sur ce terme, que, malgré la disparition des comités locaux, les réalités de terrain des professionnels et les enjeux locaux soient bien pris en compte au sein des comités départementaux et régionaux, comme au sein du comité national. Pour que cela soit possible, il est indispensable que les comités puissent au moins avoir la possibilité de mettre en place des antennes locales. J’ai déposé un amendement en ce sens.
En revanche, si l’échelon local doit être préservé d’une manière ou d’une autre, on ne peut que s’interroger sur la création de comités interdépartementaux destinés à concurrencer directement des comités régionaux. Ce dispositif ne me semble pas favoriser une bonne lisibilité de l’organisation de l’interprofession. De surcroît, il est de nature à occasionner des frais de structure inutiles, que, à mon avis, les professionnels n’accepteront pas de financer.
En outre, pour assurer une organisation efficace de l’interprofession, il conviendrait que les statuts des organes de représentation soient harmonisés et précisés par décret. Sont notamment concernées les indemnités et la couverture sociale. Les dispositions en ce sens que je proposerai d’intégrer dans le projet de loi contribueront à compléter le fonctionnement interprofessionnel du secteur de la pêche. Ce dernier a besoin d’une organisation plus forte, en matière d’écoute comme de prise de décision, pour enrayer l’atonie de son développement économique.
Par ailleurs, je me félicite de voir émerger l’association France Filière Pêche, dont tous les acteurs de la filière économique, de la pêche jusqu’à la distribution, viennent de signer les statuts. J’espère qu’elle saura être force de propositions pour développer et promouvoir la filière française, dans le cadre de la réforme de l’organisation commune des marchés de la filière.
Enfin, je veux souligner les efforts qui pourraient être réalisés au sein de la filière s’agissant des flottes de pêche. La pêche veut sortir des années noires de réduction de sa flotte, qui a été diminuée de moitié en vingt ans, afin de s’adapter à la politique des quotas. Ainsi, dans le port de pêche à l’anchois de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, il ne reste plus que quatre bateaux sur les vingt-quatre qui étaient en activité voilà quatre ans.
À une telle chute s’ajoute le besoin de renouveler la flotte pour des raisons de sécurité, de réduction de la dépendance au gazole et d’expérimentation de nouvelles méthodes de pêche. Heureusement, la flotte représente encore plus de 5 000 bateaux, ce qui implique des investissements colossaux.
Aussi, sur le plan fiscal, nous disposons d’un outil qu’il convient de soutenir. Il s’agit de la réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en faveur de l’investissement dans les PME. Dans les faits, la limitation, qui est contraire, semble-t-il, au dispositif législatif, à une holding par secteur d’activité et par an, pénalise la collecte de fonds propres à hauteur de 250 000 euros, soit 50 investisseurs à 5 000 euros, en moyenne.
Quand on sait que, aux Sables d’Olonne, il faudrait construire un navire tous les deux ans et que, pour un navire de vingt-deux mètres, l’investissement dépasse 2 millions d’euros, il devient évident que les holdings ISF dédiés au financement des PME constituent un outil de développement par excellence. Encore est-il indispensable que plusieurs holdings puissent souscrire au capital d’une même PME. Ce serait un signal fort en direction des jeunes, pour des investissements au service d’une pêche durable.
Il existe dans le secteur de la pêche un réel dynamisme, une véritable volonté d’initiative, pour réenclencher une logique de développement. Le Gouvernement se doit de soutenir ces efforts, afin que notre économie de la pêche et de l’aquaculture exprime tout son potentiel, bien supérieur à la santé actuelle de la filière. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est notre collègue Serge Larcher, retenu en Martinique, qui devait s’exprimer sur le présent projet de loi. Je parlerai donc en son nom et en celui de nos collègues Jean-Etienne Antoinette, Georges Patient et Claude Lise.
Après la remise, en juillet 2009, d’un rapport de nos collègues Éric Doligé et Serge Larcher au nom de la mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer, après le lancement des états généraux d’outre-mer par le Président de la République et les conclusions du Conseil interministériel de l’outre-mer le 6 novembre 2009, nous sommes surpris de constater que le Gouvernement a l’intention de traiter les problématiques des territoires ultramarins par voie d’ordonnance.
Ainsi, le Gouvernement demande au Parlement de lui accorder un blanc-seing et de renvoyer à plus tard les mesures qu’il est nécessaire de prendre dans les meilleurs délais pour nos agriculteurs.
Monsieur le ministre, quel n’est pas notre étonnement de voir ainsi renvoyer à une date ultérieure la modernisation de l’agriculture et de la pêche pour nos régions d’outre-mer, et ce malgré l’ensemble du travail accompli dans ce secteur, incluant des diagnostics très précis concernant les difficultés rencontrées sur nos territoires et des solutions ne demandant qu’à être appliquées.
La méthode consistant à conditionner les mesures spécifiques à l’outre-mer à l’adoption d’ordonnances gouvernementales est malheureusement trop fréquente. Mais, cette fois, elle est d’autant plus inacceptable que, je le répète, le diagnostic a été posé et les solutions ont été préconisées, et ce bien en amont.
Monsieur le ministre, lors du débat d’orientation sur l’agriculture et la pêche organisé au Sénat le 28 avril dernier, vous n’avez pas répondu aux préoccupations exprimées par notre collègue Georges Patient quant à l’outre-mer. Cela nous inquiète. Nous espérons que vous répondrez aujourd'hui à nos demandes, s’agissant notamment de la problématique de la pollution des sols, avec le chlordécone aux Antilles et le mercure en Guyane.
Il y a pourtant urgence à agir pour l’outre-mer, au moment où l’Europe semble nous abandonner. En effet, la Commission européenne doit entériner aujourd’hui même un accord européen de libre-échange avec le Pérou et la Colombie, accord qui constitue une menace grave pour nos principales productions agricoles, c'est-à-dire les cultures maraîchères et vivrières, le sucre, le rhum et la banane.
Cet accord pénalisera donc largement nos agricultures déjà fragilisées. De plus, nous craignons qu’il ne soit étendu ultérieurement à l’ensemble des pays d’Amérique latine. Au regard de nos préoccupations sociales et environnementales, dans quelle mesure le gouvernement français défend-il nos intérêts face à la Commission européenne ?
Monsieur le ministre, nous souhaitons que la France s’engage pour les territoires ultramarins, aux échelons tant national qu’européen, à défendre l’agriculture et la pêche, secteurs cruciaux pour nos économies.
Vous ne pouvez pas ignorer la fragilité du secteur agricole outre-mer, encore trop dépendant des filières traditionnelles, comme la canne et la banane. Ces productions méritent notre soutien et un accompagnement dans la diversification des cultures.
Vous ne pouvez pas non plus ignorer la faiblesse de la couverture des besoins alimentaires locaux et notre dépendance commerciale à l’égard de l’Europe !
Nous ne cessons de le répéter, si la richesse de la faune et de la flore est indéniable dans toutes nos régions d’outre-mer, nos ressources naturelles sont insuffisamment exploitées et valorisées.
Ces secteurs sont fragiles et connaissent de lourdes difficultés, marquées par des retards importants en matière d’infrastructures et par de nombreux freins à leur développement. Je pense, notamment, aux difficultés d’accès au crédit, à la rareté du foncier, à la faiblesse de la recherche développement, aux limites en matière de formation, notamment pour la pêche, et au manque d’organisation des filières.
Nous pourrions continuer la liste de nos handicaps et des solutions à y apporter, conformément au rapport de la mission sénatoriale et aux documents du Conseil interministériel de l’outre-mer.
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas intégrer de telles mesures dès aujourd’hui dans le présent projet de loi, afin de respecter les engagements du Président de la République et de favoriser un véritable développement endogène des outres-mers ? Les amendements que mes collègues et moi-même avons déposés vont dans ce sens. J’espère que vous y porterez un intérêt particulier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi arrive en discussion au moment où l’agriculture traverse, nous le savons tous, une grave crise.
Ce texte apportera-t-il des solutions aux agriculteurs ? Ces derniers seront très attentifs aux mesures qui seront décidées par le Parlement. Nous avons, à cet égard, mes chers collègues, une grande responsabilité.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé que vous attendiez beaucoup du Parlement pour enrichir ce projet de loi. Vous ne manquerez donc pas d’accepter les nombreux amendements que nous avons déposés et qui répondent aux attentes du monde agricole.
En tant que président du groupe d’études de l’élevage, mon intervention portera principalement sur les problèmes liés à ce secteur.
Je ferai d’abord un constat. Le commerce extérieur des viandes a diminué fortement, non seulement avec des pays tiers, mais également, de façon plus prononcée, avec les membres de l’Union européenne. Notre cheptel ovin a perdu près de 3 millions de têtes. Aujourd’hui, c’est notre troupeau bovin qui enregistre à son tour une baisse importante de ses effectifs. Enfin, dans le secteur porcin, nous avons acheté à l’Allemagne 17 000 tonnes de porc de plus que ce que nous lui avons vendu.
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui !
M. Gérard Bailly. Cette production souffre des particularités territoriales, comme des fluctuations de prix, en raison, me semble-t-il, non pas d’un manque de technicité des éleveurs, mais plutôt d’une insuffisante rentabilité de la profession, qui doit s’acquitter, j’insiste sur ce point, d’une forte présence journalière.
Ce projet de loi suffira-t-il à changer les choses ? C’est ma question, c’est notre question.
Certes, il apportera des améliorations grâce à un certain nombre de mesures. Je pense à la contractualisation pour les productions vendues, à l’assurance récolte destinée à répondre aux difficultés du secteur herbager. Je pense également à la reconnaissance et à la mise sur le marché des produits locaux, via des circuits courts, ou au contrôle des marges.
Néanmoins, le fossé entre la situation actuelle et l’objectif à atteindre est si profond que les mesures prévues dans le projet de loi ne suffiront pas, je le crains, à le combler totalement.
Pourtant, monsieur le ministre, je reconnais la détermination dont vous faites preuve sur le plan national comme sur le plan européen.
De même, je salue le travail immense réalisé par nos rapporteurs, qui ont auditionné pas moins de deux cent trente-trois personnes. C’est un record ! Il témoigne de l’importance de l’effort de préparation qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, c’est grâce à une meilleure répartition du prix des produits alimentaires entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs que l’on trouvera une partie de la réponse.
Mais elle ne suffit pas. Il importe également de cesser de charger continuellement « la barque » des exploitations agricoles par l’augmentation des charges, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Pierre Raffarin voilà quelques instants.
Il faut aussi mettre un terme aux contraintes quotidiennes croissantes des éleveurs, Aymeri de Montesquiou l’a souligné. Les règles franco-françaises allant au-delà des normes communautaires ou plus strictes que celles en vigueur dans les autres États membres augmentent les coûts de production, les salaires et les charges sociales, et ce dans tous les secteurs, social, environnemental, sanitaire, celui des transports, ce qui nous fait perdre de la compétitivité, sans parler des services de proximité de l’État, qui n’ont pas toujours les méthodes de contrôle souhaitables.
Monsieur le ministre, l’élevage aura besoin de crédits, vous le savez. Je veux bien qu’il soit question du bien-être animal, mais je ne souhaite pas que l’on oublie pour autant le confort humain.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Bailly. Les éleveurs ont besoin de bâtiments d’élevage pratiques et adaptés à leurs utilisations, qu’il s’agisse de la traite, de l’évacuation des fumiers ou de l’enfourragement. Cela nécessite des politiques de subventions d’investissement significatives si l’on reste aux prix actuels.
Voilà quelques jours, vous nous avez dit que les éleveurs allemands pouvaient se contenter d’un prix bas du lait parce qu’ils étaient également producteurs d’énergie.
Que de chemin nous reste-t-il à parcourir ! La route sera longue pour utiliser les lisiers, le fumier pour la biomasse, tirer parti des toits pour l’énergie solaire, exploiter les céréales de manière plus significative pour les biocarburants. Là encore, les accompagnements financiers devront être importants.
Le projet de loi apportera-t-il une réponse à la hauteur de ce challenge pour que nos élevages soient producteurs d’énergie ?
L’élevage, plus que tout autre secteur dans le domaine agricole, devra être particulièrement adaptable à l’adéquation entre production et consommation. En effet, de nombreux produits sont tributaires des conditions climatiques : par exemple, le secteur laitier et fromager enregistre des fluctuations de prix importantes pour peu que la production varie d’un infime pourcentage au-dessus ou en dessous d’un point donné.
Tous les mécanismes de régulation prévus dans ce projet loi doivent permettre une telle adéquation, avec des adaptations régionales.
Par ailleurs, nous devons amplifier nos efforts en matière de recherche, d’élaboration de nouveaux produits alimentaires et d’amélioration du patrimoine génétique, tout en veillant sans cesse à la qualité sanitaire de nos produits.
La France est particulièrement bien placée dans ce domaine, et elle doit le rester ! C’est pourquoi je défendrai avec insistance tous les amendements qui iront dans le sens de l’étiquetage, principalement des lieux de production des produits alimentaires.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Gérard Bailly. En si peu de temps, je ne peux évoquer tous les problèmes de l’élevage français.
Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, nous devons veiller ensemble à ce que ce secteur puisse absolument retrouver sa compétitivité sur le plan européen, cela a été souligné, afin d’éviter, au moins, les distorsions de concurrence.
Il ne faudrait pas que nous en arrivions dans les prochaines décennies à importer nos produits alimentaires d’Amérique du Sud, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, des États-Unis, voire de pays plus proches tels que l’Allemagne ou l’Espagne. Voyant nos montagnes et nos pâtures vides d’animaux, nos concitoyens comprendraient alors quel fut le rôle des éleveurs en France au début du xxie siècle. Ce serait une belle histoire sans retour !
Il nous revient, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’empêcher que ce scénario ne se réalise ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui, malgré tous les satisfecit entendus depuis le début de l’après-midi, s’élabore dans la douleur et l’approximation !
Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement sachant que l’agriculture française traverse une crise sans précédent, qui justifie des mesures urgentes pour répondre aux attentes des agriculteurs, dont certains connaissent des situations dramatiques ?
Dans le même temps, monsieur le ministre, vous prétendez, au travers de ce projet de loi, faire changer notre agriculture d’époque pour lui permettre d’affronter les enjeux du xxie siècle.
La procédure accélérée qui a été choisie devait, à vos yeux, répondre à cette double exigence ; mais l’expérience prouve, une fois de plus, qu’il s’agit d’une mission impossible ! Les sénatrices et sénateurs que nous sommes sont bien placés pour le savoir !
Il en résulte une confusion des genres : le texte initial du Gouvernement a été malmené par votre propre majorité au cours d’une discussion où, comme à son habitude, le chef de l’État s’est invité à distance en se lançant dans des initiatives et des prises de position – ce fut encore le cas hier – dont il a le secret et qui ne sont pas de nature à rendre crédible une démarche de fond. Il aurait fallu faire preuve de sérénité et afficher une volonté politique claire.
Pourtant, vous avez, à de nombreuses reprises, évoqué l’idée d’une production agricole où la demande ne serait plus soumise à l’offre, mais où, au contraire, l’offre serait modulée par rapport à la demande.
Nous ne pouvions que nous en réjouir. Malheureusement, l’évolution du texte que nous étudions aujourd’hui rend la portée et la cohérence de vos intentions plus que discutables. Vous subissez, monsieur le ministre, cela a déjà été souligné, la pesanteur des choix idéologiques de vos prédécesseurs, qui ont été les champions de la dérégulation et les tenants de la loi du marché.
Cet héritage est lourd et difficile à porter. Il vous empêche de faire réellement « bouger » les choses, comme vous le souhaiteriez, alors que le consommateur et le producteur ont un besoin vital de se voir clairement proposer des solutions durables.
C’est ainsi que le titre Ier du projet de loi se trouve, d’une certaine façon, disqualifié, alors qu’il a pour objet de « Définir et mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation ». De notre point de vue, il ne se préoccupe pas assez d’engager une politique économique au bénéfice des populations les plus fragiles et les plus exposées à la crise.
Une politique de l’alimentation, qui prétend « assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité nutritionnelle, produite dans des conditions durables » en négligeant de s’adjoindre un volet social, est vouée à l’inefficacité.
Il faut reconnaître, néanmoins, que la majorité de la commission a accepté, au titre Ier, trois amendements déposés par le groupe socialiste.
M. Gérard César, rapporteur. C’est bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. Dans le même temps, mon cher Gérard César, les amendements que nous considérions comme les plus pertinents et les plus significatifs sur le plan social ont été rejetés ! La majorité a, par exemple, refusé que le texte mentionne l’accès des citoyens à une alimentation sûre et de qualité, dans des conditions économiquement acceptables pour tous. Transformer l’Observatoire des prix et des marges en un outil réellement opérant constitue pourtant un enjeu essentiel !
Les intervenants précédents l’ont dit, nos travées sont occupées par nombre de spécialistes en matière d’agriculture, qui ont tous à cœur de défendre leur territoire et leur production.
Pour ma part, j’évoquerai le consommateur, dont il n’a pas été suffisamment question et qui devrait rester au centre des préoccupations de chacun.
Je me référerai à deux indicateurs que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et que j’ai cités à de multiples reprises en commission.
Tout d’abord, quelle que soit la variation à la baisse de la rémunération des producteurs de lait ou de porc, les prix à l’étal ne diminuent jamais.
Ensuite, l’explosion du prix du blé voilà trois ou quatre ans a entraîné, parfois par anticipation, une augmentation très sensible du prix du pain. Aujourd’hui, le prix du blé a considérablement chuté. Pour autant, le prix du pain est resté au même niveau.
Ces deux indicateurs sont présents dans l’esprit des 65 millions de consommateurs que compte notre pays. Tant que ces données n’auront pas été modifiées de façon à les rendre plus raisonnables, donc plus admissibles aux yeux de l’opinion publique, ni vous ni nous n’aurons rempli notre mission.
Le consommateur s’intéresse rarement au mécanisme qui fait évoluer les prix de manière parfois exponentielle entre le stade du producteur et lui-même. Son souci, à lui, est de débourser la somme voulue pour acheter des produits de première nécessité.
Au travers de ces deux exemples précis et connus de tous, on peut se rendre compte que beaucoup reste à faire pour revenir à une situation normale.
Pourtant, nous sommes nombreux à être persuadés que, compte tenu des atouts de notre agriculture, il n’est pas illusoire, bien au contraire, d’envisager une réforme qui pourrait concilier les intérêts des deux bouts de la chaîne, c'est-à-dire ceux du producteur, auquel il importe de garantir des revenus décents et des perspectives d’avenir, et ceux du consommateur, qui a le droit de revendiquer des produits de qualité à des prix raisonnables.
Au moment où s’ouvre ce débat, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux pas cacher mon scepticisme, voire mon pessimisme, par rapport au texte qui nous est soumis.
J’en profite également pour souligner que les agriculteurs du Sud-Ouest, particulièrement ceux de la Haute-Garonne, généralement de petits exploitants, ne peuvent pas non plus se reconnaître dans ce projet de loi.
J’espère néanmoins que la suite du débat nous permettra d’évoluer dans le bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la protection du foncier agricole est devenue aujourd’hui un enjeu majeur.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elle revêt une urgence de plus en plus grande dans la mesure où, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pas moins de 200 hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour en France.
Vous me permettrez d’insister tout particulièrement sur la protection du foncier forestier. En effet, ce dernier subit une pression très forte depuis la dernière tempête, ce qui peut laisser présager des conséquences environnementales regrettables, notamment pour la région Aquitaine, alors que le « Grenelle de l’environnement » vient d’ouvrir de réelles perspectives pour la filière bois.
On ne peut nier le caractère de service public de l’investissement forestier et tout doit être fait pour maintenir l’intégralité du massif forestier aquitain, puits à carbone et pompe à eau. Vous le savez, monsieur le ministre, après deux graves tempêtes en dix ans, les sylviculteurs du Sud-Ouest ont réellement besoin d’être convaincus de reboiser.
Le plan de soutien que vous avez mis en place a bien prévu des aides pour la valorisation du bois arraché et le reboisement, mais pas de compensation pour les pertes d’exploitation ; or, la forêt n’est pas assurée. Autrement dit, les sylviculteurs devront attendre quarante ans pour voir repousser un revenu futur. Quelles sont les professions qui disposent d’une trésorerie suffisante pour attendre aussi longtemps ? En même temps, le reboisement continu est absolument nécessaire pour maintenir les flux qui conditionnent l’existence de l’industrie du bois.
Les sylviculteurs ne sont pas des quémandeurs, monsieur le ministre ! Faut-il encore rappeler que 45 millions de mètres cubes de bois ont été abattus le 24 janvier 2009, soit l’équivalent de cinq années de production dans le massif forestier des Landes de Gascogne ? Ces volumes sont gigantesques et il faut une foi à toute épreuve pour envisager encore un avenir dans cette profession !
Faut-il également rappeler que les cours ont chuté de 80 % à 90 % après la tempête de l’an dernier, en raison de la crise financière qui a suivi, et que les prêts bonifiés mis en place pour financer le stockage des bois ont été un échec, les banques ayant hésité à prêter à des exploitations en difficulté ?
La mise en place d’un fonds assurantiel pour la forêt, réclamée après les tempêtes de décembre 1999, est donc devenue aujourd’hui incontournable si nous voulons conserver à nos massifs forestiers leur capacité à produire du bois et à alimenter une industrie. Monsieur le ministre, vous nous avez dit y être favorable, et nous nous en félicitons !
Le Sénat, et notamment sa commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, a en conséquence pris l’initiative d’introduire dans le projet de loi de modernisation de l’agriculture un article additionnel visant à créer un « compte épargne d’assurance pour la forêt », associé à une incitation à la souscription d’une assurance contre le risque de tempête. Ce dispositif s’appuie sur les travaux de la commission sur l’assurance du risque de tempête sur les forêts qui a rendu ses conclusions en février.
Je ne reviendrai pas sur les détails de cet article, qui sera inséré après l’article 16 et que la commission de l’économie a déjà adopté à l’unanimité. Sur ce point, je tiens à rendre hommage au rapporteur de la commission, notre excellent collègue Gérard César, qui n’a pas ménagé sa peine pour aboutir à cette solution à laquelle, bien évidemment, j’apporte mon entier soutien.
Je me permettrai, toutefois, de proposer quelques amendements visant à préciser la particularité de l’activité forestière, afin que cet article 16 bis réponde au mieux aux attentes de la profession.
En conclusion, j’ai plaisir à souligner que le discours du Président de la République à Urmatt, il y a un an, était porteur d’une nouvelle et grande ambition forestière. N’a-t-il pas rappelé que la valorisation du bois de nos forêts était stratégique pour la lutte contre le réchauffement climatique, pour l’avenir de nos territoires ruraux et pour notre économie ?
Aussi, au bénéfice de ces explications, je vous demande avec insistance, monsieur le ministre, de ne pas laisser passer l’occasion que nous offre aujourd’hui la loi de modernisation de l’agriculture ; les sylviculteurs du Sud-Ouest ne le comprendraient pas. Vous avez réglé le problème des ostréiculteurs du bassin d’Arcachon, j’ai plaisir à le rappeler à cette tribune et à vous en remercier encore ; donnez également aux sylviculteurs l’assurance qu’ils s’engagent dans le cadre d’une politique forestière durable ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fauconnier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Fauconnier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contexte : il saute aux yeux. Notre assemblée sait mieux que d’autres l’enjeu que représente l’agriculture pour notre espace rural et nos régions.
