Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Le projet de loi présenté à notre assemblée repose sur plusieurs contrevérités conduisant à une évolution considérable du statut d’une entreprise à laquelle les Français ont récemment montré leur attachement en se mobilisant pour participer à la votation citoyenne.
Les Français ne sont pas convaincus par les affirmations des uns et des autres selon lesquelles le changement de statut n’aura aucune incidence, ni sur l’entreprise ni sur le service public. Ces doutes, nous les partageons parce que nous craignons que ce projet de loi ne soit l’antichambre d’une privatisation. C’est, en tout cas, le chemin qui peut y mener, monsieur le ministre.
Certes, si je dis, par exemple, « je vais te tuer », ce n’est pas la même chose que si je dis « je te tue ». Mais il y a une menace, et c’est à cette menace que nous réagissons depuis quelques jours.
M. Nicolas About. Voilà une analogie franchement osée !
Mme Bariza Khiari. L’ouverture totale du marché postal, qui met fin au secteur réservé, n’impose en aucun cas une mutation du statut de l’entreprise La Poste.
M. Alain Gournac. Bien sûr que si !
Mme Bariza Khiari. Les trois directives européennes prévoyant ces évolutions laissent aux États membres le soin d’opérer à leur guise.
Pourquoi, alors, transformer La Poste en une société anonyme ? M. Bailly, président de La Poste, affirme vouloir investir dans le développement international à hauteur de 3 milliards d’euros et ne pouvoir emprunter une telle somme sur les marchés, notamment parce que le ratio endettement/fonds propres serait défavorable à un nouvel endettement de La Poste. Voilà qui est curieux ! La RATP et la SNCF ont, eux aussi, le statut d’EPIC. Ils travaillent à l’échelon international sur des marchés concurrentiels au travers de filiales. Et cela ne les empêche pas d’emprunter ! Il est vrai que leur comptabilité est organisée de manière à rendre compatibles le statut d’EPIC et les avantages qui y sont liés avec l’exercice d’activités concurrentielles.
Je m’étonne que La Poste, qui exerce pourtant une activité bancaire, n’ait pas une comptabilité aussi bien organisée !
Mais il y a mieux : la RATP est endettée à hauteur de 5 milliards d’euros, alors que ses fonds propres sont de 2 milliards d’euros, et cela ne l’empêche pas pour autant d’emprunter !
Voilà qui illustre le caractère fallacieux de l’argument énoncé par M. Bailly. Je crois, pour ma part, que ce plan de développement sur le marché international est peu travaillé et qu’il ne convainc donc pas encore les investisseurs. Il serait surprenant que des banques refusent de fournir de l’argent à GeoPost si cette entreprise arrivait avec des perspectives de croissance assurées.
Le problème, c’est que, au lieu d’agir en bons gestionnaires en interrogeant M. Bailly sur son plan de développement, vous vous empressez – et à sa demande, selon ce que vous répétez sans cesse – de lui donner un blanc-seing et de modifier le statut d’une entreprise chère aux Français.
Monsieur le ministre, je ne vais pas développer l’argument sur les marges de manœuvre dont vous auriez pu faire bénéficier La Poste si n’avait été commis, au début du quinquennat, le péché originel du « bouclier fiscal » que nous appelons, quant à nous, le « boulet fiscal ».
Nous ne voterons pas cet article parce que, pour l’heure, le changement de statut de La Poste ne se justifie pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Je rejoins les orateurs précédents, et sans doute aussi sur ceux qui me succéderont, pour dire que l’article essentiel de ce projet de loi est l’article 1er. En effet, à partir du moment où il sera voté, le changement du statut de La Poste sera entériné ! Cela ne signifie pas que les autres articles sont secondaires, mais il reste que le cœur du projet est bien là.
Si ce débat nous passionne tant, si nous sommes si nombreux à intervenir, au point qu’on nous accuse parfois de vouloir faire de l’obstruction,…
MM. Nicolas About et Alain Gournac. Mais non ! (Sourires.)
M. Didier Guillaume. … c’est parce que nous sommes convaincus que le changement de statut de La Poste ne sert à rien. Hélas, depuis deux jours, il est impossible d’aborder sereinement ce sujet !
Vous avez entendu la démonstration de Michel Teston : si La Poste conserve, comme la SNCF, par exemple, son statut d’EPIC, elle pourra parfaitement travailler à l’échelle concurrentielle européenne tout en assumant la fonction de service public en France. Telle est la réalité !
