Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés aux services judiciaires et à l’accès au droit. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. le président. Je rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle qu’en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est le pays d’Europe qui dépense le moins, par habitant, pour sa justice. Le budget de cette année n’y changera pas grand-chose, malgré son augmentation de 3,42 % !
Ce budget est d’ailleurs empreint de la réforme de l’État et de son corollaire, la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Sommée de participer à la diminution des dépenses publiques, la justice est touchée par la conception managériale actuelle.
On lui demande tout à la fois d’être économe, rentable, efficace. Mais que signifie la mesure de l’efficacité d’une décision judiciaire à l’aune de la dépense publique ? Est-ce la rapidité, quand on connaît les atteintes aux droits causées par la multiplication des comparutions immédiates ?
Notre commission des lois a regretté une approche essentiellement quantitative.
Quand on parle de justice, on parle de situations humaines, individuelles, souvent complexes. L’efficacité n’est-elle pas précisément dans la prise en compte individualisée de ces situations ? Sur ce point, avec ce budget, le bât blesse !
L’augmentation de 2,2 % des crédits relatifs aux dépenses de personnel du programme « Justice judiciaire » est, pour une part, destinée à financer vos réformes, le recrutement de 380 salariés venant des études d’avoués et des mesures d’accompagnement de la réforme de la carte judiciaire.
Concernant le nombre de magistrats, la commission des lois a confirmé le risque de dégradation rapide due aux départs en retraite dans les années à venir. Pourtant, les places ouvertes aux concours d’entrée à l’École nationale de magistrature, l’ENM, diminuent chaque année.
De plus, on constate une volonté de recentrer le juge sur sa mission, qui est de dire le droit, et on oublie ainsi son rôle de régulateur social.
Les greffiers, quant à eux, ne peuvent attendre de ce budget les renforts nécessaires. L’embauche de 380 personnes venant des études d’avoués est loin du compte.
Les crédits du programme « Accès au droit et à la justice » connaissent une diminution de 27,65 millions d’euros pour l’aide juridictionnelle, alors qu’avec la crise le nombre des justiciables qui en ont besoin s’accroît.
Dans le même temps, la réforme de la carte judiciaire – qui, je le souligne, coûtera cher – éloignera les citoyens de leur justice. Je ne suis pas, bien évidemment, opposée au développement de techniques modernes, donc à la dématérialisation d’un certain nombre d’actes, mais on ne remplace pas un tribunal d’instance et la présence de juges par des bornes interactives ou par la visioconférence !
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais obtenir quelques précisions. J’ai appris que l’État rendait à la Ville de Paris des locaux actuellement utilisés pour accueillir les tribunaux d’instance dans les mairies d’arrondissement.
J’ai interrogé M. du Luart à ce sujet, mais sa réponse a été assez contradictoire. Monsieur le secrétaire d’État, l’objectif est-il ou non de supprimer ces tribunaux pour, le cas échéant, les concentrer au sein de la future cité judiciaire qui accueillera aux Batignolles le tribunal de grande instance de Paris ?
Les crédits du programme « Administration pénitentiaire » augmentent, quant à eux, de 9,58 %. Mme la garde des sceaux, lors de son audition par la commission des lois, a indiqué que la mise en œuvre de la loi pénitentiaire était une priorité de son ministère.
Le Gouvernement nous a fait débattre de ce projet de loi en urgence, l’hiver dernier, mais il ne l’a mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale que cet automne ! On peut donc s’interroger sur sa priorité, surtout au vu de son contenu, puisque ce texte est bien en deçà de la grande loi pénitentiaire attendue par les professionnels et les associations.
Ce manque d’ambition est perceptible dans le budget qui nous est proposé, les crédits allant principalement à la construction des nouvelles places de prison déjà prévues.
Les crédits accordés ne permettront pas l’amélioration des droits des détenus en prison, au regard du travail, par exemple, comme l’a dit le rapporteur.
Seulement 17,3 % des crédits seront consacrés à l’action « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », autrement dit à la maintenance et à l’entretien des bâtiments pénitentiaires, à l’accès aux soins, au maintien des liens familiaux ou encore aux activités de réinsertion, c’est-à-dire à tout ce qui fait l’objet de la loi pénitentiaire !
Il est également symptomatique que l’effort budgétaire consacré aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, soit bien en deçà des besoins avec260 emplois, comme Mme la garde des sceaux l’a dit lors de son audition.
Ce programme bénéficie, certes, de créations de postes, mais il en faudrait 1 200 pour les seuls nouveaux établissements qui, on le voit notamment avec la maison d’arrêt de Lyon-Corbas ouverte en mai dernier, posent de sérieux problèmes. Or, seulement 1 113 postes sont créés, il n’en restera donc pas pour d’autres établissements !
Si les nouvelles prisons offrent, bien sûr, un cadre décent, elles sont en revanche déshumanisées tant pour les personnels que pour les détenus, avec de nouvelles technologies se substituant à l’intervention des surveillants. Ainsi, de plus en plus de détenus demandent à retourner dans leur ancienne prison et, à Corbas, où la violence se développe, 25 % des surveillants étaient récemment en arrêt maladie ! La réforme prend pour modèle la prison américaine.
Le recours systématique aux partenariats public-privé pour la construction et la maintenance des lieux laisse une large latitude aux entreprises propriétaires des prisons pour réduire leurs coûts et augmenter leurs marges, ce qui augure peut-être des économies sur les conditions de travail des personnels et sur les conditions de détention !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est tout à fait exact !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les effets escomptés de l’affichage d’une loi pénitentiaire seulement destinée à nous conformer aux préconisations européennes ne sont pas à l’ordre du jour.
Quant au programme « Protection judiciaire de la jeunesse », ou PJJ, après une diminution de 2 % en 2009, ses crédits baissent encore en 2010 de 1 % !
La PJJ fait l’objet d’une réorganisation administrative visant à diminuer les emplois et à transformer les missions éducatives.
On nous dit qu’il devient difficile de recruter, ce qui expliquerait la présence d’un grand nombre de contractuels au sein de la PJJ. Les évolutions en cours ne sont pas particulièrement attrayantes !
Alors que la PJJ s’est construite depuis 1945 sur la double compétence civile et pénale, en se consacrant aux enfants en danger et aux enfants délinquants, l’orientation est à la spécialisation des missions des éducateurs vers les mineurs délinquants. Le budget de la PJJ donne ainsi priorité aux mesures judiciaires en direction de ces derniers, leur accordant 71,35 % de sa totalité, soit une augmentation de 13 %, contre seulement 9,26 %, soit une baisse de 50 %, pour l’enfance en danger ou les jeunes majeurs.
Cette séparation totalement artificielle entre enfants en danger et enfants délinquants a aussi des conséquences financières directes sur les départements.
Quid du Fonds national de financement de la protection de l’enfance créé par la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance pour compenser l’accroissement des responsabilités des départements en matière de protection sociale et d’aide sociale à l’enfance ?
Non seulement ce fonds n’est toujours pas doté, mais le décret d’application de la loi n’est pas paru, ce qui représente rien que pour cela, sur trois ans, 90 millions d’euros au détriment des conseils généraux !
L’État abandonne ses responsabilités, ce sont les départements qui en ont la charge. Nous avions dénoncé cette situation. Un rapport de la précédente défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, l’a confirmé. Il y a rupture de l’égalité devant la loi. Quand il n’existera plus de défenseur des enfants, cela ne se verra plus !
De plus, certains départements supportent des sujétions particulières en raison de la présence sur leur territoire d’aéroports et/ou de ports. Je pense au département de Seine-Saint-Denis avec Roissy, aux Bouches-du-Rhône avec Marseille et j’y ajoute Paris, où sont concentrés des jeunes en grande souffrance.
En réalité, les orientations de ce budget sont conformes à celles du Gouvernement en matière de justice des mineurs : la sanction doit désormais primer sur l’éducation et la prévention.
Plutôt que de décider l’affichage d’un couvre-feu pour les mineurs, le Gouvernement ferait mieux de se préoccuper d’un nombre suffisant de places en foyer pour les enfants en danger !
Le jour même où une responsable de la PJJ parisienne commettait un acte très grave – elle s’était jetée par la fenêtre – 43 enfants restaient en errance à Paris, sans foyer d’hébergement pour le soir même !
Avec ce budget, les juridictions vont continuer à manquer de moyens humains et matériels ; les détenus attendront pour le respect de leurs droits ; et les mesures d’éducation et de protection ordonnées par les juges des enfants attendront encore de longs mois leur exécution.
Vous comprendrez que nous nous prononcions contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, même si je connais depuis longtemps votre art de la dialectique, je me demande comment vous allez pouvoir défendre ce budget.
Pour ma part, je ferai sept observations en m’efforçant, monsieur le président, de respecter le temps qui m’est imparti.
M. le président. Je vous y aiderai !
M. Jean-Pierre Sueur. Merci, monsieur le président.
Premier point : les magistrats.
Vous allez nous dire que les effectifs sont inchangés.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Non, ils progressent !
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas, cela ne va pas durer !
Il est acquis que 205 magistrats prendront leur retraite en 2011, suivis de 198 autres en 2012. Or, le nombre d’auditeurs de justice qui sortiront de l’École nationale de la magistrature, l’ENM, ces mêmes années est, lui aussi, connu. Ils sont 160 cette année, ce qui correspond au nombre de postes ouverts au concours de 2007 ; mais ce nombre va beaucoup baisser en 2010 et en 2011, puisque vous n’avez offert que 60 places aux concours 2008 et 2009.
Ces deux prochaines années, il y aura donc 120 arrivées et 403 départs à la retraite de magistrats, ce qui montre bien que l’on s’oriente vers une réduction de leur nombre. Si j’ai tort, monsieur le secrétaire d’État, je vous saurais gré d’apporter les précisions nécessaires.
De plus, vous avez fait un véritable tour de passe-passe – ce qui n’est pas du meilleur effet pour le ministère de la justice – en nous laissant penser qu’il y aurait une augmentation du nombre de magistrats de 486 équivalents temps plein. Or, il n’a pas échappé à nos rapporteurs que vous avez réintégré dans votre propre budget 419 équivalents temps plein d’auditeurs de justice, qui relevaient auparavant du budget de l’ENM.
M. Richard Yung. C’est un scandale !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous comprendrez donc bien que nous ne soyons pas convaincus.
Deuxième point : les greffiers.
Comme M. Détraigne l’a rappelé avec éloquence, leur nombre insuffisant conduit, malgré le dévouement des personnels, à une « asphyxie progressive de l’institution », pour reprendre les termes de l’Union syndicale des magistrats. À ce sujet, l’USM cite les statistiques établies par la commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ. Selon ses calculs, il n’y a en moyenne que deux greffiers par magistrat en France – 2,4, a dit M. Détraigne – contre cinq en Espagne. En la matière, il faut s’inspirer des bons exemples européens !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Pour ce qui est des greffiers, vous ne manquerez pas de nous rappeler que 116 personnels de catégorie C sont reclassés en catégorie B. Dans le même temps, ce sont 36 postes d’encadrement et 394 postes de catégorie C qui disparaissent. Malgré toute votre dialectique, vous aurez du mal à nous démontrer que la situation va s’améliorer.
Troisième point : la carte judiciaire.
Mme Nathalie Goulet. Aïe !
M. Jean-Pierre Sueur. Mme Goulet sent que les choses vont se gâter, et elle a raison !
En 2007, Mme Dati déclarait ici même – nous nous en souvenons – …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui !
M. Jean-Pierre Sueur. … que, pour financer la carte judiciaire, il faudrait 900 millions d’euros.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, M. le secrétaire général du ministère a revu le chiffre à la baisse quelque temps plus tard. J’ai la faiblesse d’accorder plus de crédit aux propos de Mme la ministre qu’à ceux de M. le secrétaire général. C’est ma conception républicaine de l’État.
Pour justifier la modération des crédits prévus en 2008 ou 2009, Mme Rachida Dati nous avait aussi dit que l’essentiel de l’effort serait réalisé en 2010. Le budget pour 2010 prévoit au titre de la réforme de la carte judiciaire, cela ne vous aura pas échappé, monsieur le secrétaire d’État, 100 millions d’euros en autorisations d’engagement et 30 millions d’euros seulement en crédits de paiement.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous fais crédit du fait que ces 100 millions en autorisations d’engagement ne seront pas réduits au cours de l’année. Comme vous le constatez, je suis coopératif ! Et, si j’ajoute ce qui a été affecté au titre des deux dernières lois de finances, j’arrive à 190 millions d’euros.
Or, comme Mme Rachida Dati nous disait que les 900 millions d’euros du financement de la réforme de la carte judiciaire seraient répartis sur quatre exercices budgétaires, et que nous en sommes, s’il n’y a aucune réfaction cette année, à 190 millions d’euros affectés en trois ans, j’en conclus que les 710 millions d’euros de crédits restants figureront dans la loi de finances de l’année prochaine…
M. Richard Yung. Belle démonstration !
M. Jean-Pierre Sueur. Peut-être pourriez-vous vous engager sur ce montant ? A condition, bien sûr, que ce ne soit pas un engagement sans valeur !
Quatrième point : l’aide juridictionnelle.
Les discours sont très positifs à ce sujet ; mais les crédits, eux, sont négatifs. Je vous rappelle que le budget voté en 2009 pour l’aide juridictionnelle était de 320 millions d’euros. En 2010, il n’est plus que de 295 millions d’euros. Cela représente 25 millions d’euros en moins, soit 8 % de baisse.
L’USM, citant toujours le rapport du CEPEJ, rappelle que le Royaume-Uni consacre à l’aide juridictionnelle un budget annuel de deux milliards de livres sterling.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Mais ce n’est pas la même procédure !
M. Jean-Pierre Sueur. Cet effort est sans comparaison avec celui de notre pays. Or, monsieur le secrétaire d’État, votre administration dénombre régulièrement les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Ceux-ci étaient 831 000 en 2004 et 908 000 en 2009 ; ils seront, d’après vos prévisions, 935 000 en 2010.
Beaucoup de nos concitoyens étant victimes de la crise, du chômage, des difficultés de la vie, il est prévisible que la demande augmente encore. Comment pourrez-vous y faire face avec des crédits qui diminuent ? Vous le voyez bien, monsieur le ministre, le bilan est loin d’être positif.
Cinquième point : l’aide aux victimes.
À ce sujet, les discours sont particulièrement remarquables. Le Gouvernement nous dit : « Vous ne vous occupez pas des victimes. Nous, nous le faisons ! » Mais s’il en a vraiment l’intention, qu’il mette ses crédits en rapport avec ses déclarations !
Le budget de l’aide aux victimes est passé de 18 millions d’euros l’an dernier à 4 millions d’euros cette année. Apparemment, cette baisse serait liée à la prochaine mise en place, encore expérimentale, d’un juge délégué aux victimes, ainsi qu’à la nouvelle carte judiciaire. Vous aurez du mal à nous expliquer que cela justifie une division des crédits par 4,5.
Sixième point : l’accès au droit.
Là encore, les crédits de fonctionnement diminuent, passant de 2,2 millions d’euros à 0,8 million d’euros cette année.
Vous citez l’exemple du Loiret. Je tiens à dire que la directrice de la maison de la justice et du droit d’Orléans fait un travail remarquable, notamment en utilisant la vidéo pour permettre à des personnes situées à plusieurs dizaines de kilomètres de s’informer sans se déplacer. Selon vous, l’utilisation de la vidéo permet de réduire les dépenses de fonctionnement ; mais le malheur, monsieur le secrétaire d’État, c’est que l’inverse est vrai. Avec la vidéo, il y a beaucoup plus de consultations, ce qui donne aux agents un surcroît de travail. La baisse des crédits n’est donc pas justifiée.
Septième et dernier point : la protection judiciaire de la jeunesse.
Je remarque que les crédits de paiement que vous y consacrez baissent de 14 %, ce que vous aurez du mal à présenter comme une évolution « positive » !
Pour conclure, je souhaiterais attirer votre attention sur un fait étrange : les crédits du secrétariat général de votre ministère, qui s’élevaient à 11 millions d’euros en 2009, passeront à 244 millions d’euros en 2010. De surcroît, les crédits prévus pour le programme « Conduite et pilotage » du ministère de la justice augmenteront de 16 millions d’euros.
Alors qu’il y a tant de besoins, alors que tant de crédits finançant des missions essentielles sur l’ensemble du territoire sont en baisse, alors que vous demandez au personnel du ministère de la justice de faire plus avec moins de moyens, comment pouvez-vous justifier cette augmentation du budget de l’administration centrale ?
Voilà les raisons qui motivent notre vote contre votre budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dire que notre justice connait un certain malaise est une lapalissade !
Cette réalité constitue sans doute un symptôme des maux qui frappent notre société : remise en cause de l’autorité, radicalisation d’une frange désocialisée de la jeunesse, dégradation de la fonction de transmission de l’éducation nationale, désacralisation des institutions, perte du sens civique.
Or, il ne peut y avoir de démocratie sans justice, car celle-ci permet le règlement pacifique des différends tout en canalisant les pulsions naturelles de l’homme. Hélas, nos compatriotes semblent perdre de plus en plus confiance en leur justice, comme l’a montré une enquête d’opinion parue il y a quelques semaines, qui faisait état que près d’un Français sur deux doute de son indépendance. Cette défiance porte atteinte à la légitimité du travail des magistrats, auxquels je tiens d’ailleurs à rendre ici un hommage appuyé.
L’activisme législatif et l’instabilité chronique des normes de droit remettent incontestablement en cause la qualité de la justice. Notre Haute Assemblée vient de voter son quinzième texte de droit pénal en sept ans, et s’apprête à se saisir du seizième, le projet de loi sur la récidive. Nous débattrons au printemps de la suppression du juge d’instruction, sur laquelle il y aurait beaucoup à redire.
Notre droit de la garde à vue est aujourd’hui sérieusement remis en cause par la Cour européenne des droits de l’homme ; mon collègue Jacques Mézard avait d’ailleurs déposé une question orale avec débat sur ce sujet. L’état de nos prisons demeure « une honte pour la République », ainsi que le qualifiaient en 2000 le président Jean-Jacques Hyest et l’ancien président du RDSE Guy-Pierre Cabanel, malgré le vote de la loi pénitentiaire qui ne met pas de frein à la surpopulation carcérale.
C’est dans ce contexte difficile que nous est soumis le budget pour 2010 de la justice. Il nous est aussi agréable qu’à vous, monsieur le secrétaire d’État, de constater que ce budget progresse de 3,42 %, surtout dans le contexte financier actuel. S’agissant de son exécution, je remarque toutefois que le rythme de la régulation budgétaire – annulations et reports de crédits – ne faiblit pas, en dépit des recommandations générales de la Cour des comptes.
Cette hausse globale des crédits n’est également pas suffisante pour combler le retard qui est le nôtre sur le plan européen, tandis que le budget de la justice en Allemagne ou en Espagne est trois fois supérieur au nôtre à périmètre comparable. Le Conseil de l’Europe n’a pas manqué de stigmatiser cet écart, qui ne cesse de se creuser avec nos partenaires.
Il y a une certaine incohérence à vouloir, d’un côté, renforcer la sévérité de la justice en durcissant les peines et en aggravant les incriminations, alors que, de l’autre, nos prisons sont incapables d’accueillir dignement les détenus, ou encore à chercher à développer des mesures alternatives à l’enfermement sans y allouer les moyens nécessaires. Or la justice reste l’un des parents pauvres de la puissance publique malgré toute la bonne volonté de notre garde des sceaux.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples.
D'une part, le rapport Warsmann-Blanc sur les moyens de la justice et le suivi socio-judiciaire a montré que, onze ans après la création des médecins coordinateurs, près de 40 TGI, dans 17 départements, attendaient toujours l’affectation d’un seul de ces médecins. Or le projet de loi sur la récidive prévoit d’ores et déjà d’étendre un tel dispositif, mais sans y affecter les moyens corrélés. Comment comptez-vous remédier à une telle situation ?
D'autre part, l’ancien garde des sceaux expliquait que le Gouvernement tiendrait son ambitieux programme de réhabilitation et de construction d’établissements pénitentiaires, afin de parvenir à 62 000 places en 2012. Je conviens, comme beaucoup d’ailleurs, que la réalisation de ce programme constituerait une réponse positive au problème de surpopulation carcérale, dont le taux atteint aujourd'hui 120 %. Mais, compte tenu du rythme actuel des flux d’entrées, il faudrait plutôt 80 000 places en 2012.
Ces deux exemples illustrent les conditions très difficiles dans lesquelles les magistrats et tous les fonctionnaires de l’administration de la justice doivent travailler. Ce n’est donc faire preuve ni de démagogie ni de gabegie que de déplorer l’insuffisance des moyens en personnels. Certes, l’essentiel de la hausse des crédits constatée dans le budget 2010 sera absorbée par la création de 1 100 EPTP, dont 80 % seront affectés à l’administration pénitentiaire, qui en a bien besoin. Mais alors que 1 100 postes de conseillers en probation seraient nécessaires, seuls 262 sont créés !
Mon collègue Jean-Pierre Sueur l’a souligné tout à l’heure, le flux des sorties d’élèves de l’École nationale de la magistrature ne compensera plus les flux des départs à la retraite dès 2011.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Daniel Marsin. La création de 386 nouveaux postes de magistrat est largement obérée par la réintégration, dans le programme « Justice judiciaire », de 419 postes d’auditeur de justice auparavant affectés à l’École nationale de la magistrature.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un vrai tour de passe-passe !
M. Daniel Marsin. Par ailleurs, le nombre des personnels de greffe atteint un plancher record. Tout cela pose sérieusement la question de la qualité de notre justice.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Elle s’est améliorée !
M. Daniel Marsin. Le ratio entre le nombre des greffiers et celui des magistrats subit dans notre pays une dégradation continue depuis 1975, tandis qu’il est par exemple cinq fois plus élevé en Espagne.
La qualité de la justice, tant dans son accès que dans l’égalité des armes, devient de plus en plus préoccupante. La baisse de 25 millions d’euros des crédits affectés à l’aide juridictionnelle, alors que le nombre de bénéficiaires ne cesse d’augmenter, va complètement à contre-courant de la réalité. La situation perdure depuis 1991. Songeons que nous y affectons 320 millions d’euros, et le Royaume-Uni 2 milliards de livres ! La dégradation de la qualité de notre justice commence d’ailleurs à faire l’objet d’un examen attentif de la Cour européenne des droits de l’homme.
Je ne reviendrai pas sur le financement insuffisant de la réforme de la carte judiciaire, évoqué tout à l’heure par M. le rapporteur spécial, mais je ne saurais passer sous silence l’état des deux établissements pénitentiaires de Guadeloupe, Basse-Terre et Baie-Mahault, que j’ai eu l’occasion de visiter voilà quinze jours. J’ai ainsi pu constater que la vétusté des locaux, le manque de places et l’insalubrité étaient le quotidien des détenus et des personnels de l’administration pénitentiaire. Cette situation est non seulement inacceptable, mais surtout indigne de notre pays et de l’image qu’elle renvoie sur le plan international.
Le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, construit en 1996, a été ab initio sous-dimensionné en termes de capacité d’accueil. Aujourd’hui, 640 détenus s’entassent dans un établissement prévu pour 400 personnes, capacité à peine portée à 500 avec des aménagements de bric et de broc. Bien évidemment, par manque de moyens, il n’est pas question d’y différencier les longues et les courtes peines, les détenus en détention provisoire et les condamnés, voire les hommes et les femmes, et ce en violation flagrante du code de procédure pénale. Une telle promiscuité ne peut manquer de créer de graves problèmes de sécurité pour les détenus.
L’établissement de Basse-Terre est situé, quant à lui, dans un ancien couvent construit en 1664 qui n’a jamais bénéficié de travaux d’envergure. J’ai pu constater que des cellules de 10 mètres carrés accueillaient six à huit détenus, certains dormant à même le sol, alors que les normes européennes prévoient plutôt une cellule de 9 mètres carrés par personne. En l’espèce, chaque détenu dispose, en moyenne, d’un espace vital de 3,35 mètres carrés. De plus, le suivi sanitaire et médical s’avère très dégradé dans la mesure où – j’insiste sur ce point –les structures ad hoc dépendent du CHU de Pointe-à-Pitre, lequel n’engage pas les moyens matériels et humains nécessaires.
Les directeurs d’établissement se retrouvent ainsi contraints de délivrer des autorisations de sortie pour soins – 371 en 2008, soit 2 par jour ouvré – sans pouvoir garantir des conditions de sécurité optimales.
À ces conditions de détention contraires à la dignité humaine s’ajoute le manque criant de préparation à la sortie de prison. L’exemple probant du système carcéral canadien démontre que la sortie doit être préparée dès l’entrée du détenu, afin de donner toute sa dimension à la peine de privation de liberté. Malgré une proportion de 70 % de mineurs, aucun de ces deux établissements n’a prévu de programme d’insertion et de réinsertion.
Monsieur le secrétaire d'État, je sais que des projets de réhabilitation ont été annoncés. Je souhaiterais donc que vous puissiez nous assurer qu’ils seront bien adaptés à la situation que je viens de décrire.
Au moment où le Président de la République souhaite faire entrer Albert Camus au Panthéon, je rappellerai cette citation extraite de ses Carnets : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » Monsieur le secrétaire d'État, j’écouterai vos réponses avec un grand intérêt ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et de l’Union centriste.)