Je voudrais rapidement attirer votre attention sur trois points particuliers, monsieur le ministre.
Le premier a trait au renforcement de la compétitivité de l’agriculture française. Sur ce sujet, le projet de loi, en l’état actuel, apporte une réponse qui me semble partielle et partiale : l’agriculture n’est pas abordée dans sa diversité, laissant imaginer qu’il n’existe qu’un seul modèle, celui de l’échange macro-économique avec la dureté de ses rapports. C’est oublier une autre agriculture, dont l’espace des échanges est beaucoup plus modeste et dont la finalité ne peut se limiter aux seuls aspects de la production et de la concurrence internationale : c’est l’agriculture de la qualité, de la proximité, de la confiance. Cette agriculture attend certes une juste rémunération par le prix du produit, mais également une reconnaissance économique de son rôle sociétal au sein de son espace. Elle n’attend rien du seul « tout-marché », elle a même tout à en craindre !
Qu’y a-t-il de commun entre un producteur laitier des Hautes-Pyrénées qui produit 150 000 litres par an et un agriculteur d’un département laitier de plaine qui en produit 500 000 ou, pis encore, avec les « usines à lait » de l’Europe du Nord ? Certes, la réponse économique n’est pas facile mais, si l’on n’instaure pas plus de solidarité, de péréquation et de régulation, le « toujours plus de marché » et son système dominant feront la sale besogne aboutissant à la disparition silencieuse de milliers d’exploitations, avec les conséquences qui s’ensuivront pour nos villages, nos paysages, nos espaces qui se ferment, nos emplois…
Vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont connu les mêmes clivages entre les grandes exploitations du Nord et les petites et moyennes exploitations du bocage, du Midi, de la Bretagne et de la montagne, les uns demandant que leur situation soit confortée, les autres qu’un avenir leur soit ouvert. Cinquante ans après, peu de choses ont changé conceptuellement, si ce n’est le développement de la mondialisation.
Il y a donc urgence à établir une véritable approche régionale, comme l’ont fait tous nos partenaires européens. (Mme Odette Herviaux manifeste son approbation.) La loi, en ce domaine, conserve une approche axée sur l’État central, qui croit pouvoir tout faire ou fait semblant de le croire.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les moyens. Monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont eu à assumer de grands bouleversements dans le secteur agricole, mais ils s’étaient donné les outils et les moyens de leur politique. Je sais que vous n’aimez pas que l’on aborde la question des moyens et vous avez le mérite de la franchise !
Vous savez le rôle qu’a joué l’enseignement agricole dans la modernisation de notre agriculture, grâce la vulgarisation agricole, au travers de son maillage de techniciens et d’ingénieurs. Vous savez encore le rôle qu’ont joué les fonctionnaires de votre ministère dans les départements et dans les régions. Il vous reste quelques minces troupes, écrasées par la tâche, croulant sous la réglementation, pour la plupart d’entre eux vacataires, contractuels démotivés, otages de la RGPP. Il ne se passe pas un jour sans qu’une structure utile vienne frapper à la porte de la région ou du département pour se faire payer, ici un technicien, afin d’éviter son licenciement, là une subvention, pour mener à bien ses actions. Telle est la dure réalité du contexte dans lequel vous allez devoir mettre en œuvre votre loi !
Mon troisième point porte sur le pluralisme. Je suis élu du bassin de production du Roquefort : l’organisation interprofessionnelle y est donnée comme exemplaire. Nous y avons connu l’époque du refus de la diversité et de la défense intenable du monopole syndical dans l’interprofession. Puis, face à l’arrivée d’un grand groupe industriel représentant 80 % de la transformation, le bon sens l’a très vite emporté. Aujourd’hui, le syndicat majoritaire et la minorité travaillent de concert et dégagent des consensus pour affronter le géant de l’agroalimentaire avec quelque succès.
La recherche de l’unité dans la diversité est toujours plus efficace que le monopole syndical, taxé de tous les maux et, en fin de compte, à tort ou à raison, de toutes les compromissions. Alors, il faut que votre projet de loi sorte enfin des faux-semblants sur ce sujet.
Je conclurai sur ce témoignage d’Edgard Pisani, qui écrivait en 2004 : « J’ai été quant à moi productiviste... hier. Cela répondait à des exigences. Je n’en ai pas de regret. J’ai la hâte obsédante de voir naître d’autres accomplissements : il nous faut intégrer toutes les variables, assumer les nouvelles complexités : participer à la civilisation moderne, contribuer aux équilibres économiques nationaux, offrir un véritable avenir aux sociétés “paysannes”, sauvegarder la nature et animer l’espace rural, venir à bout de la faim qui accable des centaines de millions d’êtres, assumer, poursuivre le progrès en le passant au filtre d’une sagesse nouvelle. »
Monsieur le ministre, cinquante ans après votre prédécesseur, vous devez relever les mêmes défis. Certes, vous arrivez au pire des moments pour l’agriculture, alors que l’Europe agricole, qui a fait notre prospérité et devrait être notre avenir, doute d’elle-même. Je crains que, malgré votre talent, les remèdes contenus dans votre projet de loi ne suffisent pas à redonner à une profession qui a perdu tout espoir l’espérance en des jours meilleurs. Les débats à venir nous montreront si nous pouvons améliorer cette situation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en cet instant d’avoir une pensée pour notre collègue Alain Chatillon, qui avait prévu d’intervenir cet après-midi, mais qui en a été empêché par le décès de son père. Nous lui adressons un message de sympathie.
Ce débat vient à un moment où, tout le monde l’a dit, nos agriculteurs vivent un drame, sont dans l’angoisse et s’interrogent très fortement sur leurs perspectives d’avenir. Monsieur le ministre, vous nous permettez, grâce à ce projet de loi, de leur démontrer que nous sommes sensibles à leur situation, mais aussi que nous essayons de trouver des réponses qui garantissent leur avenir.
Tout d’abord, osons le dire une fois pour toutes, notre agriculture ne représente pas un boulet, c’est une chance et un atout pour la France et pour l’Europe ! M. Fauconnier a rappelé les paroles de M. Pisani.
M. Didier Guillaume. Excellente référence !
M. Jacques Blanc. Vous me permettrez d’évoquer, pour ma part, les propos tenus par Valéry Giscard d’Estaing à Vassy : « L’agriculture peut être le pétrole vert de la France ».
Aujourd’hui, il faut que nos agriculteurs sentent bien que, si nous sommes mobilisés, si nous entendons mettre en place des outils pour leur assurer un meilleur revenu, une meilleure sécurité, c’est parce qu’ils rendent un grand service à la nation ! Rappelons que, sans agriculture – et l’élu de la Lozère que je suis le sait bien ! –, il n’y a aucune possibilité de vie dans l’espace rural. Si l’on veut lutter contre la désertification, si l’on veut réussir la cohésion territoriale, devenue désormais un objectif européen avec le traité de Lisbonne, nous avons d’abord besoin d’agriculture, d’exploitations à taille humaine qui maintiennent et sauvent la vie sur ces territoires ruraux. Sans une agriculture vivante, nous n’aurons ni cohésion territoriale, ni aménagement équilibré et harmonieux du territoire !
Monsieur le ministre, vous avez montré votre détermination européenne. Vous avez réussi à convaincre une majorité des vingt-sept pays européens de la nécessité d’une régulation : bravo ! Il ne s’agit pas d’un débat idéologique sur le libéralisme ou je ne sais quoi d’autre : nous avons besoin d’un marché régulé. Vous avez arraché des accords qui nous permettent d’espérer que cette régulation trouvera sa place dans la réforme de la politique agricole commune.
Permettez-moi de remercier la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui a pris l’initiative d’organiser un débat d’orientation. Permettez-moi également de remercier Charles Revet, même si, en évoquant l’aquaculture, il a oublié l’aquaculture d’eau douce, qui est importante et ne doit pas être négligée ! (Sourires.) Je remercie bien sûr notre collègue Gérard César, qui a accepté un amendement relatif à un problème délicat concernant surtout le Massif central, lié à ce que l’on appelle les « biens sectionnaux ».
Monsieur le ministre, vous avez osé affirmer une ambition pour notre agriculture. Vous avez même su donner un sens politique nouveau à votre démarche, en consacrant l’article 1er du projet de loi à l’alimentation.
Pendant trop longtemps, l’agriculture est restée à l’écart des problèmes d’alimentation et de santé. Aujourd’hui, pour bien manger tous les jours, que ce soit dans nos cantines ou dans nos établissements sanitaires et sociaux, favorisons l’utilisation de produits issus de circuits courts – c’est le bon sens ! – et le Gouvernement devra respecter ses engagements en matière de conditions de marché.
Nous avons parlé d’une chaîne allant « des champs à l’assiette » ou « de l’assiette aux champs »… J’opterai pour l’expression « du champ à l’assiette », sachant, mes chers collègues, que nous pouvons être fiers de ce qui se fait !
Certes, comme le rappelait Jean-Pierre Raffarin, il est toujours un peu difficile pour le ministère de l’agriculture de s’imposer entre les problématiques de santé et celles d’environnement même si, en d’autres temps, c’est lui qui portait ces sujets. Je ne suis pas certain que nous revenions à une telle situation. En revanche, il est capital, monsieur le ministre, que, soutenu par le Parlement, vous puissiez affirmer votre détermination à donner ce sens politique supplémentaire à votre démarche.
Vous avez aussi su prendre en compte, dans l’élaboration du projet de loi, la nécessité pour les agriculteurs de mieux connaître leur revenu et de voir celui-ci s’améliorer. Vous avez notamment indiqué, dans votre intervention, qu’il n’était plus raisonnable aujourd’hui de se lancer dans des grands investissements sans visibilité. Les contrats que vous proposez, d’une durée suffisante, fixant prix et volumes, devront offrir cette capacité de gestion aux agriculteurs, y compris à ceux qui n’ont pas une grande exploitation agricole.
Ce point m’amène d’ailleurs à un autre volet important de votre projet : la volonté de favoriser les regroupements. Pour disposer d’interlocuteurs dans le cadre de ces contrats, il sera capital de permettre ces regroupements de petits producteurs dans les zones de montagne.
Enfin, vous vous battez aussi pour permettre aux interprofessions de développer, demain, des projets de filières. C’est tout à fait essentiel !
Cela étant dit, monsieur le ministre, permettez-moi d’insister sur la nécessité d’intégrer, dans l’ensemble de cette démarche, les problèmes liés aux territoires spécifiques.
Je pense bien sûr aux territoires de montagne, et je sais que vous avez reçu à plusieurs reprises des représentants de l’association des élus de la montagne. Là, plus qu’ailleurs, on mesure le besoin d’une agriculture vraie qui permette aux agriculteurs de tirer de leur travail l’essentiel de leurs revenus, tout en conservant les compensations octroyées aux productions en zone de handicaps naturels. Nous avons donc besoin du maintien d’une politique européenne de la montagne !
Le projet de loi aborde également le problème foncier, pour tenter de mettre fin à cette situation dans laquelle nous perdons l’équivalent d’un département de terres agricoles tous les dix ans. J’avais fait voter, à une lointaine époque, une loi sur les terres incultes, qui n’a jamais été appliquée. Peut-être aujourd’hui faudrait-il réfléchir aux moyens de mieux valoriser l’ensemble de ce potentiel…
Vous avez également prévu des dispositions pour la forêt. Dans ce cadre, il ne faut pas oublier que certaines forêts servent de pâtures et ne doivent pas être complètement fermées. Il faudra également y penser lors de l’élaboration des différents schémas régionaux mettant en œuvre la politique forestière. Un équilibre est nécessaire entre l’exploitation forestière elle-même et l’utilisation d’un certain nombre de forêts pour l’élevage pastoral.
Bien sûr, monsieur le ministre, tout ne sera pas réglé du jour au lendemain… Mais un certain nombre de réponses concrètes peuvent être apportées au travers du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
J’espère également que vous poursuivrez, avec audace, le combat européen pour – j’ose le dire – défendre la préférence communautaire. Ce n’est pas faire insulte à l’Europe ! Ce n’est pas se refermer sur soi-même ! La préférence communautaire est inscrite dans le traité de Rome : nous nous imposons des contraintes ; nous devons pouvoir tirer bénéfice de nos efforts. Nos agriculteurs doivent sentir qu’ils sont compris, que nous avons besoin d’eux et que nous allons les défendre avec vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est en proie au doute et l’agriculture ne fait pas exception.
Dans mon département, la Dordogne, qui est un bon exemple d’agriculture familiale, 10 % des exploitants agricoles perçoivent le revenu de solidarité active minimal, dit RSA socle, et cette proportion devrait atteindre 20 % des exploitants agricoles à la fin de l’année.
Un paysan sur cinq perçoit le RSA, tout en travaillant cinquante à soixante heures par semaine ; cela signifie que son travail ne lui rapporte pas même 1,50 euro de l’heure ! Voilà ce que gagnent les agriculteurs les plus à la peine en ce moment. Ils se lèvent tôt et, comme cela a déjà été dit, travaillent à perte. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement quand les revenus globaux ont chuté en moyenne de 30 % en l’espace de quelques mois ?
Le plan d’urgence exceptionnel annoncé par le Chef de l’État en octobre dernier, essentiellement constitué des classiques prêts bonifiés, a fait long feu et n’a rien résolu des problèmes de fond.
Aussi, en abordant votre texte, monsieur le ministre, et compte tenu des cinq minutes qui me sont imparties, je n’entrerai pas dans les détails, par ailleurs exposés par certains de mes collègues, et ne poserai qu’une seule question : le cours dramatique que prend l’évolution économique de l’agriculture peut-il être inversé par les mesures que vous envisagez ? En d’autres termes, la boîte à outils proposée par M. le rapporteur Gérard César est-elle adaptée et crédible ?
Nous constatons à regret que le projet de loi qui nous est soumis est trop partiel, trop incertain et trop imprécis pour être à la hauteur de cet enjeu.
Je ne parle pas des généralités bienveillantes de l’article 1er concernant la vocation de l’agriculture dans la société française contemporaine. Nous en partageons la plupart et leur rappel n’est pas inutile. À ce propos, je vous renvoie d’ailleurs à la loi du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, qui évoquait déjà ces points.
Je veux plutôt parler du décalage entre les intentions que vous affichez et la réalité de votre politique, hier comme aujourd’hui.
Par exemple, monsieur le ministre, vous prétendez endiguer l’urbanisation galopante à la périphérie des villes pour conserver des surfaces agricoles, mais votre gouvernement continue à défiscaliser l’investissement au travers des dispositifs Scellier et Robien, ce qui multiplie à l’envie la construction, parfois dans des secteurs où elle n’est pas tout à fait utile.
Vous prétendez freiner la conversion des terres agricoles en zones à bâtir, mais vous ne faites rien pour les retraités agricoles depuis dix ans. Croyez-vous que les agriculteurs vendent leur patrimoine par plaisir ? Ne croyez-vous pas qu’ils le font aussi par nécessité, alors qu’ils touchent des retraites de misère ? Ne fallait-il pas faire l’inverse et suivre l’exemple du gouvernement de Lionel Jospin, c’est-à-dire s’occuper des retraites – c’est effectivement sous ce gouvernement qu’elles ont véritablement remonté – avant d’envisager des mesures en faveur du maintien des surfaces agricoles ?
Vous prétendez réglementer les contrats commerciaux entre acheteurs et fournisseurs. Mais, en 2008, votre gouvernement faisait voter la loi de modernisation de l’économie, réprouvée par l’ensemble du monde agricole. Cette loi légalisait les marges arrière, instaurait la liberté intégrale des prix et assouplissait les règles de l’urbanisme commercial à tel point qu’aujourd’hui les supermarchés se multiplient comme des petits pains.
Vous prétendez mettre en place des aides publiques à l’acquisition de primes d’assurance tandis que le Premier ministre ne cesse de parler d’une austérité imminente et annonce une baisse des dépenses de fonctionnement et d’intervention de 10 % pour tous les ministères sans exclusive. La rigueur s’arrêtera-t-elle aux portes de la Rue de Varenne ?
Enfin, vous déclarez être prêt à bousculer les règles du jeu européen, alors que le commissaire Dacian Ciolos, qui appartient à votre large majorité européenne, est venu affirmer ici, devant le Sénat, que la prochaine réforme de la PAC ne contrarierait pas l’ouverture à la concurrence. Or, nous le savons bien et vous l’avez dit vous-même, cette ouverture à la concurrence est insoutenable pour l’agriculture familiale de notre pays.
L’enjeu est là, monsieur le ministre, dans les limites qu’il faut apporter à la compétition internationale. Nous produisons globalement trop cher parce que nous n’avons pas basculé dans le productivisme intégral et que nous recherchons – comme vous – la qualité et la sûreté des aliments. C’est justement cela qu’il faut défendre et il vous appartiendra de le faire, dès le mois de juillet, lors de la mise en œuvre du processus de réforme de la PAC !
En effet, ne nous leurrons pas, si la réforme de la PAC vise à préparer la diminution du budget de l’agriculture en Europe et si la France perd ne serait-ce qu’une fraction des aides dont elle bénéficie à ce titre – de l’ordre de 10 milliards d’euros par an tout de même –, nous n’aurons plus les moyens d’agir de quelque façon que ce soit.
Monsieur le ministre, les agriculteurs ne croient plus aux textes qui, pour l’essentiel, sont des textes d’affichage. Ils veulent désormais, comme ils vous le rappellent tous les jours, des propositions concrètes qui soient efficaces, crédibles et rassurantes pour leur avenir et celui de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont déjà souligné de nombreux orateurs, le vote du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est un événement important, qui conditionnera l’avenir de la filière agricole française dans les trente prochaines années.
Depuis le premier grand ouvrage français Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres, père de l’agronomie, qui fut l’un des premiers à étudier de manière scientifique les techniques agricoles et à en rechercher l’amélioration de manière expérimentale, la France est la première puissance agricole européenne. Elle doit bien sûr le rester !
La solution à la crise que vit le monde agricole est éminemment politique et suppose un équilibre entre la recherche de l’efficacité et le développement durable de nos territoires.
La France ne peut pas jouer cavalier seul au détriment de ses partenaires européens, car cette attitude se retournerait contre elle, non seulement sur le plan de l’aménagement du territoire, mais aussi sur le plan social et économique.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous avez souligné les dangers venant d’un certain pays membre, ainsi que les menaces de pays émergents. Nous nous devons de soutenir cette filière qui contribue positivement à notre balance commerciale !
Si je salue le plan de soutien annoncé en octobre 2009 par le Président de la République, je m’inquiète néanmoins des perspectives incertaines de la prochaine PAC.
La variabilité, que dis-je, la volatilité des cours des matières premières et agricoles plonge nos agriculteurs dans une crise profonde et généralisée. Les revenus en yo-yo d’un certain nombre de professionnels, que ce soit le producteur de lait, le céréalier, l’éleveur de porcs ou encore le producteur de fruits et légumes, démontrent qu’il est nécessaire de mettre en place des mécanismes efficaces, garantissant, outre la réhabilitation d’outils de régulation sur les marchés, un véritable pacte « gagnant-gagnant » entre agriculteurs et consommateurs.
Ce projet de loi, fortement enrichi par le travail en profondeur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire de notre assemblée, et l’annonce qui a suivi, hier, la table ronde entre producteurs et distributeurs au palais de l’Élysée devraient être de nature à favoriser la compétitivité et faciliter la régulation des marchés.
Il nous faut viser une certaine excellence, qu’il s’agisse de nos produits, mais aussi de la traçabilité, de la modernisation de nos exploitations ou encore des bonnes relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
En outre, pour toute importation de produits alimentaires, il apparaît indispensable de garantir des normes sanitaires, environnementales et éthiques comparables aux normes européennes. Comment l’agriculture européenne pourrait-elle rester compétitive si l’on permet l’importation de produits en provenance de pays aux normes beaucoup plus laxistes ?
Monsieur le ministre, je vous sais très lucide sur la nouvelle donne agricole mondiale et je veux ici saluer vos efforts au sein du Conseil européen, au travers de l’intense travail diplomatique que vous y menez, comme, hier encore, dans le cadre de la réouverture des négociations commerciales de l’Union européenne avec la Communauté économique des pays de l’Amérique du Sud, le MERCOSUR.
De façon plus générale, la restructuration de l’agriculture française ne doit pas être analysée d’un point de vue seulement franco-français. L’Europe s’est construite avec l’agriculture et c’est avec, et par l’Europe, que les solutions devront être apportées. C’est d’autant plus nécessaire dans un contexte d’explosion de la population mondiale, lequel devrait permettre à notre pays de trouver de nouveaux débouchés pour son agriculture. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers de la discussion de ce projet de loi, nous abordons un sujet de première importance.
En effet, l’agriculture est une activité particulièrement sensible, qui revêt plusieurs dimensions : une dimension stratégique puisqu’elle vise à produire notre nourriture ; une dimension économique et sociale dans la mesure où elle crée de la richesse et de l’emploi ; une dimension socio-territoriale puisqu’elle contribue à l’aménagement du territoire ; une dimension environnementale car elle influe sur les différents compartiments de l’environnement et façonne les paysages de France ; une dimension culturelle enfin, si l’on prend en compte l’attachement de nos compatriotes à leurs paysans, qui participent de l’identité de notre pays.
Ce projet de loi introduit « une politique publique de l’alimentation » ; il était temps ! La mondialisation, l’uniformisation du goût et la dérive des pratiques alimentaires aux conséquences désastreuses, notamment en termes de santé publique, exigent que l’on se dote d’une véritable politique en la matière. Enfin !
Pour autant, je dénonce le déficit patent d’articulation entre politique agricole et politique alimentaire. Le texte en discussion ne fait que les juxtaposer. J’estime au contraire que notre agriculture devrait clairement être présentée comme le premier pilier de notre politique alimentaire : l’agriculture française a d’abord vocation à nourrir la population française. C’est une priorité de premier rang.
L’objectif de « renforcer la compétitivité de l’agriculture française » et plus particulièrement – selon vos propos, monsieur le ministre – « par rapport à celle de l’agriculture allemande », qui serait en train de nous distancer, me laisse franchement perplexe.
Cela ressemble furieusement à l’objectif affiché dans les grandes lois d’orientation agricole de 1960-1962, qui visaient à « augmenter la productivité de l’agriculture française » au nom du retard de modernisation de notre agriculture par rapport à celles de nos voisins... Manifestement, dans ce projet de loi, « modernisation » signifie « continuation » !
Pourtant, un demi-siècle s’est écoulé... Notre agriculture a connu une hémorragie d’emplois sans précédent, et contribue de moins en moins à la dynamisation de nos territoires. Elle s’est considérablement artificialisée et fragilisée : en témoigne sa dépendance extrême en énergies fossiles, directement – le gazole – et indirectement à travers la consommation croissante d’intrants. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je déplore la non-prise en compte de ces nouveaux défis.
Il nous faut impérativement favoriser l’émergence de nouveaux systèmes de production agricole plus autonomes : ce n’est pas qu’une question environnementale au vu des impacts négatifs de l’agriculture productiviste, c’est également une question stratégique, à l’heure de la raréfaction annoncée des énergies fossiles.
