M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays n’est pas celui où la pratique du jeu est la plus répandue. En effet, les Français ne sont pas de gros consommateurs de paris, la moyenne des enjeux en France étant, au moins officiellement, inférieure à celle que l’on observe dans les pays de l’Union européenne, en particulier en Grande-Bretagne où l’on parie à peu près sur tout.
Sans entrer dans la logique qui prête aux joueurs bien des travers psychologiques et bien des défauts, il convient de rappeler tout d’abord où nous nous situons.
Le jeu est dans notre pays une activité fortement réglementée, reposant, d’une part, sur un régime de droits exclusifs, pour ce qui est des courses hippiques, des loteries et des paris sportifs, et, d’autre part, sur un régime d’interdiction qui connaît toutefois quelques dérogations pour ce qui est des jeux de hasard avec mise en numéraire.
Ces régimes seraient à la fois notre force et notre faiblesse, à en croire certains. En effet, nous ne serions pas tout à fait à la page pour ce qui est du développement des jeux dits « virtuels », la seule réalité matérielle de ceux-ci résidant dans les mouvements financiers qu’ils impliquent.
Ils seraient notre force, car, avec le Pari mutuel urbain, nous disposons d’un outil et d’un système de financement et d’organisation des courses hippiques qui a permis à la fois le maintien d’une activité importante et l’existence d’une filière cohérente de l’élevage équin. Cette filière est un atout économique dans nombre de régions et fait notamment de la France la référence en matière de préservation et de reproduction des espèces et des races chevalines.
Il y a ainsi tout lieu de penser que, sans l’existence du système mutuel, nous aurions probablement abandonné l’élevage de certaines races de chevaux de trait et il est fort probable que la plus grande partie des hippodromes de province auraient fermé leurs portes.
D’ailleurs, la situation de monopole dont dispose le PMU sur la gestion concrète des paris et des enjeux a conduit à une réalité très simple. Comme vous l’avez d’ailleurs vous-même souligné dans quelques-uns des rapports d’information que vous avez pu produire au cours de ces dernières années, monsieur le rapporteur, nous avons en France autant d’hippodromes que l’ensemble des autres pays de l’Union européenne et chacun de ces champs de courses est à l’origine d’une microfilière économique dans son environnement immédiat.
La force du PMU est donc d’être un système mutualiste, où l’on a proscrit le pari à cote fixe - là où le joueur joue contre l’organisateur -, et un système désintéressé, puisque le PMU est un groupement d’intérêts économiques associant l’ensemble des sociétés d’élevage, sans autre but lucratif que celui de dégager les moyens de permettre la préservation et le développement de la race chevaline.
Au chapitre des loteries, nous sommes dotés depuis une bonne trentaine d’années de la Française des jeux, qui, en s’appuyant sur la Loterie nationale, a développé ensuite le Loto et, surtout, une grande quantité de jeux de loterie instantanée dont la diffusion est largement facilitée par la multiplicité des points de vente existants.
Pour ne pas oublier un segment de clientèle potentielle, on a également créé le Loto sportif, c'est-à-dire des paris sur des compétitions sportives. Il constitue la seule exception à la prohibition des paris à cote dans le paysage des droits exclusifs d’exploitation de jeux d’argent.
D’ailleurs, il y a fort peu à parier que la clientèle du PMU soit la même que celle de la Française des jeux. D’évidence, le Loto sportif, en particulier, malgré sa part somme toute réduite dans les activités de la Française des jeux, intéresse une clientèle plus jeune que celle des courses hippiques.
La volonté de produire ici une loi régissant de manière plus précise, « encadrant » ou prétendant encadrer, le jeu virtuel vise notamment à faire en sorte que la clientèle ayant accès à internet puisse être plus aisément repérée et fidélisée.
En outre, comme chacun sait, les jeux de hasard sont a priori interdits en France, sauf, par dérogation, dans les villes touristiques et thermales qui accueillent des casinos, cette dérogation au principe d’interdiction ayant été étendue aux agglomérations de plus de 500 000 habitants, moyennant la mise en œuvre d’un projet culturel associé.
