M. Hubert Haenel. , président de la commission des affaires européennes. Le panache gascon !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation dans laquelle nous nous trouvons est quelque peu irréelle.
D’un côté, certains éléments suscitent un enthousiasme formidable pour l’Europe. Ne l’oublions pas, les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont fini par ratifier le traité de Lisbonne : qui aurait cru cela possible il y a encore quelques mois ? En outre, pour la première fois, le Parlement européen comprend des représentants de vingt-sept pays. Enfin, au cours de sa présidence de l’Union européenne, la France a montré que cette dernière pouvait empêcher le développement de conflits militaires, comme en Géorgie, et permis à l’Europe de tenir un rôle majeur au sein du G 20 lors de la crise mondiale. Tout cela pourrait nous amener à penser que nous sommes sortis d’une époque où l’Union européenne se consacrait davantage à son organisation institutionnelle qu’au traitement des vrais dossiers.
D’un autre côté, cependant, la Commission a publié, avant finalement de le retirer, un curieux document prévoyant que serait envisagé, le 24 novembre, l’abandon de politiques européennes auxquelles nous tenons !
Notre présent débat, qui fait suite à un travail remarquable de M. le rapporteur spécial, nous amène à réfléchir sur la participation de la France au budget des Communautés européennes, qui ne me paraît pas à la mesure de l’ambition que nous pouvons avoir pour l’Europe, comme l’a souligné M. le président de la commission des affaires européennes.
Faut-il, pour autant, retomber dans le scepticisme ? Non ! C’est au contraire le moment de se battre – et nous comptons sur vous pour cela, monsieur le secrétaire d’État – pour créer la dynamique que nous appelons tous de nos vœux. En effet, nous devons faire partager une formidable ambition. Le traité de Lisbonne confère aux Parlements nationaux, ainsi d’ailleurs qu’au Comité des régions, plus de pouvoirs, met l’accent sur l’application du principe de subsidiarité et, surtout, instaure un président de l’Union et un haut représentant pour les affaires étrangères et pour la politique de sécurité : ces éléments doivent nous inciter à faire des propositions et à aller de l’avant.
En matière budgétaire, personne ne conteste que la croissance, l’emploi, la lutte contre le réchauffement climatique, l’énergie et les transports soient de grandes priorités. Mais faut-il, pour autant, démanteler, comme l’a dit M. Haenel, des politiques importantes, qui devraient au contraire être valorisées dans la mesure où le traité de Lisbonne a posé le principe de la cohésion territoriale ? Celle-ci concerne certes d’abord les régions ou les pays les plus en difficulté, les plus pauvres en termes de PIB, mais également l’ensemble des États membres, dont la France, étant donné que tous connaissent de vrais problèmes en la matière, eu égard notamment à la situation des zones de montagne.
Il nous appartient donc de rappeler que nous ne saurions accepter un démantèlement de la PAC, qui est tout de même la seule grande politique commune. On dit qu’elle coûte cher, mais on oublie de souligner que, dans une large mesure, les États ne financent pas directement ce secteur. Nous sommes bien sûr partisans de la stratégie de Lisbonne, axée sur la compétitivité et la recherche, mais, dans ces domaines, la contribution des États est plus importante que celle de l’Union européenne : il faut donc comparer ce qui est comparable.
Nous avons besoin de la PAC ! À ce propos, il est heureux que M. le ministre de l’agriculture ait réussi à faire reconnaître la nécessité d’une régulation des marchés agricoles, en particulier de celui du lait, les producteurs étant actuellement plongés dans une profonde inquiétude, et que 300 millions d’euros de crédits aient pu être débloqués pour faire face à cette crise : cela montre bien que c’est à l’échelon européen que peuvent être traités les problèmes d’une agriculture dont on redécouvre soudain toute l’importance pour répondre aux besoins de la planète et garantir la sécurité alimentaire. Les contraintes imposées à nos agriculteurs représentent une sécurité pour les consommateurs.
