Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement a donc le devoir d’apporter des réponses concrètes aux évolutions de la criminalité. C’est ce que nous faisons, tout en tenant compte des considérants du Conseil constitutionnel. Nous nous inscrivons ainsi dans la droite ligne du fonctionnement des institutions.

Je ne reviendrai pas sur le fait que le présent projet de loi ne confond pas les soins et la sanction. Il identifie précisément le rôle du médecin et celui du juge.

Mme Borvo Cohen-Seat a en revanche raison de souligner, à l’instar de MM. Mézard et Détraigne, qu’une nouvelle loi est inefficace si elle n’est pas mise en œuvre grâce à des moyens adaptés. C’est justement ce à quoi s’emploie le ministère de la justice, notamment en créant de nouveaux postes dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation ou en publiant des circulaires comme celle du mois d’octobre dernier : il faut à la fois des moyens et des textes pour fixer un cadre.

Monsieur Anziani, vous nous reprochez d’avoir présenté deux projets de loi en deux ans sur le même sujet. Or, dans la mesure où le Conseil constitutionnel avait demandé au Gouvernement d’apporter certaines précisions, il était normal que nous nous conformions à sa requête. Comment aurait-il pu en être autrement ? Nous avons en outre procédé à quelques ajouts, après nous être aperçus que le dispositif de protection des victimes comportait une lacune. Cela relève de notre responsabilité.

Je ne crois pas, monsieur Anziani, qu’il soit inutile de mettre en place un répertoire des expertises et des enquêtes sociales concernant les détenus. Nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer ce point lors de l’élaboration de la loi pénitentiaire. Ce répertoire constituera un outil d’individualisation de l’incarcération, qui permettra de rendre celle-ci plus efficace et de mieux lutter contre la récidive. Pensez-vous inutile de permettre aux forces de police et de gendarmerie d’interpeller un individu qui va à la rencontre de sa victime alors qu’il lui a été interdit de l’approcher ? Le présent texte est nécessaire, puisqu’il comporte des dispositions rendant possible une telle intervention.

Ce projet de loi ne constitue nullement une marque de défiance à l’égard des magistrats, que j’ai toujours défendus, y compris dans cet hémicycle lorsque d’aucuns ont émis des doutes sur leur déontologie ou leur motivation. Il leur offre au contraire un certain nombre d’éléments nouveaux. Ce n’est pas manifester de la défiance envers les magistrats que de rendre automatique l’interdiction aux criminels sexuels de s’approcher de leur victime. Dans le cas, qui a été évoqué tout à l’heure, de la joggeuse assassinée, une cour d’assises avait oublié de mentionner une telle interdiction. Le texte vise à apporter une protection aux victimes contre une telle omission, qui peut résulter des circonstances, mais le magistrat conservera la possibilité de lever l’interdiction : le Gouvernement reconnaît le droit d’appréciation du juge et lui témoigne ainsi toute sa confiance.

Monsieur Mézard, il est évidemment nécessaire de préparer la sortie de prison des détenus. La loi pénitentiaire traite largement de ce sujet.

La prise en compte de la maladie mentale soulève des problèmes difficiles. Comme je l’ai déjà dit, le ministère de la justice agit de concert avec le ministère de la santé et les obstacles tiennent moins à un manque de moyens financiers qu’à une insuffisance de la motivation des médecins.

Enfin, le médecin coordonnateur doit informer du non-respect de l’obligation de soins le juge de l’application des peines. Les magistrats doivent pouvoir disposer d’un maximum d’informations.

Madame Des Esgaulx, je vous remercie de votre approche lucide et pragmatique de problèmes extrêmement complexes. Notre mission est d’essayer de définir les meilleures solutions possibles.

De ce point de vue, vous avez rappelé à juste titre, madame le sénateur, que le présent texte a notamment pour objet de décloisonner les interventions des différents acteurs chargés du suivi des délinquants. Si chacun se cantonne à son champ d’action, on perd en efficacité, dans ce domaine peut-être encore plus que dans d’autres. En effet, sans information partagée, il n’est pas possible de travailler correctement. Il faut donc non pas opposer les intervenants, mais leur permettre au contraire de coordonner leurs actions et d’être complémentaires, tout en respectant, je le redis, la déontologie de chaque profession. De même que la chaîne de la sécurité me paraît être la clé de l’efficacité de la lutte contre la délinquance, la chaîne de l’application des peines est la clé d’une lutte efficace contre la récidive.

Monsieur Détraigne, vous avez souligné avec raison la nécessité d’augmenter le nombre de médecins coordonnateurs, qui s’élève, à ce jour, à 218. Pour l’heure, treize départements de métropole et trois d’outre-mer n’en ont pas. Par un arrêté pris au mois de mars dernier, nous avons permis à des médecins non psychiatres de devenir médecins coordonnateurs. Une formation de cent heures est prévue pour leur permettre d’acquérir les connaissances qui pourraient leur manquer dans cette perspective. Les premiers médecins coordonnateurs issus de cette formation seront désignés prochainement. Cette démarche devrait nous permettre de combler les lacunes actuelles. Il s’agit en effet, monsieur le sénateur, d’une condition sine qua non.

La mise en place des unités d’hospitalisation spécialement aménagées a certes pris beaucoup de temps, mais je me tourne vers ceux qui avaient eu l’idée initiale de ce dispositif : entre les lois de 1998 et de 2002, quatre ans se sont écoulés, et ce laps de temps aurait pu être utilisé pour avancer. Quoi qu’il en soit, nous agissons : la première unité ouvrira en 2010, la deuxième en 2011, à Lyon. Mme Bachelot-Narquin et moi-même avons obtenu l’installation immédiate d’une unité par région pénitentiaire, alors qu’il avait été initialement prévu d’attendre le retour d’expérience des deux premières unités avant de décider de la suite. En tout état de cause, une forte motivation des médecins est nécessaire.

Madame Klès, l’adjectif « liberticide », que vous avez employé, est excessif. Devant la douleur éprouvée par certains de nos concitoyens et l’ampleur des problèmes, notre devoir à tous est de nous montrer modérés et justes : c’est une condition de notre crédibilité.

Quand on entend reprocher à un texte d’être mensonger ou inefficace, il ne faut pas soi-même recourir à des mensonges pour étayer son propos… Par ailleurs, vous nous accusez de céder aux victimes, mais il s’agit simplement, pour nous, d’être à l’écoute des Français. Tel n’est peut-être pas votre choix, mais c’est en tout cas celui que j’ai fait quand je me suis engagée en politique. Notre devoir est d’être à l’écoute des plus fragiles, dans tous les domaines. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Il est en outre inexact, pour ne pas dire mensonger, de soutenir que le Gouvernement a présenté le traitement des délinquants sexuels comme une potion magique. J’ai bien indiqué, dans mon propos liminaire, que tel n’était pas le cas ; cette mesure, qui doit être accompagnée d’autres, ne vaut que pour certaines personnes. Pourquoi pratiquez-vous la caricature ?

Par ailleurs, vous déclarez que la sortie de prison se prépare dès l’incarcération. Dans ces conditions, pourquoi avez-vous protesté et crié au scandale quand nous avons présenté la loi pénitentiaire et affirmé qu’une approche différenciée des personnes détenues était nécessaire pour que le temps de détention puisse être utile ? Aujourd’hui, vous vous contredisez ! Malgré vous, nous avons inscrit dans la loi pénitentiaire des dispositions permettant la prise en compte de la personnalité du détenu dès son entrée en prison, afin d’apporter les réponses les plus efficaces possibles. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Virginie Klès. Nous l’avons voté, mais nous le regrettons !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur Badinter, je suis convaincue de la nécessité d’une entente entre la justice et la médecine, dans le strict respect du rôle de chacune.

Et c’est bien parce que j’y crois que, à travers ce projet de loi, nous ne demandons pas aux psychiatres de juger, mais seulement de dire à un magistrat si les soins mis en œuvre avec l’accord du patient sont acceptés ou refusés, voilà tout !

À travers le présent texte, nous ne demandons pas davantage au juge de soigner ; à l’évidence, seul un médecin peut et doit décider d’un protocole thérapeutique et d’un traitement médical.

Il ne s’agit pas non plus ici de prendre des mesures contre un crime seulement virtuel : le fondement juridique de toute décision, c’est l’existence d’une précédente condamnation qui crée un risque de récidive. C’est en se fondant sur une « première condamnation » que le Conseil constitutionnel a considéré qu’une telle mesure ne pouvait être rétroactive, mais cette référence est bien présente ici.

La rétention de sûreté n’est donc pas une incarcération pour un crime qui n’est pas commis : elle est le prolongement d’une peine dont le fondement réside dans un crime qui a déjà été perpétré et dans un risque de récidive, tel qu’il résulte de la personnalité du condamné.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois qu’il est tout aussi dangereux d’évoquer la « psychiatrisation de la justice » que de considérer que les juges ne doivent pas tenir compte de la psychologie ou du psychisme d’une personne ayant déjà commis un crime. Nous devons être très attentifs sur ce point, car de tels sous-entendus ne sont profitables à personne !

De même, monsieur Badinter, je suis quelque peu étonnée d’entendre un juriste de votre envergure affirmer qu’un projet de loi n’était pas nécessaire pour mettre en œuvre les propositions du rapport Lamanda, les dispositions qui ont été ajoutées à la première version de ce texte pouvant être adoptées par voie réglementaire.

Pardonnez-moi, mais pour créer une interdiction de paraître en certains lieux à la suite d’une condamnation, il fallait bien un texte de loi ! Nous ne pouvions agir autrement. C’était possible autrefois, mais cette pratique a suscité un certain nombre d’oublis et de difficultés.

De même, il était nécessaire de passer par un texte législatif pour permettre à la police ou à la gendarmerie d’interpeller une personne qui ne respecte pas une interdiction.

Ce projet de loi était donc juridiquement nécessaire, j’y insiste ; dans cette matière aussi nous devons faire preuve de modération et de pragmatisme.

Madame Alima Boumediene-Thiery, de longs développements ne seront pas nécessaires pour vous répondre. Vous avez déclaré : « Nous avons combattu la rétention de sûreté – et même, si je vous ai bien compris, la surveillance de sûreté ! –, donc nous sommes opposés à ce texte. » Madame la sénatrice, tout est dit. Il est inutile pour moi d’entrer dans les détails ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale
Discussion générale (suite)

6

Nomination des membres d'une commission d’enquête

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1)v.

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame : MM. François Autain, Gilbert Barbier, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Marcel Deneux, Claude Domeizel, Guy Fischer, Bruno Gilles, Jean-Pierre Godefroy, Michel Guerry, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Odette Herviaux, MM. Alain Houpert, Jean-Jacques Jégou, Mme Christiane Kammermann, MM. Serge Lagauche, Marc Laménie, Jacky Le Menn, Alain Milon, Mme Patricia Schillinger, M. Alain Vasselle, membres de la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1)v.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale
Exception d'irrecevabilité

Récidive criminelle

Suite de la discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission)

M. le président. Mes chers collègues, nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Badinter, Anziani et C. Gautier, Mme Klès, M. Michel, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2 du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (n° 258, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Charles Gautier, auteur de la motion.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis chargé de vous présenter les raisons pour lesquelles les membres de mon groupe ont décidé de déposer cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Nous examinons aujourd’hui un projet de loi qui caractérise tout à fait la politique pénale du Gouvernement, puisqu’il est un amalgame des clichés qui encombrent les médias sur les délinquants dangereux.

Je le tiens à le rappeler, l’origine de ce texte est marquée par la censure partielle de la loi du 25 février 2008 par le Conseil constitutionnel : le présent projet de loi a été déposé à peine quelques mois plus tard, en novembre 2008, afin de contourner les considérants du Conseil constitutionnel et de tenter de rendre immédiatement applicable la loi censurée.

À l’origine, ce texte, réduit à quelques articles, ne contenait que de rares dispositions. Il traînait sur le bureau de l’Assemblée nationale, sans que le Gouvernement se décide à l’inscrire à l’ordre du jour du Parlement, car il ne voyait là aucune urgence particulière.

Toutefois, un événement tragique a bouleversé le fond et la forme de ce projet de loi : le meurtre d’une femme par un criminel sexuel récidiviste a relancé le débat médiatique ; la présidence de la République a de nouveau surenchéri.

Ce texte, qui était en sommeil, s’est révélé le support idéal pour une démonstration de force du Gouvernement, qui l’a modifié en profondeur par voie d’amendements et qui a engagé la procédure accélérée, faisant croire ainsi aux Français qu’il était particulièrement réactif.

Le principe de proportionnalité semble ici totalement oublié. Un meurtre, aussi atroce et violent soit-il, justifie-t-il le recours systématique à une réforme pénale ?

Comme nous l’avons rappelé à de multiples reprises, ce projet de loi est le quatrième texte relatif à la récidive que nous examinons en quatre ans, sans même évoquer la réforme pénitentiaire, qui nous était présentée comme fondamentale !

Quel aveu d’échec ! Car si la politique pénale et pénitentiaire du Gouvernement était efficace, nous n’aurions pas à modifier sans cesse le code et la procédure applicables en la matière !

Sommes-nous de si mauvais législateurs que nous devions constater, après chaque fait divers, que nous n’avions rien prévu pour parer ce risque, ou alors adopté des dispositions mal adaptées ? Si tel est le cas, évitons une nouvelle erreur et attendons le prochain fait divers, qui, inévitablement, justifiera le vote d’un nouveau texte ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, nous sommes maintenant arrivés à la limite du discours erroné sur la politique de la « tolérance zéro ». La multiplication des textes, depuis 2002, alors que le nombre des crimes les plus graves reste constant, voire augmente, prouve quotidiennement que la surenchère répressive ne sert à rien, ou même est dangereuse, puisqu’elle peut autoriser tous les arbitraires !

Le seul principe de proportionnalité semble donc suffire à rendre irrecevable ce projet de loi dans son ensemble. Toutefois, malgré une forme très technique, le présent texte comporte également des dispositions qui sont attentatoires à nos principes démocratiques fondamentaux.

En effet, madame le garde des sceaux, les membres du groupe socialiste ont été sollicités par de nombreux acteurs de la procédure pénale, qui s’inquiétaient des mesures contenues dans ce texte.

Reprenons les points les plus graves. J’en citerai trois.

Premièrement, ce projet de loi présente un danger parce qu’il étend, de façon injustifiée, des dispositifs d’exception.

Madame le garde des sceaux, la surveillance ou la rétention de sûreté ont été présentées dans la loi du 25 février 2008 comme des mesures exceptionnelles, et voilà que, au premier drame qui survient, vous tentez de les généraliser ! Ainsi, la surveillance de sûreté ne sera plus révisée chaque année, mais seulement tous les deux ans.

De même, à l’article 2 bis, la personne est déclarée libre de refuser son placement sous surveillance électronique mobile, dans le cadre de la surveillance de sûreté, mais elle sera alors passible d’une rétention de sûreté !

Ce texte facilite largement le glissement de la surveillance à la rétention de sûreté. Nous assistons donc déjà, deux ans après la mise en place de cette dernière, à sa banalisation !

Enfin, dans le cadre des dispositions relatives à l’injonction de soins et à la surveillance judiciaire, les condamnés pourraient obtenir des réductions de peine. Le refus ou l’arrêt du traitement entraînerait un placement en rétention de sûreté dans le cadre de la surveillance de sûreté.

Il est d’ailleurs utile de rappeler ici que les psychiatres et les experts sont unanimes pour déclarer que les injonctions de soins ne servent absolument à rien dans la plupart des cas.

Deuxièmement, les auteurs de ce texte entretiennent l’illusion qu’une surveillance constante est possible et normale après l’exécution de la peine.

Le projet de loi contient des mesures d’interdiction de paraître en certains périmètres, qui sont tout à fait inutiles puisqu’il existe déjà dans le code pénal des mesures d’interdiction de séjour.

De même, les mesures d’injonction de soins, qui, je le rappelle, n’ont jamais prouvé leur efficacité, font apparaître entre le rôle du juge et celui du médecin une certaine confusion, qu’il serait tout à fait dangereux d’aggraver.

Comme chacun des textes que présente en ce moment le Gouvernement, celui-ci étend encore le fichage. Il alourdit les obligations pesant sur les personnes inscrites au Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAIS. Il étend le Fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, aux personnes « déclarées coupables », et non plus seulement « condamnées ».

Enfin, il crée un nouveau fichier baptisé « Répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires ».

Ce fichier, qui ne porte pas son nom, recueillera tous les dossiers, expertises, examens et évaluations des experts. Inutile de préciser que ce nouveau répertoire n’a pas fait l’objet d’une consultation de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, puisqu’il est de toute façon en totale contradiction avec les conclusions du rapport sur les fichiers de police réalisé par nos collègues députés Delphine Batho et Jacques Alain Bénisti.

Nous sommes en plein système de « fichéosurveillance », comme je le soulignais déjà lors de l’examen d’un précédent texte.

Je le répète, le travail de notre collègue Jean-René Lecerf au sein de la commission des lois du Sénat a permis d’adoucir les mesures les plus attentatoires à nos principes démocratiques. Le texte que nous examinons aujourd’hui a été en quelque sorte édulcoré par rapport à celui que nous avons examiné en commission, mais il n’en reste pas moins totalement contraire à notre philosophie en matière de politique pénale !

Mes chers collègues, nous comptons parmi nous l’éminent défenseur de l’abolition de la peine de mort. Or la rétention de sûreté n’est-elle pas une sorte de peine de mort sociale ? Les discours de la majorité actuelle laissent supposer qu’il faudrait trouver une solution pour écarter définitivement de la société certains délinquants, au motif qu’il serait impossible que ceux-ci ne récidivent pas !

Nous sommes sur une pente très glissante : se trouve justifiée ici la privation de liberté d’un homme non pour les faits qu’il a commis, mais pour ceux qu’il pourrait éventuellement perpétrer !

Que fait-on alors du risque d’erreur judiciaire et de l’idée qu’un homme peut comprendre ses erreurs et se racheter ? On fait croire aux Français qu’un criminel l’est par essence, à vie, et qu’il n’existe aucune chance qu’il ne récidive pas. On le condamne donc à un enfermement perpétuel.

Certes, des possibilités de révision régulière sont prévues. Toutefois, dans un tel contexte, qui, magistrat ou médecin, prendra la responsabilité de décréter que telle ou telle personne ne récidivera jamais ? Pourtant, l’analyse objective et raisonnée des situations vécues ne justifie en rien cette dangereuse théorie !

Je ne reviendrai pas sur les chiffres parfaitement édifiants de la récidive. Ils ont été commentés, disséqués, analysés. Ils sont incontestables !

La rétention de sûreté que la majorité nous présente comme une solution miracle ne concernerait qu’une petite dizaine d’individus. Que ce texte soit applicable aujourd’hui ou dans vingt ans, il ne vise en fait que certains cas, heureusement très rares, de criminels.

Le discours du : « Avons-nous le droit de fermer les yeux ? » est insupportable lorsque l’on prend connaissance des moyens, qui vont sans cesse diminuant, alloués aux médecins et aux unités psychiatriques.

Il en est de même pour ceux dévolus aux services d’aménagement des peines. Ces observations étaient d’ailleurs parfaitement soulignées dans le rapport Lamanda et faisaient l’objet de recommandations, hélas non suivies d’effets.

Je voudrais, pour conclure, évoquer la castration chimique. Mes collègues ont déjà tout à fait démontré pourquoi la castration chimique imposée et généralisée est une absurdité, je ne m’y attarderai donc pas. Mais l’expression elle-même est utilisée à dessein pour frapper les esprits puisqu’un traitement hormonal – et c’est de cela qu’il s’agit – n’est en rien une castration. Cette mesure prouve, une fois de plus, la finalité médiatique de ce texte.

M. Nicolas About. C’est l’expression employée par les urologues !

M. Charles Gautier. Au regard de tous ces arguments, et malgré les modifications de notre rapporteur qui s’est appliqué à nettoyer ce texte de ses pires assertions, le groupe socialiste en arrive à la conclusion évidente que plusieurs principes de nature constitutionnelle sont violés dans ce texte. Nous relayons donc ici les demandes des syndicats de psychiatres hospitaliers experts judiciaires, qui demandent au minimum l’abandon de la procédure accélérée.

Par conséquent, nous invitons tous nos collègues à voter cette motion d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je formulerai tout d’abord quelques remarques d’ordre général sur cette exception d’irrecevabilité.

Il est curieux de présenter l’intervention du Président de la République et sa demande de rapport au premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, comme la volonté de contourner la décision du Conseil constitutionnel. S’il avait souhaité, à Dieu ne plaise, contourner cette dernière, ce n’est pas au premier magistrat de France qu’il aurait pu demander conseil ! Il s'agissait tout simplement à trouver des solutions pour faire face aux risques actuels de récidive. Nous avons d’ailleurs été nombreux à souligner le grand intérêt que présente le rapport Lamanda, dont on peut tirer aujourd’hui un grand parti, tant d’ailleurs sur des aspects législatifs que sur des aspects réglementaires.

En outre, je ne partage pas votre pessimisme sur les textes que nous avons votés. La loi pénitentiaire a été adoptée à une assez large majorité par la Haute Assemblée, puisque nos collègues socialistes se sont simplement abstenus, manifestant ainsi la part qu’ils avaient prise à son élaboration et l’intérêt de cette réforme.

Mme la ministre d’État nous a rappelé une très heureuse nouvelle, à savoir la diminution du nombre de personnes incarcérées depuis maintenant deux ans. L’encellulement individuel, qui n’était qu’un rêve il y a peu, devient de plus en plus fondé à se réaliser et pourrait se concrétiser dans les années qui viennent. Le moratoire que nous avons voté pourrait bien être le dernier.

Par ailleurs, les dispositions que nous avons votées ne me paraissent pas mériter l’exception d’irrecevabilité. En d’autres termes, elles ne sont pas contraires aux exigences constitutionnelles.

À propos de la surveillance de sûreté qui va passer de un à deux ans, vous savez qu’il faut se préoccuper de son renouvellement à l’issue d’une période de six mois, et que l’on souhaite dans le même temps que la juridiction de la rétention de sûreté puisse être attentive à l’évolution de la personne. Sur une période aussi courte, il était difficile de ne pas solliciter de manière systématique le renouvellement de la surveillance de sûreté. Ce sera beaucoup plus facilement envisageable avec un délai de deux ans. La commission des lois a en outre prévu une possibilité de mainlevée tous les trois mois, ce qui veut dire que les libertés de la personne seront parfaitement protégées.

Certains ont dénoncé l’absence de liberté de refuser le placement sous surveillance électronique mobile ou l’injonction de soins, dans la mesure où la sanction serait prise de manière automatique. À les entendre, en cas de refus, on basculerait de la surveillance de sûreté à la rétention de sûreté. Il n’y a rien de tel dans le texte ! Celui-ci préserve à chaque fois intégralement la liberté de choix des autorités qui auront à décider. Le texte rappelle seulement que le refus ou l’interruption d’un traitement constitue une méconnaissance des obligations fixées au condamné mais il n’entraîne aucune conséquence obligatoire.

Certains parlent de fichage généralisé. Qui peut ignorer, pourtant, que le répertoire des données à caractère personnel dans le cadre des procédures judiciaires qui est mis en place est extrêmement différent des fichiers que nous connaissions jusqu’à présent ? Son rôle est de permettre au juge, notamment, une appréhension plus fiable de la situation de la personne. Qui peut ignorer que ce répertoire constituera la plupart du temps une aide pour la personne poursuivie, et non un outil de stigmatisation ou de caractère répressif ?

Quant à l’expression « castration chimique », je pense qu’il faut la bannir. Nous n’y voyons nullement une panacée, comme en témoignent les propos de M. About et le rapport de la commission des lois. Un traitement médicamenteux peut avoir un intérêt dans certaines circonstances pour certains délinquants sexuels. Il ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

La différence fondamentale entre nous vient de ce que l’opposition refuse le principe même de la rétention de sûreté, tandis que la majorité l’a accepté. La loi relative à la rétention de sûreté a été votée, et je suis de ceux qui estiment que, pour une part très limitée – que je qualifierais d’homéopathique – de personnes détenues, la société court des risques considérables à les remettre un jour en liberté. Mais, comme nous l’avions dit lors de l’examen de ce texte, seul un nombre extrêmement limité de personnes est concerné. Actuellement, la seule personne placée en surveillance de sûreté est d'ailleurs plus proche du malade mental que du délinquant.

J’attendais les arguments d’inconstitutionnalité, et j’avoue que je ne les ai pas trouvés.

En refusant l’abaissement du quantum de peine prononcée susceptible de donner lieu à une surveillance de sûreté introduit par l’Assemblée nationale, la commission des lois a rendu sa virginité d’origine au projet de loi. L’abaissement de ce quantum de quinze ans à dix ans aurait dans une certaine mesure contribué à banaliser la rétention de sûreté, puisque la surveillance de sûreté est un sas vers la rétention de sûreté. La commission des lois, en proposant de revenir sur cette modification, n’a pas semblé susciter l’opposition de Mme le ministre d’État, bien au contraire.

Pour le reste, je ne vois pas l’ombre d’une esquisse d’inconstitutionnalité : c’est la raison pour laquelle je vous demanderai de bien vouloir rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme le ministre d’État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. M. le rapporteur a déjà présenté les arguments, je serai donc brève.