Ce tournant nécessaire, j’ose dire « cet impératif », ne pouvait pas ne pas être engagé dans une loi dite de modernisation.
Les dispositions introduites dans le projet de loi ne sont pas à la hauteur du défi de la régulation nécessaire des marchés agricoles.
Cette régulation est tendanciellement mise à mal par les évolutions de la PAC au cours des deux décennies passées. À cet égard, la généralisation de l’assurance récolte contre « certains risques agricoles » m’inquiète profondément.
Dans la mesure où les risques sanitaires et environnementaux et les risques liés aux calamités sont déjà couverts, il s’agit implicitement des risques de baisse des prix agricoles ; de ce fait, cette disposition n’apparaît que comme une tentative d’adaptation – réservée à ceux qui auront les moyens financiers de s’assurer – au fonctionnement erratique des marchés agricoles.
Elle signifie clairement une capitulation devant ce qu’il faut appeler « l’ardente obligation » de réguler ces marchés agricoles.
On nous propose finalement, ni plus ni moins, d’instituer un dispositif néolibéral, déjà mis en place chez certains de nos voisins, en prévision de l’abandon programmé d’une PAC digne de ce nom.
Monsieur le ministre, nous attendions une vraie « modernisation de l’agriculture », qui réponde aux nouveaux défis, une agriculture plus riche en emplois, plus autonome, et qui intègre la dimension sociale du monde agricole. Cette dimension sociale est désespérément absente du texte. Or vous ne prévoyez que des aménagements à la marge qui, de fait, ne font que conforter la fuite en avant engagée depuis des décennies !
En l’état, ce texte apparaît comme un acte manqué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Pinton.
M. Louis Pinton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, agriculture et monde rural sont intimement liés par leurs développements respectifs. À cet égard, le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche qui nous est soumis aujourd’hui représente pour nos territoires ruraux une chance unique à saisir en matière d’aménagement et de développement. Le potentiel est immense.
« Il conviendra de préserver les principes de “taille humaine et familiale” des entreprises agricoles qui ont fait le succès de l’agriculture française dans ses fonctions de production mais aussi et surtout d’aménagement du territoire et de maintien du tissu rural ». Monsieur le ministre, cette excellente déclaration, extraite de la page 5 de l’exposé des motifs de votre projet de loi, pourrait s’appliquer dans toute sa force à l’élevage de bovins allaitants, et spécialement à l’engraissement des broutards dans les fermes qui les produisent.
Les justifications classiques des mesures décisives qui devraient être prises dans ce domaine sont bien connues.
Elles sont d’abord d’ordre microéconomique : il s’agit de l’amélioration de l’équilibre financier des exploitations traditionnelles par la création in situ de la valeur ajoutée.
Elles s’inscrivent ensuite sur un plan économique plus général ; je songe au développement d’activités connexes : abattoirs ou ateliers de découpe dans les régions plutôt pauvres qui en ont bien besoin.
Elles sont enfin d’ordre sanitaire : il s’agit ici du nécessaire maintien sur place des animaux, dont la circulation favorise la propagation d’épidémies difficilement maîtrisables, telles que la fièvre catarrhale bovine. Sur ce plan, le préjudice est d’ailleurs également économique, puisque toute nouvelle épizootie brise net la chaîne logistique de transports des bovins vers des sites d’engraissement extérieurs dont nous sommes tributaires.
Mais, à ces justifications classiques de la promotion de l’engraissement sur place des broutards, s’ajoutent désormais des arguments nouveaux.
Pour des raisons à la fois environnementales et économiques, nous percevons une fragilisation de l’activité d’engraissement en Italie, qui absorbe habituellement jusqu’à 80 % de nos broutards maigres.
Parallèlement, la production française ne parvient pas à satisfaire des besoins nationaux en augmentation. En effet, les comportements alimentaires changent en France, et la consommation de ce type de viande s’accroît.
Tout nous conduit donc à penser qu’il est plus que temps d’encourager résolument cette activité, en structurant de manière systématique et rigoureuse une filière française d’engraissement renforcée, seule susceptible de garantir une « porte de sortie » stable à nos broutards.
Nous ne pouvons continuer à dépendre, pour l’engraissement de ces jeunes bovins, d’aléas de toutes sortes, sur lesquels nous n’avons aujourd’hui aucune prise : épidémies, mutations économiques et structurelles chez nos partenaires, etc. Il s’agit désormais pour nous de devenir autonomes dans ce domaine, afin de maîtriser notre destin.
Telle est la justification de l’amendement que je vous proposerai d’introduire à l’article 1er du projet de loi, afin de faire figurer dans les objectifs de la « politique de l’alimentation » un plan national d’engraissement pour la filière des jeunes bovins. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Élisabeth Lamure. Au moment où l’agriculture française s’interroge sur son avenir, comme sur sa place pérenne dans l’économie mondiale, nous ne pouvons que vous accompagner, monsieur le ministre, dans votre initiative de modernisation de l’agriculture, rendue indispensable pour répondre aux défis du XXIe siècle et, dans l’immédiat, redonner confiance aux agriculteurs de toutes les filières.
Je souhaiterais intervenir brièvement sur deux points.
Le premier a trait à la viticulture, l’un des fleurons de notre pays, qui connaît depuis des années de graves difficultés.
La politique de la qualité, l’organisation de producteurs, la gouvernance de la filière sont autant de points majeurs du texte qui devront permettre, demain, aux vins de France d’être à la fois visibles et forts sur les marchés mondiaux, face aux vins d’autres régions du monde souvent soutenus par un marketing de grande ampleur, pour ne pas dire insolent.
Toutefois, la filière viticole française s’inquiète de la menace régulière de la disparition des droits de plantation.
Dans la région viticole dans laquelle je suis élue, le Beaujolais, beaucoup de sacrifices ont été consentis, avec d’abord la baisse des rendements, puis l’arrachage, qui atteint des superficies importantes : 3 000 hectares sur 20 000 ; c’est 15 % du vignoble qui a disparu en deux ans.
Aussi, alors qu’il y a quelques années ont été révélés les chiffres de 400 000 hectares de plantations illicites dans plusieurs pays du sud de l’Europe, comment faire admettre aux viticulteurs français une libéralisation des plantations ?
Le deuxième point qui me tient à cœur concerne les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Lors des travaux préparatoires à l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, également appelé « LMA », il a souvent été fait référence à la loi de modernisation de l’économie, la « LME ».
J’y suis d’autant plus sensible en tant que rapporteur de cette loi que j’ai publié un rapport d’étape en décembre dernier dans lequel j’ai fait clairement apparaître des relations commerciales extrêmement dégradées, et constaté que la seule ressource d’intervention était la répression, qui elle-même d’ailleurs a du mal à s’exercer ; en effet, les victimes n’osent pas dénoncer ces pratiques par crainte des sanctions commerciales et économiques que leur appliqueraient leurs clients, les distributeurs.
Vous avez dit, monsieur le ministre : « Ce n’est pas à la LMA de réécrire la LME. » Certes, vous avez raison, mais lorsqu’on constate que la législation n’est pas respectée, non pas parce qu’elle n’est pas bonne, mais parce qu’un rapport de force s’exerce au détriment des plus faibles, n’est-ce pas notre rôle d’apporter un correctif ?
C’est pourquoi il faut se féliciter des mesures nouvelles introduites par la commission. Elle a enrichi les missions des interprofessions. Elle a souhaité interdire la pratique du prix après vente et supprimé les 3R – rabais, ristournes, remises – toute l’année, même en dehors des périodes de crise, pour le secteur des fruits et légumes. Elle a renforcé les pouvoirs de l’Observatoire des prix et des marges.
Enfin, on ne peut que se réjouir de l’initiative du Président de la République, qui a tenu hier une réunion avec les représentants des agriculteurs, de l’industrie agroalimentaire, de la distribution, réunion portant sur les relations commerciales, au terme de laquelle ont été signés des accords de modération des marges dans le secteur des fruits et légumes.
Certes, ces accords pourraient aller plus loin, ne pas se cantonner au cas de crise, mais c’est néanmoins une grande avancée pour les producteurs.
Enfin, je voudrais terminer par une réflexion plus qu’une question, liée à l’alimentation. Des chiffres ont été récemment publiés concernant la consommation de la nourriture. L’un d’eux est à mon sens effrayant : 40 % de la nourriture produite ne serait pas consommée, c’est-à-dire que 40 % de la nourriture disponible à la consommation dans notre pays, ou plus largement en Europe, serait ainsi jetée !
Monsieur le ministre, je n’attends pas de réponse ; je sais que nous sommes tous concernés, et je crois que nous ne pouvons ni rester indifférents à ce constat, ni faire l’impasse sur ce sujet qui doit d’urgence alimenter nos réflexions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner est très attendu par les agriculteurs et les acteurs de la ruralité, car les choix que nous ferons conditionneront l’avenir d’un secteur économique majeur de notre pays, mais aussi celui de nos territoires ruraux, notamment en moyenne montagne, où les actifs agricoles représentent une part importante des emplois.
Tous les orateurs qui m’ont précédé l’ont dit, nos agriculteurs doivent aujourd’hui faire face à une crise sans précédent : c’est toute notre ruralité qui est menacée par cette situation, malheureusement inscrite dans la libéralisation des marchés.
Les plus fragiles ne peuvent plus faire face, et ce sont près de 4 % de nos exploitations qui disparaissent chaque année. Les territoires ruraux, notamment dans les zones d’élevage extensif, subissent des pertes démographiques d’une ampleur qui remet en cause leur avenir.
Nos agriculteurs, impuissants face à la volatilité des prix et au poids des grands groupes alimentaires, dont ils sont de plus en plus dépendants; nourrissent par ailleurs de vives inquiétudes face aux orientations de la PAC 2013.
Si le commissaire européen à l’agriculture a été rassurant sur ce point lors de son audition au Sénat, aujourd’hui, c’est l’incertitude pour nos agriculteurs, et toute notre société est concernée.
En effet, la maîtrise de l’évolution de la concentration urbaine, la sécurité et la qualité de notre alimentation ou encore les grands équilibres écologiques sont au cœur des débats qui s’ouvrent ici aujourd’hui.
Dans ce contexte, notre appareil économique agricole et agroalimentaire a besoin de réponses structurelles pour s’adapter à ces enjeux et aux conséquences de la mondialisation des marchés dans une Europe de plus en plus libérale.
C’est le sens de ce texte, qui a fait l’objet d’une large concertation, donné lieu à plus de cent auditions au Sénat et qui est le fruit d’un travail de fond de notre ministre, de nos rapporteurs et de la commission, travail que nous nous devons de saluer.
Cela ne vous surprendra pas, monsieur le ministre, c’est en tant que représentant des élus de la montagne et de l’Association des maires de France que j’évoquerai quelques sujets particulièrement sensibles… sans pour autant aborder les biens de section (Sourires), question sur laquelle nous reviendrons d’ailleurs dans le cadre de la discussion des articles.
Les élus de la montagne mènent un combat incessant pour une meilleure reconnaissance des handicaps inhérents à la spécificité de leurs territoires, où les modes d’exploitation sont plus difficiles qu’ailleurs et moins rentables.
Pourtant, cette agriculture de montagne crée des produits d’une grande qualité, basée sur la richesse de nos savoir-faire, et joue un rôle fondamental pour le maintien de notre biodiversité.
Aussi, elle doit être encouragée par une juste rémunération de ses filières de qualité, qui peuvent générer une réelle valeur ajoutée, notamment en développant les circuits courts, aspect qui constitue une des orientations intéressantes du présent projet de loi
Cependant, il faudra veiller à ce que les modes de contractualisation prévus prennent en compte la spécificité de ces productions et la nature des charges qui s’imposent à elles, notamment pour les productions sous signe de qualité reconnue. C’est tout le débat de l’avenir des productions AOC qui est en jeu ici, mais aussi celui de la réelle reconnaissance d’une dénomination officielle de l’appellation « montagne » fondée sur de réels critères de qualité.
Plus généralement, dans le contexte actuel, la contractualisation est sans doute nécessaire, mais elle doit être mise en place avec le souci de ne pas conduire à l’intégration, contraire à la culture même de nos agriculteurs et à la tradition agricole, contraire à la liberté d’entreprendre.
Seule une politique vigoureuse de régulation européenne en amont pourra juguler les risques d’effets pervers de cette contractualisation et, à titre personnel, je reste convaincu que la maîtrise de la production constitue la seule vraie garantie de régulation. Après tout, il n’est peut-être pas utopique de penser que ce débat pourrait être remis sur la table sous de nouvelles formes…
En ce qui concerne le statut d’agriculteur entrepreneur, si j’estime que le fléchage des soutiens publics en faveur d’une agriculture durable et sécurisée est justifié, je partage la position du rapporteur,…
M. Gérard César, rapporteur. Ah !
M. Pierre Jarlier. … qui a conduit à la suppression de l’article.
C’est en effet au Parlement de définir le statut de l’agriculteur entrepreneur.
J’ajoute qu’il faut absolument éviter une agriculture à deux vitesses, qui verrait certains agriculteurs, notamment les plus petits, privés des soutiens publics en raison de la nature de leur statut.
Concernant les mesures qui intéressent particulièrement les collectivités, j’évoquerai trois points sensibles.
En premier lieu, le texte initial du Gouvernement prévoyait la création d’une taxe en cas de cession d’un terrain nu devenu constructible à la suite d’une modification des documents d’urbanisme ; cette taxe, qui se serait appliquée à toutes les communes, aurait été perçue par l’État alors que la compétence « urbanisme » relève des communes.
Or il existe déjà une taxe forfaitaire levée à l’initiative des communes, qui a pour vocation de compenser une part des investissements d’équipement engagés par les communes pour rendre les terrains constructibles.
La commission a choisi de supprimer l’article relatif à cette taxe : c’est une excellente initiative, car il serait difficile de déterminer sa justification, et son niveau ne la rendrait pas dissuasive.
En deuxième lieu, la commission de la consommation des espaces agricoles donne un avis consultatif sur toute question relative à la régression des surfaces agricoles.
En l’état, l’esprit du projet de loi est satisfaisant dans la mesure où l’avis de cette commission reste consultatif et que les collectivités compétentes en matière d’urbanisme sont également associées.
Toutefois, on peut regretter qu’une nouvelle entité soit créée : même s’il s’agit d’une section spécifique des CDOA, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture, la commission de la consommation des espaces agricoles constitue en effet une nouvelle couche du « magma » des commissions auquel les élus ont de plus en plus de mal à faire face.
C’est en amont qu’il faudra mieux encadrer l’évolution de l’urbanisation, avec la généralisation des SCOT, décidée au Sénat, sur l’initiative du président de la commission de l’économie, dans le cadre du Grenelle II, ou avec une incitation plus forte à l’élaboration de documents d’urbanisme à une échelle pertinente.
Enfin, en troisième lieu, je veux parler de la restauration scolaire.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Pierre Jarlier. Le projet de loi rend obligatoire l’application des recommandations adressées aux collectivités et se réfère à un décret qui prescrit le contenu des règles nutritionnelles obligatoires.
Le projet d’arrêté, qui, à ma connaissance, est déjà en cours de préparation, prévoit notamment le respect de portions spécifiques par aliment, par âge et par enfant.
Mme Nathalie Goulet. C’est déjà fait !
M. Pierre Jarlier. Ce dispositif est inadapté à la réalité quotidienne de la grande majorité des cantines scolaires, notamment en milieu rural.
Il entraînera de nouvelles charges qui impacteront le prix des repas. Oui, il faut rendre certaines recommandations obligatoires dans l’intérêt des enfants, mais définir un cadre trop rigide pour les portions alimentaires reviendrait à exclure les circuits courts de la restauration scolaire, au bénéfice des grandes sociétés spécialisées dans la préparation des repas, ce qui irait à l’encontre de l’esprit de ce texte et remettrait en cause la pérennité de nombre de petites cantines scolaires, très appréciées en milieu rural.
M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui !
M. Pierre Jarlier. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus comme les organisations agricoles seront très attentifs à l’évolution de ce texte dans le débat parlementaire, car l’avenir de la plupart des territoires ruraux est directement lié au maintien de la présence forte d’une agriculture familiale, à échelle humaine.
C’est un enjeu capital pour un aménagement du territoire équilibré et porteur de cohésion sociale.
C’est aussi un enjeu considérable de développement durable, car nos agriculteurs sont en première ligne face à ce défi qui nous concerne tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Alain Vasselle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture est en situation de naufrage.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, pratiquement toutes les exploitations agricoles sont en perdition, dans l’ensemble des filières, les plus touchées étant les filières élevage, les filières végétales et les filières fruits et légumes.
La profession vous a lancé un appel au secours à la fin de l’été dernier ; vous leur avez lancé une bouée de sauvetage dès l’automne. Vous avez colmaté quelques brèches des embarcations en maintenant la plupart hors d’eau, mais la tempête sévit toujours !
Il vous faut consolider les embarcations si vous ne voulez pas qu’elles soient emportées par les flots de la volatilité des cours.
Le Président de la République, en commandant de la flotte, vous a invité à imaginer la boîte à outils qui devrait permettre à la profession de résister à ce grand creux et d’éviter le péril dans l’immédiat. Ainsi venez-vous défendre aujourd'hui devant le Parlement ce projet de loi de modernisation de l’agriculture.
Que faut-il attendre de la future loi ? Va-t-elle répondre de manière durable aux difficultés économiques de notre agriculture ?
Ces difficultés sont-elles conjoncturelles ou structurelles ? Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet…
Les mesures que vous nous proposez, monsieur le ministre, ont, pour nombre d’entre elles, un caractère structurel. Elles restent cependant soumises aux aléas du marché, qu’il s’agisse de l’Observatoire des prix et des marges ou de la contractualisation.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est vrai !
M. Alain Vasselle. Les dispositifs d’assurance concernant les aléas climatiques et les revenus devraient en partie répondre aux situations les plus préoccupantes. Cependant, ils ne permettront en aucun cas à ce stade de remettre à flot sans risque les exploitations agricoles.
Les vraies réponses, c’est de l’échelon européen que nous les attendons, avec la remise en service d’outils de régulation des marchés et la mise en place d’un filet de sécurité, comme celui que les Américains assurent à leurs agriculteurs.
Quelles sont, monsieur le ministre, les chances pour notre pays d’obtenir une réponse à ces attentes ?
Sans prix à la hauteur des coûts de production, à la couverture des amortissements et à l’obtention d’un revenu décent, cette loi risque d’être source de déception !
Quelques-uns de vos prédécesseurs avaient tenté de s’aventurer dans l’exercice auquel vous nous invitez, mais sans succès. Il leur était opposé – ou il était opposé à nos amendements – des contre-indications européennes. Je pense notamment à l’encouragement aux accords interprofessionnels ou aux groupements qui auraient pu se heurter aux règles de la concurrence.
La boîte à outils que vous nous proposez permettra sans doute le pilotage et le contrôle de certains risques, mais en quoi permettra-t-elle de peser sur les marchés pour assurer aux agriculteurs le revenu indispensable à leur survie et à la vie durable de leurs exploitations ?
Quelles sont vos intentions, monsieur le ministre, à défaut de prix « porteurs », en matière de baisse des charges, d’allégement de la réglementation ou d’encouragement à la diversification dans des conditions économiques viables ?
À titre d’exemple, quelles initiatives prendrez-vous pour limiter le poids des normes, qu’elles soient sociales ou environnementales ?
Coût de la main-d’œuvre, mesures relatives aux installations classées, obligation de couverture hivernale des sols, règles relatives à l’utilisation des produits phytosanitaires, politique de soutien à la production d’énergies renouvelables, coût du transport des matières premières, service public de l’équarrissage, accès aux biotechnologies, taux de change intracommunautaire, tout cela pèse lourdement sur la compétitivité de nos exploitations.
À quelle harmonisation des normes au niveau européen faut-il s’attendre ?
Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que les agriculteurs allemands ou suédois soient plus compétitifs que les agriculteurs français ?
Enfin, pourriez-vous nous donner quelques indications quant à vos intentions en ce qui concerne le devenir du FFIPSA, le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, qui reste déficitaire ?
Les attentes sont donc nombreuses : merci, monsieur le ministre, de ne pas décevoir la profession ! Vous avez déjà beaucoup œuvré pour elle, en obtenant des résultats positifs limitant la casse.
C’est l’avenir de notre agriculture qui est en jeu ; nous comptons sur vous, comme vous pouvez compter sur le soutien du Parlement dans votre combat européen pour la défense des prix et de notre économie agricole. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
M. Jean-Jacques Mirassou. Dommage, car on n’a pas tout dit !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie chacun d’entre vous de ses remarques, de ses propositions et de ses questions. Je vais vous répondre en commençant par souligner les points d’accord, pour passer ensuite aux points, moins nombreux, de désaccord, qui ressortent de vos interventions.
Les points d’accord correspondent aux points essentiels de cette loi qui, je tiens à le dire, n’est pas une « boîte à outils » mais marque un changement important dans le cap que nous fixons à l’agriculture française.
Il y a accord d’abord sur l’objectif, à savoir l’alimentation de tous les Français ; une alimentation sûre, une alimentation saine, voilà le vrai défi de l’agriculture française, comme le défi de l’agriculture européenne sera de garantir la sécurité alimentaire et sanitaire des 500 millions de citoyens européens.
Si nous ne parvenons pas à assurer cette légitimité à l’agriculture européenne, nous n’assurerons pas en regard la légitimité nécessaire à la politique agricole commune.
Le deuxième point d’accord sur lequel je tiens à insister dès maintenant et qui a été souligné en particulier par Jacques Blanc et Pierre Jarlier, c’est la nécessité de préserver la diversité de l’agriculture française.
Notre agriculture ne ressemble pas et ne ressemblera jamais à l’agriculture de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark ou d’autres pays du Nord. Ce n’est pas souhaitable, ce n’est pas ce qu’attendent les agriculteurs et ce n’est pas l’intérêt de notre pays.
Il est bon de rappeler, ensuite, et c’est notre troisième point d’accord, que l’agriculture française a des atouts, un potentiel et un bel avenir devant elle si nous savons prendre les bonnes décisions au bon moment. Tel est l’objet du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter.
Le quatrième point d’accord concerne la nécessité de bâtir une régulation européenne des marchés agricoles.
Aucun gouvernement n’a fait autant pour la régulation européenne que celui de François Fillon, sous l’impulsion du Président de la République. Nous avons obtenu en ce domaine des résultats concrets, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir.
Le cinquième point d’accord pourra faire l’objet d’un large consensus : il s’agit de saluer le travail remarquable des rapporteurs, Gérard César et Charles Revet, qui a permis, sous l’impulsion du président de la commission de l’économie du Sénat, Jean-Paul Emorine, d’améliorer considérablement le texte du Gouvernement. Je suis certain que le débat en séance publique nous permettra de l’améliorer encore davantage.
Je tiens à le dire à Jean-Jacques Mirassou, avec un peu de malice : ce travail sérieux et rigoureux n’a pas été fait à la hâte, mais sur le long terme. Des centaines d’auditions et de consultations ont été menées, durant plusieurs mois, pour obtenir un résultat à la hauteur des enjeux. Le texte que le Gouvernement vous propose n’a donc pas été écrit à la va-vite, mais il est l’expression d’une réflexion profonde.
Le principal point de désaccord est résumé dans l’intervention de Bernard Cazeau.