Il ne faut donc surtout pas tirer un trait sur la PAC, même si elle doit, bien entendu, être réformée pour prendre en compte les impératifs du développement durable. À cet égard, une chose est sûre : sans agriculture, il n’y aura pas de développement durable ! La nature a besoin d’être protégée, et les agriculteurs sont ses premiers défenseurs. Des efforts doivent être consentis en faveur de l’agriculture biologique et de l’identification des produits. On ne peut envisager de renoncer à la PAC sous le prétexte fallacieux qu’elle coûterait cher !
Il en va de même pour ce qui concerne la cohésion territoriale : à l’heure où l’Europe s’est fixé un objectif en la matière, comment pourrait-on renoncer à ce principe et supprimer les actions financées au titre de l’objectif 2 ? La contradiction serait totale ! Supprimer un certain nombre de programmes constituerait-il un signal positif adressé aux citoyens de l’Europe ? Est-ce là le meilleur moyen de leur faire aimer l’Europe et de leur donner l’envie de croire en la construction communautaire ? Promouvoir la cohésion territoriale est donc important au regard à la fois du développement et du projet européen.
La politique de voisinage présente également un intérêt primordial. Alors que la France a lancé, avec génie, l’Union pour la Méditerranée, projet qui, à mon sens, doit mobiliser toutes nos énergies, et que nous prenons nettement conscience que l’avenir même de l’Europe est lié à la situation de ses voisins, il serait pour le moins incohérent de tirer un trait sur la politique de voisinage. Peut-être faut-il aujourd'hui la redéfinir, pour passer d’un système de négociations bilatérales à une conception plus régionale, centrée par exemple sur la Méditerranée, la mer Noire et la Baltique, mais elle permet d’ouvrir des perspectives.
Ces grandes politiques ne doivent donc pas être abandonnées, mais alors comment faire ? Il est vrai que se pose le problème du budget, mis en exergue par M. le rapporteur spécial : en l’absence de véritables ressources propres, l’Union européenne dépend en réalité des contributions des États membres. On peut envisager la création d’un impôt européen, comme semble l’avoir fait la coalition au pouvoir en Allemagne, mais, en tout état de cause, sans doute conviendrait-il de sortir du système actuel, quelque peu dangereux dans la mesure où il conduit à établir des comparaisons entre contribution versée et crédits européens obtenus. De tels calculs nous éloignent de l’idéal européen ! En particulier, nous devrions en principe bientôt sortir du système du « chèque britannique », dont le coût s’élève à quelque 5 milliards d’euros, le cinquième de cette somme étant à la charge de la France.
Il me semble donc que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ouvre une période nouvelle. La disparition des dépenses obligatoires et le renforcement du rôle du Parlement européen doivent nous inciter à être extrêmement vigilants. Dans cette perspective, nous devons resserrer nos liens avec les députés européens, ainsi qu’avec le Comité des régions. Il importe d’exercer une influence afin que l’analyse des problèmes ne soit pas bornée par des a priori.
Donnons à l’Europe les moyens d’être présente dans les débats mondiaux et d’atteindre ses grands objectifs : le développement harmonieux des territoires, d’abord en son sein mais aussi dans les ensembles géographiques voisins, l’emploi et la paix. L’élargissement de l’Union européenne posera des problèmes difficiles. Je ne pense pas uniquement, à cet instant, à la Turquie, comme pourrait le faire soupçonner ma qualité de président du groupe d’amitié sénatorial France-Turquie : la situation dans les Balkans, notamment, indique que l’Europe doit rester un facteur de paix, comme elle a pu l’être sous la présidence française. C’est à cette condition que l’Europe pourra répondre à l’attente, qui manque encore d’enthousiasme à mes yeux, de sa jeunesse.
