Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aussi !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Cela ne nous empêche pas de réaliser un très bon travail.
Je voudrais donc, à cet instant, ramener une certaine sérénité dans le débat. Nous pouvons nous faire tous les procès politiques possibles, tous les procès d’intention. Je crois que nous sommes là pour travailler, dans l’intérêt d’une société et de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 23 est présenté par M. Danglot, Mme Didier, M. Le Cam, Mmes Schurch, Terrade et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 264 est présenté par MM. Desessard et Muller et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.
L'amendement n° 430 rectifié est présenté par MM. Teston, Botrel, Bourquin, Chastan, Courteau, Daunis et Guillaume, Mmes Herviaux et Khiari, MM. Mirassou et Navarro, Mme Nicoux, MM. Patient, Patriat, Raoul, Raoult, Repentin, Collombat, Bérit-Débat, Berthou et Daudigny, Mme Bourzai, M. Rebsamen et les membres du groupe Socialiste et apparentés.
L'amendement n° 581 est présenté par MM. Fortassin, Tropeano, Collin et Charasse, Mme Laborde, MM. Mézard et Milhau et Mme Escoffier.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour présenter l’amendement n° 23.
Mme Marie-France Beaufils. En proposant la suppression de l’article 1er, nous exprimons tout simplement notre opposition au changement de statut de La Poste. Cette opposition, monsieur le ministre, vise aussi à défendre un autre principe, celui du service public que vous voulez abattre. Ce n’est donc pas seulement de La Poste dont il est question.
La méthode employée pour arriver à la privatisation est bien rodée : elle a été expérimentée avec France Télécom, puis avec Gaz de France.
Ce changement de statut, nous dit-on, serait imposé par la mise en concurrence décidée par l’Europe. Le Gouvernement se retranche ainsi derrière la Commission de Bruxelles pour ne pas reconnaître que lui, et lui seul, est à l’origine d’une telle modification.
Cette majorité est effectivement à l’origine de la directive européenne du 20 février 2008 relative à l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et fixant au 31 décembre 2010 la libéralisation totale des marchés postaux. Je vous rappelle d’ailleurs que nos députés européens du groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne n’ont pas voté cette directive. Elle représente une porte ouverte à la mise en concurrence et, comme les précédentes directives, aura des effets notoires en termes de désorganisation des services postaux.
Mais vous omettez de préciser, chers collègues de la majorité, que cette directive ne vous impose pas de modifier le statut de La Poste, cette compétence étant du pouvoir de chaque nation.
Je disais voilà un instant que le processus est bien rodé. Prenons l’exemple de France Télécom, transformé en exploitant de droit public, doté de l’autonomie financière et d’une personnalité morale distincte de l’État. Cette première étape – une disposition sur laquelle les députés et sénateurs communistes ont voté contre en 1990 – a permis de parachever ultérieurement le travail.
Ainsi, après la loi Fillon de 1996, à laquelle nous nous sommes opposés, la première ouverture de capital a lieu en 1997. Elle est suivie d’une autre en 1998, avant une nouvelle loi, en 2003, qui permet que l’État puisse devenir minoritaire, ce qui se réalise en 2004. En 2007, le Gouvernement porte l’estocade finale et ramène la part de l’État à 27 % du capital.
Les politiques de libéralisation ont toutes les mêmes effets : elles conduisent à la casse de nos services publics !
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que les promesses d’aujourd’hui ne sont pas de nature à nous tranquilliser. Bien au contraire, elles nous incitent à penser que vous écrivez actuellement un scénario identique pour La Poste.
Vous voulez en faire une société anonyme, soit une société de capitaux ainsi dénommée parce que son nom, sa dénomination sociale, ne révèle pas le nom des actionnaires. Elle peut même en ignorer l’identité lorsque les titres sont au porteur.
Le principe de base est clair : les actionnaires peuvent céder librement leurs titres,…
M. Gérard César. C’est terminé !
Mme Marie-France Beaufils. … ce qui suscite la crainte des postiers, des usagers et des élus. Ils vous le disent sur tous les tons, mais vous continuez à faire la sourde oreille.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-France Beaufils. Cet entêtement dogmatique entraîne notre pays vers des reculs de civilisation dont vous êtes les seuls responsables. (Marques d’impatience sur plusieurs travées de l’UMP.) Les services publics représentent un espoir pour d’autres peuples. Votre seul souci est de permettre à quelques-uns de vos amis de devenir bientôt actionnaires de cette nouvelle société anonyme.
