M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà de nouveau dans la saga HADOPI, et j’espère qu’elle prendra fin aujourd’hui.
Depuis le début, nous n’avons pas changé d’avis. Le texte est, nous semble-t-il, encore plus équilibré que la première fois. Il est pédagogique et améliore la protection individuelle. Des progrès ont vraiment été réalisés, mais, comme je l’ai dit précédemment, on peut avoir aussi le sentiment que nous construisons un peu la ligne Maginot de l’informatique. Nous en mesurons la nécessité et en même temps l’impuissance. Toutefois, monsieur le ministre, vous l’avez évoqué, la commission que vous mettez en place est nécessaire pour aller plus loin.
Par conséquent, le groupe du RDSE, conformément à sa position initiale, ne s’opposera pas à ce texte. En effet, il est urgent qu’un texte rappelle qu’internet n’est pas un espace de non-droit – il faut le dire et le réaffirmer ! Il est également urgent de rappeler que le téléchargement est un vol, et pas autre chose. Enfin et surtout, – c’est peut-être la raison majeure pour laquelle notre groupe ne s’opposera pas à ce texte – nous voulons dire aux créateurs et aux artistes que nous sommes de leur côté. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Catherine Morin-Desailly et M. Nicolas About applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais préparé une intervention, mais en la relisant je me suis dit que j’avais déjà avancé maintes fois ces arguments depuis quatre ans et qu’il valait mieux me situer dans le débat de demain et réagir aux propos de M. le ministre.
De nombreux malentendus doivent être levés. Ainsi, à entendre M. le ministre, il est clair que les sénateurs socialistes partagent quelques-unes des idées de départ et des objectifs d’arrivée.
Première idée : la création, les ayants droit, les auteurs doivent avoir la juste rémunération de leur travail. La création, comme la culture en général, n’est pas gratuite, elle doit être rémunérée.
Deuxième idée : en général, et pas seulement dans le domaine de la création, l’argumentation que vous avez soulevée, monsieur le ministre, concernant internet et sa régulation, nécessite un débat parlementaire sérieux sur l’ensemble du champ car c’est un gigantesque espace d’échanges. J’ai réalisé un rapport sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, en particulier internet, qui pointe un certain nombre de problèmes relatifs à la protection de l’enfance, à l’éducation, à l’information, à sa régulation, à la culture. Nous devons réguler.
Troisième idée : la culture doit trouver ses financements.
Cependant, nous sommes en désaccord sur les moyens pour y parvenir. Il y a eu la loi DADVSI et, au lieu de parler en théorie, on devrait relire les débats de l’époque. Nous avions auditionné des industriels notamment, qui nous disaient : il faut vite bâtir une digue, nos ventes sont en chute libre. On nous disait, surtout dans le domaine de la musique – le cinéma se sentait un peu plus protégé –, que l’économie était en train de s’écrouler, mais on nous promettait des offres alternatives au piratage sur internet, c’est-à-dire des offres à bas prix pour tous ceux qui avaient pris l’habitude d’avoir de la musique gratuitement. Ce passage était nécessaire et les DRM, nous disait-on, constitueraient une dissuasion et le moyen technique empêchant ce piratage.
Mais, comme nous l’avions prévu à l’époque, tout est tombé à l’eau : les DRM n’existent plus. Il faudrait parfois nous rendre grâce de certains avertissements !
Ensuite, les majors notamment, qui voyaient les choses comme toujours à courte vue et par rapport à des bénéfices immédiats, ont attendu d’épuiser leurs vinyles avant de commencer à travailler à des offres plus accessibles pour les jeunes en particulier. Ils ont formulé des offres qui paraissent, aujourd’hui, au regard du mode de consommation, beaucoup trop chères. Ces offres ne sont donc pas une alternative.
À l’époque, le cinéma nous disait : nous ne sommes pas trop touchés, car il était protégé par quelque chose de fondamental dans notre pays, la chronologie des médias. Les techniques ne permettaient pas des téléchargements en haut débit suffisamment rapides pour que ce soit un phénomène massif : des jeunes qui voulaient pirater un film mettaient une, deux, voire trois nuits pour le télécharger.
Les technologies ont évolué. Aujourd'hui, il y a HADOPI, mais la logique reste la même. Internet est devenu une déferlante : des dizaines de millions de personnes se connectent. Avec le haut débit et des technologies qui ne cessent de progresser, une grande partie de la consommation passe par cet élément virtuel. On peut même maintenant y commander ses courses au supermarché.