Au-delà des comptes d’apothicaire, parfois nécessaires, il est indispensable d’atteindre des équilibres de civilisation et de nous projeter dans l’avenir, comme nous y ont invités MM. Haenel et Badré, pour participer à ce qui peut être une aventure humaine exceptionnelle : faire en sorte que l’Europe soit source de prospérité, de paix et de cohésion. Je conclurai en vous remerciant, monsieur le secrétaire d’État, pour l’eurokit ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes censés voter le prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes, soit 18,15 milliards d’euros. En réalité, et je ne suis pas seule à l’avoir constaté, les ressources propres sont considérées comme transférées obligatoirement, sans que cela nécessite une quelconque autorisation parlementaire. Il s’agit là d’une conception de la démocratie un peu particulière…
J’évoquerai en préambule l’insuffisance du budget européen. En effet, comment 122,9 milliards d’euros pourraient-ils permettre de financer les actions communautaires dans vingt-sept pays membres pour faire face aux défis sociaux, économiques et environnementaux de la construction européenne ? Cette question va de pair avec celle du rôle que joue aujourd'hui l’Union européenne, dont l’action principale porte sur la dérégulation des droits nationaux, alors même qu’elle devrait se construire autour de la notion d’un intérêt général communautaire vecteur de progrès social partagé. Nous déplorons depuis de nombreuses années cet état de fait.
Je vais pousser plus loin notre analyse en examinant d’abord le cadre des relations financières, puis le contenu même du budget de l’Union européenne.
En ce qui concerne le cadre des relations financières, le fait que le budget communautaire soit de plus en plus financé par ce que l’on appelle la recette RNB, c'est-à-dire par les contributions des États membres, nous paraît préoccupant.
Mes chers collègues, permettez-moi une digression concernant l’augmentation, cette année, de la contribution RNB de la France. Le rapporteur spécial de l’Assemblée nationale a trouvé une explication logique à cette évolution : « La France en effet verrait sa part dans le PNB communautaire s’accroître en 2009 en raison de sa plus grande résistance à la crise économique. »
Selon ce raisonnement, notre pays serait donc financièrement pénalisé pour la qualité de ses services publics –dont l’utilité est reconnue en période de crise, puisque ce sont eux qui ont permis à la France de mieux résister –, et ce alors même que les injonctions de l’Union européenne vont conduire à les démanteler. On marche sur la tête !
Cela étant, je reviens à l’objet principal de mon propos : l’absence d’autonomie financière de l’Union européenne.
Le système actuel de financement, pérennisé par la décision du 7 juin 2007, est largement critiqué. Il comporte beaucoup de failles et s’est éloigné de l’esprit des traités fondateurs, qui prévoyaient d’abonder le budget européen par le biais de ressources propres et non par des contributions prélevées sur les budgets nationaux.
Or la part des ressources propres traditionnelles et de la TVA diminuent en faveur de la contribution RNB, qui est calculée au prorata du PNB des États membres et qui représente en effet près de 70 % des contributions des États membres.
Actuellement, les prélèvements communautaires s’apparentent donc bien plus à un système de contributions budgétaires qu’à un transfert de produit fiscal spécifique aux Communautés.
Dans ce cadre, il est regrettable, mais bien naturel, que les États membres ne perçoivent le budget communautaire que comme une bourse d’échanges, a fortiori si les actions financées par le budget s’apparentent à du saupoudrage. Les calculs comptables des dépenses des États membres et des retours nationaux contreviennent pourtant à la recherche d’intérêts communs.
En conséquence, l’absence de volonté des institutions européennes de trouver de nouvelles ressources budgétaires autonomes est d’autant plus préoccupante.
Sans parler d’un véritable pouvoir fiscal élargi, il est urgent d’engager un débat sur la possibilité pour l’Union de dégager des ressources nouvelles. À ce titre, la proposition du gouvernement autrichien de taxer les transactions financières pourrait constituer une piste intéressante à approfondir.
J’en viens maintenant au projet de budget général de l’Union européenne.
Compte tenu des derniers arbitrages du 18 novembre, celui-ci est doté de 112,9 milliards d’euros. Sur cette somme, seuls 2,4 milliards d’euros seront consacrés au plan de relance, et ce alors même que ce sont 1 700 milliards d’euros qui ont été déployés pour venir au secours des banques !
