M. Jean-Pierre Sueur. Et pourtant, c’est cela, la réalité !
Au prochain fait divers, au prochain acte de violence, imagine-t-on le Président de la République venir annoncer sur le perron de l’Élysée : « Françaises, Français, nous allons faire une nouvelle loi pour mettre fin à ces actes de violence intolérables » ?
Non, vraiment, monsieur le secrétaire d’État, il faut que le Gouvernement se concerte. Ce sera très utile pour la République !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Sueur, le mieux est l’ennemi du bien.
Vous avez beau développer vos arguties avec le talent qui est le vôtre, votre description du travail des sociétés de surveillance, et des dérives dramatiques vers une situation de non-droit qui ne manqueraient pas de résulter du présent texte, m’a paru totalement déconnectée de la réalité.
Il y aura bien une concertation interministérielle, notamment avec le ministère de l’intérieur, mais pour déterminer précisément le contenu du décret.
C'est la raison pour laquelle je ne sollicite aucun délai supplémentaire sur ces amendements identiques, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 36.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 2 bis, à l’amendement n° 19, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
«, lorsque les immeubles ou groupes d'immeubles collectifs à usage d'habitation dans lesquels ils assurent les fonctions de gardiennage ou de surveillance sont particulièrement exposés à des risques d'agression ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 2 bis ouvre la possibilité à des agents de surveillance et de sécurité de porter des armes.
Nous sommes absolument opposés à une telle mesure, qui n’a d’autre objet que de permettre une privatisation partielle des missions de sécurité notamment dévolues à l’État.
En l’occurrence, la confusion des genres est patente : rien ne justifiera que des agents de surveillance et de sécurité puissent porter des armes, si ce n’est leur simple volonté !
Vous évoquiez la loi de 1983, mais je vous rappelle que c’est tout de même la liberté de porter des armes qui a conduit à l’augmentation catastrophique des crimes racistes et sécuritaires à l’origine de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, dont le slogan était : « Arrêtez la chasse, nous ne sommes pas du gibier ». On le voit bien, ce port d’arme est très dangereux.
Il convient donc qu’un contrôle soit opéré, puisqu’il ne s’agit pas, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, de simplement utiliser des bâtons de type tonfa. La manœuvre va bien plus loin.
Aussi, il importe de subordonner l’autorisation du port d’arme à l’existence d’un risque.
Ce risque est simple à déterminer : nous avons vu, dans le passé, des agents de sécurité se faire attaquer sans pouvoir se défendre. Dans ce cas-là, il existe un risque, et nous ne pouvons le nier.
Je vous propose donc, par cet amendement, de subordonner une autorisation de port d’arme à un risque établi d’agression possible.
L’autorisation de port d’arme ne saurait être un blanc-seing donné à la privatisation des missions de sécurité, venant appuyer la démarche du Gouvernement qui consiste à sommer la police de faire, chaque année, plus avec moins !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’exposé des motifs pourrait m’amener à exprimer de nombreuses réserves, mais le texte de l’amendement me paraît intéressant. Il correspond d’ailleurs à l’intention exprimée, à l’Assemblée nationale, par l’auteur de l’amendement dont est issu cet article.
La commission émet donc un avis favorable. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ainsi, nous débutons la soirée dans un consensus parfait !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement était a priori plus réservé.
En effet, la référence au risque particulier d’agression pouvant évidemment stigmatiser un certain nombre de territoires, l’appréciation du préfet nous paraissait plus appropriée.
Cela étant, après avoir écouté la commission, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'autorisation mentionnée à l'alinéa précédent ne peut faire l'objet d'aucune délégation. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit du caractère nominatif de l’autorisation de port d’arme.
Les services de surveillance et de sécurité dont il est question sont, en général, non pas créés par la copropriété, mais assurés par des entreprises sous-traitantes ; c’est d’ailleurs le cas pour près de 50 % des ceux qui existent à Paris.