Ce projet de loi, monsieur le sénateur, n’a rien de partiel ou de superficiel : il ne reste pas à la surface, mais traite le fond des problèmes.
Vous reprochez au Gouvernement de n’avoir aidé les agriculteurs, au travers du plan d’urgence, qu’à hauteur de 1,8 milliard d’euros sous forme de prêt à taux bonifié. Vous oubliez qu’il leur a également accordé une aide budgétaire de 650 millions d’euros.
Selon vous, les contrats ne représentent pas un changement majeur pour l’agriculture. Au contraire ! Les contrats sont la seule garantie pour les agriculteurs de bénéficier d’un revenu stable et d’une visibilité sur leurs revenus dans les années à venir. Je n’ai entendu aucune proposition alternative au contrat, sur quelque travée que ce soit, permettant de stabiliser le revenu des agriculteurs. Il s’agit bien d’un changement important ; la preuve en est que cette proposition sera reprise à l’échelon européen.
Le dispositif relatif aux terres agricoles est insuffisant, dites-vous. Or je n’ai jamais vu, dans les lois d’orientation agricole présentées par le parti socialiste, de dispositions permettant d’enrayer l’hémorragie des terres agricoles ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Vous trouvez également insuffisant le dispositif assurantiel. C’est pourtant un changement majeur, qui est attendu par les agriculteurs. Ce n’est tout de même pas le budget de l’État ou les finances publiques qui permettront de protéger les agriculteurs contre les risques les plus importants !
Enfin, vous avez dit que la régulation européenne n’apportera pas un changement important et que le Gouvernement n’a rien obtenu en la matière.
Je vous rappelle que le principe des quotas laitiers a été défendu en 1999 par le gouvernement de M. Jospin, qui s’est fait sèchement battre par l’ensemble des pays européens, à Bruxelles. Le démantèlement des quotas date de cette époque ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Sur tous ces sujets, vous avez violemment attaqué le Gouvernement. Je tiens donc à vous faire part de ma conviction de fond, qui est aussi une remarque de politique générale : les actions lancées par le Gouvernement pour répondre aux inquiétudes des agriculteurs français, aux échelons national et européen, seront plus efficaces que la société du care dont on nous a récemment parlé.
M. Jean-Jacques Mirassou. Personne n’a compris !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’en viens au périmètre de la loi.
Le problème des retraites agricoles a été évoqué, à juste titre, par des orateurs de toutes tendances. Il s’agit effectivement d’un sujet important, qui mérite d’être traité.
Nous avons été reçus par Éric Woerth afin d’examiner le moyen de poursuivre la revalorisation des petites retraites agricoles, que nous avons engagée voilà deux ans. Nous étudions actuellement la mise en place de dispositifs qui permettront à tous les agriculteurs de bénéficier du minimum vieillesse.
Vous avez raison, monsieur Le Cam, il s’agit d’un sujet majeur. Trop d’agriculteurs touchent, encore aujourd’hui, une retraite de l’ordre de 510, 520 ou 530 euros, alors que le minimum vieillesse s’élève à plus de 700 euros. Ce n’est pas acceptable ! Nous trouverons des solutions concrètes pour remédier à cette situation.
S’agissant des négociations internationales, la loi n’a évidemment pas pour rôle de définir l’orientation des positions françaises. Mais je tiens à répondre à Jean-Michel Baylet, qui a abordé cette question, que nous continuerons à défendre vigoureusement la position qui est la nôtre : nous avons atteint la limite extrême des concessions possibles en matière agricole dans le cadre de l’OMC, et nous n’irons pas plus loin.
J’ajoute, monsieur Le Cam, que nous sommes opposés à toute concession supplémentaire dans le domaine agricole, dans le cadre de l’OMC ou dans celui des négociations avec le MERCOSUR, car elle se solderait inévitablement, comme vous l’avez dit, par de nouvelles difficultés pour plusieurs filières, notamment celle de l’élevage.
Toutes les promesses faites par le Gouvernement en matière d’aides agricoles et de cohérence entre ces aides et la politique gouvernementale de rétablissement des finances publiques seront tenues, et toutes les aides promises seront versées. Mais, s’agissant des aides supplémentaires, je préfère consacrer les moyens dont nous disposons à des dépenses d’investissement et d’avenir plutôt qu’à de nouvelles aides immédiates qui disparaîtront « dans le sable », et j’assume cette décision.
Mieux vaut consacrer 100 millions d’euros à la modernisation des exploitations, et notamment à des investissements en matière de diagnostic énergétique, plutôt qu’à la prise en charge d’une nouvelle tranche d’intérêts d’emprunt, qui n’aura aucun effet à long terme sur la situation des agriculteurs. Bien entendu, j’aimerais pouvoir faire les deux. Mais il me semble plus raisonnable, dans le contexte budgétaire actuel, d’assumer une décision claire pour toute nouvelle dépense.
Mme Odette Herviaux a longuement parlé des prix, et à juste titre. Cette question majeure pour l’agriculture de demain fera l’objet du troisième point de mon intervention.
Comment définir des prix qui soient suffisamment rémunérateurs pour les agriculteurs français, c’est-à-dire qui leur permettent de couvrir les coûts de production ? La crise ne se définit pas seulement d’un point de vue statistique ou administratif. Il y a crise lorsque les prix agricoles ne couvrent plus les coûts de production.
Comme l’ont dit Didier Guillaume et Alain Fauconnier, pour sortir de la crise, il faut réévaluer les prix afin qu’ils soient suffisamment rémunérateurs pour les agriculteurs français.
Permettez-moi de préciser quel cap nous nous sommes fixé au travers de ce texte.
Contrairement à d’autres pays européens, notre objectif n’est pas de rechercher le prix le plus bas possible. C’est une voie que nous avons trop longtemps empruntée. Or tirer le plus possible ce prix vers le bas, c’est oublier que la production agricole a un coût, qui est supporté par les agriculteurs. Je préfère, pour ma part, un prix juste et rémunérateur, et j’assume ce choix. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, mais elles sont indispensables si nous voulons préserver l’agriculture française.
Je souhaite que nous parvenions à établir un prix qui soit le plus juste possible, c’est-à-dire compatible avec les coûts de production assumés par les agriculteurs, et que l’Observatoire des prix et des marges devrait permettre de définir. Je souhaite également que nous modifiions les règles de la commercialisation afin de faire bénéficier les producteurs agricoles de l’augmentation du prix. C’est une preuve supplémentaire du fait que cette loi n’est pas une boîte à outils !
La question de la compétitivité a été abordée à plusieurs reprises. Cette question, que nos partenaires européens nous posent aussi, ne saurait être écartée d’un revers de la main, comme si elle n’existait pas. Elle conditionne en effet la préservation de nos marchés, de nos parts de marché, et donc des débouchés pour nos produits agricoles.
Si nous faisions l’impasse sur la compétitivité, en estimant que ce problème n’est pas idéologiquement acceptable, les importations augmenteraient encore davantage. Je rappelle que les importations de lait frais en provenance d’Allemagne ont augmenté de 70 % depuis janvier 2010, que la production française de fruits et légumes a diminué au profit de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne, et que notre filière porcine souffre terriblement de la concurrence imposée par nos voisins allemands. En Allemagne, par exemple, 50 % des porcs sont abattus dans trois abattoirs seulement !
Telle est la réalité de la concurrence à laquelle nous devons faire face. On peut la nier ou estimer que ce sujet n’est pas intéressant. Les producteurs savent bien, quant à eux, que nous devrons traiter cette question. C’est ce que nous ferons, grâce au plan de développement des filières.
Vous ne pouvez pas, monsieur Muller, écarter la question de la compétitivité, même si c’est intellectuellement satisfaisant. Les agriculteurs savent pertinemment qu’ils doivent affronter des concurrents, et nous devons leur donner les moyens de lutter à armes égales.
Je vous rejoins toutefois sur un point : la compétitivité n’est pas incompatible avec le développement durable, bien au contraire.
Vous dites que le projet de loi ne prévoit aucune disposition permettant de concilier compétitivité des agriculteurs et développement durable. C’est faux ! Le Gouvernement consacre, cette année, 30 millions d’euros pour aider les agriculteurs à établir un diagnostic énergétique et à financer des installations de méthanisation. Grâce à ces mesures concrètes, nous pourrons concilier les impératifs de compétitivité, de prix agricoles rémunérateurs et de développement durable.
Le quatrième point de mon propos, qu’a longuement évoqué Daniel Soulage, concerne l’assurance agricole, chère au cœur de Jean-Paul Emorine.
Ce projet de loi pose le principe de la réassurance publique dans l’agriculture. C’est un changement de cap majeur ! Cela montre bien, là encore, que ce texte n’est pas une boîte à outils. Aucun gouvernement précédent, de droite ou de gauche, n’a réussi à imposer ce principe.
Les agriculteurs pourront désormais bénéficier d’instruments assurantiels, quelles que soient les filières concernées, y compris celles de l’élevage ou des fourrages. Toutes les filières agricoles auront donc les moyens de s’assurer, comme c’est déjà le cas dans les autres pays européens. Cette réforme importante et utile permettra aux agriculteurs de se prémunir contre les aléas que j’ai eu l’occasion de mentionner.
Gérard Le Cam a souligné, avec beaucoup de justesse, qu’il fallait éviter les effets d’aubaine. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne met pas en place immédiatement le dispositif de réassurance publique, mais en pose seulement le principe. Nous voulons en effet étudier, au préalable, les voies et moyens permettant aux assureurs privés de faire de la réassurance, avant que l’assurance publique puisse jouer.
En d’autres termes, nous calquerons le dispositif sur le modèle en vigueur pour le risque terroriste. Ce sera aux assureurs privés de prévoir un dispositif de réassurance en cas de risque important. Ainsi, la réassurance publique n’interviendra qu’en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple si l’ensemble du territoire français était touché par la sècheresse.
Mais, je le répète, il faut éviter les effets d’aubaine. Les assureurs privés doivent exercer toutes leurs responsabilités. La réassurance publique ne doit jouer qu’en toute dernière instance. Ces remarques s’adressent à Gérard Le Cam et à Yannick Botrel.
Le caractère obligatoire de l’assurance a été évoqué à plusieurs reprises, notamment par Didier Guillaume, Daniel Soulage, Jean-Paul Emorine et Aymeri de Montesquiou. Sur ce point, mon opposition est non pas de principe, mais pragmatique.
En effet, en l’espèce, je veux bien essayer de faire modifier les règles européennes, mais j’ai l’humilité de reconnaître que ce sera probablement l’un de mes successeurs qui, s’il le veut également, y parviendra. Si j’échoue dans cette voie et si la France met en place un système d’assurance obligatoire, le principe de subsidiarité jouera à plein et notre pays perdra les 100 millions d’euros de subventions européennes dont il bénéficie au titre de l’assurance. Très concrètement, la mise en place d’un tel dispositif assurantiel coûtera chaque année 380 millions d’euros au budget de l’État, avec un niveau de subvention de 50 %, au lieu du taux de 65 % que nous permet d’atteindre l’Union européenne.
C’est pour cette raison toute pragmatique que je préfère renoncer, pour le moment, à l’assurance obligatoire et mettre sur pied un dispositif fortement incitatif, avec un taux de subvention de 65 %.
Monsieur Muller, je vous le répète : il ne s’agit absolument pas d’un dispositif néolibéral. Les néolibéraux seraient-ils prêts à subventionner des primes assurantielles à hauteur de 65 % ? Je suis sûr et certain qu’un véritable néolibéral n’accepterait jamais de mettre en place un dispositif de réassurance publique, une telle démarche étant opposée à sa doctrine. C’est au contraire un principe de régulation majeure que nous posons dans le présent projet de loi.
Un cinquième point est au cœur de nos discussions, celui des contrats. Jean-Michel Baylet a utilisé une belle expression, disant que les contrats sont nécessaires à une relation transparente et équilibrée entre les acteurs de la filière. C’est ce que nous voulons justement construire. Comme Didier Guillaume et Jean-Pierre Raffarin l’ont affirmé, ce système est inspiré du modèle coopératif, aux vertus duquel je continue à croire, indépendamment des critiques que j’entends ici ou là.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. C’est la raison pour laquelle, à partir du moment où ils respectent les obligations légales, les contrats conclus par les coopératives ne seront pas remis en cause.
Mais, je le reconnais avec beaucoup de simplicité et d’humilité, ce n’est pas l’instrument miracle qui va régler tous les problèmes. Il s’inscrit dans une stratégie de plus grande ampleur. Je réponds en cela à Daniel Dubois. Le contrat doit se concilier avec une régulation européenne des marchés agricoles, qui doit également porter sur les volumes, faute de quoi nous courrons le risque de la surproduction. En outre, il n’enrayera pas la dégradation de la compétitivité française, qu’il faudra régler par ailleurs.
Cet instrument doit donc être concilié avec d’autres politiques de plus grande ampleur menées par le Gouvernement.
À quoi sont dus les écarts de compétitivité entre la France et ses partenaires européens, au premier rang desquels l’Allemagne ? Trois points sont essentiels en ce domaine.
Le premier d’entre eux – ce n’est un mystère pour personne et je ne vous apprends rien, mesdames, messieurs les sénateurs – est le coût du travail. J’estime que le Gouvernement, en accordant une exonération totale de charges patronales dans le cas d’un travail occasionnel, c’est-à-dire sur 45 % de la masse salariale agricole, a déjà réglé la moitié du problème. En France, le coût du travail horaire a été ramené de 11,30 euros à 9,29 euros grâce à cette disposition, qui coûte 170 millions d’euros par an à l’État. De ce fait, l’écart de compétitivité par rapport à l’Allemagne a été réduit.
Le deuxième point est relatif à l’organisation des filières. En lisant attentivement les rapports sur ce sujet, un fait m’a frappé : en Allemagne, je le répète une nouvelle fois, la moitié de la production porcine est abattue dans trois abattoirs. Je n’aurai pas la cruauté de donner les chiffres de la France, mais cela explique pourquoi, aujourd’hui, certains porcs bretons sont abattus à Lübeck ou à Brême. Il faut remédier à cet état de fait.
Pour cela, j’ai proposé d’élaborer des plans de développement des filières. Au mois de septembre, je présenterai un tel plan pour la filière du lait, en raison de l’extrême urgence. Je souhaite que dans les prochains mois soit mis en place un plan de développement de la filière de l’élevage insistant particulièrement sur le secteur porcin.
Enfin, le troisième point, qui a été souligné par M. Muller, concerne les performances énergétiques. En ce domaine, tous les exploitants agricoles européens ont de meilleurs résultats que ceux de notre pays parce qu’ils ont développé la méthanisation, la biomasse, ou encore parce qu’ils ont investi dans la production d’énergie. Les agriculteurs français doivent faire de même. Ainsi ? nous pourrons concilier développement durable et agriculture et améliorer en même temps la compétitivité de nos exploitations et le revenu des agriculteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir me pardonner d’intervenir un peu longuement, mais le sujet le mérite. Je souhaite évoquer un dernier point relatif aux contrats.
Monsieur Botrel, le contrat n’est pas synonyme d’intégration. Une quelconque mise en vente de l’outil de production de l’agriculteur au profit de l’industriel est hors de question. Par ailleurs, en toute cohérence avec l’approche de l’agriculture française et le changement de cap que nous voulons lui fixer, dans une logique de long terme, j’ai d’ores et déjà demandé à la Commission européenne, je continuerai à le faire, et j’obtiendrai – je pèse mes mots – la modification indispensable du droit de la concurrence européenne. En effet, aujourd’hui, un nombre restreint de producteurs négocient leurs contrats avec un industriel ; ils se trouvent de ce fait en position de faiblesse. Je souhaite donc que l’ensemble des producteurs traitant avec un grand industriel puissent se regrouper pour négocier d’égal à égal avec lui. Ainsi seulement pourra s’établir une relation équitable dans les filières agricoles.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’en viens à la pêche, secteur dont Charles Revet a parfaitement résumé les enjeux.
Les dispositions du présent projet de loi permettront d’avancer en matière de développement de l’aquaculture.
Madame Herviaux, je tiens à vous rassurer : il s’agit non pas de recentraliser le dispositif, mais d’offrir davantage de responsabilités aux organisations de producteurs. Je vous l’ai dit en commission et je vous le répète à la tribune car je n’ai pas l’habitude de tenir des langages différents selon les lieux où je m’exprime : je suis tout à fait ouvert à la discussion et je ne suis pas hostile à l’examen d’amendements tendant à la reconnaissance du rôle des acteurs locaux, dont je connais l’importance.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Hormis la Bretagne que vous avez évoquée, d’autres lieux de production de pêche en France pourraient être cités.
Messieurs Revet, Le Cam et Merceron, il est effectivement indispensable que nous rétablissions la confiance entre scientifiques et pêcheurs, de façon que l’évaluation des ressources soit désormais un peu plus rigoureuse et surtout plus consensuelle.
Dans la proposition qu’elle vient de transmettre à la Commission sur la réforme de la politique commune des pêches, la France est le seul État à évoquer la dimension sociale, tout à fait essentielle, à laquelle la commissaire européenne Maria Damanaki s’est montrée ouverte lors de sa visite en Bretagne voilà quelques jours.
Monsieur Virapoullé, je suis favorable à la mise en place d’un groupe de travail sur les ressources halieutiques dans les départements d’outre-mer que vous avez proposée.
Avant d’aborder le sujet de l’Union européenne, je traiterai quelques questions diverses.
Monsieur Le Cam, le Gouvernement tient au principe d’une taxe sur la spéculation foncière. À partir du moment où le prix d’une terre est multiplié par dix – il s’agit donc plus d’une spéculation que d’un simple profit –, il ne me semble pas illégitime de pouvoir taxer une telle opération. Nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégiez dans cet hémicycle, ont proposé d’affecter le produit de cette taxe à l’installation des jeunes agriculteurs, notamment. Je vous le dis solennellement, je suis tout à fait favorable à une telle affectation. Ce ne serait que justice.
Monsieur Leroy, madame Des Esgaulx, le Gouvernement, évidemment favorable à une meilleure exploitation de la forêt, souhaite également, en toute cohérence, mettre en place un compte d’épargne assurance forêt, qui permette aux forestiers, à l’instar des agriculteurs, de se prémunir contre les risques de plus en plus nombreux auxquels leurs exploitations sont confrontées.
Alain Fauconnier a évoqué l’enseignement agricole, défendu avec talent par Françoise Férat depuis de nombreuses années et qui, j’en suis profondément convaincu, jouera un rôle majeur pour l’avenir de l’agriculture en France.
Madame Lamure, je vous affirme avec la plus grande fermeté que le Gouvernement, dans une approche empreinte de cohérence, est totalement opposé à la libéralisation des droits de plantation dans le secteur viticole. Il n’est pas favorable à la libéralisation dans un cas et défavorable dans un autre cas, favorable à la régulation dans le domaine de l’agriculture et opposé à la même régulation dans le secteur de la pêche. Le Gouvernement souhaite la régulation des marchés, ce qui suppose de ne pas laisser planter n’importe quelle vigne n’importe où, en dehors de tout respect des appellations, une telle libéralisation menaçant des appellations d’origine.
Je veux enfin évoquer la réforme de la PAC et le rôle de l’Union européenne, sujet majeur dans la perspective que nous ouvrons avec ce projet de loi.
Je ne saurais trop insister : sans régulation, le marché agricole européen ne sera pas viable. Je reconnais le premier que nous avons tenté la libéralisation. Je le répète : un ministre socialiste, pour lequel j’ai le plus profond respect par ailleurs, a essayé de défendre la cause des quotas laitiers en 1999. À l’époque, il a été balayé par un tsunami européen : il était hors de question de maintenir ces quotas. Je crois que nous avons réussi à inverser la tendance au mois d’août dernier, même si nous devons rester déterminés et attentifs. Nous avons donc amorcé une régulation des marchés agricoles européens. Il faut continuer dans cette voie. Le projet de texte législatif européen que déposera Dacian Cioloş à la fin de l’année sur le marché du lait prouvera que la régulation fait son chemin.
Je tiens à faire une deuxième remarque sur ce sujet : toute la difficulté de la PAC réside dans le fait qu’au sein de cette politique commune s’affrontent deux modèles agricoles différents.
Les pays du Nord, comme de plus en plus l’Allemagne, pays que j’aime profondément et que je connais bien, ont opté pour les prix les plus bas possibles, en tirant sans cesse la rémunération des agriculteurs vers le bas. Il résulte de ce choix une concentration des exploitations et leur regroupement sur une seule partie du territoire.
Le modèle français, quant à lui, prône la valorisation des produits, des régions et de l’aménagement du territoire, ainsi qu’un revenu digne pour les agriculteurs, leur permettant de couvrir leurs coûts de production.
Ce modèle, que nous défendons, doit, à notre sens, l’emporter dans la politique agricole commune. Forcément, nous devrons faire des concessions, ici ou là, afin que les majorités nécessaires se dégagent. C’est bien pour cela que tous ensemble, dans cette enceinte comme dans d’autres cénacles, nous devons nous battre.
Il n’est absolument pas question de céder sur la préférence communautaire. Je suis très rarement en désaccord avec Jean Bizet, mais tel est le cas lorsqu’il soutient qu’il faudrait « mettre la pédale douce » en la matière.
Au contraire ! La préférence communautaire n’est pas un gros mot, c’est le premier point du traité de Rome sur la politique agricole commune. Pourquoi renoncerions-nous à ce qui fait le cœur du traité de Rome en matière de politique agricole commune ?
Par ailleurs, pas d’excès de naïveté, je vous en supplie ! Si je me suis tant battu sur la question des accords entre l’Union européenne et le MERCOSUR, c’est parce que la reprise des négociations commerciales entre ces deux entités est une faute politique.
D’abord, nous nous étions engagés à ne reprendre aucune négociation bilatérale commerciale avant que les négociations dans le cadre de l’OMC ne soient conclues ; elles ne le sont pas, et pourtant la Commission reprend les négociations bilatérales entre l’Union européenne et le MERCOSUR ! La parole n’a pas été respectée.
Ensuite, les pays du MERCOSUR ne sont pas si mal traités que cela ! Depuis cinq ans, les exportations de viande des pays du MERCOSUR à destination de l’Union européenne ont été multipliées par deux. Dans le même temps, les pays du MERCOSUR renforcent leurs droits d’importation sur les produits agricoles en provenance de l’Union européenne.
Je ne vois pas pourquoi l’agriculture serait, chaque fois, la variable d’ajustement des négociations commerciales !
M. Charles Revet, rapporteur. Vous avez tout à fait raison !
M. Bruno Le Maire, ministre. Enfin, quand la présidence espagnole nous explique que la reprise de ces négociations est bonne pour les pays du MERCOSUR, je réponds, avec tout le respect que j’ai pour elle, que cela est peut-être fort sympathique mais que j’aimerais mieux que ce soit bon pour les agriculteurs européens et pour les citoyens européens ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, et M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Tenons bon ! Nos positions sont justes et font de plus en plus d’émules.
Il y a trois semaines, la France était la seule à s’opposer à la reprise des négociations entre l’Union européenne et le MERCOSUR. Depuis le conseil des ministres de l’agriculture, lundi dernier à Bruxelles, nous avons rallié quinze pays européens à notre position. La Commission ne peut plus dire qu’elle est majoritaire pour la reprise de ces négociations !
