compte rendu intégral
Présidence de M. Guy Fischer
vice-président
Secrétaires :
Mme Sylvie Desmarescaux,
Mme Anne-Marie Payet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à une mission commune d’information
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-six membres de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires.
Je vous rappelle que cette mission a été créée sur l’initiative du groupe socialiste, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat, qui prévoit, pour chaque groupe, un « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par année parlementaire.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.
Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
3
Saisie et confiscation en matière pénale
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (proposition de loi n° 454 rectifié, 2008-2009 ; texte de la commission n° 329, rapport n° 328).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 juin 2009, vise à refondre les règles applicables en matière de saisie, à mettre en place une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués et, enfin, à renforcer nos mécanismes de coopération pénale en cette matière.
Ce texte permettra d’appréhender le plus largement possible les avoirs criminels, quelle qu’en soit la nature, en encourageant le développement des enquêtes patrimoniales, ce qui facilitera l’action des services de police et de la justice.
Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis convaincu que ce nouvel outil deviendra un instrument incontournable pour lutter plus efficacement contre l’économie souterraine et les trafics qui l’alimentent.
Nous le savons tous en tant qu’élus de terrain, l’argent des trafics et l’économie souterraine ne sont pas de simples sujets de discussion entre nous. Derrière, se cachent des drames, des morts, des personnes en souffrance, quand ce ne sont pas les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques qui sont remis en cause.
Je tiens ici à saluer l’efficacité tant des groupements d’intervention régionaux, de la police, de la gendarmerie, des douanes que des juridictions interrégionales spécialisées, notamment, qui, nous le constatons tous les jours sur le terrain, obtiennent déjà des résultats remarquables dans ce domaine.
Il est cependant plus que nécessaire de moderniser notre droit pour empêcher les organisations criminelles de se sentir impunies. En effet, les peines privatives de liberté ne constituent pas, dans ces cas, à elles seules, une réponse efficace.
L’expérience le montre, les délinquants redoutent d’être privés plus encore, ou, à tout le moins, autant, du fruit de leurs crimes que de leur liberté. Le modèle de l’argent facile illégalement acquis peut séduire les plus jeunes en particulier ; c’est sur ce terrain-là aussi qu’il nous faut combattre.
Permettez-moi ici de saluer le remarquable travail réalisé par M. Zocchetto, qui, en tant que rapporteur, a su parfaitement traduire les attentes des enquêteurs et des magistrats, en conciliant celles-ci avec les enjeux juridiques et financiers qui se rattachent à ce texte.
En 2008, le montant des biens gelés ou saisis s’élevait à près de 94 millions d’euros, soit une hausse, en valeur, de 41 % par rapport à l’année précédente. Ce chiffre pourrait être beaucoup plus élevé si ne se posaient pas plusieurs difficultés liées à la mise en œuvre des saisies des avoirs des criminels. Nous voulons franchir ces obstacles avec cette proposition de loi.
D’une part, il est indispensable de se doter d’un cadre procédural spécifique – tel est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi – pour permettre la réalisation d’enquêtes patrimoniales à côté des investigations dont la finalité est la recherche de la preuve matérielle de l’infraction.
Les enquêteurs pourront ainsi mener des perquisitions pour identifier ou localiser les biens confiscables. Il s’agit d’un dispositif indispensable et parfaitement complémentaire de la plateforme d’identification des avoirs criminels mise en place depuis septembre 2005 au sein de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière.
Ce texte permettra également la saisie de biens qui pourront être confisqués, même s’il ne s’agit pas directement de l’instrument ou du produit de l’infraction. Il n’était en effet pas cohérent que la loi prévoie les confiscations sans avoir fourni les moyens juridiques de nature à éviter la disparition de ces biens avant l’exécution du jugement.
D’autre part, les mesures conservatoires rendues possibles depuis 2004 sont prises selon les règles civiles des voies d’exécution, lesquelles sont difficiles à appliquer dans un cadre pénal.
