M. Jean-Louis Carrère. Il est débordé ! (Sourires.)
M. Jacques Gautier. Je veux cependant souligner, surtout après l’intervention de Michelle Demessine, combien je me félicite, face à l’insécurité nucléaire internationale qui progresse, de la première dotation de missiles M51 et de la livraison du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération, Le Terrible.
M. Robert Hue. Personne ne s’en servira …
M. Jacques Gautier. Je me félicite également de la livraison des 4 premiers hélicoptères NH-90, que la marine nationale attendait depuis plusieurs années, et de 7 hélicoptères Tigre supplémentaires à l’armée de terre …
M. Jean-Louis Carrère. Les Tigre sont en gestation ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Gautier. … et, bien sûr, de l’arrivée de 11 Rafale au standard F3, après la commande que vous avez passée il y a quelques jours, monsieur le ministre, de 60 appareils supplémentaires.
Les besoins pour les opérations extérieures ne sont pas oubliés avec, entre autres, 274 armements air-sol modulaires A2SM, 6 nacelles RECO NG destinées aux Rafale au standard F3, l’achat sur étagère de missiles de moyenne portée de type Fire and Forget, certainement Javelin ou Spike, en complément du missile Milan et dans l’attente de la définition du successeur de celui-ci, et enfin, bien sûr, la livraison de 99 véhicules blindés de combat d’infanterie, dits VBCI, et de 44 véhicules blindés légers, dits VBL, que nous avons pu voir sur la chaîne de fabrication. (M. Jean-Louis Carrère se gausse.)
Les commandes pour 2010 ne sont pas en reste, au niveau tant de la dissuasion, du commandement, de la maîtrise de l’information et de l’engagement combat, que des capacités de projection, de mobilité et de soutien, ou de protection-sauvegarde.
Je me félicite du premier vol, dans quelques jours, de l’Airbus A400M, cet avion de transport stratégique et tactique auquel nous croyons pleinement.
M. Jean-Louis Carrère. Bien sûr !...
M. Jacques Gautier. Je tiens à saluer, monsieur le ministre, votre engagement personnel dans le cadre des renégociations entre l’industriel et les partenaires européens. Nous savons que le retard pris dans la fabrication de cet appareil et l’adaptation du contrat avec les pays partenaires entraîneront des répercussions financières, qui conduiront inévitablement à l’étalement des livraisons.
M. Jacques Gautier. Ce budget confirme toutefois, à mes yeux, une faiblesse, évoquée tout à l’heure par Xavier Pintat : au moment où les drones, qu’ils soient MALE – moyenne altitude longue endurance – tactiques ou de terrain, s’imposent partout en Irak et en Afghanistan, comme les yeux, et désormais comme le bras armé des troupes engagées au sol, la loi de programmation militaire n’a prévu d’y consacrer que 285 millions d’euros. Ces crédits sont très largement insuffisants pour concevoir, développer et produire un drone MALE, destiné à succéder à nos 3 Harfang.
Cette faiblesse financière est aggravée par un manque de coopération de nos industriels, qui semblent incapables d’additionner leurs compétences pour permettre à notre pays, peut-être en association avec le Royaume-Uni ou d’autres nations européennes – je parle ici de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD –, de produire dans des délais raisonnables le vecteur moyenne altitude longue endurance dont nous avons un urgent besoin.
Avec Daniel Reiner, rapporteur du programme 146, nous avions déjà signalé ce problème lors de la discussion de la loi de programmation militaire. Le rapport sur les drones de nos collègues députés, qui devrait être rendu public dans quelques jours, conforte d’ailleurs cette analyse.
Au vu des faibles moyens affectés, il faut certainement se doter d’un quatrième vecteur Harfang, et peut-être acquérir sur étagère des Predator, déjà largement déployés en Afghanistan par les Américains et les alliés. Cela facilitera, en outre, l’entretien courant sur place : il est plus facile de les traiter à Bagram que de les renvoyer en Israël.
Je ne reparlerai pas des systèmes de drone tactique intérimaire, les SDTI, puisque la DGA a passé deux petites commandes, l’été dernier, pour des Sperwer améliorés d’occasion et quelques autres de nouvelle génération.
En revanche, monsieur le ministre, il faut qu’EADS et la DGA confirment, une fois pour toutes, les modifications demandées sur les systèmes de drones de reconnaissance au contact, les DRAC, déjà livrés, afin que ces mini-drones de terrain puissent être déployés, avant l’été, dans nos FOB, c’est-à-dire nos bases d’opérations avancées, de Kapisa et de Surobi, pour apporter une reconnaissance visuelle et infrarouge à nos troupes opérant dans les vallées de ces provinces.
À défaut, si le résultat n’était pas à la hauteur des besoins, il conviendrait d’acheter en urgence les mini-drones disponibles sur le marché, comme l’a déjà fait le commandement des opérations spéciales, le COS.
Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes conscient de ce problème et j’espère que vous prendrez des mesures, au début de l’année 2010, lors d’un prochain comité ministériel d’investissement.
Je souhaite rendre un hommage solennel à nos soldats, qu’ils se trouvent sur le territoire national ou en OPEX, et à leurs familles. Tous méritent d’être soutenus par les représentants de la nation et par leurs concitoyens.
Dans ces temps difficiles de crise, où les valeurs républicaines sont encore plus chahutées et ne trouvent plus de représentations concrètes dans l’esprit de nos concitoyens, je veux rappeler que nos soldats, par leur engagement pour leur pays, en sont l’expression la plus absolue.
Le groupe UMP du Sénat votera et soutiendra avec force les crédits de la mission « Défense » pour l’année 2010, mais il est aussi de notre devoir de valoriser l’engagement de nos soldats, et cela auprès de la société civile, qui, depuis la fin de la guerre froide, témoigne une certaine incompréhension face aux interventions menées à des milliers de kilomètres et à leurs exigences. C’est cet effort de pédagogie qui participera au renforcement nécessaire du lien entre la nation et son armée.
Enfin, permettez-moi de me tourner vers mes collègues de la gauche.
M. Jean-Louis Carrère. Nous vous saluons ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Gautier. Je veux leur dire, très amicalement, qu’ayant examiné les budgets militaires votés depuis dix ans par les majorités successives, de gauche comme de droite, nombre de parlementaires auraient certainement aimé pouvoir soutenir des crédits semblables à ceux qui nous sont proposés aujourd’hui.
Alors, naïvement sans doute, j’ose faire un rêve …
M. Didier Boulaud. C’est plutôt un cauchemar ! (Sourires.)
M. Jacques Gautier. … et espérer qu’à défaut d’un vote favorable, que je sais politiquement impossible, vous puissiez manifester une abstention positive, car le niveau de ces crédits pour 2010 et l’engagement de nos troupes le méritent ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une main invisible semble guider notre politique militaire.
Le général de Gaulle avait voulu que la France assurât par elle-même sa défense. Il l’a bâtie sur la dissuasion et cette doctrine, fondée sur un principe de stricte suffisance, étroitement corrélée au souci de l’indépendance nationale, a fini par rencontrer l’assentiment général du pays, grâce au concours de quelques patriotes éclairés.
Le général de Gaulle, pour que les choses fussent claires, a fait sortir la France, non pas de l’Alliance atlantique, mais de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN. C’était il y a quarante-trois ans. L’effort de défense de la France a été conséquent : plus de 5 % du PIB. Il atteignait encore près de 4 % de notre PIB au début des années quatre-vingt-dix. J’observe, enfin, que l’auteur de Vers l’armée de métier s’était bien gardé de supprimer le service national, puissant outil de cohésion sociale et formidable réserve militaire en temps de crise.
Tout cela n’est plus. Le service national a été supprimé sans vrai débat, en 1996, et sans profit pour l’équipement de nos forces, bien au contraire. La France vient de réintégrer l’organisation militaire de l’OTAN. Notre dissuasion, réduite de moitié, est fragilisée ; j’y reviendrai tout à l’heure. Enfin, notre effort de défense s’est relâché, et il faut beaucoup de bonne volonté pour asséner qu’avec 30,12 milliards d’euros de crédits budgétaires nous consacrons 2 % de notre PIB à notre défense, comme s’y était engagé pendant la campagne électorale de 2007 le Président de la République.
Notre PIB dépasse 2 000 milliards d’euros et, par un calcul mental rapide, j’aboutis à un chiffre voisin de 1,5 %. Certes, vous ajoutez 7 milliards d’euros de pensions, qui n’ont jamais été pris en compte dans le calcul de l’effort de défense …
M. Jean-Pierre Chevènement. Quand j’étais ministre non plus !
Vous ajoutez également 1,26 milliard d’euros de ressources exceptionnelles. Mais vous savez très bien que ces ressources n’étaient pas au rendez-vous en 2009 : 400 millions d’euros au lieu de 972 pour les ventes immobilières, et rien du tout pour les cessions de fréquence prévues à hauteur de 600 millions d’euros.
De lourdes incertitudes grèvent les prévisions de 2010, comme l’a expliqué très pertinemment Didier Boulaud.
Enfin, il y a le surcoût des OPEX, de près de 300 millions d’euros, celui du programme A400M, qui atteindra 1 milliard d’euros d’ici à 2014, et enfin la contribution à l’OTAN, qui s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros.
À la vérité, ce qui mine beaucoup plus encore les prévisions de la loi de programmation militaire, c’est la situation plus que préoccupante de nos finances publiques. Le déficit budgétaire atteint cette année 140 milliards d’euros et dépassera 100 milliards d’euros au cours des prochaines années, avec une dette de l’État de 1 142 milliards à la fin de 2009 et une dette publique totale de 77 % du PIB, soit plus de 1 400 milliards d’euros.
Vous n’êtes pas sourd, monsieur le ministre, …
M. Jean-Pierre Chevènement. … et vous entendez comme moi les cris d’orfraie de tous ceux qui veulent, au plus vite, nous faire rentrer « dans les clous » de Maastricht. À vrai dire, je crains qu’au nom de l’orthodoxie budgétaire on ne sacrifie encore une fois notre outil militaire, dont le général Georgelin rappelait, à juste titre, devant notre commission, qu’il ne peut se construire que dans la longue durée.
Ce sont 8 400 suppressions d’emplois qui vont intervenir en 2010. Au total, sur la période 2009-2011, 25 000 réductions d’emplois vont conduire l’armée française à un format qu’elle n’avait jamais connu depuis le XVIIe siècle : 237 000 militaires, auxquels il est juste d’ajouter 72 600 civils.
Tout cela, me direz-vous, s’explique par le contexte : la guerre froide est derrière nous ; la France n’est plus menacée d’invasion ; les menaces sont multiformes. J’ai entendu tout à l’heure Mme Demessine tenir ce type de propos…
Je crains malheureusement que la réalité ne soit différente. Il existe un lien logique entre le rétrécissement du format de notre défense et la réintégration de la France au sein de l’organisation militaire de l’OTAN. Les pays européens membres de l’OTAN s’en remettent à cette organisation et, de fait, aux États-Unis du soin d’assurer leur défense. Ils ont réduit leur effort militaire aux alentours de 1 % de leur PIB. J’ai bien peur que, malgré les crédits inscrits en loi de programmation militaire, nous ne suivions le même chemin… Je prendrai un seul exemple, celui de la dissuasion nucléaire.
La France est la seule puissance nucléaire au monde à avoir renoncé à la composante sol-sol de sa triade. Nous nous targuons de ces renoncements, en effet significatifs, comme du démantèlement de nos usines produisant des matières fissiles à usage militaire. Nous organisons des visites à Marcoule et à Pierrelatte à destination d’experts étrangers. Ces derniers peuvent constater que la France a renoncé à développer son arsenal non seulement en qualité, depuis la fermeture de son site d’expérimentations de Mururoa, mais aussi en quantité, et cela avant même qu’une négociation n’ait été engagée pour convenir d’un traité prohibant la production de telles matières fissiles.
Cela signifie, en clair, que nous nous sommes résignés à confier aux États-Unis le soin d’exercer la défense non pas de la France, mais de l’Europe, par le biais de ce qu’ils appellent extended deterrence, que nous traduisons par « dissuasion élargie ». C’est fâcheux pour la défense européenne !
Regardons ce qui se passe autour de nous : les armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe vont arriver à obsolescence dans les années qui viennent. Les États-Unis envisagent de les moderniser, en particulier la bombe gravitaire B61. Mais les Européens l’entendent-ils de cette oreille ? Selon les échos qui nous parviennent d’outre-Rhin, nos amis allemands souhaitent que ces armes soient purement et simplement retirées. On peut imaginer qu’après la conclusion d’un traité prolongeant l’accord START entre les États-Unis et la Russie une nouvelle négociation s’engage sur les armes en réserve et sur les armes nucléaires tactiques, qui se comptent encore par milliers de part et d’autre.
Notons que l’accord dit « post-START », qui devrait intervenir dans les prochaines semaines, plafonnera dans une fourchette allant de 1 500 à 1 650 le nombre de têtes nucléaires opérationnellement déployées. Notre arsenal, plafonné à 300 têtes, dont un tiers est opérationnellement déployé, paraît bien infime à côté de ces gigantesques stocks d’armes.
Dans le même temps, il semblerait que la Grande-Bretagne envisage de réduire à trois le nombre de ses SNLE. Une telle décision, si elle devait intervenir, remettrait forcément en cause le principe de la permanence à la mer d’un sous-marin lanceur d’engins. On ne peut évidemment souhaiter que la Grande-Bretagne, cette vieille et grande nation qui a symbolisé, pendant la Seconde Guerre mondiale, la liberté de l’Europe, prenne une aussi lourde et irrévocable décision. Cela signifierait en effet qu’elle s’en remet désormais entièrement à la relation spéciale qu’elle entretient avec les États-Unis pour assurer sa défense et celle de ses intérêts.
Or il se pourrait bien que les États-Unis, de plus en plus polarisés par le Pacifique et par l’Asie, se désintéressent un jour de l’Europe,…
M. Yves Pozzo di Borgo. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Chevènement. … qui serait bien inspirée de compter davantage sur elle-même, et cela dès aujourd’hui, si elle veut exister encore dans la nouvelle géographie des puissances et rester un pôle dans le monde multipolaire de demain.
Si l’atome était périmé, comme l’a affirmé Mme Demessine, la Chine ne développerait pas son arsenal !
Bien que les rapporteurs pour avis au titre du programme 146, MM. Pintat et Boulaud, estiment, à juste titre d’ailleurs, qu’il n’existe aucune contradiction entre le maintien de notre dissuasion à un format de stricte suffisance et le soutien aux efforts de désarmement et de lutte contre la prolifération, on peut craindre l’effet médiatique de campagnes confondant la perspective, en tout état de cause lointaine, d’un monde exempt d’armes nucléaires et la réalité des arsenaux, tels qu’ils existent ou se développent dans des pays comme la Chine, l’Inde ou le Pakistan, sans parler des risques de prolifération avérés, comme en Corée du Nord, ou probables, comme en Iran.
Ces campagnes médiatiques, orchestrées à partir des États-Unis, souvent sur l’initiative d’anciens responsables comme MM. Kissinger, Schultz, Perry ou Sam Nun, qui sont, en fait, des réalistes, très conscients de la supériorité conventionnelle américaine, rencontrent en Europe un écho surprenant. La défense européenne n’existera jamais, je le répète, si l’Europe doit s’en remettre aux États-Unis du soin d’assurer la veille nucléaire dans l’attente d’un jour, forcément éloigné, où les armes nucléaires auraient disparu. On peut s’étonner de voir deux anciens Premiers ministres français, MM. Juppé et Rocard, cautionner cette politique d’illusions.
La vérité est que la France risque d’être isolée en Europe par la conjonction du réalisme américain et du pacifisme européen. On ne peut qu’être surpris de voir que le poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne a été confié à une militante antinucléaire, Mme Catherine Ashton. Le risque est grand que les pays européens, par pacifisme ou par inféodation, se tournent vers un système de défense antimissile américain, éventuellement dans le cadre de l’OTAN, censé les dispenser de réfléchir aux moyens d’une dissuasion efficace.
Certes, le président Obama vient de renoncer au déploiement d’un système antimissile sur les sites tchèque et polonais. Mais le secrétaire d’État américain à la défense, M. Gates, vient de proposer, les 22 et 23 octobre dernier, à Bratislava, un système adapté, à partir d’une révision en baisse de la menace iranienne. Il s’agit de mettre en place, par étapes successives jusqu’à la décennie 2020-2030, des capacités antimissiles maritimes et terrestres, dites « de théâtre. »
Un tel déploiement serait extrêmement coûteux et incompatible avec les moyens dont nous disposons, sauf à remettre en cause ceux que nous consacrons à la dissuasion, comme l’a souligné le président de Rohan. Il ne nous garantirait d’ailleurs pas une protection sûre à 100%. Enfin, pour des raisons de délais de réaction aisées à comprendre, la décision serait forcément américaine.
M. Jean-Pierre Chevènement. Le prochain sommet de l’OTAN à Lisbonne sera l’occasion de pousser ce projet. Il est malheureusement fort à craindre que nos .partenaires européens ne soient tentés de troquer la sécurité que leur assurent des armes nucléaires, qui sont des armes de non-emploi, contre la protection, beaucoup plus aléatoire, d’un bouclier antimissile américain, plus ou moins troué, dont on ne sait plus très bien contre qui, en fait, il est véritablement dirigé.
Avant toute décision sur le « nouveau concept » de l’OTAN, il serait raisonnable de définir plus précisément la menace balistique qui pèse réellement sur l’Europe et d’informer plus complètement le Parlement, comme l’a demandé M. de Rohan.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Ne sacrifions pas notre autonomie de décision. Il vaut mieux s’en tenir à l’acquisition par la France d’une capacité de détection et d’alerte avancée qui lui soit propre. Toute coopération prétendument « européenne » dans le cadre de l’OTAN nous entraînerait dans un engrenage. Je ne crois pas à l’argument selon lequel nous ne saurions nous priver de participer à cette entreprise, au prétexte des retombées technologiques – en vérité, tout à fait aléatoires – qu’elle comporterait.
Monsieur le ministre, des choix majeurs vont se préciser à des échéances proches. C’est sur eux que, pour finir, je veux attirer votre attention. Vous n’êtes d’ailleurs pas insensible à plusieurs de ces considérations. Le pouvoir politique porte une grande responsabilité dans ces domaines très techniques, qu’une opinion publique facilement manipulable, au nom des bons sentiments, ignore inévitablement.
Ne sacrifions pas aux modes importées l’effort réalisé depuis un demi-siècle pour doter la France d’une dissuasion efficace et ne laissons pas s’étioler le consensus qui s’est dégagé sur cette dernière, inséparable de notre indépendance.
Plus que jamais, le bon sens populaire peut comprendre le sens d’un vieux proverbe : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». La sagesse comme l’intérêt de la France commandent d’adapter notre posture aux réalités et non pas aux rêves, fussent-ils tissés de choses désirables. Cette posture simple est la mieux à même de garantir sur le long terme la sécurité et la paix de l’Europe.
Comment cette dernière pourrait-elle faire entendre sa voix dans les affaires du monde si nous laissions s’éteindre notre autonomie de décision et les capacités dissuasives de la France au service de la paix ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et de l’Union centriste. – M. Charles Pasqua applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs spéciaux, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, après le Livre blanc, puis la loi de programmation militaire, nous avons redéfini ensemble les contours de notre outil de défense dans ses dimensions capacitaires, industrielles et organiques, animés par le souci constant de veiller à la cohérence de nos choix par rapport à la situation des finances publiques.
La crise économique mondiale, dont l’ampleur s’est révélée à l’automne 2008, a interféré dans ce débat puisque nous avons ensemble modifié cette loi de programmation militaire afin d’y transcrire la contribution décisive de la défense au plan de relance de l’économie.
Nous sommes au cœur de la réforme et le projet de budget pour 2010 en constitue un outil décisif. Ce budget est rigoureusement conforme à la loi de programmation. Il met en place les crédits que la loi de programmation prévoit et il finance la réforme que cette même loi de programmation décrit.
En 2010, la défense bénéficiera d’un budget total d’un peu de plus de 39 milliards d’euros, dont 7 milliards d’euros de pension, c’est-à-dire, monsieur Chevènement, 2 % du PIB. Ce montant se décompose en plusieurs sources de financement.
Les crédits de la mission « Défense » stricto sensu s’élèvent, hors pensions, à 30,12 milliards d’euros. Après prise en compte de l’inflation et retraitement des modifications de périmètre, ils correspondent au montant prévu par la loi de programmation militaire en euros constants : 29,65 milliards d’euros.
En revanche, comme l’ont relevé MM. Trucy et Guené, avec la précision que nous leur connaissons, ce montant est en effet inférieur de 600 millions d’euros à celui qui était prévu par le budget triennal et qui reposait sur des hypothèses d’inflation n’ayant pas anticipé la désinflation observée en 2009. Je vous rappelle que la prévision initiale d’inflation s’établissait à 2 %, alors que la prévision révisée s’élève à 0,4 %.
Les crédits de la mission « Plan de relance de l’économie » fléchés pour la défense s’élèveront à 770 millions d’euros en 2010, après avoir représenté 985 millions d’euros en 2009.
Je dois souligner la très bonne exécution du plan de relance pour les investissements qui nous ont été confiés : nous atteindrons 100 % des objectifs fixés, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement et nous réaliserons près de la moitié des investissements directs de l’État au titre du plan de relance, soit environ 1,8 milliard d’euros.
Vous avez pu constater, si vous vous êtes rendu sur place, que la commande de véhicules blindés de combat d’infanterie, les VBCI, est directement liée au plan de relance.
Monsieur Boulaud, les remboursements échelonnés des crédits de la relance ont déjà été transcrits par voie d’amendement lors de la discussion de la loi de programmation militaire. Il n’y a donc plus rien à rembourser par rapport aux annuités que vous avez votées.
De plus, la relance se solde par un gain net de 1 milliard d’euros sur la durée de la loi de programmation militaire. C’est donc une bonne opération pour l’équipement de nos forces et pour l’industrie.
Enfin, nous disposerons de près de 1,3 milliard d’euros de recettes exceptionnelles en 2010 : 700 millions d’euros sur des cessions d’actifs immobiliers à Paris et en province,…
M. Jean-Louis Carrère. Peut-être !
M. Hervé Morin, ministre. … Auxquels s’ajoutent 600 millions d’euros au titre de la cession des fréquences et de l’usufruit des satellites de télécommunication.
M. Jean-Louis Carrère. Peut-être !
M. Hervé Morin, ministre. Pour ce qui concerne l’immobilier, nous avons déjà obtenu plus de 400 millions d’euros de recettes en 2009. Plusieurs dossiers sont en cours de négociation en région parisienne – ainsi, ce matin, j’ai signé la cession du fort d’Issy-les-Moulineaux, pour un montant de 60 millions d’euros – comme en province.
Monsieur Trucy, la discussion avec la Caisse des dépôts et consignations et la SOVAFIM sur un bloc important d’actifs parisiens est très intense et n’est pas encore achevée. Je ne peux pas vous garantir qu’un accord sera trouvé avant la fin de l’année, car il s’agit de négociations très techniques, où chacun défend ses intérêts, de manière tout à fait légitime. Éric Woerth et moi-même restons très fermes sur la préservation des intérêts financiers de l’État ; nous ne voulons pas que se reproduise ce que nous avons connu lors d’autres opérations.
Monsieur Boulaud, je vous rappelle que l’Hôtel de la marine ne sera pas vendu par l’État. Nous nous orientons vers une location de longue durée au terme d’une mise en concurrence qui présentera, bien entendu, toutes garanties de quant à la préservation du patrimoine et à la valorisation de cet actif prestigieux.
Pour ce qui concerne les fréquences, le processus, qui dépend de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a pris du retard. La cession des bandes de fréquence FELIN et RUBIS interviendra après l’attribution de la quatrième licence. Nous percevrons donc des recettes à ce titre non pas en 2009, mais probablement à la fin de l’année 2010.
Parallèlement, nous prévoyons une recette provenant de la cession de l’usufruit des satellites de télécommunication. Un article du projet de loi de finances apporte les garanties juridiques nécessaires à la continuité de la mission de service public assurée par ces satellites. Monsieur Pintat, je vous remercie d’avoir souligné l’intérêt économique que peut présenter cette opération.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’encaissement tardif d’une partie des recettes immobilières et le décalage d’une année des recettes de fréquence évoquées par la plupart d’entre vous n’auront pas de conséquence sur la gestion de 2009, car nous avons obtenu des mesures de trésorerie sous la forme d’autorisations de consommer nos crédits de report à hauteur de 500 millions d’euros en début d’année et de 400 millions d’euros au mois de juillet. Cela signifie donc que l’ensemble des opérations d’infrastructures et d’équipement ont pu être financées.
L’essentiel est bien que les crédits seront disponibles pour 2010, quelle que soit leur origine.
Pour le financement des OPEX, le budget 2010 prévoit une provision de 570 millions d’euros, contre 510 millions d’euros en 2009, pour une dépense estimée à 873 millions d’euros en 2009 et environ 800 millions d’euros pour 2010. Nous devrions donc atteindre une budgétisation initiale de 70 % du montant de la dépense, chiffre jamais égalé dans toute l’histoire de la Ve République.
Monsieur Trucy, monsieur Guené, je peux vous confirmer que nous mettrons fin à la regrettable pratique du financement du reliquat sur les crédits d’équipement, car le projet de loi de finances rectificative procède bien à l’ouverture des crédits d’équipement annulés par le décret d’avances et ces crédits sont bien gagés sur d’autres missions, conformément au souhait exprimé par la commission des finances le 29 octobre dernier.
Autrement dit, pour la première fois depuis que nous conduisons des OPEX, la totalité des crédits sera accordée au ministère de la défense pour leur financement, sans aucune annulation de crédits d’équipement.