Mme Catherine Morin-Desailly. Les nouveaux médias ont aussi un impact sur le rapport aux valeurs par le biais de la consommation de biens gratuits, légale ou non, par l’exposition permanente à la publicité ou encore par le rétrécissement de la sphère privée.
À titre d’exemple, aux États-Unis, un adolescent sur cinq et un jeune adulte sur trois ont déjà envoyé des photos ou des vidéos d’eux-mêmes nus ou à moitié nus par Internet ou par téléphone, et la plupart d’entre eux l’ont fait en toute conscience.
Pour résumer, comme le souligne M. Rossi : « [Les adolescents] ne semblent plus percevoir la valeur des biens. Leur consommation des médias est très fragmentée. ». Aussi, dans un environnement technologique qui, on le voit, brouille les pistes, il faut renforcer plus que jamais la protection et la prévention, et instaurer une vraie régulation.
Il existe aujourd’hui une délégation aux usages de l’Internet, la DUI, créée en 2003 et rattachée au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. On peut saluer les différentes actions mises en place par cette institution, telles que la charte NetPublic et le projet Confiance. Grâce à ce dernier, élaboré en collaboration avec la Commission européenne dans le cadre du plan d’action pour un Internet plus sûr, un site Internet a été développé, une campagne de sensibilisation a été menée et le 9 février est devenu la « journée pour un Internet plus sûr ».
Les initiatives en termes de prévention, d’information et de sensibilisation sont nombreuses. J’évoquerai, notamment, le Forum des droits sur l’internet, réel trait d’union entre le public et le privé en matière de régulation, mais aussi le remarquable travail de veille législative, d’information et de communication qu’effectue la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Il est bien sûr impératif que toutes ces initiatives soient encouragées et poursuivies avec l’ensemble des acteurs concernés. Comme l’a souligné le président de la commission, c’est un sujet si transversal qu’il doit être conduit par tous les ministères impliqués.
Cela étant dit, la protection pourrait se renforcer grâce à de nombreux dispositifs techniques. Un rapport de l’université d’Harvard a examiné une quarantaine de technologies susceptibles de contribuer à la protection des mineurs sur Internet, qui vont du filtrage et de la surveillance à la biométrie et à l’identification individuelle. Selon les experts, ces technologies commencent à prouver leur efficacité, mais elles posent également des problèmes comme le respect de la vie privée. Reste donc à savoir où placer le curseur.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur une autre question, que j’avais déjà évoquée en tant que corapporteur sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision : celle de la régulation.
À cet égard, j’insisterai sur le rôle que devrait pouvoir exercer le CSA. Cette instance de régulation, dont, je le rappelle au passage, Michel Thiollière et moi-même avions souhaité renforcer les pouvoirs de contrôle lors de la discussion dudit projet de loi, ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’outils de régulation sur Internet. Nous avions envisagé, à l’époque, la création d’un « CSA de l’internet ».
Dans la droite ligne de ce qu’a proposé la défenseure des enfants, Dominique Versini, il faut, me semble-t-il, adapter les règles audiovisuelles de protection de l’enfance aux nouveaux écrans : Internet, télévision mobile personnelle, télévision de rattrapage. Il paraît totalement absurde que les programmes diffusés sur ces supports ne disposent pas d’une vigilance et, donc, d’une signalétique identiques à celles qui leur sont appliquées à la télévision. Quoi qu’il en soit, il est grand temps aujourd’hui qu’une mission spécifique soit confiée au CSA de manière à réguler les contenus diffusés sur les nouveaux médias.
Par ailleurs, je suis en tout point d’accord avec l’ensemble des propositions formulées par M. David Assouline dans son rapport, fait au nom de la commission, sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse.
Fondamentalement, la protection des jeunes dans ce domaine est à refonder sur l’impératif éducatif. Plutôt que de leur inculquer des compétences techniques, il conviendrait de développer leur esprit critique et de les responsabiliser dans leur utilisation d’Internet, que ce soit pour rechercher des informations ou pour échanger du contenu et dialoguer avec leur cercle d’amis. Cet objectif fait d’ailleurs partie intégrante du socle commun de connaissances et de compétences que chaque élève doit maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire.
