M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de la motion estiment que le texte du projet de loi, et notamment ses dispositions relatives à la forêt, serait contraire à l’objectif de promotion du développement durable posé par l’article 6 de la Charte de l’environnement.
Je ferai observer que le développement durable, comme l’indique justement cet article 6 de la Charte, comprend non seulement la protection et la mise en valeur de l’environnement, à laquelle participent fortement les agriculteurs, mais aussi le développement économique et le progrès social, deux points sur lesquels la commission a enrichi le texte du projet de loi.
La commission ne peut donc être que défavorable à cette motion.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient le Parlement en très haute estime. Il a d’ailleurs limité le recours aux ordonnances, à la suite des travaux de la commission. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il a fait évoluer le texte conformément à vos objectifs, auxquels il souscrit – je pense notamment au développement des circuits courts et à la modification des règles d’appel d’offres – pour aller dans le sens du développement durable.
Je le répète la promotion d’une agriculture durable est un objectif également poursuivi par le Gouvernement. En effet, cet objectif correspond à la fois à une attente des citoyens et à une obligation économique pour les producteurs. L’intérêt des producteurs est évidemment de devenir plus indépendants des énergies fossiles dont la ressource se raréfie et dont le prix ne cesse d’augmenter. Ce constat est valable pour les agriculteurs, mais aussi pour les pêcheurs.
Récemment, en Bretagne, dans un port où je me trouvais, un pêcheur qui travaillait sur un bâtiment moyen m’a expliqué qu’un centime d’euro supplémentaire par litre de gazole signifiait pour lui 7 000 euros supplémentaires par an. Ce pêcheur n’aspire qu’à une chose, comme tous les autres pêcheurs de France : devenir de plus en plus indépendant vis-à-vis du gazole.
En ce qui concerne la taxe sur les plus-values foncières, sachez que j’y tiens aussi personnellement. Je crois qu’il est indispensable de taxer la spéculation sur les terres agricoles. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur cette taxe au cours du débat et, je l’espère, de la rétablir, en affectant son produit à l’installation des jeunes agriculteurs.
Enfin, vous savez que je me bats pour la régulation européenne des marchés agricoles depuis plusieurs mois, et que je continuerai ce combat dans les mois à venir.
J’espère vous avoir rassurée, madame Labarre. En tout cas, telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cette motion d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à M. le rapporteur et M. le ministre, je souscris à l’argumentation développée par ma collègue Marie-Agnès Labarre pour défendre cette motion, qu’il s’agisse de l’irrecevabilité en matière de respect environnemental et des points qu’elle a soulevés concernant la gestion forestière, ou encore des problèmes liés à la contractualisation, qui reste, et vous le savez bien, une épreuve de force entre deux parties bien inégales… Nous ferons à cet égard des propositions au cours du débat.
Marie Agnès Labarre a également dénoncé les lacunes par lesquels s’illustre votre texte. Pour ma part, je souhaiterais insister sur une lacune particulièrement criante : ce texte ne donne au monde agricole, et surtout aux agricultrices et agriculteurs, aucune perspective d’avenir à moyen terme dans la pratique de leur métier.
En effet, malgré les avancées effectuées par la commission, trop d’incertitudes, trop de flou persistent quant à la lisibilité de ce métier.
Rien n’est prévu, par exemple, pour lutter contre la volatilité des prix agricoles, qui a pour conséquence la baisse du revenu des agriculteurs : en Rhône-Alpes, elle était en moyenne de 20 % en 2008 et de 34 % en 2009. Dans cette même région, 1 500 agriculteurs touchent le revenu de solidarité active, dont plus de 600 dans mon seul département de l’Isère.
Le poids des traditions n’est pas non plus pris en compte dans l’évolution proposée par ce texte. Bien sûr, personne ne conteste que chacune, chacun doit « vivre avec son temps », mais le temps de l’agriculture ne rime sans doute pas avec celui voulu par la PAC, dont les nombreux contrôles et formalités imposent aux agriculteurs de passer plus de temps dans leurs dossiers que sur leur exploitation !
