M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Morin, ministre. Par nature, une disposition législative ne peut encadrer le pouvoir réglementaire du Premier ministre.
S'agissant du décret d’application, je m’étais engagé à ce qu’il soit annexé au présent projet de loi, et cela a été fait. Bien entendu, il nous faudra tirer pour ce texte les conséquences des modifications que l’Assemblée nationale et le Sénat auront apportées au projet de loi. Et dans cette perspective, il ne fait aucun doute que nous consulterons les institutions polynésiennes et que nous nous concerterons avec elles.
Néanmoins, monsieur le sénateur, je le répète, vous ne pouvez contraindre le pouvoir réglementaire du Premier ministre, pouvoir qui, en vertu de la Constitution, est autonome, en prévoyant dans ce projet de loi que le décret en Conseil d'État sera rédigé en concertation avec telle ou telle institution, même si c’est bien ce que nous ferons.
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.
M. Richard Tuheiava. Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous clarifiiez un point.
Si mes souvenirs sont bons, l’avis de l’Assemblée de la Polynésie française mais aussi celui de l’exécutif local de cette collectivité ont été sollicités avant l’examen du présent projet de loi. Qu’est-ce qui nous empêche donc de prévoir ici une telle concertation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Richard Tuheiava. Il m’est arrivé de lire quelques livres de droit…
M. Hervé Morin, ministre. Si tel est le cas, vous savez qu’un projet de loi qui concerne la Polynésie française doit être soumis aux institutions de cette collectivité !
Toutefois, il s'agit ici non pas d’un projet de loi, mais d’un décret ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Dominique Voynet. Ne soyez pas méprisant, monsieur le ministre !
M. le président. Monsieur Tuheiava, il est en effet obligatoire, en vertu de la Constitution, de consulter les institutions de Polynésie avant tout projet de loi concernant ce territoire…
M. Richard Tuheiava. Certes, mais aménager l’exercice du pouvoir réglementaire à travers un projet de loi ne constitue pas, aujourd'hui, une violation constitutionnelle ! Il me semble même que ces mesures d’application devraient être connues…
Je le répète, nous ne sommes pas en train de violer un principe constitutionnel !
M. Hervé Morin, ministre. Il s’agit d’un pouvoir réglementaire autonome ! C’est l’article 37 de la Constitution !
M. le président. Monsieur Tuheiava, l'amendement n° 26 est-il maintenu ?
M. Richard Tuheiava. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
L’indemnisation est versée sous forme de capital.
Toute réparation déjà perçue par le demandeur à raison des mêmes chefs de préjudice et notamment le montant actualisé des pensions éventuellement accordées, est déduite des sommes versées au titre de l’indemnisation prévue par la présente loi. – (Adopté.)
Article 6
L’acceptation de l’offre d’indemnisation vaut transaction au sens de l’article 2044 du code civil et désistement de toute action juridictionnelle en cours. Elle rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices. – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 6
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher et Lise, est ainsi libellé :
Après l’article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le recours juridictionnel du demandeur, en cas de refus d’indemnisation ou de contestation du montant de l’indemnisation proposée, est intenté devant le tribunal administratif de Papeete lorsque le demandeur réside en Polynésie française, ou devant le tribunal administratif de Paris pour les autres demandeurs.
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Je présenterai cet amendement avec calme…
L’article additionnel que je propose d’insérer dans le projet de loi vise à préciser les conditions d’exercice du droit de recours du demandeur contre une décision qui rejetterait sa demande ou accorderait une indemnisation ne correspondant pas au montant souhaité.
Les recours contre les décisions d’un ministre relèvent en principe du tribunal administratif de Paris. Toutefois, cet amendement a pour objet d’attribuer au tribunal administratif de Papeete ceux qui sont relatifs à l’indemnisation, du fait de l’éloignement de la juridiction administrative de droit commun compétente en la matière.
Il s'agit donc d’aménager l’exercice du recours juridictionnel. J’espère, cette fois, que je serai bien compris ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Je suis désolé, mon cher collègue, d’être de nouveau obligé d’émettre, au nom de la commission, un avis défavorable !
Je partage vos préoccupations. J’avais d'ailleurs moi-même proposé un amendement similaire en commission, avant de le retirer après avoir reçu de M. le ministre l’engagement que ces dispositions, bien évidemment de nature réglementaire, figureront dans le décret d’application du projet de loi.
À l’évidence, les habitants de Polynésie s’adresseront plus facilement au tribunal administratif de Papeete qu’à celui de Paris. Il s'agit là d’une modalité d’application, qui relève donc du règlement, la loi fixant seulement les principes.
