M. Dominique de Legge. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’état, mes chers collègues, voilà un an, était publié, au Sénat, un rapport d’information sur l’accueil des jeunes enfants, issu des travaux du groupe de réflexion conduit par Mme Papon et M. Martin, et auquel j’avais participé.
Ce rapport, dont j’avais alors dénoncé les conclusions, ainsi qu’une partie du constat qu’il dressait, préconisait la création de « jardins d’éveil » et, de fait, la fin de la scolarisation des enfants de deux ans. Cette proposition était dans l’air du temps, puisque, quelques mois plus tôt, Mme Michèle Tabarot, député UMP, proposait, elle aussi, de créer une nouvelle structure, « le jardin d’éveil ».
Ces deux rapports ont donc apporté de l’eau au moulin du ministre Xavier Darcos, hostile à la scolarisation des enfants de deux ans. Ses propos sur les enseignants des écoles maternelles avaient traduit, outre le mépris (Mme la secrétaire d’État fait un signe de dénégation), une profonde méconnaissance du travail de ceux-ci. Pourtant, lors de la visite d’une classe de très petite section de l’école maternelle Grésillons située à Gennevilliers, notre groupe de réflexion avait été le témoin privilégié du travail formidable et passionnant qu’ils réalisent. Malheureusement, ces classes se raréfient du fait de la diminution constante, depuis 2000, de la scolarisation des enfants de deux ans.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision du Gouvernement d’expérimenter 8 000 places en « jardins d’éveil » payants à destination des 2-3 ans, avec l’objectif de créer au moins 200 000 offres de garde supplémentaires d’ici à 2012, un objectif qui ne cesse d’ailleurs d’être revu à la baisse, puisque vous aviez annoncé, en 2008, madame la secrétaire d'État, 350 000 places d’ici à 2012. Entre-temps, la promesse de campagne de Nicolas Sarkozy de garantir aux parents, d’ici à la fin de son quinquennat, un « droit de garde opposable » est passée à la trappe !
Pour justifier la création de cette nouvelle structure, vous parlez d’une « diversification des solutions d’accueil ». Pourtant, celles-ci ne manquent pas : accueil individuel chez les assistantes maternelles, accueil collectif en établissements, avec les crèches traditionnelles, parentales ou de personnel, les haltes-garderies, les jardins d’enfants, les établissements multi-accueil, les crèches familiales, les micro-crèches même, créées à titre expérimental en 2007 dans les zones rurales et pour lesquelles vous avez assoupli les règles d’encadrement en matière de personnel !
On ne peut donc pas parler de « pauvreté » en termes de structures d’accueil. Non, ce qui fait défaut, c’est bel et bien le nombre de places offertes : 200 000 à 400 000 selon les estimations ! L’objectif des 75 000 places nouvellement créées entre 2000 et 2007 n’a pas été atteint ; seules 32 280 places seront créées d’ici à 2011.
De plus, au regard des structures déjà existantes, je m’inquiète du fait que le jardin d’éveil ne remplira que des conditions a minima au niveau de l’encadrement, alors que l’amplitude horaire sera semblable à celle d’un établissement d’accueil du jeune enfant.
En effet, le taux d’encadrement défini est flou, mentionnant « une fourchette de 8 à 12 enfants pour un adulte, selon les moments de la journée et les coopérations possibles avec d’autres structures d’accueil ». Soit seulement 2 adultes pour 24 enfants ! Dans les crèches, le ratio est de 1 adulte pour 5 enfants qui ne marchent pas et de 1 adulte pour 8 enfants qui marchent.
Quid de l’encadrement au moment des repas ? La lettre circulaire évoque, sans plus de précision, que « l’organisation des plannings devra permettre de renforcer le personnel au moment du repas ». Quid aussi des liens avec la PMI, la protection maternelle et infantile ? De même, se pose la question des locaux, mais j’y reviendrai ultérieurement.
Tous ces éléments expliquent sans doute les raisons pour lesquelles les candidats ne se sont pas bousculés depuis l’appel à candidatures lancé en avril dernier.
Cette nouvelle structure, nous dites-vous, madame la secrétaire d'État, doit aussi être une réponse « aux contraintes et aux besoins des parents et des territoires ». Mais en quoi une structure réservée aux seuls 2-3 ans répondra-t-elle aux besoins des parents ?