C’est dans cet état d’esprit que j’avais souhaité, par le biais d’un amendement défendu lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, que soient intégrés dans la formation délivrée pour le Brevet informatique et Internet des éléments d’information sur les dangers du téléchargement illicite et du piratage des œuvres sur Internet.
Mes chers collègues, je le rappelle à mon tour, la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, présentée par nos collègues M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier, nous avons retenu que les collégiens disposeraient désormais, dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, d’informations sur les dangers de l’exposition de soi et d’autrui sur Internet, ainsi que sur les droits d’accès, d’opposition, de rectification et de suppression des données personnelles.
Je vous rappelle également qu’il a été décidé à l’issue de ce débat que les futurs enseignants se verraient désormais dotés d’une formation spécifique dans le cadre de leur masterisation.
Si l’école doit être un lieu de formation aux nouveaux médias et d’information sur le sujet, les parents ont également un rôle à jouer, notamment en expliquant qu’une information de qualité a un coût, que l’on ne peut pas tout mettre sur le même plan, que Wikipédia n’est pas forcément la référence absolue et qu’il faut faire preuve d’esprit critique dans l’utilisation des informations recueillies.
En effet, ce n’est pas tant l’outil qui est dangereux que le fait de laisser un enfant l’utiliser seul. De la même manière que l’on éduque les jeunes à se comporter en société, il faut les accompagner dans l’utilisation des outils numériques.
Il convient, en particulier, de les aider à comprendre que ce qu’ils font sur Internet a des conséquences et que c’est à eux d’en être maîtres. Si l’information qu’ils « postent » aujourd’hui sur le Web leur semble insignifiante ou amusante, il n’en sera peut-être pas de même demain. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si se développe aujourd’hui tout un commerce autour de l’effacement des informations personnelles sur Internet ; on parle à ce sujet des « nettoyeurs du Net ».
Par ailleurs, comme je l’ai déjà évoqué dans cet hémicycle, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’une grande vigilance par rapport à la qualité et à la diversité des contenus disponibles sur le Net. L’objectif de la loi HADOPI, dont l’efficacité n’est pas encore démontrée aujourd’hui, a été de faire prendre conscience que la gratuité est à double tranchant : si celle-ci est séduisante, elle pose le problème du financement des contenus, mais aussi des médias. À force de ne pas payer pour regarder un film que l’on télécharge illégalement ou pour lire son journal, ne risque-t-on pas de se retrouver avec des programmes médiocres, une production médiatique et un pluralisme affaiblis ? En définitive, les jeunes seraient les principales victimes de cette situation : il leur revient de prendre conscience de la manière dont se finance l’ensemble du système.
En outre, il importe de continuer à développer de nouveaux modèles économiques d’offre légale. C’est un champ que les pouvoirs publics ne sauraient laisser à la quasi-discrétion des industries culturelles et dans lequel ils doivent également être force de proposition pour une offre qualitative et accessible.
À cet égard, la télévision publique a une vraie responsabilité dans le cadre de la mise en œuvre du média global.
Mes chers collègues, je reste convaincue que seule une combinaison de moyens technologiques et humains au travers de l’accompagnement parental, éducatif, social, législatif et politique pourra réellement protéger nos jeunes. Vous constatez, tout comme moi, à quel point ce débat est important aujourd’hui et combien les possibilités d’évolution sont nombreuses.
Un tel débat n’est d’ailleurs pas particulier à l’Hexagone. À la suite de la fusillade qui a eu lieu l’année dernière au lycée de Winnenden, les parlementaires allemands se sont également penchés sur la question de la protection des jeunes.
Cet exemple m’amène à affirmer que c’est aussi, et surtout, aux niveaux européen et international que doivent s’envisager les mesures à prendre, car Internet, vous le savez, n’a pas de frontières.