J’émets donc un avis défavorable, mais M. le ministre s’est engagé à faire figurer cette disposition dans le décret, et il va certainement nous le répéter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Morin, ministre. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer à M. le rapporteur, je suis défavorable à cette disposition, car elle relève du domaine réglementaire.
Toutefois, vous pourrez constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’article 11 de l’avant-projet de décret d’application, qui est annexé au projet de loi, prévoit ceci : « Les litiges […] relèvent de la compétence du tribunal administratif de Papeete lorsque le demandeur a sa résidence dans le ressort territorial de cette juridiction […] ».
M. le président. Monsieur Tuheiava, l'amendement n° 27 est-il maintenu ?
M. Richard Tuheiava. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 27 est retiré.
Article 7
Le ministre de la défense réunit au moins deux fois par an une commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires. Cette dernière peut également se réunir à la demande de la majorité de ses membres. La commission comprend des représentants des ministres chargés de la défense, de la santé, de l’outre-mer et des affaires étrangères, le président du gouvernement de la Polynésie française ou son représentant, le président de l’assemblée de la Polynésie française ou son représentant, deux députés, deux sénateurs, cinq représentants des associations représentatives de victimes des essais nucléaires ainsi que quatre personnalités scientifiques qualifiées dans ce domaine.
La commission est consultée sur le suivi de l’application de la présente loi ainsi que sur les modifications éventuelles de la liste des maladies radio-induites. À ce titre, elle peut adresser des recommandations au ministre de la défense et au Parlement.
Un décret en Conseil d’État fixe la liste des membres, leurs modalités de désignation et les principes de fonctionnement de la commission.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 4, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Hue, Billout et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Il est créé auprès du Premier ministre une commission nationale de suivi des essais nucléaires.
Elle comprend notamment les ministres chargés de la défense, de la santé, de l'environnement et des affaires étrangères ou leurs représentants, le président du gouvernement de la Polynésie française ou son représentant, deux députés et deux sénateurs, des représentants des associations représentatives des victimes des essais nucléaires, de leurs veuves et de leurs descendants, des représentants des organisations syndicales patronales et de salariés ainsi que des personnalités scientifiques qualifiées dans ce domaine.
La commission a pour mission de participer à l'élaboration et aux modifications ultérieures de la liste des maladies radio-induites mentionnée à l'article 3.
Elle assure le suivi des questions relatives à l'épidémiologie et à l'environnement jusqu'ici dévolues au département du suivi des centres d'expérimentations nucléaires.
Elle organise le suivi médical des personnels civils et militaires présents lors des essais nucléaires ainsi que des populations vivant ou ayant vécu à proximité des sites visés à l'article 2.
Un décret en Conseil d'État fixe la liste des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, ses principes de fonctionnement et son financement.
La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. La commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, qui sera créée si cet article est adopté, nous semble appelée à jouer un rôle mineur, en tout cas un rôle qui ne sera pas à la hauteur des problèmes posés par les effets nocifs de nos essais nucléaires.
En effet, elle est purement consultative, et sa vocation est floue et très limitée. Elle se bornera à donner des avis, ou des recommandations, sur l’application de la loi que nous élaborons, ainsi que sur les modifications à apporter à la liste des maladies radio-induites.
Pour notre part, nous souhaitons conférer à cette commission un statut plus important que celui qui est prévu et étendre ses missions et ses compétences. Nous voulons la rattacher directement au Premier ministre, afin de souligner l’ampleur et la transversalité de problèmes qui ne devraient plus être sous la responsabilité du seul ministre de la défense.
Il faudrait également la doter de compétences dans le domaine du suivi médical, en lui donnant, par exemple, le pouvoir de susciter, indépendamment du ministère de la défense, les études épidémiologiques qui restent encore à réaliser auprès des populations ayant pu être exposées à des rayonnements ionisants. Je pense ici, très explicitement, à nos compatriotes de Polynésie, ainsi qu’à la dégradation vraisemblable de leur environnement.
En effet, nos essais, qu’ils soient atmosphériques ou souterrains, ont sans doute – je reste prudente, car jusqu’à présent aucune étude n’a malheureusement été réalisée sur ces questions… – eu des conséquences négatives sur la faune, la flore, les récifs coralliens et le sous-sol aquatique de cette région.
Trop longtemps, les Polynésiens ont subi, de la part des autorités de notre pays, le déni des conséquences négatives, quelles qu’elles soient, des essais nucléaires.