Quand les deux parents travaillent, le problème du mode de garde se pose non pas à partir de deux ans, mais dès les premiers mois suivant la naissance. En France, les deux tiers des enfants âgés de moins de six ans ont deux parents actifs. Parmi ces couples, 36 % des mères travaillent à temps partiel : 23 % d’entre elles souhaiteraient travailler davantage et 13 % sont à temps partiel par manque de place dans les structures d’accueil ou en raison du coût de la garde.
De plus, pourquoi créer une nouvelle structure à destination des seuls 2-3 ans, alors même que l’école maternelle se fait fort, depuis le début de sa création, d’accueillir ces enfants, du moins si on lui en donne encore les moyens ! Car, derrière la mise en place des jardins d’éveil, c’est bien de cela qu’il est question !
Nous le savons tous, la scolarisation des deux ans est en chute libre, non pas parce que les parents lui sont devenus hostiles, mais parce que les écoles, faute de moyens, de personnels suffisants et de places disponibles, sont sous l’effet de la reprise démographique : plus il y a d’enfants âgés de 3 à 5 ans à scolariser et plus, mécaniquement, l’offre de scolarisation des 2 ans en pâtit. De plus, les statistiques dont nous disposons montrent une disparité extrême entre les territoires.
Aujourd’hui, le phénomène d’éviction de la scolarisation des enfants de deux ans, combiné aux restrictions budgétaires, touche aussi les 3 ans nés en fin d’année.
Il résulte de cette situation un transfert du financement de l’accueil de ces enfants vers les collectivités territoriales, les caisses d’allocations familiales et les familles. En effet, pour le Gouvernement, et le ministère de l’éducation nationale, ce sont autant de postes économisés en maternelles – on évoque le chiffre de 10 000 postes – pour accueillir cette tranche d’âge !
Cette évolution est pourtant jugée « peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l’argent public » par la Cour des comptes dans son rapport 2008 sur les comptes de la sécurité sociale. En effet, le coût moyen d’un enfant scolarisé en école maternelle est trois fois moins élevé que celui d’un enfant placé en crèche. Pour le jardin d’éveil, le prix de revient annuel ne devrait pas dépasser, en moyenne, 8 000 euros, une somme prise en charge par les CAF, ou caisses d’allocations familiales, le porteur de projet et les familles en fonction de leurs revenus. S’amplifie donc ici un peu plus le mouvement actuel de transfert de financement.
Car nous sommes là dans une logique purement comptable, guidée par la RGPP, la révision générale des politiques publiques. D’ailleurs, la boucle est bouclée, puisqu’il est prévu d’installer les jardins d’éveil dans des « locaux communaux », afin, dites-vous, madame la secrétaire d’État, « d’optimiser les moyens existants ». Surtout quand il s’agit des moyens des écoles maternelles ! Sinon, de quels bâtiments parlons-nous ? Des centres de loisirs ? Ils sont souvent installés dans les écoles. Des crèches familiales gérées par les municipalités ? Au maximum de leur capacité, comment pourraient-elles accueillir de nouveaux enfants ?
Que verrons-nous alors ? Des écoles maternelles publiques fermées pour faire place à des jardins d’éveil payants, qui ne remplaceront en aucune façon la maternelle, ni même la crèche au niveau de la conception des besoins éducatifs du petit enfant ?
Dans mon département, les Hauts-de-Seine, la municipalité de Levallois-Perret a été, vous le savez, mes chers collègues, « précurseur » en la matière.
Dès 2005, elle a ouvert trois « jardins de découverte », gérés par la caisse des écoles et implantés dans les locaux des centres de loisirs maternels. Parallèlement, la mairie a annoncé la fermeture d’une école maternelle et de deux classes dans une autre. Bilan : une baisse continue du nombre de places et de classes dans les écoles maternelles publiques. Celles-ci sont passées de 87 en 2004 à 78 à la rentrée 2009 avec, pour conséquence directe, une remontée des effectifs dans toutes les écoles.
Par ailleurs, pour justifier la création de ces jardins d’éveil, vous expliquez que l’enfant de deux ans, qualifié de « bébé », n’a pas sa place à l’école maternelle. Vous citez certains experts, mais d’autres affirment le contraire. Des études attestent effectivement les effets positifs de la scolarisation précoce sur la scolarité, même si, il faut le reconnaître, ceux-ci s’amoindrissent dans le temps.
