Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture et la pêche connaissent une situation de crise sans précédent : pertes de revenus supérieures à 30 %, remboursement d’aides qui ont été versées alors qu’elles n’étaient pas « eurocompatibles », incertitudes quant à l’avenir de la PAC après 2013…
Notre responsabilité collective est donc majeure : il s’agit à la fois d’apporter des réponses aux situations de détresse qui se multiplient et de proposer des perspectives d’avenir crédibles à nos agriculteurs et à nos pêcheurs, qui en ont tant besoin.
Malheureusement, monsieur le ministre, le texte qui nous est soumis nous semble éloigné de ces objectifs. Même si je salue le travail important des rapporteurs et de la commission de l'économie, je crains que ces mesures ne se révèlent finalement assez peu efficaces.
Nous le savons tous, les racines du mal résident tout d’abord dans les impasses du modèle libéral, à l’échelon tant mondial qu’européen ou national : loi du marché, libre-échange et dérégulation n’ont fait qu’accentuer la volatilité des prix agricoles, aggraver les crises alimentaires et amplifier la spéculation.
La crise que traverse aujourd’hui le monde agricole illustre les dérives d’un modèle à bout de souffle, privilégiant le court terme et la recherche effrénée de la production au moindre coût. En l’espèce, la question du prix des productions et des mécanismes de formation de ce prix reste cruciale.
Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix –rappelons-nous les promesses de « mondialisation heureuse » ! – et plus récemment encore, les chantres de la libéralisation et de la mise en concurrence de toutes les productions et des services ont ainsi prétendu qu’il s’agissait là des solutions miracles aux déséquilibres internationaux. Nous avons, hélas ! pu en observer les effets destructeurs. Depuis 2002, les gouvernements successifs ont contribué à accentuer cette dérive qui a structurellement affaibli notre modèle en matière de pêche et d’agriculture : je pense à la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, dont l’objectif affiché n’était que de faire des exploitations agricoles des entreprises comme les autres, à la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, qui n’a eu aucun effet sur les prix à la consommation tout en permettant à la grande distribution d’imposer aux exploitants agricoles des prix de moins en moins rémunérateurs (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste), au bilan de santé de la PAC, qui a été adopté sous présidence française de l’Union européenne et qui a marqué un pas de plus vers la dérégulation.
Pourtant, alors que nous ne cessons d’entendre affirmer, à cette même tribune, que les produits agricoles ne doivent pas être traités comme des biens de consommation comme les autres, force est de constater que, à l’échelon des négociations mondiales, rien ne semble bouger. Les règles de l’OMC ne prennent quasiment pas en compte les facteurs non commerciaux tels que la reconnaissance primordiale du droit à la santé, avec le principe de précaution, ainsi qu’à une alimentation suffisante et saine, la lutte contre le changement climatique, le respect des ressources naturelles et de la biodiversité, sans parler du respect des normes sociales. Monsieur le ministre, y aura-t-il enfin bientôt une véritable volonté de la France, mais aussi de l’Europe, de faire appliquer de nouveaux critères légitimes dans les négociations commerciales, garantissant la reconnaissance des spécificités de l’agriculture européenne ?
Plus grave encore demeure le problème récurrent de l’affaiblissement programmé des finances de l’État. Les lois de finances successives présentent un budget agricole sous-dimensionné et des moyens humains inadaptés pour accompagner sur le terrain les agriculteurs, ce qui laisse la place libre à une gestion de crise par à-coups, sans aucune vision de long terme.
À quoi sert-il d’afficher une volonté de réguler les relations commerciales s’il n’y a plus de moyens humains pour les contrôler ? Pourquoi promettre des outils de gestion quand il n’existe aucun moyen de les mettre en œuvre et de les évaluer dans de bonnes conditions sur le terrain ?
Dans un tel contexte, je déplore aussi le dévoiement du fameux article 40 de la Constitution, la finesse du crible différant parfois selon l’origine des amendements…
M. Didier Guillaume. Toujours !
Mme Odette Herviaux. Cela étant, nul n’est à l’abri d’un oubli !
Par exemple, monsieur le ministre, l’article 40 a été invoqué contre nos amendements visant à réaffirmer l’importance du rôle de l’ex-DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de la DSV, la Direction des services vétérinaires, ou des moyens de contrôle de votre ministère,…
M. Didier Guillaume. Eh oui !
Mme Odette Herviaux. … alors que nous réclamions simplement que l’État s’engage à assumer ses responsabilités !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il a bon dos, l'article 40 !