M. Gérard Longuet. Les salariés aussi !
Mme Marie-France Beaufils. La Poste n’a pas besoin d’anonymat, il lui faut, au contraire, plus de transparence, plus de modernité et plus d’attention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole pour présenter un amendement est de trois minutes.
La parole est à M. Jacques Muller, pour défendre l'amendement n° 264.
M. Jacques Muller. Le changement de statut d’une entreprise publique et son ouverture à la concurrence n’arrivent pas par hasard. Cet article 1er est au cœur du projet de loi, dont l’exposé des motifs justifie le changement de forme juridique par l’adaptation « aux défis auxquels l’entreprise est confrontée ».
C’était la même chose pour France Télécom, il y a une dizaine d’années. On a évoqué l’importance de « moderniser », de « réformer », de « s’adapter ». Mais, monsieur le ministre, pour moderniser un service public, faut-il le privatiser ?
Les partisans de cette évolution avancent comme argument la nécessité de recapitaliser, au motif que les caisses seraient vides. Mais s’est-on demandé pour quelle raison les caisses sont vides ? Pour s’attaquer au service public, les gouvernements ont toujours appliqué les mêmes recettes : on pousse à bout une entreprise en réduisant les contributions publiques, puis on déclare le service public en danger.
Et puisque, pour les libéraux, le marché reste la meilleure solution, le Gouvernement dégaine un projet de loi – celui-ci doit être adopté en urgence – qui prévoit que le service public devra s’aligner sur des critères de rentabilité et de performance financière.
Tout cela, sans que le bilan des expériences passées soit effectué. On se garde bien de tirer les leçons des précédentes privatisations. Il est pourtant éloquent.
Prenons l’exemple de France Télécom, qui a été transformée en société anonyme en 1996, et dont le capital a été ouvert la même année : aujourd’hui, la participation de l’État au capital de cette entreprise historique se situe autour de 30 %. Quel est le bilan ? Pour les usagers, la privatisation n’a pas permis de baisser les prix, car le monopole public a laissé sa place à un oligopole privé. Orange, Bouygues et SFR ont pratiqué une entente illicite sur les prix, aujourd’hui condamnée, qui s’est faite au détriment des clients de la téléphonie. Quant aux agents de France Télécom, l’actualité en dit long sur leur triste sort.
Mes chers collègues, laissez-moi citer quelqu’un que nous connaissons bien ici : « Accepter le vent vivifiant de la compétition est une chose, se résigner aux tempêtes que produirait une déréglementation hâtive en est une autre ». C’est ce qu’écrivait dans Le Quotidien de Paris, le 26 mars 1993, à propos de France Télécom et de La Poste, Gérard Larcher, sénateur des Yvelines. M. le président du Sénat a raison : nous ne devons pas nous résigner aux tempêtes.
M. Patrice Gélard. Le temps de parole est épuisé !
M. Jacques Muller. En écho à ces propos, je souhaiterais rappeler ceux qu’a prononcés Jean Glavany en 1997 : « L’ouverture du capital de France Télécom a été une erreur. […] Il faudra à l’avenir dire : on privatise ou on reste un service public. Mais l’ouverture du capital me paraît un cache-sexe un peu honteux pour une privatisation qui ne veut pas dire son nom ». (Marques de désapprobation et d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Le choix qui nous est proposé est purement idéologique.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Muller. Donner notre aval à ce texte, c’est mettre en péril les agents qui bénéficient aujourd’hui d’un statut soumis à des règles déontologiques fortes, mais c’est aussi compromettre l’accès au service public postal pour tous, sur l’ensemble du territoire.
En conséquence, je vous invite, mes chers collègues, à supprimer cet article.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, pour présenter l'amendement n° 430 rectifié.