Nous devons donc, d’ores et déjà, investir ce secteur. En effet, comme le souligne le psychologue Yann Leroux, « les enfants ne s’éduquent pas seuls. Dans les mondes numériques comme ailleurs, ils ont besoin du soutien et de l’appui des adultes ». (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République sera clos à quinze heures trente-cinq. Je vous invite, si vous ne l’avez déjà fait, à participer à ce scrutin.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Bruno Gilles.
M. Bruno Gilles. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les nouveaux médias constituent un monde dense et en pleine évolution. Ils englobent l’internet, la télévision avec l’afflux de nouvelles chaînes, et leur mode de diffusion, en direct et en différé. Ils comprennent encore la téléphonie mobile et les applications multiples qu’elle offre et, bien évidemment, tous les enregistrements de films, séries télévisées et jeux accessibles par téléchargement ou sous forme de DVD.
L’objet de notre débat nous dispense de répertorier les avantages offerts par ces nouvelles technologies. En revanche, il nous revient d’en évaluer les dangers pour les jeunes afin de mieux en imaginer la parade.
Nos jeunes sont incontestablement « branchés ». Selon une enquête du CREDOC de décembre 2009, 94 % des adolescents disposent d’un ordinateur à domicile. Seuls 9 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans ne possèdent pas de mobile, et près de neuf adolescents sur dix sont connectés à Internet chez eux. Enfin, plus on est jeune et plus on dispose de moyens d’accéder à la télévision. Tel est le cas de 61 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans.
Il est tout aussi indéniable que leur jeune âge prive nos enfants du sens critique qui leur permettrait d’éviter les pièges. Le bombardement d’images et d’informations, les pressions psychologiques, sociales et commerciales exercées sur eux via ces technologies nouvelles les mettent dans une situation de fragilité, encore inconnue il y a peu.
De ce fait, il semble aujourd’hui qu’à l’inverse de ce que nous observons dans d’autres domaines leur maîtrise quasiment innée de ces nouveaux outils constitue plus une faiblesse qu’une force. En effet, plus leur habileté est grande, plus ils risquent de côtoyer des dangers ou d’être confrontés à des contenus préjudiciables pour eux et bien souvent, par ricochet, pour leur entourage.
Le risque d’addiction des jeunes aux nouveaux médias est préoccupant. Ils passent sur Internet 1 500 heures par an, indique le rapport d’information de 2008 de notre collègue David Assouline. Et l’on observe, au moment de l’adolescence, le même usage excessif de la télévision et des jeux vidéo, auxquels « 51 % des garçons de 15-17 ans déclarent jouer régulièrement en cachette la nuit », selon un sondage IPSOS de mars 2009.
Le comportement à risque des jeunes rend dangereuse leur participation aux réseaux sociaux sur Internet.
Un adolescent sur deux de plus de 13 ans fait partie d’un réseau social, selon une enquête de TNS Sofres de mars-avril 2009. Ces réseaux leur permettent de partager des informations ou des passions communes...
En février 2010, l’étude commandée par Trend Micro, leader mondial en matière de sécurité de contenu internet, à l’institut Opinion Matters montre que les principales informations partagées par les jeunes sur le Web sont : leurs adresses courriel pour 68 % d’entre eux, leurs photos pour 44 %, leur adresse postale pour 24 %.
Plus les jeunes grandissent, plus la situation s’aggrave. Si 99,2 % des enfants se connectent depuis leur domicile, les adolescents, quant à eux, privilégient de plus en plus leur téléphone mobile et le PC de leurs amis, à l’abri des regards des adultes... Il s’ensuit le risque d’une exposition de plus en plus dangereuse de la vie privée.