Une conclusion s’impose : confrontée à cette crise qui touche tous les pays, l’Union européenne ne met en œuvre aucune stratégie pour en sortir. Elle organise même sa propre incapacité d’intervention, laissant au final, et comme toujours, la régulation aux seules mains des marchés financiers. À ce titre, les efforts de régulation au sein du G20 sont bien faibles au regard des enjeux d’assainissement de la sphère financière.
Nous restons donc bien dans le cadre d’une Europe des marchés et de la finance, où les maîtres mots sont « concurrence libre et non faussée »
D’ailleurs, c’est ce que prévoit le fameux traité de Lisbonne adopté à votre grand soulagement par l’Irlande, au prix d’un nouveau vote. N’oubliez pas pourtant que notre peuple l’avait rejeté il y a quatre ans. Vous devez en tenir compte !
Ce modèle libéral, qui devait apporter richesse, prospérité et croissance par la saine émulation de la concurrence libre et non faussée, n’a pas tenu ses promesses. La libéralisation de l’ensemble des activités relevant de l’intérêt général, les privatisations en chaîne, la marchandisation des savoirs et des connaissances ont conduit à la crise sans précédent que nous traversons aujourd’hui.
En effet, l’abandon de la puissance publique au dogme du « tout-marché », caractérisé notamment par l’indépendance de la BCE, a ouvert la porte à tous les reculs que nous connaissons : démantèlement des systèmes sociaux nationaux, mise en place des mécanismes de dumping sociaux et environnementaux.
Alors que va se tenir dans quelques jours le sommet de Copenhague, nous tenons à réaffirmer que la protection de la planète passe par le renforcement des maîtrises publiques, en particulier dans le secteur des transports et de l’énergie. Mais de cela, il n’est point question au sein des institutions européennes.
La crise aurait pu et aurait dû être l’occasion pour l’Union européenne de promouvoir un autre modèle économique, social, écologique et d’apparaître enfin pour les peuples européens comme une protection contre les ravages d’un système capitaliste financiarisé à l’extrême. Mais tant la faiblesse de ce budget que les options idéologiques qu’il traduit ne permettront de répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.
S’agissant des dépenses en faveur de la politique de cohésion, nous ne pouvons comprendre que l’agenda de la politique sociale de l’Union ne soit financé qu’à hauteur de 176 millions d’euros. C’est en outre, et c’est un comble, le budget le moins bien réalisé, puisque, sur l’année pleine de 2008, 85 % seulement des crédits de paiement ont été engagés.
Il convient de souligner, à l’instar du Parlement européen, le retard pris dans la mise en œuvre des programmes relatifs à la politique de cohésion, qui devrait pourtant être le cœur de l’action européenne.
Pour ce qui concerne les dépenses de gestion des ressources naturelles, la nécessaire réforme de la PAC, qui représente encore aujourd’hui 45 % du budget, se réalise au prix d’une déréglementation sauvage que combattent légitimement les producteurs laitiers, pour prendre cet exemple. D’ailleurs, ce ne sont pas les 300 millions d’euros engagés à la dernière minute qui répondront au problème de fond que représente la suppression des quotas laitiers. L’agriculture nécessite plus que jamais une régulation pour éviter la spéculation, la baisse des prix et la dépendance alimentaire.
Pour les actions relevant de l’espace « Liberté, sécurité et justice », les crédits sont marqués par une progression de plus de 160 % entre 2007 et 2013. Ce sont les seuls crédits qui augmentent de manière exponentielle chaque année. Nous voyons donc bien la priorité sécuritaire qui se dégage de ce budget et des politiques menées.
Nous pensons que d’autres priorités auraient dû s’imposer au sein de ce budget et que, en tout état de cause, ce type de politique doit reposer sur le respect de la dignité et des droits de migrants, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Comme les années précédentes, le budget octroyé aux actions extérieures reste dérisoire et s’inscrit en baisse. Cela confirme bien que l’Union européenne n’est pas prête à s’imposer comme un acteur mondial sur la scène internationale.