C’est en tout cas ce que nous a fait savoir M. Jean-Bernard Bayard, membre du bureau de la FNSEA lors de son audition devant la mission « mal être » du Sénat, soulignant les conséquences néfastes de cet état de fait sur la santé des exploitants, dans la mesure où « ils vivent dans la crainte que leurs ressources diminuent encore un peu plus parce qu’ils n’auraient pas correctement rempli tel ou tel document »…
Selon M. Jean-Pierre Grillet, médecin chef de l’échelon national de santé au travail de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, on enregistre environ 400 suicides d’agriculteurs par an. Bien sûr, l’isolement, le célibat, la précarité favorisent le passage à l’acte, mais la perte de la terre que l’on a héritée de sa famille est vécue dramatiquement, surtout lorsqu’elle fait suite à une faillite.
Pourtant, ce qui a failli, ce n’est pas l’agriculteur, mais bien le système économique actuel, fondé sur la compétitivité, la libre concurrence et la volatilité des prix. C’est ce système qui est à l’origine de la crise que traverse notre agriculture, alors même que la question alimentaire n’a jamais été aussi prégnante : les prix agricoles baissent en Europe et, à nos portes mêmes, la famine menace.
Aujourd'hui, 70 % des agriculteurs ont un revenu inférieur au SMIC et, je l’ai dit, beaucoup touchent le RSA. Pourtant, ces femmes et ces hommes ne demandent pas plus à toucher cette allocation qu’à recevoir des aides de l’Europe ! Elles et ils veulent pouvoir vivre de leur travail, qu’il soit justement rémunéré et mieux considéré !
Je voudrais, pour conclure, évoquer le regard que porte la société sur nos agricultrices et agriculteurs, qui se sentent parfois culpabilisés parce qu’ils exerceraient une activité polluante, qu’ils toucheraient d’innombrables primes, qu’ils feraient du bruit, que sais-je encore…
Sans doute ces griefs sont-ils fondés, mais les agriculteurs en portent-ils l’entière responsabilité ? Vous aurez deviné ma réponse : les agriculteurs n’ont fait que s’adapter au progrès technique et ont eu recours aux modes de production recommandés à chaque époque.
Je suis persuadée de l’utilité de notre agriculture non seulement parce qu’elle constitue un secteur économique important, chacun l’a souligné, mais aussi parce qu’elle contribue à l’aménagement de notre territoire. C’est tout particulièrement le cas dans mon département, l’Isère, où la montagne tient une grande place. En zone de montagne, l’agriculture joue un rôle essentiel dans la préservation du milieu – maintien des alpages, conservation des prairies sèches et des zones humides, etc. – et l’entretien du paysage. Pourtant, rien dans ce texte ne répond à cet enjeu !
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 39, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, dont l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC-SPG, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement demandent le rejet de cette motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Bel, Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Bourquin, Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult, Repentin et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur, Teston et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 86.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (procédure accélérée) (n° 437, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Permettez-moi tout d’abord, monsieur ministre, de saluer votre courtoisie et l’attention que vous accordez à chacun des orateurs : les réponses que vous leur avez apportées, tant à l’issue de la discussion générale qu’à l’instant, en témoignent.
Il n’en reste pas moins que je partage le constat qui a été dressé de façon quasi unanime cet après-midi : notre agriculture connaît une crise profonde, brutale et, en un sens, totalement inédite.
Depuis 2008, les agriculteurs ont perdu en moyenne plus de 50 % de leur revenu. Le revenu des chefs d’exploitation a baissé de 23 % en 2008, avant de chuter de 32 % en 2009. Ces quelques chiffres résument à eux seuls la gravité de la situation et la violence de la crise.
Nous le savons bien, certains secteurs sont tout particulièrement frappés. C’est le cas de la production laitière, pour laquelle les perspectives sont absolument catastrophiques. La présidente-directrice générale de l’Institut national de la recherche agronomique, Marion Guillou, indique que, avec la fin des quotas, seules 40 000 à 50 000 exploitations survivront. C’est la disparition annoncée, en France, d’une exploitation laitière sur deux ! C’est dire la profondeur de la crise.
