M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. En outre, sur la proposition de notre collègue Christian Cambon, la commission a confié à l’établissement public Société du Grand Paris la compétence de veiller au développement, autour des futures gares du métro automatique, d’un réseau de transport de surface s’appuyant essentiellement sur les lignes d’autobus pour mettre en place un maillage fin de l’ensemble du territoire, sachant qu’il y aura désormais à la fois des radiales et des rocades.
Le texte fixe aussi des objectifs ambitieux en matière de production de logements. La commission a inscrit à l’article 1er l’objectif de construction annuelle en Île-de-France de 70 000 logements, objectif que nous atteindrons progressivement – nous partons de 35 000 logements aujourd’hui – et auquel participent les contrats de développement territorial. Elle a également prévu, sur l’initiative de notre collègue Dominique Braye, que le préfet de région devrait « territorialiser » cet objectif.
La commission a, par ailleurs, conforté le contrat de développement territorial. Elle a prévu la consultation de la région et du département concerné et la soumission systématique du projet de contrat à enquête publique, ainsi que des précisions sur son financement, qui inclura, comme l’a rappelé tout à l’heure M. le secrétaire d’État, la moitié des excédents dégagés par les opérations d’aménagement sur le terrain.
Enfin, la commission a garanti la préservation des terres agricoles. Elle a adopté un amendement de M. Laurent Béteille et un amendement de même nature présenté par M. Jean-Pierre Caffet, tendant à préciser que la zone de protection devra comporter au moins 2 300 hectares de terres consacrées aux activités agricoles situées sur la petite région agricole du plateau de Saclay.
Le second grand apport de la commission spéciale est de faciliter la mise en œuvre du projet du Grand Paris.
Il s’agit – c’est le troisième thème décliné par le texte – de prévoir un financement clair.
Sur ce point, je tiens à vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, d’avoir précisé dans le détail les méthodes de financement du projet. Nous attendions avec intérêt votre communication sur l’origine de la dotation en capital, le mécanisme de calcul des intérêts et la perspective des emprunts à long terme.
Il convient de poser les premiers « jalons législatifs » d’un financement viable du Grand Paris.
D’abord, l’État assurera le financement de l’infrastructure du nouveau réseau de transport.
Ensuite, le financement de l’État sera indépendant de sa contribution aux contrats de projets conclus avec la région d’Île-de-France pour permettre la création, l’amélioration et la modernisation des réseaux de transport public, mesures consacrées comme prioritaires, sur l’initiative de notre collègue Christian Cambon.
En outre, les modes de financements envisagés pour la réalisation des infrastructures seront inclus dans le dossier du Grand Paris soumis au débat public, sur proposition de notre collègue Jean-Pierre Caffet.
Enfin, le produit des baux commerciaux conclus dans les gares du futur réseau du Grand Paris bénéficiera à la « Société du Grand Paris ».
Par ailleurs, la commission spéciale a voulu aller plus loin que ces premiers éléments de financement en introduisant deux dispositifs fiscaux affectés au budget de cet établissement.
Le premier concerne l’adaptation à l’Île-de-France de la taxe sur les plus-values immobilières liées à la réalisation d’une infrastructure de transport collectif, adoptée par le Sénat, sur l’initiative de notre collègue M. Nègre, dans le cadre du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit « Grenelle II », qui est en instance à l’Assemblée nationale.
Le second dispositif fiscal vise l’assujettissement à l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau du matériel roulant utilisé sur les lignes exploitées par la RATP. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Quatrième et dernier thème, il s’agit de mettre en place une gouvernance plus efficace.