Les casinos français, nettement plus nombreux que les établissements équivalents dans nombre d’autres pays voisins, ont connu un surcroît d’activité avec l’autorisation d’exploiter des machines à sous. Ils font l’objet d’une véritable lutte d’influence entre quelques groupes, de moins en moins nombreux, qui se partagent le marché, même si les derniers exercices sont marqués par la contraction sensible du produit brut des jeux et de l’activité des casinos, ce qui entraîne d’ailleurs quelques conflits sociaux dans ce secteur.
Nous comptons 197 établissements sur l’ensemble du territoire, dont une cinquantaine dans l’orbite du groupe Partouche, 36 dans le groupe Barrière, 16 dans le groupe Tranchant, 21 dans le groupe franco-canadien JOA et 8 dans le groupe Émeraude.
Derrière ces cinq principaux exploitants restent quelques groupes de taille moyenne et quelques indépendants, qui gèrent le plus souvent un seul établissement.
Les casinos français constituent une source non négligeable de revenus pour les collectivités territoriales où ils sont implantés, puisque les recettes tirées du produit brut des jeux dépassent 300 millions d’euros pour les communes d’accueil, somme qu’il convient de rapprocher des 916 millions d’euros de prélèvements fiscaux et des 250 millions d’euros de prélèvements sociaux.
Les casinos sont des acteurs incontournables de la vie économique des villes où ils sont implantés et y constituent bien souvent l’un des employeurs de référence.
Dans ce paysage du jeu dans notre pays, nous sommes donc dans un univers particulièrement réglementé, ne souffrant que quelques dérogations, notamment s’agissant de l’organisation de lotos dans le cadre d’activités touristiques locales, tout en constituant une filière économique entière, faisant travailler plus de 100 000 personnes.
Cette réalité économique a d’ailleurs été maintes fois soulignée, notamment dans vos rapports antérieurs, monsieur le rapporteur. Elle s’appuie en particulier sur une forte filière « cheval », constituant 5 % des emplois dans l’agriculture, et sur le réseau des casinos, qui emploient directement plus de 20 000 personnes.
C’est cet équilibre, produit d’une législation mesurée, faisant de l’interdiction ou de l’exclusivité le fondement de sa définition qui est aujourd’hui en débat, avec l’ouverture à la concurrence du marché des jeux de hasard.
Or c’est le même équilibre qui a, pour le moment, évité à notre pays les matchs truqués, phénomène ayant perverti les compétitions de football dans certains championnats européens déjà passablement déséquilibrés.
Comme nous l’avons rappelé, les jeux sont l’objet de prélèvements fiscaux et sociaux. Ainsi, la Loterie nationale a rapidement été le support de prélèvements au profit d’œuvres caritatives, tandis que le PMU était l’objet de prélèvements divers, opérés en faveur de l’aménagement rural ou encore de l’activité des haras.
Le PMU a ainsi financé l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, tandis qu’il est soumis, depuis 1976, à l’instar des jeux gérés par la Française des jeux, à un prélèvement au profit du Centre national pour le développement du sport, le CNDS, l’ancien Fonds national pour le développement du sport, ou FNDS.
En outre, les gains des joueurs au PMU et aux jeux de la Française des jeux sont directement assujettis à la contribution sociale généralisée depuis la création de celle-ci.
Une telle manne financière, dont la gestion est d’autant plus aisée qu’elle est le fait de deux entités disposant de l’exclusivité, est directement menacée sur le principe par l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne. Et c’est là l’un des débats clés de cette ouverture.
D’un côté, il y a les partisans d’une ouverture réelle, conforme à l’esprit des textes européens, notamment du sacro-saint principe de concurrence libre et non faussée, qui tendrait à rendre possible ce qui est aujourd’hui interdit, moyennant une fiscalité « adaptée », c'est-à-dire allégée. Nous en avons largement la trace dans le texte. C’est ce choix que semble bien avoir fait le Gouvernement, lui qui est d’ores et déjà à la recherche de tout ce qui pourrait permettre à la fois de réduire les dépenses publiques et de trouver de nouvelles ressources fiscales tout en continuant de tenir le discours, usé jusqu’à la corde, de la non-augmentation des impôts.
De l’autre côté, il y a ceux qui ne souhaitent aucunement l’extension du casino national et la mise en œuvre d’une concurrence très largement porteuse de dangers pour la tranquillité et l’ordre publics, une concurrence source d’addictions et créatrice d’illusions.
Le succès des machines à sous, élément clé du chiffre d’affaires des casinos aujourd’hui, celui des loteries instantanées – dès 2002, plus de 40 % du produit des jeux de la Française des jeux étaient assurés par ce vecteur –, du « Rapido », qui a, très vite, pris place dans les produits leaders, montrent largement que l’addiction peut s’installer d’autant plus rapidement que la sollicitation du joueur est constante.
Ce risque, apparemment, certains ne semblent pas l’avoir tout à fait mesuré, comme ils sont décidés à autoriser les jeux de hasard et d’argent en ligne pour éviter leur développement de manière illégale.
C’est d’ailleurs l’un des aspects pour le moins pervers de ce texte : nombre des procédures de jeu qui y sont expressément décrites, nombre des critères d’encadrement qu’il prétend mettre en œuvre sont seulement les outils qui feront entrer dans le champ de la légalité ce qui est aujourd’hui à la fois illégal et envahissant, si l’on en juge aux boîtes aux lettres électroniques de tous les abonnés d’un fournisseur d’accès internet.
Et, plutôt que de s’appuyer sur les textes législatifs existants pour poursuivre les contrevenants, que fait-on ? On a décidé de donner un vernis de légalité à l’ensemble, de poser quelques règles minimales, et on permet à certaines entités financières, déjà fortement présentes dans le circuit des jeux « en dur », de s’imposer plus encore.
La promotion du jeu responsable, la protection de l’éthique sportive, tout cela passe au second plan !
Le projet de loi se contente d’encadrer la concurrence, puisque les opérateurs disposeront du droit de proposer des jeux, dans la limite du respect de l’ordre public et social.
Pourtant, c’est justement en se fondant sur cet ordre public et social que notre pays a privilégié le principe du monopole, au détriment du principe de la concurrence, comme c’est d’ailleurs le cas chez nombre de nos voisins européens pour les jeux « en dur ».
La Cour de justice des Communautés européennes elle-même considère que le monopole public doit être privilégié pour lutter contre la corruption et la fraude.
Chacun s’accorde, y compris la commission des affaires sociales, sur les dangers sanitaires et sociaux, addiction et surendettement des joueurs, que font déjà courir les jeux et paris en ligne et sur les risques supplémentaires que fera naître l’ouverture à la concurrence. Si l’on y ajoute les problèmes de corruption dans le sport et les courses, le trucage des matchs, le blanchiment d’argent, force est de constater que l’État ne peut pas se priver du contrôle des acteurs historiques du secteur.
Par conséquent, les risques de nuisance pour la santé publique et l’ordre public ne devraient laisser personne indifférent, et l’État lui-même moins que tout autre.
En effet, pourquoi ce qui a permis les paris clandestins avant même l’existence de l’internet grand public ne serait pas possible maintenant que les transactions et les échanges sont facilités par l’électronique et la numérisation ?
Ces raisons renforcent notre opposition à toute autorisation de la publicité en faveur d’un opérateur de jeux ou de paris agréé. L’addiction au jeu est un problème sérieux et elle peut être considérée comme une pathologie ; le développement des jeux en ligne tend à l’aggraver, comme le relève la commission des affaires sociales. Dans ces conditions, comment autoriser la publicité pour les jeux en ligne, alors que l’on sait pertinemment que la publicité a précisément pour fonction d’inciter à consommer ?
Nous ne pouvons pas plus accepter la généralisation des paris à cote fixe, dont le principe est plus que contestable. En effet, le bookmaker a fortement intérêt à voir perdre le joueur et, dans tous les cas, il garde une marge sur les gains du joueur pour son propre bénéfice. La nature même de la cote fixe permet d’augmenter les profits et est source de tous les trucages, puisque les gains potentiels sont souvent plus attrayants que pour les paris mutuels.
Le pari à cote fixe se résume, comme on le voit outre-Manche, à de la fraude, à de la corruption et à des paris truqués, ce qui entache régulièrement le monde du sport et pervertit notamment sa pratique professionnelle.
C'est la raison pour laquelle quarante-six États des États-Unis, le pays le plus libéral, interdisent le pari à cote fixe. Il en est de même au Japon. En Europe, le Totocalcio, grand jeu italien sur le football, est un jeu mutualiste, tout comme las quinielas, également grand jeu sur le football, mais espagnol. Les Pays-Bas ont également pris la sage décision d’interdire le pari à cote fixe. La France, si elle l’autorisait aujourd’hui, deviendrait un paradis pour les mafias et les opérateurs sans scrupules.
Nous pouvons hélas craindre que, encore une fois, les citoyens les plus vulnérables ne fassent les frais de cette ouverture à la concurrence.
En raison des risques que la libéralisation fait courir dans notre société en termes de santé publique, d’ordre public et de protection des mineurs, le législateur a le pouvoir et le devoir d’organiser par la loi non pas l’ouverture régulée à la concurrence, mais la maîtrise publique de ce secteur.
Ces raisons nous conduiront à ne pas suivre le Gouvernement et le rapporteur de la commission des finances dans leur choix et à voter contre le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Gouvernement nous demande aujourd’hui d’examiner un projet de loi sur la libéralisation des jeux en ligne dans notre pays.
Monsieur le ministre, rien ne vous obligeait à légiférer aujourd'hui, en tout cas pas l’Union européenne ! Ce texte pose véritablement problème. D’ailleurs, aucune étude d’impact digne de ce nom n’a véritablement été menée à ce jour.
On peut craindre que, sous couvert de légalisation des pratiques de jeu en ligne, ce texte, s’il est adopté en l’état, ne suscite des effets pervers redoutables, en contribuant à la généralisation d’une « morale de casino » dans notre pays, en ouvrant les vannes d’une véritable déferlante publicitaire particulièrement nocive pour les jeunes,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. François Marc. … en multipliant les addictions au jeu et en contribuant, au final, à faire émerger une France de « perdants », puisque, comme nous le savons très bien, 95 % des joueurs sont des perdants !
Après le fameux « Travailler plus pour gagner plus », on pourrait, si le sujet n’était pas si sérieux, évoquer un très inquiétant : « Jouer plus pour perdre plus » (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG),…
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. C’est un peu facile !
M. François Marc. ... slogan qui risque – hélas ! – d’illustrer les comportements suscités en France par le texte gouvernemental.
Monsieur le ministre, l’État italien a précédé la France dans la mise en œuvre d’une libéralisation contrôlée. Or beaucoup parlent aujourd’hui d’échec à propos de cette libéralisation, on le voit, ratée. Il est donc encore temps pour nous de surseoir à l’adoption d’un tel projet de loi. Je vais m’efforcer de vous convaincre de revoir totalement votre stratégie en la matière.
Dans le passé, l’attitude des pouvoirs publics français à l’égard des jeux a, à juste raison, toujours été limitative, selon le triptyque suivant : prohibition, exception, exclusivité.
Dans notre pays, le jeu n’est à ce jour autorisé que par exception. Il est organisé dans le cadre de la Française des jeux, du PMU et des casinos, avec autorisation du ministère de l’intérieur, avis de la Commission supérieure des jeux et protection de la police des jeux.
Quand on regarde l’histoire des jeux, on note que des tentatives de libéralisation ont été engagées dans le passé, parfois certes lointain. Chaque fois, cela a entraîné des troubles pour l’ordre public et une accentuation des addictions, d’où le retour à des lois très restrictives et à la référence obligée à la vieille loi de 1836.
Ces enseignements du passé ne peuvent aujourd’hui être ignorés.
Le projet de loi prévoit de maintenir le principe de l’interdiction du jeu, sauf exception. Pourtant, en rendant possible le jeu de masse, ce texte, s’il est voté, marquera la fin d’une longue tradition française de restriction de l’offre de jeux d’argent. Est-il utile de préciser que les jeux d’argent ne sont pas des produits comme les autres et que, de ce fait, ils ne peuvent obéir à la seule loi de l’offre et de la demande ? Comme moi, vous savez qu’il ne s’agit pas d’une activité commerciale totalement inoffensive.
La France, nous dit-on, est l’élève docile de l’Union européenne. Avec ce texte, elle respecterait le principe de la libre prestation des services. Elle lutterait contre la prolifération des sites illégaux. Au nom du réalisme, elle mettrait en place un dispositif de régulation du marché.
Il faut savoir qu’en Europe vingt États membres autorisent les jeux en ligne, contre sept qui les interdisent. Treize États ont un marché des jeux en ligne libéralisé. Six États ont un monopole public. Un État a agréé un monopole privé.
La réalité européenne est donc multiforme : le droit communautaire n’impose pas tel ou tel dispositif et abandonne aux États la fixation des règles. La Cour de justice des Communautés européennes l’a répété à l’occasion de l’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa. Comme tout État membre, la France peut ainsi librement soit interdire les jeux et paris en ligne, soit en conférer le monopole à une entité, soit retenir un nombre restreint d’opérateurs, soit libérer totalement le marché.
Avec ce texte, la France a clairement choisi son camp en optant pour la libéralisation.
Les raisons invoquées à l’appui de cette option ne sont guère convaincantes. Nous savons, en revanche, que les effets pervers peuvent être redoutables : ce texte n’améliorera ni la santé des joueurs, ni leurs conditions de vie, ni, bien sûr, leur pouvoir d’achat ; il leur donnera seulement le droit de jouer toujours plus pour perdre toujours plus ! Ce seront d’ailleurs souvent les plus faibles, les plus démunis, les plus surendettés qui seront désormais pressés de se ruiner sur internet.
S’agissant du profil des joueurs, un sondage TNS/SOFRES de décembre 2009 souligne, par exemple, que 40 % des personnes relevant des catégories socioprofessionnelles supérieures déclarent jouer de temps à autre à des jeux d’argent, contre 62 % pour les catégories socioprofessionnelles inférieures.
Pour ces populations, le hasard et le gain potentiel assorti symbolisent une forme de « possible » vers un quotidien meilleur.
L’INSEE rappelle que le moral des Français reste bas, ce qui explique le succès des jeux d’argent auprès des personnes à revenus faibles ou modestes et majoritairement inactives.
Le rôle de la loi ne doit pas être de suivre ces personnes vulnérables ni même de les accompagner. La loi doit viser à réduire les risques sociaux en limitant, notamment, la possibilité de pertes.
En définitive, le projet de loi vise surtout à servir au plus rapidement les intérêts des nouveaux opérateurs. Aller très vite pour que ces opérateurs puissent être prêts à toucher la manne publicitaire de la Coupe du monde de football 2010 : tel est le discours qui se propage depuis des semaines et que nous venons de nouveau d’entendre aujourd'hui. Voilà l’une des obsessions du projet gouvernemental : il y a des centaines de millions d’euros à gagner pour les opérateurs, qui attendent impatiemment que le fromage leur tombe en partage !
Depuis l’annonce de la libéralisation du marché, nous notons que les partenariats, les accords et les opérations de rachat se multiplient dans ce secteur présenté comme le nouvel Eldorado.
L’ouverture des jeux en ligne à la concurrence pose la question de l’ordre public. Les nouveaux opérateurs européens – Interwetten, Bwin, Betfair, Sportingbet, Unibet, et j’en passe – s’efforcent d’afficher leur honorabilité, mais les scandales ont été nombreux, notamment en Italie ou au Royaume-Uni.
Le Gouvernement est-il armé pour mener sérieusement toutes les négociations liées à l’attribution des licences ? Rien n’est moins sûr !
Loin de moraliser le capitalisme, le texte prévoit une « économie de casino », à cent lieues des soucis de « la France qui se lève tôt ».
Un peu plus d’un an après le naufrage de la finance spéculative, ce texte encourage une économie spéculative qui met en avant les revenus du hasard au détriment des revenus du travail.
Le projet de loi met en danger les circuits traditionnels de financement des filières hippique et sportive. En développant des paris sportifs en ligne, le PMU risque de changer de vocation. Il ne sera plus simplement un organisateur de paris tourné vers toute la filière hippique.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. François Marc. Les parieurs se concentreront très naturellement sur les courses les plus médiatisées et les plus rentables, au détriment des petits hippodromes et des sociétés de courses.
Comme cela a été souligné tout à l’heure, 70 000 emplois directs, 250 hippodromes et autant de petites sociétés de courses qui font vivre notre territoire sont concernés.
En Italie, depuis deux ans, une baisse catastrophique des ressources a été observée, ce qui a mis en péril la totalité de la filière hippique.
L’ouverture du marché du jeu entraînera automatiquement une augmentation de l’offre. La mise en place d’une autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, et la limitation du nombre de licences octroyées auront sans doute un effet limitant. La porte sera pourtant bel et bien entrouverte via la légalisation prochaine de l’offre actuellement illégale.
Au sujet des opérateurs aujourd’hui illégaux, une curieuse remise à zéro des compteurs, une sorte d’amnistie, est évoquée.
M. François Marc. Le principal changement résidera donc dans l’envol d’un marché à la fois légitimé par la loi et alimenté par les effets d’une publicité de masse. Il est déjà question d’un montant de plus de 200 millions d’euros pour la publicité.
La mise en œuvre d’un tel projet de loi peut, par ailleurs, se révéler redoutable pour la santé publique, car le jeu en ligne est particulièrement « addictogène ».
La dépendance est aggravée par la disponibilité permanente de l’offre à domicile et par la possible répétition des mises. Proche de la drogue chimique, le jeu en ligne cause un syndrome d’addiction complet : accélération des mises, dépendance à l’écran, augmentation des montants, impact sur le cours de la vie avec perturbations personnelles et familiales, enfin syndrome de sevrage en cas de privation.
Cette addiction est un vecteur d’autres formes de dépendance. Les chiffres sont éloquents : 50 % des joueurs sont des buveurs excessifs et 60 % d’entre eux sont des tabagiques affirmés.
Ce texte est, en outre, dangereux pour l’équilibre financier de l’État. Selon des hypothèses de marché non chiffrées, et en l’absence de toute étude d’impact, le Gouvernement espère sécuriser les recettes fiscales et les prélèvements à hauteur de 5,5 milliards d’euros. Il faudra, bien sûr, que le volume des mises augmente très sensiblement pour compenser la diminution des taux de prélèvement sur les mises.
En d’autres termes, en diminuant le taux sur la fiscalité et les prélèvements, l’État s’engage à rechercher dans l’effet volume la compensation, ce qui est une forme d’incitation à jouer très inquiétante !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les sommes gagnées sont toujours remises en jeu !
M. François Marc. Du point de vue de la confusion des intérêts, le texte pose aussi problème.
Les mêmes pourront organiser de la publicité pour des opérateurs dont ils sont propriétaires ou dans lesquels ils sont parties prenantes, le tout à l’occasion de manifestations sportives pour lesquelles ils auraient obtenu des droits exclusifs en matière de paris !
Mais alors pourquoi prendre de tels risques ? La jurisprudence européenne n’interdit pas la mise en place d’un monopole d’État.
Pourquoi ne pas s’appuyer sur la Française des jeux ? Elle régulerait le marché, freinerait l’offre de jeux et récupérerait des fonds publics. Jusqu’à présent, M. le rapporteur l’a souligné, l’État n’a pas joué totalement son rôle de tutelle. Il a laissé la Française des jeux et, dans une moindre mesure, le PMU mener des politiques commerciales contraires à la santé publique.
Pour restaurer cette tutelle défaillante, des outils existent : la fixation d’objectifs plafonds, l’interdiction de vente à certains publics, l’encadrement plus strict du développement de nouveaux produits.
L’intérêt de la tutelle d’État est de pouvoir encadrer le volume et la nature de l’offre de jeux.
En ouvrant à la concurrence un domaine qui avait toujours été soumis au contrôle d’un monopole public, ce texte engage une transformation profonde de notre société et rompt avec une longue tradition républicaine.
Sous la pression des différents opérateurs, il conduira inévitablement à une dérégulation progressive. Il aboutira à un amoindrissement des protections, ce qui sera préjudiciable en premier lieu aux petits parieurs et aux plus faibles.
Par l’exercice de ses missions régaliennes, l’État doit être le garant de la protection des citoyens. Dans le contexte actuel de crise financière, sociale, économique, nous attendons des arbitrages politiques qu’ils visent à favoriser l’intérêt général.
Or, mes chers collègues, tel qu’il est présenté aujourd'hui, ce texte ne nous paraît pas aller dans le sens de l’intérêt général. C'est la raison pour laquelle nous nous opposerons à son adoption ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années maintenant, notre pays est confronté au problème de la régulation des jeux et des paris en ligne, conformément du reste aux normes communautaires.
Plus exactement, la France doit faire face à une très importante offre illégale de jeux d’argent et de hasard sur internet.
On dénombre, ainsi, près de 25 000 sites illégaux de jeux, dont un quart seulement en langue française.
Cette situation n’est évidemment plus admissible. Les conséquences de la prolifération de ce marché sauvage sont pour le moins malheureuses. Les « joueurs-consommateurs » jouent sur des sites n’offrant aucune garantie et présentant des risques avérés de tricherie.
Par manque de contrôle, l’intégrité même des compétitions est mise à mal. C’est ainsi que les opérateurs illégaux profitent financièrement de la situation au détriment de l’État, bien sûr, mais également des organisateurs de compétitions sportives, particulièrement de compétitions hippiques.
L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de révoquer le monopole de la Française des jeux et du PMU en habilitant des sites à mettre en place des jeux de hasard et des paris en ligne dans les domaines du sport en général et du sport hippique en particulier, et du poker virtuel.
Nous le savons tous : les jeux d’argent peuvent être dangereux. Ils présentent un risque important d’addiction et peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les familles des joueurs. Ils sont susceptibles, également, de favoriser le blanchiment de l’argent sale.
Mes chers collègues, le jeu existe et personne dans cet hémicycle ne le condamne en tant que tel. Il n’est ni bon ni mauvais. Il s’agit simplement d’un divertissement. Le bon ou le mauvais côté du jeu dépend ici plus que jamais de l’usage qui en est fait, des limites que nous nous fixons et de celles que posent la loi et le législateur. Tel est l’objet de notre discussion.
On estime à près de 3 % ceux de nos compatriotes qui sont des joueurs pathologiques ou problématiques. Les mesures dites de « jeu responsable » visant à encadrer l’offre de jeux, mesures mises en place le plus souvent par les opérateurs eux-mêmes, sans fanatisme excessif, n’ont à aucun moment démontré leur efficacité.
Des mesures de ce type n’améliorent en rien la vie des joueurs et des parieurs, pas plus que leur santé ou leur pouvoir d’achat. Elles offrent simplement aux joueurs la possibilité de jouer toujours plus pour perdre toujours plus, mais dans un cadre légal préétabli !
Reste donc à tenter de canaliser la demande des joueurs vers des prestataires licenciés et responsables, sous le contrôle de l’État. Néanmoins, celui-ci disposera de marges de manœuvre étroites, car il devra très vite faire face à deux types de situations : d’une part, une augmentation légalisée de l’addiction au jeu, avec l’illusion collective de l’amélioration du pouvoir d’achat ; d’autre part, un renforcement des sites illégaux, du fait de la non-compétitivité fiscale du système prochainement mis en place.
C’est pourquoi, avec un certain nombre de membres de mon groupe, nous souhaitons que soit imposé au taux de 25 % le produit brut des jeux. En effet, ce produit brut est neutre vis-à-vis de la forme et du type de jeu et correspond au chiffre d’affaires effectif des opérateurs. Cette forme de taxation est la plus compétitive, nous semble-t-il, pour lutter contre le marché noir, mais aussi pour canaliser la demande des joueurs vers des sites européens agréés.
Concernant les opérateurs, le vrai problème consiste aujourd’hui à mettre fin à l’offre illégale, soit en prenant des mesures de caractère répressif, soit en faisant entrer cette offre, aujourd’hui illégale, dans le cadre d’une parfaite régulation reposant sur les opérateurs nationaux déjà existants.
Quant aux exploitants de casinos, il importe également de les faire bénéficier du développement des jeux en ligne, en particulier le poker, dont ils pourraient légitimement être les prestataires dans un cadre légal et régulé. Il est évident que nous devons lutter contre les dizaines de milliers de sites illégaux qui ponctionnent l’argent des joueurs au détriment de la filière sportive, de la filière hippique et des rentrées fiscales de l’État, ce détournement représentant d’ailleurs à nos yeux le dysfonctionnement le plus grave aujourd’hui.