Je crois, pour ma part, que l’accès à la maternelle des enfants de deux ans doit absolument rester une possibilité offerte aux parents, en fonction des enfants, de leur maturité, du cadre familial... De nombreux travaux ont montré que beaucoup de choses se jouent chez l’enfant entre deux ans et quatre ans. C’est une période d’intense activité et d’acquisition au niveau du langage, de la pensée logique, de la construction de la personnalité, de la conscience de soi dans la relation aux autres ; c’est un moment propice aux apprentissages durant lequel des mécanismes peuvent – ou non – se mettre en place.
L’école maternelle a donc un rôle formidable à jouer : c’est là que l’enfant apprend à apprendre, apprend à devenir « élève », et l’on sait l’importance que cela a dans son devenir scolaire.
Cependant, la question des tout-petits n’est que l’un des éléments de la réflexion concernant la maternelle. En effet, cet outil précieux qu’est la maternelle ne demande qu’à être amélioré pour réduire les inégalités, et non pour créer de l’inégalité scolaire. Il faut, tout au contraire, relancer l’école maternelle, ce qui implique de s’interroger sur les effectifs, la classe, les locaux, les rythmes, les pédagogies employées, mais cela suppose de garantir aux enseignants une formation de haut niveau, spécifique, initiale et continue en liaison avec la recherche.
Enfin, il faut assurer une complémentarité avec un service public de la petite enfance de zéro à deux ans. Ce lien entre les structures d’accueil et les écoles a existé, mais il s’amenuise, quand il n’a pas totalement disparu, faute, là encore, de moyens. Il ne faut donc pas moins d’écoles maternelles, mais plus d’écoles maternelles, et de meilleure qualité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme Christiane Demontès. Bravo !
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l’école maternelle était jusqu’alors destinée aux enfants âgés de deux à six ans. Gratuite, elle accueillait 35 % des enfants de deux ans et la quasi-totalité des enfants de trois à six ans. Depuis, les chiffres se sont dégradés, sans que l’école soit en cause, mais pour des raisons qui ont été dénoncées par Françoise Cartron et d’autres collègues. Toutefois, elle reste un élément important du système éducatif français et a pour objectif d’assurer l’éveil et la socialisation des jeunes enfants.
Il est très ancien le temps où les écoles maternelles ont vu le jour ! Dès le XVIIIe siècle, en 1771, un pasteur vosgien avait créé l’« école des commençans ». Ce n’était, sans doute, à cette époque qu’une garderie, mais l’idée fut reprise au Royaume-Uni d’abord, puis en France, sous l’influence de Pauline Kergomard, la première inspectrice générale des écoles maternelles, comme cela est précisé dans votre livre, que vous m’avez prêté, madame la secrétaire d'État, et je vous en remercie.
M. René-Pierre Signé. Cette structure entra dans le cercle de l’éducation nationale et évolua rapidement dans un sens pédagogique pour prendre, dès 1881, le nom d’ « écoles maternelles ».
Mes chers collègues, j’ai fait ce petit rappel historique pour souligner le fait que les écoles maternelles sont anciennes, qu’elles sont apparues avant les écoles primaires et les lois Jules Ferry, qu’elles furent mixtes, une mixité longtemps refusée aux autres lieux d’enseignement, et que la nécessité d’un enseignement s’imposa rapidement pour adjoindre à cette garderie un rôle d’éducation et de promotion sociale.
Madame la secrétaire d'État, votre proposition de jardin d’éveil va donc à contresens de l’histoire. Le Gouvernement veut pallier la faiblesse de l’offre de garde pour les moins de trois ans : la France compte à peine un million de places pour 2,4 millions d’enfants. La pénurie d’enseignants et le manque d’intérêt pour la préscolarisation à deux ans justifient ce projet substitutif à l’école.
Des structures à mi-chemin entre la crèche et l’école, telle est donc l’expérience lancée en cette rentrée 2009.
Ces jardins d’éveil, payants pour les familles et en partie pris en charge par les communes, se posent en concurrents de l’école maternelle publique, gratuite et égalitaire. Mais ils n’assureront pas l’éveil des enfants ; ce n’est ni dans leur esprit ni dans leur rôle. Ils sonneront le glas de l’école à deux ans et, pis encore, ils pourront accueillir les enfants jusqu’à trois ans et demi.