La commission spéciale a renforcé la légitimité et l’efficacité de la future « Société du Grand Paris » par trois mesures : l’audition par les commissions parlementaires compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat du candidat au poste de président du directoire de la « Société du Grand Paris » ;…
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. … le choix d’une structure à trois niveaux, avec un directoire composé de trois personnes, un conseil de surveillance resserré et un comité stratégique ouvert beaucoup plus largement à toutes les catégories de personnes intéressées ;…
M. Jean-Louis Carrère. Vive la monarchie !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. … enfin, sur proposition de M. Laurent Béteille, nous avons accepté d’inclure dans le texte la désignation d’un préfigurateur avant la mise en place du directoire et du conseil de surveillance. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. C’est le retour à la monarchie ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Mon cher collègue, je vais être bref, mais ne m’interrompez pas ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Isabelle Debré. Un peu de respect pour le travail effectué !
M. le président. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Je vais parler plus fort afin de ne pas être interrompu ! (Oui ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Dans le même souci, la commission a proposé d’améliorer la gouvernance de l’établissement public de Paris-Saclay, avec un conseil d’administration resserré comprenant un membre de la « Société du Grand Paris » et un comité consultatif dont la composition est élargie et les prérogatives, renforcées.
Elle a également précisé les compétences de cet établissement, d’une part, pour la couverture en très haut débit – elle nous paraît aussi essentielle que le réseau de transport ou de ligne à grande vitesse –, d’autre part, sur proposition de M. Yves Pozzo di Borgo, pour la préservation du patrimoine hydraulique du plateau de Saclay, qui a été longuement évoquée lorsque nous nous sommes rendus sur les lieux.
Mme Nicole Bricq. Qu’a-t-il obtenu en échange ?
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Au final, mes chers collègues, le projet de loi, qui devrait être utilement complété par l’adoption de plusieurs amendements au cours de nos prochaines séances publiques, met en œuvre des principes simples : un financement clair, des outils de pilotage efficaces,…
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. … une concertation loyale avec les collectivités territoriales,…
M. Charles Pasqua. Voilà !
M. Jean-Louis Carrère. Ah bon ?
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. ... l’association des citoyens à l’élaboration des projets, des transports collectifs modernes, rapides et interconnectés,…
M. Jean-Louis Carrère. C’est ça !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. … le développement de l’emploi, la création de logements diversifiés et en nombre suffisant, le soutien à la recherche et à l’innovation, ainsi qu’à leur valorisation industrielle et, enfin, le souci du développement durable.
Seul le respect de ces impératifs permettra à Paris et à sa région de demeurer, au XXIe siècle non seulement une ville-monde attractive, mais encore une capitale mondiale soucieuse de la cohérence des territoires qui la composent et prenant en compte les conditions de vie de ses habitants. J’ai particulièrement apprécié vos propos sur ce dernier point, monsieur le secrétaire d’État.
M. David Assouline. Vous êtes le seul à l’avoir remarqué !
M. Jean-Louis Carrère. Il s’en soucie comme d’une guigne !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Comme l’a dit le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, en parlant de l’Europe, Paris est aujourd’hui à la croisée des chemins : soit rester en première division avec Londres et, demain, Berlin, soit se laisser glisser en deuxième division avec Rome et Madrid.
Mme Dominique Voynet. Il y a des choses plus intéressantes que cela !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. Le présent projet de loi marque le début d’un choix positif et volontariste. La commission spéciale dans sa majorité vous demande donc de l’adopter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin. (Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent.)
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, garantir sur le plan international la place économique, politique, scientifique et culturelle de Paris est un objectif auquel chacun d’entre nous peut souscrire. C’est un élu du Sud-Ouest qui vous le dit et qui comprend parfaitement qu’un objectif particulier soit assigné à la capitale. « Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde », écrivait Victor Hugo.
Mme Catherine Tasca. Ah !
M. Yvon Collin. Sans aller aussi loin, on peut au moins s’accorder à reconnaître qu’un développement économique plus poussé de la région parisienne aurait un effet d’entraînement bénéfique pour le reste de l’Hexagone.
L’Île-de-France concentre 30 % du PIB national et est naturellement porteuse du plus gros potentiel économique, ce qui implique que celui-ci soit stimulé en permanence.