En définitive, cette année, comme les précédentes, il ne nous est pas soumis un projet de budget à même de permettre à l’Union de financer des politiques communes ambitieuses et solidaires.
M. Pierre Fauchon. C’est vrai !
Mme Marie-France Beaufils. Nous défendons, pour notre part, une Europe de la justice sociale et écologique, une Europe de la solidarité entre les peuples. Le prélèvement européen soumis à notre approbation ne correspond nullement, ni dans son montant ni dans sa destination, à l’Europe progressiste que nous appelons de nos vœux. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du groupe CRC-SPG ne peuvent l’approuver.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je ne peux m’empêcher de constater en montant à cette tribune qu’il y a beaucoup plus de monde dans cet hémicycle pour débattre de La Poste que de l’Europe. Le XIXe siècle pèse ici plus lourd que le XXIe siècle…
Mme Nicole Bricq. On peut faire les deux ! Nous sommes là !
M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ce chapitre budgétaire, si formel soit-il étant donné nos engagements, n’en est pas moins l’occasion pour moi de vous livrer deux réflexions, l’une portant sur les recettes et donc les moyens financiers de l’Union, l’autre s’attachant aux dépenses, c’est-à-dire aux actions que l’Union peut conduire compte tenu de ses faibles ressources.
Ma première réflexion porte sur les moyens de l’Union. Il ne faut pas se lasser de le rappeler – Mme Beaufils ne s’en est d’ailleurs pas privée, à juste titre –, ceux-ci sont extraordinairement limités, puisqu’ils représentent 1 % du PNB européen, chiffre d’ailleurs sacralisé en dépit du développement progressif des compétences de l’Union. Précisons que, pour plus de 80 %, ces ressources sont « ristournées » aux États membres, soit par le biais de la PAC, soit sous la forme de ces aides à la cohésion dont a si bien parlé Jacques Blanc.
Le budget véritablement « communautaire » au plein sens du terme, celui de fonctionnement de l’Union, de la recherche, des politiques de sécurité et de maîtrise de l’immigration, est réduit à la portion congrue, sans aucun rapport avec l’ampleur des responsabilités correspondantes. Cela met en lumière, s’il en était besoin, et il en est besoin ! , non seulement l’inconséquence, mais également, il faut le dire, l’inconscience des dirigeants européens.
Puisque l’année 2010 doit marquer l’engagement de réflexions approfondies sur les finances de l’Europe, il est permis de souhaiter une meilleure prise de conscience des enjeux, que le contexte de crise et de mondialisation rend encore plus évidents, et de l’opportunité de revenir à la conception originelle des ressources budgétaires qui les faisait procéder non de contributions nationales nécessairement mal supportées, mais d’un système fiscal réellement européen.
Ma seconde réflexion, qui porte sur l’utilisation de ce budget, du moins pour la faible partie réellement opérationnelle, me retiendra davantage. Elle débouche sur une constatation dont on ne sait si elle doit faire rire ou pleurer.
On sourira en constatant qu’il est bien normal que l’Europe coûte si peu, puisqu’elle ne sert pas à grand-chose...
Force est de constater en effet que, depuis le double élargissement des compétences et du nombre d’États membres, l’Europe s’enlise dans des recherches, des analyses, des palabres interminables, qui ne débouchent en définitive sur aucune action concrète authentiquement commune, mis à part le marché commun, en lui-même passif et donc peu coûteux, et la PAC, qui nous est chère.
La « comitologie, »…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Oh là là !
M. Pierre Fauchon. … la production d’innombrables Livres verts et de quelques directives ou décisions-cadres très rarement transposées et effectivement mises en œuvre ne coûtent pas trop cher. Est-ce une consolation ?
Qui s’en réjouira, en dehors de quelques-uns ? Il y en a très peu parmi nous qui croient encore que les échéances du XXIe siècle peuvent être abordées par les Européens en ordre dispersé, comme s’il ne s’agissait pas de la survie même de nos économies, de notre indépendance et de la vitalité de notre civilisation, pour reprendre le terme employé par Jacques Blanc.