L’article 2 bis prévoit une autorisation nominative. Cependant, qu’adviendra-t-il si le titulaire de l’autorisation n’exerce pas lui-même les missions prévues ? Ce n’est pas là un cas d’école.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de préciser non seulement que l’autorisation est nominative, mais aussi qu’elle ne peut faire l’objet d’aucune délégation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est contradictoire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La précision visée par l’amendement n’apportant rien de nouveau, elle paraît inutile : l’autorisation de port d’arme relève du pouvoir de police administrative du préfet et elle est, à ce titre, nominative. Elle ne peut pas faire l’objet d’une délégation. Le Conseil d’État est vigilant, et sa jurisprudence, constante.
En outre, la rédaction serait source de difficultés si l’on en faisait une interprétation a contrario.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 9
1° Au début de cet alinéa, insérer une phrase ainsi rédigée :
Les agents des personnes morales prévues à l'article 11-5 doivent être identifiables.
2° Remplacer les mots :
les agents des personnes morales prévues à l'article 11-5
par le mot :
ils
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit ici du caractère identifiable des agents.
Le risque encouru par la création de véritables milices privées est celui d’une confusion des genres, que j’ai évoquée précédemment, entre agents de surveillance et police nationale.
Nous savons très bien que ce risque est probable. C’est d’ailleurs pourquoi il est prévu, dans cet article, que les tenues ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des agents de la police nationale.
Cependant, les garanties apportées par l’article contre une telle confusion sont légères.
Tout d’abord, il n’est pas écrit explicitement que les agents doivent être identifiables. C’est pourtant un point important, car l’absence d’une telle précision signifie qu’ils pourront être en civil.
Ensuite, le dernier alinéa de l’article prévoit de manière expresse la possibilité de dispenser les agents du port de la tenue et de la carte professionnelle, ce qui est un comble ! Nous reviendrons sur ce point à l’occasion de l’amendement suivant.
À ce stade, nous vous proposons d’inscrire dans la loi que les agents habilités sont identifiables. Cet ajout évitera que les tenues ne soient de nature à créer une confusion, que ce soit avec la police ou, simplement, avec les habitants du quartier.
Cette disposition permettra de beaucoup mieux reconnaître les agents de surveillance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Même si l’on peut considérer que l’obligation de porter une tenue et une carte professionnelle répond déjà à l’obligation que vous souhaitez inscrire dans la loi, la précision apportée par l’amendement n’apparaît ni inutile ni redondante. Aussi, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je m’apprêtais à m’en remettre à la sagesse du Sénat pour les raisons que vient d’évoquer M. le rapporteur, mais, pour ces mêmes raisons, j’émettrai un avis favorable !
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à supprimer l’exonération du port de la tenue.
Nous avons bien conscience du fait que la mode est actuellement à la privatisation, mais, lorsque l’on touche aux missions fondamentales, la confusion des genres peut avoir des conséquences très graves.
Nous ne voyons aucune raison qui puisse justifier la possibilité, pour des agents de surveillance, de ne pas porter une tenue spéciale ni leur carte professionnelle, comme je l’ai dit précédemment.
Il est étonnant que, au sein de ce même article, l’accent soit d’abord mis sur l’absence de confusion entre agents de sécurité et agents de police pour, ensuite, autoriser cette confusion, voire l’encourager.
Nous avons toutes les raisons de craindre que ces dérogations ne portent en elles des risques d’excès.
Ainsi, les agents de sécurité pourraient se prendre pour des agents de police, alors qu’ils n’en ont ni la formation, ni l’expérience : ce serait leur donner un pouvoir trop important.
En outre, les dérogations risqueraient de se banaliser.
Ces agents ne doivent pas se substituer à la police nationale dans la mission de sécurisation des quartiers. Ce n’est pas leur rôle et ils ne sont pas formés pour cela. Le maintien de la paix et de la sécurité publiques reste une mission régalienne de l’État.
Ne prenons pas le risque de voir ces agents se substituer peu à peu à notre police ! Cela pourrait satisfaire le ministère de l’intérieur, mais la police nationale est avant tout une police républicaine, avec une tradition, une déontologie et, surtout, une hiérarchie. Il serait intolérable de la « court-circuiter » dans ses missions en recourant à des substituts privatisés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’alinéa prévoyant que, dans des cas exceptionnels définis par décret en Conseil d’État, les agents de surveillance peuvent être dispensés du port de la tenue, est calqué sur les dispositions relatives au service de sécurité de la RATP et de la SNCF.