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. De la même façon, en août dernier, j’étais seul à demander le respect d’une PAC forte ; durant l’appel de Paris en décembre, nous avons été vingt-deux États à réclamer le maintien d’une PAC forte et à abandonner l’idée d’une diminution drastique du budget européen !
À tout seigneur tout honneur : pour finir, ayant, par définition, une certaine affection pour les anciens premiers ministres (Sourires.), je voudrais répondre à M. Jean-Pierre Raffarin sur les trois points qu’il a soulevés !
Le premier point concerne la menace institutionnelle. Je ne reprendrai pas ses propos mais, je tiens à le souligner, nous veillons, au ministère de l’agriculture, à rééquilibrer le balancier.
Ce que nous avons obtenu, avec Jean-Louis Borloo, sur les règles environnementales – la prise en compte de la crise économique et l’harmonisation européenne –, le montre : le balancier se rééquilibre.
Ce que nous avons réussi à obtenir sur la réassurance publique, grâce à un travail très constructif avec Christine Lagarde, en témoigne également ; de même que ce que nous avons réussi à obtenir, à l’issue d’un travail très constructif avec Éric Woerth, sur les allégements de charges pour le travail occasionnel des agriculteurs.
Le balancier ne penche pas systématiquement en défaveur du ministère de l’agriculture. Je tiens à rassurer Jean-Pierre Raffarin sur ce point.
Le deuxième point souligné par Jean-Pierre Raffarin concerne les conséquences régionales des décisions que nous prenons. Je le redis avec force : je suis contre la concentration excessive des exploitations, contre l’uniformisation de la production agricole en France, contre l’extension sans fin des surfaces d’exploitation ; mais je suis pour la diversité des productions, pour le maintien de l’activité dans l’ensemble des régions françaises – y compris en Lozère, cher Jacques Blanc, et dans le Cantal, cher Pierre Jarlier –, je suis pour le maintien de l’agriculture partout sur notre territoire, y compris dans les zones intermédiaires !
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’en viens au troisième point évoqué par Jean-Pierre Raffarin : le secteur laitier. Il fut, pour tous les Français, le symbole de la crise dramatique traversée par l’agriculture. C’est pourquoi, comme le ministère, vous y avez accordé une attention toute particulière, mesdames, messieurs les sénateurs.
Finalement, comme le montrent les travaux de l’interprofession sur les indices de prix, ceux que nous menons sur les plans de développement des filières, ceux de la Commission et, principalement, de Dacian Cioloş pour un règlement européen de régulation du marché du lait disponible d’ici à la fin de l’année 2010 : nous sommes engagés sur le bon chemin ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures dix, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Labarre, MM. Le Cam et Danglot, Mmes Didier, Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, d'une motion n°39.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (n° 437, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, auteur de la motion.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres de notre groupe estiment que le présent projet de loi est en contradiction avec la Constitution, parce qu’il ne respecte pas la Charte de l’environnement.
Si besoin est, rappelons que, en inscrivant dans le préambule de la Constitution une référence « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 » et en plaçant ainsi ce texte sur le même plan que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 a conféré une valeur constitutionnelle à la Charte.
Ce texte, en son article 6, dispose : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Or nous estimons que la forêt constitue un véritable patrimoine écologique et social. Pourtant, l’article 15 du présent projet de loi entend « renforcer la compétitivité de la filière de production, de récolte, de transformation et de valorisation des produits forestiers ».
Alors qu’il faudrait soustraire ce patrimoine forestier à la vision de court terme et de rentabilité dictée par le marché, le Gouvernement propose une véritable marchandisation de la forêt, en contradiction avec le développement durable de celle-ci.
En effet, l’exploitation des forêts doit être réalisée dans le sens de l’intérêt général. Or le texte organise une privatisation des missions exercées par l’ONF, l’Office national des forêts, qui s’inscrit directement dans la logique du démantèlement de cet établissement public.
De plus, force est de le constater, le Gouvernement tient en piètre estime le Parlement, puisqu’il multiplie, dans ce projet de loi, sur des sujets variés, les dispositions lui permettant de légiférer par ordonnance, c’est-à-dire sans le débat ni l’aval de la représentation nationale : c’est le cas aux articles 2, 15 bis, 17 et 24.
Avant son examen en commission, le texte proposé par le Gouvernement en contenait d’ailleurs davantage, alors qu’aucune urgence ne peut justifier ce recours excessif aux ordonnances. Il s'agit là d’une nouvelle preuve, s’il en fallait, des dérives monarchistes de la Ve République. Qu’il est loin l’objectif affiché par Nicolas Sarkozy de rendre du pouvoir au Parlement !
Toutefois, en étudiant le présent texte, on comprend fort bien pourquoi le Gouvernement souhaite limiter le plus possible le débat parlementaire.
Pour nous, cette loi de modernisation aurait dû être l’occasion de réorienter rapidement et massivement l’agriculture vers des systèmes de production écologiquement responsables et permettant aux paysans de vivre décemment. Néanmoins, le Gouvernement ne semble pas souscrire à ces objectifs, si ce n’est, parfois, dans les discours du Président de la République, qui se voudraient rassurants pour les agriculteurs !
En effet, le but premier du Gouvernement est purement électoral : récupérer des votes qui lui échappent de plus en plus, comme on l’a vu lors du dernier scrutin régional. Monsieur le ministre, les agriculteurs ne sont pas dupes de votre opération politicienne, qui ne règle rien à leurs problèmes !
Pis, le présent projet de loi prévoit une véritable restructuration globale de l’agriculture française, au nom de la culture de l’entreprise et de la compétitivité. L’élimination des petits paysans devrait en être encore accélérée.
Nous nous félicitons que certains points très dangereux aient été supprimés par la commission, en particulier l’article 11, le plus emblématique de la conception du Gouvernement, qui introduisait le statut d’agriculteur-entrepreneur. Cette disposition visait clairement à faire le tri entre les agriculteurs et à favoriser un type d’agriculture écologiquement dangereux et socialement injuste. Toutefois, il subsiste dans ce projet de loi de nombreux outils qui, soit ne régleront rien aux problèmes des agriculteurs, soit les aggraveront.
Monsieur le ministre, vous glorifiez la contractualisation qui, selon vous, permettra d’assurer une rémunération à tous les agriculteurs. Vous voulez nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Au moment où la production agricole a besoin de régulation et de maîtrise des volumes, la contractualisation ne nous apparaît pas comme une solution aux crises actuelles : elle est incapable de remplacer une politique agricole, la somme des contrats ne pouvant aboutir à la maîtrise des volumes et des prix, comme nous allons vous le démontrer.
En effet, les industriels auront tendance à ne pas contractualiser tous les volumes, afin de conserver un minimum de souplesse. Ce seront alors les volumes non contractualisés qui joueront le rôle de variable d’ajustement, ce qui conduira à une inévitable baisse des prix moyens payés aux paysans.
Par ailleurs, comme on l’a vu récemment pour le lait, si l’un des acteurs le souhaite, le contrat n’a plus de valeur, et les pouvoirs publics doivent alors intervenir pour rétablir la situation.
En effet, un contrat reste un rapport de forces qui, en l’occurrence, sera forcément défavorable au producteur, confronté à de puissants industriels. Seule la loi, porteuse de l’intérêt général, pourrait garantir un droit au revenu pour les paysans, en interdisant la vente à perte par exemple, et en fixant des prix minimums rémunérateurs. Or un prix contractualisé n’entre pas forcément dans cette catégorie !
Le Gouvernement met également en avant un autre outil : le système assurantiel de l’article 9.
Tout d’abord – faut-il le rappeler ? –, un mécanisme d’assurance ne crée pas de richesses nouvelles, mais répartit celles qui existent déjà. Jamais donc il ne pourra remplacer une politique publique, ni remédier à l’instabilité des prix agricoles !
Surtout, le système qui est proposé aujourd’hui peut se résumer à cette formule : « Beaucoup d’argent public au profit des compagnies d’assurance, au bénéfice d’une minorité d’agriculteurs ». Nous sommes dans la même logique d’élimination : il y aura ceux qui pourront se payer de bonnes couvertures et ceux qui en seront incapables et qui, en cas de problème, devront cesser leur activité. Contre ce système, notre groupe propose un mécanisme mutualisé de garantie contre les aléas.
De plus, nous regrettons que la commission ait supprimé le principe de l’institution d’une taxe pour freiner l’artificialisation des terres. Aujourd’hui, la situation est dramatique : 50 000 à 80 000 hectares de terres agricoles changent de destination chaque année. Au rythme de consommation actuelle, une mesure d’urgence de type moratoire aurait dû être envisagée.
Pour le long terme, le Gouvernement, en reprenant une proposition de la Confédération paysanne, avait eu raison d’instaurer une « taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement ».
La commission a supprimé l’article 13 au motif qu’une telle taxe existait au profit des communes. Mais il s’agit d’un dispositif optionnel. Moins de 5 000 communes l’ont institué, et il ne permet donc pas de lutter contre l’artificialisation des terres.
Nous pensons donc que la loi doit rendre obligatoire une telle taxe. Au demeurant, si le principe qui avait été posé par le Gouvernement constituait une avancée, force est de constater que le taux prévu, de 5 % à 10 %, était totalement inadéquat. Certaines terres se vendent jusqu’à 200 fois plus cher après classement. Ainsi, cette taxe n’aurait rien résolu. Nous vous demandons d’instituer une taxe plus efficace, autour de 50 %. À titre de comparaison, je mentionnerai qu’elle existe au Danemark, où elle est fixée à 80 %, afin de lutter contre l’artificialisation des terres agricoles. C’est en ce sens que nous avons déposé nos amendements.
Tels sont les outils mis en place par cette loi qui ne permettent pas de répondre aux enjeux posés par l’agriculture, quand ils ne les aggravent pas.
Cela dit, le projet de loi brille aussi par ses lacunes. Ainsi, alors que la majorité des paysans, qui se tuent à la tâche, ne gagne pas suffisamment pour vivre décemment, ce projet de loi ne comporte aucun volet social.
Le Figaro, journal que l’on ne peut accuser de bolchévisme (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) titrait le 27 avril : « Un paysan français se suicide chaque jour. » Parce que les agriculteurs sont de plus en plus précarisés, ils se suicident plus que les membres des autres professions. Le taux de suicide des agriculteurs exploitants est le plus élevé parmi les différentes catégories socioprofessionnelles. Il s’élève à 32 pour 100 000, contre 28 chez les ouvriers et 8 pour les professions intellectuelles supérieures. Et que nous propose le Gouvernement ? Rien.
Le législateur aurait été inspiré d’instituer la règle de prix rémunérateurs, afin de garantir à tous les agriculteurs un droit au revenu.
Ce projet de loi aurait dû être aussi l’occasion de s’attaquer au problème de l’accès au métier et au statut de l’exploitant.
L’accès au métier de paysan est conditionné par l’accès au statut social de chef d’exploitation. Celui-ci confère une reconnaissance de l’activité agricole de la personne, et donne accès aux droits spécifiques des paysans. Le problème réside dans le fait que l’accès au statut est conditionné par la direction d’une ferme, dont l’importance doit être au minimum d’une demie SMI, ou surface minimum d’installation.
Cette référence pose de nombreux problèmes : elle ne permet pas les installations progressives dans une période où la pression foncière s’est fortement accentuée. Elle diffère fortement d’un département à l’autre, provoquant de fortes inégalités sur les territoires. Elle revient à nier l’existence des pluriactifs pour lesquels l’activité agricole est secondaire, et elle ne permet pas de prendre en compte les projets à haute valeur ajoutée à l’hectare, car intégrant la valorisation, la transformation ou la commercialisation des produits de l’exploitation.
Nous proposons donc de faire dépendre l’octroi du statut, non plus à une taille minimum d’exploitation, mais à une déclaration d’heures de travail, comme cela existe déjà pour certaines activités.
Nous dénonçons par ailleurs le statut de cotisant solidaire, qui n’ouvre aucun droit professionnel à des paysans en activité. Les cotisants solidaires non retraités exerçant une activité agricole sont environ 100 000 en France. Les pouvoirs publics ont reconnu implicitement la réalité de leur activité en leur accordant en 2008 des droits pour les accidents du travail, les maladies professionnelles, et prochainement pour la formation professionnelle. Il est désormais nécessaire d’aller plus loin en ouvrant l’accès au statut de chef d’exploitation à ces cotisants solidaires. Voilà ce qui serait une décision de justice sociale !
Il est consternant de constater que cette loi ne mentionne nullement l’inscription du modèle agricole français au sein d’un environnement international, particulièrement européen, surtout dans la perspective de l’échéance de 2013 pour la politique agricole commune.
Deux crises additionnent aujourd’hui leurs effets : la crise écologique, qui disqualifie notre modèle de développement économique basé sur le productivisme ; la crise économique causée par le néolibéralisme mondialisé, qui a partout dérégulé les échanges.
L’agriculture se trouve au confluent de ces deux crises, et il devient urgent d’y porter remède. Le modèle productiviste d’agriculture intensive doit laisser la place à une agriculture soucieuse de l’environnement, avec des productions relocalisées. Les crises successives que l’agriculture a connues ces dernières années, je pense à la crise du lait, montrent que les politiques de dérégulation, initiées par l’Organisation mondiale du commerce et soutenues par l’Union européenne, doivent prendre fin.
La France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, à savoir la mise en place d’un prix minimum indicatif européen pour chaque production, l’activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, une politique douanière européenne garantissant que les produits importés sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales acceptables, et sont payés à un juste prix aux producteurs.
De même, la France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de mécanismes de production pour certaines productions, et l’activation, en cas de crise exceptionnelle, d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.
Enfin, nous devons mettre en place les outils permettant une véritable planification de la transition écologique de l’agriculture. Nous devons tendre vers une agriculture beaucoup plus diversifiée, réintégrant activité agricole et élevage, rapprochant les cycles du carbone et de l’azote. Nous devons tendre vers une agriculture relocalisée, autonome, valorisant la richesse potentielle des écosystèmes cultivés, en lieu et place de systèmes basés sur l’usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides, et sur la motorisation à outrance.
Cette agriculture que nous devons promouvoir nous permettra donc de contribuer à la lutte contre le changement climatique, de diminuer l’utilisation de carbone fossile et des autres ressources non renouvelables, de produire des aliments de meilleure qualité, de protéger l’environnement des contaminations diverses, et de restaurer la biodiversité.
Mais cela implique une agriculture plus intensive en temps de travail et en emplois et donc, à la fois, des prix rémunérateurs pour que le travail agricole soit payé à son juste prix, et une véritable politique foncière volontariste permettant de stopper la course à l’agrandissement des exploitations, voire, dans certaines régions, d’inverser ce phénomène en facilitant l’installation d’agriculteurs.
Une loi qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des aspects que je viens d’évoquer ne répondrait pas aux enjeux lancés par l’agriculture du XXIe siècle.
Loin d’améliorer la situation, elle ne ferait que retarder la date ou il nous faudra prendre des décisions drastiques pour réparer les dégâts sociaux et environnementaux du libéralisme, et du modèle d’agriculture productiviste qui lui est lié.
Une disposition législative adéquate pourrait encadrer efficacement les plans régionaux de développement de l’agriculture durable, et l’action des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, de telle sorte qu’ils soient dans l’obligation de répondre à certains de ces objectifs, notamment en matière de politique foncière et de transition écologique de l’agriculture.
Malheureusement, le Gouvernement est trop soucieux d’enjeux électoraux à court terme. Il est pris en tenaille par ses dogmes libéraux de dérégulation entière de l’économie, qui nous ont pourtant menés au bord du gouffre. Nombreux sont les parlementaires, y compris au sein de la majorité, qui savent que cette loi ne résoudra rien. Mais c’est parce qu’en outre nous la jugeons anticonstitutionnelle au regard de la Charte de l’environnement que nous vous appelons, mes chers collègues, à voter la motion d’irrecevabilité que nous avons déposée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de la motion estiment que le texte du projet de loi, et notamment ses dispositions relatives à la forêt, serait contraire à l’objectif de promotion du développement durable posé par l’article 6 de la Charte de l’environnement.
Je ferai observer que le développement durable, comme l’indique justement cet article 6 de la Charte, comprend non seulement la protection et la mise en valeur de l’environnement, à laquelle participent fortement les agriculteurs, mais aussi le développement économique et le progrès social, deux points sur lesquels la commission a enrichi le texte du projet de loi.
La commission ne peut donc être que défavorable à cette motion.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient le Parlement en très haute estime. Il a d’ailleurs limité le recours aux ordonnances, à la suite des travaux de la commission. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il a fait évoluer le texte conformément à vos objectifs, auxquels il souscrit – je pense notamment au développement des circuits courts et à la modification des règles d’appel d’offres – pour aller dans le sens du développement durable.
Je le répète la promotion d’une agriculture durable est un objectif également poursuivi par le Gouvernement. En effet, cet objectif correspond à la fois à une attente des citoyens et à une obligation économique pour les producteurs. L’intérêt des producteurs est évidemment de devenir plus indépendants des énergies fossiles dont la ressource se raréfie et dont le prix ne cesse d’augmenter. Ce constat est valable pour les agriculteurs, mais aussi pour les pêcheurs.
Récemment, en Bretagne, dans un port où je me trouvais, un pêcheur qui travaillait sur un bâtiment moyen m’a expliqué qu’un centime d’euro supplémentaire par litre de gazole signifiait pour lui 7 000 euros supplémentaires par an. Ce pêcheur n’aspire qu’à une chose, comme tous les autres pêcheurs de France : devenir de plus en plus indépendant vis-à-vis du gazole.
En ce qui concerne la taxe sur les plus-values foncières, sachez que j’y tiens aussi personnellement. Je crois qu’il est indispensable de taxer la spéculation sur les terres agricoles. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur cette taxe au cours du débat et, je l’espère, de la rétablir, en affectant son produit à l’installation des jeunes agriculteurs.
Enfin, vous savez que je me bats pour la régulation européenne des marchés agricoles depuis plusieurs mois, et que je continuerai ce combat dans les mois à venir.
J’espère vous avoir rassurée, madame Labarre. En tout cas, telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cette motion d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à M. le rapporteur et M. le ministre, je souscris à l’argumentation développée par ma collègue Marie-Agnès Labarre pour défendre cette motion, qu’il s’agisse de l’irrecevabilité en matière de respect environnemental et des points qu’elle a soulevés concernant la gestion forestière, ou encore des problèmes liés à la contractualisation, qui reste, et vous le savez bien, une épreuve de force entre deux parties bien inégales… Nous ferons à cet égard des propositions au cours du débat.
Marie Agnès Labarre a également dénoncé les lacunes par lesquels s’illustre votre texte. Pour ma part, je souhaiterais insister sur une lacune particulièrement criante : ce texte ne donne au monde agricole, et surtout aux agricultrices et agriculteurs, aucune perspective d’avenir à moyen terme dans la pratique de leur métier.
En effet, malgré les avancées effectuées par la commission, trop d’incertitudes, trop de flou persistent quant à la lisibilité de ce métier.
Rien n’est prévu, par exemple, pour lutter contre la volatilité des prix agricoles, qui a pour conséquence la baisse du revenu des agriculteurs : en Rhône-Alpes, elle était en moyenne de 20 % en 2008 et de 34 % en 2009. Dans cette même région, 1 500 agriculteurs touchent le revenu de solidarité active, dont plus de 600 dans mon seul département de l’Isère.
Le poids des traditions n’est pas non plus pris en compte dans l’évolution proposée par ce texte. Bien sûr, personne ne conteste que chacune, chacun doit « vivre avec son temps », mais le temps de l’agriculture ne rime sans doute pas avec celui voulu par la PAC, dont les nombreux contrôles et formalités imposent aux agriculteurs de passer plus de temps dans leurs dossiers que sur leur exploitation !
C’est en tout cas ce que nous a fait savoir M. Jean-Bernard Bayard, membre du bureau de la FNSEA lors de son audition devant la mission « mal être » du Sénat, soulignant les conséquences néfastes de cet état de fait sur la santé des exploitants, dans la mesure où « ils vivent dans la crainte que leurs ressources diminuent encore un peu plus parce qu’ils n’auraient pas correctement rempli tel ou tel document »…
Selon M. Jean-Pierre Grillet, médecin chef de l’échelon national de santé au travail de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, on enregistre environ 400 suicides d’agriculteurs par an. Bien sûr, l’isolement, le célibat, la précarité favorisent le passage à l’acte, mais la perte de la terre que l’on a héritée de sa famille est vécue dramatiquement, surtout lorsqu’elle fait suite à une faillite.
Pourtant, ce qui a failli, ce n’est pas l’agriculteur, mais bien le système économique actuel, fondé sur la compétitivité, la libre concurrence et la volatilité des prix. C’est ce système qui est à l’origine de la crise que traverse notre agriculture, alors même que la question alimentaire n’a jamais été aussi prégnante : les prix agricoles baissent en Europe et, à nos portes mêmes, la famine menace.
Aujourd'hui, 70 % des agriculteurs ont un revenu inférieur au SMIC et, je l’ai dit, beaucoup touchent le RSA. Pourtant, ces femmes et ces hommes ne demandent pas plus à toucher cette allocation qu’à recevoir des aides de l’Europe ! Elles et ils veulent pouvoir vivre de leur travail, qu’il soit justement rémunéré et mieux considéré !
Je voudrais, pour conclure, évoquer le regard que porte la société sur nos agricultrices et agriculteurs, qui se sentent parfois culpabilisés parce qu’ils exerceraient une activité polluante, qu’ils toucheraient d’innombrables primes, qu’ils feraient du bruit, que sais-je encore…
Sans doute ces griefs sont-ils fondés, mais les agriculteurs en portent-ils l’entière responsabilité ? Vous aurez deviné ma réponse : les agriculteurs n’ont fait que s’adapter au progrès technique et ont eu recours aux modes de production recommandés à chaque époque.
Je suis persuadée de l’utilité de notre agriculture non seulement parce qu’elle constitue un secteur économique important, chacun l’a souligné, mais aussi parce qu’elle contribue à l’aménagement de notre territoire. C’est tout particulièrement le cas dans mon département, l’Isère, où la montagne tient une grande place. En zone de montagne, l’agriculture joue un rôle essentiel dans la préservation du milieu – maintien des alpages, conservation des prairies sèches et des zones humides, etc. – et l’entretien du paysage. Pourtant, rien dans ce texte ne répond à cet enjeu !
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 39, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, dont l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC-SPG, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement demandent le rejet de cette motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Bel, Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Bourquin, Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur, Teston et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 86.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (n° 437, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Permettez-moi tout d’abord, monsieur ministre, de saluer votre courtoisie et l’attention que vous accordez à chacun des orateurs : les réponses que vous leur avez apportées, tant à l’issue de la discussion générale qu’à l’instant, en témoignent.
Il n’en reste pas moins que je partage le constat qui a été dressé de façon quasi unanime cet après-midi : notre agriculture connaît une crise profonde, brutale et, en un sens, totalement inédite.
Depuis 2008, les agriculteurs ont perdu en moyenne plus de 50 % de leur revenu. Le revenu des chefs d’exploitation a baissé de 23 % en 2008, avant de chuter de 32 % en 2009. Ces quelques chiffres résument à eux seuls la gravité de la situation et la violence de la crise.