Cette absence de transparence n’est pas démocratiquement acceptable, et elle a, à juste titre, suscité la frustration des populations de Polynésie et leur méfiance vis-à-vis des différents gouvernements.
Monsieur le ministre, accepter d’étendre les missions et les compétences de cette commission de suivi serait un signe fort de la part du Gouvernement, qui montrerait sa volonté d’aboutir à une ambitieuse loi d’indemnisation.
Tel est, mes chers collègues, l’objet de l’amendement n° 4, que nous vous demandons de bien vouloir adopter.
M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par MM. Collin, Vall, Barbier, Baylet et Charasse, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, de Montesquiou et Plancade, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Il est créé auprès du Premier ministre une Commission nationale de suivi des essais nucléaires composée des ministres chargés de la défense, de la santé, de l'environnement et des affaires étrangères ou de leurs représentants, du président du gouvernement de Polynésie française ou de son représentant, de deux députés et de deux sénateurs, de représentants des associations représentant les victimes des essais nucléaires, de représentants des organisations syndicales patronales et de salariés et de personnalités scientifiques qualifiées dans ce domaine.
La commission a pour mission de participer à l'élaboration et aux modifications ultérieures de la liste des maladies radio-induites prévue à l'article 3 de la présente loi.
Elle assure le suivi des questions relatives à l'épidémiologie et à l'environnement.
Elle organise le suivi médical des personnels civils et militaires présents pendant les essais nucléaires ainsi que des populations vivant ou ayant vécu à proximité des sites visés à l'article 2.
Les modalités de désignation des membres de cette Commission, ainsi que son organisation, son fonctionnement et son financement, sont précisées par décret en Conseil d'État.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Monsieur le président, je souhaite que soient examinés, en même temps que l’amendement n° 4, les amendements nos 34, 8, 33 et 28, qui ont tous pour objet la dimension environnementale des essais.
M. le président. J’appelle donc également en discussion les amendements nos 34, 8, 33 et 28.
L'amendement n° 34, présenté par Mme Voynet, MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et des zones mentionnées à l'article 2
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Vous l’aurez noté, mes chers collègues, l’amendement n° 34, comme d'ailleurs l’amendement n° 33, n’est qu’une disposition de repli par rapport à la proposition de Mme Demessine et des membres de son groupe, qui, si elle était adoptée, réécrirait très utilement l’article 7 de ce projet de loi.
La commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires doit pouvoir être interrogée sur les modifications des zones mentionnées à l’article 2 du présent projet de loi, et ainsi émettre des recommandations.
Cette proposition présente un risque, bien sûr : élargir du même coup le champ des bénéficiaires potentiels du système d’indemnisation dont nous débattons ici.
Toutefois, c’est une question de responsabilité pour la France et pour nous.
S’il s’agit de reconnaître le préjudice subi par les victimes, il nous semble utile que des données scientifiques soient échangées de façon libre au sein de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires afin de « toiletter », si nécessaire, les périmètres concernés en fonction de l’avancée des études scientifiques.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Vantomme et Tuheiava, Mme Voynet, MM. Bel, Boulaud, Carrère, Frimat, Badinter, Boutant, Marc, Rebsamen, Sueur, Berthou et Daunis, Mme Ghali, MM. Madrelle, Chastan, Antoinette, Guérini et Lise, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Auban, Mmes Durrieu, Demontès et Blondin, M. Piras et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, après la première phrase
Insérer deux phrases ainsi rédigées :
La commission mettra en place un contrôle continu des conséquences environnementales sur les lieux définis à l'article 2 concernés par les essais nucléaires. La commission veillera à la mise à jour régulière des zones et des périodes définies à l'article 2.
La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Cet amendement vise à ce que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires exerce le rôle de veille pour apporter, le cas échéant, des améliorations au dispositif d’indemnisation. Elle doit procéder également à la mise à jour régulière des zones et des périodes définies à l’article 2.
J’insiste sur un aspect négligé par ce projet de loi : une action est nécessaire pour déterminer les conséquences environnementales des essais nucléaires, tant à l’époque des tirs qu’aujourd’hui. Il serait utile de rassembler les informations disponibles sur les conséquences environnementales de ces essais sur la faune et la flore. Je pense aux retombées des essais atmosphériques, mais aussi aux perturbations que les essais souterrains ont pu provoquer, par exemple sur les massifs coralliens des atolls polynésiens.
Nous ne devons pas éluder le rôle et l’incidence des essais nucléaires dans la dégradation de l’environnement et de la biodiversité. La commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires devra aussi aborder cet aspect du dossier.