Mais aujourd’hui, et c’est une nouveauté, toutes les filières agricoles de notre pays sont touchées. Car cette crise frappe non seulement avec violence, mais aussi sans distinction ! De ce fait, près d’un agriculteur sur six envisage de cesser son activité dans les douze mois à venir : 50 000 exploitations en moins, c’est, dans le même temps, la disparition de 200 000 emplois dans notre pays.
À tous, il nous arrive de rencontrer dans nos territoires des agriculteurs qui nous disent que, compte tenu de la situation, ils vont devoir fermer leur exploitation. Quelle preuve plus éclatante de leur désarroi, de leur désespérance, que cette tentation, ô combien déchirante, de renoncer à ce qui a représenté toute leur vie ? Car chacun d’eux a un amour viscéral pour le travail de la terre !
Ce désespoir est aujourd’hui aggravé par les mots, par l’attitude des pouvoirs publics au plus haut niveau, par l’impression d’impuissance qu’ils donnent. Il l’est aussi par la froideur et la distance du Président de la République à l’égard du monde agricole, qui renforcent encore le sentiment d’abandon ; dans ce contexte, le rendez-vous manqué du Salon de l’agriculture est apparu comme un révélateur. Il l’est encore par les politiques conduites ces dernières années par les différents gouvernements.
À ce titre, comment ne pas relever la responsabilité de la loi de modernisation de l’économie ? Son objectif, louable, était de relancer la consommation par une baisse des prix, mais elle a eu pour effet déplorable de permettre à la grande distribution d’imposer aux exploitants des prix d’achat de moins en moins rémunérateurs, sans conduire pour autant à une baisse des prix à la consommation. Bien plus, elle a abouti à cet incroyable paradoxe : les prix à la consommation, dans le meilleur des cas, sont stables, quand ils n’augmentent pas, alors que les prix payés aux producteurs, au mieux, sont inchangés et, au pis, diminuent !
Comment, dans le même temps, ne pas regretter notre isolement en Europe – vous avez déjà répondu sur ce point, monsieur le ministre, mais je maintiens le terme – et dénoncer l’abandon des quotas laitiers par votre prédécesseur, M. Michel Barnier, lors du « bilan de santé » de la PAC ?
Je crains malheureusement que le texte qui nous est présenté aujourd’hui ne mette pas fin au désespoir, car il n’est pas à la hauteur des enjeux, et c’est le moins que l’on puisse dire !
Avant d’aborder plus précisément le contenu de ce projet de loi, je veux saluer le travail de tous nos collègues en commission et me féliciter des progrès qu’il a rendus possibles. Le groupe socialiste a analysé et examiné ce texte avec sérieux et bonne foi. Nous avons déposé 140 amendements constructifs – c’est dire l’attention que nous y avons portée –, mais une douzaine seulement a été retenue. D’ailleurs, je ne me priverai pas de souligner les quelques avancées que le texte permettra de réaliser.
Cela étant, force est de reconnaître que, pour l’essentiel, le projet de loi lui-même n’est guère porteur d’espoirs. Nous en récusons la philosophie générale, nous déplorons la faiblesse des moyens concrets mis en œuvre et nous regrettons profondément l’absence d’outils nouveaux qui contribueraient à inventer l’agriculture de demain.
Que dire, d’abord, de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ? L’initiative est en soi louable, si ce n’est que cet organisme existe déjà, à défaut de pouvoir fonctionner, privé qu’il est de moyens concrets. En la matière, ce sont les initiatives privées et les associations de consommateurs qui, aujourd’hui, font l’essentiel du travail et permettent un accès aux données chiffrées.