Ces dangers ne sont pas virtuels. L’association e-Enfance a publié une étude réalisée en avril-mai 2009 auprès d’un échantillon de 2 670 enfants âgés de 13 à 18 ans sur Facebook. Il en ressort que 53 % d’entre eux déclarent avoir été exposés à des images choquantes, qu’il s’agisse de violence ou de pornographie. Près d’un sur deux a reçu une proposition de rendez-vous d’un inconnu ; 20 % déclarent avoir accepté ce rendez-vous. Enfin, 29 % ont reçu des propositions sexuelles ; chez les filles de 13-14 ans, cette proportion est de 43 %. Au total, près de 90 % des jeunes de 13 à 18 ans ont été confrontés au moins une fois à des situations à risque.
Les jeunes n’ont bien souvent pas conscience qu’ils peuvent être observés par le monde entier sur Internet. Les risques liés à la pédophilie sont donc bien réels. Autres dangers d’Internet : les jeunes peuvent devenir la proie de publicités déguisées sous forme de divertissement et se laisser tenter par des achats en ligne non sécurisés.
Les jeunes sont aussi exposés de plus en plus souvent à des scènes de violence. Ils ont facilement accès à des jeux vidéo au contenu d’une violence « sans pitié et explicitement décrite », indique le site du réseau Éducation-Médias.
À la télévision, on assiste à une progression inquiétante, dès le début de la journée, sur les grandes chaînes et sur les nouvelles chaînes de la télévision numérique terrestre, d’émissions déconseillées aux enfants, « c’est-à-dire des séries télévisées, des émissions de télé-réalité et des documentaires pouvant perturber les mineurs par leur thématique ou par la violence de leurs images. [...] Et l’on constate malheureusement que les enfants regardent ces programmes ». Tel est le constat accablant dressé, en octobre 2009, par Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA.
Aujourd’hui, tous les contenus visibles à la télévision le sont également, d’une manière ou d’une autre, sur Internet. Surtout, de nombreuses images très violentes, qui ne sont pas montrées sur le petit écran, y sont visibles : exécutions, automutilations en direct, films interdits à la télévision. De nombreuses études indiquent clairement, depuis plusieurs années, qu’il existe une corrélation entre la violence des jeunes et leur exposition répétée à la violence.
Les images pédopornographiques et pornographiques sont dévastatrices pour la construction de la personnalité des jeunes. Or le risque de voir sur Internet des images pédopornographiques ou pornographiques sans l’avoir souhaité est réel pour un enfant sur trois. À la télévision, en raison du nombre de chaînes et de l’absence de cryptage, l’accès des jeunes à des films ou spots à caractère pornographique, qui sont une forme de violence particulièrement ravageuse chez les jeunes, est également possible.
Il en est de même avec les cassettes ou DVD de films X. À l’heure actuelle, il semble qu’il n’existe pas de réelles contraintes permettant d’empêcher un vendeur ou un loueur de vidéos de procurer à un mineur de moins de 12 ans un film interdit en salles aux jeunes âgés de moins de 12 ou 16 ans, voire aux moins de 18 ans.
Quelles parades mettre en place pour protéger nos jeunes ?
Bien sûr, en premier lieu, la vigilance des parents et des éducateurs doit s’accroître. Mais ce contrôle devient bien difficile. Si plus de 95 % des enfants font état de consignes parentales destinées à encadrer leur utilisation d’Internet, plus d’un enfant sur deux a le sentiment de pouvoir y faire ce qu’il veut sans que ses parents le sachent. D’ailleurs, 65 % des enfants avouent ne pas respecter au moins l’une des règles édictées par leurs parents, comme le rapporte le sondage IPSOS de mars 2009.
Si une seule règle devait être absolument inculquée aux enfants par les parents et les éducateurs concernant ce média, ce serait celle de l’anonymat.
II faut que les adultes aient les moyens de contrôler ce que regardent les jeunes. Des systèmes de « contrôle parental » existent mais leur contournement est fréquent, car ces mêmes jeunes font preuve en la matière d’une ingéniosité redoutable. Ces systèmes doivent donc être perfectionnés et s’appliquer également à la téléphonie mobile et à la télévision.
Il est de la responsabilité de l’État de sauvegarder l’ordre public et donc d’édicter des règles de protection des mineurs dans le domaine des médias. L’État doit également garantir la qualité culturelle des contenus. Mais les défis qui se présentent à nous aujourd’hui avec le développement du numérique, de l’internet et de l’interactivité compliquent sérieusement la tâche des pouvoirs publics.
Le pire fléau que l’on observe est la diffusion d’images pédophiles, qui sont en progression constante sur Internet. Actuellement, les systèmes de filtrage sont encore insatisfaisants : ils ne recensent pas tous les sites « à risque », ou bien empêchent la consultation de sites ne présentant pas de danger.
Il conviendrait que notre pays, à l’instar d’un certain nombre de ses voisins européens, exige la suppression des sites pédophiles et donc implique en amont les hébergeurs sous peine de sanctions et impose a fortiori les mêmes obligations aux fournisseurs d’accès à internet, les FAI. Dès que l’on demande quelque chose à un FAI, son premier réflexe est de répondre que ce n’est techniquement pas possible, alors même que ça l’est. Pour mettre toutes les chances de notre côté, il faut renforcer parallèlement la coopération internationale en ce domaine, puisque nombre de ces sites sont hébergés à l’étranger.
En ce qui concerne la télévision, il conviendrait que les cahiers des charges des chaînes, publiques et privées, soient plus stricts sur les contenus diffusés. Mme Dominique Versini, défenseure des enfants, dénonce à juste titre le fait que de nombreuses émissions soient sous-classifiées et que les chaînes soient peu réceptives aux observations.
On n’empêchera personne de diffuser et de consulter une multitude d’images par l’intermédiaire des téléphones ou des ordinateurs... C’est justement pour cela qu’il faut renforcer les chaînes de référence, en exigeant d’elles de présenter une vision du monde moins violente et moins sordide. Nous avons besoin de chaînes qui suscitent la réflexion et favorisent l’émulation de l’intelligence par une diffusion culturelle de qualité. De plus, la promotion d’une programmation télévisuelle destinée au jeune public constitue l’un des moyens les plus adaptés de lutte contre les dangers que les nouveaux médias font peser sur nos enfants.
Des dispositions sont prises et des dispositifs utiles, heureusement, sont prévus. Mais pour qu’ils deviennent réellement efficaces, il faudrait qu’un organisme unique compétent pour tous les nouveaux médias, doté d’un vrai pouvoir et de moyens suffisants, puisse contrôler le respect des règles définies et impulser la création de nouveaux systèmes protégeant les mineurs des contenus les plus choquants et de ceux qui leur sont préjudiciables. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ils sont la génération MSN, Facebook, peer to peer et autres plates-formes d’échanges... Le réseau internet est bel et bien la nouvelle cour de récréation de nos enfants et de nos adolescents.
Cette immense ouverture sur le monde et la sphère publique n’est pas sans risques. Sans nier les bienfaits des nouveaux médias, il nous faut néanmoins constater que les enfants sont tout aussi vulnérables en étant seuls devant un écran d’ordinateur ou un mobile que seuls dans la rue.
En ligne de mire : l’exposition involontaire à des images choquantes, les pressions psychologiques, les blogs à caractère diffamatoire, la divulgation des informations personnelles, les fausses identités virtuelles, les rendez-vous suspects, les cyberprédateurs, la consommation excessive...
Il est de bon ton de renvoyer les parents à leurs responsabilités... Pour autant, les parents ont rarement conscience de ces dangers. L’an dernier, le Norton Online Living Report révélait que 53 % des parents pensent que leurs enfants ne courent aucun danger en surfant sur le Net. Par ailleurs, 51 % des adolescents se connectent à Internet sans aucun contrôle parental !
La répression et l’interdiction trouvent rapidement leurs limites. Par définition, la supervision du monde en ligne est difficile. Non seulement le contenu du Web est accessible à tous ceux qui disposent d’un moteur de recherche, mais il est facile pour les enfants d’échapper à leurs parents en se connectant à l’extérieur du foyer familial.
Quant à définir ce que l’on peut mettre en ligne en toute sécurité, il semble que, là aussi, le plus grand flou prévale... La majorité des enfants de moins de 15 ans s’adressent à leurs parents ou à leurs amis. Mais pour plus d’un parent sur trois, Internet est justement l’une des principales sources de conseils, avec leurs amis et le bouche à oreille. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, 15 % des parents d’enfants de 15 ans demandent conseil à leurs propres enfants... Et 21 % des parents avouent même ne pas savoir où s’informer.
Certes, de nombreuses structures publiques, indépendantes, associatives, œuvrent en faveur de la protection et de l’éducation des jeunes face aux nouveaux médias. On peut toutefois regretter que, malgré la qualité de leurs interventions, leur action soit souvent disparate, parfois redondante. Il est d’ailleurs malaisé d’effectuer un bilan exhaustif des différentes initiatives.
Au sein du ministère de l’éducation, notamment, coexistent plusieurs entités œuvrant dans le sens de la formation et de la sensibilisation des jeunes aux dangers de l’internet ; leurs missions recoupent celles d’organismes « satellites » à vocation éducative qui se sont saisis des questions ayant trait à Internet.
Il est donc plus qu’urgent de mettre en œuvre une politique publique cohérente, structurée et forte en direction des jeunes, afin de leur permettre d’acquérir les bases d’une éducation numérique. La protection, c’est d’abord la responsabilisation des individus. Et l’internaute, même jeune, doit être acteur de sa propre protection.
Récemment, le Sénat a adopté une mesure en matière d’éducation aux nouveaux médias. Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, déposée sur l’initiative de nos collègues M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier, et votée, en première lecture, par le Sénat le 23 mars dernier, pourrait constituer un premier pas vers une éducation nationale des jeunes à l’égard des nouveaux médias.
Il pourrait consacrer l’engagement et l’implication de l’État à accompagner et à responsabiliser les jeunes utilisateurs d’Internet, à les former à la maîtrise de leur image publique, à l’analyse réfléchie et critique des informations circulant sur la Toile et à l’utilisation responsable des réseaux sociaux et des applications interactives.
Mais une telle action est-elle possible dans un contexte de forte diminution des moyens octroyés à l’éducation nationale ? Ainsi que notre collègue David Assouline l’a noté dans son rapport d’information, ni la circulaire Haby, ni l’intégration de l’éducation aux médias dans le socle commun de compétences, ni le cahier des charges de la formation des enseignants en IUFM n’ont jusqu’à présent suffi à pleinement intégrer dans le cursus scolaire cette éducation critique aux nouveaux médias. Aussi, comme lui, je souhaite souligner la nécessité de redéfinir le rôle du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information dans cette mission et l’importance de stabiliser ses moyens.
Par ailleurs, l’instauration du brevet informatique et Internet, le B2i, ouvert aux élèves des collèges n’a pas tenu toutes ses promesses. Cette validation d’acquis est généralement limitée au plus strict nécessaire, c’est-à-dire à la maîtrise des outils de base. Les sujets tels que les dangers de l’internet et l’utilisation d’un internet responsable ne sont éventuellement abordés que lors de la validation des autres niveaux du B2i, à la fin du cycle du collège puis au lycée et, encore, très succinctement, selon les dires des jeunes concernés.
En outre, la préparation au B2i se fait de façon extrêmement aléatoire, aucun horaire spécifique n’étant prévu dans les programmes.
Je reprendrai en cet instant deux propositions formulées par David Assouline dans son rapport d’information pour répondre à ces insuffisances : la nécessaire mise en place d’un module d’éducation aux médias de dix heures annuelles en quatrième et en seconde et l’utilisation des nouveaux médias de manière prioritaire comme support pédagogique des cours d’éducation civique.
Enfin, interrogeons-nous sur les modalités de formation des enseignants eux-mêmes, bien souvent moins familiers des usages les plus contemporains d’Internet, notamment des réseaux sociaux, que leurs élèves. De surcroît, ils ne disposent pas toujours du matériel pédagogique adéquat pour enseigner la protection des données personnelles.
Dans le cadre de la mastérisation, la validation d’un certificat informatique et Internet – C2i – comprenant un volet relatif aux problématiques du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles serait très utile. À cette occasion, l’expertise de la CNIL pourrait être sollicitée.
En conclusion, la mise en place d’une éducation critique aux nouveaux médias dans la formation des citoyens de demain ne correspond pas à l’introduction d’une simple matière nouvelle, mais constitue bien un « impératif démocratique ». Comme l’écrivait David Assouline dans son rapport d’information, « l’école doit démontrer que les médias ne sont pas les seuls transmetteurs d’un savoir indiscutable mais que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée ».
La réussite de cette éducation critique ne sera entière que si elle permet également d’ouvrir le débat aux parents eux-mêmes et d’améliorer les synergies entre le monde de l’éducation et celui des internautes, ainsi que, in fine, l’information du grand public, à l’image de ce qui a été fait dans certains pays européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans l’introduction du rapport d’information intitulé Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? qu’il a remis, au nom de commission des affaires culturelles, en 2008, David Assouline soulignait : « c’est surtout la question des relations que la jeunesse entretient avec ces médias qui inquiète ou qui réjouit : les nouveaux médias exposent-ils nos jeunes à des dangers majeurs tels que la perte de repères, la dépendance cybernétique ou la dissolution du sens critique ? Ou la révolution numérique va-t-elle rendre radieux l’avenir de nos enfants en facilitant leur apprentissage et en favorisant la démocratie à travers le droit donné à chacun de s’exprimer sur la Toile ? »
Près de deux ans après la publication de ce rapport, la question, cruciale, se pose toujours dans les mêmes termes. Qu’en est-il aujourd’hui de la relation entre les jeunes et les médias ? Cette relation fusionnelle représente-t-elle une chance ou un danger ? L’outil risque-t-il de devenir le maître ? Ne l’est-il pas déjà lorsqu’il conduit des jeunes à s’enfermer ? Pour s’en convaincre, il suffit d’observer certains jeunes dans le métro ou d’écouter certains parents relater l’enfermement de leurs enfants les conduisant parfois jusqu’à la dépression. Le professeur Batel, qui dirige le service d’addictologie de l’hôpital Beaujon, me faisait récemment observer que l’addiction aux médias était une pathologie de plus en plus fréquente.
Le Sénat a organisé de façon tout à fait opportune un débat sur la protection des jeunes face aux nouveaux médias, à l’heure de la génération numérique, où un jeune sur trois tient un blog, un sur deux se sert d’une messagerie instantanée, deux sur trois jouent sur ordinateur et plus de neuf sur dix naviguent sur Internet et détiennent un téléphone mobile. L’utilisation des nouveaux médias constitue leur troisième activité, après le sommeil et l’école.
Certes, le développement d’Internet représente un progrès dans l’accès à la communication. Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est la protection des enfants face au caractère choquant que peuvent revêtir certains contenus d’Internet pour eux et face à la cybercriminalité. Cette dernière peut être définie comme l’ensemble des infractions pénales commises via le réseau Internet. Plus précisément, elle est l’œuvre de délinquants qui utilisent les systèmes et les réseaux informatiques soit pour commettre des infractions spécifiques à ces systèmes et réseaux informatiques, soit pour développer ou pour faciliter des infractions qui existaient avant l’apparition de l’internet.
Aujourd’hui, des faits divers sordides impliquant des mineurs ayant été abusés par des adultes rencontrés sur Internet ou exerçant entre eux des pressions psychologiques insoutenables par le biais de la diffusion de films dégradants tournés ou non sous la contrainte sont encore monnaie courante.
En dehors de cela, l’accès direct des enfants à des images à caractère violent, pornographique continue de poser problème, en dépit des systèmes de logiciels de contrôle parental.
Enfin, la problématique de l’addiction de jeunes à des jeux de rôle violents effectués en réseau et de leur perte de repères réels est toujours d’actualité, comme celle de la protection des données personnelles des mineurs, qui, plus que tout autre, étalent bien souvent leur vie privée sur la Toile.
Serge Tisseron, dans son ouvrage intitulé Enfants sous influence Les écrans rendent-ils les jeunes violents ?, indique que « les images violentes perturbent les enfants. Même s’il n’est pas prouvé qu’elles favorisent le passage à l’acte, elles créent de l’angoisse, suscitent de la honte et, surtout, encouragent l’agressivité du groupe. » Pendant l’enfance, le jeune entre souvent dans un espace potentiel de jeu ; il risque ensuite de commettre les violences.
Les travaux réalisés par Marcel Frydman sur des groupes d’enfants sont intéressants. D’abord, la projection de films violents augmente la fréquence de comportements agressifs de manière immédiate, puis cet effet faiblit. Ensuite, les enfants déjà habitués, voire soumis à l’agressivité dans leur milieu environnemental sont les plus sensibles à la violence des films. Enfin, dernier élément tout aussi important, l’influence de cette violence sur le comportement des jeunes par l’intermédiaire de l’écran est annulée si la vision de ce qu’ils ont vu sur l’écran est suivie d’un temps d’échange avec leurs parents. C’est dire si la vulnérabilité face à la confusion entre le réel et l’imaginaire est d’autant plus grande lorsque les institutions de la transmission, à savoir la famille et l’école, n’ont pas joué leur rôle.
Madame la secrétaire d’État, nous vous savons concernée par ce sujet et nous saluons les actions que vous avez menées jusque-là,…
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange. … telle la diffusion d’une campagne d’information à la télévision intitulée Où est Arthur ?, mettant en garde les parents sur les dangers que leurs enfants peuvent rencontrer sur Internet. Cependant, je demeure persuadée que beaucoup reste encore à faire.
Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des quinze propositions figurant dans le rapport d’information de la commission des affaires culturelles ?
En réponse à la question écrite que j’avais posée au mois de mai 2008 sur la protection des mineurs face à Internet, vous avez indiqué que vous engagiez une action forte en ce sens, comportant trois priorités : le blocage des sites pédopornographiques, l’amélioration de la performance des logiciels de contrôle parental ainsi que la sensibilisation des parents. Nous vous suivons tout à fait pour ce qui concerne ces sages mesures. Mais où en est leur application et quel bilan peut-on en dresser aujourd’hui ?
Il est urgent de faire face à cette situation car l’enfant, de par son statut de personne vulnérable, de par la nécessité qu’il a d’être éduqué, aimé et entouré, requiert une véritable action, face à cette maltraitante insidieuse et multiforme. Si tel n’était pas le cas, les établissements d’aide sociale à l’enfance verront arriver une nouvelle catégorie d’enfants.
En effet, ce n’est pas parce que l’enfant est présent dans un nombre important de publicités qu’il est célébré et respecté, bien au contraire. L’enfant prétendument roi est tout d’abord un enfant victime s’il est condamné à trôner des heures durant, dès son retour de l’école, sans surveillance, devant Internet, comme si celui-ci était parfois devenu une solution de garde à domicile, une nouvelle sorte de crèche ou d’assistante maternelle.
Le problème de la sécurité des mineurs surfant sur Internet ne peut donc être esquivé, ni dissocié de l’éducation donnée par la famille.
L’État doit mettre en place le plus grand nombre de mesures possible pour protéger les citoyens, notamment les plus vulnérables, comme les enfants, mais aucune structure ni aucune politique ne remplacera le rôle des parents, premiers protecteurs de leurs enfants. C’est sur ce point que mes conclusions et celles de M. Assouline divergent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la secrétaire d’État, la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A/H1N1, dont je suis membre, étant actuellement réunie, je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir rester en séance jusqu’à la fin de ce débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.