M. le président. L'amendement n° 33, présenté par Mme Voynet, MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La commission consultative de suivi a également pour mission de participer à l'évaluation des conséquences environnementales des essais nucléaires français dans les zones mentionnées à l'article 2. Elle s'appuie notamment sur les apports scientifiques disponibles en la matière.
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Nous avons déjà débattu de ce problème en commission.
Depuis qu’a été instaurée la nouvelle procédure, dont j’ai bien compris le fonctionnement – loin de moi l’idée d’irriter Josselin de Rohan –, nous examinons d’abord le texte en commission, en cercle restreint, puis nous en discutons de nouveau dans l’hémicycle. Or, sous prétexte que le débat a déjà eu lieu, nous risquons de ne pas répéter des arguments qui méritent pourtant d’être rendus publics.
Le comité d’indemnisation, composé notamment d’experts médicaux, indemnisera sur la base d’éléments objectifs définis par la loi : type de maladie, périmètre, etc. Mais la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, parce qu’elle n’a pas de compétence décisionnelle, aura beaucoup plus de libertés. C’est d’ailleurs pour ce motif qu’il nous a paru raisonnable de lui confier un certain nombre de sujets qui ne peuvent être suivis par le comité d’indemnisation, mais qui sont indispensables si nous voulons actualiser les connaissances.
Selon nous, la question de l’évaluation des conséquences environnementales des essais nucléaires français dans les zones mentionnées à l'article 2 doit faire l’objet d’un travail plus approfondi. Nous souhaitons que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires puisse être invitée à y travailler, en s’appuyant sur les apports scientifiques disponibles en la matière.
Tout à l’heure, M. Jean Louis Masson a mentionné les conséquences environnementales désastreuses de la campagne d’essais nucléaires français, prenant l’exemple d’un essai raté au Sahara. Cette problématique ne peut être traitée à part, car elle n’est pas indépendante de la question sanitaire. Les conséquences sur l’environnement sont certaines, qu’elles soient directes – retombées radioactives – ou indirectes – pluies, pollution des sols, contamination des écosystèmes, etc.
Certes, nous avons évoqué la situation des ayants droit, mais nous n’avons pas suffisamment insisté sur celle des générations futures, qui continueront de subir les conséquences de l’exposition aux rayonnements ionisants : malformations, maladies radio-induites.
C’est pourquoi cet amendement vise à prévoir que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires participe à l’évaluation des conséquences environnementales des essais nucléaires.
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher et Lise, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La commission assure un suivi épidémiologique des conséquences des essais nucléaires français à partir des données agrégées fournies par le comité d’indemnisation mentionné à l’article 3 et par le centre médical de suivi (CMS) en Polynésie française.
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Le dispositif d’indemnisation qui sera mis en place par le projet de loi permettra la remontée de nombreux dossiers contenant des renseignements sur les personnes ayant été exposées dans des conditions de protection variable selon les époques et les modes d’organisation des essais. Il serait intéressant, d’un point de vue épidémiologique, que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires puisse émettre des recommandations sur la manière de garder trace de ces informations, voire en organiser elle-même la conservation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Les amendements nos 4 et 8 relèvent de la même problématique et visent à introduire trois nouveautés dans le texte.
Premièrement, la commission de suivi serait rattachée au Premier ministre. Elle monterait en quelque sorte en grade. Pourquoi pas ?
Deuxièmement, les questions liées à l’environnement feraient désormais partie des missions confiées à cette commission. Il s’agit d’un sujet important, puisque les essais nucléaires ont eu des conséquences sur la faune et la flore. Même si elles se sont atténuées avec le temps, celles-ci persistent. Se pose aussi le problème des déchets radioactifs, immergés dans les lagons de Mururoa et de Hao.
La commission de suivi ne semble pas pour autant l’instance idéale pour traiter de ces questions, qui relèvent du ministère de l’environnement, du ministère de la défense et des collectivités territoriales concernées. Elle n’a pas de compétence environnementale, car sa vocation est de suivre l’application de la loi, dont l’objet est défini par les premiers articles que nous venons de voter.
Troisièmement, la commission de suivi serait chargée d’organiser le suivi médical des personnels civils et militaires ainsi que des populations qui ont séjourné dans les zones de retombées radioactives. Là encore, il s’agit d’un problème important. Le suivi de cette population nécessite une véritable politique de prévention et de dépistage, comme je l’ai souligné dans mon rapport. Pour autant, une telle mission n’incombe pas à la commission de suivi. Des administrations compétentes existent pour mener des politiques de santé publique.
