Article 2 bis (nouveau)
Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente pour émettre un avis sur la nomination du Défenseur des droits, effectuée sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 71-1 de la Constitution, est la commission chargée des lois constitutionnelles. – (Adopté.)
Article 2 ter (nouveau)
Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente pour émettre un avis sur la nomination des personnalités qualifiées membres du Conseil supérieur de la magistrature, effectuée sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 65 de la Constitution, est la commission chargée des lois constitutionnelles. – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
L’article 5 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est procédé à un vote en commission selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, le scrutin doit être dépouillé au même moment dans les deux assemblées. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Frimat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur Gélard, à la page vingt-deux de votre rapport, vous précisez : « ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu’une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées pour prononcer l’avis prévu par l’article 13 de la Constitution ». Nous partageons totalement cette analyse, qui, à nos yeux, s’applique aussi à l’article 3 du projet de loi ordinaire. Celui-ci pose en effet le principe de la simultanéité du dépouillement des scrutins dans les deux assemblées.
Il n’est pas besoin de remonter aux travaux préparatoires. La rédaction de l’article 13 de la Constitution est très claire : « La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. » Cette habilitation est bien exclusive de toute autre règle de procédure.
Certes, le constituant a institué le caractère unitaire de l’avis exprimé par les commissions, mais le respect de ce principe ne concerne pas les modalités d’expression de cet avis. Or l’article 3 du projet de loi ordinaire laisse penser que les commissaires d’une assemblée seraient conduits à exprimer leur avis sous contrainte, influencés qu’ils seraient par le vote de l’autre assemblée. Cela n’est pas sérieux : la pratique dément cette crainte. Lors des précédentes nominations, aucune objection de cette nature n’a été formulée.
Monsieur le rapporteur, cet amendement est en quelque sorte un amendement de coordination que vous auriez vous-même pu présenter par cohérence avec l’amendement de suppression de l’article 3 du projet de loi organique que vous avez proposé en commission. Les motivations qui l’inspirent étant les mêmes, je vous propose d’en tirer des conclusions identiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. J’ai indiqué par avance tout à l'heure, lors de mon intervention liminaire, ce que je pensais de cet amendement.
Au fond, je n’ai pas de désaccord fondamental avec M. Frimat.
Cependant, nous sommes là dans le cadre d’une stratégie. Si nous voulons que ce texte passe et que l’Assemblée nationale accepte, ce qui n’est pas évident, de retirer son article 3 du projet de loi organique, nous devons marquer à l’égard de cette première assemblée, élue au suffrage universel direct, un minimum de déférence.
Aussi, pour des raisons de stratégie diplomatique parlementaire, je vous demanderai, mon cher collègue, de retirer votre amendement, ce qui nous permettra de poursuivre dans de meilleures conditions la discussion au cours de la navette qui risque de se terminer par un vote acquis par la seule Assemblée nationale à la majorité absolue de ses membres.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri de Raincourt, ministre. Monsieur Frimat, le Gouvernement ne peut accepter cet amendement, car il considère que, pour garantir le bon fonctionnement de l’ensemble du dispositif, il convient d’assurer la simultanéité du dépouillement des scrutins dans les deux assemblées, de sorte que le résultat obtenu dans une commission soit connu en même temps que celui de l’autre commission.
En outre, une telle mesure est tout à fait indépendante de ce que vous recherchez en matière de délégation de vote, comme l’a rappelé M. le rapporteur.
Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J’écoute toujours attentivement les propos du président de la commission des lois, M. Hyest.
Dans notre récent débat sur le projet de loi portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, pour justifier la nécessité d’un vote conforme, il a avancé l’argument selon lequel la tradition parlementaire veut que chaque assemblée ne se mêle pas des décisions qui concernent exclusivement l’autre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Richard Yung. Or, en l’occurrence, nous sommes dans le cas diamétralement inverse : l’Assemblée nationale intervient pour dire au Sénat comment il doit organiser son règlement.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non, ce n’est pas cela !
M. Richard Yung. C’est tout de même paradoxal !
Je comprends que cet amendement ait été présenté, même si M. Frimat sera peut-être amené à tirer d’autres conclusions.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’avis sur les nominations concerne les deux assemblées, et non une seule, contrairement au texte relatif au découpage des circonscriptions des députés.
Cela étant dit, je comprends très bien les arguments avancés, d’autant que je me suis moi-même interrogé sur cette disposition prévoyant la simultanéité du dépouillement des scrutins dans les deux assemblées.
Pour assurer cette simultanéité, il conviendra d’intégrer dans nos dispositifs respectifs les moyens de faire savoir à l’autre assemblée que l’on entame le dépouillement. En cas de panne d’électricité et de panne de téléphone, il faudra trouver des dispositifs particuliers…
M. Bernard Frimat. Le sémaphore ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cependant, je comprends la nécessité de la simultanéité, sans laquelle, à la limite, une commission pourrait voter en fonction de la proportion des voix obtenues dans l’autre commission. Ainsi, elle pourrait accorder moins de voix à une nomination ayant obtenu un score fort dans l’autre assemblée.
C’est pourquoi j’estime, suivant en cela M. le rapporteur et la commission, qu’il n’est sans doute pas indispensable de supprimer l’article 3 du projet de loi ordinaire.
En revanche, nous demeurons extrêmement fermes quant à notre position concernant l’article 3 du projet de loi organique, car cet article ne nous paraît pas conforme aux dispositions constitutionnelles.
M. le président. Monsieur Frimat, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Bernard Frimat. M. le rapporteur a vérifié ce vieux principe bien connu des parlementaires : une argumentation peut quelquefois me faire changer d’avis, elle ne peut pas me faire changer de vote ! (Sourires.) En l’occurrence, il avait d’autant moins à changer d’avis que je ne me suis appuyé que sur ses propos pour arriver à une conclusion que, je le sais, il partage. Par ailleurs, je comprends la position du Gouvernement.
M. le rapporteur nous a dit que nous entrions là dans le domaine de la « diplomatie parlementaire ». C’est un domaine si aventureux – je sens tous les risques que recouvrent ces ambassades et négociations secrètes, qui peuvent déboucher sur des accords conclus à la nuit tombante, faisant l’allégresse des populations qui en seront informées – que je ne veux pas prendre la responsabilité de faire connaître à notre collègue Gélard un Waterloo diplomatique, même un 21 décembre !
Ce texte faisant l’objet d’une navette, puisque le Gouvernement a eu la grande sagesse de ne pas demander qu’il soit soumis à la procédure accélérée, ce dont nous le remercions, je fais confiance à M. le rapporteur pour essayer d’arriver à une solution qui recueille l’accord des deux assemblées. Il s’agirait, si j’ai bien compris, d’échanger la suppression de l’article 3 du projet de loi organique contre le maintien de l’article 3 du projet de loi ordinaire, tout cela étant, nous le voyons, d’une subtilité telle qu’il ne faut surtout pas prendre le risque de gripper la machine ! (Sourires.)
Il me restera donc à présenter de nouveau cet amendement, si d’aventure ce rendez-vous diplomatique, qui n’a peut-être pas l’importance de celui du sommet de Copenhague, venait, comme ce dernier, à se conclure par un « flop ».
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l’article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Robert Badinter pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai une observation très générale.
Nous nous sommes abstenus sur le projet de loi organique, et nous continuerons à nous abstenir sur le projet de loi ordinaire, mais il ne m’a pas semblé inutile d’en expliquer les motifs.
Par rapport à la situation actuelle, que l’évocation d’une discussion et d’un avis des commissions compétentes du Parlement sur les nominations du Président de la République soit un progrès, nous le reconnaissons volontiers.
Cependant, que cette évocation soit insuffisante et qu’elle appelle à ce titre une réflexion plus générale en cette fin de session, je souhaiterais le dire.
Insuffisante, M. de Montesquiou l’a rappelé, c’est évident pour tous.
Insuffisante, car lorsqu’on veut établir un véritable contrôle parlementaire sur les nominations de l’exécutif, on soumet la proposition faite par le Président de la République ou par le chef de l’exécutif à l’avis de la commission, avec pouvoir pour celle-ci de la refuser à la majorité ; c’est un vote positif.
Or ce qui nous est proposé dans le présent texte, et ce point a fait l’objet d’une discussion dans le cadre de la révision constitutionnelle, c’est tout simplement la possibilité laissée à la seule majorité de désavouer le Président. Et dans nos institutions, comment s’appelle la majorité ? Elle s’appelle la majorité présidentielle !
Il serait demandé à cette majorité présidentielle de démentir un choix fait par le Président de la République, cette majorité présidentielle étant absolument nécessaire pour y parvenir.
C’est là un paradoxe, qui n’existe pas dans les autres démocraties exerçant ce type de contrôle. Aux États-Unis, chacun le sait, le Sénat doit réunir la majorité des deux tiers en faveur d’une nomination. Il en est de même en Allemagne.
C’est ainsi que, sur ces points, on passe d’une république présidentielle à une république consensuelle, ce qui est beaucoup mieux.
En l’occurrence, si la commission compétente devait réunir une majorité positive des trois cinquièmes, cela requerrait un consensus et de la majorité et de l’opposition, et, du même coup, se trouveraient fortifiées l’indépendance et l’autorité de celle ou de celui qui est nommé.
Ce ne sera pas le cas avec le texte qui nous est soumis. J’ai eu la curiosité de vérifier la composition des deux commissions des lois. Celle de l’Assemblée nationale compte 73 membres et celle du Sénat, 48, soit un total de 121.
Pour parvenir à un vote négatif à la majorité des trois cinquièmes, il faudrait 73 voix. Or la totalité de l’opposition ne peut espérer en réunir que 55 au maximum. Pour atteindre ce seuil, il faudrait donc une désertion, c'est-à-dire non pas l’abstention, mais un vote négatif de 18 membres de la majorité. C’est à proprement parler inconcevable dans le système politique qui est le nôtre.
Cela m’amène à la réflexion générale que je souhaitais vous livrer. Avec ce texte, nous tombons dans un grand travers de nos institutions. Nous avons une sorte de talent particulier pour avoir l’air de faire des avancées démocratiques tout en réservant l’essentiel du pouvoir, dont on feint de concéder le contrôle à une nouvelle institution, par le moyen d’une limite des pouvoirs de celle-ci.
Regardez l’histoire constitutionnelle des cinquante dernières années.
On crée un Conseil constitutionnel, non pas l’esquisse d’une cour constitutionnelle, mais une instance de contrôle de la constitutionnalité des lois. Dans la Constitution, la saisine en a été réservée à l’origine aux autorités de l'État – huit affaires ont été traitées jusqu’en 1974 –, puis à partir de 1974 à soixante sénateurs ou à soixante députés, et il a fallu attendre plus de vingt ans pour en ouvrir l’accès aux citoyens.
On crée, à l’image des grandes démocraties du nord de l’Europe, un ombudsman, que l’on appelle médiateur, mais pour en limiter aussitôt la saisine aux représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat, et en écarter le citoyen. Là encore, ce dernier devra patienter des décennies pour y parvenir.
C’est la même chose pour d’autres institutions.
À chaque fois, on semble avoir peur d’aller jusqu’au bout de l’exigence d’une véritable démocratie contemporaine équilibrée.
Ce texte nous en offre encore l’illustration. Merveille ! Enfin le Parlement pourra s’opposer à une nomination du Président de la République ! Mais ce n’est pas exact.
Le seul avantage de cette procédure, c’est la publicité.
M. Pierre Fauchon. C’est énorme !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !
M. Robert Badinter. J’ai entendu notre ami Portelli dire que la publicité sera acquise. Or je n’ai pas vu figurer ce point dans la modification du règlement du Sénat. Si le président Hyest nous dit que la publicité, c’est-à-dire l’organisation d’auditions publiques, sera la règle, je reconnaîtrais que le progrès est plus important que je ne le conçois. Il ne faudrait pas, l’Assemblée nationale ayant décidé que ce serait public, que nous en restions à des auditions qui, sans être à huis clos, revêtiraient un caractère d’entre soi, l’avis seul étant rendu public.
Ici, comme cela se pratique dans d’autres instances pour la nomination à des postes de très haut niveau, je pense à l’audiovisuel, il est important que l’on entende le candidat, qu’il expose sa position, soit soumis au jeu des critiques, formule des réponses et, les parlementaires et l’opinion publique étant alors éclairés, le vote interviendrait.