C’est un nouveau mode de consommation qui s’est installé. Mais, en matière cinématographique et musicale, il n’existe pas de réelle offre commerciale qui réponde aux besoins nés de l’utilisation de cet outil par les jeunes.
On nous demande de légiférer pour sanctionner le téléchargement illégal. Je ne peux qu’applaudir à cette initiative mais, très franchement, mes chers collègues, même si nous ne pouvons pas le reconnaître ouvertement dans cet hémicycle parce que nous voulons tous ici que la loi soit dissuasive et soit respectée, nous qui participons à ce débat savons parfaitement – y compris vous, monsieur le ministre ! – qu’il ne s’agit là que de gagner un peu de temps, avant d’envisager d’autres mesures.
Depuis quatre ans, nous aurions dû nous concentrer sur l’essentiel : que va-t-il se passer dans les dix ans à venir ? Comment va-t-on élaborer, étape après étape, un nouveau modèle de rémunération de la création ? Nous n’aurions pas perdu notre temps à inventer des digues qui n’en sont pas, et ce pour de multiples raisons.
La loi a été décortiquée, vous faites souvent une comparaison, qui vaut ce qu’elle vaut, avec les chauffards. Le législateur aurait-il pensé que le système actuellement mis en place pour sanctionner les dépassements de vitesse était le bon s’il s’était agi de contrôler virtuellement plusieurs millions de personnes qui ont pour habitude de ne pas respecter les limitations de vitesse ? S’il avait pensé rencontrer des difficultés à trouver la personne incriminée et à avoir la preuve irréfutable du délit afin que la justice exerce son pouvoir de sanction, il aurait certainement prévu un système tout autre que celui-là ! On ne peut donc pas faire de comparaison, car il ne s’agit pas du tout de la même chose.
Aurait-on prévu les mêmes moyens de dissuasion si les contrevenants ne mettaient pas en danger leur vie et celle d’autrui ? Car c’est bien la prévention qui est mise en avant dans toutes les campagnes sur la sécurité routière ! Or, en matière de téléchargement illégal, personne n’a l’impression de mettre en danger sa vie ou celle d’autrui.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui affirment que des pays nous imitent. Pour ma part, je connais un pays qui nous a précédés, et que l’on oublie souvent, je veux parler de la Suède.
La Suède a mis en place un système semblable à celui qui est proposé dans le texte HADOPI, en essayant de tout concilier. Or qu’a-t-on constaté ? Les effets escomptés – ceux que vous souhaitez également, monsieur le ministre –, à savoir une baisse du nombre de téléchargements illicites et une légère remontée des ventes, ont duré six mois. Ensuite, il y a eu non seulement un rattrapage de ces six mois, mais également une progression constante équivalant à la situation antérieure. J’en ai d’ailleurs parlé avec Nathalie Kosciusko-Morizet, qui suit bien tous les dossiers concernant internet.
Légiférer dans ce cadre en sachant que la loi ne sera pas réellement appliquée – parfois on peut se tromper mais, en l’occurrence, nous savons que nous ne nous trompons pas ! – n’est pas de bonne pédagogie. Cela revient à faire pénétrer dans l’esprit des citoyens, notamment des jeunes, l’idée selon laquelle la loi n’est pas faite pour être appliquée et ils peuvent s’en émanciper.
Beaucoup d’arguments ont été échangés, mais, vous le savez bien, mes chers collègues, les 50 000 avertissements sont une goutte d’eau, une réelle goutte d’eau ! Je ne sais pas s’ils auront un caractère dissuasif. En tout cas, tous ne seront pas traités.
En effet, en vertu des principes du droit et de la décision du Conseil constitutionnel, en cas de contestation, il reviendra à la justice d’apporter la preuve de l’infraction, après instruction, même rapide. Imaginez donc les moyens nouveaux qu’il faudra y consacrer, alors même que les tribunaux sont déjà engorgés par les affaires courantes, certaines d’entre elles n’étant traitées qu’après plusieurs années d’attente.
Les moyens dont dispose la justice sont déjà insuffisants ; la société n’est pas prête à accepter de les consacrer à une action qui, de surcroît, ne sera pas efficace.
Nous avons le même objectif que vous, monsieur le ministre, à savoir préserver les auteurs. Selon vous, le dispositif que vous proposez sera efficace. Eh bien, prenons rendez-vous prochainement ! Ne perdons pas de temps avec la commission de trois personnes que vous avez mise en place. Je conteste cette méthode, car il faut engager un vrai débat national avec tous les acteurs concernés qui portent un intérêt à la culture, les citoyens et les pouvoirs publics.