Au début du XXe siècle, ceux qui étaient au collège à cette époque s’en souviennent (Sourires), on désignait la Turquie comme « l’homme malade de l’Europe ». Au début du XXIe siècle, ne nous le dissimulons pas, c’est l’Europe elle-même qui est l’homme malade, atteinte d’une maladie de langueur.
Faut-il pour autant désespérer ? Je suis de ceux qui ne le pensent pas, car la création d’une Europe unie est une mutation à la hauteur des plus grands bouleversements, de ceux qui modifient l’histoire de l’humanité, qui mettent des décennies à se développer et qui mobilisent plusieurs générations.
L’avenir reste donc ouvert, en dépit d’une actualité décevante. La présidence française de l’année dernière a bien montré en quelques mois que l’Europe n’était pas incapable de se réveiller, de se rassembler et de faire la preuve de sa capacité à agir.
Deux voies sont ouvertes.
La première est celle de la mise en œuvre du traité de Lisbonne, qui devrait incontestablement améliorer la gouvernance de l’Union. Il ne manque cependant pas d’observateurs pour dire que l’essentiel dépendra du choix des hommes et des femmes. À cet égard, les choix effectués la semaine dernière permettent de douter, sinon des capacités des personnes, que nous ne connaissons pas, du moins de l’ambition « européenne » des membres du Conseil.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Non, il s’agit de bons choix !
M. Pierre Fauchon. Puisque M. Haenel nous le dit, je suis tout disposé à le croire. Ne préjugeons donc pas de l’avenir.
Souvenons-nous que, bien souvent, l’accès à des responsabilités exceptionnelles révèle des capacités inattendues. Paul-Henri Spaak, Denis Badré l’a évoqué, n’était pas une grande célébrité.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. C’est vrai !
M. Pierre Fauchon. Un exemple encore plus évident est celui de Robert Schuman. Ceux qui, comme moi, l’ont connu savent qu’on lui aurait donné deux sous dans la rue, si j’ose dire.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Il n’était pas médiatique !
M. Pierre Fauchon. C’est vrai ! Et M. Monnet était surtout connu comme négociateur en cognac !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. N’oublions pas Jacques Delors !
M. Pierre Fauchon. Or nous les considérons aujourd’hui comme les pères de l’Europe. Soyons donc confiants.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Exactement !
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Pierre Fauchon. L’autre voie, très attentivement explorée par notre commission des affaires européennes, est celle des « coopérations spécialisées » : si nous ne pouvons tous ensemble engager des actions cohérentes et efficaces – cependant opportunes et nécessaires –, que ceux qui sont disposés à les engager n’hésitent pas ; ils apporteront ainsi la preuve de leur faisabilité et leur exemple entraînera les autres. C’est ainsi que l’on « désenlisera » l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Pierre Fauchon. Il est temps, grand temps d’ériger en règle d’or le fait que la liberté de chacun des Vingt-sept de refuser de s’engager dans telle ou telle action concrète ne l’autorise aucunement à empêcher les autres de le faire.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Aujourd’hui, c’est l’inverse. On aura fait un sérieux progrès le jour où l’on aura admis l’importance de ce principe.
M. Pierre Fauchon. Nous souhaitons, monsieur le secrétaire d’État, que la France s’engage dans ce sens afin que la faculté d’empêcher cesse de l’emporter sur la volonté de créer. Ce sera le meilleur moyen de prolonger la remarquable politique conduite en quelques mois par la France au cours du second semestre de 2008. En coopération avec nos amis Allemands, nous avons fait alors une démonstration qui reste tout à la fois un exemple et une raison de ne pas désespérer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur spécial, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de saluer M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général qui sont intervenus au début de cette discussion.
Je crois que c’est Philippe Marini qui tout à l’heure regrettait qu’il n’y ait pas assez de contacts entre l’exécutif et le législatif pour parler de ces sujets. Vous avez vu que, pris entre mes obligations à l’égard du Président de la République - le conseil des ministres avait lieu ce matin à dix heures - et la convocation de la conférence des présidents – je n’ai pas hésité une seule seconde !