D’autres questions se posent. Hormis le fait de cantonner le rôle des enseignants des maternelles à la surveillance des siestes et au changement de couches, qui ne relève que des propos malheureux tenus par Xavier Darcos, que peut-on reprocher à l’école maternelle ?
La préscolarisation dès l’âge de deux ans est-elle utile ? Des travaux des pédagogues, des pédiatres et des anthropologues qui s’intéressent à l’éveil de l’enfant l’affirment. Or, dans cette évolution, le rôle des familles est évidemment déterminant. L’école maternelle intervient à bon escient pour pallier la carence de l’éducation parentale dans certaines familles qui ne peuvent que peu enseigner, car on leur a peu appris. Elle n’y réussit sans doute que partiellement, mais elle n’est pas sans mérite ni sans résultat.
Il est parfaitement admis, sauf par quelques détracteurs de la promotion sociale, que le rôle assuré par l’école maternelle est primordial, d’autant que la qualité des enseignants ajoute encore à son excellence. Ce sont les enfants des milieux les plus éloignés de l’école qui seront les premières victimes de cet abandon.
Éveiller le plus tôt possible l’intelligence d’un enfant, savoir l’intéresser à l’acquisition de connaissances nouvelles, ouvrir plus largement sa vision du monde, lui permettre d’exercer précocement son jugement, voire son sens critique, lui créer de nouveaux centres d’intérêt, autant d’actions qui paraissent indispensables et combien nécessaires.
L’ensemencement des cerveaux par une pédagogie adaptée est le secret d’une réussite non seulement scolaire, mais aussi sociale. Tous les pédagogues et tous les sociologues le savent et l’affirment. L’ascenseur social si souvent évoqué, qui semble s’être grippé aujourd’hui, ne peut fonctionner qu’à partir de l’école maternelle, qui va réduire les inégalités culturelles dont on hérite.
Pour passer aux questions pratiques, l’admission dans ces jardins d’éveil ne sera pas gratuite : on parle de 150 à 400 euros par famille, suivant les revenus. Que feront les maires, et plus encore ceux des petites communes, qui ont tant de difficultés à gérer crèches et écoles ? Où trouveront-ils des locaux ?
La question de l’encadrement se pose aussi. Quels seront les formations ou les diplômes exigés pour les personnels d’encadrement, qui doivent avoir au minimum quelques notions dans le domaine éducatif de la petite enfance ?
Or, tous les CAP ou les BAFA, option Petite enfance, aussi valables qu’ils soient, sont assez loin d’atteindre les compétences des enseignants. Cela revient à avouer que le jardin d’éveil, se substituant à l’école maternelle gratuite, oubliant la complémentarité entre école maternelle et école primaire, va cautionner et mettre en place un fonctionnement a minima, un service au rabais, écartant les ambitions du service public.
En outre, ce projet prévoit un abaissement des normes d’encadrement des enfants actuellement pratiquées dans les crèches, avec un adulte pour douze enfants, au lieu de un pour huit. Ces jardins, à mi-chemin entre crèche et école, seront retirés du système éducatif et de la prévention des inégalités scolaires. Il est vrai que suppression du nombre d’enseignants oblige !
La nécessité de créer des structures de garde pour les enfants, pour urgente qu’elle soit, madame la secrétaire d'État, ne doit tout de même pas entraîner la détérioration d’un système éducatif bien rodé. C’est une atteinte grave au premier lieu de socialisation et de préparation encouragée à la réussite sociale.
La démarche qui consiste à supprimer les petites classes de maternelle pour les remplacer par des jardins d’éveil paraît essentiellement guidée par des objectifs financiers, puisque le coût est transféré aux familles et aux communes. La scolarisation tardive de certains élèves issus des milieux les plus fragiles augmentera inévitablement l’échec scolaire et il en résultera un nombre plus élevé d’enfants en difficulté.
La scolarisation des jeunes enfants ne devrait en aucun cas devenir une variable d’ajustement budgétaire, d’autant que le coût par enfant sera plus élevé qu’en école maternelle. Le choix de développer des jardins d’éveil est donc illogique et ne se justifie ni socialement, ni économiquement. C’est la raison pour laquelle, madame la secrétaire d'État, nous sommes en profond désaccord avec vous sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Pierre Bordier. Heureusement !
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais saisir l’occasion qui m’est donnée avec cette question orale sur l’expérimentation des jardins d’éveil pour m’associer au propos liminaire empreint de beaucoup de bon sens de ma collègue Monique Papon.
Personnellement, je souhaite non seulement traiter plus particulièrement de la mise en œuvre des jardins d’éveil, mais aussi lever certaines ambiguïtés entourant le plus souvent le développement de cette nouvelle forme d’accueil des jeunes enfants qui devrait être progressivement proposée aux parents.
Les travaux du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants dont j’ai été corapporteur ont, pour les raisons précédemment évoquées par Mme la présidente Monique Papon, conduit à proposer la création d’un lieu d’éducation et d’éveil destiné aux enfants de deux à trois ans, que nous avions opportunément dénommé « jardin d’éveil ».
Nous n’étions pas les seuls à formuler une telle proposition. Je citerai notamment le rapport de Mme Michèle Tabarot, député, sur le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. Partant d’un postulat différent du nôtre, elle affirmait que les modes de garde en direction des enfants âgés de deux à trois ans devraient être étendus par la création de « jardins d’éveil ».
Je pourrais même rappeler qu’en 2001 Mme Ségolène Royal, alors ministre délégué à la famille, à l’enfance et aux personnes handicapées, avait annoncé son intention de créer des « jardins d’enfants éducatifs » destinés aux enfants de deux à trois ans. C’est une référence, cela va de soi !
M. René-Pierre Signé. Elle a beaucoup évolué !
M. Pierre Martin. Pour ce faire, le fonds d’investissement pour la petite enfance, FIPE, avait été abondé, mais le développement de ces structures est resté lettre morte.
Aujourd’hui, il est important d’offrir aux familles d’autres lieux que la classe pour l’accueil des enfants âgés de moins de trois ans. Telle est ma conviction et celle du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
En ce sens, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de concrétiser la proposition qui avait donné son titre au rapport d’information de notre groupe de travail : « Accueil des jeunes enfants : pour un nouveau service public ».
Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de rappeler que notre proposition n’avait pas pour corollaire la remise en cause ou la fin annoncée de l’école maternelle. Nous attribuer une telle intention reviendrait à ne pas prendre en considération la réalité de notre réflexion.
M. René-Pierre Signé. C’est la fin de l’école maternelle à deux ans !
Mme Françoise Cartron. Les faits sont têtus !
M. Pierre Martin. C’est spécifié dans le rapport. Nous y reviendrons si vous le souhaitez !
Au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, nous n’avions pas voulu engager un débat sur l’école maternelle. Mais nous nous étions interrogés sur le bien-fondé d’une entrée aussi précoce dans le système scolaire, dès l’âge de deux ans.
Le rapport d’information insistait sur l’absolue nécessité de « conforter le rôle de première école qui est au cœur de la mission de l’école maternelle ».
Comme l’ensemble de nos concitoyens, je suis profondément attaché à cette forme d’école préélémentaire dans sa spécificité française. Toutefois, je considère que la prise en charge des enfants de deux à trois ans, lorsqu’il existe une demande de la part des familles, ne relève pas de la sphère scolaire.
Selon moi, il faut désormais être innovant et proposer d’élargir, par voie d’expérimentation, l’offre d’accueil en direction des jeunes enfants. Ainsi, madame Cartron, je ne peux partager la présentation que vous faites des jardins d’éveil.
Les travaux du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants avaient mis en parallèle la création des jardins d’éveil et le principe d’une école maternelle pour tous à partir de trois ans.
M. René-Pierre Signé. L’école maternelle a été créée avant l’école primaire !
M. Pierre Martin. Les choses évoluent, mon cher collègue !
Mme Françoise Cartron. Mais non !
M. Pierre Martin. Nous veillerons donc à ce que ces jardins d’éveil soient exclusivement réservés aux enfants âgés de deux à trois ans, ce dont je ne doute pas.
Je voudrais rappeler, à l’occasion de ce débat, que nous avions aussi formulé des recommandations concernant l’école maternelle.
Nous avions préconisé que, dans le cadre de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, les compétences nécessaires à l’enseignement en école maternelle soient mieux prises en compte. Le groupe de travail avait surtout insisté sur la question de la formation professionnelle des enseignants des écoles maternelles, souvent jugée insuffisante pour ce niveau d’enseignement. Aussi, je me félicite qu’à l’occasion des mesures destinées à donner un nouvel élan à l’école maternelle le ministre de l’éducation nationale ait annoncé un plan de formation des enseignants des écoles maternelles. (M. Serge Lagauche s’esclaffe.)