À cet égard, je tiens à vous interpeller, monsieur le ministre, sur la réforme des collectivités territoriales. Tous les jours, les transferts de charges imposés aux collectivités locales ont des conséquences fâcheuses sur la culture, notamment les arts vivants, et donc sur les créateurs. Une fois que les collectivités se sont acquittées de toutes les dépenses obligatoires que l’État devait prendre en charge, leur marge de manœuvre est si faible qu’elles se sentent obligées de rogner sur les programmes culturels. Or il y a là des choses à faire.
Je ne veux pas accuser les fournisseurs d’accès – je souhaite qu’ils continuent à se développer –, qui profitent aujourd'hui de l’explosion de la diffusion culturelle sur internet. Lorsque la radio a été inventée, c’est elle qui rémunérait les auteurs. On ne lui a pas laissé le choix de faire ce qu’elle voulait, un système a été mis en place. Aujourd'hui, il faut expliquer aux fournisseurs d’accès que si les internautes sont aussi nombreux à surfer sur internet et à s’abonner, c’est parce ceux-ci y trouvent de la diffusion culturelle et une information, et qu’ils doivent donc apporter leur obole à une contribution créative et à l’information afin qu’elle soit libre et indépendante. Voilà quels sont les chantiers de demain !
La mission que vous avez proposée, cette première étape, permettra-t-elle de débroussailler le terrain ? En réalité, il faut réunir autour de la table tous les acteurs concernés, dont les intérêts sont parfois divergents – les entreprises de musique, de cinéma, les créateurs, les pouvoirs publics, les fournisseurs d’accès, les radios, les télévisions – afin d’inventer un système non pas pour six mois, mais qui soit à la hauteur de la fantastique révolution du numérique qui embrase actuellement le monde. Tous les regards seront alors portés sur nous, car nous aurons traité cette question au fond !
Il s’agit là d’une révolution comparable à la révolution industrielle. Lors du passage du charbon à l’électricité, on a cherché à protéger les anciens métiers, ceux qui pouvaient alors être fragilisés, tout en concevant le système qui allait s’imposer, avec ses nouvelles régulations. Alors que le monde était en train de changer en profondeur, on n’a pas pensé qu’il fallait s’accrocher à ce qui existait déjà. Voilà ce que nous devons également faire aujourd'hui avec internet, et c’est à ce chantier que nous voulons nous atteler avec vous, monsieur le ministre. Mais, de grâce, arrêtons de croire que nous allons régler le problème avec cette loi : nous aurons encore perdu beaucoup de temps. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je reviendrai, pour ma part, au sujet qui nous occupe aujourd'hui, à savoir la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
Nous voici donc parvenus à l’étape ultime qui permettra de mettre en place le dispositif de protection des droits d’auteur, très attendu des artistes et de tous les professionnels touchés par le « piratage ».
En effet, il est incontestable que le téléchargement illégal, s’il est transformé en un véritable comportement social de masse, entraîne automatiquement un manque à gagner considérable pour les créateurs, et constitue donc une menace pour les 130 000 Français qui travaillent dans le secteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant.
Dans le domaine de la musique, le chiffre d’affaires des disques compact a diminué de 50 % en six ans ; les effectifs des maisons de production ont baissé de 30 % et le nombre des contrats de nouveaux artistes chute de 40 % chaque année. Les premières victimes sont non pas les majors, comme certains l’ont dit, mais les indépendants : 99 % des maisons de disques comptent moins de vingt salariés.
Concernant le cinéma, les téléchargements illégaux sont aussi nombreux que les entrées en salles, à savoir 450 000 par jour !
Le téléchargement illégal ruine les filières culturelles de notre pays. La loi HADOPI, complétée par ce second texte, est la suite logique des accords de l’Élysée de l’automne 2007, lesquels faisaient déjà suite au rapport de mission confiée à Denis Olivennes. Le Gouvernement s’appuie donc sur un texte approuvé par la quasi-totalité des milieux artistiques et culturels : auteurs connus ou moins connus, compositeurs, artistes, producteurs, réalisateurs et acteurs du monde audiovisuel.
Si nous sommes aujourd’hui réunis, c’est pour mettre le dispositif HADOPI en conformité avec la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 juin dernier, en vertu de laquelle la décision de suspension de l’abonnement en cas de téléchargement illégal ne pourra être du ressort d’une autorité administrative indépendante – la HADOPI – et devra nécessairement être prononcée par un magistrat.
Cette décision nous oblige à modifier le projet initial : le Gouvernement souhaitait, en effet, éviter au contrevenant la voie pénale. Il distinguait bien la situation du fraudeur occasionnel, relevant de l’autorité administrative de la HADOPI, du cas plus grave du fraudeur « massif » ou se livrant au piratage dans un but lucratif, jugé pour contrefaçon par les tribunaux.
