Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’invite, bien entendu, tous mes collègues à voter la motion défendue, au nom de notre groupe, par Jean-François Voguet. Alors que notre collègue a tout de même été assez explicite, j’ai trouvé, monsieur le rapporteur, que vous aviez une façon toute particulière de lui répondre. Au fond, vous nous avez dit en substance : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Il y a au contraire, de notre point de vue, beaucoup à voir ! Sans répéter tous les arguments avancés par notre collègue, j’insisterai sur un point véritablement problématique quant à la lettre et l’esprit des règles qui fondent nos institutions.
Le projet de loi s’inscrit dans le droit fil des réformes voulues par Président de la République pour les collectivités territoriales. Si l'examen du texte de portée générale suit son cours, personne ne sait quand il s’achèvera : là aussi, vous n’avez pas entendu le message des électeurs et tenu compte du suffrage universel, alors même qu’il s’agissait précisément d’un scrutin local par lequel on consultait les collectivités territoriales.
Qu’on veuille ou non lui dénier ce droit, le peuple s’exprime ; en tant que parlementaires, nous nous devons de l’écouter.
Globalement, les réformes engagées, notamment celle de la taxe professionnelle, visent à ôter aux collectivités territoriales, dotées, dois-je le rappeler, d’assemblées élues au suffrage universel, certaines de leurs prérogatives, pourtant constitutives de la libre administration des collectivités territoriales depuis les lois de décentralisation.
On peut toujours affirmer le contraire, mais il n’empêche que la question est posée : comment une collectivité territoriale peut-elle s’administrer librement si elle se voit priver de ses prérogatives, notamment pour développer ses projets de territoire ?
Le texte qui nous est soumis se fonde sur une réalité qui s’impose à tous : le fait métropolitain, voire « mégamétropolitain » ; puisque, selon vos dires, il s’agit d’un projet d'intérêt national, ce qui est vrai, d’ailleurs, c’est à l’État de s’en occuper.
Mais qui s’oppose à l’intervention de l’État ? Personne, en tout cas pas nous ! Nous n’avons eu de cesse de déplorer, au fil des années, le désengagement du pouvoir central, plus particulièrement en région parisienne.
Cela étant, en l’espèce, on passe allègrement de l’intérêt national et du nécessaire engagement de l’État, tout particulièrement financier, à la dépossession des collectivités territoriales, qui, privées de leurs responsabilités en violation du principe de libre administration, se voient mises sous tutelle,…
M. Louis Nègre. Mais non !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et au remplacement des instances élues par la technostructure. Or l'engagement de l’État ne va pas obligatoirement de pair avec un tel pilotage !
S’agissant du Grand Paris ou des collectivités territoriales, ce sont finalement les mêmes conceptions que vous mettez en œuvre. Si vous avez « sorti » la région-capitale de la réforme territoriale globale, c’est sans doute parce que vous êtes en butte à de sérieux rapports de force, mais je n’ai nullement l’intention d’entrer dans ce genre de considérations.
Nous sommes d’ailleurs à peine sortis de la réforme des collectivités territoriales que nous y retournons aussitôt, tant les principes sont les mêmes. Ce que j’ai appelé « le pilotage par la technostructure », en tout cas par-dessus les collectivités concernées, la concentration des pouvoirs au niveau des métropoles et le regroupement des collectivités sous la houlette des préfets, tout cela participe complètement de cette conception.
Voilà comment vous réintégrez le projet relatif au Grand Paris dans le cadre la réforme plus globale des collectivités territoriales, en favorisant une reprise en main par l’État, qui plus est sans le moindre apport financier. (Marques de lassitude sur les travées de l’UMP.)
M. Louis Nègre. Votre temps de parole est écoulé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous pouvez le nier, mais d’énormes problèmes continuent de se poser.
C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter ce projet de loi relatif au Grand Paris et que nous vous demandons en quelque sorte de surseoir à son examen, pour engager un véritable débat public, en amont et non en aval de la discussion parlementaire.
Finalement, nous en revenons toujours au même point. Après avoir glosé sur le mille-feuille administratif, puis quelque peu tergiversé, le Président de la République est revenu à la charge, lors de la campagne des élections régionales, sur ses projets de réforme en la matière, et vous l’avez suivi. Or, pour ce qui est du Grand Paris, vous créez un échelon supplémentaire dans la prise de décision. (M. Louis Nègre ironise.)
Les élections régionales ont eu lieu, et, que je sache, les Franciliens ne vous ont pas suivis sur ce terrain !
M. Christian Cambon. Combien avez-vous obtenu au premier tour ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est regrettable pour vous, mais c’est un fait, et vous devriez le reconnaître ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.
M. Jacques Mahéas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre groupe tient à s’associer aux propos qui viennent d’être tenus.
Monsieur le rapporteur, vous avez écarté bien rapidement un certain nombre de vérités, mais je voudrais y revenir, tant sur le fond que sur la forme.
Sur la forme, il est vrai que nous aurions aimé être les premiers consultés. Le Gouvernement nous avait promis que tel serait le cas pour tous les textes touchant aux collectivités territoriales. Vous nous dites que le projet de loi relatif au Grand Paris n’entre pas dans cette catégorie ; permettez-moi de m’interroger !
Si le futur métro, qui est voué à desservir 40 gares et implique donc pour chacune, dans un périmètre de 1,5 kilomètre, la maîtrise des terrains et touche, directement et indirectement, 120 communes au minimum, si donc ce projet ne concerne pas les collectivités locales, c’est à n’y rien comprendre…
Par conséquent, même si cela ne change pas grand-chose sur le fond, il est tout à fait anormal que le Sénat n’ait pas été consulté en premier.
Pour citer un secteur intéressant plus particulièrement M. Voguet et moi-même, les départements du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis ainsi qu’une quinzaine de communes se sont regroupés pour engager une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre afin d’améliorer la situation, sur une ligne de conduite à définir en commun, chaque collectivité restant toutefois autonome et libre de s’administrer comme elle l’entend.
Or ici, de liberté, il n’y en a plus pour ces communes.
Je prendrai quelques exemples, à commencer par celui de Fontenay-sous-Bois, la ville dont M. Jean-François Voguet est le maire.
Vous avez écarté d’un revers de la main une consultation populaire qui avait été lancée par le conseil régional sur Arc Express. Cela me paraît relever du non-sens. Je le disais dans la discussion générale, il est quelque peu scandaleux d’inviter au dialogue le conseil régional, pour mieux l’envoyer balader sa première proposition à peine formulée. En d’autres termes, poussez-vous de là ; vous n’avez même plus à consulter ; le passage d’Arc Express par Fontenay-sous-Bois en venant de Noisy-le-Sec pour aller à Sucy-en-Brie, ce n’est pas votre problème, c’est le nôtre ! Et vous faites valoir une économie de 7 milliards d’euros, somme intéressante que les élus pourraient reverser dans la cagnotte commune pour réaliser cette boucle du Grand huit.
Je prendrai un autre exemple, celui de ma propre ville, Neuilly-sur-Marne.
Il semble que, sur la ligne menant de la Cité Descartes à Clichy- Montfermeil, un arrêt était prévu du côté de Chelles ou de Neuilly-sur-Marne. Soit ! Cependant, même si l’arrêt est implanté en limite communale, le périmètre en cause englobe une bonne moitié de la ville que j’administre.
Et pourtant, monsieur le secrétaire d’État, pour vous être rendu sur place, vous savez que nous n’avons pas lésiné quand il s’est agi d’acquérir, et les prix étaient élevés, une centaine d’hectares pour les aménager. Vous savez de quel joyau je parle. Oui, nous nous sommes ruinés pour acheter une grande partie des terrains destinés à accueillir le futur centre national de conservation, de restauration et de recherches patrimoniales.
Et vous voudriez vous contenter de nous demander notre avis ? Ce que nous souhaitons, nous, c’est que, sur les projets entre le Gouvernement et la Société du Grand Paris, vous nous demandiez non pas un avis, mais au moins un accord. Je pense que vous comprenez fort bien notre souci de ne pas être complètement spoliés, nous qui avons acheté, encore une fois à des prix élevés, un certain nombre de terrains.
Certes, vous me direz que l’on peut toujours discuter et trouver une solution, mais les discussions, j’ai vu ce qu’il en était à l’heure où nous devions voir arriver sur ces terrains les réserves destinées à stocker les œuvres d’art des grands musées parisiens, notamment du Louvre ! Et je me souviens que, contre l’avis unanime des acteurs concernés, de l’ensemble des élus – je vous prends à témoin, monsieur Voguet – aux techniciens du Louvre, en passant par les représentants des différents ministères, ministres compris, qui étaient d’accord, le Président de la République, par un véritable diktat, a tout simplement privé Neuilly-sur-Marne de ce centre.
Alors, les discussions pour parvenir à un accord, monsieur le secrétaire d’État, l’exemple de Neuilly-sur-Marne illustre de manière évidente qu’il ne faut guère y croire !
J’en arrive au dernier point. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.) Je termine, chers collègues, mais dois-je déduire de vos réactions que nos arguments sont si forts qu’ils vous inquiètent ?
Mme Catherine Procaccia. Nous voulons terminer avant minuit !
M. Jacques Mahéas. Monsieur le secrétaire d'État, pourquoi traiter de la sorte les élus franciliens ? Sans vouloir en rajouter sur les résultats des élections, je rappelle au Gouvernement qu’il doit tout de même en tenir un peu compte et considérer les élus franciliens comme des élus régionaux à part entière ! Il n’y a pas de raison de les maltraiter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Cambon. Ils n’ont rien fait pendant dix ans !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission de même que l’avis du Gouvernement sont défavorables.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 168 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Caffet, Mme Bricq, M. Angels, Mmes Campion et Khiari, MM. Lagauche, Madec, Mahéas et Repentin, Mme Tasca, M. Teston, Mme Voynet, MM. Bodin et Assouline, Mme Le Texier, M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Grand Paris (n° 367, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas quinze minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Caffet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au moment d’entrer dans le vif de ce débat, beaucoup d’entre nous ont en tête le discours prononcé par le Président de la République le 29 avril 2009, à l’occasion de l’inauguration des travaux des dix équipes d’architectes chargées d’imaginer la métropole post-Kyoto. Paraphrasant Victor Hugo – Dominique Voynet l’a rappelé avant moi - Nicolas Sarkozy avait dit alors que le Grand Paris devait se concevoir sous l’égide du vrai, du beau, du grand, du juste. (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Aujourd’hui, nous sommes obligés de constater, que dans ce texte, par rapport à ce discours, il n’y a rien de vrai, il n’y a rien de beau, il n’y a rien de grand, il n’y a rien de juste. Le rêve prometteur initié par les architectes a finalement accouché d’un métro automatique souterrain, de deux établissements publics et de nombreuses dispositions contraires aux principes de la décentralisation.
Nous aurons l’occasion d’en faire la démonstration dans le débat qui s’ouvre.
Pour l’heure, parce que la loi sort toujours grandie d’un vrai débat démocratique, arguments contre arguments, je veux me concentrer sur les désaccords de fond qui nous opposent et qui nous incitent à poser la question préalable.
Notre premier désaccord, monsieur le secrétaire d’État, porte sur la stratégie économique qui est sous-jacente à ce texte. Pour vous, afin de doubler la croissance en Île-de-France, il suffirait de relier entre eux, par un métro automatique, des clusters, des pôles de développement spécialisés, qu’ils soient déjà identifiés ou en devenir. Seraient ainsi créés un million d’emplois supplémentaires à l’horizon de quinze ans, cela d’ailleurs en parfaite contradiction avec les perspectives démographiques actuelles, notamment en termes de population active et, surtout, sans que le texte réponde à ces questions cruciales : où et comment seront logés ces nouveaux salariés ?
C’est cette stratégie, fondée sur une vision avant tout technique, que nous contestons. Et si nous la contestons, c’est que nous pensons que votre texte souffre d’un problème de diagnostic.
Vous citez abondamment, monsieur le secrétaire d’État, les autres villes-monde, New York, Londres, Tokyo, mais vous ne faites que les citer comme des eldorados à imiter, sans décrire leur stratégie de développement. Or il suffit de les observer pour constater que le postulat de concentration de l’activité économique dans quelques pôles spécialisés comme facteur essentiel de compétitivité et de croissance ne résiste pas à l’examen de la manière dont se recomposent les grandes métropoles mondiales.
En tout cas, ce que nous ont dit clairement les responsables de l’extension du réseau de transports en commun londonien lors de notre déplacement outre-manche, c’est que leur stratégie ne reposait pas sur un lien de transport entre clusters, mais visait avant tout à relier les banlieues ouest et est de Londres, en passant par le centre de la capitale. Vous en conviendrez, monsieur le rapporteur.
Cette question du diagnostic sur les forces et les faiblesses de l’Île-de-France est pour nous centrale. Le temps me manque pour expliciter notre analyse, mais force est de constater que cette région est extrêmement puissante sur un grand nombre de filières économiques.
Aussi l'enjeu n’est-il pas de rechercher une ou plusieurs filières pour les renforcer en les territorialisant à l'extrême.
Non, le véritable enjeu pour nous est de faire en sorte que la machine à innover régionale soit plus efficace, ce qui suppose de combler le déficit d'entrepreneuriat que l'on constate par rapport à d'autres régions du monde ou, dit autrement, le déficit d'accompagnement aux porteurs de projets dont peuvent naître les petites et moyennes entreprises. Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, je me réfère à ces deux étudiants de Stanford que vous évoquiez dans la discussion générale.
De fait, partant du constat que les pôles de compétitivité ne peuvent tout faire, nous pensons que la stratégie francilienne de croissance renvoie moins à un problème de choix de secteur à privilégier qu'à la sous-efficacité actuelle de l'appareil productif.
Nous pensons, pour résumer, que la véritable question stratégique est celle de la territorialisation des politiques d’innovation et qu'elle dépasse largement le seul problème du contour géographique des clusters.
En Île-de-France, le cluster, pour nous, ce doit être la région tout entière. C’est cette stratégie qu’a tenté d’incarner le SDRIF – peut-être imparfaitement, j’en conviens... –, en faisant en sorte, en outre, que les enjeux sociaux soient intégrés au mieux dans les priorités régionales, de manière à associer les politiques d’aménagement et les politiques de développement économique.
Notre deuxième point de désaccord, qui est tout aussi profond que le premier, porte sur la méthode employée pour élaborer ce projet de loi. D’une certaine manière, ce texte signe le retour de l’État en Île-de-France. Cela aurait pu être une bonne nouvelle, après des décennies d’absence, mais ce retour s’effectue dans les pires conditions, et je dirai même dans des conditions exécrables.
Je ne reviendrai pas sur les différentes versions de ce texte, notamment celle du 27 août 2009, heureusement modifiée à la suite de son examen par le Conseil d’État, afin d’en gommer les aspects les plus « recentralisateurs », qui encouraient le risque d’inconstitutionnalité.
Songez, mes chers collègues, que le Gouvernement avait imaginé au départ, après une vague concertation avec les collectivités locales, de leur imposer par décret le périmètre et le contenu des contrats de développement territorial ! Et quand je parle de contenu, ce n’est pas un vain mot, puisqu’il s’agissait « des orientations générales de développement et d’aménagement, notamment en matière d’urbanisme, de logement, de transports et de déplacements, de développement des communications numériques, de développement économique et culturel, d’espaces publics, de commerce », et j’en passe... La liste serait trop longue à énumérer dans le temps qui m’est imparti.
Vous aviez même prévu, monsieur le secrétaire d’État, que ce décret pourrait modifier la charte d’un parc naturel régional, ce qui en dit long sur les préoccupations environnementales qui vous animent ! Il est vrai que vous avez reculé sur ces prétentions, mais cette philosophie attentatoire à la décentralisation ne vous a pas abandonné. Je n’en citerai que deux exemples.
Tout d’abord, premier exemple, vous avez délibérément ignoré – pour ne pas dire méprisé ! – le plan de mobilisation pour les transports élaboré par la région et les départements d’Île-de-France. Or ce plan, qui tend à répondre aux besoins urgents des Franciliens, est financé, lui, pour les deux tiers de son coût, grâce aux engagements consentis par les collectivités locales. Cerise sur le gâteau, monsieur le secrétaire d'État, vous avez inspiré une disposition visant à étouffer dans l’œuf tout débat public sur la pièce maîtresse de ce plan, c’est-à-dire Arc Express.
Le second exemple a trait à la composition des organes dirigeants de la Société du Grand Paris et aux pouvoirs exorbitants qui lui sont conférés.
C’est l’État qui, de fait, au travers du directoire de la SGP, un triumvirat nommé par décret, aura les pleins pouvoirs, les collectivités territoriales étant appelées à faire de la figuration dans un conseil de surveillance où elles seront minoritaires.
C’est l’État encore qui, au travers de la SGP, aura pour mission de définir ce nouveau réseau de transports, au mépris des compétences légales de la région et du STIF.
Et c’est toujours l’État qui, au travers de la SGP, pourra imposer à une commune ou à un EPCI une opération d’aménagement ou de construction autour d’une nouvelle gare, et ce même si la commune ou l’EPCI concerné a émis un avis défavorable. Car c’est ce que dit le texte.
Tout cela constitue à l’évidence un recul démocratique majeur, car c’est la première fois depuis que la gauche a lancé le mouvement de décentralisation, voilà maintenant près de trente ans, que l’on éloigne à une telle échelle la prise de décision des élus légitimes qui en ont la charge.
J’en viens au troisième désaccord de fond que nous avons sur ce texte.
Nous pouvons comprendre, monsieur le secrétaire d’État, que vous êtes le représentant d’un gouvernement gérant un État impécunieux et financièrement exsangue, mais nous avons le regret de vous dire, en tant qu’élus nationaux représentant les collectivités territoriales, que nous ne pouvons accepter de cautionner un projet d’un montant de plus de 20 milliards d’euros qui n’est pas financé ou qui ne l’est qu’à la marge, via la valorisation foncière des terrains qui feront l’objet d’une opération d’aménagement ou de construction dans les périmètres concernés. Je dis « à la marge », car chacun sait que ces recettes ne procureront sans doute que quelques centaines de millions d’euros, peut-être 1 ou 2 milliards d’euros, sur les 30 milliards au moins que vous devrez rembourser en quarante ans, c'est-à-dire les 20 milliards d’euros de capital emprunté auxquels viendront s’ajouter les intérêts.
Certes, l’article 1er de ce projet de loi, dans sa nouvelle rédaction, dispose que ce financement sera assuré par l’État. Mais, en même temps, pour alimenter les caisses de la Société du Grand Paris, vous ne résistez pas à la tentation d’alourdir les charges du STIF en appliquant l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau au matériel roulant utilisé sur les lignes de transport en commun de voyageurs en Île-de-France.
Bref, nous avons tout lieu de craindre que le financement de ce nouveau réseau ne soit partagé avec les collectivités locales de façon bien plus importante que vous ne le dites maintenant.
Vous aurez compris que ce texte ne nous convient absolument pas. Pourtant, dans cette idée généreuse de Grand Paris, une autre voie était possible : celle d’un partenariat loyal et fécond entre l’État et les collectivités territoriales, partenariat que nous avons réclamé pendant des mois sans être entendus. Cette voie n’est pas un rêve, ni une idée fumeuse. Elle avait même trouvé une incarnation : le rapport de notre collègue député Gilles Carrez, qui faisait consensus sur l’essentiel.
L’essentiel, c’est la redéfinition du réseau de transports francilien en intégrant votre double boucle, mais aussi le contrat de projets État-région dans sa dimension « transports », et le plan de mobilisation de la région et des départements franciliens.
L’essentiel, c’est aussi un phasage prévisionnel crédible, avec une première étape jusqu’en 2025, conciliant l’impératif économique et l’urgence pour les Franciliens.
L’essentiel, c’est encore un plan de financement, tout aussi crédible, sur le plan tant de l’investissement que du fonctionnement.
L’essentiel, enfin, c’est une gouvernance originale de la mise en œuvre de ce nouveau réseau par la création d’une nouvelle entité juridique distincte du STIF, dans laquelle l’État aurait d’ailleurs pu être majoritaire, mais qui aurait partagé avec le STIF sa direction et ses équipes techniques, ce qui aurait à l’évidence permis d’optimiser la cohérence des projets de l’État et des collectivités locales.
Ce schéma, monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas voulu en entendre parler, pas plus d’ailleurs que le rapporteur de notre commission spéciale, que je tiens néanmoins à remercier de la quantité et de la qualité des auditions qu’il a menées.
Vous persévérez aujourd’hui dans une volonté recentralisatrice de mise à mal des compétences légales et des projets des collectivités territoriales. Vous le faites en outre dans un contexte très particulier. Qui, sinon le Président de la République, a décidé de transformer les élections régionales franciliennes en une sorte de référendum sur les transports et sur votre vision du Grand Paris ? Vous conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, que ce référendum, vous l’avez perdu. Et de quelle manière ! Et pourtant, vous décidez aujourd’hui de continuer sur la voie que les électeurs ont rejetée.
À élections régionales, conséquences régionales, nous avait-on dit. Et pourtant, ce que nous vivons avec le maintien de ce texte, et même son aggravation, c’est plutôt : à élections régionales, oukase national ! À l’ignorance des collectivités locales et de leurs élus, vous ajoutez le déni de démocratie vis-à-vis des électeurs.
Mes chers collègues, il me faut conclure. Je le ferai en quelques mots.
Stratégie économique erronée parce que trop partielle et trop datée, empiétement inacceptable de l’État sur les compétences des collectivités locales, aventurisme financier, refus de tirer les leçons pourtant claires d’un scrutin qui date de moins d’un mois : voilà autant de raisons de vous demander de retirer ce texte et d’en écrire un autre qui pourrait être fondateur d’un partenariat inédit entre l’État et les collectivités franciliennes, un partenariat fondé sur le respect mutuel et le principe de la codécision. Pour notre part, nous sommes prêts à y contribuer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Si j’avais été un jeune sénateur frais émoulu du suffrage sénatorial, et si je ne siégeais pas au sein de cette assemblée depuis 1977,...
M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas mon cas !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. ... j’aurais été impressionné par le propos de M. Caffet. (Sourires.)
Je reprendrai les quatre points de son argumentation, qui sont bien présentés, mais qui passent un peu à côté, malheureusement, du texte dont nous débattons.
Mme Nicole Bricq. Ah bon ?
M. Jean-Pierre Caffet. Comment cela ?
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. S’agissant du diagnostic, tout d’abord, nous constatons tous que la croissance de la région d’Île-de-France est inférieure à la croissance nationale, et surtout inférieure à celle de toutes les autres grandes villes comparables.
Mme Nicole Bricq. Non, ce n’est pas vrai !
M. Jacques Mahéas. Non, c’est faux !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Si ! La croissance est beaucoup plus forte dans les zones situées à l’extérieur de la région qu’à l’intérieur. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Nous pensons, comme le Gouvernement, que le fait de favoriser la mobilité en mettant en place un système de transport moderne et « bouclé » – et j’insiste sur ce dernier point ! – est un élément très important, qui doit être associé aux clusters et aux pôles de développement, à la reprise des pôles de compétitivité, lancés et développés il y a quelques années, et surtout à la valorisation, dans le cadre de la réforme des universités, de l’ensemble du réseau universitaire, et notamment de l’opération Campus du plateau de Saclay. En fait de diagnostic, ces trois points sont très importants.
Monsieur Caffet, lorsque je lis le contrat de projets État-région en matière de transports, que j’ai sous les yeux,…
M. Jean-Pierre Caffet. Nous aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. … j’y vois seulement du saupoudrage : le lancement de seize petites opérations, dont la plus importante est d’un montant de 350 millions d’euros, des études, des opérations de fret, des opérations interrégionales… Saupoudrage que tout cela !
Mes chers collègues, je répondrai à votre diagnostic que l’on ne règle pas un problème de transport avec du saupoudrage d’investissements ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Mahéas. Une ligne de métro, cela peut être utile !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. J’en viens, ensuite, à la méthode employée par le Gouvernement. (M. Yannick Bodin manifeste sa réprobation.) Laissez-moi poursuivre, monsieur Bodin : je n’ai pas interrompu M. Caffet ! Et nous avons eu suffisamment d’échanges autrefois pour que vous puissiez me laisser achever mon propos aujourd’hui.
La méthode gouvernementale a tout d’abord été quelque peu brutale, je vous le concède, notamment lors de la présentation du projet de loi initial.
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Mais l’Assemblée nationale a considérablement amélioré ce texte initial, et notre commission spéciale, dont vous fûtes un membre éminent, monsieur Caffet, a fait de même en prévoyant une enquête publique pour les contrats de développement territorial, une meilleure organisation de la Commission nationale du débat public, et la mise en place de méthodes permettant d’aboutir à un résultat plus satisfaisant.
Vous avez parlé de conditions « exécrables ». De tels mots n’ont pas leur place dans cette enceinte ! Ce terme me semble hors de proportion et je m’étonne qu’un homme tel que vous l’utilise. Et dire que l’on m’a reproché d’avoir employé l’expression : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »...
Mme Nicole Bricq. Pas nous ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)