Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en cet instant d’avoir une pensée pour notre collègue Alain Chatillon, qui avait prévu d’intervenir cet après-midi, mais qui en a été empêché par le décès de son père. Nous lui adressons un message de sympathie.
Ce débat vient à un moment où, tout le monde l’a dit, nos agriculteurs vivent un drame, sont dans l’angoisse et s’interrogent très fortement sur leurs perspectives d’avenir. Monsieur le ministre, vous nous permettez, grâce à ce projet de loi, de leur démontrer que nous sommes sensibles à leur situation, mais aussi que nous essayons de trouver des réponses qui garantissent leur avenir.
Tout d’abord, osons le dire une fois pour toutes, notre agriculture ne représente pas un boulet, c’est une chance et un atout pour la France et pour l’Europe ! M. Fauconnier a rappelé les paroles de M. Pisani.
M. Didier Guillaume. Excellente référence !
M. Jacques Blanc. Vous me permettrez d’évoquer, pour ma part, les propos tenus par Valéry Giscard d’Estaing à Vassy : « L’agriculture peut être le pétrole vert de la France ».
Aujourd’hui, il faut que nos agriculteurs sentent bien que, si nous sommes mobilisés, si nous entendons mettre en place des outils pour leur assurer un meilleur revenu, une meilleure sécurité, c’est parce qu’ils rendent un grand service à la nation ! Rappelons que, sans agriculture – et l’élu de la Lozère que je suis le sait bien ! –, il n’y a aucune possibilité de vie dans l’espace rural. Si l’on veut lutter contre la désertification, si l’on veut réussir la cohésion territoriale, devenue désormais un objectif européen avec le traité de Lisbonne, nous avons d’abord besoin d’agriculture, d’exploitations à taille humaine qui maintiennent et sauvent la vie sur ces territoires ruraux. Sans une agriculture vivante, nous n’aurons ni cohésion territoriale, ni aménagement équilibré et harmonieux du territoire !
Monsieur le ministre, vous avez montré votre détermination européenne. Vous avez réussi à convaincre une majorité des vingt-sept pays européens de la nécessité d’une régulation : bravo ! Il ne s’agit pas d’un débat idéologique sur le libéralisme ou je ne sais quoi d’autre : nous avons besoin d’un marché régulé. Vous avez arraché des accords qui nous permettent d’espérer que cette régulation trouvera sa place dans la réforme de la politique agricole commune.
Permettez-moi de remercier la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui a pris l’initiative d’organiser un débat d’orientation. Permettez-moi également de remercier Charles Revet, même si, en évoquant l’aquaculture, il a oublié l’aquaculture d’eau douce, qui est importante et ne doit pas être négligée ! (Sourires.) Je remercie bien sûr notre collègue Gérard César, qui a accepté un amendement relatif à un problème délicat concernant surtout le Massif central, lié à ce que l’on appelle les « biens sectionnaux ».
Monsieur le ministre, vous avez osé affirmer une ambition pour notre agriculture. Vous avez même su donner un sens politique nouveau à votre démarche, en consacrant l’article 1er du projet de loi à l’alimentation.
Pendant trop longtemps, l’agriculture est restée à l’écart des problèmes d’alimentation et de santé. Aujourd’hui, pour bien manger tous les jours, que ce soit dans nos cantines ou dans nos établissements sanitaires et sociaux, favorisons l’utilisation de produits issus de circuits courts – c’est le bon sens ! – et le Gouvernement devra respecter ses engagements en matière de conditions de marché.
Nous avons parlé d’une chaîne allant « des champs à l’assiette » ou « de l’assiette aux champs »… J’opterai pour l’expression « du champ à l’assiette », sachant, mes chers collègues, que nous pouvons être fiers de ce qui se fait !
