M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. Le projet de l’hôpital de Kaboul, réalisé sous l’égide de la fondation Aga Khan, est exactement le modèle que nous devrions suivre pour l’hôpital français. Donner le pouvoir aux Afghans, c’est ce que nous essayons de faire. Ce n’est pas simple.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant répondre aux questions qui m’ont été posées par chacun des orateurs.
Depuis 2001, le nombre de centres médicaux a augmenté de 60 % et 3 600 écoles ont été construites.
Mme Dominique Voynet. Nous devrions être contents alors…
M. Bernard Kouchner, ministre. Ce n’est pas suffisant. Elles sont fréquentées par les petites filles, ce qui, lorsque j’étais médecin en Afghanistan, pardonnez-moi d’évoquer ce souvenir personnel, était inimaginable. À l’époque, l’existence même d’une école était inconcevable.
Monsieur Bel, je suis moi aussi perplexe. Sommes-nous sûrs de nos moyens et de notre stratégie ? Non, bien évidemment ! Mais nous sommes au plus près de ce que nous croyons. Nous partageons la même analyse : il faut absolument partir, le plus vite possible mais je ne donnerai pas de date parce que nous ne la connaissons pas et qu’il ne faut rien indiquer à cet égard, pour confier la direction du pays à un gouvernement afghan. Vous avez tous souligné les conditions très précaires, voire caricaturales, dans lesquelles ce dernier a été élu. Certes, mais maintenant l’élection est passée. Nous devons respecter les quelque 40 % d’électeurs qui ont risqué leur vie pour aller voter – pour une femme afghane, tremper son doigt dans l’encre indélébile alors que les talibans lui ont promis de lui couper la main, sinon plus, c’est vraiment un acte de courage. Nous ne devons pas les trahir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Madame Demessine, je viens de le dire, nous ne sommes pas sous la conduite des États-Unis. Simplement, il faut bien reconnaître qu’ils sont, et de loin, les forces les plus importantes de la coalition.
Mme Michelle Demessine. C’est bien là le problème !
M. Bernard Kouchner, ministre. Nous ne pouvons pas raisonner sans eux. L’inverse est également vrai, même si c’est à une échelle moindre.
Nos efforts, le dévouement de nos soldats, notre souci de la population civile en Kapisa comme à Surobi font que l’on vient visiter ces endroits considérés non pas comme des exemples – ne soyons pas prétentieux –, mais comme des succès. Ainsi, 20 000 paysans ont reçu des semences et des engrais, ce qui n’est déjà pas si mal !
Monsieur About, vous voulez que l’on donne le pouvoir à d’autres. Nous l’avons fait ! Qui travaillent en Kapisa et à Surobi ? Des contracteurs afghans.
M. Nicolas About. C’est vrai.
M. Nicolas About. Oui !
Mme Michelle Demessine. Avec quels résultats ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Madame Demessine, ce sont les Nations unies qui administrent le pays en appliquant la résolution 1386, renouvelée chaque année. Alors, ne tentez pas de leur donner le pouvoir, car elles l’ont déjà ! Le représentant spécial des Nations unies en Afghanistan, M. Kai Eide, a dirigé l’ensemble des opérations électorales. Qu’il ait eu raison ou tort, il l’a fait. Son adjoint, qui avait exigé un deuxième tour, l’a payé durement. Le rôle de Kai Eide ne doit donc pas être effacé ainsi, et nous nous en rendons compte.
S’agissant des réunions avec les pays voisins, madame Demessine, je le répète, c’est ce que nous avons fait.
Oui, monsieur de Rohan, nous avons maintenant un nouveau plan d’action, adopté sous présidence suédoise. Certes, ce n’est pas suffisant pour être suivi. Mais s’il n’y a pas de plan d’action, il n’y aura aucune possibilité d’être suivi. Que voulez-vous que l’on fasse d’autre ? Personne ne nous a demandé de nous en aller. Tout le monde a dit : il faut quitter le pays le plus vite possible. Nous le savons.
M. Jean-Louis Carrère. C’est quoi, ce plan d’action ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Le plan d’action de la présidence suédoise prévoit, dans un certain nombre de zones du monde, une plus forte participation de l’Europe, aussi bien en termes de financement qu’en termes de prise de décisions.