On peut imaginer que les solutions prévues pour certains agents peuvent être adaptées à d’autres.
Dans certaines hypothèses, il paraît légitime de prévoir qu’un agent de surveillance ou de gardiennage peut être dispensé du port d’une tenue spéciale.
Je me propose de solliciter l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je ne suis pas insensible à l’argumentation de Mme Alima Boumediene-Thiery. Le sujet mérite quelques précisions.
Tout d’abord, la matière relève non de la loi mais du décret, en l’occurrence un décret en Conseil d’État.
Certains agents de la SNCF ou de la RATP sont affectés à des missions de sécurité. Il ne faut pas s’interdire d’emblée et complètement cette possibilité de dispense de port de la tenue pour des interventions très clairement délimitées et exceptionnelles.
Je suis à 99 % d’accord avec vous, madame Boumediene-Thiery, mais, me référant expressément à ces entreprises très républicaines que sont la SNCF et la RATP - même si personne n’est exempt de critique -, j’estime qu’il faut maintenir cette possibilité pour en user dans le cadre très strict que je viens de rappeler.
Votre amendement est pertinent. Néanmoins, le Gouvernement est défavorable en considération de ces cas très exceptionnels.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2 bis, modifié.
(L'article 2 bis est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 14° des articles 222-12 et 222-13, il est inséré un 15° ainsi rédigé :
« 15° Par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
2° Après le 9° de l’article 311-4, il est inséré un 10° ainsi rédigé :
« 10° Lorsqu’il est commis par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
3° L’article 312-2 est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Lorsqu’elle est commise par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
4° Après le 5° de l’article 322-3, il est inséré un 6° ainsi rédigé :
« 6° Lorsqu’elle est commise par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée. » ;
5° (Supprimé)
6° L’article 431-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’infraction définie au premier alinéa est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque son auteur dissimule volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifié. » ;
7° L’article 431-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si la personne armée dissimule volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée, la peine est également portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. »
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 3 prévoit une circonstance aggravante de dissimulation volontaire de visage pour un certain nombre d’infractions aux personnes et aux biens.
Le 20 juin 2009 était publié un décret créant une infraction de port de cagoule durant les manifestations publiques.
Ces deux mesures ne sont que les deux faces d’une même médaille : celle de l’affichage !
Nous nous opposons à un renforcement des dispositifs répressifs si, au préalable, ne sont pas mis à plat les outils existants, les résultats de leur mise en œuvre ainsi que leur utilité ou leur efficacité.
Le Gouvernement fabrique un millefeuille sécuritaire indigeste sans jamais poser la question de l’efficacité des lois qu’il fait voter, et ce non pas depuis 2007, mais depuis 2003. Il faudrait également s’interroger sur les décrets d’application qui restent en suspens.
Beaucoup de lois sont votées, mais peu sont appliquées !
Depuis six ans, les lois répressives s’entassent, sans que jamais la question de l’utilité, de l’effectivité ou de l’efficacité des mesures votées soit posée. Il n’y a pas d’évaluation.
Il serait opportun d’étudier ces questions avant toute nouvelle salve sécuritaire.
Vous pourrez toujours nous dire que vous n’y êtes pour rien et que cette proposition de loi est d’origine parlementaire : je vous répondrai que le parlementaire qui l’a déposée est aujourd’hui membre du Gouvernement, ce qui en dit long sur la méthode de contournement qui est ici utilisée !
Nous nous opposons à cette nouvelle disposition, tout simplement parce qu’elle est inutile : pensez-vous sérieusement qu’une personne décidera d’attaquer une banque sans cagoule parce qu’elle risque, sinon, une aggravation de peine ? Pensez-vous, avec la généralisation de la vidéosurveillance, qu’une personne renoncera à dissimuler son visage pour ne pas être punie plus sévèrement ? Évidemment, la réponse est non !
Nous ne cautionnerons pas cette nouvelle aggravation de l’inflation pénale, d’autant moins qu’il ne s’agit ici que de satisfaire un certain électorat que vous semblez vouloir chouchouter à l’approche des élections régionales.