Après tout, on pourrait considérer que, comme La Poste, la SNCF doit être privatisée ! En vérité, nous le savons, cela ne servirait à rien puisque les marges de manœuvre resteraient les mêmes.
De la même manière, quand nous affirmons, nous, que l’État a parfaitement la possibilité de financer l’EPIC de La Poste, c’est une réalité que l’on refuse d’admettre.
C’est pourquoi nous pensons qu’il y a, au mieux, une incompréhension de la part du Gouvernement et de la majorité, au pis, anguille sous roche. Notre crainte, c’est en effet que, en faisant passer La Poste du statut d’EPIC à celui de société anonyme, on n’ouvre la porte à la privatisation. Et de cela nous ne voulons pas ! Sur ce point, chers collègues, nous aurions pu nous retrouver, mais je sais bien qu’aujourd’hui la majorité doit suivre le Gouvernement,…
M. Alain Gournac. Pas du tout !
M. Didier Guillaume. … même si quelques voix dissonantes se font parfois entendre. Et je comprends bien que le Président de la République et le Premier ministre aient dû, hier, se livrer à un recadrage. Nous avons vécu cela il y a fort longtemps, quand nous étions la majorité. Peut-être un jour, d’ailleurs, redeviendrons-nous majoritaires… (Sourires.)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Ce n’est pas le débat !
M. Didier Guillaume. Quoi qu'il en soit, j’ai cru comprendre que certains conseillers du Président de la République comptaient au moins autant, sinon plus, que les ministres dans les orientations politiques et les décisions. Mais, en disant que La Poste est « imprivatisable », M. Guaino ne fait-il pas preuve de « bravitude » ? (MM. Alain Gournac et Michel Bécot s’esclaffent.)
En vérité, demain, la porte vers une éventuelle privatisation sera ouverte. C’est la raison pour laquelle nous devons réaffirmer ici que nous sommes attachés au service public,…
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. Didier Guillaume. … comme l’ensemble de nos concitoyens.
Du reste, monsieur Gournac, depuis le début de cette discussion, je n’ai jamais mis en cause l’attachement des sénateurs de la majorité au service public. Je n’ai aucun doute à cet égard et je ne fais aucun procès d’intention.
Ce que nous disons, c’est que, avec un EPIC, nous sommes sûrs que les choses ne peuvent pas dériver, tandis que, avec une société anonyme, la privatisation devient possible. Écoutez ce que disent beaucoup de gens !
Les Français sont attachés au service public, à la venue du facteur dans les quartiers,…
M. Alain Gournac. Ils ont raison !
M. Didier Guillaume. … comme dans le moindre recoin des zones rurales, où il est bien souvent le seul représentant du service public auprès des personnes isolées, dont certaines sont âgées. Il lui arrive aussi d’amener les médicaments.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Didier Guillaume. Il y a des personnes qui ne s’abonnent à un journal que pour avoir la visite quotidienne du facteur ! Cela, nous voulons le préserver.
S’il arrivait, par malheur, que La Poste soit privatisée, nous savons très bien que le triptyque du service public – égalité d’accès, non-discrimination, péréquation tarifaire – n’y résisterait pas. Tout cela serait mis à mal : on le sait très bien, qui dit « privatisation » dit « actionnariat ». Qui dit « actionnariat » dit « rentabilité » et la rentabilité, c’est l’inverse du service public à la française.
Mme Jacqueline Panis. La rentabilité, c’est aussi la responsabilité !
M. Didier Guillaume. Or on peut être un service public tout en gagnant de l’argent et en étant efficace.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cet article 1er, qui met le ver dans le fruit.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Didier Guillaume. Nous voulons réaffirmer que cet article 1er doit être combattu pour la bonne et simple raison que son adoption pourrait signifier la fin du service public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Comme vient de le dire avec talent mon collègue et ami Didier Guillaume, l’article 1er constitue le cœur – on pourrait aussi parler de « noyau dur » –de ce projet de loi.
Le Gouvernement a d’ailleurs, sans ambiguïté, annoncé la couleur : si ce texte est adopté, La Poste cessera d’être une entreprise publique pour devenir une société anonyme. Chacun se rend bien compte qu‘il est bien difficile de faire rimer « société anonyme » avec « entreprise publique » !
On nous soumet un texte qui donnerait la possibilité à l’État de se retirer progressivement et significativement du capital, et ce quelles que soient les multiples assurances données par M. le ministre et les modifications apportées par les sénateurs de la majorité.
En effet, au bout du compte, malgré toutes les dispositions « prophylactiques » éventuellement mises en place, et au-delà du caractère prétendument « imprivatisable » – votre néologisme est, lui, définitivement improbable, monsieur le ministre ! – de La Poste, ce que fait une loi, une autre loi pourrait le défaire.
Notons-le au passage, cela signifie que, malgré l’ampleur de la crise qui secoue notre pays, le Gouvernement persiste, là comme ailleurs – ou, plutôt, là plus qu’ailleurs ! –, à administrer sa potion libérale sans mesurer les risques qu’il fait courir à notre société, notamment aux plus fragilisés de nos concitoyens, qui ont un impérieux besoin de s’appuyer sur le service public.
Personne ne saurait nier les difficultés rencontrées par La Poste, mais c’est surtout dans les rangs de l’opposition que des voix se font entendre pour dire que ces difficultés trouvent leur origine dans le désengagement de l’État, qui avait, qui a et qui pourrait continuer à avoir la possibilité d’abonder les crédits destinés, par exemple, à garantir l’acheminement de la presse et la présence postale.
À travers l’article 1er, le Gouvernement enfonce le clou et prend, de surcroît, le risque de brûler ses propres vaisseaux ! Mais comment pourrait-il en être autrement quand l’exécutif a, dans la ligne du libéralisme pour lequel il a opté, fait de la réduction du coût des services publics l’alpha et l’oméga de son mode de gestion ? Ce qui ne l’empêche pas, de manière tout à fait paradoxale, de laisser exploser dans le même temps la dette publique, en prenant des mesures dont nous avons largement contesté le bien-fondé. Je pense à l’aide colossale apportée, sans droit de regard, au secteur bancaire ; au pacte automobile et aux crédits engagés en faveur de ce secteur, dont peu de sous-traitants – j’en parle en connaissance de cause ! – ont pu apprécier les effets bénéfiques ; à la baisse de la TVA pour les restaurateurs avec, à la clé, une perte fiscale de 2,5 milliards d’euros ; enfin, encore et toujours, aux fameuses niches fiscales et au bouclier fiscal, maintenus contre vents et marées.
On connaît maintenant votre recette : sélectionner très strictement les bénéficiaires des aides, puis, juste après, mutualiser la dette !
Voilà ce que vous voulez à présent appliquer à La Poste. Malgré vos dénégations, le risque existe bel et bien que vous ne résistiez pas à la tentation de céder une partie des actifs de l’État : transformée en société anonyme, La Poste pourrait parfaitement faire l’objet d’une telle démarche, grâce à l’adoption d’une loi dans le cadre de cette procédure accélérée dont le Gouvernement est si friand.
Pour toutes ces raisons, et parce que nous n’accordons plus aucun crédit à vos prédictions sur le statut de La Poste, nous voterons contre l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. À entendre les uns et les autres, il apparaît que, sur toutes les travées, nous aimons tous La Poste. Aussi ai-je envie de dire à mes collègues de la majorité : ne vous contentez pas de lui clamer votre amour, ce qui ne lui sert pas à grand-chose, adressez-lui donc une vraie preuve d’amour ! (Sourires.) Et savez-vous ce que serait cette preuve ? Ce serait de renoncer au changement de statut !
M. Alain Gournac. Non, car ce serait renoncer à la survie de La Poste !
M. Martial Bourquin. Monsieur le ministre, si vous renoncez au changement de statut, nous sommes prêts, de ce côté de l’hémicycle, à travailler avec vous à la modernisation de cette grande entreprise publique.
Cette modernisation impose un débat serein ; il faut qu’ensemble nous parvenions à faire en sorte que, dans une Europe, dans un monde où règne la concurrence, efficacité économique rime avec aménagement du territoire et grand service public postal. Nous devons donner à La Poste les moyens d’être une entreprise moderne, mais avec la volonté de lui garder son caractère public.
Pourquoi vouloir absolument changer de statut ? Il ne faudrait pas que l’on se hérisse – en particulier notre rapporteur ! – chaque fois que l’on parle d’EPIC ! (Sourires)
L’EPIC est un statut moderne. La Cour de justice des Communautés européennes, dans l’arrêt Corbeau de 1993, a reconnu que l’article 90 du traité de la Communauté européenne laissait latitude aux États de prévoir des restrictions à la concurrence et de se garder, ce faisant, des marges de manœuvre pour permettre aux entreprises publiques d’évoluer dans un monde en concurrence.
À mon sens, cette crispation sur le statut de La Poste montre que l’on n’a pas tiré tous les enseignements de la crise financière que nous venons de vivre. Je crains fort que, avec ce changement de statut, le « déménagement » du territoire et les suppressions d’emplois qui l’accompagnent ne connaissent une accélération considérable dans les mois qui viennent.
La SNCF, qui est en situation de concurrence, est un EPIC. Pourquoi La Poste, qui va être en situation de concurrence, ne pourrait-elle pas rester un EPIC ? Examinons les moyens de moderniser cette entreprise, mais ne la faisons en aucun cas basculer vers le statut de société anonyme, car, inévitablement, elle devra s’orienter vers une logique de rentabilité et vers une gestion privée, y compris pour les services publics.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est encore temps de revenir en arrière et de s’en tenir à cette volonté de modernisation de La Poste, dont personne ne conteste la nécessité, alors que tout le monde souhaite que La Poste reste un service public.
Or, dans le projet de loi qui nous est présenté, on ne trouve aucune proposition relative à la recapitalisation qui serait nécessaire à la modernisation. Ce n’est en effet pas son changement de statut qui, demain, assurera à La Poste une dotation suffisante, une manne régulière qui tomberait du ciel et lui permettrait de disposer des 5 milliards d’euros dont elle a besoin.
Rien, surtout, ne nous dit que ces capitaux seront disponibles sur le long terme. Pourtant, La Poste doit savoir maintenant de quels moyens elle disposera pour mener sa modernisation, d’autant que vous induisez vous-même l’exigence du long terme en prévoyant que La Poste sera prestataire de service universel pendant une période de quinze ans. Or, dans ce texte, vous ne donnez aucune garantie sur la pérennité des levées de capitaux, et nous n’avons pas davantage de certitudes sur les modalités du financement principal de La Poste.
Il ne me semble donc pas exagéré de dire que les propositions relatives au financement sont plutôt venues des rangs de l’opposition. Celles qu’a présentées Michel Teston sont même extrêmement précises : que l’État assume les charges qu’il devrait déjà assumer depuis très longtemps et aussi qu’il prenne toute sa part du coût que représentent l’acheminement de la presse et le service universel.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Voilà des propositions concrètes ! En les mettant en œuvre, on pourrait éviter une ouverture du capital. Sinon, dans quelques années, on ne manquera pas d’entendre que l’État est trop endetté et qu’il ne peut pas financer ces services publics…
Mes chers collègues, nous ne devons pas nous faire d’illusions. Tout à l’heure, nous avons entendu un ancien ministre des finances dire qu’il « aimait beaucoup » EDF. C’était aussi une grande entreprise de service public… Aujourd'hui, nous apprenons que l’on pourrait manquer d’électricité cet hiver ! Des cadres, des salariés d’EDF dénoncent un entretien insuffisant des centrales… Pourquoi ? Parce que EDF se situe davantage aujourd'hui dans une logique de rentabilité que dans une logique de service public.
Pour La Poste, mes chers collègues, il est encore temps d’abandonner le projet de privatisation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui répond à une double logique qui conduit à mettre en danger le service universel postal.
Ce projet de loi, d’une part, avalise pleinement l’ouverture totale à concurrence définitivement actée par la troisième directive postale et, d’autre part, procède à sa transposition en en retenant les dispositions les plus libérales.
Procédant directement de cette double logique, il met fin au secteur réservé qui faisait la force du service universel postal à la française et transforme La Poste, actuellement EPIC, en société anonyme.
C’est bien à une libéralisation du secteur postal que ce projet de loi procède.
Par exemple, le financement du service universel risque de ne plus être assuré, d’autant que l’assiette de contribution des opérateurs est bien trop étroite.
Peu de contraintes pèseront sur les concurrents de La Poste, alors qu’elle aura à assumer seule les missions de service public sur l’ensemble du territoire. Ses concurrents auront les mains libres pour se positionner sur les niches les plus rentables ; ils pourront même ne se livrer qu’à la collecte et au tri, laissant au facteur de La Poste le soin d’aller distribuer le courrier, y compris dans les zones les moins denses du territoire.
L’ARCEP, qui a toujours fait prévaloir les lois de la concurrence au détriment du service public et des opérateurs historiques, voit encore ses prérogatives augmenter, et cela reste vrai même si le rapporteur propose de mettre quelques bémols au texte du Gouvernement.
Voilà autant d’éléments qui ne créent pas un environnement très favorable à l’opérateur historique, pourtant chargé des missions de service public.
La première partie du projet de loi ne consiste qu’en une déclinaison des conséquences de la transformation de l’EPIC en société anonyme. Autant dire que la suppression de l’article 1er, que nous proposons, emporte avec elle la suppression de cette première partie et de la douzaine d’articles qui la composent. Devant cette proposition, chacun devra prendre ses responsabilités.
On nous explique que la transformation en société anonyme est incontournable, qu’il n’y a pas d’autres solutions, que l’actuel statut d’EPIC est un obstacle au développement de La Poste et que celle-ci a besoin de capitaux pour faire face à ses concurrents européens.
Elle aurait besoin de capitaux – mais personne ne sait exactement à combien ils se montent, plusieurs chiffres ayant été évoqués – pour moderniser son outil industriel et son réseau, pour développer ses activités de colis, voire de logistique, dans un environnement plus concurrentiel et marqué par la baisse du courrier.
Et l’on nous affirme que le changement de statut n’aurait aucune conséquence sur les missions de service public et sur l’entreprise elle-même, dont le capital demeurera à 100 % public ! Mais que constate-t-on ?
La Poste a déjà consacré 3,5 milliards euros à la modernisation de son réseau, avec, en toile de fond, d’un côté, la disparition de milliers de bureaux de poste au profit d’agences postales communales ou de relais poste dans des commerces et, de l’autre, la mise en place d’équipements automatisés au détriment du personnel.
Elle a également modernisé ses centres de tri en en faisant de véritables plateformes industrielles dotées de grandes capacités de traitement. Ces plateformes seraient cependant largement sous-utilisées aujourd’hui et pourraient, nous dit-on, être mises, à terme, à la disposition des opérateurs concurrents.
On en déduit que les capitaux dont La Poste « aurait besoin » seraient essentiellement destinés à lui permettre de mettre en œuvre sa stratégie à l’international. Comme le soulignait un communiqué du groupe La Poste, il s’agirait d’acquérir ou de développer des opérateurs alternatifs de courrier en Europe, de compléter le dispositif Express européen, notamment en Allemagne, en Espagne et en Italie, et de procéder à quelques acquisitions ciblées hors d’Europe. « En dépit du bilan très positif de ces dernières années, La Poste ne dispose que d’une enveloppe très limitée de croissance externe, qui ne lui donne pas les moyens d’assurer la politique de développement ambitieuse et nécessaire de ses métiers et de saisir les opportunités », pouvait-on lire dans ce communiqué.
Au final, 2,7 milliards d’euros de fonds publics seraient donc mis au service de la stratégie d’internationalisation et de croissance externe de La Poste.
Cette stratégie ne va-t-elle pas se traduire, sur le plan national, par un appauvrissement de nos services publics avec, à la clé, des milliers de suppressions d’emplois, alors que l’orientation choisie n’a pas fait l’objet d’un débat public et citoyen ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, les faux remparts que vous érigez et qui ne sont, comme je l’ai dit hier, que des digues de papier, ne rassureront pas les Français, inquiets de la dérive vers la privatisation actuellement engagée. J’ai d’ailleurs noté que certains ministres, à vouloir trop rassurer, ont lancé de nombreuses salves de justifications qui se sont bien souvent télescopées, et parfois même contredites. Certains se sont même défaussés sur l’Europe, l’accusant d’imposer ce changement de statut, ce qui est, nous le savons bien, totalement faux.
Bref, tout cela paraissait abracadabrantesque.
Mais le clou de l’affaire, c’est lorsqu’un proche conseiller de l’Élysée a, d’une certaine manière, vendu la mèche : comme l’a écrit un journaliste, « pendant qu’Estrosi fait le pompier, Guaino souffle sur les braises ». M. Guaino a en effet déclaré qu’« il n’y [avait] jamais rien d’éternel », et que cela valait également pour les entreprises publiques. Pan sur le bec ! Ces propos nous rappellent les promesses non tenues sur Gaz de France faites en 2006 par M. Sarkozy.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que vous alliez rendre La Poste « imprivatisable ». Chiche ! Il ne tient qu’à vous, dans les prochains jours, de prendre toutes les dispositions afin d’inscrire dans la Constitution que La Poste ne pourra pas être privatisée. Mettez donc vos actes en phase avec vos discours et réciproquement !
Que penser de l’amendement de M. Pozzo di Borgo – celui-ci l’a finalement retiré – dont l’exposé des motifs visait à permettre à l’État de privatiser La Poste, à terme, sans qu’une nouvelle loi soit nécessaire ? Cet amendement et les explications qui l’accompagnaient traduisaient bien les intentions du Gouvernement de privatiser ultérieurement La Poste.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Roland Courteau. Quoi que vous puissiez dire, monsieur le ministre, nous savons que le sort de l’entreprise est décidé et ficelé depuis bien longtemps.
Pour notre part, nous voulons défendre le statut d’établissement public de La Poste. Nous persistons à penser que le statut actuel constitue une garantie absolument nécessaire de la préservation des missions de service public et du contrôle de la stratégie du groupe, et qu’il est tout à fait adapté à la nécessaire modernisation et au développement de cette entreprise.
C’est pourquoi nous vous affronterons lors de la discussion des articles afin de garantir et de sauvegarder une entreprise publique d’une grande utilité sociale et économique, qui est le symbole du service public à la française.
Oui, nous voulons le maintien du statut actuel ! Les contre-exemples donnés par les pays pionniers de la libéralisation et de la privatisation, énumérés par Jean-Jacques Mirassou, devraient en faire réfléchir plus d’un, d’autant que certains de ces pays, comme le Japon, font maintenant marche arrière dans ce domaine. Alors, mes chers collègues, méditez ces exemples.
Les Français vous observent. Ils n’accepteront jamais les services publics au rabais que vous leur proposez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement prend prétexte de la directive européenne du 20 février 2008 pour changer le statut de La Poste. Il a été abondamment démontré par plusieurs orateurs que le processus d’ouverture progressive à la concurrence du secteur postal n’impliquait nullement le changement de statut de La Poste et sa transformation de personne morale de droit public en société anonyme. On peut, dès lors, légitimement se demander ce que recouvre ce changement de statut. N’est-il pas le premier pas vers une privatisation qui ne dit pas son nom, du moins pas encore ?
Nous sommes donc bien loin de la directive elle-même, qui n’exige rien en matière de statut. Il faut chercher l’explication ailleurs. La majorité tente de justifier la démarche de privatisation en invoquant une condition nécessaire de l’ouverture à la concurrence. Disons-le nettement : si la concurrence ne rend pas nécessaire le changement de statut de La Poste, c’est que les changements qui nous sont proposés relèvent du pur dogmatisme libéral.
La mission de cohésion et de service au bénéfice de nos territoires assurée par La Poste, qui va bien au-delà de simples enjeux financiers, devrait justifier à elle seule l’engagement des pouvoirs publics. Aucune entreprise privée n’acceptera d’acheminer le courrier et d’être présente sur l’ensemble des territoires ruraux, car cette mission ne représente qu’une trop faible valeur ajoutée pour une entreprise dont le but est le profit. Est-ce bien là le modèle que nous voulons pour La Poste ?
Le statut de société anonyme est clairement une menace pour l’avenir de La Poste et pour le service postal en général. La Poste se retrouvera en effet face à des concurrents qui se positionneront sur les secteurs d’activité offrant la plus forte valeur ajoutée. Bien sûr, la mission de service public de La Poste demeure le dernier rempart contre ces dérives prévisibles, mais pour combien de temps ? L’État aura-t-il, à l’avenir, autant d’exigences pour les concurrents de La Poste que pour La Poste elle-même ?
Vous ne devez pas chercher à nous faire croire que ce changement de statut ne s’accompagnera pas, à terme, de mesures de réorganisation et d’adaptation, comme la fermeture de bureaux de poste, voire des réductions d’effectifs, puisque c’est déjà le cas.
Le texte prévoit que 100 % du capital seront détenus par l’État et par d’autres personnes morales de droit public. Mais nous avons vu que cela n’offrait aucune garantie durable quant à la permanence de la présence de l’État et du secteur public dans le capital de La Poste. La fusion GDF-Suez en témoigne : le capital qui avait été garanti par l’État est devenu, au final, majoritairement privé. Il serait bon que le Gouvernement apporte des garanties suffisantes et crédibles sur ce point, afin de s’assurer que La Poste restera dans le domaine public.
Mais pourquoi compliquer inutilement les choses ? Pour s’assurer que le capital de La Poste reste bien public, existe-t-il une meilleure solution que le maintien du statut actuel ?
La votation de ces dernières semaines a été un vaste mouvement citoyen dont l’ampleur a surpris les observateurs. Elle a rappelé l’attachement de nos concitoyens à La Poste et au service public postal. On ne peut sans prendre de risques nier, caricaturer, encore moins ridiculiser la volonté populaire qui s’est exprimée à cette occasion.