Les Américains ont revu leur stratégie partout dans le monde, mais pour l’Afghanistan, aucune décision n’a encore été prise. Je ne leur jette pas la pierre : il est difficile de décider du nombre d’hommes nécessaires : 18 000, 40 000 ou 80 000 ? Le 19 novembre, une étape supplémentaire sera franchie : nous avons rendez-vous avec les principaux partisans européens de cette démarche collective qui ont des troupes sur place et avec Mme Clinton qui représentera les États-Unis.
Monsieur de Rohan, je m’emploie donc à mettre en œuvre ce plan. Mais il ne suffit pas de le dire, il faut que les messages soient acceptés non seulement par chacun des pays européens – ce qui a été fait –, mais également par nos interlocuteurs afghans. Sans contact avec eux, comment voulez-vous que cela fonctionne ?
Enfin, un plan de mise en œuvre sera développé. Nous avons déjà remis à M. Karzaï le plan en neufs points de la France, et je le tiens à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs. Il comporte l’idée d’un secrétariat du Gouvernement, car, vous le savez, la Constitution ne prévoit pas de Premier ministre. Il s’agit de tenir au plus près les engagements et de programmer le financement en fonction des progrès sur ces neuf points, qui comprennent notamment la gouvernance et l’irrigation.
Monsieur About, notre action vise précisément à prendre en compte le contrôle régional. Mais pour ce faire, il faut mettre ensemble les acteurs concernés. Madame Demessine, si nous avons proposé à l’OTAN qu’aucune réunion consacrée à l’Afghanistan ne se tienne sans la participation des Russes, c’est parce qu’ils ont une expérience « formidable », si j’ose dire,…
Mme Nathalie Goulet. La connaissance du terrain !
M. Bernard Kouchner, ministre. … en tout cas une expérience que nous devrions assimiler. D’ailleurs, ils sont d’accord. Ils ont participé à une réunion qui vient de se tenir sur ce sujet à Bruxelles.
Comment donner aux Afghans la possibilité de relancer leur économie et leur gouvernance ? Seuls, ils n’y arriveront pas. Nous devons être à leurs côtés, sans rien leur imposer, tout en leur proposant la direction des projets. Avouez que ce n’est pas facile ! C’est pourtant ce que nous voulons faire.
Je n’ai pas le temps de parler de la situation au Pakistan. Bien évidemment, les deux situations sont liées. Monsieur About, la ligne Durand, qui sépare les Pachtouns, nous n’allons pas décider seuls d’en modifier le tracé.
M. Nicolas About. Il fallait le faire en 1947 !
M. Bernard Kouchner, ministre. Maintenant, c’est un peu tard... Il faut tenir les promesses que nous faisons non pas aux ethnies, mais à tous les groupes, qu’il s’agisse des Pachtouns, des Tadjiks, des Hazaras, etc. Nous devons équilibrer notre soutien. C’est ce qui devrait être fait.
Quant à la dimension européenne telle que vous la souhaitez, je la souhaite également ainsi : c’est une coordination et une stratégie commune. Nous avons plus de 30 000 soldats européens présents en Afghanistan, nous devons bien sûr en tenir compte.
J’ai la tristesse de vous annoncer que dix civils, et non pas trois comme cela avait été annoncé, ont été tués à Tagab au moment où se tenait une shura avec le général français venu exposer notre plan.
Oui, monsieur Jacques Gautier, nous avons une certaine avance, je l’ai dit, à Surobi et en Kapisa. Que les autres contingents viennent voir comment les choses s’y passent est tout de même un bel hommage rendu à nos soldats.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. Cela ne signifie pas que nous pouvons tout changer ; nous n’allons pas non plus faire pleuvoir ! Malheureusement, il n’y a que des cailloux là-bas, et il est difficile de planter des arbres. Ils font pousser des grenadiers, alors nous construisons des hangars pour étaler la vente des fruits dans le temps et attendre que les prix montent. Ce sont des choses élémentaires, mais nous les faisons.
La formation de la police afghane est prioritaire. Chaque jour, entre six et dix policiers meurent (M. Jean-Louis Carrère s’exclame) pour le prix que je vous ai indiqué tout à l’heure. Il faut augmenter leurs salaires pour les rendre, pardonnez-moi ce terme horrible, « compétitifs ». Ils choisissent la police non par idéologie, mais parce qu’ils doivent nourrir leur famille. On ne le dira jamais assez, l’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Comment faire pour aider le pays à se développer ? Je connais les ONG qui s’y attachent depuis vingt-cinq ans. Elles n’ont malheureusement pas trouvé la recette miracle. Ces organisations ne nous demandent pas de partir, elles veulent que nous séparions les zones de sécurisation et les zones où elles travaillent. La tâche est ardue car il est extrêmement difficile de distinguer les unes des autres. Si vous ne sécurisez pas une zone, il n’est pas possible d’y travailler et si vous la sécurisez, c’est bien sûr avec l’armée.