L’inscription de cet observatoire dans la loi ne nous pose aucun problème, mais ce que nous demandons au Gouvernement, c’est de mettre enfin en application tous les dispositifs garantissant une totale transparence en matière de formation des prix. Or, depuis des années, nous ne sentons pas un fort volontarisme sur ce sujet…
Que dire, ensuite, de l’orientation générale qui sous-tend ce projet de loi ? L’inspiration est évidente et tient en deux mots, même si vous les avez récusés, monsieur le ministre : libéralisation et dérégulation. En somme, après avoir détricoté, tant à l’échelon national qu’au niveau européen, les outils de régulation publique de l’agriculture, vous vous offrez une session de rattrapage en mettant en place dans la précipitation des tentatives de régulation privée qui, malheureusement, seront insuffisantes.
Je veux parler de l’obligation de contractualisation entre agriculteurs et acheteurs, qui semble constituer l’axe principal de ce projet de loi. Telle qu’elle est proposée, la contractualisation n’est qu’un leurre, car elle donne à croire que l’on pourrait introduire par contrat de l’égalité entre deux parties foncièrement inégales : d’une part, l’acheteur, à savoir quelques transformateurs hégémoniques et quelques immenses centrales d’achat hyperpuissantes, et, d’autre part, le vendeur-exploitant, dont l’offre est éclatée et que ses produits, généralement périssables à très court terme, placent dans une situation de fragilité manifeste à l’égard de son cocontractant.
Certes, la contractualisation peut présenter des avantages, notamment en clarifiant les relations entre acheteur et vendeur, mais elle ne peut constituer à elle seule une politique globale de régulation. Pour le dire plus clairement encore : non, la contractualisation n’est pas et ne sera jamais une réponse satisfaisante à la disparition des quotas laitiers, que la France a abandonnés dans la négociation communautaire.
M. Jacques Blanc. C’était un ministre socialiste !
M. Jean-Pierre Bel. Il vous arrive souvent d’être approximatif, mon cher collègue, nous en avons eu encore l’éclatante manifestation cet après-midi. Je vous engage à vérifier vos affirmations.
J’ajoute que le dispositif proposé quant à la contractualisation est pour le moins timoré. Ainsi, le texte ne précise même pas si les contrats devront garantir aux producteurs un prix couvrant au moins leurs coûts de production, rémunération du travail comprise. Faute de tels prix planchers, lesquels ne seraient pourtant pas une panacée, la viabilité des exploitations liées à un acheteur par un contrat de vente écrit n’est donc, à notre sens, en rien assurée.
Vous le voyez, le contenu du texte est malheureusement insuffisant pour répondre à la crise et inventer des outils nouveaux ; il ne permet pas même de construire, modestement, un cadre d’action pertinent.
Mais il y a plus regrettable encore que le contenu du texte : c’est tout ce que le texte ne contient pas… Bien sûr, aucun projet de loi ne peut en lui-même apporter de solution à tous les problèmes et je comprends la difficulté de votre tâche, monsieur le ministre. Pour autant, un projet de loi relatif à la modernisation de l’agriculture se doit, à tout le moins, de ne pas oublier les chantiers qui, précisément, contribueraient à faire entrer l’agriculture dans la modernité et qui constituent les clés indispensables à l’agriculture de demain.
De grands chantiers d’avenir ne sont pas – ou à peine – abordés dans le texte, alors qu’ils sont vitaux. L’absence d’une réflexion à long terme et d’une prise en compte des enjeux de fond est évidente.
À cet égard, le titre Ier, un peu pompeusement consacré à la « politique publique de l’alimentation », n’en fournit même pas l’esquisse.
Pourquoi ne pas aller au bout des choses et assumer le choix d’une alimentation de qualité, en encadrant très fortement, voire en interdisant purement et simplement certaines publicités lors de programmes télévisés destinés aux enfants ?
Pourquoi ne pas simplifier l’étiquetage nutritionnel des produits alimentaires pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés ?
Il est vrai que, une fois encore, monsieur le ministre, vous semblez nous inviter à agir dans la précipitation, au risque de mal légiférer.
Pourquoi, alors que vous avez demandé au Conseil national de l’alimentation de constituer des groupes de travail chargés d’élaborer des propositions sur des thématiques amples, n’avez-vous pas attendu la communication des conclusions de ces derniers, prévue pour la fin du mois de mai ? La prise en compte de ces réflexions aurait certainement permis d’alimenter votre projet de loi de manière plus substantielle puisque chacun de ces groupes travaille sur des thématiques qui nous semblent avoir été sous-estimées dans le texte. Les rapports qui nous sont promis paraissent être riches – je vous en épargnerai l’énumération – et vous auriez pu les utiliser pour nourrir plus abondamment le titre Ier.