L’existence d’une fiscalité d’État sur les jeux est donc tout à fait légitime et il devient de plus en plus intolérable que des sites illégaux soient créés juste pour y échapper : monsieur le ministre, cette fraude doit cesser !
Depuis plus de dix ans, nous sommes nombreux au Parlement à réfléchir, mais aussi à agir, pour qu’internet ne soit pas un espace hors du droit : les lois républicaines, et notamment la loi pénale, doivent s’y appliquer, ce qui ne signifie pas que cette application soit facile sur un réseau mondial.
Nous sommes également nombreux à considérer que l’État de droit ne doit pas être dégradé sous prétexte qu’il concerne internet, qui serait alors un espace de non-droit. Sa régulation est donc nécessaire et notre devoir de législateurs consiste à énoncer des règles justes et signifiantes.
Fort de ce constat, et tirant les enseignements de la jurisprudence de la Cour de justice, ce projet de loi conforte le modèle français d’organisation des jeux et des paris, et canalise l’offre aujourd’hui illégale, pour permettre une égalité stricte en termes de taux de retour aux parieurs, de respect des conditions d’éthique, ainsi que de critères de lutte contre les fraudes et le blanchiment.
Derrière la volonté affichée du Gouvernement de contrôler et d’assécher l’activité illégale, se cache en fait une inquiétante propension à sous-estimer a priori les méfaits d’un libéralisme et d’une déréglementation excessifs. C’est en ce sens que j’ai déposé un amendement tendant à la suppression de l’article 52 du projet de loi, article qui reconnaît aux fédérations sportives un droit de propriété en matière de paris. Ces derniers sont d’autant plus dangereux qu’ils échappent totalement à la sphère sportive.
La tentation de se doper pour améliorer ses propres performances, la tentation de corrompre pour amoindrir les performances des autres et le recours à de petits arrangements vont produire un trouble supplémentaire dans un monde pas toujours aussi vertueux qu’il en a l’air. Les cibles sont connues : les joueurs, mais aussi les arbitres, les dirigeants, les entraîneurs, les intermédiaires ou les gens d’influence.
En outre, cet article 52, s’il devait être adopté en l’état, ne profiterait en réalité qu’aux équipes sportives les plus puissantes, au risque de créer des trésoreries parallèles.
Mes chers collègues, n’acceptons pas le mélange des genres entre sportifs et opérateurs ! N’ouvrons pas de nouvelles vannes, sans mesurer les enjeux de ce que nous aurons décidé. Le dispositif actuellement envisagé rapportera gros à quelques-uns, mais coûtera très cher à beaucoup ! N’instillons pas de doutes supplémentaires sur la sincérité des compétitions sportives ni sur leurs résultats, car le risque de suspicion généralisée est dangereux pour le sport, pour son image et pour ses valeurs.
Le téléspectateur parieur se retrouverait ainsi devant son poste de télévision pour regarder un match exclusivement diffusé par la chaîne qui aurait acquis les droits audiovisuels du championnat, tandis que la même chaîne diffuserait une publicité pour une société de paris en ligne qu’elle détiendrait partiellement ou totalement, puisque le projet de loi, me semble-t-il, ne comporte aucune disposition anti-concentration.
L’incitation à jouer sera énorme et fera courir un véritable danger au sport. La vision du sport ne sera plus la même, elle ne sera plus désintéressée, ni tournée vers l’exploit sportif : ce dernier sera désormais remplacé, hélas, par l’appât du gain. On est loin des valeurs de l’éthique sportive !
Monsieur le ministre, en matière de régulation des jeux en ligne, les sénateurs du groupe du RDSE ne souhaitent ni l’immobilisme ni le statu quo, pas plus qu’ils ne veulent céder à l’aventurisme. C’est pourquoi, si la rédaction du projet de loi proposée par le Gouvernement, malgré les améliorations apportées par la commission des finances éclairée par son excellent rapporteur, ne devait pas évoluer, ou très peu, la majorité des membres du RDSE, inquiète des risques inhérents à la prolifération des jeux de hasard en ligne et non convaincue de l’efficacité absolue des dispositifs proposés, n’aura d’autre choix que de s’abstenir lors du vote final. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.