Moi non plus, je ne vois pas en quoi un texte qui a précisément pour finalité de se ranger à des remarques du Conseil constitutionnel serait inconstitutionnel, et je n’ai pas trouvé, dans les propos de M. Gautier, d’arguments convaincants.

Son argumentaire manque non seulement de crédibilité, mais il contient même un certain nombre d’erreurs. Je ne reviendrai pas sur toutes celles qu’a relevées par M. Lecerf et me contenterai de formuler une question : un meurtre mérite-t-il un texte législatif ? La réponse est « oui » s’il est révélateur d’un certain nombre de lacunes. Notre société évolue et nous avons le devoir d’adapter notre législation aux nouvelles possibilités ; nous le devons à la sécurité de nos concitoyens.

Dans la mesure où ce que nous faisons porte une atteinte à la liberté de certaines personnes, une loi est nécessaire. Le législateur doit se poser la question de la proportionnalité entre l’exigence de sécurité et la défense des libertés. C’est ce que nous faisons.

Ce texte est sans doute perfectible, et vous aurez l’occasion de déposer des amendements, mais son examen est nécessaire. C’est pourquoi il me paraît indispensable de rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je passe sur la confusion entre fichier, dossier personnel et répertoire, ou sur les moyens alloués aux médecins et à la réinsertion, sur lesquels j’ai déjà répondu tout à l’heure en exposant les moyens supplémentaires qui ont été dégagés en la matière.

Je voudrais par ailleurs faire remarquer que les membres de l’opposition sénatoriale sont les seuls à avoir employé l’expression « castration chimique » dans ce débat.

M. Charles Gautier. C’est l’expression courante dans les journaux !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous ferions en effet preuve de sagesse en nous gardant d’utiliser cette expression, même si elle est d’origine médicale.

Je vous rejoindrai néanmoins sur un point : nous légiférons sur des cas qui, Dieu merci, sont très rares, mais malheureusement toujours trop nombreux. Outre le meurtre de Marie-Christine Hodeau, que vous avez cité, je rappellerai également, au cours de la même période, le viol d’un jeune garçon par un récidiviste. D’autres événements de ce type sont à déplorer. Dans mon département, j’ai eu à rencontrer les familles de victimes décapitées par une personne aux lourds antécédents. Ce ne sont pas des situations auxquelles on peut demeurer imperméables.

Notre mission consiste à légiférer, mais aussi à rester attentifs aux drames humains. C’est notre part d’humanité et nous ne devons pas l’oublier dans un hémicycle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, « castration chimique », le mot est choquant, en effet ! Nul ici ne l’a employé pour l’épouser ou pour le cautionner, mais pour le dénoncer. Nous sommes, sur l’ensemble des travées, opposés à l’utilisation de ce vocabulaire. J’observe d’ailleurs que, dans l’ensemble des rapports publiés sur ce sujet, il est recommandé de ne pas utiliser cette expression absurde de « castration chimique », qui nous renvoie dans une impasse. En réalité, vous nous faites là un mauvais procès, puisque nous sommes précisément opposés à l’emploi de cette expression.

Sur le fond, je voudrais reprendre un argument de M. Badinter sur lequel personne n’a répondu. Il a mis l’accent tout à l’heure sur un point très important, que l’on a passé sous silence : la confusion des pouvoirs. Le Président de la République, mécontent d’une décision du Conseil constitutionnel, s’est adressé au premier magistrat de France pour lui demander de jouer les arbitres, ou du moins les conseillers.

Or, dans une République, il y a une séparation des pouvoirs. Est-il bien normal que le pouvoir exécutif sollicite l’autorité judiciaire, alors que celle-ci devrait contrôler d’autres pouvoirs, et notamment le pouvoir exécutif ? Je crois que c’était une erreur. Lorsqu’une erreur ou une maladresse est commise, fût-ce par le Président de la République, il ne faut pas l’accepter.

Enfin, plus précisément sur la question de l’inconstitutionnalité, je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit tout à l’heure notre excellent collègue Charles Gautier,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il n’a rien dit !

M. Alain Anziani. … mais l’article 8 ter du projet de loi que vous nous soumettez me semble poser une difficulté.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. M. Gautier ne l’a pas évoqué !