Monsieur le ministre, comment ne pas souscrire aux bonnes intentions que vous manifestez ? Comment ne pas s’accorder sur certaines des directions que vous indiquez ? Le problème vient de ce que vos propos, souvent bien sentis, ne sont pas traduits dans le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui.
Ce texte ne comporte, selon nous, rien de concret.
Rien de concret sur le développement des circuits courts pour favoriser les produits locaux et de saison.
Rien de concret pour les hommes et les femmes qui vivent de l’agriculture, pour les jeunes qui souhaitent s’installer mais peinent à le faire, notamment en raison des difficiles conditions d’accès au foncier.
Rien de concret pour les moins jeunes en quête d’une reconversion, pour les retraités qui, après une vie de travail, survivent tout juste avec des pensions indignes.
Rien de concret pour la promotion des labels, alors qu’ils constituent autant de signes de distinction de nature à encourager les productions de qualité.
Rien de concret pour aider nos terroirs à améliorer leur image, alors même que la compétitivité de notre agriculture – vous en avez parlé cet après-midi – se joue aussi là-dessus, notamment au regard de la concurrence européenne et internationale.
Rien de véritablement concret sur le bio, qui, s’il ne constitue pas à lui seul la solution à tous les maux, n’en est pas moins une piste stratégique pour l’avenir.
Rien de concret sur la formation, la recherche, l’innovation : comme si l’agriculture française n’était pas, aussi, un secteur de pointe !
Rien de concret, enfin, sur la transparence de la chaîne de commercialisation et du processus de formation des prix, alors que c’est la clé pour permettre aux agriculteurs d’avoir des revenus décents sans accroître le coût de leurs produits pour le consommateur final : comme si l’on craignait de prendre des mesures fortes qui pourraient viser directement la grande distribution !
Bien sûr, nous avons vu la belle opération de communication organisée hier autour du Président de la République. Or, ce que nous demandons au Président, c’est non pas de communiquer, mais d’agir ! Et le seul résultat de la réunion d’hier, ce sont de belles déclarations d’intention, un résultat a minima qui ne changera pas la donne et ne leurrera pas les producteurs, lesquels l’ont d’ailleurs déjà fait savoir.
En outre, et c’est peut-être le plus inquiétant, aucune vision stratégique ne se dégage sur le futur de notre agriculture à long terme, aucune perspective n’est tracée sur l’avenir de la politique agricole commune, sur l’action possible de la France aux niveaux européen et international, alors que tout le monde sait bien que c’est là, d’abord, que tout se joue et que c’est là, demain, qu’il faudra faire entendre notre voix, au moment où la renégociation de la PAC pourrait conduire à « renationaliser » encore davantage cette politique et à amputer son budget de 40 %.
Monsieur le président, mes chers collègues, en un mot comme en mille, faute d’ambition politique et faute de volonté d’action, ce texte manque sa cible.
La régulation de notre agriculture est abandonnée entre les seules mains d’acteurs privés, sans dispositif permettant de rétablir de l’égalité entre des parties inégales. L’État se désengage d’un secteur qui, pourtant, autant que d’autres, a besoin d’une vision stratégique et d’une action publique lisible à long terme.
La France a cessé de porter un message fort sur la nécessaire harmonisation fiscale et sociale en Europe, seul instrument qui nous permettrait de lutter contre les distorsions de concurrence préjudiciables à notre agriculture.
Monsieur le ministre, vous passez à côté de nombreux chantiers d’avenir pour l’agriculture française : la qualité, la durabilité, les circuits courts, les terroirs.
Notre agriculture est riche d’un passé au cours duquel elle a relevé le défi de nous nourrir. Elle doit être riche aussi d’un avenir, car elle a tous les atouts pour entrer dans le monde de demain.