Mme Odette Herviaux. Si ce n’est pas de la rigueur, voire de la récession, qu’est-ce donc ? (Marques d’approbations sur les travées du groupe socialiste.)
Le nécessaire rééquilibrage des comptes de l’État ne doit ni aboutir au sacrifice des outils de gestion et d’intervention essentiels ni permettre d’opérer indistinctement des coupes claires dans des budgets ministériels stratégiques, comme l’est celui de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, puisqu’il s’agit selon vos propres termes, monsieur le ministre, d’un secteur stratégique pour la nation.
Au contraire, il conviendrait que le Gouvernement réfléchisse aux impasses d’une politique fiscale particulièrement injuste du point de vue social et singulièrement improductive sur le plan économique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
Mme Odette Herviaux. Il y va de la place de notre économie, du maintien des emplois de nos agriculteurs et de nos pêcheurs, de la vitalité de nos territoires et de l’équilibre alimentaire de l’Europe.
Or, comment croire encore le Président de la République lorsqu’il prétend abandonner le dogme libéral et promouvoir de nouvelles régulations, sans en définir plus concrètement le contenu, menacer la grande distribution tout en défendant et en préservant la LME,…
M. Gérard Miquel. Personne ne le croit !
Mme Odette Herviaux. … faire la promotion du Grenelle II après avoir déclaré que les « normes environnementales, ça suffit », enfin réunir les partenaires la veille du débat pour tenter de « régler le problème » sans attendre le vote du projet de loi dont nous débutons l’examen aujourd’hui ? Quelles promesses fait-il ? Je ne reprendrai pas, à cet instant, les appréciations de certains quotidiens nationaux ou régionaux, mais tout de même : son attention se porte uniquement sur la gestion des périodes de crise dans la filière fruits et légumes, alors que ce sont toutes les filières qui souffrent !
La manifestation des céréaliers, voilà quelques semaines, est symptomatique des limites du modèle productiviste orienté vers les exportations. Ceux qui sont censés être les plus compétitifs, qui reçoivent le plus d’aides européennes, ont eux aussi été rattrapés par la crise !
Face aux désillusions et à la perte de confiance du monde agricole, le présent texte vise à généraliser la contractualisation dans un cadre privé. Si cette dernière présente l’avantage indéniable de clarifier les relations entre producteurs et acheteurs et d’anticiper ce que sera peut-être la future PAC, elle ne remplacera en rien une régulation publique de l’offre agricole à l’échelle européenne. Elle ne prend par ailleurs pas en compte les services rendus par les agriculteurs sur l’ensemble de nos territoires, services qui ont notamment été reconnus dans les CTE, les contrats territoriaux d’exploitation.
En outre, ce texte ne prête que peu d’attention aux hommes, notamment aux jeunes souhaitant s’installer, aux plus âgés en recherche de transmission ou de reconversion, aux retraités n’arrivant pas à s’en sortir avec leur maigre pension. Si l’on met cela en parallèle avec ce qui est envisagé en termes de protection du foncier, on est en droit de s’interroger !
À ce titre, l’Europe sociale que nous appelons de nos vœux consiste non pas à aligner le coût de la main-d’œuvre agricole française sur celui de certains de nos partenaires européens, mais à enclencher une dynamique d’intégration par le haut.
Enfin, en ce qui concerne le secteur de la pêche, je rappellerai tout d’abord que, lors d’une conférence sur le Livre vert qui s’est tenue à Bruxelles au mois de décembre dernier, très nombreux ont été ceux qui ont préconisé une plus grande décentralisation de la politique commune des pêches, afin de prendre en compte certaines spécificités régionales et de reconnaître la diversité des activités impliquant les intervenants du secteur. Il apparaît clairement que seule une approche territorialisée demeure susceptible de permettre une alliance solide entre l’exigence environnementale, la performance sociale et le dynamisme économique. L’uniformisation et la recentralisation de ce secteur, promues au travers du texte qui nous est soumis, ne me semblent pas tenir entièrement compte de ces préoccupations.
Les dispositions relatives à la pêche portent en effet essentiellement sur la structuration et l’organisation de la filière.
L’abandon du caractère interprofessionnel des comités des pêches contredit ainsi la recherche d’une efficacité économique, tandis que l’abandon de la gestion de la ressource aux organisations de producteurs, qui, je le rappelle, ne représentent pas tous les professionnels, peut constituer un risque de régression écologique au regard de l’implication des comités.