Cela me paraît une nécessité au regard d’un texte qui revêt infiniment moins de portée que celle que, avec une rhétorique flamboyante, on s’est accordé à lui donner tout au long de la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souhaite expliquer les raisons pour lesquelles les membres de mon groupe et moi-même voterons contre ce texte.
Nous ne nions pas qu’un contrôle du Parlement sur les nominations de l’exécutif puisse constituer une avancée.
Toutefois, en donnant l’illusion que ce contrôle est effectif, on crée le trouble. En effet, comme Robert Badinter vient de l’expliquer excellemment, dès lors que, dans notre système actuel, le fait majoritaire s’impose en raison de l’inversion du calendrier électoral et de la concomitance de la durée du mandat du Président de la République et de celle du mandat des membres de l’Assemblée nationale, un vote négatif à la majorité des trois cinquièmes est impossible.
Cette procédure crée ainsi l’illusion d’un accord consensuel sur les nominations, tout du moins majoritairement consensuel, au Parlement. Mais cela est totalement faux. En ce sens, il ne s’agit plus d’une avancée, même si on le fait croire.
Pour cette raison, nous confirmons notre opposition à l’article 13 de la Constitution en votant contre le projet de loi.
8
Représentation devant les cours d'appel
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant réforme de la représentation devant les cours d’appel (projet n° 16, texte de la commission n° 140, rapport n° 139)
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi, soumis à votre examen aujourd’hui, vise à simplifier la représentation des parties devant les cours d’appel. À cette fin, il unifie les professions d’avoué et d’avocat à compter du 1er janvier 2011. Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 6 octobre 2009, au terme d’un débat dense, riche et constructif.
Depuis, votre commission des lois, devant laquelle j’ai eu l’honneur et le plaisir de m’exprimer, a apporté de nouvelles améliorations à ce texte. Je voudrais saluer particulièrement la qualité des travaux de votre rapporteur, M. Gélard.
Grâce au travail des parlementaires, nous disposons aujourd’hui d’un texte plus clair, plus lisible et, sans doute, plus cohérent. Je m'en félicite, comme le feront tous ceux qui aiment que le droit soit bien écrit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de la représentation devant les cours d'appel s'inscrit dans le cadre d’une stratégie de simplification et de modernisation de la justice.
En effet, nous le savons bien, les règles de représentation en cour d'appel sont aujourd’hui à la fois complexes, coûteuses, et surtout mal comprises par nos concitoyens. Leur permettre de mieux comprendre notre droit et le fonctionnement de notre justice constitue, comme je vous l’ai déjà dit, l’une de mes préoccupations. De plus, force est de constater que ces règles posent, dans leur état actuel, un problème de compatibilité avec le droit communautaire.
L'unification des deux professions a déjà été mise en œuvre au niveau des juridictions de première instance en 1971. Il apparaît donc relativement logique, près de quarante ans plus tard, que le Gouvernement propose de compléter cette réforme.
Cette évolution est d’autant plus logique que les avoués et les avocats ont, nous le voyons bien, les mêmes diplômes, la même connaissance du droit, les mêmes qualités de conseil. Il est donc aisé d’en tirer les conséquences, en ce qui concerne à la fois la simplification de nos systèmes de procédure et l’amélioration de la cohérence de notre droit avec le droit européen. Mais bien entendu, il convient, ici comme toujours, de proscrire une petite réforme au profit d’une modernisation globale de la procédure d’appel.
Toute transformation ayant un impact sur les professionnels, il faut bien sûr prévoir des mesures d’accompagnement adaptées aux conséquences de la réforme que nous souhaitons.
Trois modalités d’action visent à satisfaire notre préoccupation de moderniser et de simplifier globalement la procédure pénale.
La première porte sur le recentrage de la représentation sur les avocats. La deuxième concerne la diminution des coûts pour le justiciable, faiblement à court terme et, je l’espère, fortement à moyen et à long terme. Enfin, la troisième se rapporte au développement des nouvelles technologies.
D’abord, le recentrage de la représentation sur les avocats. Il s’agit finalement de permettre au justiciable d’avoir un interlocuteur unique en appel. Selon le projet de loi, l'ensemble des avocats du ressort de la cour d'appel pourront représenter leurs clients devant cette juridiction. En conséquence, les offices d'avoués seront supprimés. Les avoués deviendront automatiquement avocats, sauf, bien sûr, s'ils y renoncent. S’ils acceptent, ils seront inscrits d'office au tableau du barreau établi auprès du tribunal de grande instance dans lequel se situe leur office. Néanmoins, ils pourront choisir, s'ils le souhaitent, une inscription auprès de n’importe quel autre barreau de France.
Le deuxième objectif recherché est la diminution des coûts pour le justiciable. Le tarif de la postulation sera ainsi supprimé en appel, ce qui représente une réduction sensible du coût de la justice pour le justiciable. Ce dernier doit en effet payer, à ce jour, à la fois les honoraires de l'avocat et le tarif de l'avoué. À l’avenir, il ne réglera que les honoraires d’avocat.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ils auront doublé !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il nous appartiendra de veiller, en accord avec la profession, à ce que ces honoraires correspondent à une diminution globale. Par ailleurs, ceux-ci incluront bien sûr la taxe visant à indemniser les avoués, qui représente un tiers du tarif moyen actuel de l'avoué. Cette taxe – et c’est également un élément important – sera, au final, à la charge du perdant.
J’insisterai un instant sur ce dernier point : indépendamment de la réforme que je vous soumets aujourd’hui, je souhaite que la partie perdante participe davantage aux coûts de la procédure.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Une fraction des honoraires d'avocat sera désormais mise à la charge de la partie perdante, au titre des dépens prévus par l'article 695 du code de procédure civile.
La troisième modalité de cette modernisation consiste à développer les nouvelles technologies. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises devant votre commission des lois, la dématérialisation est un atout pour l'efficacité des procédures et la rationalisation des dossiers. Il s’agit de l’un des points sur lesquels je souhaite pouvoir m’investir avec l’ensemble des parlementaires.
D’une part, pour les actes de procédure, les avocats ne seront plus obligés de se déplacer dans les cours d'appel. Il n'y aura donc pas de surcoût pour le justiciable. D’autre part, l'obligation d'introduire l'instance par voie électronique, à peine d'irrecevabilité, est prévue par un décret publié le 9 décembre dernier. Je souligne que cette dématérialisation s’appliquera d’abord à la seule déclaration d'appel à compter du 1er janvier 2011. Par la suite, elle sera progressivement étendue à l’ensemble de la procédure.
Je suis consciente des difficultés potentielles en la matière. Pour cette raison, un groupe de travail est réuni mensuellement, avec le Conseil national des barreaux et les services de la Chancellerie, afin de préparer la dématérialisation. D’ailleurs, deux expérimentations – votre rapporteur a pu, me semble-t-il, voir l’une d’elles – sont menées dans les cours d’appel de Versailles et Douai. L’objectif est de généraliser cette dématérialisation à l’ensemble des cours d’appel d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2010. Je pense que nous y parviendrons.
Enfin, pour favoriser le dialogue entre les chefs de cour et les avocats, le projet de loi prévoit qu'un avocat, désigné parmi les bâtonniers du ressort, sera chargé de traiter des questions relatives à la communication électronique.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif général de la réforme que je vous propose aujourd’hui. Comme vous pouvez le constater, il s’agit, malgré le précédent des tribunaux d’instance, d’une réforme de grande ampleur. Dès lors, elle est évidemment susceptible d’entraîner un certain nombre de conséquences, notamment pour les avoués et leurs employés. Pour cette raison, dès que j’ai eu en charge ce texte, c’est-à-dire à l’été dernier, je me suis particulièrement attachée à limiter les effets négatifs que la réforme pourrait faire peser sur eux.
Des mesures d'accompagnement sont donc prévues par le projet de loi. Celles-ci répondent à une triple exigence. D’abord, l’idée principale est de favoriser l'activité des personnes concernées, sur le fondement du libre choix, en prévoyant un certain nombre de passerelles vers d'autres professions du droit. Ensuite, le texte établit une juste indemnité pour le préjudice subi. Enfin, il est prévu d’éviter des ruptures trop brutales en aménageant une période transitoire qui soit raisonnable.
Parmi ces trois mesures d’accompagnement, je présenterai d’abord les passerelles vers les autres professions judiciaires et juridiques.
Comme je l’ai dit voilà un instant, les avoués qui le souhaitent deviendront automatiquement avocats. Par ailleurs, pour leurs collaborateurs juristes, puisqu’ils sont un certain nombre, les conditions d’accès à cette profession seront assouplies. L'accès aux métiers d'officiers publics ministériels sera facilité pour les avoués et pour les collaborateurs d’avoués, compte tenu de leur formation et de leur expérience.
L'ensemble de ces passerelles sera mis en œuvre dès 2010 et les décrets nécessaires seront publiés dès la promulgation de la loi. De manière générale, je vous soumettrai, si vous le souhaitez, les projets de décrets tels qu’ils sont préparés actuellement, sous réserve de vos amendements. Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, présenter autant que possible les projets de décret prévus en même temps que le texte législatif me semble une bonne façon de légiférer.
Par ailleurs, dans le cadre du budget 2010, j'ai obtenu la création de 380 postes dans les services judiciaires, auxquels pourront postuler les salariés d'avoués. Je le précise dès maintenant, les trois catégories de la fonction publique, A, B et C, seront concernées. Un concours adapté, incluant une épreuve valorisant l'expérience professionnelle, sera organisé pour les salariés souhaitant devenir greffiers. Pour ceux qui souhaiteront rejoindre la catégorie C, la sélection s'effectuera sur dossier et entretien, et ce dès le mois d’avril prochain.
En outre, le projet de loi qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, prévoit une juste indemnisation de la fermeture des offices d’avoués.
Sur ce point, vous le savez, dès ma nomination à la fonction de garde des sceaux, j’ai souhaité améliorer la rédaction du texte initial aux termes de laquelle l’indemnité prévue devait s’élever, pour une raison que j’ignore d’ailleurs, à 66 % de la valeur de l’office concerné, un pourcentage qui, selon moi, n’était pas équitable et ne correspondait à aucune des règles qui président à notre droit. Lors de l’examen de ce texte par l'Assemblée nationale, j’ai proposé et obtenu que cette indemnité soit portée à 100 % de la valeur de l’office et qu’elle soit directement versée par le fonds d’indemnisation de la profession d’avoué.
Se posaient non seulement le problème du montant de l’indemnisation, mais également celui des délais.
Désormais, le préjudice subi par les avoués devra être réparé par une indemnité intervenant dans un délai raisonnable.
Dans son ensemble, ce dispositif est la garantie d’une indemnisation adaptée, rapide et uniforme, qui évite l’allongement de toutes les procédures. C’est pourquoi je vous inviterai, mesdames, messieurs les sénateurs, à le maintenir.
D’autres mesures sont prévues pour adapter l’indemnisation à des situations concrètes.
En effet, il est essentiel de bien prendre en compte la réalité. Certains avoués exercent leur profession depuis de très nombreuses années, approchant parfois l’âge de la retraite, tandis que d’autres, qui débutent, ont toute leur carrière professionnelle devant eux. Le même problème se pose d’ailleurs pour les salariés d’avoués.
Si nous faisons la comparaison avec ce qui s’est passé en 1971, il est évident que nous nous adressons à un public beaucoup plus restreint. Dès lors, il est indispensable d’individualiser le plus possible les situations afin d’y apporter concrètement les réponses les plus adaptées.
Concernant les avoués qui ont acquis récemment leur office, l’indemnité sera portée à un montant égal à la somme de l’apport personnel et du capital restant dû au titre de l’emprunt contracté pour l’acquisition, afin d’éviter une perte. Cette indemnisation devra intervenir dans un délai raisonnable.
Ainsi, dès le début de l’année 2010, les avoués pourront bénéficier d’un acompte sur l’indemnisation due, qui s’élèvera à 50 % du dernier chiffre d’affaires connu.
Les avoués endettés pourront obtenir le remboursement du capital restant et la prise en charge des éventuelles pénalités prévues au titre d’un remboursement anticipé. À compter du remboursement, ils pourront bénéficier des revenus tirés de l’office sans, pour autant, avoir à supporter un remboursement d’emprunt. Cette anticipation leur permettra de bénéficier d’ores et déjà des revenus qu’ils tireront de leur office.
Quant aux avoués qui partiront à la retraite, ils bénéficieront, dans le cadre de la réforme, des mêmes avantages fiscaux que ceux qui cédaient leur office pour partir en retraite. C’est, là aussi, une mesure non négligeable.
Par ailleurs, une attention particulière est apportée aux salariés.
Si ces salariés suivent leur employeur dans sa nouvelle profession d’avocat, ils conserveront les avantages qu’ils auront acquis en application de leur convention collective. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Cela dit, il faut être bien conscient que, et je le dis très clairement, le nombre de postes ouverts par les avoués devenus avocats ne sera pas aussi important que celui qui est aujourd'hui offert par les avoués.
Certes, certains avocats auront sans doute recours aux salariés d’avoués compte tenu de leurs compétences et du fait que les avocats devront désormais réaliser le travail que les avoués assuraient jusqu’alors. Pour les salariés qui perdront leur emploi, un accompagnement personnalisé sera mis en place dans chaque cour d’appel.
Sous l’égide du ministère de l’emploi, une convention tripartite réunira l’État, la chambre nationale des avoués près les cours d’appel et les représentants des salariés. Elle prévoira des aides à la mobilité – y compris pour ceux qui seront recrutés dans les services judiciaires –, des allocations destinées à compenser une perte de revenus, des formations et un suivi personnalisé par un prestataire privé.
Cette convention sera signée dès la promulgation de la loi. Le comité technique préparatoire a d’ores et déjà été réuni à plusieurs reprises et il le sera de nouveau au cours de la première quinzaine du mois de janvier.
En outre, l’ancienneté des salariés d’avoués sera mieux prise en compte.
Vous le savez, là encore, lors du débat à l’Assemblée nationale j’ai souhaité renforcer le texte tel que prévu dans sa version initiale. J’ai bien noté que votre commission propose un dispositif un peu différent, moins avantageux pour les salariés qui ont plus d’ancienneté et plus avantageux pour ceux qui ont moins de trente années d’ancienneté.
Le texte de la commission prévoit le principe d’un mois d’indemnisation par année d’exercice ; nous aurons l’occasion d’en discuter.
Les indemnités ne seront pas soumises à l’impôt sur le revenu et n’entraîneront pas de différé dans le versement des indemnités de chômage.
J’évoquerai maintenant la période transitoire, laquelle a été préférée à la fusion immédiate des professions.
Il m’a semblé raisonnable de prévoir cette période transitoire pour préparer la reconversion des avoués et répondre aux conséquences sociales des fermetures d’offices. Je sais que certains, notamment parmi les avocats, s’y étaient opposés, au prétexte que celle-ci aurait pu entraîner un risque de distorsion de concurrence, au bénéficie des avoués devenant avocats. Néanmoins, elle est nécessaire.
Certes, cette durée ne doit pas être infinie ni excessive. Il ne s’agit là ni de créer des distorsions dans la concurrence entre avoués et avocats, ni, pour les salariés d’avoués, de faire durer une situation d’incertitude, dont nous savons très bien qu’elle crée plus d’inquiétudes qu’elle n’apporte de solutions.
Alors que certains avaient évoqué une période transitoire de trois ou cinq années, il semble plus raisonnable de s’en tenir à la date qui a été évoquée depuis longtemps et que la grande majorité des gens ont maintenant intégrée, à savoir une fusion à compter du 1er janvier 2011.
D’ici là, les avoués qui le souhaitent pourront aussi exercer la profession d’avocat, puisqu’ils seront inscrits de plein droit au barreau de leur choix, ce qui leur permettra d’assurer cette transition. Parallèlement, cela permet de mieux gérer la situation des salariés, y compris grâce aux postes que j’ai fait ouvrir, dans le budget, pour l’accès aux professions judiciaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en préalable à notre discussion, j’ai souhaité vous présenter le dispositif général de ce projet de loi, qui s’inscrit dans une ambition de simplification, de clarification et de modernisation du fonctionnement de notre justice tout en tenant compte des intérêts catégoriels des uns et des autres, dont les préoccupations sont légitimes. Nous avons le devoir de nous adapter au droit européen et aux attentes des Français à l’égard de leur justice.
En fusionnant les professions d’avocats et d’avoués près les cours d’appel, le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d’aller jusqu’au bout de la réforme entamée en 1971 et de franchir ainsi une étape supplémentaire vers une justice en phase avec les attentes de nos concitoyens et correspondant à une conception moderne de la justice du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)