Nous le savons bien, certains secteurs sont tout particulièrement frappés. C’est le cas de la production laitière, pour laquelle les perspectives sont absolument catastrophiques. La présidente-directrice générale de l’Institut national de la recherche agronomique, Marion Guillou, indique que, avec la fin des quotas, seules 40 000 à 50 000 exploitations survivront. C’est la disparition annoncée, en France, d’une exploitation laitière sur deux ! C’est dire la profondeur de la crise.
Mais aujourd’hui, et c’est une nouveauté, toutes les filières agricoles de notre pays sont touchées. Car cette crise frappe non seulement avec violence, mais aussi sans distinction ! De ce fait, près d’un agriculteur sur six envisage de cesser son activité dans les douze mois à venir : 50 000 exploitations en moins, c’est, dans le même temps, la disparition de 200 000 emplois dans notre pays.
À tous, il nous arrive de rencontrer dans nos territoires des agriculteurs qui nous disent que, compte tenu de la situation, ils vont devoir fermer leur exploitation. Quelle preuve plus éclatante de leur désarroi, de leur désespérance, que cette tentation, ô combien déchirante, de renoncer à ce qui a représenté toute leur vie ? Car chacun d’eux a un amour viscéral pour le travail de la terre !
Ce désespoir est aujourd’hui aggravé par les mots, par l’attitude des pouvoirs publics au plus haut niveau, par l’impression d’impuissance qu’ils donnent. Il l’est aussi par la froideur et la distance du Président de la République à l’égard du monde agricole, qui renforcent encore le sentiment d’abandon ; dans ce contexte, le rendez-vous manqué du Salon de l’agriculture est apparu comme un révélateur. Il l’est encore par les politiques conduites ces dernières années par les différents gouvernements.
À ce titre, comment ne pas relever la responsabilité de la loi de modernisation de l’économie ? Son objectif, louable, était de relancer la consommation par une baisse des prix, mais elle a eu pour effet déplorable de permettre à la grande distribution d’imposer aux exploitants des prix d’achat de moins en moins rémunérateurs, sans conduire pour autant à une baisse des prix à la consommation. Bien plus, elle a abouti à cet incroyable paradoxe : les prix à la consommation, dans le meilleur des cas, sont stables, quand ils n’augmentent pas, alors que les prix payés aux producteurs, au mieux, sont inchangés et, au pis, diminuent !
Comment, dans le même temps, ne pas regretter notre isolement en Europe – vous avez déjà répondu sur ce point, monsieur le ministre, mais je maintiens le terme – et dénoncer l’abandon des quotas laitiers par votre prédécesseur, M. Michel Barnier, lors du « bilan de santé » de la PAC ?
Je crains malheureusement que le texte qui nous est présenté aujourd’hui ne mette pas fin au désespoir, car il n’est pas à la hauteur des enjeux, et c’est le moins que l’on puisse dire !
Avant d’aborder plus précisément le contenu de ce projet de loi, je veux saluer le travail de tous nos collègues en commission et me féliciter des progrès qu’il a rendus possibles. Le groupe socialiste a analysé et examiné ce texte avec sérieux et bonne foi. Nous avons déposé 140 amendements constructifs – c’est dire l’attention que nous y avons portée –, mais une douzaine seulement a été retenue. D’ailleurs, je ne me priverai pas de souligner les quelques avancées que le texte permettra de réaliser.
Cela étant, force est de reconnaître que, pour l’essentiel, le projet de loi lui-même n’est guère porteur d’espoirs. Nous en récusons la philosophie générale, nous déplorons la faiblesse des moyens concrets mis en œuvre et nous regrettons profondément l’absence d’outils nouveaux qui contribueraient à inventer l’agriculture de demain.
Que dire, d’abord, de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ? L’initiative est en soi louable, si ce n’est que cet organisme existe déjà, à défaut de pouvoir fonctionner, privé qu’il est de moyens concrets. En la matière, ce sont les initiatives privées et les associations de consommateurs qui, aujourd’hui, font l’essentiel du travail et permettent un accès aux données chiffrées.
L’inscription de cet observatoire dans la loi ne nous pose aucun problème, mais ce que nous demandons au Gouvernement, c’est de mettre enfin en application tous les dispositifs garantissant une totale transparence en matière de formation des prix. Or, depuis des années, nous ne sentons pas un fort volontarisme sur ce sujet…
Que dire, ensuite, de l’orientation générale qui sous-tend ce projet de loi ? L’inspiration est évidente et tient en deux mots, même si vous les avez récusés, monsieur le ministre : libéralisation et dérégulation. En somme, après avoir détricoté, tant à l’échelon national qu’au niveau européen, les outils de régulation publique de l’agriculture, vous vous offrez une session de rattrapage en mettant en place dans la précipitation des tentatives de régulation privée qui, malheureusement, seront insuffisantes.
Je veux parler de l’obligation de contractualisation entre agriculteurs et acheteurs, qui semble constituer l’axe principal de ce projet de loi. Telle qu’elle est proposée, la contractualisation n’est qu’un leurre, car elle donne à croire que l’on pourrait introduire par contrat de l’égalité entre deux parties foncièrement inégales : d’une part, l’acheteur, à savoir quelques transformateurs hégémoniques et quelques immenses centrales d’achat hyperpuissantes, et, d’autre part, le vendeur-exploitant, dont l’offre est éclatée et que ses produits, généralement périssables à très court terme, placent dans une situation de fragilité manifeste à l’égard de son cocontractant.
Certes, la contractualisation peut présenter des avantages, notamment en clarifiant les relations entre acheteur et vendeur, mais elle ne peut constituer à elle seule une politique globale de régulation. Pour le dire plus clairement encore : non, la contractualisation n’est pas et ne sera jamais une réponse satisfaisante à la disparition des quotas laitiers, que la France a abandonnés dans la négociation communautaire.
M. Jacques Blanc. C’était un ministre socialiste !
M. Jean-Pierre Bel. Il vous arrive souvent d’être approximatif, mon cher collègue, nous en avons eu encore l’éclatante manifestation cet après-midi. Je vous engage à vérifier vos affirmations.
J’ajoute que le dispositif proposé quant à la contractualisation est pour le moins timoré. Ainsi, le texte ne précise même pas si les contrats devront garantir aux producteurs un prix couvrant au moins leurs coûts de production, rémunération du travail comprise. Faute de tels prix planchers, lesquels ne seraient pourtant pas une panacée, la viabilité des exploitations liées à un acheteur par un contrat de vente écrit n’est donc, à notre sens, en rien assurée.
Vous le voyez, le contenu du texte est malheureusement insuffisant pour répondre à la crise et inventer des outils nouveaux ; il ne permet pas même de construire, modestement, un cadre d’action pertinent.
Mais il y a plus regrettable encore que le contenu du texte : c’est tout ce que le texte ne contient pas… Bien sûr, aucun projet de loi ne peut en lui-même apporter de solution à tous les problèmes et je comprends la difficulté de votre tâche, monsieur le ministre. Pour autant, un projet de loi relatif à la modernisation de l’agriculture se doit, à tout le moins, de ne pas oublier les chantiers qui, précisément, contribueraient à faire entrer l’agriculture dans la modernité et qui constituent les clés indispensables à l’agriculture de demain.
De grands chantiers d’avenir ne sont pas – ou à peine – abordés dans le texte, alors qu’ils sont vitaux. L’absence d’une réflexion à long terme et d’une prise en compte des enjeux de fond est évidente.
À cet égard, le titre Ier, un peu pompeusement consacré à la « politique publique de l’alimentation », n’en fournit même pas l’esquisse.
Pourquoi ne pas aller au bout des choses et assumer le choix d’une alimentation de qualité, en encadrant très fortement, voire en interdisant purement et simplement certaines publicités lors de programmes télévisés destinés aux enfants ?
Pourquoi ne pas simplifier l’étiquetage nutritionnel des produits alimentaires pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés ?
Il est vrai que, une fois encore, monsieur le ministre, vous semblez nous inviter à agir dans la précipitation, au risque de mal légiférer.
Pourquoi, alors que vous avez demandé au Conseil national de l’alimentation de constituer des groupes de travail chargés d’élaborer des propositions sur des thématiques amples, n’avez-vous pas attendu la communication des conclusions de ces derniers, prévue pour la fin du mois de mai ? La prise en compte de ces réflexions aurait certainement permis d’alimenter votre projet de loi de manière plus substantielle puisque chacun de ces groupes travaille sur des thématiques qui nous semblent avoir été sous-estimées dans le texte. Les rapports qui nous sont promis paraissent être riches – je vous en épargnerai l’énumération – et vous auriez pu les utiliser pour nourrir plus abondamment le titre Ier.
Monsieur le ministre, comment ne pas souscrire aux bonnes intentions que vous manifestez ? Comment ne pas s’accorder sur certaines des directions que vous indiquez ? Le problème vient de ce que vos propos, souvent bien sentis, ne sont pas traduits dans le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui.
Ce texte ne comporte, selon nous, rien de concret.
Rien de concret sur le développement des circuits courts pour favoriser les produits locaux et de saison.
Rien de concret pour les hommes et les femmes qui vivent de l’agriculture, pour les jeunes qui souhaitent s’installer mais peinent à le faire, notamment en raison des difficiles conditions d’accès au foncier.
Rien de concret pour les moins jeunes en quête d’une reconversion, pour les retraités qui, après une vie de travail, survivent tout juste avec des pensions indignes.
Rien de concret pour la promotion des labels, alors qu’ils constituent autant de signes de distinction de nature à encourager les productions de qualité.
Rien de concret pour aider nos terroirs à améliorer leur image, alors même que la compétitivité de notre agriculture – vous en avez parlé cet après-midi – se joue aussi là-dessus, notamment au regard de la concurrence européenne et internationale.
Rien de véritablement concret sur le bio, qui, s’il ne constitue pas à lui seul la solution à tous les maux, n’en est pas moins une piste stratégique pour l’avenir.
Rien de concret sur la formation, la recherche, l’innovation : comme si l’agriculture française n’était pas, aussi, un secteur de pointe !
Rien de concret, enfin, sur la transparence de la chaîne de commercialisation et du processus de formation des prix, alors que c’est la clé pour permettre aux agriculteurs d’avoir des revenus décents sans accroître le coût de leurs produits pour le consommateur final : comme si l’on craignait de prendre des mesures fortes qui pourraient viser directement la grande distribution !
Bien sûr, nous avons vu la belle opération de communication organisée hier autour du Président de la République. Or, ce que nous demandons au Président, c’est non pas de communiquer, mais d’agir ! Et le seul résultat de la réunion d’hier, ce sont de belles déclarations d’intention, un résultat a minima qui ne changera pas la donne et ne leurrera pas les producteurs, lesquels l’ont d’ailleurs déjà fait savoir.
En outre, et c’est peut-être le plus inquiétant, aucune vision stratégique ne se dégage sur le futur de notre agriculture à long terme, aucune perspective n’est tracée sur l’avenir de la politique agricole commune, sur l’action possible de la France aux niveaux européen et international, alors que tout le monde sait bien que c’est là, d’abord, que tout se joue et que c’est là, demain, qu’il faudra faire entendre notre voix, au moment où la renégociation de la PAC pourrait conduire à « renationaliser » encore davantage cette politique et à amputer son budget de 40 %.
Monsieur le président, mes chers collègues, en un mot comme en mille, faute d’ambition politique et faute de volonté d’action, ce texte manque sa cible.
La régulation de notre agriculture est abandonnée entre les seules mains d’acteurs privés, sans dispositif permettant de rétablir de l’égalité entre des parties inégales. L’État se désengage d’un secteur qui, pourtant, autant que d’autres, a besoin d’une vision stratégique et d’une action publique lisible à long terme.
La France a cessé de porter un message fort sur la nécessaire harmonisation fiscale et sociale en Europe, seul instrument qui nous permettrait de lutter contre les distorsions de concurrence préjudiciables à notre agriculture.
Monsieur le ministre, vous passez à côté de nombreux chantiers d’avenir pour l’agriculture française : la qualité, la durabilité, les circuits courts, les terroirs.
Notre agriculture est riche d’un passé au cours duquel elle a relevé le défi de nous nourrir. Elle doit être riche aussi d’un avenir, car elle a tous les atouts pour entrer dans le monde de demain.
Il nous faut sortir de la crise par le haut, en nous fondant sur nos terroirs, sur nos pratiques, sur la qualité de nos produits pour nous projeter vers l’avenir.
Ce projet de loi nous paraît décidément timoré. Puisqu’il n’apporte pas les solutions nécessaires, il faut peut-être le retravailler et élaborer un texte qui réponde enfin aux grands défis que j’ai évoqués. C’est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je vous propose d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Les auteurs de la motion qui vient d’être présentée par le président Jean-Pierre Bel mentionnent avec raison la gravité de la crise que traversent l’agriculture et la pêche en France. Mais ils recommandent, dans le même temps, l’arrêt immédiat de la discussion du projet de loi alors que l’élaboration d’un nouveau texte prendrait nécessairement de nombreux mois et retarderait d’autant l’apport de solutions aux difficultés rencontrées par les agriculteurs.
La commission a modifié ce projet de loi et l’examen en séance publique permettra d’apporter encore à ce dernier, nous n’en doutons pas, de nombreuses améliorations.
Mon cher collègue, je ne peux donc qu’être défavorable à l’adoption d’une motion qui mettrait fin à la discussion de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai au président Bel avec la même courtoisie qu’aux autres sénateurs, courtoisie dont il bien voulu me créditer, mais aussi avec la même fermeté.
Sur le constat, on ne peut évidemment qu’être d’accord : situation dramatique de l’agriculture française, crise économique et, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, crise morale.
Monsieur Bel, vous l’imaginez bien, mes fonctions me conduisent à me rendre sur une exploitation agricole une fois tous les deux ou trois jours. Autrement dit, je suis perpétuellement en discussion avec les agriculteurs, et encore tout à l’heure, lors de la suspension de nos travaux, j’ai rencontré ceux d’entre eux qui assistent à la séance, je les ai les interrogés sur la façon dont ils perçoivent la situation et sur leur sentiment quant à la capacité du projet de loi à améliorer la situation. Bref, je ne cesse d’écouter leur détresse et de m’enquérir des solutions qu’ils attendent du Gouvernement.
Je tiens à rétablir un certain nombre de faits.
S’agissant de la production laitière, ne laissons pas dire que la production ne cesse de se détériorer et que la situation sur le terrain va de mal en pis, car ce n’est pas vrai. La vérité, et vous pourrez le constater en examinant les faits, c’est que la situation s’améliore doucement. Je ne vous dis pas qu’elle est idéale, mais simplement qu’il faut regarder précisément ce qui s’est passé.
En 2009, une crise laitière dramatique a abouti à faire baisser le revenu des producteurs de lait de 54 %. Cette baisse a été consécutive à la conjonction de phénomènes qui ont frappé tous les pays européens et qui dépassent de loin la France. Ces phénomènes, vous les connaissez : une surproduction de lait de 3 % en Nouvelle-Zélande et une baisse de la consommation en Chine à cause de la crise de la mélamine ont provoqué l’effondrement des cours du lait.
Quel État a exigé de la Commission européenne que soient débloqués des moyens d’intervention pour faire remonter les cours ? La France.
Quel État a obtenu que 300 millions d’euros soient mis sur la table, même si ce versement est intervenu trop tardivement, car la réaction européenne a été, comme souvent, beaucoup trop lente ? La France.
Qui a pris la tête du mouvement visant à rétablir les cours du lait en Europe, obtenant ainsi une remontée de ces derniers ? C’est la France ! C’est le gouvernement de François Fillon, sous la direction du Président de la République. Au moment où je vous parle, le cours du lait a atteint 300 euros la tonne, alors qu’il était à 230 euros il y a encore huit mois ; là aussi, ce sont des faits !
Encore une fois, je ne prétends pas que la situation est idyllique, je dis simplement qu’elle n’est pas si dramatique que cela, qu’il ne faut pas noircir le tableau et qu’il faut aussi mesurer les efforts qui ont été accomplis par le gouvernement français. Si nous n’étions pas intervenus, il ne se serait rien passé !
M. Jean-Jacques Mirassou. Forcément ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Martial Bourquin. Vous êtes là pour ça, monsieur le ministre !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je dis bien : rien ! Et vous le savez aussi bien que moi.
Je tiens également à préciser que, pour ma part, je ne me satisfais pas de la situation actuelle.
Bien sûr, les cours remontent et les perspectives paraissent plutôt positives pour la production laitière en 2010, mais il me semble que c’est justement le moment adéquat pour sécuriser le revenu des producteurs de lait, mettre en place des contrats, renforcer le pouvoir des producteurs de manière générale.
C’est le moment de demander la modification du droit de la concurrence européen pour que l’on ne soit plus obligé de restreindre à 300 ou 400 producteurs la capacité de négociation face à des industriels comme Lactalis ou Danone et pour que les fournisseurs soient tous capables de négocier seuls avec l’industriel concerné. C’est bien le travail que nous engageons.
Ce n’est pas parce que la situation s’améliore qu’il faut renoncer à introduire des changements ; c’est au contraire à ce moment précis qu’il faut engager les réformes, et c’est ce que nous essayons de faire.
S’agissant des quotas laitiers, je développerai deux idées qui vont peut-être vous surprendre, mais qui s’appuient également sur des faits.
C’est en 1999, je le rappelle, que l’Union européenne a pris la décision d’abandonner les quotas. Mon prédécesseur de l’époque, M. Jean Glavany – et je rends ici justice au parti socialiste –, avait défendu l’idée du maintien des quotas. Mais il a été battu !
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Du reste, je dois vous le dire, j’assume totalement le fait que nous abandonnions les quotas laitiers ; et je n’ai pas l’habitude de me cacher derrière mon petit doigt quand j’assume une décision ! En effet, les quotas laitiers, nous les avons connus… et nous avons subi la crise laitière la plus grave en dix ans ! C’est bien la preuve que les quotas ne constituent pas la réponse au problème de la production laitière en Europe.
J’assume également cette décision parce que l’Européen convaincu que je suis ne pense pas que les quotas soient défendables auprès des autres pays de l’Union. Allez donc expliquer aux Suédois qu’ils n’ont pas le droit de produire plus de 1 000 ou 2 000 Saab par an sous prétexte que leur pays est moins peuplé que d’autres ! Or c’est la logique des quotas : vous êtes un petit pays, vous produisez peu de lait ; vous êtes un grand pays, vous produisez beaucoup de lait.
Une telle argumentation est indéfendable aujourd’hui en Europe. Si le ministre de l’agriculture s’était amusé à faire preuve de populisme en disant qu’il allait continuer à défendre les quotas laitiers, il aurait certainement été plus populaire, mais il aurait tout aussi certainement été battu ! Je préfère défendre la régulation du marché du lait, l’application de nouveaux instruments rendant possible des évolutions, que rester attaché à des instruments anciens comme les quotas laitiers.
Monsieur Bel, vous regrettez que le projet de loi ne propose pas d’outils nouveaux. Permettez-moi de vous dire que votre argumentation est un peu contradictoire ! En effet, vous reprochez à la fois à ce projet à la fois d’aller trop loin sur certains sujets, d’être trop audacieux, et de ne pas fournir d’outils nouveaux et concrets !
Je ne dresserai pas ici la liste de tous ceux que le projet contient, mais permettez-moi d’en citer quelques-uns. La réassurance publique, c’est nouveau et c’est concret ! Tous les gouvernements, droite et gauche confondues, ont voulu mettre sur pied la réassurance publique dans l’agriculture ; aucun n’y est parvenu. J’espère sincèrement que vous voterez la disposition qui s’y rapporte, car cette mesure me paraît dépasser de loin les clivages entre droite et gauche.
Par ailleurs, je suis évidemment favorable à la taxation de la spéculation foncière – c’est concret ! – et je souhaite que le produit de cette taxe soit affecté à l’installation des jeunes agriculteurs, sujet dont vous vous souciez raison, monsieur Bel.
Les contrats systématiques, l’assurance forêt, la réduction des marges en période de crise, la suppression des remises, rabais et ristournes : autant de mesures concrètes ! La modification des règles du code des marchés publics pour favoriser les circuits – c’est d’ailleurs une proposition que le groupe socialiste a faite et que je soutiens totalement –, c’est encore une disposition très concrète !
Sur le bio non plus, on ne peut pas dire que nous ne faisons rien ! Chaque jour, en France, grâce aux mesures fiscales mises en place par le Gouvernement, ce sont dix nouvelles installations en bio qu’on enregistre. La filière connaît une ascension fulgurante, même si elle continue de ne représenter qu’une part très marginale de la production.
Tout cela – et je pourrais multiplier les exemples dans le même sens – pour vous dire que ce projet de loi peut se voir opposer tous les reproches possibles, sauf celui de manquer de dispositions concrètes !
Quant à la philosophie générale que nous défendons au travers de ce texte, croyez-le bien, elle n’est en rien celle de la libéralisation et de la dérégulation ; telle n’est d’ailleurs pas ma vision de l’action politique. Ce que nous prônons, c’est la responsabilité : celle de l’État, au travers du mécanisme de la réassurance publique et de la possibilité qui lui est offerte d’être assureur en dernier recours ; celle des agriculteurs, pour qu’ils se dotent des instruments leur permettant de faire face à la crise.
Sur l’alimentation, je rejoins vos propos. Nous avons fixé un cadre général et annoncé une politique publique de l’alimentation. Toutes les propositions de nature à en favoriser la mise en place seront les bienvenues.
J’en viens maintenant aux perspectives de long terme et aux négociations internationales. Bien entendu, celles-ci sortent du cadre du présent projet de loi puisqu’elles se jouent à une autre échelle et en d’autres lieux. Mais je tiens tout de même, là aussi, à rappeler certains faits.
La Commission européenne a déposé au mois de novembre dernier un projet de texte visant à réduire de 40 % le budget de la politique agricole commune. Quel est l’État qui a su réagir, rassembler ses partenaires et lancer, dès le mois de décembre, l’Appel de Paris pour refuser une telle réduction ? C’est la France ! Voilà des faits tangibles, et non des affirmations en l’air !
Le gouvernement français a fait de même sur la régulation européenne des marchés agricoles. Lorsque j’en ai parlé en août, tous mes homologues m’ont regardé comme si j’étais un martien prônant un retour à l’orthodoxie marxiste ! (Sourires.) Or que constatons-nous aujourd'hui ? Le commissaire européen Dacian Cioloş prépare un projet de texte européen intitulé « Régulation européenne du marché du lait ». Voilà donc que ce terme de « régulation », encore tabou il y a six mois à peine, commence à se diffuser au sein des autres États européens… Certes, je le reconnais, la bataille n’est pas encore gagnée, mais il faut continuer de la livrer, même si les résistances sont très fortes.
Au fond, deux modèles totalement différents s’affrontent en Europe, et je peux vous garantir que nous ne sommes pas du côté des tenants la libéralisation à outrance et la dérégulation. À entendre nos partenaires européens du Nord et de Grande-Bretagne, nous sommes au contraire perçus comme ceux qui défendent – sans doute trop à leurs yeux – la régulation et le retour à des règles de marché plus raisonnables.
Je conclurai par quelques faits, là encore, concernant l’action de la France dans les négociations à l’échelle mondiale.
Qui s’est opposé à la reprise des négociations commerciales entre l'Union européenne et le MERCOSUR ? C’est nous !