La saisie des actifs immobiliers et immatériels des délinquants soulève souvent des questions extrêmement complexes. Ce n’est pas sans raison que le crime organisé privilégie depuis longtemps d’ailleurs les investissements dans la pierre ou les fonds de commerce, les placements financiers ou encore les actions et les titres.
Pour adapter notre droit aux pratiques délictueuses, ce texte définit un cadre juridique parfaitement adapté, qui distingue les diverses catégories de biens spéciaux. Il s’agit, au moyen de saisies sans dépossession, d’assurer la représentation des biens qui ne sont pas matériellement saisis et retirés à leur détenteur.
Enfin, les difficultés pratiques et juridiques nombreuses et les frais engendrés amènent trop souvent les enquêteurs et les magistrats à renoncer à ces saisies.
Dès lors, le nombre de décisions de confiscation se voit limité, puisque, le plus souvent, les juridictions ne prononcent la confiscation que des seuls biens déjà saisis.
De plus, chaque année, la conservation des biens saisis nous coûte plus de 15 millions d’euros. Parallèlement, les ventes anticipées de biens en cours de procédure n’ont rapporté, en 2008, que 3 millions d’euros.
Il est donc essentiel de faciliter la mise en œuvre des saisies et confiscations par le biais de la création d’une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. C’est ce que prévoit la présente proposition de loi.
Cet établissement public à caractère administratif, présidé par un magistrat de l’ordre judiciaire, placé sous la cotutelle du ministre de la justice et de celui du budget, relaiera l’action des enquêteurs et des magistrats et assurera une gestion plus rationnelle des biens saisis et confisqués, notamment des biens « complexes », tels que les sociétés commerciales, les fonds de commerce, les bateaux, les immeubles, les animaux…
Cette agence agira sur mandat de justice pour assurer la saisie et le gel des biens que les magistrats veulent appréhender. Elle pourra, ensuite, en assurer la gestion et, éventuellement, la vente avant jugement. Elle sera, enfin, chargée de réaliser les confiscations ordonnées par les juridictions pénales. Son action encouragera et facilitera une appréhension plus large des bénéfices tirés par les délinquants de leurs activités. L’objectif est de permettre à cette agence de s’autofinancer assez rapidement non seulement par le produit de la vente des biens confisqués lorsqu’elle est elle-même intervenue pour leur gestion et leur vente, mais aussi par une partie du produit du placement des sommes saisies ou acquises par la gestion des avoirs saisis et versées sur son compte à la Caisse des dépôts et consignations.
Cette proposition de loi accorde également une place importante à la victime en lui permettant d’obtenir le paiement de ses dommages et intérêts sur les biens confisqués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce combat ne peut plus être celui d’un seul pays, face aux offensives d’organisations criminelles souvent très sophistiquées et de plus en plus internationales. Depuis longtemps, la criminalité ne connaît plus de frontières. La suppression du contrôle aux frontières et la libre circulation des personnes et des capitaux facilitent la dissimulation à l’étranger des avoirs criminels. C’est pourquoi tous les pays doivent s’engager à lutter de concert pour mettre fin à ces trafics.
La transposition de la décision-cadre du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation répond à ces objectifs.
Cette décision-cadre facilite la coopération entre les États membres de l’Union européenne en instaurant un mécanisme de reconnaissance mutuelle et d’exécution des décisions de confiscation de biens. Les États membres seront tenus de reconnaître et d’exécuter sur leur territoire les décisions de confiscation rendues, en matière pénale, par un tribunal compétent d’un autre État membre. La transposition de cette décision-cadre permettra d’adresser la décision de confiscation à plusieurs États membres, notamment lorsque le même bien est susceptible de se trouver sur le territoire de plusieurs États ou lorsque les éléments d’actifs visés sont dispersés.
Je me réjouis que ce texte permette de codifier dans le code de procédure pénale les dispositions relatives à la coopération judiciaire applicables en matière de saisie et de confiscation.
Que ce soit au sein de l’Union européenne ou hors de l’espace communautaire, la France disposera ainsi des textes lui permettant d’offrir son concours dans la lutte contre la délinquance et la criminalité transfrontalières.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous invite à adopter cette excellente proposition de loi, qui donnera aux enquêteurs et aux magistrats les outils nécessaires pour appréhender et confisquer les profits réalisés par la délinquance et le crime organisé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est invitée à se prononcer sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 4 juin 2009, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
J’invoquerai une fois de plus ici les mânes de Beccaria : « Pour qu’un châtiment produise l’effet voulu, il suffit qu’il dépasse l’avantage résultant du délit. »
À cette fin, ce texte tend à améliorer les outils juridiques dont dispose l’État pour confisquer les profits tirés d’activités illicites. Il s’inscrit dans un ensemble de réformes plus globales engagées par l’Union européenne et tendant à améliorer la lutte contre le blanchiment de capitaux et la coopération internationale en matière de lutte contre le crime organisé.
En France, la peine de confiscation existe déjà, mais elle ne peut être prononcée que dans le cadre d’une procédure pénale et ne peut être exécutée qu’une fois la décision de condamnation devenue définitive.
Ainsi, lorsque plusieurs années séparent l’ouverture de l’enquête de la décision définitive de confiscation, la personne mise en cause a eu, vous le comprendrez aisément, tout le temps nécessaire d’organiser son insolvabilité ou de « faire disparaître » les éléments de son propre patrimoine, quand bien même celui-ci aurait été acquis grâce à des activités illicites.
En dépit des différents textes en vigueur, les tribunaux ne prononcent, en réalité, que très rarement la confiscation des biens qui n’ont pas été rendus indisponibles au cours de l’enquête.
Depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, la confiscation est encourue de plein droit pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an. De plus, sont susceptibles d’être confisqués tous les biens qui ont servi à commettre l’infraction, tous ceux qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction ainsi que tout bien, meuble ou immeuble, défini par la loi ou le règlement qui réprime l’infraction.
Enfin, la confiscation peut porter sur l’ensemble des biens du condamné, d’une part, lorsque ce dernier a été condamné pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, et qu’il n’a pu justifier l’origine des biens dont la confiscation est envisagée ; d’autre part, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit expressément. C’est notamment le cas en matière de traite des êtres humains, de proxénétisme, d’actes de terrorisme ou de trafic de stupéfiants.
Ainsi, le régime juridique de la peine complémentaire de confiscation apparaît très dissuasif.
Néanmoins, son application est largement privée d’effectivité et, force est de le reconnaître, notre législation présente de graves lacunes, regrettées par tous ceux qui interviennent dans la chaîne pénale.
Aujourd’hui, il est possible de saisir des biens dans le cadre d’une mesure tendant à la manifestation de la vérité.
La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite Perben II, permet au juge des libertés et de la détention d’ordonner des mesures conservatoires sur l’ensemble des biens d’une personne mise en examen, afin de garantir le paiement des amendes encourues, l’indemnisation des victimes et l’exécution de la confiscation.
Néanmoins, le juge des libertés et de la détention ne dispose d’aucune prérogative de puissance publique pour ces mesures conservatoires, qui sont ordonnées selon les modalités prévues par les procédures civiles d’exécution. Or ces procédures peuvent se révéler complexes à mettre en œuvre, particulièrement en matière immobilière, d’autant que les juges habitués à traiter de questions pénales sont peu familiarisés avec les procédures civiles d’exécution ; c’est du moins ce qu’ils nous ont dit.
Dans le silence des textes, certains magistrats ont néanmoins considéré que, puisque cela n’était pas interdit, rien ne s’opposait à ce qu’un juge d’instruction puisse saisir des biens. Certains l’ont fait. Cette analyse n’est cependant pas partagée par la majorité des magistrats.
La jurisprudence n’a jamais réellement tranché la question, d’où une situation d’insécurité juridique, alors qu’il est absolument nécessaire d’agir. Il n’est nullement choquant, chacun en conviendra, que l’argent du crime puisse être saisi et confisqué. Sur ce point, un consensus s’est d’ailleurs dégagé non seulement sur l’ensemble de ses travées, mais également au sein de la population française.
L’intervention du législateur est donc indispensable, et elle est attendue.
Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont mis en place différents instruments.
Depuis mai 2002, les groupements d’intervention régionaux, les GIR, regroupent au sein d’unités opérationnelles des agents de la police nationale, de la gendarmerie, des services fiscaux, des douanes et de l’inspection du travail.
En outre, depuis septembre 2005, la plateforme d’identification des avoirs criminels, la PIAC, placée au sein de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière, l’OCRGDF, a pour mission d’identifier des patrimoines des délinquants en vue d’accroître les saisies et confiscations, et de systématiser l’approche financière des investigations contre les organisations criminelles et les délinquants.
Au niveau judiciaire, les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, créées par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction possédant une expérience particulière en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.
Ces dispositions commencent à produire leurs effets. Cela se traduit par une évolution du montant des saisies et mesures conservatoires réalisées par les juridictions, qui est passé de 51 millions d’euros en 2005 à 93 millions d’euros en 2008.
Cela dit, il faut en avoir conscience, ces chiffres restent ridiculement faibles par rapport à ce qu’ils devraient être et surtout par rapport au produit des activités criminelles.
Les heureuses évolutions que je rappelais à l’instant ont été encouragées par l’Union européenne qui, depuis 2001, s’est dotée elle-même d’instruments juridiques. Quatre décisions-cadre ont ainsi été adoptées afin d’améliorer la coopération entre États membres en matière de lutte contre la criminalité organisée.
L’article 10 ter de la présente proposition de loi procède à la transposition de la décision-cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation.
Je n’entrerai pas dans les détails de la proposition de loi, mais je rappellerai que ce texte a trois objectifs principaux, rappelés à l’instant par M. le secrétaire d'État.
Premier objectif, il s’agit d’élargir le champ des biens susceptibles d’être saisis puis confisqués en accordant une attention particulière aux valeurs mobilières et aux biens incorporels tels que les fonds de commerce. En effet, les délinquants malicieux organisent une partie du recyclage de ce qu’il est convenu d’appeler « l’argent sale » à travers des schémas qui reposent sur des sociétés civiles immatriculées à droite et à gauche, et qui sont parfois difficiles à déceler. L’idée est de faire en sorte que tout ou quasiment tout puisse être saisi !
Deuxième objectif, il s’agit de créer une procédure pénale spéciale à des fins de confiscation pour remédier à la difficulté que pose au juge pénal le recours aux procédures civiles d’exécution.
Enfin, troisième objectif, il s’agit d’améliorer la gestion des biens saisis et confisqués en créant un établissement public administratif : une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Aujourd’hui, malgré la bonne volonté et la détermination des magistrats, des policiers et des gendarmes qui tentent de lutter contre l’argent sale, j’oserai dire que l’on ne fait que du bricolage, car la tâche est très difficile. La gestion des biens saisis et confisqués constitue une charge non seulement pour les juridictions, lesquelles ne parviennent pas à l’assumer en raison des autres préoccupations du quotidien, mais aussi pour France Domaine, qui assume cette mission en sus des siennes propres. Le travail est donc très imparfaitement fait. Lorsque sera mise en place cette agence, dont ce sera la mission unique, le dispositif sera plus opérationnel.
Enfin, la proposition de loi comporte un certain nombre de dispositions tendant à améliorer la coopération internationale en matière d’exécution des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve et de confiscation.
L’ensemble des auditions auxquelles nous avons procédé au sein de la commission des lois a montré que cette proposition de loi était très consensuelle et très attendue.
Notre souci, aux uns et aux autres, quelle que soit notre appartenance politique, a été, me semble-t-il, de collaborer pour parvenir à la meilleure rédaction possible, c’est-à-dire celle qui présente la plus grande sécurité juridique. En effet, dans cette lutte contre la criminalité organisée, nous avons affaire à des adversaires redoutables. Agissant dans le champ de la mondialisation, ils ont les moyens de bénéficier de conseils, et pas seulement sur le plan de leur défense pénale. Il est donc d’autant plus important d’avoir un texte qui soit fiable et qui ne permette aucune procédure dilatoire.
Au cours de ses travaux, la commission des lois a mis au point une série d’améliorations qui figurent dans son texte et sur lesquelles, a priori, nous ne reviendrons pas aujourd’hui, mais je vous en proposerai un certain nombre d’autres tout à l’heure.
Un premier amendement me paraît important : il consiste à confier le maximum de prérogatives au juge des libertés et de la détention plutôt qu’au procureur de la République pour autoriser les saisies et les confiscations.
Cette disposition traduit le souci de prendre en compte l’arrêt Medvedyev c. France, par lequel la Cour européenne des droits de l’homme a mis en cause la capacité des magistrats du parquet français à autoriser un certain nombre d’opérations. En l’occurrence, il s’agissait des mesures de retenue et de garde à vue.
Puisque nous souhaitons nous doter de procédures de saisie et de confiscation fiables, ne nous privons pas de confier, d’emblée, le maximum de pouvoirs à un magistrat du siège, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention, plutôt qu’au parquet. Tel est le sens du premier amendement que je vous présenterai.
Le deuxième concerne les contrats d’assurance sur la vie. En effet, nous nous sommes vite aperçus que le moyen très fréquemment utilisé par les criminels pour recycler l’argent issu des activités illicites était l’assurance sur la vie : il suffit de placer au nom d’une tierce personne bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie les sommes issues de la criminalité.
Parvenir à un texte n’a pas été simple. Cela dit, la disposition que nous vous soumettrons permettra de prononcer le gel des contrats d’assurance sur la vie pendant la durée des procédures jusqu’à ce que l’on obtienne une condamnation définitive. Nous considérions qu’il était très important de compléter le dispositif en permettant aux magistrats, aux policiers et aux gendarmes de bloquer toutes ces sommes placées sur des contrats d’assurance sur la vie.
Enfin, la commission des lois a souhaité aligner le régime juridique de la peine de confiscation encourue par les personnes morales sur celui qui est applicable aux personnes physiques.
En conclusion, je vous propose d’adopter le texte mis au point par la commission des lois, les amendements que je présenterai en son nom et quelques-uns des amendements qui seront présentés par nos collègues.
Comme à l’Assemblée nationale, je forme le vœu que l’ensemble de l’hémicycle s’associe à ce vote très attendu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui vise à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale veut donner pleine valeur dissuasive à la loi pénale en privant les délinquants des produits issus des infractions qu’ils ont commises, notamment les délits de blanchiment d’argent.
La discussion générale à l’Assemblée nationale a été l’occasion de souligner la nécessité de répondre à l’incompréhension des citoyens, comme l’a précisé M. le secrétaire d’État, sur le train de vie luxueux et provocateur de certains délinquants qui n’ont pas été dépossédés d’une partie de leurs biens pourtant issus de la commission d’infractions et qui continuent de mener grand train !
Reprenant les idées du rapport de M. Warsmann de 2004, la proposition de loi facilite donc les saisies et les confiscations en élargissant le champ des biens confiscables, en mettant en place des procédures propres à la matière pénale et en créant une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Elle transpose par ailleurs la décision-cadre du 6 octobre 2006 concernant la transmission et l’exécution des décisions de confiscation au niveau de l’Union européenne.
Elle codifie également partiellement les deux lois du 14 novembre 1990 et du 13 mai 1996 portant sur l’exécution des décisions de confiscations prononcées par des juridictions étrangères.
Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, notre groupe subordonnera son vote à l’adoption d’un certain nombre d’amendements, présentés notamment par M. le rapporteur. Je tiens d’ailleurs à rendre un hommage particulier à son travail, qui a consisté à renforcer, dans ce texte, les libertés publiques et l’État de droit.
Malgré quelques améliorations, cette proposition de loi laisse sans réponse certaines interrogations importantes et comporte certaines faiblesses.
Une occasion a été manquée : il aurait fallu inscrire de façon expresse le principe selon lequel les procédures de saisie et de confiscation en matière pénale s’appliquent aux personnes morales, afin d’éviter que ces procédures ne connaissent une efficacité limitée, la création de sociétés permettant d’opérer une distinction artificielle entre le patrimoine du délinquant et ses biens produits de l’infraction. Néanmoins, nous reparlerons de cette question tout à l’heure, à la faveur d’un amendement déposé par la commission des lois.
Je suis également préoccupé par les atteintes au droit de propriété, même s’il s’agit de propriétés souvent indûment acquises. Certes, ces atteintes concernent des délinquants ou des présumés délinquants, mais le droit de propriété est un droit fondamental garanti à deux niveaux.
Il est d’abord garanti au niveau constitutionnel, puisque, depuis une décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982, ce droit fait partie du bloc de constitutionnalité, et qu’il a été élevé au rang de « droit inviolable et sacré » par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Il est également garanti au niveau conventionnel, puisque la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, a jugé que, en reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l’article 1er du protocole n°1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissait en substance le droit de propriété.
Or, dans ce texte, plusieurs dispositions paraissent contestables au regard de ce droit fondamental.
En effet, la proposition de loi repose sur un présupposé, à savoir le recouvrement intact, en nature ou en valeur, de ses biens par le propriétaire si la procédure se solde par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement.
L’expérience démontre malheureusement l’incapacité inquiétante de l’autorité judiciaire à conserver les biens en bon état. En outre, la possibilité offerte de vendre un bien avant les décisions définitives risque de priver injustement le propriétaire ou le détenteur du bien qui aura fait l’objet d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.
Le texte porte également atteinte à la présomption d’innocence. L’appel des décisions de saisies ou de confiscations n’est effet pas suspensif, sauf dans deux cas marginaux. Par ailleurs, en cas de saisie sans objet, aucune indemnisation n’est prévue.
La difficulté centrale réside donc bien dans le fait que la provenance délictuelle ou criminelle des biens n’est confirmée qu’à l’issue de la procédure. Ce n’est en effet qu’à ce stade que l’on peut savoir si les biens en question sont issus ou non d’une infraction ou d’un crime. Par conséquent, la restitution, la remise en état, les dédommagements, pourront rencontrer un certain nombre de difficultés ou de limites.
Le plus grave me paraît être l’atteinte à la garantie judiciaire. En ce qui concerne le droit de propriété, elle repose sur l’intervention d’un juge indépendant et impartial, autrement dit d’un magistrat du siège. C’est lui qui, traditionnellement, protège non seulement des arrestations arbitraires et des atteintes à la liberté individuelle, mais aussi des atteintes au droit de propriété.
On peut donc s’étonner que la proposition de loi prévoie que le procureur de la République, qui dépend hiérarchiquement du pouvoir exécutif et n’est donc pas indépendant, puisse ordonner des saisies et des perquisitions en matière pénale. Certes, il ne s’agit que de mesures conservatoires, mais il semble impossible, notamment au vu du récent arrêt Medvedyev c. France de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’une personne soit privée de l’usage de ses biens par quelqu’un qui ne possède pas la qualité de magistrat, n’en déplaise à Mme la ministre d’État ! Sur ce point, notre excellent rapporteur a également trouvé des solutions qui seront examinées tout à l’heure.
C’est donc sous réserve de l’adoption d’un certain nombre d’amendements, qui seront soutenus, je l’espère, par le Gouvernement, que notre groupe votera pour ce texte. D’ici là, nous réservons notre décision. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)