C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de cet article.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 37 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 51 est présenté par MM. Mézard et Collin.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier, pour défendre l’amendement n° 3.
M. Charles Gautier. L’article 3 de la proposition de loi vise à instaurer une circonstance aggravante lorsque l’auteur de certaines violences sur des personnes ou de dégradations de biens dissimule volontairement tout ou partie de son visage afin de ne pas être identifié.
Cette circonstance aggravante s’applique à plusieurs infractions : les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours ; les violences ayant entraîné une ITT égale ou inférieure à huit jours ; le vol aggravé ; l’extorsion aggravée ; les destructions, dégradations ou détériorations aggravées de biens appartenant à autrui ; la participation délictueuse à un attroupement ; enfin, la participation armée à un attroupement.
Cet article créant une circonstance aggravante de port de la cagoule est un palliatif pour le Gouvernement, qui est dans l’impossibilité de faire de la simple dissimulation du visage un délit.
Un décret du 19 juin 2009 punit d’une contravention de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public.
Quelle est l’utilité d’une telle circonstance aggravante ?
On peut volontairement dissimuler son visage lors d’un regroupement sans pour autant avoir de mauvaises intentions : pour se protéger du froid, pour éviter d’être reconnu dans les médias ou par les Renseignements généraux.
Pour de vrais casseurs, le port de la cagoule a certes pour but d’empêcher l’identification, mais c’est justement aussi un moyen pour les forces de l’ordre de repérer plus facilement les casseurs potentiels et de concentrer leurs effectifs sur eux.
La loi peut-elle sérieusement laisser penser que le fait de dissimuler son visage lors d’une extorsion présente le même caractère de dangerosité – justifiant une aggravation de la peine encourue de sept à dix ans d’emprisonnement – que le fait de commettre une extorsion avec violence ou sur personne vulnérable ou à raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion ou à raison de son orientation sexuelle ?
Dans l’exposé des motifs, l’auteur de la proposition de loi précise qu’il appartiendra au juge de qualifier les moyens de la dissimulation volontaire du visage.
Or la définition juridique des infractions revient au législateur, auquel le juge ne saurait se substituer. Il ne lui appartient en théorie que d’apprécier si les circonstances de fait permettent de caractériser les différents éléments constitutifs de l’infraction.
Ces dispositions n’ont aucunement vocation à prévenir des violences ou des dégradations commises par des casseurs.
De surcroît, faire de la dissimulation du visage une circonstance aggravante revient à considérer que la même infraction commise à visage découvert serait moins grave !
Il va être difficile de « définir où finit la capuche et où commence la cagoule » !
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 37.
Mme Éliane Assassi. Avec cet amendement nous souhaitons nous opposer à la fameuse circonstance aggravante pour « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » qui est ici créée pour les atteintes aux personnes et aux biens. C’est évident, cette disposition n’aura aucun effet dissuasif, puisque les auteurs préféreront malheureusement toujours commettre leurs délits le visage dissimulé pour éviter d’être reconnus. Il paraît même très naïf de croire qu’il pourrait en être autrement.
Nous sommes donc devant une disposition de pur affichage qui n’aura aucune conséquence sur le phénomène des violences de groupes.
De plus, le juge qui aura la charge de qualifier s’il y a bien eu dissimulation volontaire de tout ou partie du visage rencontrera de grandes difficultés en raison de cette formulation très floue.
Le représentant du Conseil national des Barreaux, le bâtonnier Olivier Fouché, a critiqué cette circonstance aggravante de dissimulation du visage. Il juge « difficile de définir où finit la capuche et où commence la cagoule ».
M. Charles Gautier. Voilà !
Mme Éliane Assassi. Il y a tout lieu de penser que cette mesure sera très difficilement applicable. Elle risque même d’être détournée de son objet pour viser, par exemple, des personnes participant à des manifestations.
Cette mesure semble être une réponse aux incidents qui ont lieu en marge de certaines manifestations, je pense ici à ce qui s’est produit à Strasbourg, lors de la manifestation anti-OTAN.
Vous faites donc toujours un amalgame entre les manifestants et les casseurs, en essayant de criminaliser les premiers. Mais n’est-ce pas logique de la part d’un gouvernement qui reste sourd aux revendications de la rue, puisque, selon l’expression très chère à la droite, « ce n’est pas la rue qui gouverne » ?