Certes, comme le rappelait Jean-Pierre Raffarin, il est toujours un peu difficile pour le ministère de l’agriculture de s’imposer entre les problématiques de santé et celles d’environnement même si, en d’autres temps, c’est lui qui portait ces sujets. Je ne suis pas certain que nous revenions à une telle situation. En revanche, il est capital, monsieur le ministre, que, soutenu par le Parlement, vous puissiez affirmer votre détermination à donner ce sens politique supplémentaire à votre démarche.
Vous avez aussi su prendre en compte, dans l’élaboration du projet de loi, la nécessité pour les agriculteurs de mieux connaître leur revenu et de voir celui-ci s’améliorer. Vous avez notamment indiqué, dans votre intervention, qu’il n’était plus raisonnable aujourd’hui de se lancer dans des grands investissements sans visibilité. Les contrats que vous proposez, d’une durée suffisante, fixant prix et volumes, devront offrir cette capacité de gestion aux agriculteurs, y compris à ceux qui n’ont pas une grande exploitation agricole.
Ce point m’amène d’ailleurs à un autre volet important de votre projet : la volonté de favoriser les regroupements. Pour disposer d’interlocuteurs dans le cadre de ces contrats, il sera capital de permettre ces regroupements de petits producteurs dans les zones de montagne.
Enfin, vous vous battez aussi pour permettre aux interprofessions de développer, demain, des projets de filières. C’est tout à fait essentiel !
Cela étant dit, monsieur le ministre, permettez-moi d’insister sur la nécessité d’intégrer, dans l’ensemble de cette démarche, les problèmes liés aux territoires spécifiques.
Je pense bien sûr aux territoires de montagne, et je sais que vous avez reçu à plusieurs reprises des représentants de l’association des élus de la montagne. Là, plus qu’ailleurs, on mesure le besoin d’une agriculture vraie qui permette aux agriculteurs de tirer de leur travail l’essentiel de leurs revenus, tout en conservant les compensations octroyées aux productions en zone de handicaps naturels. Nous avons donc besoin du maintien d’une politique européenne de la montagne !
Le projet de loi aborde également le problème foncier, pour tenter de mettre fin à cette situation dans laquelle nous perdons l’équivalent d’un département de terres agricoles tous les dix ans. J’avais fait voter, à une lointaine époque, une loi sur les terres incultes, qui n’a jamais été appliquée. Peut-être aujourd’hui faudrait-il réfléchir aux moyens de mieux valoriser l’ensemble de ce potentiel…
Vous avez également prévu des dispositions pour la forêt. Dans ce cadre, il ne faut pas oublier que certaines forêts servent de pâtures et ne doivent pas être complètement fermées. Il faudra également y penser lors de l’élaboration des différents schémas régionaux mettant en œuvre la politique forestière. Un équilibre est nécessaire entre l’exploitation forestière elle-même et l’utilisation d’un certain nombre de forêts pour l’élevage pastoral.
Bien sûr, monsieur le ministre, tout ne sera pas réglé du jour au lendemain… Mais un certain nombre de réponses concrètes peuvent être apportées au travers du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
J’espère également que vous poursuivrez, avec audace, le combat européen pour – j’ose le dire – défendre la préférence communautaire. Ce n’est pas faire insulte à l’Europe ! Ce n’est pas se refermer sur soi-même ! La préférence communautaire est inscrite dans le traité de Rome : nous nous imposons des contraintes ; nous devons pouvoir tirer bénéfice de nos efforts. Nos agriculteurs doivent sentir qu’ils sont compris, que nous avons besoin d’eux et que nous allons les défendre avec vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est en proie au doute et l’agriculture ne fait pas exception.
Dans mon département, la Dordogne, qui est un bon exemple d’agriculture familiale, 10 % des exploitants agricoles perçoivent le revenu de solidarité active minimal, dit RSA socle, et cette proportion devrait atteindre 20 % des exploitants agricoles à la fin de l’année.
Un paysan sur cinq perçoit le RSA, tout en travaillant cinquante à soixante heures par semaine ; cela signifie que son travail ne lui rapporte pas même 1,50 euro de l’heure ! Voilà ce que gagnent les agriculteurs les plus à la peine en ce moment. Ils se lèvent tôt et, comme cela a déjà été dit, travaillent à perte. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement quand les revenus globaux ont chuté en moyenne de 30 % en l’espace de quelques mois ?
Le plan d’urgence exceptionnel annoncé par le Chef de l’État en octobre dernier, essentiellement constitué des classiques prêts bonifiés, a fait long feu et n’a rien résolu des problèmes de fond.
Aussi, en abordant votre texte, monsieur le ministre, et compte tenu des cinq minutes qui me sont imparties, je n’entrerai pas dans les détails, par ailleurs exposés par certains de mes collègues, et ne poserai qu’une seule question : le cours dramatique que prend l’évolution économique de l’agriculture peut-il être inversé par les mesures que vous envisagez ? En d’autres termes, la boîte à outils proposée par M. le rapporteur Gérard César est-elle adaptée et crédible ?
Nous constatons à regret que le projet de loi qui nous est soumis est trop partiel, trop incertain et trop imprécis pour être à la hauteur de cet enjeu.
Je ne parle pas des généralités bienveillantes de l’article 1er concernant la vocation de l’agriculture dans la société française contemporaine. Nous en partageons la plupart et leur rappel n’est pas inutile. À ce propos, je vous renvoie d’ailleurs à la loi du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, qui évoquait déjà ces points.
Je veux plutôt parler du décalage entre les intentions que vous affichez et la réalité de votre politique, hier comme aujourd’hui.
Par exemple, monsieur le ministre, vous prétendez endiguer l’urbanisation galopante à la périphérie des villes pour conserver des surfaces agricoles, mais votre gouvernement continue à défiscaliser l’investissement au travers des dispositifs Scellier et Robien, ce qui multiplie à l’envie la construction, parfois dans des secteurs où elle n’est pas tout à fait utile.
Vous prétendez freiner la conversion des terres agricoles en zones à bâtir, mais vous ne faites rien pour les retraités agricoles depuis dix ans. Croyez-vous que les agriculteurs vendent leur patrimoine par plaisir ? Ne croyez-vous pas qu’ils le font aussi par nécessité, alors qu’ils touchent des retraites de misère ? Ne fallait-il pas faire l’inverse et suivre l’exemple du gouvernement de Lionel Jospin, c’est-à-dire s’occuper des retraites – c’est effectivement sous ce gouvernement qu’elles ont véritablement remonté – avant d’envisager des mesures en faveur du maintien des surfaces agricoles ?
Vous prétendez réglementer les contrats commerciaux entre acheteurs et fournisseurs. Mais, en 2008, votre gouvernement faisait voter la loi de modernisation de l’économie, réprouvée par l’ensemble du monde agricole. Cette loi légalisait les marges arrière, instaurait la liberté intégrale des prix et assouplissait les règles de l’urbanisme commercial à tel point qu’aujourd’hui les supermarchés se multiplient comme des petits pains.
Vous prétendez mettre en place des aides publiques à l’acquisition de primes d’assurance tandis que le Premier ministre ne cesse de parler d’une austérité imminente et annonce une baisse des dépenses de fonctionnement et d’intervention de 10 % pour tous les ministères sans exclusive. La rigueur s’arrêtera-t-elle aux portes de la Rue de Varenne ?
Enfin, vous déclarez être prêt à bousculer les règles du jeu européen, alors que le commissaire Dacian Ciolos, qui appartient à votre large majorité européenne, est venu affirmer ici, devant le Sénat, que la prochaine réforme de la PAC ne contrarierait pas l’ouverture à la concurrence. Or, nous le savons bien et vous l’avez dit vous-même, cette ouverture à la concurrence est insoutenable pour l’agriculture familiale de notre pays.
L’enjeu est là, monsieur le ministre, dans les limites qu’il faut apporter à la compétition internationale. Nous produisons globalement trop cher parce que nous n’avons pas basculé dans le productivisme intégral et que nous recherchons – comme vous – la qualité et la sûreté des aliments. C’est justement cela qu’il faut défendre et il vous appartiendra de le faire, dès le mois de juillet, lors de la mise en œuvre du processus de réforme de la PAC !
En effet, ne nous leurrons pas, si la réforme de la PAC vise à préparer la diminution du budget de l’agriculture en Europe et si la France perd ne serait-ce qu’une fraction des aides dont elle bénéficie à ce titre – de l’ordre de 10 milliards d’euros par an tout de même –, nous n’aurons plus les moyens d’agir de quelque façon que ce soit.
Monsieur le ministre, les agriculteurs ne croient plus aux textes qui, pour l’essentiel, sont des textes d’affichage. Ils veulent désormais, comme ils vous le rappellent tous les jours, des propositions concrètes qui soient efficaces, crédibles et rassurantes pour leur avenir et celui de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont déjà souligné de nombreux orateurs, le vote du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est un événement important, qui conditionnera l’avenir de la filière agricole française dans les trente prochaines années.
Depuis le premier grand ouvrage français Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres, père de l’agronomie, qui fut l’un des premiers à étudier de manière scientifique les techniques agricoles et à en rechercher l’amélioration de manière expérimentale, la France est la première puissance agricole européenne. Elle doit bien sûr le rester !
La solution à la crise que vit le monde agricole est éminemment politique et suppose un équilibre entre la recherche de l’efficacité et le développement durable de nos territoires.
La France ne peut pas jouer cavalier seul au détriment de ses partenaires européens, car cette attitude se retournerait contre elle, non seulement sur le plan de l’aménagement du territoire, mais aussi sur le plan social et économique.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous avez souligné les dangers venant d’un certain pays membre, ainsi que les menaces de pays émergents. Nous nous devons de soutenir cette filière qui contribue positivement à notre balance commerciale !
Si je salue le plan de soutien annoncé en octobre 2009 par le Président de la République, je m’inquiète néanmoins des perspectives incertaines de la prochaine PAC.
La variabilité, que dis-je, la volatilité des cours des matières premières et agricoles plonge nos agriculteurs dans une crise profonde et généralisée. Les revenus en yo-yo d’un certain nombre de professionnels, que ce soit le producteur de lait, le céréalier, l’éleveur de porcs ou encore le producteur de fruits et légumes, démontrent qu’il est nécessaire de mettre en place des mécanismes efficaces, garantissant, outre la réhabilitation d’outils de régulation sur les marchés, un véritable pacte « gagnant-gagnant » entre agriculteurs et consommateurs.
Ce projet de loi, fortement enrichi par le travail en profondeur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire de notre assemblée, et l’annonce qui a suivi, hier, la table ronde entre producteurs et distributeurs au palais de l’Élysée devraient être de nature à favoriser la compétitivité et faciliter la régulation des marchés.
Il nous faut viser une certaine excellence, qu’il s’agisse de nos produits, mais aussi de la traçabilité, de la modernisation de nos exploitations ou encore des bonnes relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
En outre, pour toute importation de produits alimentaires, il apparaît indispensable de garantir des normes sanitaires, environnementales et éthiques comparables aux normes européennes. Comment l’agriculture européenne pourrait-elle rester compétitive si l’on permet l’importation de produits en provenance de pays aux normes beaucoup plus laxistes ?
Monsieur le ministre, je vous sais très lucide sur la nouvelle donne agricole mondiale et je veux ici saluer vos efforts au sein du Conseil européen, au travers de l’intense travail diplomatique que vous y menez, comme, hier encore, dans le cadre de la réouverture des négociations commerciales de l’Union européenne avec la Communauté économique des pays de l’Amérique du Sud, le MERCOSUR.
De façon plus générale, la restructuration de l’agriculture française ne doit pas être analysée d’un point de vue seulement franco-français. L’Europe s’est construite avec l’agriculture et c’est avec, et par l’Europe, que les solutions devront être apportées. C’est d’autant plus nécessaire dans un contexte d’explosion de la population mondiale, lequel devrait permettre à notre pays de trouver de nouveaux débouchés pour son agriculture. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers de la discussion de ce projet de loi, nous abordons un sujet de première importance.
En effet, l’agriculture est une activité particulièrement sensible, qui revêt plusieurs dimensions : une dimension stratégique puisqu’elle vise à produire notre nourriture ; une dimension économique et sociale dans la mesure où elle crée de la richesse et de l’emploi ; une dimension socio-territoriale puisqu’elle contribue à l’aménagement du territoire ; une dimension environnementale car elle influe sur les différents compartiments de l’environnement et façonne les paysages de France ; une dimension culturelle enfin, si l’on prend en compte l’attachement de nos compatriotes à leurs paysans, qui participent de l’identité de notre pays.
Ce projet de loi introduit « une politique publique de l’alimentation » ; il était temps ! La mondialisation, l’uniformisation du goût et la dérive des pratiques alimentaires aux conséquences désastreuses, notamment en termes de santé publique, exigent que l’on se dote d’une véritable politique en la matière. Enfin !
Pour autant, je dénonce le déficit patent d’articulation entre politique agricole et politique alimentaire. Le texte en discussion ne fait que les juxtaposer. J’estime au contraire que notre agriculture devrait clairement être présentée comme le premier pilier de notre politique alimentaire : l’agriculture française a d’abord vocation à nourrir la population française. C’est une priorité de premier rang.
L’objectif de « renforcer la compétitivité de l’agriculture française » et plus particulièrement – selon vos propos, monsieur le ministre – « par rapport à celle de l’agriculture allemande », qui serait en train de nous distancer, me laisse franchement perplexe.
Cela ressemble furieusement à l’objectif affiché dans les grandes lois d’orientation agricole de 1960-1962, qui visaient à « augmenter la productivité de l’agriculture française » au nom du retard de modernisation de notre agriculture par rapport à celles de nos voisins... Manifestement, dans ce projet de loi, « modernisation » signifie « continuation » !
Pourtant, un demi-siècle s’est écoulé... Notre agriculture a connu une hémorragie d’emplois sans précédent, et contribue de moins en moins à la dynamisation de nos territoires. Elle s’est considérablement artificialisée et fragilisée : en témoigne sa dépendance extrême en énergies fossiles, directement – le gazole – et indirectement à travers la consommation croissante d’intrants. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je déplore la non-prise en compte de ces nouveaux défis.
Il nous faut impérativement favoriser l’émergence de nouveaux systèmes de production agricole plus autonomes : ce n’est pas qu’une question environnementale au vu des impacts négatifs de l’agriculture productiviste, c’est également une question stratégique, à l’heure de la raréfaction annoncée des énergies fossiles.
Ce tournant nécessaire, j’ose dire « cet impératif », ne pouvait pas ne pas être engagé dans une loi dite de modernisation.
Les dispositions introduites dans le projet de loi ne sont pas à la hauteur du défi de la régulation nécessaire des marchés agricoles.
Cette régulation est tendanciellement mise à mal par les évolutions de la PAC au cours des deux décennies passées. À cet égard, la généralisation de l’assurance récolte contre « certains risques agricoles » m’inquiète profondément.
Dans la mesure où les risques sanitaires et environnementaux et les risques liés aux calamités sont déjà couverts, il s’agit implicitement des risques de baisse des prix agricoles ; de ce fait, cette disposition n’apparaît que comme une tentative d’adaptation – réservée à ceux qui auront les moyens financiers de s’assurer – au fonctionnement erratique des marchés agricoles.
Elle signifie clairement une capitulation devant ce qu’il faut appeler « l’ardente obligation » de réguler ces marchés agricoles.
On nous propose finalement, ni plus ni moins, d’instituer un dispositif néolibéral, déjà mis en place chez certains de nos voisins, en prévision de l’abandon programmé d’une PAC digne de ce nom.
Monsieur le ministre, nous attendions une vraie « modernisation de l’agriculture », qui réponde aux nouveaux défis, une agriculture plus riche en emplois, plus autonome, et qui intègre la dimension sociale du monde agricole. Cette dimension sociale est désespérément absente du texte. Or vous ne prévoyez que des aménagements à la marge qui, de fait, ne font que conforter la fuite en avant engagée depuis des décennies !
En l’état, ce texte apparaît comme un acte manqué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Pinton.
M. Louis Pinton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, agriculture et monde rural sont intimement liés par leurs développements respectifs. À cet égard, le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche qui nous est soumis aujourd’hui représente pour nos territoires ruraux une chance unique à saisir en matière d’aménagement et de développement. Le potentiel est immense.
« Il conviendra de préserver les principes de “taille humaine et familiale” des entreprises agricoles qui ont fait le succès de l’agriculture française dans ses fonctions de production mais aussi et surtout d’aménagement du territoire et de maintien du tissu rural ». Monsieur le ministre, cette excellente déclaration, extraite de la page 5 de l’exposé des motifs de votre projet de loi, pourrait s’appliquer dans toute sa force à l’élevage de bovins allaitants, et spécialement à l’engraissement des broutards dans les fermes qui les produisent.
Les justifications classiques des mesures décisives qui devraient être prises dans ce domaine sont bien connues.
Elles sont d’abord d’ordre microéconomique : il s’agit de l’amélioration de l’équilibre financier des exploitations traditionnelles par la création in situ de la valeur ajoutée.
Elles s’inscrivent ensuite sur un plan économique plus général ; je songe au développement d’activités connexes : abattoirs ou ateliers de découpe dans les régions plutôt pauvres qui en ont bien besoin.
Elles sont enfin d’ordre sanitaire : il s’agit ici du nécessaire maintien sur place des animaux, dont la circulation favorise la propagation d’épidémies difficilement maîtrisables, telles que la fièvre catarrhale bovine. Sur ce plan, le préjudice est d’ailleurs également économique, puisque toute nouvelle épizootie brise net la chaîne logistique de transports des bovins vers des sites d’engraissement extérieurs dont nous sommes tributaires.
Mais, à ces justifications classiques de la promotion de l’engraissement sur place des broutards, s’ajoutent désormais des arguments nouveaux.
Pour des raisons à la fois environnementales et économiques, nous percevons une fragilisation de l’activité d’engraissement en Italie, qui absorbe habituellement jusqu’à 80 % de nos broutards maigres.
Parallèlement, la production française ne parvient pas à satisfaire des besoins nationaux en augmentation. En effet, les comportements alimentaires changent en France, et la consommation de ce type de viande s’accroît.
Tout nous conduit donc à penser qu’il est plus que temps d’encourager résolument cette activité, en structurant de manière systématique et rigoureuse une filière française d’engraissement renforcée, seule susceptible de garantir une « porte de sortie » stable à nos broutards.
Nous ne pouvons continuer à dépendre, pour l’engraissement de ces jeunes bovins, d’aléas de toutes sortes, sur lesquels nous n’avons aujourd’hui aucune prise : épidémies, mutations économiques et structurelles chez nos partenaires, etc. Il s’agit désormais pour nous de devenir autonomes dans ce domaine, afin de maîtriser notre destin.
Telle est la justification de l’amendement que je vous proposerai d’introduire à l’article 1er du projet de loi, afin de faire figurer dans les objectifs de la « politique de l’alimentation » un plan national d’engraissement pour la filière des jeunes bovins. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Élisabeth Lamure. Au moment où l’agriculture française s’interroge sur son avenir, comme sur sa place pérenne dans l’économie mondiale, nous ne pouvons que vous accompagner, monsieur le ministre, dans votre initiative de modernisation de l’agriculture, rendue indispensable pour répondre aux défis du XXIe siècle et, dans l’immédiat, redonner confiance aux agriculteurs de toutes les filières.
Je souhaiterais intervenir brièvement sur deux points.
Le premier a trait à la viticulture, l’un des fleurons de notre pays, qui connaît depuis des années de graves difficultés.
La politique de la qualité, l’organisation de producteurs, la gouvernance de la filière sont autant de points majeurs du texte qui devront permettre, demain, aux vins de France d’être à la fois visibles et forts sur les marchés mondiaux, face aux vins d’autres régions du monde souvent soutenus par un marketing de grande ampleur, pour ne pas dire insolent.
Toutefois, la filière viticole française s’inquiète de la menace régulière de la disparition des droits de plantation.
Dans la région viticole dans laquelle je suis élue, le Beaujolais, beaucoup de sacrifices ont été consentis, avec d’abord la baisse des rendements, puis l’arrachage, qui atteint des superficies importantes : 3 000 hectares sur 20 000 ; c’est 15 % du vignoble qui a disparu en deux ans.
Aussi, alors qu’il y a quelques années ont été révélés les chiffres de 400 000 hectares de plantations illicites dans plusieurs pays du sud de l’Europe, comment faire admettre aux viticulteurs français une libéralisation des plantations ?
Le deuxième point qui me tient à cœur concerne les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Lors des travaux préparatoires à l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, également appelé « LMA », il a souvent été fait référence à la loi de modernisation de l’économie, la « LME ».
J’y suis d’autant plus sensible en tant que rapporteur de cette loi que j’ai publié un rapport d’étape en décembre dernier dans lequel j’ai fait clairement apparaître des relations commerciales extrêmement dégradées, et constaté que la seule ressource d’intervention était la répression, qui elle-même d’ailleurs a du mal à s’exercer ; en effet, les victimes n’osent pas dénoncer ces pratiques par crainte des sanctions commerciales et économiques que leur appliqueraient leurs clients, les distributeurs.
Vous avez dit, monsieur le ministre : « Ce n’est pas à la LMA de réécrire la LME. » Certes, vous avez raison, mais lorsqu’on constate que la législation n’est pas respectée, non pas parce qu’elle n’est pas bonne, mais parce qu’un rapport de force s’exerce au détriment des plus faibles, n’est-ce pas notre rôle d’apporter un correctif ?
C’est pourquoi il faut se féliciter des mesures nouvelles introduites par la commission. Elle a enrichi les missions des interprofessions. Elle a souhaité interdire la pratique du prix après vente et supprimé les 3R – rabais, ristournes, remises – toute l’année, même en dehors des périodes de crise, pour le secteur des fruits et légumes. Elle a renforcé les pouvoirs de l’Observatoire des prix et des marges.
Enfin, on ne peut que se réjouir de l’initiative du Président de la République, qui a tenu hier une réunion avec les représentants des agriculteurs, de l’industrie agroalimentaire, de la distribution, réunion portant sur les relations commerciales, au terme de laquelle ont été signés des accords de modération des marges dans le secteur des fruits et légumes.
Certes, ces accords pourraient aller plus loin, ne pas se cantonner au cas de crise, mais c’est néanmoins une grande avancée pour les producteurs.
Enfin, je voudrais terminer par une réflexion plus qu’une question, liée à l’alimentation. Des chiffres ont été récemment publiés concernant la consommation de la nourriture. L’un d’eux est à mon sens effrayant : 40 % de la nourriture produite ne serait pas consommée, c’est-à-dire que 40 % de la nourriture disponible à la consommation dans notre pays, ou plus largement en Europe, serait ainsi jetée !
Monsieur le ministre, je n’attends pas de réponse ; je sais que nous sommes tous concernés, et je crois que nous ne pouvons ni rester indifférents à ce constat, ni faire l’impasse sur ce sujet qui doit d’urgence alimenter nos réflexions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)