Monsieur Gautier, vous appelez à une meilleure gouvernance. Oui, mais la leur. Ce n’est pas nous qui l’avons choisie. La France souhaite qu’il y ait une unité nationale, que M. Karzaï travaille avec M. Abdullah Abdullah. Nous allons encore nous y employer dans les prochains jours.
Les alliés agissent selon les résolutions des Nations unies. C’est une direction des Nations unies qui a été attaquée par les talibans et le personnel qui avait organisé les élections est mort.
Mme Michelle Demessine. Ils s’en vont !
M. Bernard Kouchner, ministre. Dès que M. Abdullah Abdullah a annoncé qu’il ne participerait pas au second tour, le personnel des Nations unies qui s’occupait des élections est parti, ce qui me paraît tout à fait normal.
Monsieur Carrère, comment surmonter l’hostilité de la population à l’égard du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Carrère. Pas en jouant aux cow-boys.
M. Jean-Louis Carrère. De ceux qui nous ont transportés en Afghanistan lorsque nous y sommes allés. C’était absolument insupportable pour la population !
M. Bernard Kouchner, ministre. À mes yeux, la seule réponse, et encore, je le dis très humblement, est de rendre visibles les progrès réalisés en matière de sécurité et de développement. Les populations civiles doivent siffler la fin de notre présence, lorsqu’elles constateront que le développement que nous avons accompagné leur permet de « s’autonomiser ». Tant que nous n’en serons pas là, notre présence s’imposera. Je précise également qu’il n’y a pas d’alternative à la formation de la sécurité afghane.
Monsieur de Montesquiou, vous avez parlé d’élections « insultantes ». Oui, mais selon nos critères occidentaux. Toutefois, reconnaissez qu’une idée occidentale sur l’Afghanistan, cela correspond mal. Ce qu’il faut retenir, je le répète, c’est que les quelque 38 % d’électeurs, selon les derniers chiffres, qui sont allés voter sont des personnes exceptionnellement courageuses.
M. Aymeri de Montesquiou. Je l’ai dit !
M. Bernard Kouchner, ministre. Merci de l’avoir dit ! Ils sont allés voter au péril de leur vie, et cela justifie pleinement les élections. Ce taux de participation était une bonne surprise ; la prochaine fois, ils seront plus nombreux. Par ailleurs, il faut, vous avez raison, mieux payer les soldats.
Madame Voynet, j’ai beaucoup apprécié votre récit de la vie d’un Afghan qui aurait connu tous ces épisodes. Depuis quarante ans, les Afghans voient passer la nuit dans leurs villages des soldats en armes qui se ressemblent tous dans leurs tenues de camouflage et qui ne s’arrêtent jamais pour leur parler. Cette situation est insupportable. Mais demandez-leur s’ils veulent nous voir partir tout de suite. Ils ne le veulent pas. Ils souhaitent nous voir partir seulement lorsqu’ils pourront prendre en mains leur destin. Ceux qui ont voté, ceux qui protestent sont ceux qui nous demandent de rester. (Mme Michelle Demessine s’exclame.)
M. Jean-Louis Carrère. Là, vous interprétez ! Demandez-leur vraiment !
M. Bernard Kouchner, ministre. J’interprète assez bien car j’ai vécu en Afghanistan pendant près de sept ans.
Si nous sommes présents en Afghanistan, c’est précisément pour permettre aux afghans de mettre fin à la spirale de la guerre. Soyons lucides face aux difficultés, mais restons déterminés. D’ailleurs, madame Voynet, vous n’avez pas réclamé notre départ immédiat. Vous avez souhaité qu’on parte besogne faite. Définissons-la, de la façon la plus précise et détaillée possible, c’est-à-dire Afghan par Afghan.
La stratégie de l’OTAN ne nous est pas extérieure. Nous y sommes partie. L’OTAN est peut-être le seul endroit, madame Voynet, où l’on peut véritablement parler de stratégie puisque tout le monde y est représenté.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n’y êtes pas trop entendu !
M. Bernard Kouchner, ministre. Je le répète, j’ai demandé que les Russes participent aux discussions.
Madame Cerisier-ben Guiga, vous avez tenu des propos trop durs. Honnêtement, que pouvons-nous faire d’autre ? J’ai toujours été partisan de débats réguliers avec vous, mais qu’avez-vous proposé que nous ne faisons pas ? Quelle autre perspective nous avez-vous offerte ?
M. Jean-Pierre Chevènement. D’autres objectifs politiques, et à cela, vous n’avez pas répondu !
M. Bernard Kouchner, ministre. Eh bien, monsieur, je vous réponds : l’objectif politique est de lutter contre le terrorisme. Nous le faisons, car il nous menace aussi et les Afghans sont à nos côtés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l’heure avancée et de la longue réponse apportée par Bernard Kouchner, je me limiterai à formuler quelques observations complémentaires.
Bernard Kouchner a évoqué le bilan de la présence française en Afghanistan. Ce bilan n’est pas aussi négatif que d’aucuns veulent bien le dire. Toutes celles et tous ceux qui sont allés en Afghanistan ont constaté la construction de routes, d’écoles, la scolarisation des jeunes filles, etc.
Pour ma part, je veux évoquer le bilan sécuritaire. Le président de Rohan a fait remarquer la dégradation de la situation, mais l’Afghanistan, c’est un kaléidoscope, un puzzle. La situation est extrêmement différente entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, d’une vallée à l’autre. Elle varie profondément en fonction de l’ethnie dominante dans telle ou telle vallée. En général, les vallées tadjiks ou hazaras sont relativement calmes, les choses étant plus difficiles en zones pachtounes.
Considérer que la situation en Afghanistan est extrêmement difficile sur la totalité du territoire est une vision occidentale. En vérité, même dans une zone où la sécurité et la stabilité sont assurées, nul n’est à l’abri d’une incursion talibane, d’un IED, un engin explosif improvisé. De ce fait, la population française comme la communauté occidentale et internationale ont l’impression que la situation ne s’améliore pas.
En vérité, les forces militaires ne doivent pas faire face à un front et ne gagnent pas vallée après vallée : elles doivent assurer la sécurité et la stabilité en courant en permanence le risque de mourir, de voir éclater un IED. Et lorsqu’un tel engin éclate, la communauté internationale craint que, in fine, il n’y ait pas de solution.
En termes de stratégie – sujet que Bernard Kouchner a évoqué –, conjointement et simultanément doivent être recherchées la stabilité et la sécurité. Nos forces doivent être présentes en permanence pour montrer nos muscles et la capacité française à sécuriser la zone.
M. Nicolas About. Oui !
M. Hervé Morin, ministre. Dans le même temps, concomitamment – plusieurs orateurs qui se sont rendus sur le terrain l’ont indiqué –, il faut faire en sorte que le développement, la construction de ponts, d’écoles, de routes soient assurés. C’est cette absence de coordination qui, bien souvent, nous amène à perdre rapidement le contrôle d’une situation.
M. Nicolas About. C’est clair !
M. Jean-Louis Carrère. On n’a pas assez d’argent !
M. Hervé Morin, ministre. À chaque fois que je me suis rendu en Afghanistan et que j’ai rencontré des Maleks, ils m’ont garanti que les troupes françaises ne courraient aucun risque si le développement et la reconstruction du pays étaient assurés. Celles et ceux qui sont allés dans la province de Surobi, par exemple, ont pu constater que, aujourd'hui, le calme règne. Nous reconstruisons des écoles, nous construisons des routes. La situation s’est nettement améliorée par rapport à celle qui existait voilà deux ou trois ans. (Mme Michelle Demessine s’exclame.)
Pour arriver à un tel résultat, les forces de la coalition ne doivent pas se comporter en « cow-boys », selon l’expression employée par certains, mais doivent avoir en tête un élément majeur : le respect des traditions de la population afghane ! L’expérience militaire prouve la nécessité d’engager le dialogue. Les populations afghanes ne doivent pas avoir le sentiment de forces qui passent en déployant des moyens militaires importants, puis qui retournent dans leur base, sans qu’aient été créées les conditions du dialogue et de la confiance. À cette fin doivent être respectées les traditions, la culture et les familles afghanes. (Mme Michelle Demessine s’exclame de nouveau.)