Il nous paraît important que les jardins d’éveil s’inscrivent comme une structure intermédiaire originale entre la crèche et l’école, et répondent à un cahier des charges précis.
Les éléments recueillis par notre groupe de travail nous avaient ainsi permis de formuler quelques orientations pour garantir des conditions matérielles satisfaisantes à l’accueil du jeune enfant. Je citerai, par exemple, un contenu pédagogique, des effectifs réduits, un personnel formé aux spécificités de la petite enfance, une souplesse de fonctionnement, une amplitude horaire.
Nous avions ainsi suggéré de réfléchir à un assouplissement des normes d’encadrement des structures d’accueil du jeune enfant, autour d’un adulte pour quinze enfants. Cette recommandation avait en effet été émise par un certain nombre d’acteurs du domaine de la petite enfance et de l’éducation lors des auditions du groupe de travail. Des enseignants nous avaient décrit la classe idéale des « petits » comme réduite à quinze. Il faut rappeler qu’il n’existe aucune norme en matière d’effectifs pour l’école maternelle.
Par ailleurs, la création des jardins d’éveil est de nature à contribuer au développement de l’emploi dans le secteur de la petite enfance, en privilégiant le recrutement d’éducateurs de jeunes enfants, dont la formation nous semble la plus adaptée à cette tranche d’âge. Ces éducateurs sont en effet tout à fait à même de proposer des activités autour de la motricité, du jeu ou du langage.
Nous avions aussi souhaité que la formation de ces éducateurs soit complétée par des temps de rencontres et d’échanges avec les enseignants des écoles maternelles.
J’entends aussi un certain nombre de critiques sur les moyens disponibles pour la mise en œuvre effective des jardins d’éveil. Je crois qu’il existe des marges de manœuvre. En effet, non seulement des communes, mais aussi d’autres partenaires de la petite enfance et de l’éducation sont prêts à investir dans votre projet, madame la secrétaire d’État.
C’est ainsi que nous avions envisagé un recensement des locaux vacants, notamment dans les écoles maternelles ou dans les crèches, pour permettre une mise en œuvre relativement rapide de ces jardins éveil sans recours à des constructions supplémentaires.
Certes, les collectivités territoriales sont appelées à être partenaires des jardins d’éveil. Mais ne le sont-elles pas déjà des crèches et des écoles maternelles quand on prend les enfants à l’âge de deux ans ?
M. Pierre Martin. Je le répète, mes chers collègues, les deux acteurs principaux du financement des écoles maternelles sont l’État et les collectivités territoriales.
La scolarisation actuelle des enfants de moins de trois ans est marquée par de fortes disparités territoriales, qui nous questionnent en termes d’équité. Si l’on veut faire entrer son enfant à l’école maternelle dès deux ans, il est préférable d’habiter en milieu rural ou dans une ville moyenne, en Bretagne par exemple, plutôt que dans une grande métropole.
Sur ce point, madame la secrétaire d’État, je voudrais vous interroger sur les réponses susceptibles d’être apportées aux besoins des populations en termes de proximité des jardins d’éveil, tout particulièrement en milieu rural. En effet, nous imaginons les problèmes que pose le regroupement de ces enfants dans le cas de plusieurs petites communes.
Enfin, permettez-moi d’insister sur une des propositions qui me tient le plus à cœur. Le projet que vous portez aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, ne peut se concevoir sans l’établissement d’un lien privilégié avec l’école maternelle, et donc avec l’éducation nationale. L’occasion nous est donnée de décloisonner les univers professionnels en développant les relations entre les acteurs de la petite enfance et ceux de l’école maternelle.
Enfin, mes chers collègues, j’observe que la création des jardins d’éveil est menée à l’occasion d’une expérimentation dont il conviendra de tirer les conclusions.
Madame la secrétaire d’État, nous devons vous encourager et vous accompagner dans la mise en œuvre de ce projet dont, en tant que rapporteur du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, je souhaite bien entendu la réalisation.
En conclusion, au cours de la mission que nous avons menée, ma collègue Mme Papon et moi-même, et des auditions de toutes ces personnes qualifiées sur cette question des jeunes enfants, notre souci a été de ne privilégier qu’une seule chose : l’intérêt de l’enfant.