M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Me faisant une deuxième confidence quelques jours plus tard, ce président de conseil général a déclaré que le renouvellement partiel nuisait à la vision à long terme des responsables politiques et créait une relative instabilité dans la conduite des affaires locales. Le nouveau système, en prévoyant le renouvellement des assemblées locales en une fois, contribuerait à la continuité des politiques publiques. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. C’est de la diversion !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Je partage son opinion.
Enfin, ce président de conseil général se déclarait favorable à ce que les nouveaux élus, siégeant à la fois au niveau départemental et au niveau régional, décident en commun des modalités de répartition et de mise en œuvre de la clause de compétence générale ; il allait donc plus loin que moi. Je lui avais alors répondu que je doutais que sa majorité le suivre. Il m’avait répliqué qu’il m’enverrait le texte que sa majorité avait voté.
Il se trouve que je suis un républicain, que je suis maire de Mâcon, ville située dans le département de Saône-et-Loire à majorité socialiste, et que le président du conseil général de ce même département, qui a tenu ces propos, n’est autre qu’Arnaud Montebourg. (Et alors ? sur les travées du groupe socialiste. – Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l’article.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais intervenir, comme vous vous en doutez, sur les conseillers territoriaux, dont nous avons commencé à parler lors de l’examen du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, et dont nous traitons aujourd’hui au sujet de la réforme des collectivités territoriales.
Je fais partie de ceux qui souhaiteraient savoir combien de conseillers territoriaux seront élus dans tel ou tel département, en particulier dans celui que je représente – vous verrez pourquoi je me pose ces questions –, et quel sera leur mode d’élection.
Ce conseiller territorial, qui siégera à la fois au conseil régional et au conseil général, deviendra de toute évidence un permanent, parce qu’un élu qui sera conseiller territorial de Briançon, par exemple, devra circuler sur les routes et aller de Briançon à Marseille, de Marseille à Cannes, etc.
Certains affirment que cette situation est similaire à celle qui prévalait avec les établissements publics régionaux, mais ce n’est pas du tout le cas. La loi du 5 juillet 1972 portant création et organisation des régions avait créé l’établissement public régional, composé pour une moitié de tous les parlementaires de la région, et pour l’autre moitié de représentants élus par les conseils généraux et par les communes de 30 000 habitants et plus. Les représentants élus par les conseils généraux n’étaient cependant pas obligatoirement des membres de l’assemblée départementale, puisque certains de ces représentants – j’étais l’un d’entre eux – étaient membres de l’établissement public sans être conseillers généraux.
Je me demande en outre dans quelle atmosphère se dérouleront les réunions dans les conseils généraux où siégeront en même temps, autour de la même table, le président du conseil général, le président du conseil régional – celui-ci sera en effet lui-même élu d’un département – et plusieurs vice-présidents. Vous imaginez les difficultés rencontrées lors des délibérations !
Je ne dirai que deux mots concernant le mode d’élection parce que le sujet a été abordé par d’autres avant moi. L’élection au suffrage uninominal à un tour pénalisera fortement la parité, puisque les simulations montrent qu’il y aurait entre 15 % et 20 % de femmes élues conseillères territoriales, alors qu’elles sont aujourd’hui près de 48 % au sein des conseils régionaux. Ce mode de scrutin ne s’appliquerait qu’à 80 % des conseillers, puisque les 20 % restant seraient élus à la proportionnelle ; j’y reviendrai.
En ce qui concerne le nombre de conseillers territoriaux, les choses se compliquent. Lorsque le nombre total de conseillers régionaux et de conseillers généraux aura été divisé par deux et après la répartition du nombre d’élus proportionnellement à la population, le département des Alpes-de-Haute-Provence, que je représente, devrait avoir six conseillers territoriaux. Le cocasse de la situation apparaît lorsque l’on examine comment ils seront élus : 20 % d’entre eux seront élus à la proportionnelle ; mais 20 % de 6 c’est 1, il y aura donc un conseiller élu à la proportionnelle, les autres étant élus par canton.
Dans ma région, la région PACA, tout le monde reconnaît que nous ne pourrons fonctionner avec six conseillers territoriaux. Dans un conseil général à six, tous les conseillers seront ou président ou vice-président et, s’il y a quatre élus de la majorité et deux de l’opposition, le département tournera avec quatre élus.
M. Patrice Gélard. Quelle imagination !
M. Claude Domeizel. M. le secrétaire d’État a précisé qu’il y aurait au moins quinze ou vingt conseillers territoriaux par département. Soit ! Dans mon département, il y aura donc quinze conseillers territoriaux. Les Hautes-Alpes en auront quinze. Mais il faudra alors effectuer une nouvelle répartition si l’on veut en rester aux 180 conseillers territoriaux de la région : les Alpes-Maritimes n’en auront que 35, le Vaucluse de mon cher collègue Claude Haut en aura 18, le Var 33, et les Bouches-du-Rhône 64. Le Conseil constitutionnel se posera alors des questions ; comment pourra-t-il admettre que la proportionnalité par rapport à la population ne soit pas préservée ?
Si on rétablit la proportionnalité, il faudra 75 conseillers pour les Alpes-Maritimes, 120 pour les Bouches-du-Rhône, 60 pour le Var et 45 pour le Vaucluse, ce qui donnera une assemblée de 330 élus au conseil régional. C’est la quadrature du cercle !
Monsieur le ministre, je vous souhaite beaucoup de plaisir pour trouver une solution à la question que je vous pose : combien y aura-t-il de conseillers territoriaux dans chacun des départements ? J’ai pris l’exemple de ma région et de mon département, mais le problème se pose dans beaucoup d’autres régions et départements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, sur l’article.
M. Michel Teston. Si j’ai bien compris certains de ses arguments, le Gouvernement considère que la jurisprudence du Conseil constitutionnel au sujet de la Nouvelle-Calédonie serait transposable au présent projet de loi. Or ce raisonnement me paraît inexact. Dans un premier temps, je rappellerai les principes qui ont conduit le Conseil constitutionnel à valider le dispositif applicable en Nouvelle-Calédonie ; dans un second temps, je détaillerai les raisons pour lesquelles, selon moi, sa jurisprudence ne me paraît pas pouvoir s’appliquer au projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales.
Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il validé le dispositif applicable à la Nouvelle-Calédonie ?
Je rappelle que l’article 72 de la Constitution pose le principe de l’administration des collectivités territoriales par des conseils élus. La formulation semble impliquer des élus distincts pour des collectivités distinctes. En 1985, le Conseil constitutionnel n’a pas suivi cette logique s’agissant de la Nouvelle-Calédonie. Estimant que ce territoire était représenté par une seule assemblée, il en a conclu que rien n’empêchait de confier aux élus une double fonction territoriale et régionale.
Dès lors, peut-on estimer que ces conclusions sont transposables au présent texte et peut-on nous opposer, à nous qui sommes contre la création du conseiller territorial, cette jurisprudence ? Je ne le pense pas et c’est ce que je vais tenter de vous démontrer.
Premièrement, la création du conseiller territorial opère une quasi-fusion entre le département et la région, mais les deux échelons de collectivité subsistent, formant deux personnes morales distinctes, avec des budgets et des compétences distincts.
Ce projet de loi ne respecte donc pas pleinement la lettre de l’article 72 de la Constitution : en effet, ou l’on fusionne les deux échelons pour créer une collectivité nouvelle gérée par un « conseil territorial », ou l’on respecte la séparation en deux personnes morales distinctes et, partant, l’existence de deux assemblées d’élus.
Deuxièmement, ce texte touche à un principe reconnu par la Constitution, à savoir l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre.
Ce principe, inscrit dans la Constitution, est tellement ancré dans notre droit que, en cas de coopération entre collectivités, seule est autorisée l’existence d’un « chef de file ». Or la mission des conseillers territoriaux pourrait leur permettre d’orienter la prise de décision régionale en fonction d’intérêts départementaux – hypothèse possible, voire probable – ou la prise de décision départementale dans un sens favorable à la région.
Ainsi, la tutelle est inhérente au dispositif qui découlera de cette réforme institutionnelle si, par malheur, celle-ci est adoptée. Or le droit public français n’autorise pas la tutelle d’une collectivité sur une autre.
Par ailleurs, indépendamment et en sus des arguments précédents, le mode d’élection soulève également un problème.
Traditionnellement, l’élection au scrutin uninominal se fait à deux tours. Guy Carcassonne déduit de cette « habitude » un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui lui paraît de nature à conduire le Conseil constitutionnel à s’opposer à la mise en place du conseiller territorial tel qu’il est prévu dans ce projet de loi. Je vous renvoie à cet égard à son excellent article paru dans l’édition du 10 novembre 2009 du journal Libération.
Quant à l’analyse juridique que je fais sur la question de la tutelle, beaucoup de juristes l’ont développée avant moi. En particulier, la présente intervention s’inspire largement d’un excellent article de doctrine rédigé par Géraldine Chavrier, professeur de droit, paru dans la revue L’actualité juridique du droit administratif.
Bien entendu, je m’oppose totalement à la création des conseillers territoriaux. Je suis persuadé que cette mesure soulèvera d’innombrables problèmes, à commencer par des problèmes d’ordre constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, sur l’article.
M. Jean-Luc Fichet. Au cours de cette période de vœux, qui touche à sa fin, nombre d’élus nous ont interrogés sur cette réforme des collectivités territoriales et nous ont demandé de la leur détailler. Aussi, je leur ai expliqué que les communes, les intercommunalités et, pour l’instant, les départements subsistaient, que les régions, ma foi, n’étaient pas menacées. Enfin, j’ai ajouté que le projet de loi créait une nouvelle structure, la métropole. J’ai conclu que le fameux mille-feuille dont on parle tant ne s’en trouvait aucunement modifié.