Je rappelle qu’une convention relative au suivi sanitaire des anciens travailleurs civils et militaires du Centre d’expérimentation du Pacifique, ou CEP, et des populations vivantes ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire a été conclue entre l’État et la Polynésie française, le 30 août 2007. Cette convention prévoit notamment un centre de suivi médical qui assure des consultations individuelles pour les anciens travailleurs du CEP et les personnes justifiant avoir résidé habituellement dans les communes de Tureia, Reao, Pukarua et Gambier entre 1966 et 1974 ainsi que les personnes ayant leur résidence principale dans ces communes.
La commission de suivi a vocation à se réunir au moins deux fois par an, peut-être plus grâce à la modification apportée par la commission à l'article 7. Cela ne lui permet pas d’organiser le suivi d’une population de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Par ailleurs, préciser que la commission organise le suivi médical des personnes ayant séjourné dans les zones visées à l’article 2 revient à organiser le suivi des populations du sud de l’Algérie, qui sont souvent mouvantes.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les amendements 4 et 8.
Insérer dans le projet de loi, comme l'amendement n° 34 tend à le faire, la possibilité de discuter du bien-fondé des zones fixées à l’article 2 revient à jeter le doute sur la définition de ces zones avant même que le dispositif ne soit mis en place. Or la qualité scientifique de détermination de ces zones a déjà été soulignée. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet également un avis défavorable sur l'amendement n° 33, pour les raisons précédemment évoquées.
L'amendement n° 28 véhicule une idée intéressante. Se servir des données examinées par le comité d’indemnisation pour affiner les études épidémiologiques sur les conséquences des essais nucléaires est en effet une bonne idée. En revanche, ces dispositions ne relèvent pas de la loi, qui, je le rappelle, fixe les principes, alors que le règlement en précise les modalités. On peut d’ailleurs se demander si elles ne relèvent pas plus de la définition du programme de recherche que du règlement. En outre, je doute que la commission de suivi, qui se réunira deux fois par an, soit l’organe adapté pour piloter des études épidémiologiques. Ces deux raisons ont conduit la commission à émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Morin, ministre. Le Gouvernement émet le même avis que la commission.
M. le rapporteur a rappelé les arguments dont nous avons largement débattu en commission. Nous avons déjà fait le tour de la question.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l’amendement n° 4.
M. Bernard Frimat. La révision constitutionnelle n’a pas établi que nous votions la loi en commission ! Lorsque le débat a lieu en séance publique, nous intervenons en tant que sénateurs et non en tant que membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Bernard Frimat. Et puisque nous sommes présents dans l’hémicycle, il serait bon que l’on nous fasse, de temps en temps, l’aumône de quelques éclaircissements, même si ceux-ci ont déjà été apportés dans un cercle restreint.
Bien sûr, ma remarque ne vaut pas pour le cas présent, puisque M. le rapporteur vient de nous apporter des explications circonstanciées.
M. René Garrec. Oui !
M. Bernard Frimat. Mais il ne faudrait pas que se prenne l’habitude de renvoyer les intervenants aux débats en commission ! Il faut tout faire pour éviter cette dérive fâcheuse. Je salue d’ailleurs les nombreux sénateurs de l’UMP qui ne sont pas membres de la commission des affaires étrangères...
M. René Garrec. C’est vrai !
M. Bernard Frimat. ...et qui, malgré l’absence d’argumentation, se montrent suffisamment convaincus pour soutenir le Gouvernement ! (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. C’est la garde montante !
M. Bernard Frimat. Il faut essayer d’éviter cette dérive. M. le président du Sénat, qui, si j’ai bien saisi la finesse de sa pensée, se déclare attaché au rayonnement du Sénat, souhaite que les séances publiques soient fréquentées. Encore faut-il qu’il ne nous soit pas systématiquement rétorqué que les points que nous soulevons ont déjà été abordés en commission et qu’il n’y a pas lieu d’y revenir ! Une telle situation nous conduirait à réserver tous nos amendements pour la seule séance publique. Comme ils n’auront pas été examinés en commission, nous ne nous verrons pas opposer cet argument ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Vous connaissez ma position sur la révision constitutionnelle. Je considère qu’elle a considérablement réduit les pouvoirs du Parlement. Tous les textes sont désormais examinés selon la procédure accélérée ; la navette parlementaire et la deuxième lecture ne sont déjà plus qu’un souvenir que seuls les plus anciens d’entre nous pourront évoquer le soir à la veillée. (Sourires.)
J’ai souhaité faire cette mise au point par fidélité à l’esprit d’une révision constitutionnelle que je me réjouis chaque jour de n’avoir pas votée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)