Il nous faut sortir de la crise par le haut, en nous fondant sur nos terroirs, sur nos pratiques, sur la qualité de nos produits pour nous projeter vers l’avenir.
Ce projet de loi nous paraît décidément timoré. Puisqu’il n’apporte pas les solutions nécessaires, il faut peut-être le retravailler et élaborer un texte qui réponde enfin aux grands défis que j’ai évoqués. C’est pourquoi, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je vous propose d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Les auteurs de la motion qui vient d’être présentée par le président Jean-Pierre Bel mentionnent avec raison la gravité de la crise que traversent l’agriculture et la pêche en France. Mais ils recommandent, dans le même temps, l’arrêt immédiat de la discussion du projet de loi alors que l’élaboration d’un nouveau texte prendrait nécessairement de nombreux mois et retarderait d’autant l’apport de solutions aux difficultés rencontrées par les agriculteurs.
La commission a modifié ce projet de loi et l’examen en séance publique permettra d’apporter encore à ce dernier, nous n’en doutons pas, de nombreuses améliorations.
Mon cher collègue, je ne peux donc qu’être défavorable à l’adoption d’une motion qui mettrait fin à la discussion de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai au président Bel avec la même courtoisie qu’aux autres sénateurs, courtoisie dont il bien voulu me créditer, mais aussi avec la même fermeté.
Sur le constat, on ne peut évidemment qu’être d’accord : situation dramatique de l’agriculture française, crise économique et, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, crise morale.
Monsieur Bel, vous l’imaginez bien, mes fonctions me conduisent à me rendre sur une exploitation agricole une fois tous les deux ou trois jours. Autrement dit, je suis perpétuellement en discussion avec les agriculteurs, et encore tout à l’heure, lors de la suspension de nos travaux, j’ai rencontré ceux d’entre eux qui assistent à la séance, je les ai les interrogés sur la façon dont ils perçoivent la situation et sur leur sentiment quant à la capacité du projet de loi à améliorer la situation. Bref, je ne cesse d’écouter leur détresse et de m’enquérir des solutions qu’ils attendent du Gouvernement.
Je tiens à rétablir un certain nombre de faits.
S’agissant de la production laitière, ne laissons pas dire que la production ne cesse de se détériorer et que la situation sur le terrain va de mal en pis, car ce n’est pas vrai. La vérité, et vous pourrez le constater en examinant les faits, c’est que la situation s’améliore doucement. Je ne vous dis pas qu’elle est idéale, mais simplement qu’il faut regarder précisément ce qui s’est passé.
En 2009, une crise laitière dramatique a abouti à faire baisser le revenu des producteurs de lait de 54 %. Cette baisse a été consécutive à la conjonction de phénomènes qui ont frappé tous les pays européens et qui dépassent de loin la France. Ces phénomènes, vous les connaissez : une surproduction de lait de 3 % en Nouvelle-Zélande et une baisse de la consommation en Chine à cause de la crise de la mélamine ont provoqué l’effondrement des cours du lait.
Quel État a exigé de la Commission européenne que soient débloqués des moyens d’intervention pour faire remonter les cours ? La France.
Quel État a obtenu que 300 millions d’euros soient mis sur la table, même si ce versement est intervenu trop tardivement, car la réaction européenne a été, comme souvent, beaucoup trop lente ? La France.
Qui a pris la tête du mouvement visant à rétablir les cours du lait en Europe, obtenant ainsi une remontée de ces derniers ? C’est la France ! C’est le gouvernement de François Fillon, sous la direction du Président de la République. Au moment où je vous parle, le cours du lait a atteint 300 euros la tonne, alors qu’il était à 230 euros il y a encore huit mois ; là aussi, ce sont des faits !
Encore une fois, je ne prétends pas que la situation est idyllique, je dis simplement qu’elle n’est pas si dramatique que cela, qu’il ne faut pas noircir le tableau et qu’il faut aussi mesurer les efforts qui ont été accomplis par le gouvernement français. Si nous n’étions pas intervenus, il ne se serait rien passé !