Cette disposition est par ailleurs contre-productive. Elle ne permettra en rien de prévenir les troubles. Bien au contraire, elle risque de les aggraver.
Lors des auditions, les policiers eux-mêmes ont affirmé que cette disposition trouverait à s’appliquer uniquement pendant les manifestations.
Au surplus, cette mesure s’inspire d’une loi allemande qui n’a pas pu être appliquée. Gageons qu’il en sera de même ici.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’oppose à cet article, dont il demande la suppression.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 51.
M. Jacques Mézard. Notre amendement a le même but que les précédents : la suppression de l’article 3.
La notion de « dissimulation volontaire en tout ou partie du visage » constitue un masque juridique pour multiplier des incriminations de manière souvent subjective, amenant inéluctablement à l’arbitraire et à des jurisprudences contradictoires.
Cet article 3, qualifié d’« article cagoule », ne vise précisément pas que les cagoules !
Une personne qui commet le type d’infraction visé par l’article 222-12 avec des lunettes fumées dissimule-t-elle en partie son visage ?
M. Charles Gautier. Et un chapeau ?
M. Jacques Mézard. C’est un exemple parmi d’autres. Toutes les personnes portant des lunettes de soleil tomberont-elles sous le coup de cette circonstance aggravante ?
Avec une telle circonstance aggravante, l’article semblerait même inviter à commettre ces infractions, mais à visage découvert !
Le rapport de la commission comporte des éléments de bon sens. Seule la conclusion ne me paraît pas en cohérence avec l’argumentation.
Passons sur le décret du 19 juin 2009, qui est, totalement catastrophique pour les libertés. Avec l’article 3, l’opération est différente.
Mais relisons le rapport : « Le dispositif proposé par l’article 3 n’aurait ainsi pas vocation à se limiter aux seules violences de groupes ni aux violences commises sur la voie publique. ».
Cet article 3 balaie donc très large !
Je poursuis la lecture.
« Si l’effet dissuasif de cette circonstance aggravante n’emporte pas la conviction, la disposition permettra en revanche de mieux prendre en compte le traumatisme de la victime lorsque l’auteur de l’infraction a agi à visage dissimulé. ».
Au regard des principes juridiques, ce n’est pas sérieux !
Monsieur le rapporteur, vous nous l’avez dit tout à l’heure très justement, la loi pénale est d’interprétation stricte.
En l’occurrence, on pourrait faire beaucoup mieux, mais on fait très mal !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous livrer d’abord une réflexion purement personnelle : quand on est républicain, comment peut-on prétendre circuler librement sur le domaine public le visage dissimulé ?
Mme Éliane Assassi. Oh !
M. Jean Bizet. C’est très vrai !
M. François Pillet, rapporteur. C’est une liberté qu’il me paraît pour le moins curieux de revendiquer.
M. Charles Gautier. C’est ainsi !
M. François Pillet, rapporteur. Loin de rassurer, c’est une liberté qui, au contraire, inquiète. Elle n’est donc pas légitime.
M. Charles Gautier. Mais est-elle condamnable ?
M. François Pillet, rapporteur. Telle est mon opinion personnelle : quand on est républicain, on circule sur le sol de la République à visage découvert, pour pouvoir être reconnu.
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Quand on est républicain, on défend la liberté !
M. François Pillet, rapporteur. En règle générale, quand on porte une cagoule, ce n’est pas dans ce but !
J’en viens maintenant à l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 3, 37 et 51.
Certes, il est toujours possible de s’interroger sur l’effet dissuasif d’une telle disposition. Cela étant, chers collègues de l’opposition, allez donc interroger les personnes qui, à Poitiers, ont vu déferler non pas des manifestants, mais bien des délinquants cagoulés dans les rues de leur ville : vous vous rendrez compte à quel point elles ont été traumatisées. Et vous verrez peut-être la situation d’un autre œil, car personne ne peut s’affranchir du principe républicain qui veut que, lorsque l’on circule sur le territoire de la République, on n’a pas honte d’être reconnu.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression.