M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Vous avez dit également que l’État était impécunieux et que vous n’accordiez pas foi aux propos tenus au début de la séance par M. le secrétaire d’État.
Mais enfin, monsieur Caffet, tous les pays « normaux » ont pour habitude d’emprunter pour financer leurs investissements. Autant il est anormal que l’emprunt serve essentiellement à couvrir des dépenses de fonctionnement, autant il est tout à fait normal, en revanche, de financer ainsi les investissements.
Avec de nombreux élus de mon camp, et je parle sous le contrôle de M. Cambon, j’ai bien connu la région d’Île-de-France : lorsque nous étions aux commandes de cette région, le budget d’investissement était le double du budget de fonctionnement. (M. Christian Cambon opine. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Que constatons-nous depuis douze ans ? Le budget de fonctionnement est deux fois supérieur au budget d’investissement. La région a nettement ralenti l’investissement ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Il s’agit d’une erreur non pas de diagnostic, mais de méthode, mon cher collègue ! Vous avez privé nos concitoyens franciliens d’une possibilité d’amélioration du système de transports en gaspillant des ressources de fonctionnement !
Mme Nicole Bricq. Nous sommes au Sénat ! Nous ne faisons pas une campagne électorale !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. M. Caffet n’ayant pas fait dans la nuance, je suis obligé de lui répondre !
Vous avez enfin indiqué, mon cher collègue, que vous étiez favorable à un partenariat loyal et fécond. Je le crois possible.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est mal parti !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Je vous le concède, le projet Arc Express est compliqué. Nous l’évoquerons avec M. le secrétaire d’État lors de l’examen de l’article 3.
M. David Assouline. N’interrompez pas le débat public !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Je le répète, un partenariat loyal et fécond me paraît possible, à condition que le schéma directeur soit remodelé et complété, et que soit trouvé un mécanisme permettant l’intégration de l’ensemble des systèmes. Mais le présent contrat de projet, assorti d’un saupoudrage de crédits, n’est pas adéquat. En réalité, le contrat de projet État-région doit prévoir le prolongement de la ligne Éole jusqu’à La Défense et celui de la ligne 14 vers le nord. Qui a d’ailleurs lancé la réalisation de ces lignes ? C’est nous !
Mme Nicole Bricq et M. Jean-Pierre Caffet. C’est le gouvernement Rocard !
M. Christian Cambon. Vous avez la mémoire courte !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. J’entends encore les critiques que nous avons subies au sujet de ces deux systèmes de transport se croisant sous la gare Saint-Lazare !
M. Christian Cambon. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Enfin, monsieur Caffet, vous avez évoqué les élections. Pour ma part, j’ai participé à de nombreuses élections régionales.
M. Yannick Bodin. Vous en avez perdu trois !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Or, lorsque nous avons remporté celles de 1992, je ne me souviens pas que le gouvernement, alors de gauche, et la majorité de l’Assemblée nationale aient tenu compte de notre victoire. Alors, ne nous racontez pas d’histoires !
Le présent projet de loi comporte trois éléments principaux.
Le grand métro automatique sera financé par une dotation en capital de 4 milliards d’euros et par des investissements réalisés par le biais d’emprunts. Relevons une séparation tranchée entre le financement des investissements nouveaux et la participation de l’État à un contrat de projet plus sérieux que celui que j’ai entre les mains.
Par ailleurs, il est urgent de résoudre l’affaire du plateau de Saclay. En effet, il faut permettre aux petites entreprises de biotechnologie ou aux sociétés implantées dans un pôle de compétitivité de type Systematic ou Medicen qui veulent revenir en France après s’être installées aux États-Unis ou en Grande-Bretagne de le faire, grâce à l’apport du crédit d’impôt recherche.
Pour toutes ces raisons, la commission spéciale est défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Assouline. Heureusement que M. Fourcade est là !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je souhaite indiquer pour quelles raisons les membres du groupe CRC-SPG soutiendront la motion tendant à opposer la question préalable présentée par nos collègues du groupe socialiste.
En ce début du xxie siècle, les métropoles deviennent un défi majeur pour les peuples.
En effet, il faut bien reconnaître que, en tout lieu, leur constitution engendre non seulement richesses et potentialités, mais aussi lourds déséquilibres, inégalités et incapacité à répondre aux besoins du plus grand nombre.
Le projet du Grand Paris met en lumière deux questions : dans quelle région voulons-nous vivre ? Quel type de développement devons-nous privilégier pour favoriser un « vivre ensemble » à la fois écologique, solidaire et citoyen ? Il s’agit bien, en effet, de définir la société dans laquelle nous voulons vivre.
Indéniablement, les aspirations à un « mieux vivre » sur un territoire partagé, fondé sur la solidarité, respectueux de l’environnement, participant à la construction du monde, sont fortes.
Mais force est de constater que, loin de réduire les déséquilibres et les inégalités territoriales, le projet de loi relatif au Grand Paris va les aggraver et accélérer la marche dans la voie d’une mondialisation libérale, hypothéquant ainsi l’avenir. Ce sont les femmes et les hommes les plus modestes, doublement touchés par la crise et par les répercussions de la politique du Gouvernement, qui vont en faire les frais. Personne n’est dupe !
En effet, en dépit d’un exposé des motifs tissé de bonnes intentions, le projet de loi met en scène une recentralisation des pouvoirs entre les mains de l’État, via la Société du Grand Paris, un dessaisissement des collectivités territoriales et de leurs élus, un développement assis sur la spéculation foncière, qui ne pourra que renforcer l’exclusion des plus défavorisés. Il constitue une arme redoutable contre la mixité sociale, pourtant essentielle au regard de la solidarité territoriale.
Comment ne pas voir que ce texte s’inscrit dans un ensemble plus vaste et cohérent de réformes conduites par le Gouvernement ? Toutes modifient profondément la gouvernance de notre pays et mènent à restreindre toujours davantage la dépense et la responsabilité sociales et publiques pour faire la part belle à de grands groupes privés.
Le présent projet de loi ne concerne pas seulement le secteur des transports. Il amorce une recomposition profonde de la région-capitale, région stratégique s’il en est dans une Europe de la concurrence. Il n’a nullement pour objet de permettre la nécessaire amélioration des transports, de désenclaver des territoires, de relier les banlieues entre elles, de rééquilibrer l’est et l’ouest de la région. En réalité, il vise à connecter des centres d’affaires et financiers, dont celui de La Défense, parallèlement à la mise en place de pôles de compétitivité qui, en absorbant et en concentrant toutes les richesses, ne manqueront pas d’accroître les déséquilibres que l’on prétend réduire.
La Société du Grand Paris, pilotée par l’État, bénéficierait d’un droit de préemption foncière autour de la quarantaine de gares que comporterait le Grand huit, pour une superficie équivalente à quatre fois celle de Paris. En définitive, les élus locaux perdraient la main sur ce territoire en matière d’urbanisme et d’aménagement, notamment. Dès lors, comment voir dans le présent projet de loi une réponse au défi de la coopération, de la mutualisation dans l’intérêt du plus grand nombre sur des territoires solidaires ?
L’échelon régional et le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF, pourtant élaboré démocratiquement, sont complètement niés. Monsieur le rapporteur, un partenariat fécond ne saurait en aucun cas naître d’un texte piétinant le SDRIF !
Enfin, le financement global de ce projet demeure hypothétique et flou. L’État avancerait, en effet, 4 milliards d’euros à la Société du Grand Paris pour amorcer le lancement d’emprunts qui seraient remboursés notamment grâce au produit d’une taxe assise sur la plus value-foncière issue de la valorisation des terrains devant être aménagés autour des gares du futur métro. La majorité, on le voit bien, n’a guère tiré de leçons de la crise financière ! De surcroît, rien n’est vraiment prévu pour le financement du fonctionnement du futur métro, sinon qu’il sera assumé par le STIF.
Le projet du Grand Paris ne répond donc à aucun des enjeux majeurs pour notre région : le logement, le transport, l’emploi, la coopération, la mobilisation en faveur de l’environnement, la construction d’un développement économique solidaire. Il fait l’impasse sur la réflexion en vue d’instaurer un type de développement comportant une articulation nouvelle entre emploi, habitat, agriculture et alimentation. Il ne peut en résulter que de nouvelles inégalités pour nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC-SPG voteront en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable présentée par nos collègues socialistes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le rapporteur, bien que n’ayant pas votre ancienneté – je ne suis sénateur que depuis 2004 –, j’ai tout de même eu le temps d’apprendre un certain nombre de choses en siégeant dans cette enceinte…
En ce qui concerne le diagnostic, je ne connais pas les taux de croissance respectifs des différentes capitales, mais il convient d’être prudent quand on s’engage dans un tel débat. Ce matin, par exemple, j’ai entendu affirmer que le taux de croissance de Londres s’élevait à 8,5 % depuis des années… Cela me fait plutôt sourire !
Néanmoins, supposons que la croissance parisienne soit inférieure à celle de New York ou de Londres : le problème n’est pas là ! À mes yeux, le diagnostic ne se résume pas à une comparaison de taux de croissance. En réalité, le développement économique d’une métropole est un phénomène beaucoup plus complexe que vous ne le dites. Pour notre part, nous ne pensons pas qu’il suffira de construire une ligne de métro automatique de 130 kilomètres reliant neuf pôles de développement de l’Île-de-France pour doubler le taux de croissance francilien. Ce n’est pas vrai ! Si la solution était aussi simple, pourquoi n’y aurait-on pas déjà pensé ? Ne nous faites pas l’injure de croire que nous ne savons pas réfléchir ni lire ! Je pourrais me référer à des rapports savants, tels ceux du Conseil d’analyse économique, ou aux études de Paul Krugman, prix Nobel d’économie, qui juge que la mise en place de clusters peut être intéressante, mais qu’il ne faut pas en attendre de miracles. Ne nous prenez donc pas pour des demeurés en matière économique !
Par ailleurs, vos propos sur les contrats de plan État-région m’inquiètent, monsieur le rapporteur. J’avais cru comprendre, lors de nos discussions en commission, que vous vouliez vous-même les réintroduire dans le texte dès l’article 1er, or vous soutenez aujourd’hui qu’ils ne servent rigoureusement à rien, parce qu’ils se bornent à une sorte de saupoudrage. Si telle est votre opinion, nous sommes vraiment très mal partis !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Je souhaite qu’ils servent à quelque chose !
M. Jean-Pierre Caffet. Il me semblait que la majorité sénatoriale voulait mettre l’accent sur les contrats de plan État-région, mais si finalement nos collègues ne voient d’avenir que dans la double boucle, je tiens à les appeler à la prudence…
Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de souligner que le premier projet était très inquiétant, mais, pour ma part, je considère que le second l’est tout autant ! L’adoption d’un amendement visant à exclure toute possibilité de débat public sur les projets de la région est absolument scandaleuse !
M. David Assouline. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Caffet. J’espère que nous pourrons revenir sur cette disposition.
M. David Assouline. Ce serait à l’honneur du Sénat !
M. Jean-Pierre Caffet. L’examen de la première version du texte par le Conseil d’État et l’Assemblée nationale a permis d’amodier singulièrement un dispositif qui était inacceptable pour les collectivités territoriales. Il ne faudrait pas que l’on revienne sur ces acquis au cours de notre débat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public, émanant l’une du groupe socialiste, l’autre de la commission spéciale.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 169 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Mme Catherine Tasca s’exclame.)
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Le Grand Paris est un projet urbain, social et économique d'intérêt national qui unit la ville de Paris et les grands territoires stratégiques de la région d’Île-de-France et promeut le développement économique durable, solidaire et créateur d’emplois de la région capitale. Il vise à réduire les déséquilibres sociaux, territoriaux et fiscaux au bénéfice de l'ensemble du territoire national. Les collectivités territoriales et les citoyens sont associés à l’élaboration et à la réalisation de ce projet.
Ce projet s’appuie sur la création d'un réseau de transport public de voyageurs dont le financement des infrastructures est assuré par l’État.
Ce réseau s'articule autour de contrats de développement territorial définis et réalisés conjointement par l'État, les communes et leurs groupements. Ces contrats participent à l’objectif de construire chaque année 70 000 logements géographiquement et socialement adaptés en Île-de-France et contribuent à la maîtrise de l'étalement urbain.
Le projet du Grand Paris favorise également la recherche, l’innovation et la valorisation industrielle au moyen de pôles de compétitivité et du pôle scientifique et technologique du Plateau de Saclay dont l’espace agricole est préservé.
Dans cette perspective, l’élaboration du réseau organisant les transports dans la région d’Île-de-France doit prendre en compte les interconnexions à mettre en place avec l’ensemble du réseau ferroviaire et routier national afin de permettre des liaisons plus rapides et plus fiables entre chacune des régions de l’hexagone et éviter les engorgements que constituent les transits par la région d’Île-de-France.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cet article pose l'objet de la démarche du Grand Paris : la réalisation conjointe par l'État et les collectivités d'un projet urbain, social et économique associant les citoyens et tendant à réduire les déséquilibres sociaux, territoriaux et fiscaux. Il met également en exergue la nécessité d’une lutte contre l'étalement urbain et celle d'une offre de logement adaptée, au travers notamment de l'objectif de construction annuelle de 70 000 logements, inscrit dans le texte par la commission spéciale.
Cet article prévoit en outre de confier à l'État le financement du réseau de transport public de voyageurs, sans en préciser toutes les modalités ni les conditions. En effet, il est simplement question d'une dotation de 4 milliards d'euros pour lancer le projet. Les mécanismes de remboursement de l’emprunt sont flous. C'est donc la porte ouverte à la valorisation des terrains attenants aux gares et à de nouvelles sources de financement qui seraient affectées à la Société du Grand Paris, échappant ainsi à toute péréquation régionale.
Cette déclaration d'intention est donc en profond décalage, voire en contradiction, avec le reste du texte.
Premièrement, les citoyens ne seront associés que ponctuellement au débat public, et non de manière continue.
Deuxièmement, dans le dispositif présenté, la place des collectivités est secondaire. Ainsi, elles seront minoritaires au sein du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris : dès lors, comment parler d'une réalisation conjointe ?
Troisièmement, la lutte contre l'étalement urbain ne peut passer par la création d'une chenille d'expropriation et d'urbanisation autour du Grand huit.
Quatrièmement, la question du logement n'est traitée qu'à la marge dans la quasi-totalité des articles, alors même qu'il s'agit d'un enjeu majeur sur le territoire francilien. Le déficit de logements est en effet l'une des causes principales de l'allongement des parcours de transport en Île-de-France. On ne peut donc obtenir une amélioration de l'offre de transport sans un renforcement des dispositifs en faveur de la construction de logements publics. Il convient, en particulier, de faire respecter la loi SRU.
On nous présente ce texte comme le symbole du réinvestissement de l'État dans la région-capitale, notamment sur le plan financier. Il s'agit en réalité de confisquer l'intérêt général au profit du privé. Ainsi, ce texte organise la spéculation foncière autour des gares. L'aménagement du territoire sera repris en main par l'État, qui fera appel au privé. Le métro en rocade n'aura d'utilité et de pertinence qu'en termes de déplacements travail-travail, et non travail-habitat : il servira donc les hommes d'affaires ! Comment ne pas voir, dans ces conditions, qu'il s'agit fondamentalement d'un détournement de l'intérêt général ?
Ce que nous demandons à l'État, ce n’est pas de faire un coup d'éclat avec un texte, c'est de cesser de se désengager des politiques publiques. Transport, logement, éducation : tous ces budgets sont en constante régression ; les services publics sont aujourd'hui en souffrance.
Favoriser la réduction des inégalités sociales et territoriales en Île-de-France passe nécessairement par un maillage fin du territoire, la présence de services et d'équipements publics, une politique industrielle ambitieuse, et non par la création d'un métro automatique, la réduction des dépenses publiques et la suppression de postes de fonctionnaires.
Les difficultés auxquelles la région-capitale est aujourd'hui confrontée en termes de développement sont également très liées à la désindustrialisation de son territoire. Une véritable réflexion doit être lancée sur ce sujet.
Comprenons-nous bien : nous ne sommes pas opposés à une intervention de l'État en Île-de-France. Elle doit cependant s’inscrire dans le cadre de ses compétences, et non être utilisée pour empiéter sur celles des collectivités, et donc des instances de démocratie de proximité. Les cadres de réflexion et d'action pour penser l'avenir de la région-capitale existent déjà : ce sont les collectivités territoriales, le conseil régional ou encore le syndicat Paris Métropole. L'État n'en est pas exclu. Il est même censé garantir l'intérêt général national, et peut donc jouer un rôle majeur, via des contrats de projet État-région, ainsi que par son poids décisif dans les travaux du schéma directeur.
Or l’attitude de l’État a jusqu’à présent été paradoxale. Non content de ne pas honorer ses engagements au titre des contrats de plan, il a également fait le choix de bloquer le schéma directeur, élaboré au terme d'un long débat démocratique. Je profite de cette occasion pour renouveler notre souhait que ce document du SDRIF soit enfin transmis au Conseil d'État.
Oui, il faut donc bien un projet pour l'Île-de-France, mais il doit être construit avec les habitants et leurs élus, et non dans la précipitation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, sur l'article.
M. Jean-Pierre Caffet. À nos yeux, le premier article d’un texte doit poser un cadre général et définir de grandes orientations. Or notre désaccord de fond avec la philosophie d’ensemble de ce projet de loi est tel que nous ne saurions proposer d’amender son article 1er.
Cela étant, rarement le premier article d’un projet de loi aura connu autant de vicissitudes : nous en sommes à la quatrième version !
La première d’entre elles, remontant au 27 août 2009, faisait état d’une triple exigence : satisfaire les besoins immédiats de nos concitoyens ; apporter des réponses appropriées aux principaux défis économiques, sociaux et environnementaux ; décloisonner les approches.
Un mois plus tard, l’article présenté en conseil des ministres avant le dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale tenait en une seule phrase : « Le projet du Grand Paris a pour objet de susciter, par la création d’un réseau de transport public de voyageurs unissant les zones les plus attractives de la capitale et de la région d'Île-de-France, un développement économique et urbain structuré autour de territoires et de projets stratégiques identifiés, définis et réalisés conjointement par l’État et les collectivités territoriales, qui bénéficiera à l’ensemble du territoire. »
Ce texte avait au moins le mérite de la simplicité et la vertu de la vérité, hormis la fable selon laquelle les projets seraient définis et réalisés conjointement par l’État et les collectivités territoriales. En effet, il était clairement énoncé que le projet du Grand Paris consistait simplement en la création d’un réseau de transport public censé unir les zones les plus attractives de la capitale et de la région d’Île-de-France, les autres pouvant a priori attendre !
Après que l’Assemblée nationale eut adopté une troisième version, une quatrième, élaborée par notre commission spéciale, nous est aujourd’hui soumise, qui introduit – chose tout à fait incroyable ! – un objectif de construction de 70 000 logements par an. Or, outre que cet article n’a bien évidemment aucun caractère normatif, nous avons appris cet après-midi, par une dépêche de l’Agence France-Presse, que le Gouvernement s’apprête à déposer un amendement tendant à supprimer l’article 19 bis, c’est-à-dire le seul article du projet de loi véritablement consacré au logement – il constitue d’ailleurs un titre à lui seul !
En résumé, quatre versions successives et complètement contradictoires d’un article censé définir la politique du Gouvernement pour le Grand Paris ont été élaborées… J’ai le sentiment que le Gouvernement navigue à vue sans savoir où il va. C’est pourquoi j’estime que nous avons bien fait de ne pas tenter d’amender cet article 1er, dont Mmes Voynet et Assassi ont peut-être finalement raison de demander la suppression pure et simple. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Bodin, sur l'article.
M. Yannick Bodin. Il apparaît, à la lecture de cet article 1er, que le Gouvernement entend présenter le Grand Paris comme un grand projet pour l’Île-de-France, comme on avait d’ailleurs déjà pu le comprendre lors de la campagne des élections régionales.
Or la réalisation d’un tel projet implique nécessairement un rééquilibrage vers l’Est de notre région. À cet égard, la grande question est celle de l’équilibre entre habitat et emploi. Le chemin est long, puisque le ratio entre emplois et logements est pour l’heure de 0,6 dans la ville nouvelle de Sénart, par exemple !
Si l’on a une véritable ambition pour l’Île-de-France, il convient certes de mettre en valeur les « territoires stratégiques » mentionnés à l’article 1er, mais sans oublier pour autant les zones périphériques. Cela concerne notamment la formation, l’implantation d’universités ou de pôles de recherche. Ainsi, en Seine-et-Marne, le taux de bacheliers suivant des études supérieures est actuellement inférieur à la moyenne nationale.
Or le projet du Grand Paris ne répond en rien à ces urgences. Exception faite du pôle Champs-sur-Marne-Cité Descartes, la localisation des pôles d’excellence exclut l’est de l’Île-de-France, particulièrement le département de la Seine-et-Marne. La seule zone d’activité privilégiée est celle de Roissy-en-France, rien n’étant prévu, au Sud, pour Sénart, Melun-Sénart ou Melun-Villaroche.
Dans ces conditions, en quoi la Seine-et-Marne, qui représente la moitié de la superficie de notre région, est-elle concernée par le projet du Grand Paris ? Pour un habitant de ce département, le Grand Paris, c’est une ligne de métro qui passera là-bas, au cœur de l’agglomération. Or nous attendons des emplois, de la formation, des équipements de santé, une revitalisation, en particulier dans nos zones rurales désertées, qui connaissent une paupérisation.
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi êtes-vous allé présenter votre projet à Provins, voilà quelques mois ? Je me souviens parfaitement des interrogations formulées, à l’issue de la réunion, par les personnes qui étaient venues vous écouter : « En quoi sommes-nous concernés ? On nous a juste parlé d’une ligne de métro devant passer à une centaine de kilomètres d’ici. En quoi le Grand Paris, supposé être un projet pour l’Île-de-France, nous concerne-t-il ? » Je puis en témoigner, beaucoup étaient atterrés. D’ailleurs, vous en avez sans doute pris conscience, puisque vous avez organisé une séance de rattrapage à Marne-la-Vallée, seul secteur du département directement concerné par votre projet…
On ne peut donc présenter le Grand Paris comme un projet pour l’ensemble de l’Île-de-France. Cela est totalement faux, puisque rien n’est prévu pour près des deux tiers du territoire de la région. Reprenant une formule célèbre, quelqu’un a même parlé du fameux métro comme d’un « machin »…
En définitive, nous ne comptons pour rien. Je suivrai attentivement les débats, monsieur le secrétaire d’État, mais sachez que la déception des habitants de la Seine-et-Marne est grande. Cela devrait nous conduire à voter non seulement contre le présent article 1er, mais également contre les suivants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet, sur l’article.