Le renforcement militaire – et je tiens ces propos en ma qualité de ministre de la défense – est probablement nécessaire pour répondre à tel ou tel besoin ponctuel. Mais le renforcement militaire permanent constituerait une fuite en avant si n’étaient pas menées conjointement une véritable coordination et une réelle politique de développement, d’amélioration de la gouvernance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous laisse apprécier le constat que j’ai fait la dernière fois que je suis allé en Afghanistan. Sur le terrain, 3 000 soldats français – 3 700 hommes si on prend en compte l’ensemble des éléments de soutien – sont présents dans deux vallées ou deux districts et couvrent à peu près 1 % du territoire, voire 2 % à 3 % si l’on exclut les zones montagneuses, où personne ne vit. Si nous voulions déployer des troupes en nombre comparable sur l’ensemble du territoire, le volume des forces serait considérable et inatteignable.
La France a toujours contesté l’idée selon laquelle la solution serait seulement militaire. Elle a toujours soutenu que, certes, des moyens militaires devaient être déployés pour assurer la sécurité et que, dans le même temps, des moyens devaient être consacrés au développement et à la reconstruction du pays.
À ce titre, je partage les propos de Nicolas About – certains d’entre vous me rétorqueront que c’est assez normal puisqu’il est président du groupe de l’Union centriste ! (Sourires) –, la reconstruction politique de l’Afghanistan ne peut à l’évidence suivre un schéma purement occidental. (M. le président de la commission de la défense opine.) Comparer la nation afghane ou l’État afghan à ce que nous, nous connaissons en Europe ou dans le monde occidental…
Mme Michelle Demessine. Qui le fait ?
M. Hervé Morin, ministre. … est une erreur de l’esprit absolue. La reconstruction de l’Afghanistan envisagée selon un comportement ethnocentrique ne peut mener nulle part.
M. Jean-Louis Carrère. Je vous rassure, monsieur le ministre : personne ne l’a proposé !
M. Hervé Morin, ministre. L’Afghanistan est un pays tribal, ethnique, clanique, féodal. Par conséquent, vouloir reconstruire politiquement l’Afghanistan sur un modèle identique au modèle occidental n’a pas de sens !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n’a dit cela !
M. Hervé Morin, ministre. Il faut donc s’appuyer sur les structures et les institutions traditionnelles de l’Afghanistan, et notamment sur les institutions locales, pour mettre en place une gouvernance stable, compréhensible par les Afghans et s’appuyant sur un État central qui respecte quelques canons démocratiques. Voilà ce que nous devons construire politiquement !
Faut-il penser en termes de renforcement militaire des éléments de la coalition ? Bernard Kouchner a cité des chiffres. Pour ma part, je me suis fait communiquer le coût de l’opération. Selon les estimations, le coût pour les Américains s’élève à 100 milliards de dollars par an. La France, quant à elle, engage 500 millions d'euros. L’ensemble de la coalition – 30 000 Européens sont présents en Afghanistan –, si l’on admet que le coût des soldats européens est à peu près identique, consacre 5 milliards d'euros à l’opération, soit 7,5 milliards de dollars. Le coût total atteint environ 110 milliards de dollars.
Notre pays a déployé, je le rappelle, 3 000 soldats sur le terrain pour un coût de 450 millions d'euros. La présence d’un soldat français en Afghanistan coûte 150 000 euros. Avec cette somme, on pourrait rémunérer 100 ou 150 officiers de l’armée nationale afghane dont la solde s’élève à 350 dollars par mois, soit 4 200 dollars par an.
Mme Michelle Demessine. Mais que se passera-t-il le jour où on arrêtera de payer ?
M. Hervé Morin, ministre. Deux éléments doivent guider notre réflexion. Comment consacrer éventuellement plus d’argent à la formation et à la rémunération de l’armée nationale afghane pour qu’elle connaisse une montée en puissance plus rapide et que les soldats désertent moins, les officiers commettant peu d’actes de désertion ? Comment adapter avec pertinence nos moyens ?
Lorsque l’on se rend dans un certain nombre de bases, notamment à Kandahar, on peut s’interroger réellement sur les effectifs de nos forces qui sont effectivement sur le terrain et participent à la reconstruction de la stabilité.
Mme Michelle Demessine. Tout ça, c’est de la théorie !
M. Hervé Morin, ministre. Je m’en voudrais de ne pas évoquer deux derniers sujets.
Nous avons parlé de la politique européenne de sécurité et de défense et de la présence de l’Europe. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, la problématique est plus générale. Disons clairement les choses : aujourd'hui, l’Europe serait incapable de conduire une opération identique à celle qui est menée dans le cadre de l’Alliance atlantique, parce que les Européens ont démissionné en grande partie en matière d’effort de défense.
Je vous rappelle que l’essentiel de l’effort de défense est aujourd'hui consenti par trois ou quatre pays européens, et essentiellement par deux d’entre eux, la Grande-Bretagne et la France.