Or, aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, si Paris fait partie des quatre premières villes-monde, aux côtés de New York, Londres et Tokyo, elle accumule un retard de croissance qui risque de la déclasser au profit d’autres capitales européennes ou de villes émergentes, comme Shanghai, Singapour, ou même Bombay.
En effet, la région parisienne enregistre une croissance de 2 %, quand les autres grandes capitales sont à 4 %. Dans un monde de plus en plus ouvert, où la concurrence est vive, il est urgent de donner à Paris les moyens de conserver une attractivité qui la maintienne au rang des premières villes-monde.
Dans cette perspective, le Gouvernement a fait le choix, dans ce projet de loi, de proposer la création d’un établissement public à caractère industriel et commercial, dénommé « Société du Grand Paris » ; ce dernier sera chargé de développer un réseau de transport d’intérêt national et de favoriser le développement économique et urbain autour des gares de ce réseau.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de m’arrêter sur quelques-unes des réserves qu’appelle la création d’un supermétro automatique de cent trente kilomètres censée répondre aux ambitions que l’on souhaite pour Paris, je souhaite revenir sur la méthode retenue pour mener le projet à terme.
Cela a été dit tout à l’heure, compte tenu de la durée de ce chantier pharaonique – il serait étalé sur vingt ou trente ans –, il est surprenant de nous demander de légiférer dans l’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Caffet. Tout à fait !
M. Yvon Collin. Les parlementaires auraient aimé, me semble-t-il, disposer du délai nécessaire à une réflexion approfondie sur les enjeux portés par ce texte d’intérêt national.
Quant aux consultations des principaux acteurs concernés, qui auraient dû présider à l’élaboration d’un tel texte, elles ont été réduites au service minimum.
Monsieur le secrétaire d’État, les élus franciliens n’ont pas cessé de vous le répéter, ils ne comprennent pas pourquoi les collectivités locales n’ont eu que quelques semaines pour donner leur avis sur un texte qui engage leur territoire pour plusieurs décennies.
M. Jean-Pierre Caffet. Exactement !
M. Yvon Collin. Pensez-vous sincèrement avoir créé les conditions du dialogue ?
Et quelle ne fut pas leur surprise de découvrir qu’une telle mise à l’écart se poursuivait dans le texte !
La place prépondérante accordée à l’État au sein du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris tient à distance les élus franciliens. Alors que des pans entiers de leur territoire vont être réaménagés, ils seront dépossédés d’un grand nombre de leurs prérogatives en matière d’urbanisme et de transports.
Dans la mesure où le présent projet de loi consiste avant tout à créer une ligne de métro à grande échelle, il serait souhaitable que le Syndicat des transports d’Île-de-France, compétent et légitime pour piloter et organiser le système des transports sur le plan local, ne soit pas relégué au second plan.
M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !
M. Yvon Collin. Pourtant, quand il faudra payer, il risque bien d’être sollicité pour honorer des décisions prises par l’État !
M. Jean-Pierre Caffet. Effectivement !
M. Yvon Collin. Rien, ni dans les textes ni ailleurs, n’interdisait d’associer étroitement le STIF à ce grand projet, si ce n’est, une nouvelle fois, la volonté à peine affirmée d’écarter les élus locaux de la région.
Le schéma de gouvernance, s’il reste en l’état, aboutira à une incroyable entreprise de recentralisation.
Mes chers collègues, depuis plusieurs mois, nous débattons de textes réformant les collectivités locales. Dans l’exposé des motifs de chacun d’entre eux, on retrouve souvent les concepts de simplification institutionnelle et d’approfondissement des libertés locales. Or le projet de loi relatif au Grand Paris instaurera un régime d’exception où ces beaux mots n’auront plus de réalité.
Monsieur le secrétaire d’État, en créant un EPIC cumulant de façon autoritaire…
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Yvon Collin. … les compétences de maître d’ouvrage, d’aménageur et d’opérateur foncier, vous ajoutez manifestement une strate au dispositif.
Mme Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Yvon Collin. Où est donc la simplification dans ce projet qui crée plutôt de la complexité par un enchevêtrement de compétences et une multiplication des intervenants ?
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Yvon Collin. Il existait pourtant des outils appropriés : ils sont, pour la plupart, ignorés.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
M. Yvon Collin. Par ailleurs, où est l’esprit démocratique dans le texte ? Les Franciliens viennent de reconduire une majorité politique en laquelle ils avaient visiblement confiance.
M. Jean-Pierre Caffet. Oui !
M. Yvon Collin. Comment leur expliquer aujourd’hui qu’un projet aussi structurant, qui les concerne directement, sera en grande partie dirigé par l’État ?
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, se pose également la question du financement.
L’histoire de l’aménagement de l’Île-de-France est marquée par un désengagement progressif de l’État.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est vrai !
M. Yvon Collin. Pourtant, des priorités ont été clairement identifiées par les responsables locaux, fondées sur les attentes des usagers : la rénovation des lignes du RER, le désengorgement de la ligne 13, le prolongement de la ligne Éole, la création de la rocade Arc Express, et je pourrais en citer d’autres.
Malgré ces besoins urgents pour lesquels la région et les départements franciliens ont programmé 12 milliards d’euros au travers du plan de mobilisation pour les transports, le Gouvernement souhaite subitement la mise en œuvre d’un projet dont le coût est estimé à 35 milliards d’euros.
Compte tenu des contraintes pesant sur l’ensemble des finances publiques, comment allez-vous, monsieur le secrétaire d’État, garantir un financement clair, sûr et non concurrent des sources de financement prévues dans le cadre du plan précité ?
Nous attendons des réponses sur ce sujet délicat, mais fondamental. Le Gouvernement n’a pas souhaité reprendre les pistes de la mission Carrez. Depuis, l’incertitude règne ; une seule chose est sûre, nos concitoyens se retrouveront endettés à hauteur de 21 milliards d’euros.
Quant aux recettes liées à la valorisation foncière et immobilière qu’est censé apporter votre projet, elles sont tout de même conditionnées à une certaine réussite économique.
Or, sur ce point, un optimiste déraisonnable semble avoir emporté les auteurs du projet de loi. Tout repose sur un postulat : la création de la nouvelle rocade et la valorisation du plateau de Saclay entraîneront une croissance dégageant 60 000 emplois annuels,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Yvon Collin. … presque deux fois plus que le nombre actuel de création de postes. Chacun, dans cette enceinte, souhaiterait évidemment partager cette vision quelque peu optimiste.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surréaliste !
M. Jean-Pierre Caffet. Ô combien !
M. Yvon Collin. Mais ce serait oublier les aléas économiques, qui invitent pourtant à la prudence : souvenons-nous du « travailler plus pour gagner plus » !
M. Jean Desessard. Ah !
M. Yvon Collin. Malheureusement, la crise est passée par là et cette ambition présidentielle s’est révélée particulièrement décalée, avec une réalité offrant finalement peu d’opportunités.
S’agissant du Grand Paris, je ne dis pas qu’il serait préférable de ne rien faire. Je l’ai dit en commençant mon propos, une ville-monde a un effet d’entraînement qu’il convient d’encourager.
Mais ce qu’il faut faire, il faut le faire bien, et avec ceux qui connaissent leur cité, c’est-à-dire avec ceux qui y vivent et y travaillent,…
M. Jean-Pierre Caffet. Voilà !
M. Yvon Collin. … avec tous ceux qui y exercent des responsabilités publiques.
Il serait également important d’intégrer d’autres dimensions de l’action publique pour donner davantage de cohérence au Grand Paris. Même en imaginant que la question de la gouvernance soit résolue, est-on en effet certain que ce texte permettra de répondre à la question la plus fondamentale : ce projet est-il en mesure de répondre au défi de la fracture sociale au sein de ce territoire ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
M. Yvon Collin. Comment prétendre donner de l’attractivité à une région sans anticiper davantage les questions de logement et d’environnement ? Tout cela, me semble-t-il, fait cruellement défaut.
C’est pourquoi, mes chers collègues, la majorité du RDSE ne devrait pas voter, en l’état, ce projet de loi. La plupart des radicaux de gauche y sont en particulier fermement opposés. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Catherine Tasca. Bravo !
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. Jean Desessard. On discute du Grand Paris sous la présidence du maire de Marseille !
M. le président. Cela vous contrarie ? (Rires.) En tout cas, telle n’est pas du tout mon intention !
M. Jean-Louis Carrère. Cela ne nous contrarie pas. Nous ne faisons que le remarquer !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, deux semaines après les élections régionales, nous abordons ici la question fondamentale de l’avenir de la métropole parisienne.
Dois-je le rappeler, les Franciliens ont donné leur avis sur le Grand Paris en votant majoritairement à gauche aux élections régionales. Or, à l’évidence, le Gouvernement a fait le choix de passer outre ce vote, mais aussi d’ignorer les voix qui se sont élevées ensuite, notamment celle de la présidente de mon groupe, pour demander au Premier ministre le retrait de ce texte.
Ainsi, envers et contre tout, le projet de loi remet directement en cause ce vote, ainsi que la majorité de gauche au conseil régional et, en particulier, le schéma directeur de la région Île-de-France, ou SDRIF, qu’elle a conçu avec la création d’un mode de gouvernance totalement inédit.
Puisque c’est de cela que nous devons débattre en urgence, je m’attacherai à démontrer les enjeux portés par ce texte : enjeux de pouvoir, bien évidemment, mais également enjeux politiques, par la définition d’un modèle de développement urbain pour le XXIe siècle.
Tout d’abord, soyons clairs, les questions liées aux relations entre la ville capitale et sa banlieue datent de la création même de Paris. Elles ont toujours fait l’objet d’une attention soutenue du pouvoir central, à l’époque d’Haussmann comme à celle de Delouvrier.
Plus récemment, la création de « Paris-Métropole » illustre la continuité d’une réflexion des élus locaux sur ce thème.
Depuis le début, le Président de la République a souhaité placer ce projet dans le cadre d’une réflexion globale sur le renforcement de la position de Paris comme ville-monde de l’après-Kyoto. Les scénarii pour le Grand Paris proposés par les dix équipes pluridisciplinaires ont, certes, suscité l’enthousiasme chez les élus de tous bords,…
M. Jean-Pierre Caffet. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. … mais également dans la population.
Pourtant, il est très vite apparu que ce projet de loi était loin de répondre aux besoins immédiats des 11 millions de Franciliens ou de poser les bases d’un développement équilibré, durable et solidaire de la région d’Île-de-France.
Monsieur le secrétaire d’État, je l’ai dit, ce texte pose des enjeux majeurs de pouvoir, et nous l’avons su dès l’instant où vous avez été désigné.
En effet, pour légitimer son opposition au schéma directeur, il fallait au Président un projet alternatif. C’est chose faite, avec le concours d’architecture, dont les équipes déplorent qu’il ne soit qu’un subterfuge pour proposer une reprise en main par l’État du développement de la région-capitale, à rebours du mouvement continu de décentralisation.
La création d’une Société du Grand Paris, calquée sur le modèle d’une société anonyme et pilotée par un directoire de trois personnes nommées par décret, nous donne quelques indications sur cette volonté de reprise en main par le pouvoir central. Le conseil de surveillance sera ainsi majoritairement composé de représentants de l’État.
En outre, et c’est tout aussi grave, cette société pourra constituer des filiales et même déléguer les compétences de ces dernières à des personnes publiques ou privées. En revanche, les décisions qu’elle prendra s’imposeront aux collectivités, notamment à la région.
Ce déni de démocratie s’inscrit pleinement dans l’objectif de la réforme des collectivités locales : dévitaliser tout espace démocratique de proximité.
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. Jean-Louis Carrère. Magouille !
Mme Éliane Assassi. Contester le mille-feuille territorial, son inefficacité et son obsolescence pour, au final, créer une nouvelle superstructure, confirme notre analyse : la seule chose qui intéresse la majorité dans ce débat, c’est la recentralisation des pouvoirs. (M. David Assouline acquiesce.)
Pourtant, comment nous faire croire que le dessaisissement des collectivités permettra un quelconque progrès, alors même que, depuis de si nombreuses années, l’État n’assume plus ses responsabilités en termes de services publics dans les domaines du logement, des transports et de la politique de la ville ?
C’est donc bien le retour de l’État sans les services publics que vous portez par ce texte !
Ensuite, le manque de consultations sur ce projet est flagrant. À ce titre, il faut noter les réticences, non seulement de l’Association des maires de l’Île-de-France, de « Paris-Métropole », de la majorité régionale, mais également de la FNAUT, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, des chercheurs, de l’ordre des architectes. Une telle levée de boucliers devrait vous faire réfléchir sur le contenu même du débat public qui sera organisé !
M. Jean-Louis Carrère. Ils ont le bouclier fiscal pour se protéger !
Mme Éliane Assassi. Le réduire à la question du tracé ne nous semble pas suffisant : c’est un débat sur l’opportunité même de la création d’un tel EPIC qui est nécessaire.
Penser de manière durable la gouvernance de la métropole ne peut se faire de manière autoritaire et centralisée. C’est une impasse idéologique. La seule voie envisageable est celle de l’imbrication des structures, de la conjugaison des volontés, du respect des différents acteurs, de la participation à chaque étape des Franciliens eux-mêmes, au plus près des attentes, mais aussi des réalités. Ce projet doit être mouvant et non figé.
Pourtant, rien n’est prévu dans votre texte pour que cette participation des citoyens et des collectivités se poursuive une fois le débat public entériné.
On le voit bien, si vous avez des problèmes avec le débat public, vous en avez également avec les procédures qui vont le précéder et le suivre. Nous y reviendrons lors de la présentation de nos amendements.
J’en viens au contenu même du projet de loi relatif au Grand Paris.
À la lecture de ce texte, on se rend assez vite compte que loin des effets d’annonce de l’article 1er évoquant pêle-mêle les questions de logement, de lutte contre les déséquilibres sociaux et territoriaux, de développement économique durable, solidaire et équilibré, la réalité des propositions formulées par le Gouvernement est assez faible.
Il s’agit simplement de construire un métro souterrain en rocade de cent trente kilomètres desservant des clusters jugés attractifs, comme La Défense ou Saclay, en organisant une dérogation systématique aux règles d’urbanisme de droit commun et en mettant fin, de façon autoritaire, à des projets comme Arc Express.
À défaut d’être complet, innovant et porteur d’un projet visible et cohérent, au moins le SDRIF ne se réduit-il pas à un métro automatique ! Nous regrettons, à ce titre, une absence profonde de réflexion sur la pertinence de ce tracé et la faisabilité du Grand huit, élaboré dans le secret des cabinets ministériels. Nous regrettons la même absence de réflexion sur le recours à une option souterraine. Il fallait laisser, si j’ai bien compris, la Société du Grand Paris décider de tout cela !
Les syndicats ne s’y sont pas trompés. Ce projet est non pas celui des salariés franciliens, mais celui des hommes d’affaires qui ont besoin de passer des aéroports à des clusters dédiés à la finance et à la recherche. Le texte n’appréhende donc pas les déplacements travail-domicile, qui constituent pourtant la première préoccupation des Franciliens. Pour ces derniers, cette question est liée à celles de la tarification des transports et du maillage qui fait cruellement défaut et rend leurs déplacements difficiles. D’ailleurs, j’aimerais beaucoup vous entendre sur ces sujets, monsieur le secrétaire d’État.
C’est de tout cela dont les Franciliens ont besoin ! Et le Grand huit ne peut ni les ignorer ni les oublier ! Ils ont besoin que l’État, dans le cadre de ses compétences traditionnelles, empêche le marché d’imposer sa loi et réinvestisse dans les outils de puissance publique que sont la SNCF, RFF et la RATP. Or, aujourd’hui, les réseaux sont vétustes et saturés.
Vous ne pouvez pas en rendre seule responsable la région : elle ne gère le STIF que depuis 2006. Cette situation résulte d’un désengagement progressif et massif de l’État en matière de transports collectifs publics.
À ce titre, comment penser la métropole de demain, celle de l’après-Kyoto, en envisageant la question du fret ferroviaire uniquement en termes d’accès aux ports ?
En outre, le projet de Grand huit induit, de fait, une chenille d’expropriation et d’urbanisation couvrant une surface de quatre fois la taille de Paris, aménagement dont la Société du Grand Paris sera seule responsable. Cette privatisation de l’intérêt commun est insupportable ! La région d’Île-de-France ne peut pas devenir un terrain de jeu pour des bétonneurs !
En effet, pour financer ce projet de rocade, la valorisation des terrains attenants aux gares constituera une voie prioritaire portant en germe le risque important de nouvelles ségrégations sociales autour du Grand huit. Or ce risque est adossé à une réelle injustice fiscale, puisque toutes les taxes créées par ce texte permettront le financement de la Société du Grand Paris, indépendamment de toute exigence de péréquation régionale.
À ce titre, sous couvert de « coconstruction », reprenant en fin de compte une tendance de fond soulignée par le Conseil d’État, le nouvel outil des contrats de développement territorial enfermera dans un tête-à-tête les collectivités locales et l’État, ce qui peut, par ailleurs, favoriser le localisme. Il apparaît particulièrement hypocrite de laisser entendre qu’il pourrait exister de la coopération là où, en réalité, il ne s’agira que d’appliquer une seule volonté.
En effet, en l’état du texte, on voit bien que les collectivités seront, de toutes les manières, contraintes d’accepter les desiderata de la Société du Grand Paris et de l’État afin de laisser la maîtrise urbaine autour des gares.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d’État, que la nature de ces contrats soit plus transparente et que vous nous indiquiez précisément votre objectif politique.
J’en viens aux sommes consacrées au financement de ces contrats dont nous savons aujourd’hui qu’elles rentreront partiellement dans le cadre des contrats de projets État-régions, les CPER. Nous contestons le fait que la région et le département concernés sur le projet de contrat soient, non pas associés, mais seulement consultés sur la conclusion de ces contrats.
Sur le fond, nous nous inscrivons en faux contre cette conception de clusters qui traverse ce texte. Comme le souligne l’Ordre des architectes d’Île-de-France, ce projet ouvre la voie à la balkanisation des aires métropolitaines. En effet, une telle conception laisse inévitablement de côté toute une partie du territoire. Alors qu’il manque aux citoyens un maillage fin par des services publics, cette question ne figure nulle part dans votre texte !
Quant à la spécialisation des territoires, c’est une voie sans issue. En effet, nous ne pouvons que constater, à l’échelon mondial, l’obsolescence de ce système qui ne permet pas, entre autres, de respecter les prescriptions écologiques. Ce que vous nous proposez, c’est donc, non la modernité, mais des schémas de développement d’ores et déjà obsolètes.
Il nous semble également qu’il ne faut pas laisser de côté la grande couronne : à terme, le développement de la métropole parisienne couvrant globalement la petite couronne, captant l’ensemble des financements, mettra en péril l’existence même de l’échelon régional.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Bernard Vera. Très bien !
Mme Éliane Assassi. M. Gilles Carrez, dans son rapport, ne juge la pertinence de ce nouveau réseau qu’à l’aune d’un financement du réseau déjà existant. De manière plus pragmatique, comment ne pas voir que la gestion du Grand huit, qui reviendra au STIF, va obérer ses capacités financières pour de nombreuses années et demander un effort supplémentaire aux collectivités locales qui le financent aujourd’hui ?
M. Jean Desessard. Très bien !