Qui a proposé, pour la première fois, de réunir les ministres de l’agriculture des pays du G20 pour introduire une certaine régulation sur le cours des matières premières ? C’est encore nous !
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous demande de rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable. Je le répète, il aborde ce débat dans un esprit d’ouverture totale : toutes les propositions qui permettront de compléter ce projet et de l’améliorer seront les bienvenues ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. En présentant la motion tendant à opposer la question préalable, notre collègue Jean-Pierre Bel a largement souligné les insuffisances, les lacunes et les effets pervers potentiels du projet de loi.
En effet, tout le monde l’a souligné, le monde agricole connaît des difficultés structurelles ; de notre point de vue, le présent texte, en l’état actuel, ne permettra pas de les résoudre.
Les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs le savent, c’est tout un système qu’il est nécessaire de repenser. Fondamentalement, il est plus qu’urgent de soustraire le secteur agricole aux règles de la concurrence libre et non faussée.
Lors des débats au sein de la commission de l'économie, la majorité des sénateurs qui se sont exprimés était d’accord pour défendre aux niveaux européen et international l’utilité des outils de régulation et la nécessité de garantir un revenu agricole.
Pourtant, sous la présidence française de l’Union européenne, le 20 novembre 2008, un accord politique sur le bilan de santé de la politique agricole commune a été conclu par les ministres européens de l’agriculture. Or cet accord va dans un tout autre sens.
La réforme de la PAC soutenue par les députés européens de droite et par les gouvernements s’inscrit dans une logique de dérégulation de la production et des marchés. L’Union européenne s’est engagée, rappelons-le, à ouvrir de plus en plus largement le marché européen.
Lors d’un déplacement au Brésil que j’ai effectué il n’y a pas si longtemps avec plusieurs de mes collègues de la commission, nos interlocuteurs sur place nous l’ont dit très clairement : « Arrêtez et laissez-nous le champ libre ! Pourquoi donc continuez-vous à avoir un secteur agricole ? » (M. le ministre le confirme.)
Le bilan de santé de la politique agricole commune signe l’abandon des outils de régulation du marché. De plus, le démantèlement des OCM, les organisations communes des marchés – et le cas de l’OCM viti-vinicole est significatif – ne laisse rien présager de bon.
Voilà, très brièvement résumée, l’analyse faite par notre groupe.
Par ailleurs, nous nous réjouissons des déclarations de nos collègues sénateurs de la majorité en commission et nous espérons qu’ils soutiendront une position conforme à leurs déclarations.
Nous pensons que le projet de loi ne tire aucun enseignement de la crise et de ses causes. L’agriculture souffre d’une sous-rémunération du travail paysan, car les prix ne couvrent pas les coûts de production. Face à cela, le Gouvernement se propose d’observer et de contractualiser. Or cette possibilité de contractualisation existe déjà dans la loi, y compris avec la fixation d’un prix plancher, mais elle n’a jamais été appliquée par l’interprofession et par le Gouvernement. De surcroît, elle ne suffira pas à infléchir le déséquilibre des relations commerciales. À ce jour, la concentration et la restructuration de l’offre n’ont pas réglé la question des prix agricoles.
L’agriculture souffre aussi des pertes économiques importantes liées aux aléas climatiques, qui nécessiteraient une politique publique de grande ampleur, centrée sur la solidarité. La mise en place d’un marché du risque exclut de fait les agriculteurs qui n’auront pas les moyens de payer, notamment lorsque les primes d’assurance seront trop importantes. Ce n’est pas acceptable !
Pour ce qui est de la forêt, disons pour faire bref que sa marchandisation, telle qu’elle est prévue, induit la mise en danger de la biodiversité et montre à quel point le Gouvernement a en permanence la volonté de soumettre tous les secteurs à la loi du marché.
Mon collègue Gérard Le Cam l’a dit tout à l’heure, ce projet de loi porte bien mal son titre, car il n’induit aucune modernisation. Il n’est pas à la hauteur des enjeux pour construire l’agriculture du xxie siècle.
La France doit promouvoir avec courage, pour l’après-2013, une réforme de la politique agricole commune fondée sur la souveraineté alimentaire et la préférence communautaire, dans le cadre d’un développement économique, agronomique et écologique. Il incombe à l’Europe de fixer des objectifs de rémunération du travail paysan et de développement de l’emploi. L’urgence est là pour les agriculteurs, et notre responsabilité est d’y répondre avec détermination.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en présentant la motion tendant à opposer la question préalable, le président de notre groupe a dressé l’inventaire de nos préoccupations quant aux problèmes que rencontre aujourd’hui le monde agricole.
Monsieur le ministre, après vous avoir écouté cet après-midi et ce soir, nous ne sommes pas loin, c’est vrai, de faire nôtres plusieurs de vos affirmations et même de partager, dans une certaine mesure, votre vision de l’agriculture. (Marques de satisfaction sur plusieurs travées de l’UMP – M. Jacques Blanc applaudit.)
M. Didier Guillaume. Attendez !
Mme Odette Herviaux. Cependant, à y regarder de plus près, on note une distorsion entre vos propos et le contenu du texte lui-même. C’est d’ailleurs ce qui a motivé le dépôt de cette motion.
Il y a certes les grandes idées et les principes que nous pouvons partager. Mais il y a aussi la dure réalité d’un texte qui, pour nous, ne va pas assez loin dans un grand nombre de domaines.
Disant cela, je ne remets bien entendu pas en cause le travail de la commission et des rapporteurs, lesquels ont mené de nombreuses auditions. De notre côté, nous avons aussi rencontré beaucoup de monde, mais nous n’avons pas forcément entendu les mêmes analyses.
L’un de mes collègues a tout à l’heure parlé de précipitation. C’est vrai : la procédure accélérée a été engagée sur ce projet de loi alors même qu’on en entendait parler depuis un certain temps déjà… L’urgence est telle que nous allons devoir en débattre en nous « faufilant » dans les interstices de notre ordre du jour de cette semaine et de la semaine prochaine, bref, travailler en pointillé. Or, il avait été question, au départ, d’examiner ce texte au mois de juillet, ce qui nous aurait donné un peu de temps pour approfondir la réflexion
Cela étant, monsieur le ministre, notre principale interrogation est ailleurs. Vous nous dites que vous allez vous battre pour défendre, à Bruxelles, les orientations – contractualisation, système assurantiel – fixées dans ce texte et qu’elles feront vraisemblablement partie de la future PAC.
Était-il alors opportun d’inscrire de telles notions dans une loi nationale avant que Bruxelles n’ait indiqué comment elle les entendait ? Ne serons-nous pas obligés de revenir sur ce texte ou d’en examiner un autre en vue de procéder aux adaptations nécessaires en fonction de ce qui ressortira du débat sur la future PAC ?
Vous avez par ailleurs évoqué les quotas laitiers et l’action qu’avait menée à cet égard, lorsqu’il occupait les fonctions qui sont aujourd'hui les vôtres, notre ami Jean Glavany. C’est vrai, bien qu’il se soit beaucoup battu au sein des instances communautaires, il n’a pas réussi à rassembler une majorité autour de lui. Mais j’aurais aimé que d’autres avant vous se battent de la même manière !
Je dirai enfin un mot sur les contrats. Les premiers à avoir vu le jour, ce sont bien sûr ceux qui ont fondé la coopération. Mais il y a eu aussi ces contrats passés entre les agriculteurs et la société qu’étaient les fameux CTE, et qui ont été mis en place par la gauche.
Tels sont, monsieur le ministre, les éléments de réponse que je souhaitais apporter à votre intervention.
J’invite en tout cas mes collègues à voter avec nous cette motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour explication de vote.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel débat surréaliste !
M. Didier Guillaume. Hyperréaliste, plutôt !
M. Jacques Blanc. Tout le monde l’a dit, nos agriculteurs vivent dans l’angoisse et attendent des réponses. Et Dieu sait si chacun d’entre nous, quelle que soit notre sensibilité politique, est conscient de la réalité du problème ! Or qu’est-ce qui nous est ici proposé par nos collègues du groupe socialiste ? Rien d’autre que de renvoyer le débat !
Excusez-moi de le souligner, monsieur le président Bel, mais, j’ai eu beau écouter attentivement, je n’ai pas entendu de la part du groupe socialiste une seule proposition concrète de substitution ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Vous n’avez pas bien écouté !
M. Jacques Blanc. Puisqu’il a été question du rôle de Bruxelles, je rappellerai ce que tout le monde sait : à partir du moment où l’on a voulu une Europe des États, le jeu fait que l’on ne peut pas tout imposer d’un coup.
Monsieur le ministre, je suis très admiratif de ce que vous avez d'ores et déjà accompli à Bruxelles. Pour connaître un peu le fonctionnement des institutions communautaires, je prétends qu’il était tout sauf évident d’obtenir l’accord de vingt-deux pays pour demander une régulation !
Il m’a été reproché tout à l’heure d’avoir fait référence au ministre socialiste de l’époque, à savoir Jean Glavany. Mais je n’ai jamais dit c’était sa faute si l’on avait renoncé aux quotas ! J’ai simplement souligné le fait que c’était sous un gouvernement de gauche que le principe de la suppression des quotas avait été adopté par l’Union !
M. Didier Guillaume. Par les gouvernements libéraux européens, et contre l’avis du gouvernement français !
M. Jacques Blanc. Cela s’est décidé à la majorité ! Pour avoir présidé le Comité des régions de l’Union européenne, je peux vous dire que les réactions des différents gouvernements à Bruxelles sont souvent surprenantes. Sur des problèmes tels que la régulation ou l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, croyez bien que les gouvernements socialistes défendent des positions plus libérales que les nôtres !
Mes chers collègues, ne faisons donc pas de procès d’intention. D’ailleurs, les agriculteurs méritent mieux que de faux débats entre nous !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Ça, c’est sûr !
M. Jacques Blanc. C’est donc pour eux que nous devons nous mettre immédiatement au travail.
Le texte a été préparé par le Gouvernement, puis amélioré en commission. À nous, lors du débat en séance publique, de l’enrichir encore davantage !
Alors, de grâce, ne rejouons pas le film Courage fuyons ! Il s’agit non de fuir, mais d’appréhender objectivement les instruments que nous proposent à la fois le Gouvernement et la commission pour répondre au drame que vivent nos agriculteurs.
Tous ensemble, trouvons et dégageons des solutions ! Du reste, je pense que, si nous montrons ici que nous voulons travailler dans cet esprit, l’action du ministre à Bruxelles s’en trouvera facilitée.
J’ai cru, madame Herviaux, vous entendre suggérer d’attendre la réforme de la politique agricole commune. Mais cela va prendre du temps, vous le savez très bien, quelle que soit la qualité de l’action du gouvernement français ! Il me paraît beaucoup plus intelligent et efficace de commencer par voter le texte, puis d’épauler l’action du Gouvernement devant le Parlement européen, puisque ce dernier aura son mot à dire via le Comité des régions, dont les avis pourront faire progresser dans l’Union la conception de l’agriculture que défend la France, et sur laquelle nous pouvons nous rassembler : une agriculture reposant notamment sur des exploitations familiales et des spécificités liées aux territoires.
Vraiment, mes chers collègues, travaillons sérieusement et ne renvoyons pas à demain ce qu’on peut faire le jour même ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 86, tendant à opposer la question préalable, et dont l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement demandent le rejet de cette motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 200 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Nous passons donc à la discussion des articles.
Article additionnel avant le titre Ier
M. le président. L'amendement n° 87, présenté par MM. S. Larcher, Gillot, Patient, Antoinette, Lise et Tuheiava, Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni et Bérit-Débat, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Bourquin, Chastan, Courteau, Daunis, Fauconnier, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur et Teston, Mme Bourzai et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche spécifique à l’outre-mer est déposé devant le Parlement dans un délai d'un an à compter de la publication de la présente loi.
La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Cet amendement est la reprise d’une proposition qui faisait consensus. En octobre 2005, M. Dominique Bussereau, répondant devant l’Assemblée nationale à mon collègue Victorin Lurel au cours du débat sur la loi d’orientation agricole, se disait prêt à évoquer un projet de loi spécifique sur l’agriculture et la pêche avec son collègue de l’outre-mer et le Premier ministre. Ce consensus semblait d’autant plus affirmé sur ce point que le texte de 2005 ne contenait aucun levier de développement et que les quelques mesures proposées étaient largement insuffisantes pour traiter les difficultés de l’agriculture ultramarine.
Dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui, la plupart des dispositifs ne s’appliquent pas en l’état aux outre-mer. C’est ce qui ressort de l’étude d’impact adossée à ce projet de loi, qui indique par ailleurs pour l’outre-mer, et à chaque chapitre, les mesures spécifiques à prendre.
J’aurais préféré, monsieur le ministre, retrouver dans ce projet de loi les dispositions préconisées tant par l’étude d’impact que par le rapport de la mission sénatoriale ou encore par le conseil interministériel de l’outre-mer qui s’est tenu le 6 novembre 2009. Mais, une nouvelle fois, le Gouvernement a choisi de procéder, pour nos régions, par voie d’ordonnance.
Je ne peux donc que m’associer au rapporteur du texte quand il regrette que, « une fois encore, le Gouvernement utilise la procédure des ordonnances pour traiter les questions relatives à l’outre-mer, procédure qui, dans les faits, dessaisit le Parlement de ses pouvoirs ».
Je demande donc que, à défaut d’intégrer l’outre-mer dans ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche en France, le Gouvernement dépose un projet de loi spécifique à l’outre-mer en matière d’agriculture et de pêche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Non, monsieur Gillot, l’outre-mer n’est pas oublié dans le présent projet de loi. En effet, certaines dispositions, comme celles qui sont relatives aux contrats, aux organisations de producteurs, à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, s’appliquent de plein droit à l’outre-mer.
Par ailleurs, la politique de l’alimentation est une politique nationale qui concerne tous les territoires de la République, y compris donc les territoires ultramarins.
En outre, l’article 24 prévoit d’adapter par ordonnance certaines dispositions de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, en particulier celles qui sont relatives au foncier agricole.
Enfin, sur la forme, le Parlement ne peut, conformément à une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, enjoindre au Gouvernement de déposer un projet de loi.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Gillot, le développement de l’agriculture outre-mer est effectivement une question majeure, je l’ai rappelé tout à l’heure dans ma présentation.
Pour autant, le Gouvernement estime que cet amendement n’a pas d’objet à partir du moment où un titre spécifique à l’outre-mer figure dans le projet de loi et où les mesures définies le 6 novembre dernier y seront intégrées. Il nous faut toutefois, pour cela, consulter préalablement les collectivités concernées.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous procédons par ordonnance. Il n’en demeure pas moins que le développement de l’agriculture outre-mer est un enjeu majeur et qu’il sera traité en tant que tel.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 87.
(L'amendement n'est pas adopté.)
TITRE Ier
DÉFINIR ET METTRE EN ŒUVRE UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE L’ALIMENTATION
Article 1er
I. – Le livre II du code rural est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Alimentation, santé publique vétérinaire et protection des végétaux » ;
2° L’intitulé du titre III est ainsi rédigé : « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments » ;
3° Avant le chapitre 1er du titre III, il est ajouté un chapitre préliminaire ainsi rédigé :
« Chapitre préliminaire
« La politique de l’alimentation
« Art. L. 230-1. – La politique de l’alimentation vise à assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produite dans des conditions durables. Elle vise ainsi à offrir à chacun les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé.
« La politique de l’alimentation est définie par le Gouvernement dans un programme national pour l’alimentation après avis du conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. Le Conseil national de l’alimentation est associé à l’élaboration de ce programme et contribue au suivi de sa mise en œuvre. Il est rendu compte tous les trois ans au Parlement de l’action du Gouvernement dans ce domaine.
« Le programme national pour l’alimentation prévoit les actions à mettre en œuvre dans les domaines suivants :
« - la sécurité alimentaire, l’accès pour tous, en particulier les populations les plus démunies, à une alimentation en quantité et qualité adaptées ;
« - la sécurité sanitaire des produits agricoles et des aliments ;
« - la santé animale et la santé des végétaux susceptibles d’être consommés par l’homme ou l’animal ;
« - l’éducation et l’information notamment en matière d’équilibre et de diversité alimentaires, de règles d’hygiène, de connaissance des produits, de leur saisonnalité et de l’origine des matières premières agricoles ainsi que des modes de production, de l’impact des activités agricoles sur l’environnement ;
« - la loyauté des allégations commerciales et les règles d’information du consommateur ;
« - la qualité gustative et nutritionnelle des produits agricoles et de l’offre alimentaire ;
« - les modes de production et de distribution des produits agricoles et alimentaires respectueux de l’environnement et limitant le gaspillage ;
« - le respect des terroirs par le développement de filières courtes ;
« - le patrimoine alimentaire et culinaire français.
« Art. L. 230-2. – L’autorité administrative compétente de l’État peut, afin de disposer des éléments nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre de sa politique de l’alimentation, imposer aux producteurs, transformateurs et distributeurs de produits alimentaires, quelle que soit leur forme juridique, la transmission de données de nature technique, économique ou socio-économique relatives à la production, à la transformation, à la commercialisation et à la consommation de ces produits.
« Un décret en Conseil d’État précise la nature de ces données et les conditions de leur transmission.
« Art. L. 230-3. – Les gestionnaires des services de restauration scolaire et universitaire publics et privés sont tenus de respecter des règles relatives à la qualité nutritionnelle des repas qu’ils proposent déterminées par décret.
« Les agents mentionnés aux 1° à 7° et au 9° du I de l’article L. 231-2 et, dans les conditions prévues par l’article L. 1435-7 du code de la santé publique, les médecins inspecteurs de santé publique, les ingénieurs du génie sanitaire, les ingénieurs d’études sanitaires et les techniciens sanitaires, les inspecteurs et les contrôleurs des agences régionales de santé veillent au respect des obligations fixées en application du présent article. Ils disposent à cet effet des pouvoirs d’enquête prévus au premier alinéa de l’article L. 218-1 du code de la consommation.
« Lorsqu’un agent mentionné à l’alinéa précédent constate dans un service de restauration scolaire ou universitaire la méconnaissance des règles relatives à la nutrition mentionnées au premier alinéa, l’autorité administrative compétente de l’État met en demeure le gestionnaire du service de restauration scolaire ou universitaire concerné de respecter ces dispositions dans un délai déterminé. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas déféré à la mise en demeure, cette autorité peut :
« 1° Ordonner au gestionnaire la réalisation d’actions de formation du personnel du service concerné ;
« 2° Imposer l’affichage dans l’établissement scolaire ou universitaire des résultats des contrôles diligentés par l’État.
« Lorsque le service relève de la compétence d’une collectivité territoriale, d’un établissement public, d’une association gestionnaire ou d’une autre personne responsable d’un établissement d’enseignement privé, l’autorité compétente de l’État informe ces derniers des résultats des contrôles, de la mise en demeure et, le cas échéant, des mesures qu’il a ordonnées.
« Un décret en Conseil d’État précise la procédure selon laquelle sont prises les décisions prévues au présent article.
« Art. L. 230-4. – L’aide alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux plus démunis. Cette aide est apportée tant par l’Union européenne que par des personnes publiques et privées.
« Seules des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé habilitées par l’autorité administrative peuvent recevoir des contributions publiques destinées à la mise en œuvre de l’aide alimentaire.
« Des décrets fixent les modalités d’application du présent article, notamment les conditions auxquelles doivent satisfaire les personnes morales de droit privé ; ces conditions doivent permettre de garantir la fourniture de l’aide alimentaire sur une partie suffisante du territoire et sa distribution auprès de tous les bénéficiaires potentiels, d’assurer la traçabilité physique et comptable des denrées et de respecter de bonnes pratiques d’hygiène relatives au transport, au stockage et à la mise à disposition des denrées. »
II. -Au chapitre Ier du titre IV du livre V du code de la consommation, il est inséré un article L. 541-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 541-1. – La politique de l’alimentation est définie à l’article L. 230-1 du code rural. »
III. – Au début du livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique, il est ajouté un article L. 3231-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3231-1-1. – La politique de l’alimentation est définie à l’article L. 230-1 du code rural. »
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, sur l’article.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre Ier de ce texte vise à définir et à mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation. C’est un projet ambitieux, qui pouvait laisser augurer de grandes avancées en matière de santé publique.
En effet, avec la dégradation des pratiques alimentaires et toutes leurs conséquences, il semblait indispensable que les pouvoirs publics se saisissent concrètement de cette question pour y apporter des réponses.
Très investie sur ce sujet, j’attendais beaucoup de ce texte. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur de mes espérances.
Pourtant, on trouve dans ce titre Ier des dispositions importantes. Je pense notamment à celles qui tendent à assurer une aide alimentaire aux plus démunis, à améliorer la qualité de nos aliments ou encore à promouvoir l’éducation nutritionnelle.
Le problème qui se pose porte donc non sur le fond, mais sur les moyens réels qui devraient être mis en œuvre pour atteindre ces objectifs.
C’est ainsi qu’il est proposé de renforcer le contrôle des repas servis dans la restauration scolaire afin que soient respectées des règles nutritionnelles. Très bien ! Mais vous ne proposez rien pour permettre aux collectivités en charge de ces questions d’améliorer la qualité des aliments qu’elles achètent.
Vous proposez aussi qu’il soit possible d’imposer aux producteurs transformateurs et distributeurs la transmission de données techniques ou économiques relatives à leurs activités. Mais rien n’indique que ce contrôle pourra donner lieu à des sanctions en cas non-respect des obligations en question.
En l’état, ce texte n’est qu’un ensemble de recommandations et de préconisations très générales, qui ne précisent ni les moyens dégagés pour atteindre les objectifs affichés ni les sanctions effectivement mises en place en cas de manquement à certaines règles.
Cette politique publique de l’alimentation est donc, malheureusement, beaucoup trop vague !
C’est très décevant, car il est aujourd’hui essentiel que les pouvoirs publics mettent en place des mesures claires et concrètes favorisant l’accès à une nourriture de qualité pour tous.
Vous le savez, les enjeux d’une politique de l’alimentation sont des enjeux majeurs, à commencer par celui de la santé. En effet, les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle ou encore le diabète ont, bien souvent, pour origine une alimentation déséquilibrée et de mauvaise qualité. L’obésité se développe aussi de façon très inquiétante et touche particulièrement les plus jeunes et les catégories sociales les moins favorisées.
Il apparaît donc indispensable que des mesures claires et normatives, avec des moyens bien précisés, soient prises pour lutter contre la dégradation des pratiques alimentaires, parallèlement à la mise en place d’une véritable éducation nutritionnelle, à destination des enfants comme des adultes. De simples recommandations ne suffiront pas !
Le groupe socialiste reviendra, tout au long de l’examen de l’article 1er, sur cette nécessité par le biais de nombreuses propositions.
Alors que vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’il nous fallait une alimentation « sûre et saine », je veux vous interpeller sur une problématique totalement occultée dans ce projet de loi, celle de l’utilisation des pesticides.
Nous savons tous que les pesticides comportent des risques pour les agriculteurs utilisateurs, les consommateurs et l’environnement. Or la France est le troisième consommateur de pesticide d’Europe, avec 5,4 kilogrammes par hectare et par an. Ce constat est très alarmant quand on connaît l’incidence de l’utilisation des pesticides sur le développement de certaines pathologies : problèmes neurologiques, stérilité, cancers ou maladie de Parkinson.
Il aurait donc été indispensable que la question des pesticides soit abordée dans ce texte, en lien avec la mise en place d’une politique de l’alimentation « saine, sûre et de qualité ».
Mais, derrière cette question, il y a celle de l’industrialisation massive de l’agriculture, qui conduit trop souvent à substituer la quantité à la qualité. Il nous faut donc promouvoir une politique agricole alternative, dans laquelle la qualité des aliments, le respect de nos terroirs et la promotion des filières courtes soient autant de priorités. Nous ne pouvons plus nous en tenir à des considérations d’abord économiques.
À cet égard, je suis extrêmement étonnée de constater que ce titre Ier n’aborde ni la question du mode de production ni celle de la juste rémunération des agriculteurs. Comment mener une politique de l’alimentation favorisant la consommation de produits de qualité si nous ne donnons pas la possibilité aux agriculteurs de vivre décemment de leur activité ? En effet, dans sa rédaction actuelle, le texte n’interdit pas de mener cette politique avec des produits importés, au détriment des agriculteurs français.
Pour conclure, je dirai que la politique publique de l’alimentation qui nous est proposée n’est pas à la hauteur des enjeux fondamentaux - économiques, environnementaux et de santé publique – qu’elle soulève. Je redoute que la politique de l’alimentation qui est ici affichée ne relève, une fois de plus, que de l’effet d’annonce et ne contribue finalement à pérenniser un système libéral, destructeur à plusieurs titres.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.
M. Didier Guillaume. Je me permettrai d’abord de rappeler à notre collègue Jacques Blanc un vieux dicton que ma grand-mère répétait souvent : « Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage ». Car, mon cher collègue, dans vos propos, vous avez manqué d’objectivité et vous avez même fait preuve de dogmatisme. Les reproches que vous avez adressés au président de notre groupe, Jean-Pierre Bel, n’étaient pas fondés : non seulement il a rappelé, dans son intervention, beaucoup de nos propositions, mais notre motion n’avait nullement pour objet de repousser je ne sais quelle échéance ; il s’agissait d’inviter à pousser plus loin la réflexion, de façon à faire émerger un texte plus riche que celui qui nous est présentement soumis.
J’en viens à l’article 1er. Nous l’avons dit lors de la discussion générale, et le président Bel l’a répété tout à l'heure, faire figurer la politique de l’alimentation en tête de ce projet de loi est une bonne chose. Nous avons toutefois déposé des amendements pour améliorer le contenu de cet article.
Cette loi est censée bouleverser l’avenir. Nous ne pouvons que saluer cette nouvelle volonté qui est affichée de lier notre bien-être, au sens physique du terme, au « bien-manger ». On ne le rappellera jamais assez, le but principal de l’agriculture est bien de nourrir l’ensemble de la population.
L’objectif de cet article est donc de rapprocher la politique agricole de la politique alimentaire et, par conséquent, de la politique de santé publique. Pour cela, il est nécessaire de développer la transversalité et l’« interministérialité » entre ces secteurs. Jusqu’à présent, il n’a jamais été fait référence, dans aucun code, à la politique de l’alimentation.
Le groupe socialiste a à cœur d’enrichir ce débat d’utilité nationale et, pour cela, il estime qu’il faut suivre les trois orientations suivantes, car elles nous semblent essentielles : premièrement, s’attaquer aux disparités sociales ; deuxièmement, mener collectivement une réelle action en direction de la restauration scolaire ; troisièmement, engager les moyens et les solidarités nécessaires pour conduire une politique volontariste de l’alimentation.
Afin de s’attaquer aux disparités sociales, qui persistent, il nous paraît nécessaire de mener une politique de l’alimentation plus engagée. Aujourd’hui, nous le constatons tous, les chaînes de restauration rapide, où la qualité nutritionnelle et gustative des produits n’est pas prouvée, sont envahies par une clientèle à petits revenus, notamment par les étudiants, car ce sont les seuls lieux qui permettent de se nourrir à l’extérieur à un coût aussi peu élevé que possible.
Le président Bel l’a souligné, il est décevant que l’agriculture biologique soit la grande absente de ce texte. Alors que le Grenelle de l’environnement– ou ce qu’il en reste ! – vient d’être voté, établir un lien entre ces deux textes aurait permis d’assurer une meilleure cohérence politique.
Si l’on veut tenir les objectifs du Grenelle de 6 % de la SAU – surface agricole utile – en bio en 2012 et de 20 % en 2020, il faut changer de braquet. C’est possible, mais nous devons nous en donner les moyens. Nous ne devons pas nous contenter d’afficher dans la loi de grandes intentions.
De plus, en ces temps de crise, il est établi que les agriculteurs biologiques s’en sortent mieux que les autres. Pour autant, nous sommes loin des objectifs fixés : 1,5 % de la SAU seulement est consacré à l’agriculture biologique.
À l’époque des contrats territoriaux d’exploitation, reconnaissons-le, le nombre de conversions à l’agriculture biologique était dix fois plus important qu’aujourd'hui. (M. le ministre en doute.)
Nous devons faire preuve de volonté pour démocratiser l’accès à ces produits.
Opposer l’agriculture biologique à l’agriculture conventionnelle serait une erreur, pis, une absurdité, car elles sont selon moi complémentaires. Toutes les recherches faites dans le domaine de l’agriculture biologique servent également à l’agriculture conventionnelle. Il n’en demeure pas moins que l’objectif à atteindre n’apparaît pas suffisamment dans le projet de loi.
En ce qui concerne la restauration collective, vous voulez imposer aux gestionnaires des établissements de restauration de respecter des règles très strictes. Nous ne pouvons y être opposés. Mais nous devrions nous rapprocher du Conseil national de l’alimentation, qui accorde une grande importance à ce secteur.
Il faut cependant faire attention aux conséquences de ces règles pour les gestionnaires de la restauration scolaire. Nous devons, en particulier, veiller à ce que la gestion en régie ne disparaisse pas, ce que personne ne souhaite, au profit de la délégation à des grands groupes, car nous ne serions plus à même de garantir le respect des règles nutritionnelles.
Nous adhérons aux grandes orientations du texte, mais nous souhaiterions qu’y soit apporté un bémol, pour que l’obligation de respecter des règles strictes n’empêche pas les gestionnaires de la restauration scolaire…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Didier Guillaume. J’en viens donc à ma conclusion, monsieur le président.
Enfin, il faut donner les moyens aux collectivités locales de mener cette politique volontariste. Le rouleau compresseur de la RGPP ne permet plus aux services de l’État déconcentrés dans les départements de remplir leur rôle et cela se retournera vraisemblablement contre les collectivités locales.
M. le président. Mes chers collègues, dans la mesure où de nombreux orateurs se sont inscrits pour intervenir sur l’article 1er, je demande à chacun de respecter le temps de parole imparti.
La parole est à M. Claude Bérit-Débat, sur l'article.
M. Claude Bérit-Débat. Beaucoup, parmi les différents orateurs, ont relevé les lacunes de ce texte ou ont critiqué les propositions qui nous sont faites. Heureusement, la commission a enrichi le projet de loi pour donner satisfaction à un certain nombre d’entre nous.
Comme de nombreux sénateurs, je me déplace beaucoup sur le terrain. Avant que le projet de loi ne vienne en discussion devant le Sénat, j’ai rencontré en Dordogne un certain nombre d’acteurs du monde agricole. La grande majorité d’entre eux, qu’il s’agisse de représentants des Jeunes agriculteurs, de la FDSEA ou de la Confédération paysanne, a estimé que ce texte ne répondait pas aux problèmes actuels du monde agricole.
Dans le prolongement de ce qu’ont déjà dit mes deux collègues socialistes, je voudrais souligner que l’article 1er n’est pas à la hauteur des ambitions affichées. L’absence de prise en compte de la dimension économique dans l’accès à l’alimentation est particulièrement évidente.
Si l’un des enjeux majeurs du texte est bien d’encourager une meilleure alimentation et de la rendre plus accessible à tous les consommateurs, alors, on fait ici fausse route.
Une alimentation de qualité est une chose ; y accéder en est une autre. Cela a déjà été dit, la fracture alimentaire qui existe aujourd’hui dans notre pays ne cesse de se creuser. Autrement dit, aujourd’hui encore plus qu’hier, les revenus déterminent l’accès à l’alimentation. Dans ces conditions, il est important de se montrer ambitieux. C’est en tout cas la position de notre groupe et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à reconnaître l’accès de tous à une alimentation de qualité.
En effet, il me paraît logique de réaffirmer dès le début du texte que la politique publique de l’alimentation qu’on se propose d’élaborer s’adressera bien à tous les citoyens, et pas seulement à quelques consommateurs. Une fois cette base posée, il restera alors à bâtir cette nouvelle politique. À défaut, je crains pour la solidité de l’ouvrage.
Il faudrait, par exemple, développer la concertation et favoriser une plus grande transparence. Il serait en réalité assez logique que cette politique de l’alimentation et le programme national pour l’alimentation soient élaborés après consultation des instances qualifiées en matière scientifique.
De la même manière, il conviendrait de faire en sorte que les agricultures de proximité, biologiques et paysannes, dont vient de parler Didier Guillaume, soient davantage présentes dans les services de restauration scolaire. Cela me semble constituer un enjeu important, a fortiori si l’on fait de l’éducation au goût un objectif de la politique d’alimentation.
Dans ces conditions, il me paraît indispensable que le Parlement soit tenu informé par un rapport annuel de l’évolution de cette question.
La mise en place d’une politique de nouvelles normes de nutrition ne doit pas entraîner des coûts trop importants pour la restauration scolaire ni conduire à ce que des communes qui assurent en régie le service de restauration se déchargent de cette tâche parce qu’elle serait devenue trop compliquée à gérer ou trop chère à assumer.
Enfin, l’État doit montrer l’exemple en la matière. On ne peut pas, en effet, s’engager à assumer de nouvelles obligations à l’égard des citoyens sans s’interroger sur leur coût. Si je suis favorable à la mise en place de nouvelles règles nutritionnelles, je suis en revanche tout à fait opposé au dispositif qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, sur l'article.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de l’introduction de la notion d’alimentation à l’article 1er du projet de loi, une alimentation qui doit être saine, de qualité et suffisamment abondante.
Il est extrêmement important qu’elle soit saine, car c’est bien de santé qu’il s’agit.
Il va de soi qu’elle doit être de qualité, mais encore faudrait-il prendre un certain nombre de précautions. Le texte est muet, ou à tout le moins discret, sur cette question. À l’évidence, la qualité de la nourriture ne peut être simplement analysée sous le seul aspect scientifique, car elle relève avant tout de la perception gustative du consommateur, et le goût est quelque chose qui s’éduque.
Mme Anne-Marie Escoffier. C’est vrai !
M. François Fortassin. Ainsi, pour un palais non formé, une viande persillée peut paraître moins bonne qu’une viande qui ne l’est pas, et celle d’un animal de quatre ou cinq ans moins savoureuse que celle d’un animal de dix-huit mois. Cette éducation du goût passe bien entendu par l’école, mais également par l’information des consommateurs.
Mes chers collègues, moi qui suis un consommateur de viande rouge – cela ne vous étonnera pas ! (Sourires.) –, il a fallu que je me rende en Argentine pour apprendre que la meilleure viande à griller était la basse côte ! Si vous en demandez à un boucher français, il vous regardera avec des yeux ronds et vous répondra qu’il n’en a pas ou qu’il n’en vend pas, car c’est l’une des morceaux les moins chers.
J’en viens à la traçabilité, dont on fait des gorges chaudes. Encore faudrait-il qu’elle soit suffisamment précise, car la mention « viande d’origine européenne » ne nous renseigne guère ! L’entrecôte que l’on va manger vient-elle d’une blonde d’Aquitaine, dont vous devez savoir, monsieur le ministre, qu’elle est la Rolls-Royce des races à viande ? (Rires et exclamations.)
M. Jacques Blanc. Non, c’est la viande d’Aubrac !
M. le président. Mes chers collègues, n’entrons pas dans ce débat ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Monsieur le sénateur de la Lozère, vous n’allez pas me dire que les races étiques de votre département produisent de la viande de qualité ! (Nouveaux rires. – M. Jacques Blanc s’exclame.)
M. le président. Je vous en prie, restons-en là ! (Sourires.)
M. François Fortassin. En tout cas, je le répète, il faudrait que le consommateur dispose d’informations précises, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
Il conviendrait également d’en finir avec un certain nombre de lieux communs. On nous répète à l’envi qu’il faut consommer cinq fruits et légumes par jour. Mais, s’ils sont bourrés de pesticides, il vaut mieux que les gamins n’en mangent pas !
Parlons donc d’agriculture biologique, comme l’a fait Didier Guillaume, ou, mieux encore, d’agriculture raisonnée.
M. Jean-Jacques Mirassou. Raisonnable ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Nous vivons quand même dans le pays de la tradition culinaire, d’où la « malbouffe » doit être totalement bannie. Voilà aussi ce qui doit être mis en exergue dans un texte traitant de l’alimentation. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Je salue l’intitulé du titre Ier, « Définir et mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation », car il permet de rappeler implicitement que le premier objectif de l’agriculture est de nourrir les hommes, et non les voitures. Je fais ici référence au lobbying intense qui s’est déployé il y a quelques mois pour empêcher que le mot « agrocarburant » figure dans la loi ; mais c’est finalement par une opération de greenwashing que la dénomination « biocarburant » a été présente.
Je me félicite donc que le sujet de l’alimentation soit abordé, car, comme les autres, notre pays souffre de la « malbouffe », et ce à plusieurs titres.
Tout d’abord, ce phénomène crée des problèmes de santé publique. Sans revenir sur cet aspect, car il a déjà été évoqué, je veux simplement rappeler un chiffre qui croît de manière linéaire depuis une quinzaine d’années dans notre pays, celui de l’obésité : chaque année, le nombre de personnes atteintes d’obésité augmente de 5 % par an. Cela signifie qu’il double tous les quinze ans et qu’en 2020 plus d’un tiers de la population française sera touché par ce fléau. Il faut donc y remédier.
Ensuite, sur le plan sociologique, la déstructuration des repas entraîne une perte de la relation humaine. Aujourd’hui, les enfants monologuent devant leur ordinateur et leur console de jeux en grignotant n’importe quoi au lieu de partager une vie de famille.
Enfin, il y a la dimension culturelle, sur laquelle je ne reviens pas non plus, car notre ami Fortassin l’a déjà évoquée.
Cela étant, le véritable problème tient à ce que l’on n’articule pas la politique alimentaire avec la politique agricole : tel qu’il est rédigé, le texte pourrait permettre de développer une politique de l’alimentation de qualité reposant sur des importations. Certains grands pays sont d’ailleurs capables de nous fournir à des prix très bas de la nourriture de très grande qualité, même à haute valeur environnementale, ou HVE.
L’articulation de la politique alimentaire et de la politique agricole suppose que nous agissions dans deux directions.
Premièrement, il nous faut parvenir à la souveraineté alimentaire. Nous devons avant tout produire pour satisfaire la demande intérieure. Or, nous sommes bien obligés de le constater, une partie non négligeable de notre agriculture, la plus productiviste d’ailleurs, est tournée vers l’exportation.
J’ai entendu tout à l’heure que l’on remettait au goût du jour un vieux concept datant d’il y a trente ans : le « pétrole vert ». Or les exportations se font vers des marchés fragilisés et ne se maintiennent qu’à coup de subventions européennes. Il est donc grand temps de recentrer l’agriculture vers les besoins de notre population, ce qui nous permettrait de nous appuyer sur des circuits plus courts.
Deuxièmement, il nous faut définir le type d’agriculture que nous voulons.
Je n’aime pas trop l’expression d’« agriculture durable », qui est devenue un fourre-tout. Parlons plutôt d’« agriculture soutenable », ce qui implique un système d’exploitation plus autonome. À ce titre, je voudrais répondre à l’intervention de M. le ministre dans la discussion générale.
Monsieur le ministre, la prise en compte de la problématique énergétique de l’agriculture française ne saurait se limiter à la promotion de la méthanisation sur les exploitations agricoles. Bien sûr, c’est une excellente chose, et nos voisins allemands se sont engagés avec succès dans cette direction. Il s’agit en effet de produire de l’énergie renouvelable et de manière parfaitement décentralisée.
Mais le problème de fond, le problème numéro un réside ailleurs, et il est particulièrement préoccupant : c’est le degré extrêmement élevé de dépendance de notre agriculture vis-à-vis des énergies fossiles. Celle-ci dépend en effet du pétrole, notamment à travers le gazole, mais aussi et surtout à travers les engrais de synthèse et les pesticides, dont la fabrication exige énormément d’énergie. Aussi, tant que nos systèmes de production agricole n’iront pas vers une utilisation plus économe de ces intrants, nous serons hors sujet !
Je le répète, nous devons articuler la politique alimentaire avec une politique agricole soutenable, s’inscrivant dans une perspective de souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 646, présenté par M. César, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 1 :
Remplacer les mots :
code rural
par les mots :
code rural et de la pêche maritime
II. - En conséquence, procéder à la même modification dans l'ensemble du projet de loi.
La parole est à M. Gérard César, rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Cet amendement rédactionnel vise à tirer les conséquences du changement de nom du code rural, qui est devenu le code rural et de la pêche maritime par effet de quatre ordonnances publiées au Journal officiel au lendemain de la réunion au cours de laquelle la commission de l'économie a adopté le texte du projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 88, présenté par Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Bourquin, Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur et Teston, Mme Bourzai et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments
par les mots :
Politique de l'alimentation, contrôle sanitaire des animaux et des aliments
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Les premiers alinéas de l’article 1er visent à modifier les intitulés du livre II du code rural et de son titre III afin d’y intégrer une définition de la politique de l’alimentation.
Ainsi, de « Santé publique vétérinaire et protection des végétaux » l’intitulé du livre II du code rural devient « Alimentation, santé publique vétérinaire et protection des végétaux ».
Le changement de l’intitulé du titre III est moins anodin. Il ne s’agit pas d’un simple ajout puisque « Le contrôle sanitaire des animaux et aliments » devient « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments ».
Selon nous, la suppression de la référence explicite au contrôle sanitaire des animaux, particulièrement dans un contexte de multiplication des crises sanitaires d’origine animale, n’est pas pertinente ; elle peut même être dangereuse. Le contrôle sanitaire des animaux porte d’ailleurs sur de nombreux points : normes des bâtiments d’élevage, conditions d’élevage, alimentation des animaux, traçabilité de la viande.
Il faut donc au contraire souligner que, pour assurer la protection de la santé des consommateurs, il est impératif de réaliser des contrôles à chaque étape de la production, notamment sur les animaux vivants ; d’où, d’ailleurs, l’importance des services vétérinaires publics.
De plus, la politique de l’alimentation ne saurait être réduite à la seule qualité nutritionnelle.
Nous proposons donc d’intituler le titre III : « Politique de l’alimentation, contrôle sanitaire des animaux et des aliments ».
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Le nouveau titre proposé pour le titre III du livre II du code rural « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments » désigne mieux l’objet des dispositions qu’il contient. Il permet ainsi de s’assurer que le consommateur bénéficiera de produits agricoles sains et sûrs.
L’intitulé actuel, auquel les auteurs de l’amendement proposent de revenir, vise le contrôle sanitaire des animaux et aliments, mais le terme « contrôle » est devenu ici impropre, car le contrôle fait également l’objet de dispositions dans le titre II intitulé « La lutte contre les maladies des animaux ». Le titre III traite des animaux, mais plus dans l’optique de leur insertion dans la chaîne alimentaire.
C’est pourquoi la commission propose de conserver l’intitulé prévu par le projet de loi et émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je comprends l’intention des auteurs de l’amendement, mais j’ai peur que leur acception ne soit plus restrictive que les termes « sécurité sanitaire des aliments ».
M. Gérard César, rapporteur. En effet !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je préfère retenir un objectif plus large en la matière plutôt que de restreindre cette notion au contrôle sanitaire des animaux et des aliments.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour explication de vote.
M. Jacques Blanc. Voilà pour moi une occasion de souligner la révolution culturelle qui est opérée par le fait que c’est désormais au ministère de l’agriculture qu’il revient en quelque sorte de piloter la politique de l’alimentation, y compris dans les incidences de celle-ci sur la santé. Cela répond à une demande qui a été exprimée à de nombreuses reprises.
Conserver l’intitulé « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments » permet d’assigner à l’agriculture la mission d’offrir une alimentation qui, à la fois, soit de qualité et garantisse la sécurité sanitaire. Une dimension nouvelle très forte de l’agriculture est ainsi affirmée. Cela fait partie des grandes perspectives qui s’ouvrent.
Au moment où une vocation nouvelle est reconnue aux agriculteurs, il serait dommage d’apporter une restriction en limitant le dispositif au contrôle sanitaire des animaux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je comprends les intentions universalistes de notre collègue Jacques Blanc.
Cela étant, monsieur le ministre, vous nous expliquez qu’en étant trop précis, on manque de précision.
Sans engager une bataille sémantique, je voudrais souligner que la mémoire des consommateurs conserve des traces des crises sanitaires d’origine animale. C’est pourquoi il nous semble indispensable de les rassurer en faisant explicitement référence au contrôle sanitaire des animaux.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 19 mai 2010 :
À quatorze heures trente :
1. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, pour le développement des sociétés publiques locales (n° 359, 2009-2010).
Rapport de M. Jacques Mézard, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 429, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 430, 2009-2010).
2. Question orale avec débat n° 60 de M. Jean-Louis Carrère à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur la situation de la gendarmerie nationale.
M. Jean-Louis Carrère attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur les conséquences désastreuses de l’application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale et notamment du rattachement à la police nationale.
De nombreuses inquiétudes ont été exprimées ces derniers mois sur la situation de la gendarmerie sans que le Gouvernement n’y apporte de réponse concrète. Pourtant, la situation sur le terrain est extrêmement préoccupante, et notamment en milieu rural et dans les zones périurbaines. Le rattachement de la gendarmerie à la police nationale et les conséquences budgétaires qui l’accompagnent posent aujourd’hui clairement la question de l’avenir même du service public de la sécurité : personnel, statut, formation et matériels de gendarmerie sont aujourd’hui mis à mal par ce « rattachement ».
Cette situation est d’autant plus dramatique que la révision générale des politiques publiques entraîne des coupes supplémentaires dans les moyens dont dispose la gendarmerie nationale. En témoignent la suppression de 1 300 emplois prévus en 2010 et la fermeture de 175 brigades territoriales d’ici 2012.
Il souhaite ainsi interroger le Gouvernement sur l’évaluation de cette politique, particulièrement dommageable pour l’équilibre des territoires. Il demande que dans le cadre de ce débat, le Gouvernement permette l’accès à l’intégralité du rapport de l’Inspection générale de l’administration consacré aux conséquences financières du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.
Il souhaite également demander au Gouvernement des éclaircissements quant à la cohérence de cette politique de réduction des moyens de la gendarmerie avec les objectifs affichés par le Gouvernement en termes de sécurité et de prévention.
Le soir :
3. Suite du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (Procédure accélérée) (n° 200, 2009-2010).
Rapport de M. Gérard César et M. Charles Revet, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 436,2009-2010).
Texte de la commission (n° 437, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART