Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Permettez-moi tout d’abord, madame la ministre, de vous présenter mes félicitations pour votre promotion, qui vous mettra mieux à même de peser sur les arbitrages budgétaires. Même si un rattachement au Premier ministre eût été selon nous plus pertinent, c’est déjà un élément très intéressant pour l’outre-mer.
Au début de l’année 2009, nos compatriotes d’outre-mer défilaient nombreux dans les rues, criant leur mécontentement et, parfois, leur désespoir. Par la puissance et la durée de leur mobilisation, ils ont réussi à forcer l’écoute du Gouvernement.
Au bout du compte, après plusieurs semaines de manifestations menées dans un climat parfois quasiment insurrectionnel, des protocoles d’accord ont pu être signés, et le Gouvernement a pris un certain nombre de décisions. Il a ainsi avancé le débat sur la LODEOM, que nous avons votée dans l’urgence. Cependant, je constate, madame la ministre, que nous attendons toujours la mise en œuvre des mesures présentées comme des leviers du développement, donc de l’emploi, pour l’outre-mer, telles la défiscalisation du logement social ou les zones franches d’activité. Qu’en est-t-il, par ailleurs, de l’aide au fret et du fonds exceptionnel d’investissement, également censés encourager le développement endogène de l’outre-mer ?
Le Gouvernement a en outre mis en place un complément de revenu, le RSTA, pour faire suite aux accords sur les salaires signés avec les collectifs. Vous savez, madame la ministre, quelles inquiétudes suscitait l’article 11 de ce projet de loi de finances pour 2010, qui prévoyait d’imputer le RSTA sur le montant de la prime pour l’emploi. Je suis heureux que votre décision de supprimer une telle disposition ait permis de satisfaire, à la toute dernière minute, l’amendement que j’avais déposé en ce sens, lequel est donc devenu sans objet.
Par ailleurs, plusieurs rapports ont été rédigés sur les questions ayant déclenché les conflits sociaux, à savoir la vie chère et le prix des carburants. De son côté, le Sénat, alerté par les événements, a adopté, dans un esprit constructif et consensuel, un rapport sur la situation des départements d’outre-mer, qui dresse un état des lieux sans concession et formule 100 propositions fortes et concrètes.
Dans le même temps, pour répondre à l’ampleur de la crise, le Président de la République a lancé les états généraux de l’outre-mer.
Aussi est né en outre-mer, après le tumulte et l’investissement de tant d’hommes et de femmes, un immense sentiment d’espoir. Pourtant, les difficultés n’ont fait que s’aggraver, car l’arrêt durant plusieurs semaines de toute une économie déjà fragile n’est pas sans conséquences : mon collègue Claude Lise en a déjà fait largement état.
C’est dire avec quelle attention nous attendions tous les décisions du premier conseil interministériel de l’outre-mer et avec quel intérêt nous avons étudié le projet de budget de la mission « Outre-mer » pour 2010, qui devait, selon nous, traduire les aspects financiers de ces décisions ! Quels ne sont pas aujourd’hui, madame la ministre, notre étonnement et notre déception devant le caractère pusillanime de votre projet de budget !
En vérité, le premier CIOM a présenté un nombre important de mesures, qui recoupent largement, pour les départements d’outre-mer, les 100 propositions réunies dans le rapport d’information sénatorial. Cependant, les deux recueils de conclusions du conseil interministériel de l’outre-mer ressemblent davantage à des synthèses programmatiques qu’à des relevés de décisions. Ils ne prévoient que rarement les modalités de mise en œuvre des mesures préconisées et ne comportent que de très rares évaluations des coûts et aucun échéancier.
Quant aux crédits de la mission que nous sommes invités à examiner aujourd’hui, ils ne traduisent en aucune façon les engagements annoncés et ne permettront pas de répondre à la gravité de la crise économique et sociale des collectivités d’outre-mer.