En tant que vieux parlementaire mon devoir était d’être parmi vous.
Mme Nicole Bricq. Pas vieux, non, chevronné !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. C’est donc avec joie que je viens dialoguer, et avec beaucoup de plaisir, aussi, parce que les débats du Sénat sont toujours de très haute tenue et de grande qualité.
Après une introduction assez rapide, je répondrai aux questions - certaines me semblent fondamentales - que vous avez soulevées.
Ce matin, j’ai l’honneur de vous présenter le fameux article 33 du projet de loi de finances dans le cadre de la discussion budgétaire générale, unique article qui définit le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes, aujourd’hui de l’Union européenne.
Permettez-moi de commencer cette partie de mon intervention en saluant l’accord dégagé par la présidence suédoise au conseil ECOFIN du 18 novembre entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission sur le budget communautaire de 2010.
Le budget 2010 s’élève à 122,9 milliards d’euros en crédits de paiement, et intègre, en particulier, le financement de l’aide d’urgence pour l’agriculture, qui s’élève à 300 millions d’euros, et le financement de la tranche 2010 du plan de relance européen, qui s’élève à 2,4 milliards d’euros sur un total de 5 milliards d’euros.
Le budget 2010 prévoit également une enveloppe de 25 millions d’euros pour le Conseil européen, afin de permettre à cette nouvelle institution de faire face très rapidement à ses missions. Il réserve en outre un montant de 75 millions d’euros pour le démantèlement des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Kozlodouï, en Bulgarie, dont vous connaissez tous l’état préoccupant.
Cet accord politique, qui doit désormais être définitivement adopté par le Parlement européen, lors de sa session plénière de décembre, est très proche de la proposition initiale de la Commission européenne, qui proposait un budget autour de 122,3 milliards d’euros.
Pour revenir au présent projet de loi de finances, je tiens à souligner que notre débat de ce matin est tout à fait essentiel. Comme le disait Philippe Marini, c’est l’un des rares moments dans l’année où le Gouvernement et le Parlement peuvent échanger sur le budget européen. En l’occurrence, mais vous l’avez tous noté, le moment est d’autant plus crucial que nous en arrivons à une première étape dans la discussion des futures perspectives financières.
Derrière l’austérité apparente des chiffres se cachent en effet des enjeux absolument fondamentaux pour notre pays, pour l’équilibre géographique des politiques communautaires. En somme, il s’agit de savoir ce que nous voulons faire de l’Europe, et combien cela nous coûtera.
La question du budget communautaire ne saurait, bien entendu, se résumer à la seule arithmétique et à la double question du « qui gagne quoi » et du « qui paie quoi », and give me my money back, à la façon de Mme Thatcher. Non, il s’agit bien d’une question de fond.
Ce budget, il faut le rappeler, couvre un certain nombre de dépenses essentielles pour l’Europe, mais aussi pour nous, Français.
Je citerai en premier l’agriculture durable et de haute qualité, qui est l’un des grands avantages comparatifs de l’Europe dans le monde. Elle constitue un outil stratégique face à la mondialisation et aux enjeux liés au réchauffement climatique, en particulier pour la France, dans l’organisation de son territoire.
Nous avons tous un objectif de sécurité alimentaire pour les cinq cents millions d’Européens que compte l’Union. Nous avons également un souci d’équilibre de nos territoires respectifs.
Le maintien de cette politique agricole commune, la PAC, est aujourd’hui compromis, du fait de l’effondrement des marchés sectoriels, mais aussi parce qu’un certain nombre d’États ont décidé de ne plus financer cette politique au-delà de 2013. Ce sera l’un des enjeux absolument capitaux, en termes politiques et stratégiques, des mois et des années qui viennent.
Nous y travaillons d’ailleurs collectivement. Le ministre de l’agriculture organise à Paris, à la mi-décembre, une réunion des vingt-deux ministres qui soutiennent encore la PAC, réunion qui donnera, je l’espère, un signal politique fort en vue de la discussion des perspectives financières.