Les maires m’ont ensuite interrogé sur le conseiller territorial. Je leur ai répondu que, pour ce que j’en ai compris, celui-ci serait une sorte d’élu, un hybride, à mi-chemin entre le conseiller général et le conseiller régional tels que nous les connaissons aujourd’hui. La majorité des élus locaux, actuellement, conservent un ancrage dans la vie professionnelle, où ils puisent notamment une partie de leurs compétences. Le futur conseiller territorial, quant à lui, sera un professionnel, même s’il n’est pas présenté comme tel, qui siégera à la fois au sein de l’assemblée départementale et de l’assemblée régionale, au sein de syndicats, d’associations ou d’organisations professionnelles. Il sera omniprésent et devra parcourir d’innombrables kilomètres pour se rendre en tout point de son département et de sa région.
Les élus m’ont alors répondu que le futur conseiller territorial serait un « super-homme », ce à quoi je leur ai répondu que tel devrait être effectivement son profil.
Le Gouvernement nous explique que la création du conseiller territorial a pour objectif de diminuer le nombre d’élus. Sachez que ce raisonnement a fortement déplu aux élus locaux, qui se sont offensés qu’on puisse considérer qu’ils coûtaient cher. Aussi, je leur ai expliqué que cette réforme ne réduira aucunement les coûts, puisqu’il est envisagé d’adjoindre au conseiller territorial un suppléant afin de le décharger du travail qui lui incombera. Ce suppléant siégerait dans les assemblées en lieu et place du titulaire dès lors que celui-ci aurait un empêchement. Comme ce suppléant n’exercera pas sa fonction gratuitement, ayant compris qu’il pouvait en tirer quelques subsides, il sera indemnisé. Résultat : les 3 000 titulaires et leurs 3 000 suppléants formeront un ensemble de 6 000 élus. Aussi, nous ne devons attendre aucune économie de ce côté-là.
La création du conseiller territorial ne menace pas les élus en tant que tels, mais elle représente une menace pour la qualité du service que ceux-ci peuvent rendre. Toute réforme a théoriquement pour but une meilleure organisation pour un travail plus efficace et un service de meilleure qualité pour le profit du plus grand nombre. Or le futur conseiller territorial, compte tenu de son statut de professionnel, sera tellement absorbé par ses missions et son mandat qu’il ne sera absolument pas disponible. Aussi, les élus de terrain ne doivent pas espérer qu’il relaie leurs préoccupations au sein des instances élues, parce qu’il n’en aura pas la capacité.
Cette réforme n’aura d’autre conséquence que de bouleverser notre paysage politique et démocratique, simplement pour servir les intérêts d’un parti dans les années à venir, sans considération pour les dégâts collatéraux de cette réorganisation.
Vous l’aurez compris, je ne voterai pas pour la création de ce conseiller territorial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Haut, sur l’article.
M. Claude Haut. Je m’opposerai, moi aussi, à la création de cet élu hybride, non encore identifié, qu’est le conseiller territorial.
Monsieur le rapporteur, vous avez rapporté tout à l’heure les quelques confidences que vous a faites un président de conseil général. Nous verrons, en temps utile, quel sera son vote. Cela étant dit, je ne suis pas certain que, parmi nos collègues de la majorité, il ne se trouve pas un président de conseil général hostile lui aussi à cette réforme…Mais, passons !
Je voudrais mettre l’accent sur plusieurs points de cette réforme qui me paraissent importants.
Tout d’abord, elle conduira à placer côte à côte deux collectivités qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre et dont les champs de compétences sont totalement différents. Le conseiller général effectue un travail de grande proximité et assure le lien social, tandis que le conseiller régional, pour sa part, est chargé des grands dossiers d’aménagement du territoire et a donc un rôle très différent de son collègue départemental.
Il sera impossible au futur conseiller territorial d’être omniprésent, d’être à la fois dans son canton, dans son département, dans sa région.
En outre, la création du conseiller territorial programme, à terme, la disparition des départements. Pour autant, les régions s’en trouveront non pas renforcées, mais considérablement affaiblies. C’est donc à une recentralisation déguisée et à une régression démocratique que nous assistons.
Bien sûr, cette régression démocratique se traduira notamment par le recul de la parité.
Il serait bon, s’il en est encore temps, de se ressaisir.
Les collectivités sont des entités de la République à part entière, inscrites, en tant que telles, dans la Constitution de notre pays. Il serait de mauvais augure de les supprimer purement et simplement ou bien, comme c’est à craindre, de les regrouper d’office, après leur avoir retiré leur autonomie.
Pour toutes ces raisons, comme l’ensemble des collègues de mon groupe, je voterai contre l’article 1er du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Conférence des présidents