On aurait pu penser, madame la ministre, qu’il en serait autrement, puisque le budget de la mission « Outre-mer » augmente de 6,4 % en autorisations d’engagement et de 6,3 % en crédits de paiement, et continue à afficher pour priorités, comme l’an dernier, l’emploi et le logement. Mais l’essentiel de cette hausse, à concurrence de 80 %, réservé à l’action « abaissement du coût du travail », qui est destinée à compenser des exonérations de charges patronales, ne permet de couvrir que les impayés de l’État à l’égard des organismes de sécurité sociale. Cette dotation budgétaire ne suffira pas à enrayer l’accroissement de la dette de l’État, qui devrait s’élever, à la fin de l’année 2009, à 609 millions d’euros pour les quatre départements d’outre-mer.
Les crédits consacrés au SMA, le service militaire adapté, augmentent également, mais insuffisamment pour répondre à l’engagement présidentiel de doubler, en trois ans, le nombre de jeunes bénéficiant de ce dispositif, même en tenant compte de la réduction de la durée du service. Le passage de celle-ci de douze mois à huit mois, voire à six mois, pour des raisons budgétaires, risque de se traduire par une dégradation de la qualité de la formation.
Nous resterons donc vigilants quant à l’évolution de ce dispositif, qui demeure la mesure phare du Gouvernement pour favoriser l’emploi des jeunes outre-mer, d’autant que la situation de l’emploi s’est de nouveau fortement dégradée au cours du deuxième trimestre de 2009 et que les crédits en faveur des contrats aidés, qui sont maintenant intégrés à la mission « Travail et emploi », subissent cette année encore une baisse importante, de l’ordre de 748 millions d’euros.
Quant aux crédits consacrés à l’autre priorité de cette mission, à savoir le logement social, ils sont pour le moins décevants !
Les documents budgétaires font apparaître, à première vue, une augmentation de 2 % des crédits de paiement de la ligne budgétaire unique. Mais, en réalité, les crédits de la LBU stricto sensu diminuent de 1,7 million d’euros. Les sommes inscrites sont de toute façon insuffisantes pour faire face aux besoins considérables de nos collectivités. Bien sûr, ils sont abondés cette année pour permettre de réorienter la défiscalisation locative vers le logement social, mais j’émets de fortes réserves sur l’efficacité de ce dispositif très complexe issu de la LODEOM, car non seulement les textes réglementaires permettant son application ne sont toujours pas publiés, mais ce système, véritable usine à gaz, engendre une forte évaporation fiscale. Je note également que les organismes de logement social, déjà en difficulté, devront absorber, en 2010, la dette contractée par l’État, qui s’élèvera alors à 17 millions d’euros. Dans ces conditions, madame la ministre, comment comptez-vous relancer le logement social outre-mer et favoriser la résorption de l’habitat insalubre ?
À l’instar de nombreux observateurs, je suis convaincu que, comme le montre une étude de la Cour des comptes, seule une augmentation importante des crédits de la LBU permettrait de répondre à moindre coût aux enjeux du logement social. La LBU doit rester le socle de l’aide publique au logement social outre-mer.
Des crédits supplémentaires en faveur du logement social, de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 6 millions d’euros en crédits de paiement, ont bien été votés à l’Assemblée nationale en seconde délibération. Même s’il faut s’en féliciter, ces sommes sont encore très insuffisantes pour compenser l’énorme retard de nos collectivités en la matière.
Avant de conclure, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur un sujet très préoccupant, qui, selon moi, présente un caractère d’extrême urgence.
La crise économique et sociale que connaissent nos territoires ne pourra être résolue si on laisse de côté ce vecteur essentiel de croissance pour l’outre-mer que sont les collectivités locales. Celles-ci traversent actuellement une crise sans précédent. Les communes d’outre-mer, en particulier, sont très affectées par l’effondrement de leurs recettes d’octroi de mer après les conflits sociaux de ce début d’année. Elles ne pourront supporter, en l’état, les nouvelles restructurations budgétaires prévues dans ce projet de loi de finances. Leurs marges de manœuvre sont souvent inexistantes. Aujourd’hui, la commande publique est en panne et les plans de relance sont hypothéqués, faute de financements propres. Cette situation appelle des réponses urgentes et d’exception. Pourtant, je n’ai entendu aucune annonce particulière, que ce soit de la part du CIOM ou d’une autre instance, susceptible de leur apporter un peu d’oxygène.
Circonstance aggravante, M. le ministre chargé du budget a repoussé avant-hier un amendement que j’avais déposé, qui reprenait la proposition n° 20 du rapport d’information sénatorial et visait à assainir la situation des communes d’outre-mer, en permettant l’annulation de leurs dettes sociales tout en encadrant le dispositif.
Madame la ministre, vous qui connaissez très bien l’outre-mer, estimez-vous normal que l’on puisse verser aux communes d’outre-mer le même montant de DGF qu’aux communes équivalentes de l’Hexagone, sans tenir compte des réalités spécifiques de l’outre-mer ? Pourquoi ne pas augmenter la DGF des communes d’outre-mer d’une part d’« ultrapériphéricité » ? Ce ne serait que justice !
Sur ce point comme sur les autres, je veux croire, madame la ministre, que vous ne resterez pas sourde à nos appels ! À l’instar de toutes les populations d’outre-mer, nous avons beaucoup attendu de ce projet de budget, mais, telle sœur Anne, nous n’avons rien vu venir… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, malgré la crise, qui risque de perdurer jusqu’en 2011, l’effort budgétaire et financier de l’État au profit des outre-mer reste soutenu : pour 2010, l’ensemble des crédits dédiés représente 17,2 milliards d’euros, dont 3,6 milliards d’euros de dépenses fiscales, en augmentation de 4 %.
Au sein de cet ensemble, les crédits spécifiques de la mission « Outre-mer » s’élèvent à 2 milliards d’euros, soit une hausse de 6,2 %, mais ne représentent que 12 % de l’enveloppe globale. Toutefois, il convient de noter qu’avec 15,5 % des crédits budgétaires, elle constitue la deuxième mission budgétaire de l’État en faveur de l’outre-mer.
Pour Mayotte, le budget pour 2010, qui s’élève à 560,9 millions d’euros, correspond à une transition entre deux statuts, marquée pour les Mahorais par quatre préoccupations fortes : mener à terme le processus institutionnel en cours ; améliorer la situation budgétaire et financière des collectivités territoriales ; soutenir la politique de rattrapage économique, social et culturel amorcée dès 2008 ; enfin, renforcer le statut européen de Mayotte.
S’agissant du processus institutionnel en cours, on sait que la loi organique du 3 août 2009 a créé le département de Mayotte, création qui sera effective en avril 2011, à l’issue du renouvellement de l’organe délibérant.
En 2010, le pacte pour la départementalisation de Mayotte prévoit l’adoption des lois ordinaires de départementalisation, à savoir une loi électorale, qui devra préciser la composition et le mode d’élection de la future assemblée unique du département, et une loi institutionnelle, qui définira l’organisation administrative ainsi que les modalités de transfert des compétences et des ressources du département et des communes. Nous nous réjouissons, madame la ministre, de savoir que le Parlement sera saisi du projet de loi électorale avant mars 2010. Qu’en est-il des autres textes ?
S’agissant de la situation budgétaire et financière des collectivités territoriales de Mayotte, la chambre territoriale des comptes de Mayotte la qualifie de « très dégradée », eu égard aux nombreux déficits constatés et, en premier lieu, à celui du conseil général, évalué d’abord à 72,4 millions d’euros, puis à 92,4 millions d’euros.
