M. François Autain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui est la traduction législative d’une des recommandations faites par le groupe de travail constitué sous la présidence de notre collègue député Jean Leonetti, à la suite de l’affaire Chantal Sébire, qui avait ému l’opinion au début de l’année 2008. Tout le monde ici se souvient certainement de cette femme encore jeune atteinte d’une tumeur lui déformant le visage et qui réclamait avec insistance une aide active à mourir.
Observons au passage que ce texte, quel qu’en soit par ailleurs le bien-fondé, ne règle pas le problème posé par ce genre de cas, qui ne sont malheureusement pas exceptionnels.
Mais c’est un autre débat, sur lequel nous reviendrons bientôt – du moins, je l’espère –, car la prise en charge de la fin de vie ne se résume pas à l’accompagnement par les proches, même si elle en constitue un élément primordial et indispensable. Elle appelle de la part des parlementaires que nous sommes une poursuite de la réflexion que nous avions entamée au sein de la commission des affaires sociales, sous la présidence, à l’époque, de notre collègue Nicolas About.
C’est pourquoi je regrette que le groupe de travail qui avait été constitué dans ce but ne se soit pas réuni depuis le 31 mars 2009. Vous comprendrez donc que je profite de cette occasion pour vous demander, madame la présidente de la commission, de réactiver ce groupe de travail le plus rapidement possible. (Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, acquiesce.)
Venons-en maintenant à la proposition de loi proprement dite qui, il n’est pas inutile de le répéter, présente la particularité d’être cosignée par des députés membres des quatre groupes parlementaires. Il faut malheureusement reconnaître que, malgré cet unanimisme, cette proposition de loi est largement insuffisante, comme l’a d’ailleurs souligné M. le rapporteur lui-même.
Sa principale insuffisance réside dans le dispositif qu’elle met en œuvre. L’allocation journalière d’accompagnement des personnes en fin de vie ne concerne en effet que les seules personnes décédant à leur domicile. Or, en raison des progrès médicaux qu’a connus le siècle passé, 75 % des personnes décèdent actuellement à l’hôpital. D’après l’estimation de notre collègue Leonetti, l’allocation que vise à instaurer cette proposition de loi ne concernerait au mieux que 20 000 décès par an, soit à peine 4 % d’entre eux.
Cette exclusion des personnes finissant leur vie à l’hôpital nous interroge d’ailleurs sur la capacité des familles et des proches au sens large à accueillir chez eux ou à leur domicile les personnes en fin de vie. Cet accueil exige que les accompagnants disposent des ressources financières et matérielles suffisantes, ce qui exclura de fait les familles les plus démunies, qui sont mal logées ou qui ne disposent pas d’une pièce supplémentaire pour accueillir l’un de leurs proches.
Cela nous laisse, mon groupe et moi-même, dubitatifs. Nous redoutons en effet que cette disposition ne soit discriminatoire et n’aboutisse, à terme, à créer deux catégories de personnes en fin de vie : d’une part, celles qui ont, ou dont leurs proches ont, les moyens nécessaires à un accompagnement de la fin de vie dans des conditions matérielles décentes ; d’autre part, toutes les autres, qui seraient de fait exclues du bénéfice de cette allocation.
Nous nous interrogeons également sur la portée réelle de ce dispositif, et plus largement sur l'information à destination des accompagnants. En effet, les seuls à pouvoir bénéficier de cette allocation sont des proches d'hommes et de femmes mourant à domicile, et la proposition de loi devrait prévoir expressément les conditions de sa publicité auprès de ces éventuels bénéficiaires. La navette parlementaire, nous l’espérons, permettra de combler cette lacune.
De même, le délai de versement de cette allocation ne correspond, selon nous, à aucune réalité. Parler de la fin de vie, c'est d’abord et avant tout parler de l’humain, de l’imprévisible. Dès lors, ce délai, fixé à trois semaines, paraît répondre plus à une réalité économique qu’aux besoins réels des familles.
Au-delà de ces carences déjà importantes, force est de le constater, la proposition de loi est également insatisfaisante au regard du contexte général en matière de soins palliatifs. Elle ne remédie ni au manque d’information rencontré par les personnes en fin de vie et leurs proches, ni aux difficultés d’accès aux soins palliatifs eux-mêmes.
Ainsi, selon une estimation de la Cour des comptes, deux tiers des demandes d'admission au sein d’une unité de soins palliatifs font l’objet d’un refus. Ce constat témoigne de l’insuffisance des moyens consacrés à ces traitements, et ce alors même que neuf Français sur dix s’y déclarent favorables. Aujourd’hui, pour nos concitoyens, les soins palliatifs ne sont « plus associés à la mort comme il y a quelques années mais à un refus de la souffrance ».
Dès lors, nous considérons de notre responsabilité de tout faire pour développer ce type de soins. Je le sais, il s’agit également d’une priorité de ce gouvernement.
À ce jour, si l'ensemble des régions sont théoriquement dotées d'une unité de soins palliatifs, ces unités ne sont pas encore toutes ouvertes. L’ensemble des agences régionales de l’hospitalisation - demain, les agences régionales de santé - demandent la création d’une unité au sein de chaque département. Quant aux équipes mobiles de soins palliatifs, normalement rendues incontournables par l’adoption de cette proposition de loi, leur nombre est notoirement insuffisant. Marie de Hennezel propose d’ailleurs, dans son rapport intitulé La France palliative, de mettre en place au moins une unité par hôpital de plus de quatre cents lits.
Enfin, je souhaiterais saluer le travail accompli par notre rapporteur, sous la bienveillante autorité de la présidente de la commission, et me féliciter des quelques améliorations apportées au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
C’est pourquoi, malgré ses importantes réserves quant à la portée réelle de cette proposition de loi, mais conscient de la nécessité de soutenir toutes les mesures permettant un meilleur accompagnement des personnes en fin de vie par leurs proches, le groupe CRC-SPG votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la manière dont une société organise l’accompagnement de la fin de vie de ses membres en dit long sur la nature de son lien social et, bien entendu, sur son rapport à la mort. Telles sont les questions philosophiques et sociétales sous-jacentes à cette proposition de loi tendant à créer une allocation journalière d’accompagnement d'une personne en fin de vie.
Nous sommes en présence d’un texte de consensus, la position à l’instant exprimée par François Autain l’illustre, auquel nous ne saurions que souscrire. Premier pas vers la mise en place d’un droit global de l'accompagnement de fin de vie, elle ne saurait avoir l’ambition de régler définitivement le débat à ce sujet. Notre commission, François Autain l’a rappelé, doit poursuivre sa réflexion sur cette question au sein d’un groupe de travail dont j’ai la charge. J’en suis convaincu, Mme la présidente de la commission veillera à ce que le responsable de ce groupe se mette à l’ouvrage ! (Sourires.)
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Oui ! (Nouveaux sourires.)
M. Nicolas About. C’est vrai, la présente proposition de loi fait consensus. Cela a été rappelé, elle a été adoptée à l'unanimité à l’Assemblée nationale après avoir été déposée par quatre députés représentant chacun des groupes politiques la composant. Un tel œcuménisme parlementaire est assez rare et nous ne saurions le remettre en question. Notre commission l’a également adoptée à la quasi-unanimité de ses membres.
Les deux objets du texte justifient cet assentiment. Contrairement à l’impression donnée de prime abord par son intitulé, le texte vise non seulement à créer une allocation journalière d'accompagnement - c'est bien l’objet principal -, mais également à améliorer le cadre juridique du congé d'accompagnement. Créé par la loi du 9 juin 1999, ce dispositif constituait déjà, en théorie, un progrès notable vers la mise en place d’un droit de l’accompagnement digne de ce nom. Encore fallait-il qu’il fût utilisé, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas. Comment l’expliquer ?
Deux raisons ont pu être invoquées. D’une part, le régime juridique du congé d'accompagnement était très perfectible. D’autre part, il n’était pas rémunéré. Or, la proposition de loi intervient opportunément à ces deux niveaux. Mais si elle améliore de manière très satisfaisante le régime du congé d'accompagnement, elle ne crée l'allocation correspondante qu'a minima.
Effectivement, ce texte apporte des améliorations notables au congé d’accompagnement, en en élargissant le bénéfice aux frères et sœurs, en unifiant sa dénomination et en permettant son fractionnement.
À partir de ces améliorations, déjà importantes, notre commission des affaires sociales, sous la houlette de son rapporteur, Gilbert Barbier, a effectué un excellent travail pour aller encore bien plus loin. En effet, l’une des principales incohérences du dispositif mis en place était qu’il maintenait des différences de traitement injustifiées entre les salariés et les fonctionnaires, au détriment de ces derniers. Notre commission a donc considérablement perfectionné ce texte en harmonisant les deux régimes, plus précisément en étendant aux fonctionnaires le bénéfice du régime, plus protecteur, des salariés.
D’abord, la commission a adopté une définition identique du fait générateur du congé, l’état de santé du proche à accompagner, élargissant ainsi celle qui était prise en compte dans la fonction publique jusque-là. Ensuite, elle a également octroyé aux fonctionnaires le droit de renouveler une fois ce congé. Enfin, elle leur a conféré la possibilité de le fractionner.
Le second apport de la commission n’est pas moins remarquable. À ses yeux, l’une des raisons de la méconnaissance du congé d’accompagnement résidait dans le flou de la couverture sociale de ses bénéficiaires. La commission l’a sécurisée pour remédier à cette difficulté.
Une fois résolue la question du toilettage du cadre juridique du congé d'accompagnement, l’objet principal du présent texte est évidemment la création de l’allocation correspondante. Celle-ci répond à la principale critique émise à l’encontre du dispositif jusqu’ici en vigueur. L’absence de rémunération du congé d’accompagnement explique, on le comprend aisément, que nombre de ses bénéficiaires potentiels ne pouvaient se permettre d’en invoquer le bénéfice, ou étaient contraints de recourir à un contournement regrettable. Ce n’est un secret pour personne, il arrive très souvent que, pour accompagner une personne en fin de vie, ses proches demandent à leur médecin un arrêt maladie. Ce dernier peut difficilement être refusé à ces personnes, non seulement pour des raisons morales, mais aussi parce que la peine engendrée par ces situations peut parfaitement le justifier.
Dans ces conditions, l’instauration d’une allocation d’accompagnement s’imposait. Sa création est donc incontestablement un immense progrès, d’autant plus qu’elle sera, dans une certaine mesure, découplée du congé d'accompagnement. En effet, au-delà de ses seuls bénéficiaires, elle pourra également être versée aux personnes, ni salariés ni fonctionnaires, justifiant avoir suspendu toute activité professionnelle.
En revanche, il s’agit là de la seule largesse dans la définition du champ des bénéficiaires de l’allocation prévu.
En effet, et c'est là que le bât blesse, ce champ est très étroitement circonscrit. Évidemment, en raison de l’article 40 de la Constitution, notre commission n’a pas eu la même latitude d’intervention que pour le volet « congé » : elle n’a tout simplement rien pu faire ! Au final, le champ des bénéficiaires de la nouvelle allocation est très strictement borné. Seules des raisons comptables justifient ces limitations.
Ainsi, cette allocation sera seulement accordée pour des accompagnements à domicile. L’Assemblée nationale a heureusement atténué cette restriction majeure en permettant le maintien du versement de l’allocation durant les jours éventuels d’hospitalisation d’une personne accompagnée à domicile.
Mais, sur le plan des principes, en quoi les personnes hospitalisées auraient-elles moins besoin d'un accompagnement que les autres ? Quelle absurdité ce serait de le croire ! Une nouvelle fois, seul le coût de la mesure peut justifier le refus de versement de l’allocation dans cette hypothèse.
Il existe une autre limitation de taille, temporelle cette fois, puisque le versement de l’allocation ne pourra pas dépasser trois semaines. Or, quiconque a été confronté à ces situations le sait bien, le temps d’accompagnement peut être largement supérieur. Une fois encore, seules des raisons comptables expliquent cette limite.
Compte tenu de ces paramètres, le coût prévisionnel de la mesure apparaît évidemment raisonnable. In fine, il s’agit d’une bonne réforme, mais encore a minima.
Elle représente toutefois un important progrès, et nous ne pouvons que la soutenir tout en la considérant, je le répète, comme un jalon.
Permettez-moi une dernière question, madame la ministre. Disposez-vous d’une simulation du coût d'une allocation universelle d'accompagnement ? Une telle information sera naturellement primordiale pour achever le travail aujourd'hui amorcé.
En conclusion, il me reste à féliciter notre commission des affaires sociales, en particulier son rapporteur, Gilbert Barbier, et notre présidente, Muguette Dini, pour l’excellence de leur travail. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été indiqué, la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre examen a été cosignée à l'Assemblée nationale par les quatre groupes politiques représentés, et adoptée à l'unanimité le 17 février 2009, il y a déjà presque un an ! S’agit-il pour autant d’un sujet parfaitement consensuel ? Pas tout à fait.
Cette proposition de loi, visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie, a en effet été présentée par MM. Jean Leonetti, Gaëtan Gorce, Olivier Jardé et Michel Vaxès à la suite du rapport de la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Il est apparu au cours des travaux de la mission que, jusqu’à présent, l’accompagnant pouvait certes bénéficier d’un congé spécifique - congé de solidarité familiale pour les salariés, congé d'accompagnement d’une personne en fin de vie pour les fonctionnaires et militaires -, mais ne pouvait pas être rémunéré, si bien que ce droit à congé est resté, dans la pratique, inutilisé, les personnes confrontées à la maladie d’un être proche se trouvant alors contraintes de prendre une partie de leurs congés payés ou de demander, comme l’a rappelé plus tôt M. Nicolas About, un arrêt maladie à leur médecin, qui ne saurait le leur refuser.
Il existe donc un réel consensus sur la nécessité de créer un congé d'accompagnement rémunéré permettant à chacun de moduler son temps de travail lors de la fin de vie d’un proche. Pour autant, ce texte n’est pas complètement satisfaisant et laisse même un goût d’inachevé.
Premièrement, la proposition de loi ne règle pas, en soi, le problème de la fin de vie. Elle ne solde pas non plus le débat sur l’aide active à mourir. Dans son livre intitulé Je ne suis pas un assassin, paru en 2004, le docteur Chaussoy écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l’homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l’accompagner dans ce monde et l’aider à bien le quitter ». Cette citation illustre bien ce dont il est question dans tout débat sur l’accompagnement de la fin de vie.
La question du passage est, à mon sens, essentielle.
Or ce passage peut se faire de multiples façons. Certains meurent paisiblement, si je puis dire, dans leur lit. D’autres sont surpris en pleine activité. D’autres encore doivent affronter de grandes souffrances, parfois pendant très longtemps. Certains meurent à l’hôpital, d’autres à domicile. Certains meurent seuls, d’autres entourés de leurs proches. Finalement, peu meurent comme ils auraient pu se l’imaginer.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner en 2005 et à plusieurs reprises depuis, je suis, personnellement, intimement convaincu qu’au lieu de se demander ce qui est permis ou défendu aux tierces personnes - médecins, soignants, famille, proches - en matière de lutte contre la douleur, d’acceptation ou de refus de traitement, voire d’aide active à mourir, il faut placer la personne concernée au centre de gravité de tout le système.
Il faut se demander quels sont les droits des êtres humains sur la fin de leur vie. Selon moi, ces droits devraient être absolus. La vie n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux techniciens chargés des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des hommes et de femmes. Seule la volonté du patient, de l’individu et de lui seul, doit être prise en compte.
Bien entendu, j’en suis conscient, ce n’est pas aujourd’hui que nous pourrons rouvrir ce débat et, surtout, que nous le trancherons. Sur ces questions douloureuses, émotionnelles et controversées, il ne s’agit pas de savoir qui a définitivement raison. Les avis sont divergents et le resteront.
Toutefois, s’il faut évidemment se féliciter de la création d’une allocation destinée à l’accompagnement d’un proche en fin de vie, on ne saurait prétendre qu’elle constitue l’aboutissement de notre dispositif législatif en matière de fin de vie.
M. Jean-Pierre Godefroy. Deuxièmement, la création de cette allocation ne règle pas non plus la question des soins palliatifs. Au contraire, elle rappelle les faiblesses de notre dispositif en la matière. Trop peu de personnes ont aujourd’hui accès aux soins palliatifs. Or la proposition de loi ne corrige pas cette inégalité, pourtant le cœur du problème.
J’en parle d’autant plus sérieusement que le département de la Manche n’est pas très bien loti : aucune unité de soins palliatifs, quatre équipes mobiles et seulement vingt-sept lits identifiés pour près de 500 000 habitants !
Je ne le nie pas, des progrès ont été faits ces dernières années, grâce aux plans successifs, pour la mise en place d’un dispositif national de soins palliatifs. Mais celui-ci reste encore à développer et à optimiser pour que l’accès aux soins palliatifs devienne une réalité pour tous. Un problème, notamment, reste à régler, celui du financement, lequel se heurte aux effets pervers des nouveaux systèmes de tarification hospitalière, qui, toujours, privilégient la réduction des durées d’hospitalisation et la réalisation d’actes lourds – tout le contraire des soins palliatifs !
Permettez-moi de rappeler au passage que, si je partage votre souhait de développer les soins palliatifs, je ne crois pas que cela suffira à exclure la question de l’aide active à mourir. Le débat ne doit pas se résumer à cette alternative, car la question des soins palliatifs et celle de l’aide active à mourir ne sont pas exclusives l’une de l’autre et ne doivent surtout pas l’être ; au contraire elles sont complémentaires. Il appartient au patient de choisir.
Troisièmement, le texte souffre de manques et présente des incohérences.
On peut d’abord s’interroger sur son objectif réel. Officiellement, la proposition de loi vise à favoriser l’accompagnement du malade en réglant certaines difficultés matérielles rencontrées par les proches. Cependant, la création de l’allocation a également pour objectif, selon le rapport de l’Assemblée nationale, d’éviter « des hospitalisations non désirées et coûteuses pour l’assurance maladie ». Il s’agit donc aussi de « soulager » les hôpitaux et de faire des économies.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il est question, ensuite, d’une allocation d’accompagnement pour fin de vie, et non quand le pronostic vital est engagé. De ce point de vue, les conditions d’attribution de cette allocation sont donc plus restrictives que celles qui déterminent l’obtention d’un congé de solidarité familiale.
En outre, il est prévu que cette allocation ne sera versée que pendant trois semaines, c’est-à-dire, a priori, pendant quinze jours effectifs – je rappelle que le congé de solidarité a une durée de trois mois, renouvelable une fois -, et que son montant sera égal à celui de l’allocation journalière parentale, c’est-à-dire 49 euros, ce qui n’apparaît pas très incitatif.
Enfin, et surtout, l’allocation n’est versée qu’à la condition que l’accompagnement s’effectue à domicile. Ainsi, la proposition de loi exclut de fait les personnes qui accompagnent des malades dans des hôpitaux ou des établissements spécialisés. Cela signifie que les personnes accompagnant un proche à l’hôpital ne pourront pas bénéficier de l’allocation, et ce même si leur présence est considérée comme indispensable pour un digne accompagnement de l’être proche.
Il en va de même s’il paraît impossible de sortir le patient de l’hôpital, soit parce que le proche ne peut décemment l’accompagner à domicile – appartement exigu ou inadapté, présence de jeunes enfants, notamment –, soit pour des raisons objectives d’ordre technique ou de qualité de fin de vie rendant l’accompagnement à domicile impraticable.
Les conséquences de cette exigence d’accompagnement à domicile sont alors multiples.
D’abord, le risque est tout simplement que cette allocation reste à l’état de bonne intention et qu’elle ne soit jamais demandée compte tenu des difficultés évidentes – pas seulement d’ordre technique – d’organiser l’accompagnement à domicile.
Ensuite, les proches et les potentiels accompagnants risquent de subir une « double peine » : la culpabilité de ne pouvoir assurer l’accompagnement à domicile, alors même qu’une facilité leur serait offerte, et la difficulté matérielle d’organiser une présence auprès de leur proche à l’hôpital, faute de compensation de ce temps d’accompagnement hors du domicile.
Enfin, les accompagnants à domicile risquent de se retrouver isolés, non seulement parce qu’ils devront surmonter des difficultés d’organisation de toutes sortes, mais encore parce qu’ils seront, dans la grande majorité des cas, livrés à eux-mêmes, tant les carences en soins palliatifs hors établissement sont patentes et les dispositifs pour soulager les aidants insuffisants.
La commission des affaires sociales a déjà réalisé un travail important de clarification du texte et accepté d’intégrer plusieurs amendements présentés par le groupe socialiste concernant notamment la personne de confiance ou le partage de l’allocation entre plusieurs bénéficiaires. Cependant, comme vous le voyez, plusieurs points importants font encore l’objet de débats, sur lesquels nous avons déposé des amendements, à tout le moins ceux qui ont « survécu » à l’article 40.
Dans ces conditions, même s’il regrette que ce texte ne concerne pas la fin de vie à l’hôpital – l’amendement que nous avions déposé a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 ; il faudra y revenir –, le groupe socialiste, en remerciant Mme la présidente de la commission et M. le rapporteur de l’attention qu’ils ont portée à ses amendements, votera cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi très consensuelle est un excellent texte, tout au moins dans sa philosophie. On peut d’autant plus s’en réjouir que certains textes qui nous ont été récemment soumis étaient, quant à eux, très discutables.
On ne pouvait plus continuer à évoquer le maintien à domicile des personnes âgées et des personnes malades, la responsabilité des familles à leur égard, tout en se gardant bien de n’engager strictement aucune action concrète pour soutenir ceux qui, dans notre société, perpétuent l’esprit de famille au sens large du terme en prenant soin de s’occuper de leurs anciens et de leurs malades.
Si l’on veut vraiment rétablir ces liens sociaux qui existaient dans le passé et qui, depuis, se sont distendus, il fallait absolument prendre un certain nombre de mesures pour aider ceux qui continuent à se dévouer et à agir.
Cette allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie ouvre une porte, ce qui est une très bonne chose. Jusqu’à présent, pour permettre aux proches d’une personne en fin de vie de s’occuper de cette dernière, on les incitait notamment à prendre des congés. Mais toute la charge reposait sur la famille, qui devait non seulement faire preuve d’abnégation, mais encore gérer les problèmes matériels, financiers et autres.
Par conséquent, je voterai ce texte, qui n’est donc qu’une porte ouverte et qui ne règle pas l’ensemble des problèmes posés.
Tout d’abord, le dispositif qu’il vise à mettre en place est très limité dans le temps, alors que la notion de fin de vie peut recouvrir une période de plusieurs semaines. C’est pourquoi il conviendra, ultérieurement, d’assouplir les conditions d’attribution de cette allocation journalière.
Ensuite, cette allocation est plafonnée à environ 50 euros par jour, ce qui est relativement faible. (Mme la ministre s’exclame.) Bien évidemment, c’est un progrès par rapport à la situation antérieure, où rien n’existait, mais nous ne pouvons pour autant nous en satisfaire.
Enfin, et surtout, dans la mesure où la plupart des personnes en fin de vie passent bien souvent leurs derniers jours à l’hôpital – contrairement à une personne décédant subitement, par exemple d’une crise cardiaque –, je regrette vivement que cette proposition de loi ne s’applique pas à celles-ci. Concrètement, cela signifie que 90 % des personnes en fin de vie, c'est-à-dire celles qui sont hospitalisées, ne bénéficieront pas de cette mesure, qui, de fait, sera d’application très limitée et même régressive.
Aussi, je forme le vœu que, à l’avenir, les personnes accompagnant un proche en fin de vie et hospitalisé puissent elles aussi percevoir une allocation journalière, quitte à ce qu’elle soit un peu moins élevée, et que la durée de versement de l’allocation dont nous discutons aujourd’hui soit allongée.
Je le répète, nous avons ouvert une porte et, bien entendu, je voterai cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.