L’insuffisance de la volonté européenne en matière de sécurité et de défense est dramatique ; nous la subissons sur tous les théâtres extérieurs : les moyens militaires ne sont pas à la hauteur du message politique que nous voulons faire passer sur la scène internationale.
M. Jean-Louis Carrère. Allez-vous envoyer des troupes ?
M. Hervé Morin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été très heureux d’entendre l’hommage que vous avez tous rendu à nos forces et à nos soldats.
M. Jean-Louis Carrère. C’est évident !
M. Hervé Morin, ministre. À travers les témoignages que vous avez pu recueillir en Afghanistan, vous avez pu constater à quel point le dévouement, le courage et le professionnalisme de nos soldats sont exceptionnels.
M. Robert del Picchia. C’est vrai !
M. Hervé Morin, ministre. Globalement, tous les officiers généraux, quel que soit leur pays d’origine, constatent que l’armée française est à la hauteur de sa réputation et de sa mission et que l’action qu’elle mène peut servir d’exemple pour l’ensemble de la communauté internationale.
M. Jean-Louis Carrère. Nos soldats, nous les préférons vivants que morts !
M. Hervé Morin, ministre. J’ai été très heureux de constater que la représentation nationale s’était associée à l’hommage rendu à l’armée française. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean-Pierre Chevènement applaudissent également.)
M. le président. Je tiens à rendre hommage en cet instant aux personnels diplomatiques, à notre ambassadeur et aux personnels civils, qui font un travail remarquable sur le terrain.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour répondre au Gouvernement.
M. Jean-Pierre Bel. En cet instant, je ne souhaite pas répondre au Gouvernement.
Je ne me plaindrai pas du fait que ce débat ait eu lieu cet après-midi au Sénat, alors que nous n’avons aucune visibilité sur l’organisation d’un tel débat à l’Assemblée nationale.
Malgré la grande qualité des propos tenus par les différents intervenants, nous ressentons une certaine frustration, ce pour deux raisons.
Tout d’abord, le temps qui nous était imparti étant fort limité,…
M. Jean-Louis Carrère. Une heure vingt-six pour l’ensemble des orateurs !
M. Jean-Pierre Bel. … un certain nombre d’orateurs ont dû « ravaler » une grande partie de leurs remarques. L’opposition sénatoriale a disposé d’à peu près quarante minutes. C’était insuffisant, compte tenu de l’importance des sujets que nous avons traités.
Par ailleurs, j’aurais souhaité que ce débat émane du Sénat tout entier – nous l’avions proposé –, afin qu’il revête un caractère plus solennel. Or, monsieur le président, vous avez indiqué en introduction que ce débat se déroulait sur l’initiative du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
M. Nicolas About. Nous nous y sommes associés !
M. Jean-Pierre Bel. Non pas que nous ne voulions pas reprendre à notre compte l’organisation nécessaire de ce débat, mais il aurait été préférable que le cadre soit plus général.
Nous aurons d’autres occasions pour répondre au Gouvernement,…
M. Jean-Louis Carrère. Ah oui, on lui répondra !
M. Jean-Pierre Bel. … que ce soit au sein de notre commission ou au cours des débats qui auront lieu dans cet hémicycle. En effet, nous avons beaucoup sur le cœur, beaucoup de choses à dire sur l’engagement de notre pays en Afghanistan. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Nicolas About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je me félicite du débat qui vient de se dérouler et de sa qualité. Qu’il soit à l’initiative de nos collègues du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ou d’un autre groupe, il était important qu’il ait lieu. La tenue de débats dépend de l’ordre du jour qui nous est imposé et de la « niche » qui nous est impartie.
J’ai noté une convergence très générale sur le fait que nous ne pouvions pas quitter l’Afghanistan du jour au lendemain et laisser les talibans et les terroristes revenir en Afghanistan comme en 2001 pour exercer leur triste dictature.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je me félicite de cette unanimité. Elle est importante : nos soldats présents en Afghanistan constateront que la représentation nationale parle d’une même voix.
Je veux maintenant revenir sur les propos qui viennent d’être tenus. La conclusion de M. le ministre de la défense paraît chaque jour plus forte, à savoir l’absence de l’Europe dans ce débat. Nous ne pouvons pas déplorer la place que prennent les États-Unis dans la conduite de la politique en Afghanistan en étalant, comme nous le faisons, nos nuances, nos dissensions et nos divergences.