Le plan drastique de redressement sur trois ans préconisé est certes salutaire, mais son application ne peut que conduire à la détérioration du climat social, qui serait préjudiciable à l’image du futur département de Mayotte. Les 75,3 millions d’euros de crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » constituent une bouffée d’air, mais ne peuvent, à eux seuls, résorber les déficits. C’est pourquoi il me paraît souhaitable d’accompagner l’effort de maîtrise des dépenses des collectivités par l’octroi d’une subvention exceptionnelle, éventuellement complétée par des recours à l’emprunt.
Cette situation ne rend que plus impérieuse la nécessité de réaliser les travaux préalables à la mise en place de la fiscalité locale en 2014. Dans ce domaine, en effet, s’il apparaît que les travaux d’adressage avancent – même si ce n’est pas aussi vite que nous l’aurions souhaité –, tant pour ce qui a trait au numérotage et à la dénomination des rues que pour l’état civil, dont les moyens ont été accrus, il semble qu’il n’en aille pas de même pour les travaux d’évaluation. À ce jour, le travail entamé dans ce domaine n’offre aucune lisibilité, qu’il s’agisse des crédits mobilisés ou du calendrier d’achèvement des travaux d’évaluation de la valeur locative des logements et des parcelles.
S’agissant du soutien à la politique de rattrapage économique, social et culturel de Mayotte, le pacte prévoit, pour 2010, la mise en œuvre d’un plan de revalorisation de l’allocation spéciale de vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés, à hauteur de 25 % de leur montant national sur cinq ans. Or, les crédits correspondants ne sont pas inscrits dans ce projet de loi de finances, ni dans la mission « Outre-mer » ni dans le programme n° 157 « Handicap et dépendance » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir éclairer les Mahorais sur ce point.
Par ailleurs, je me réjouis de constater que 40 % du budget de Mayotte est consacré à l’enseignement scolaire. Toutefois, dans ce domaine, les crédits les plus significatifs sont ceux qui sont affectés aux constructions scolaires pour le premier degré, en cohérence avec l’objectif de l’ordonnance du 21 décembre 2007, à savoir garantir l’accueil en maternelle, en 2010-2011, de tous les enfants de trois ans. Or ces crédits, d’un montant de 5 millions d’euros, ne permettent que d’absorber la poussée démographique, sans résorber le déficit antérieur en salles de classe. De ce fait, les classes élémentaires et maternelles continueront d’alterner, matin et après-midi.
Je note toutefois avec satisfaction que, suite aux mesures annoncées par le Président de la République le 6 novembre dernier, la dotation spéciale de construction sera renforcée par la création, dès 2010, d’un fonds d’aide à l’équipement communal. Afin d’alimenter ce fonds, vous avez obtenu, madame la ministre, 123 millions d’euros au titre de ce projet de loi de finances pour 2010, crédits qui seront notamment consacrés à la construction d’écoles et de logements sociaux en Guyane et à Mayotte.
Je voudrais cependant préciser que l’objectif pour Mayotte est double dans le domaine de l’enseignement : il s’agit, d’une part, de compléter le financement des chantiers en cours pour la prochaine rentrée, et, d’autre part, de préparer l’avenir, en disposant de ressources suffisantes et pérennes pour financer un plan de construction scolaire étalé sur plusieurs années, propre à la fois à résorber le déficit antérieur en matière de salles de classe et à absorber la poussée démographique, de manière à parvenir à une situation normale, où chaque maître pourra accueillir ses élèves dans sa propre classe.
Je me réjouis également de constater que l’exécution du contrat de projet 2008-2014 s’améliore en 2009, après un démarrage laborieux en 2008, année où, comme vous le savez, le taux d’exécution n’était que de 11,3 %. Ainsi, les crédits prévus pour 2010, d’un montant de 82 millions d’euros, permettront notamment de lancer les travaux de pose de câbles sous-marins de communication pour l’accès au haut débit et à la TNT vers 2011. Parallèlement, le choix des candidatures pour la mise en concession de l’aéroport de Pamandzi est arrêté, ce qui autorise à penser que les délais de livraison de l’aérogare en 2012 et de la piste longue en 2015 pourront être respectés.
Je déplore que, pour l’application de la LODEOM, l’absence de mesures réglementaires bloque l’aide au fret, le projet initiative-jeune et l’extension du champ de compétence de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, l’ANAH, à Mayotte ; en revanche, je salue la décision de compléter par une circulaire le décret en Conseil d’État portant réglementation des prix des produits de première nécessité outre-mer.
En outre, je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir indiquer aux Mahorais où en est l’élaboration des ordonnances relatives à l’action sociale et à la constitution de droits réels sur le domaine public de l’État, visées au 1° du I de l’article 72 de la LODEOM. De plus, pour examiner les conditions et les modalités d’application des deux décrets relatifs à la zone dite des cinquante pas géométriques du 9 septembre 2009, je propose l’envoi d’une mission de l’Inspection générale d’administration, l’IGA, à Mayotte, comme ce fut le cas aux Antilles pour la loi de 1996. Par ailleurs, il me paraît urgent de mettre en place les plans de prévention des risques naturels, les PPR, en lieu et place de l’actuel atlas du Bureau de recherches géologiques et minières, qui, comme vous le savez, est dépourvu de toute valeur juridique et réglementaire. Ces PPR sont mieux à même de préciser, in fine, les zones à risques de glissements de terrains et de chutes de blocs et d’entraîner l’inscription des crédits correspondants au programme n° 181 de la mission « Écologie, développement et aménagement durables ».
S’agissant enfin du renforcement du statut européen de Mayotte, madame la ministre, les Mahorais vous sont reconnaissants pour votre forte mobilisation sur ce dossier, notamment lors de la XVe conférence des présidents des régions ultrapériphériques. Le principe de transformation du statut européen de Mayotte de PTOM en RUP semble acquis, sous réserve de l’évolution du droit interne de notre île. Un des signes forts de cette évolution réside dans la parution, avant la réunion du 5 mai 2010, de l’ordonnance visée au 1° du I de l’article 72 de la LODEOM, relative à la suppression de la justice cadiale et de la tutelle matrimoniale, au relèvement de l’âge du mariage des filles, ainsi qu’à l’égalité de l’homme et de la femme devant la succession.
Ainsi, Mayotte, figurant en bonne place dans le document conjoint des États comptant des RUP, sera au rendez-vous du débat sur le devenir de l’octroi de mer et des négociations sur la prochaine programmation des fonds structurels européens, avec le nouveau « pôle outre-mer » au sein de la représentation permanente de la France à Bruxelles.
Pour conclure, je rappelle que le pacte propose aux Mahorais de construire la première étape de la départementalisation de Mayotte sur vingt-cinq ans, avec pour objectifs l’égalisation progressive des droits sociaux, le rattrapage progressif des standards métropolitains en matière d’infrastructures et d’équipements collectifs, ainsi que l’amélioration des conditions de vie, de santé et d’éducation de la population.
Dans cette perspective, on le voit, ce ne sont pas uniquement les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2010 qui doivent préparer cette départementalisation de Mayotte, mais l’ensemble des instruments financiers déjà mobilisés et ceux qui sont appelés à l’être pour la période, à savoir le Fonds exceptionnel d’investissement créé par la LODEOM, le Fonds de développement économique, social et culturel prévu par le pacte pour 2011, la dotation spéciale de construction scolaire, renforcée par la création, dès 2010, du Fonds d’aide à l’équipement communal issu des états généraux de l’outre-mer, les fonds européens et, pourquoi pas, une part du grand emprunt national qui pourrait être affectée au soutien aux collectivités territoriales d’outre-mer.
Pour accompagner Mayotte et les autres collectivités d’outre-mer dans la voie que les unes et les autres ont choisie au sein de la France, je sais pouvoir compter sur vous, madame la ministre. C’est pourquoi je voterai sans hésitation votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, de ce projet de budget pour 2010 de la mission « Outre-mer », on a déjà dit tout et son contraire.
Ceux qui comptent voter pour saluent l’avancée que constitue la création du RSTA et excusent la faiblesse de certaines lignes budgétaires par les effets de la crise économique mondiale, la fragilité des finances de l’État ou le caractère récent des décisions du conseil interministériel de l’outre-mer.
Ceux qui comptent voter contre dénoncent un projet de budget en trompe-l’œil, où les prétendues augmentations servent à combler des retards de paiement de l’État à la sécurité sociale – les compensations d’exonérations de charges sociales augmentent de 12 % – et aux bailleurs sociaux, sans pour autant annuler la dette.
En fait, s’agissant des vrais enjeux, comme la formation, le logement ou la coopération régionale en matière économique, les efforts ne sont toujours pas à la mesure des défis à relever dans les outre-mer.
Comment comprendre, par exemple, que les crédits de l’action « insertion économique et coopération régionales » du programme 123 diminuent de 3,5 %, alors que le Président de la République, lors du conseil interministériel de l’outre-mer, a présenté l’insertion régionale comme un axe de travail privilégié ? Les dix mesures annoncées dans ce chapitre du CIOM seraient-elles purement symboliques ?
En réalité, que l’on vote pour ou contre ce projet de budget, force est de constater l’écart frappant entre l’acuité des besoins, hautement médiatisés en 2009, et la vigueur des promesses faites au plus haut niveau, d’une part, et, finalement, la faiblesse des traductions opérationnelles, notamment budgétaires, de celles-ci, d’autre part.
Je crois, pour ma part, qu’il faut sortir, pour l’analyse de ce projet de budget, de la simple dialectique du verre à moitié vide et du verre à moitié plein. Nous n’en sommes plus là ; nous n’en sommes même plus à devoir souligner, selon le point de vue adopté, ce que l’outre-mer coûte à la République en transferts sociaux et en dépenses fiscales ou ce qu’il lui rapporte en termes de biodiversité, de richesses marines ou de captation de carbone. Ces guerres de positionnement relèvent désormais d’un autre temps.
En effet, depuis le vote du budget de 2009, il y a eu cette crise sociale sans précédent, qui a culminé en Guadeloupe et à la Martinique en janvier 2009, après avoir commencé en Guyane et à la Réunion en novembre 2008, et qui a levé le voile sur des réalités scandaleuses, parfois inconcevables, pourtant désormais indiscutables.
Ensuite, il y a eu le vote de la LODEOM, en mai 2009, prétendument destinée à apporter les mesures de sortie de crise, car il fallait agir en « pompier », disait le ministre de l’époque en engageant les sénateurs à travailler jour et nuit dans l’urgence… Or on attend toujours les décrets d’application les plus importants de cette loi d’urgence !
Enfin, il y a eu le rapport de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, en juillet 2009, puis les états généraux de l’outre-mer, en octobre 2009, sans oublier le conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009, qui devait apporter les mesures de fond, en vue d’un renouvellement radical dans la manière d’aborder le développement des outre-mer.
Et alors ? Comme diraient les enfants chez nous : « Tout ça pour ça ! »
Le premier acte fort du Gouvernement, après tous ces bouleversements, le dernier de l’année 2009, le plus symbolique de sa politique, le plus significatif de ses priorités, se résume à ajouter quelques milliers d’euros par-ci et à en retrancher quelques autres par-là.
Le Gouvernement a même voulu reprendre d’une main ce qu’il avait donné de l’autre en imputant le RSTA sur la prime pour l’emploi. Il a fallu toute la pugnacité des parlementaires pour que, finalement, il recule au Sénat, de peur, sans doute, de nouveaux soulèvements dans les DOM.
Dans de telles conditions, quelle est la crédibilité des engagements annoncés par le Gouvernement ? C’est là, pour moi, la question fondamentale que soulève ce projet de budget : celle de la sincérité des démarches engagées – et elles ont été nombreuses en 2009 – pour que de « nouvelles relations » s’établissent entre l’État et les territoires ultramarins, pour qu’une « nouvelle page s’ouvre » dans notre histoire commune – je ne fais que citer le Président de la République et ses ministres. Or, finalement, on découvre un document budgétaire qui conserve l’esprit du précédent, celui de l’ancien régime, pourrait-on dire, eu égard à la quasi-révolution annoncée…
Ce projet de budget met également en question la fiabilité des promesses du Gouvernement sur un problème aussi sensible que celui de la continuité territoriale. Si le discours d’un ministère varie à chaque changement de personne, comment, finalement, se fier à la parole de quiconque ?
Enfin, ce projet de budget amène à s’interroger sur l’opérationnalité des décisions annoncées après un an de travaux, d’inspections, de missions, d’études, de rapports, de débats, sans que les moyens nécessaires, ne serait-ce que pour l’ingénierie « préparatoire » à l’exécution de ces décisions, aient été budgétisés, alors que tout le monde sait à quel point le Gouvernement, quand il le veut vraiment, peut prendre des mesures budgétaires d’anticipation.
Par exemple, madame la ministre, les postes des trois « commissaires au développement endogène », celui du conseiller du pôle outre-mer à Bruxelles ou encore ceux des cinq hauts fonctionnaires chargés de la cohésion sociale et de la jeunesse sont-ils créés et budgétisés ? Ces personnes auront-elles les moyens de travailler ? Ou bien s’agira-t-il de déshabiller Pierre pour habiller Paul, dans le cadre d’un système à moyens constants ?
Par ailleurs, comment seront financés les nouveaux dispositifs annoncés par le CIOM pour lutter contre l’illettrisme, créer les internats d’excellence, développer les dispositifs Erasmus régionaux ou encore l’assistance technique aux collectivités locales ?
S’agissant plus particulièrement de la Guyane, où sont les moyens dégagés pour la cour d’appel de plein exercice de Cayenne et le tribunal de grande instance de Saint-Laurent-du-Maroni, seules mesures acceptables afin d’instaurer une justice équitable dans cette région et pour la mise en œuvre desquelles les avocats se sont à nouveau mis en grève ?
Par une cruelle ironie de l’actualité, la Guyane est paralysée depuis ce matin par la fermeture de deux ponts, points névralgiques de communication entre l’île de Cayenne et le reste de la région : c’est une façon de rappeler des retards infrastructurels encore patents. Comment gérer ces urgences ?
La réponse à toutes ces questions ne se trouve pas dans ce projet de budget, déjà obsolète si l’on considère les objectifs affichés par le Président de la République, à moins de convenir que tout ne démarrera qu’en 2011, voire en 2012, voire après les prochaines crises sociales…
Madame la ministre, mes chers collègues, ma critique n’est pas une négation de tout le chemin parcouru en 2009 en termes de prise de conscience et de changement d’approche des problèmes des outre-mer. Sans conteste, on peut dire que 2009 aura été l’année d’un regard neuf sur les outre-mer. Mais sans traduction concrète, sans moyens effectifs, sans renouvellement des organisations, les bases du changement seront vite sapées, tant les problèmes restent aigus sur le terrain.
Un système de santé au standard des pays développés, des logements décents pour tous, des résultats scolaires normalisés, un taux d’activité et d’emploi équivalent à celui de la métropole, des économies locales compétitives grâce aux atouts propres des territoires, des moyens supplémentaires pour les collectivités locales afin de leur permettre de continuer à stimuler les investissements : voilà l’horizon de nos luttes, voilà les défis pour l’outre-mer ! Quand allons-nous vraiment commencer à les relever ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)