M. Michel Teston. La votation citoyenne du 3 octobre dernier (Ah ! sur les travées de l’UMP)…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne l’avait pas encore entendu, ça ! C’est nouveau, ça vient de sortir ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Michel Teston. … a démontré que les Français n’étaient pas prêts à sacrifier leur poste et leur service public postal au profit d’une stratégie industrielle se résumant en la conquête de parts de marchés et d’opérateurs à l’étranger.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas rien !
M. Michel Teston. Cette stratégie, en admettant qu’elle soit pertinente, ne doit en tout cas pas être réalisée au détriment du développement sur le territoire d’une offre de services publics postaux et financiers de qualité, qui doit, au contraire, être consolidée.
À défaut, à qui bénéficierait finalement cette stratégie, si ce n’est aux futurs actionnaires exigeant d’être rémunérés pour leur apport de fonds axé sur le déploiement d’une telle stratégie ?
Avec le statut d’EPIC, La Poste dispose de l’autonomie financière. Elle a des fonds propres et n’a pas, à proprement parler, de capital. Elle n’a donc pas d’actionnaires et elle peut réinvestir l’ensemble de ses bénéfices.
En 2007, La Poste a réalisé un résultat net de 1 milliard d’euros. En 2008, au moment fort de la crise financière et économique, les bénéfices ont encore atteint près de 530 millions d’euros, alors que les entreprises, fortement touchées par cette crise, cherchaient à réduire leurs coûts, notamment leur poste courrier. Cela a contribué à accentuer la tendance à la chute du courrier, dont la baisse serait, pour les années 2008 et 2009, de l’ordre de 5 à 6 %.
Certes, au-delà des à-coups conjoncturels, la baisse de l’activité du courrier est structurelle. Mais force est de reconnaître que, comme le souligne le rapport Ailleret, le volume total du courrier n’a connu qu’une faible diminution, de l’ordre de 1,5 % sur la période 2003-2006. Pour l’entreprise publique, le chiffre d’affaires annuel sur la période 2004-2008 est en moyenne de l’ordre de 11 milliards d’euros.
La situation n’est donc pas si tragique.
En revanche, les citoyens souhaitent que le financement du service public postal soit garanti. Ils souhaitent avant tout que La Poste ait les moyens d’assurer un service public de qualité, y compris en matière d’offre de produits financiers, sur l’ensemble du territoire, et qui puisse répondre aux besoins des populations.
Avec l’article 1er, le Gouvernement veut faire sauter le dernier verrou avant la disparition progressive du service universel. Mes chers collègues, il faut maintenir le statut actuel de La Poste !
Pour conclure, je vous renvoie au rapport d’information n° 42 rédigé en 1997 par Gérard Larcher, dans lequel il estime que la « sociétisation » de cette entreprise n’apparaît pas indispensable. Il a entièrement raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l'amendement n° 581.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE a souhaité, dans ce débat, adopter une attitude constructive, en déposant des amendements en commission comme en séance publique, mais la majorité de ses membres défend l’idée que les citoyens doivent avoir le choix pour cette réforme touchant leurs services publics.
Dans la logique de la motion référendaire, et dans l’attente que la majorité fige – hélas ! – le sort de La Poste, les auteurs de l’amendement s’opposent au changement de statut de l’établissement public La Poste en société anonyme et souhaitent la suppression de l’article 1er. (MM. Martial Bourquin et Jean-Claude Frécon applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Mes chers collègues, le changement de statut est la meilleure solution pour que La Poste puisse bénéficier d’un apport de fonds propres sans contestation de la part de la Commission européenne. Chacun doit en convenir.
Concernant ceux qui craignent une entrée de capitaux privés dans La Poste, je souhaiterais répondre à certains des propos tenus par M. Teston au cours de la discussion générale, car une mise au point est nécessaire.
L’expression « personnes morales de droit public » utilisée à l’article 1er ne vise pas, comme vous l’avez dit, cher collègue Teston, les entreprises publiques. Elle vise les établissements publics, ce qui est tout à fait différent.
Les entreprises publiques peuvent avoir des capitaux privés. Les établissements publics, eux, sont 100 % publics. Chacun doit bien faire la différence entre ces deux notions.
Les entreprises publiques dont vous parlez, monsieur Teston font en fait partie du « secteur public », et c’est précisément ce qu’a voulu éviter la commission lorsqu’elle a remplacé l’expression « personnes morales appartenant au secteur public » par l’expression « personnes morales de droit public ».
Il s’agit d’une modification fondamentale, pour essayer, en toute honnêteté et en toute confiance, de répondre aux craintes qui se sont exprimées depuis le début de la discussion de ce texte. Je souhaiterais que chacun comprenne bien que la rédaction proposée par la commission de l’économie du Sénat apporte les garanties dont vous avez tous besoin pour parler de cette question dans vos circonscriptions ou départements respectifs.
Aussi, compte tenu des observations que je viens de formuler, je demande aux auteurs de ces quatre amendements de les retirer, s’ils acceptent la rédaction de la commission, qui, je le répète, est radicalement différente de celle que prévoyait le projet de loi initial ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Mesdames, messieurs les sénateurs, enfin, nous abordons sérieusement le fond du débat !
Je comprends vos craintes, et je veux croire qu’elles sont émises avec conviction. Je tenterai de me convaincre moi-même qu’il s’agit de craintes de conviction.
M. Jean-Jacques Mirassou. Bel effort !
M. Christian Estrosi, ministre. Les amendements pourraient être justifiés si notre débat avait eu lieu avant la discussion en commission, avant les profondes modifications – sans précédent par rapport à d’autres modifications statutaires antérieures – qu’elle a apportées au texte initial et qui ont été rappelées par M. le rapporteur.
Nous sommes tous attachés à La Poste, cette entreprise formidable que nous voulons « sauver ». J’utilise à dessein ce terme. En effet, certains se disent au fond d’eux-mêmes que, en évitant le débat et la réforme, on peut réussir à ne rien changer et à passer entre les gouttes et que l’état actuel de La Poste lui permettra de s’en sortir malgré l’ouverture à la concurrence. À ceux-là, je réponds qu’il ne fait aucun doute que son unique chance de s’en sortir est de procéder à ce changement de statut.
La Poste a-elle aujourd'hui une dette de 6 milliards d’euros ?
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. À qui la faute ?
M. Christian Estrosi, ministre. La réponse est « oui ». La Poste elle-t-elle confrontée à une baisse de l’activité courrier, qui ne va cesser de s’amplifier ?
M. Gérard Longuet. Hélas !
M. Christian Estrosi, ministre. On peut le regretter, mais, dans le même temps, on l’a souhaité. Je me souviens en effet du temps où j’étais ministre délégué à l’aménagement du territoire et où des parlementaires de tous bords, des maires ou des conseillers généraux venaient me voir en me disant : « Monsieur le ministre, je fais partie des 3 000 zones blanches pour la téléphonie mobile » ou « monsieur le ministre, nous n’avons pas d’accès à internet », ou encore « monsieur le ministre, nous ne recevons pas l’ADSL ». Leur argument était simple : pour des raisons d’équité, il est important que les territoires les plus isolés soient couverts et que personne ne soit laissé pour compte.
Aujourd’hui, les mêmes élus ruraux, dont je fais moi-même partie en tant qu’élu d’une circonscription de montagne, après avoir réclamé que nous modernisions les communications, que nous apportions les nouvelles technologies de l’information et de la communication, que nous accompagnions le changement de comportement de leurs administrés et après avoir obtenu gain de cause, regrettent une baisse de l’activité traditionnelle du courrier. Cela n’a pas de sens !
Tout le monde sait que notre société est en train de passer d’un monde à un autre. Or, dans le même temps, nous voulons que l’entreprise La Poste, à laquelle nous sommes si attachés, et qui doit franchir ce passage, reste compétitive tout en conservant son statut public.
Après avoir étudié toutes les possibilités, il s’avère que l’évolution statutaire est notre seul moyen d’éviter une condamnation par Bruxelles. Rappelez-vous le problème auquel a été confrontée l’agriculture au cours des mois écoulés. Si nous conservions le statut de La Poste en l’état, en versant les 2,7 milliards d’euros pour l’aider à se moderniser et lui permettre de faire face à l’ouverture à la concurrence, nous prendrions le risque de voir la France condamnée dans quelques années pour non respect des règles européennes. Cette somme devrait alors être remboursée.
Tout en assurant cette évolution statutaire, nous voulons garantir l’avenir de La Poste, quelle que soit la majorité au pouvoir demain. Il nous faut donc travailler ensemble et graver dans le texte le fait que les missions de service public et de service au public sont immuables. Certes, je le sais, rien n’est éternel. Même si je souhaite à chacun d’entre vous de connaître l’éternité (Rires), celle-ci est vaste et loin devant nous.
La discussion que nous entamons doit être la plus constructive possible. En tout cas, je le souhaite. J’ai d’ailleurs pris des engagements en ce sens au nom du Gouvernement par rapport à un certain nombre de propositions. Si tel n’avait pas été le cas, s’il n’y avait pas eu ce débat en commission, nous n’aurions pas fait état du caractère à 100 % public de l’établissement et nous n’aurions pas énuméré la liste des missions de service public, qui sont désormais immuables. Nous n’aurions pas non plus annoncé, avant même que l’amendement de Bruno Retailleau ne soit examiné, qu’il sera inscrit noir sur blanc que nous tenons compte du préambule de la Constitution de 1946.
Lorsqu’un débat s’ouvre et que l’on dispose d’autant de garanties fortes sur la préservation du caractère à 100 % public de La Poste, ces quatre amendements ne se justifient pas. À l’instar de M. le rapporteur, je demande donc moi aussi leur retrait. De plus, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous sais tellement volontaires au fond de vous-mêmes que vous voulez permettre à La Poste de se moderniser, de faire face à l’ouverture à la concurrence et de devenir une grande entreprise.
On ne peut pas dénoncer pendant des heures, comme l’ont fait certains, sur toutes les travées d’ailleurs, les dysfonctionnements de La Poste et demander que rien ne change. J’ai entendu dire, à juste titre, que certaines choses n’allaient pas comme, par exemple, le fait que des bureaux ferment dans les territoires ou que l’organisation d’autres ne convient pas.
Mme Annie David. À qui la faute ?
M. Christian Estrosi, ministre. J’entends aussi qu’on se plaint des files d’attente, qui ne sont pas acceptables, pour retirer des recommandés ou que des colis n’arrivent pas toujours à l’heure, notamment en période de pointe.
La Poste, grâce à l’engagement de ses postiers, de ses salariés, de ses fonctionnaires, a la capacité de se moderniser. Elle l’a déjà démontré ces dernières années après un grand nombre d’investissements. Nous savons qu’elle en est capable pour autant que nous lui en donnions les moyens.
Dans le même temps, il faut veiller, comme je l’ai déjà dit au cours de la discussion générale, à ce que trois critères soient rigoureusement respectés.
Le premier concerne les personnels de La Poste. Alors que nous allons investir des moyens pour moderniser cet établissement, la dimension humaine du personnel, qui est au cœur de l’entreprise, doit absolument être prise en compte. Le personnel ne doit en aucun cas servir de variable d’ajustement.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Christian Estrosi, ministre. Le deuxième critère a trait aux élus.
Tous les élus doivent être respectés. Ils ne doivent pas simplement être consultés au passage, puis constater que l’organisation postale a fondamentalement été modifiée dans leur département sans qu’on ait tenu compte de leur avis. Nous devons même aller plus loin en décidant que les élus pourront se prononcer sur les changements d’organisation, y compris des grands centres de tri départementaux.
Le troisième critère concerne bien sûr les Françaises et les Français.
Les 10 millions d’usagers qui franchissent toutes les semaines la porte d’un bureau de poste doivent être respectés. Tous les efforts de modernisation de l’organisation de La Poste doivent réellement tenir compte de leurs attentes. Le travail que nous menons doit d’abord se tourner vers eux. Ils attendent de nous, non pas que l’on fige la situation, mais que l’on modernise La Poste en apportant de meilleures réponses. Ils espèrent non pas moins de service ou le même service, mais mieux de service public. (M. Bruno Sido opine.)
Telles sont les raisons qui me conduisent, au moment où nous ouvrons réellement le débat de fond, à demander aux auteurs de ces quatre amendements de suppression de l’article 1er de bien vouloir les retirer. Ainsi, nous pourrons ensemble, en essayant de prendre en compte les propositions les plus constructives, faire demain de La Poste une grande entreprise publique française qui résistera à toutes les offensives qui seront conduites à partir du 1er janvier 2011 par d’autres postes européennes ou par des groupements d’opérateurs qui s’organisent déjà sur tout le territoire européen, y compris dans nos régions et nos départements. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole pour explication de vote à ceux d’entre vous qui me l’ont demandé, je vous précise que, à la demande du président Larcher, je lèverai la séance à vingt-trois heures cinquante-cinq. (M. Bruno Sido applaudit.)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. J’ai écouté attentivement le plaidoyer de M. le ministre concernant le changement de statut de La Poste. Je dois dire que je ne suis toujours pas convaincu.
Je le suis d’autant moins que l’argument du chantage aux amendes infligées par Bruxelles ne tient absolument pas la route. Les traités actuels, avant même le traité de Lisbonne, permettent déjà aux États membres de définir les services publics. Le Gouvernement aurait donc dû commencer par définir le service public de La Poste et ses missions, autrement dit le cahier des charges de ce service public. (Brouhaha sur les travées de l’UMP.)
En outre, les traités permettent de définir les missions de service public et de les financer. Chaque État membre est totalement autonome en la matière. (Le brouhaha continue.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Arrêtez, ils ne vous écoutent pas ! (L’orateur marque une pause.)
M. le président. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Daniel Raoul. Je m’aperçois que je ne suis pas le seul à avoir la parole, monsieur le président. Nos collègues de la majorité sont plus nombreux qu’hier soir et, apparemment, ils sont encore réveillés. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Poursuivez, monsieur Raoul.
M. Daniel Raoul. Quand on nous dit qu’il s’agit d’une conséquence des directives européennes, c’est un mensonge !
Un sénateur UMP. Non !
M. Daniel Raoul. Dans le domaine agricole, les condamnations qui pèsent sur nous, elles, sont véritables. En revanche, en matière de services publics, je le répète puisqu’un certain nombre de nos collègues parlaient de tout autre chose pendant que je l’expliquais, chaque État membre est totalement libre de définir ses services publics et de les financer.
M. Roland Courteau. Effectivement !
M. Daniel Raoul. Je serais curieux, sans doute par déformation professionnelle, de soumettre nos collègues à une interrogation écrite afin de savoir ceux qui seraient capables de nous indiquer la différence entre un EPIC et une SA.
M. Gérard Longuet. Sans problème !
M. Daniel Raoul. Monsieur Longuet, ce n’est pas à vous, le bon élève de la classe, que je posais la question.
M. Gérard Longuet. Il est vrai que je suis redoublant !
M. Daniel Raoul. Pour avoir été ministre en charge de la poste, je l’imagine très bien, vous savez ce qu’est un EPIC, et pour avoir différentes relations, vous savez aussi ce qu’est une SA.
En revanche, je ne suis pas sûr que tous nos collègues saisissent l’enjeu d’une telle transformation.
En fait, il s’agit de transférer le patrimoine d’un EPIC, dont le capital a été construit par la nation,...
M. Roland Courteau. Par tous les Français !
M. Daniel Raoul. … en haut de bilan d’une société anonyme.
Vous aurez beau faire toutes les promesses que vous voudrez, tel sera le résultat : ce patrimoine sera disponible pour les futurs actionnaires, quels qu’ils soient.
Je ne vous fais même pas de procès d’intention pour le moment. Pourtant, je me rappelle une époque où nous avions un superministre de l’économie qui nous avait juré ses grands dieux que jamais Gaz de France ne serait privatisé.
M. Roland Courteau. C’était qui ? (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Je n’aurais pas la cruauté de rappeler son nom…
On a vu ce qu’il est advenu : le patrimoine de Gaz de France, autrement dit tout le capital de cet établissement, a été réparti entre les mains des actionnaires.
Voilà ce que vous voulez faire en transformant un EPIC en SA ! Je vous demande d’y réfléchir sérieusement et d’informer nos concitoyens que vous êtes en train de les spolier, de les léser. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)