Ce budget sert également la cohésion économique, sociale et territoriale des régions européennes, notamment de nos régions. Les dépenses de cohésion bénéficient à la France à hauteur de 15 milliards d’euros sur la période 2007-2013. Vous avez été un certain nombre, monsieur le président de la commission, monsieur Blanc, monsieur Sutour, à dire combien il était important de conserver cet outil de cohésion régionale tant en France qu’en Europe.
Ici encore, mon rôle consiste à vous dire la vérité. Beaucoup de gouvernements considèrent que les grands pays riches n’ont désormais plus le droit de bénéficier de ce type de fonds, et il y aura là aussi une question très difficile à aborder dans la discussion des perspectives financières.
Je veux évoquer une troisième catégorie de dépenses essentielles, celles qui sont liées à l’action extérieure de l’Europe, qui va prendre, à partir du 1er décembre et de la mise en œuvre du traité de Lisbonne, une dimension nouvelle.
L’Europe dispose désormais d’une Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui a été désignée le 19 novembre dernier. L’Europe est donc désormais dotée du plus grand service diplomatique du monde, soit 3 000 personnes réparties entre la Commission, le Conseil et les États membres.
Le budget pour ce dispositif, monsieur de Montesquiou, suscite déjà une tension avec le Parlement européen, qui exige naturellement la communautarisation de l’ensemble. Or il est hors de question de communautariser, puisque, par définition, le Haut Représentant est à la fois le représentant du Conseil et le vice-président de la Commission. Dans l’esprit des institutions, ce service d’action extérieure, même s’il a pour but de coordonner l’action de l’Union, doit demeurer en synergie avec les États. En tirant à la communautarisation via le budget, vous déséquilibrez le système. Elmar Brock, l’auteur du fameux rapport, avec qui je me suis entretenu l’année dernière, en convient d’ailleurs.
Nous devons trouver le bon équilibre et admettre – je m’adresse ici aux parlementaires que vous êtes – que le Parlement européen ne pourra pas abandonner les compétences budgétaires qu’il exerce déjà dans certains domaines de la politique étrangère de l’Union.
Le budget européen servira aussi à ce qu’on appelle, pudiquement, les « dépenses d’avenir » ; c’est la question du fameux 1 % soulevée par Mme Beaufils fort justement et, plus généralement, de l’établissement d’un impôt européen.
Parmi les « dépenses d’avenir », il en est de très importantes. Le traité de Lisbonne communautarise l’énergie, l’immigration, des programmes de recherche dans beaucoup de domaines, ITER en France, à Cadarache, mais aussi Galileo.
Beaucoup de grands dossiers technologiques du futur relèveront de l’Europe, d’où le débat entre ceux qui veulent financer « l’économie d’hier », autrement dit l’agriculture, et ceux qui préfèrent donner la priorité aux projets de « demain », c’est-à-dire la haute technologie. Il faudrait trouver un équilibre entre les deux, la France et l’Europe ayant un intérêt stratégique fondamental à promouvoir aussi bien l’agriculture que les hautes technologies.
Tel est, brossé à grands traits, l’arrière-plan de notre débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le monde tel que nous le connaissons aujourd'hui devrait être peuplé de huit à neuf milliards d’êtres humains dans vingt-cinq ans ; certaines puissances émergentes – je pense à l’Inde – sont d’ores et déjà fortes d’un milliard et demi d’habitants. Les dossiers qui nous attendent sont tous transnationaux – négociations commerciales, crise financière, climat. Voilà pourquoi nous pouvons au moins être sûrs d’une chose : aucun pays européen, grand ou petit, ne peut gérer ce monde-là tout seul.
Donc, quand nous parlons du budget européen, nous parlons de l’instrument qui nous permet de peser à l’échelle mondiale, nous, c’est-à-dire l’Europe, avec ses cinq cents millions d’Européens et un tiers du PIB de la planète.