Ces comités locaux que vous sacrifiez sur l’autel de la rentabilité ont pourtant fourni toutes les preuves de leur utilité sociale et écologique, qu’il s’agisse de leur implication dans la mise en place de zones protégées ou de la représentation équilibrée de tous les acteurs : armateurs, patrons pêcheurs, mais aussi marins salariés. Selon les régions, leur histoire et leur lien au territoire sont différents, mais toujours très forts. Dans beaucoup de ports, notamment en Bretagne, leur disparition ne peut se concevoir sans une forte amertume.
Par ailleurs, l’absence de proposition concrète pour le financement et la pérennisation des ressources déployées dans le cadre de la restructuration de la filière interdit toute projection et plonge les professionnels dans une angoisse bien compréhensible.
Monsieur le ministre, notre ambition aurait été de faire de ce texte une vraie loi de modernisation agricole, fondatrice d’une agriculture performante, respectueuse de l’environnement, éco-productive, rémunératrice mais plus équitable, pourvoyeuse d’emplois et de productions variées dans tous nos territoires.
Nous formons donc le vœu que vous-même et les rapporteurs de la commission de l’économie soyez plus à l’écoute de l’opposition et, surtout, de la détresse des agriculteurs et des pêcheurs, faute de quoi nous ne pourrons voter ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, l’agriculture traverse une crise dont on ne perçoit pas l’issue, tant elle est profonde, durable et générale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la baisse des revenus atteint 32 % en moyenne pour toutes les productions, et même 53 % pour la filière arboricole !
Si quelques secteurs, comme celui des céréales, ont connu récemment deux années fastes avec une montée des cours en 2006 et en 2007, l’agriculture est en permanence soumise à des turbulences, et ce depuis de nombreuses années.
Déjà, en 2005, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation agricole, nous cherchions à donner à ce secteur les moyens de faire face à des difficultés conjoncturelles récurrentes. Depuis, chaque année, lors du débat budgétaire, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », nous faisons le constat de fortes incertitudes économiques.
Bien qu’il soit très combatif et toujours prêt à s’adapter et à se moderniser, le monde agricole est gagné par le désespoir. Comment pourrait-il en être autrement alors que le travail des agriculteurs est en permanence remis en cause ? Quand ce ne sont pas les aléas climatiques qui mettent régulièrement en danger leurs récoltes, ce sont les aléas sanitaires qui frappent brutalement leurs exploitations, avec, pour couronner le tout, la menace permanente de la volatilité des cours ! Quel autre secteur de la vie économique cumule autant de handicaps venus de l’extérieur et vit ainsi dans une insécurité permanente et la peur du lendemain ? Aucun !
Le soutien des pouvoirs publics est donc indispensable afin de ne pas laisser disparaître un monde qui, malgré tout, continue de revêtir une importante dimension stratégique.
En effet, mes chers collègues, la production agricole française porte l’industrie agroalimentaire, dont le chiffre d’affaires a tout de même atteint 138 milliards d’euros en 2007 et qui contribue de façon essentielle aux exportations de notre pays.
L’agriculture est en outre garante de l’équilibre et de l’aménagement du territoire. Elle est le poumon de plusieurs milliers de communes dont la vie économique est totalement dépendante de cette activité. N’oublions pas, par ailleurs, que le défi alimentaire que nous aurons à relever demain impose de créer les conditions du maintien du plus grand nombre d’exploitations possible.
Dans cette perspective, que nous proposez-vous, monsieur le ministre ? Une loi de modernisation agricole.
Ce texte est naturellement bienvenu sur le plan du principe, même si son intitulé surprend : en matière de « modernisation », voilà longtemps que les exploitants font preuve d’une grande capacité d’innovation. Ainsi, au cours des dernières années, malgré un contexte économique défavorable, les rendements se sont améliorés dans quasiment toutes les filières. C’est une simple question sémantique, me direz-vous, mais il me semble important de veiller à donner du monde agricole l’image la plus précise et la meilleure possible.
Aujourd’hui, les agriculteurs ont surtout besoin d’une palette d’outils leur permettant de contrebalancer la libéralisation des marchés agricoles. Je regrette que le projet de loi n’aille pas vraiment dans cette direction. Certes, il contient quelques pistes, en matière de régulation interne, soutenables quant à leurs objectifs.
Oui, monsieur le ministre, il est utile de renforcer la contractualisation afin d’inscrire l’agriculteur dans une relation transparente et équilibrée avec ses acheteurs. Les producteurs de fruits et légumes attendent la suppression des remises, rabais et ristournes, la fin des « prix après-vente » et l’encadrement des annonces de prix hors lieu de vente. À cet égard, un premier pas a été franchi hier soir, avec la signature d’un accord de modération des marges et des prix ; on peut s’en féliciter.
Oui, il est également souhaitable d’encourager l’action des interprofessions pour une organisation plus solide des filières.
Oui, on peut aussi débattre de la façon dont sont organisés les producteurs.
Mais une fois que tous ces points auront été examinés, nous n’aurons pas répondu au problème de la dérégulation progressive de l’agriculture à l’échelle internationale, contexte dans lequel le modèle agricole français, soucieux de performances économiques mais aussi sociales et environnementales, a bien du mal à s’imposer.
Monsieur le ministre, l’Appel de Paris, que vous avez lancé le 10 décembre 2009, a-t-il été bien entendu par nos partenaires européens ? Que nous réserve la PAC après 2013 ? La France recherche un nouveau mode de régulation, tenant compte des efforts des uns et des carences des autres. Nos agriculteurs ne redouteraient pas la concurrence si celle-ci était loyale, nous le savons tous. Mais comment accepter que, dans un marché de plus en plus ouvert, les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs soient différentes d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre ? L’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, sous prétexte d’assurer l’accès aux marchés, ne fait qu’organiser une grande braderie agricole. Dans ces conditions, les agriculteurs français souffrent d’un véritable désavantage compétitif. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ne me paraît pas, hélas, de nature à inverser le cours des choses.
Pour apporter une réponse plus immédiate à la crise, il aurait été par exemple utile de prolonger l’effort consenti dans la loi de finances rectificative pour 2009 en faveur de l’allègement des charges, qui est un facteur clé de la compétitivité de l’agriculture. Cependant, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre, au travers des propos que vous avez tenus hier, que telle n’était pas la direction dans laquelle nous nous engagions.
Mes chers collègues, la situation de l’agriculture est alarmante. Des milliers d’emplois vont encore disparaître si les bonnes réponses ne sont pas apportées dès aujourd’hui. Or, malgré quelques avancées, le présent projet de loi est globalement décevant, et les solutions franco-françaises qu’il comporte seront vite dépassées si notre modèle n’est pas mieux défendu au sein des instances internationales.
En tout cas, monsieur le ministre, les radicaux de gauche considèrent que ce texte ne permettra pas de répondre à la gravité de la crise que subissent les agriculteurs français. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi dit de modernisation de l’agriculture et de la pêche nous est présenté alors que la quasi-totalité des filières sont en crise. Derrière elles, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent, mais aussi des collectivités locales qui voient leurs campagnes se vider de leurs paysans et leur agriculture se concentrer à outrance.
Nous partageons la première partie des objectifs que se fixe le Gouvernement, selon lequel « la Nation doit proposer des réponses structurelles aux secteurs de l’agriculture, de la forêt, de l’aquaculture et de la pêche qui sont stratégiques pour continuer à garantir sa sécurité alimentaire, mais aussi participer à sa dynamique économique, contribuer au défi énergétique et environnemental et répondre aux enjeux de l’aménagement du territoire et du maintien d’un tissu rural actif et performant ».
A contrario, la seconde partie de ces objectifs montre que ce texte est avant tout un projet de loi d’adaptation, et non de modernisation, puisqu’il s’agit de préparer « la poursuite des négociations du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce, la réforme de la politique agricole commune de 2013 et de la politique commune des pêches en 2012 ».
L’objectif d’adaptation au cycle libéral et interminable de Doha est pour le moins inquiétant pour notre agriculture. Il faut sortir ce secteur du champ de ces négociations.
L’objectif d’adaptation à la politique commune des pêches de 2012 et à la politique agricole commune de 2013 nous laisse profondément dubitatifs quand nous lisons le rapport de l’eurodéputé libéral britannique George Lyon, qui propose une PAC plus équitable, plus durable et plus verte. Pour ce monsieur, une agriculture « équitable » signifie une agriculture productive et compétitive bordée de « filets –minimaux – de sécurité pour gérer la volatilité extrême des marchés ». Cet exemple en dit long sur l’adaptation à laquelle il va falloir procéder !
Quant à l’aide de base à l’hectare, également prévue pour 2013, si elle n’est pas encadrée, elle peut devenir une formidable prime à l’agrandissement démesuré des exploitations, au détriment de celles de taille humaine et familiale.
Alors, modernisation ou adaptation ? Dans les deux cas de figure, il faut être vigilant, tant le terme « modernisation » a pu figurer dans l’intitulé de lois en réalité très régressives.
Je voudrais à présent revenir sur le travail de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, laquelle a amélioré le texte sur certains points sans en changer l’économie générale.
Nous apprécions cependant la suppression de l’article consacré au statut d’agriculteur-entrepreneur, ainsi que les mesures tendant au renforcement des circuits courts, de la situation des producteurs de fruits et légumes frais et du rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous partageons également le souhait de voir mettre en place une réassurance publique pour l’assurance-récolte, ainsi qu’une meilleure coopération entre pêcheurs et scientifiques. Voilà pour les principales évolutions par rapport au texte initial.
En revanche, nous regrettons que la commission ait supprimé l’article créant une taxation des plus-values sur les cessions de terrains, alors qu’il aurait été préférable de revaloriser celle-ci au profit des collectivités locales et de l’installation des jeunes agriculteurs.
L’article relatif à l’installation sous forme sociétaire qui a été inséré par la commission est quant à lui beaucoup trop restrictif au regard de la diversité de la demande.
Par ailleurs, si le lissage fiscal proposé relève certes de bonnes intentions, concernera-t-il l’ensemble des statuts agricoles ?
Enfin, nous regrettons que la commission, en dépit de la volonté commune affirmée par une très grande majorité de ses membres, ne soit pas revenue sur les dispositions très négatives de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
Je reviendrai dans quelques instants sur l’article 3, qui est la clé du texte. Rien n’y garantit des prix rémunérateurs aux producteurs ; en l’état, les dispositions de la LME ont d’ailleurs un effet inverse.
Pour l’heure, intéressons-nous au texte de la commission, sur lequel nous sommes appelés à nous exprimer.
Au titre Ier, l’article 1er tend à définir et à mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation. Ce titre est le plus consensuel et le plus positif du projet de loi, puisqu’il s’agit de promouvoir les circuits courts et les productions locales, ainsi que d’informer les consommateurs sur l’origine des produits et sur la présence, fréquente, de colorants, de conservateurs, d’OGM et autres éléments dont les effets sur la santé humaine restent incertains.
L’enseignement général et les familles doivent prendre à bras-le-corps les questions liées à l’alimentation, à l’approvisionnement, à la préparation des mets, au repas structuré. Or le texte reste flou sur les impératifs sociétaux. Les conditions de vie de nos concitoyens, soumis à rude épreuve en matière de revenus, de rythmes de travail et de logement, ne facilitent pas une évolution positive dans ce domaine vital qu’est l’alimentation.
Quant à l’article 2, il tend à donner carte blanche au Gouvernement pour tirer les conséquences des états généraux du sanitaire. Nous en demanderons la suppression dans la mesure où il conforte la RGPP.
Le titre II est le cœur de ce texte. Ses dispositions sont censées permettre d’améliorer le revenu agricole, mais restent très éloignées des crises récentes, de leurs causes et des remèdes efficaces à y apporter.
Le titre II est intitulé « Renforcer la compétitivité de l’agriculture française ». Mais jusqu’où cette compétitivité peut-elle aller ? S’il s’agit de rivaliser avec les prix mondiaux, la bataille est perdue d’avance ; s’il s’agit de produire toujours plus de quintaux à l’hectare ou d’animaux au mètre carré, c’est très inquiétant pour l’environnement.
La contractualisation encadrée et renforcée nous est présentée comme la solution idéale. La LME, ou loi de modernisation de l’économie, restant effective, permettez-moi d’en douter, d’autant qu’une telle contractualisation existe déjà dans le code rural et de la pêche maritime et n’a pas été utilisée.
Monsieur le ministre, la seule bonne loi de nature à favoriser des revenus agricoles rémunérateurs est une loi qui fera hurler les tenants de la grande distribution. Pour l’instant, je n’entends ni ne vois rien de nouveau : les centrales d’achat continuent d’imposer leur loi d’airain, leurs propres règles, et élargissent leur dictature, y compris sur les produits biologiques, pour modéliser ce type d’agriculture, comme elles l’ont fait pour l’agriculture conventionnelle.
L’accord sur les fruits et légumes intervenu hier avec la grande distribution ne garantit en rien des prix rémunérateurs, dans la mesure où il se réfère aux années passées, au cours desquelles les prix étaient particulièrement bas. Il en faudra bien plus pour désamorcer les crises à répétition.
Nous proposerons donc d’amender cette partie du texte, afin d’interdire la vente à perte, de définir un prix plancher au-dessous duquel on ne peut vendre et un prix minimum indicatif. Nous souhaitons en outre que soient obligatoirement précisés dans le contrat le prix payé et les conditions de résiliation.
Quant au coefficient multiplicateur, voté mais rarement appliqué, il mérite d’être adapté et élargi, car il porte dans son principe l’équilibre entre producteurs et distributeurs, tout en respectant le consommateur. Il devrait être à la base d’une réflexion économique approfondie et généralisée pour assurer cet équilibre à tous les niveaux. Nous sommes ouverts à toute proposition constructive dans ce domaine, monsieur le ministre.
La réactivation de l’Observatoire des distorsions de concurrence est une bonne mesure. Pour ce qui concerne un autre observatoire, celui des prix et des marges, nous tenterons de renforcer encore ses prérogatives, dans le but notamment d’obtenir des centrales d’achat et de la grande distribution les données qu’elles refusent aujourd’hui de transmettre, sous couvert du secret commercial.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires doit devenir un véritable outil d’information, de prospective et d’alerte de la profession, pour anticiper et éviter les crises.
À propos des interprofessions, nous entendons améliorer leur fonctionnement en promouvant une gouvernance plus démocratique. Leur incapacité à réguler les volumes et les prix témoigne non seulement des dysfonctionnements du système, victime de la dictature des marchés, mais aussi d’une docile adaptation des responsables en leur sein.
Nous l’avons dit et redit, la concentration des organisations de producteurs, coopératives ou non, n’est pas une garantie de meilleurs prix agricoles. Il existe déjà des mastodontes qui ne pèsent pas lourd face aux centrales d’achat. Plus inquiétant est le lien qui va s’établir entre les producteurs et les organisations de producteurs, afin que personne ne reste au bord du chemin, parce que « trop petit », « trop éloigné » ou « trop revendicatif ». Monsieur le ministre, la crise laitière vient de mettre ces risques en évidence. Des dispositions législatives doivent y pallier.
Par ailleurs, l’assurance récolte est un vrai sujet, auquel nous sommes tous attachés.
D'une part, le niveau de revenu est la première condition nécessaire pour que chacun puisse assurer sa récolte. D'autre part, au mécanisme prévu par le projet de loi, qui confie cette responsabilité aux grands groupes d’assurance privés, nous préférons une solution publique et mutualisée.
Monsieur le ministre, la timidité du Gouvernement en matière de réassurance publique du système proposé interpelle l’ensemble des sénateurs sur sa volonté réelle d’aboutir. Si celui-ci est adopté, il doit être non lucratif pour les grands groupes d’assurance et intégré dans leur volet « développement durable ».
Le projet de loi entérine la vision mercantile de la gestion de la forêt soutenue par Nicolas Sarkozy dans son discours d’Urmatt.
La politique engagée dans ce domaine recèle énormément de dangers pour l’avenir de notre patrimoine forestier. Elle signe l’abandon de fait du principe de la gestion multifonctionnelle de cette forêt, pourtant inscrite dans la loi, en lui appliquant une gestion purement mercantile.
La gestion forestière ne s’appréhende qu’à très long terme. Or la révolution, c'est-à-dire le temps nécessaire qui sépare deux peuplements forestiers, se situe à l’échelle du siècle. Il est donc impératif de soustraire la gestion forestière aux influences et aux aléas du marché.
C'est la raison pour laquelle le code forestier confie l’ensemble des forêts publiques françaises à l’Office national des forêts.
C'est aussi pour cette raison qu’a été institué un versement compensateur : ainsi, chaque collectivité, quelle que soit la valeur marchande de sa forêt, peut bénéficier de la même qualité de gestion.
Si le domaine forestier français va mal, la responsabilité en incombe d’abord à l’État, et doublement : il s’est désengagé du financement du service public forestier, et ce au mépris de la loi ; il prône une politique de réforme générale des politiques publiques entraînant baisse des effectifs et hausse des récoltes.
Pourtant, les tempêtes qui dévastent cycliquement la forêt française démontrent qu’il n’est pas sérieux de maintenir cette politique de réduction des effectifs, de suppression des triages et de fermeture des services administratifs de proximité.
J’en viens maintenant au titre IV, qui vise à moderniser la gouvernance de la pêche.
La mise en œuvre des dispositions qu’il prévoit va conduire aux mêmes déficiences démocratiques que celles qui existent déjà en matière agricole. M. Revet, rapporteur du texte, a raison.