Comme il n’est pas possible d’éviter une judiciarisation de la procédure, le Gouvernement s’est attaché à mettre en place un dispositif simple et rapide, qui demeure proportionné à la nature de la fraude.
Je tiens à souligner que le Conseil constitutionnel n’a pas abordé avec l’accès à internet la question du droit fondamental. Le cœur du dispositif mis en place par la loi « création et internet » demeure donc, fort heureusement, celui d’une « riposte graduée ». Cela doit être rappelé aux opposants à la loi, qui prétendaient que le Gouvernement menaçait les libertés individuelles.
Concrètement, l’internaute responsable de téléchargements illégaux recevra un premier courriel d’avertissement. S’il n’en tient pas compte, il en recevra un second, accompagné d’une lettre recommandée à son domicile. Ces recommandations visent à expliquer à l’internaute que la loi doit être respectée, y compris sur internet, et qu’il peut charger des fichiers de manière légale, ce qui permet de financer la création en France, et donc de rémunérer les artistes qu’il apprécie ! Enfin, s’il persiste, une sanction adaptée pourra être prise par le juge après transmission du dossier au parquet par la Haute Autorité, le juge pouvant fonder sa décision soit sur le délit de contrefaçon, soit sur la contravention pour négligence caractérisée. Une nouvelle peine est créée, la suspension de l’abonnement internet.
Ce dispositif est judicieux : il restaure la crédibilité de la sanction dans l’esprit des internautes ; certains ont parlé de « pédagogie ». Il est ainsi particulièrement dissuasif et devrait limiter les contentieux. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la sanction ne tombera pas du jour au lendemain, il faudra vraiment s’entêter pour la subir.
Je me réjouis que des amendements substantiels adoptés par le Sénat et l’Assemblée nationale apportent des garanties supplémentaires aux internautes concernés.
Notre commission, sous l’impulsion de son président Jacques Legendre, a ainsi souhaité clarifier la situation du titulaire de l’abonnement internet « négligent » n’ayant pas protégé suffisamment son accès à internet, en prévoyant un avertissement par courrier recommandé préalablement à toute sanction.
Elle s’est également attachée à éviter des sanctions disproportionnées : le fraudeur qui se réabonnera malgré la décision de suspension n’encourra pas une peine d’emprisonnement.
J’adhère également aux garanties proposées pour protéger la vie privée, notamment l’effacement des données personnelles une fois la période de suspension d’abonnement terminée ou encore, en cas de négligence, l’absence d’inscription de la sanction de suspension au bulletin n°3 du casier judiciaire, qui est accessible aux employeurs.
Je souhaite donc féliciter notre rapporteur, M. Michel Thiollière, qui s’est beaucoup investi dans l’étude des deux textes de loi, en assurant le respect des droits de chacun.
Je tiens également à féliciter le ministre de la culture et de la communication non seulement pour sa brillante intervention, mais également pour sa détermination à engager maintenant une réflexion plus globale sur la rémunération des créateurs et le financement des industries culturelles à l’ère du numérique.
Cela montre à notre collègue David Assouline, que j’ai trouvé très pessimiste, que, si la loi était une étape obligatoire, la réflexion sur l’espace internet ne fait en vérité que commencer. Nous ne pouvons donc que nous réjouir d’avoir à nous revoir prochainement.
Comme le rappelait le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 22 juin dernier, « en défendant le droit d’auteur, nous ne défendons pas seulement la création artistique, nous défendons aussi l’idée que nous nous faisons d’une société de liberté, où la liberté de chacun est fondée sur le respect du droit des autres ». Notre groupe, qui adhère bien entendu pleinement à ces propos, votera bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui est le résultat du parcours chaotique de la loi HADOPI, dont le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de souligner, dans sa décision du 10 juin 2009, les graves insuffisances et les travers.
Si de nombreuses réserves d’ordre juridique demeurent sur ce texte – je pense, par exemple, au respect des droits de la défense ou au recours à la procédure de l’ordonnance pénale –, je me permettrai toutefois une réserve d’ordre plus général, qui concerne la philosophie même du texte.
Nous regrettons profondément le choix d’une criminalisation du téléchargement sur internet et l’absence d’une réflexion plus poussée sur les moyens et les outils destinés à mieux rémunérer les artistes.
Selon nous, le véritable enjeu du débat était de construire une synergie acceptable entre, d’une part, le droit pour tous d’accéder à une culture diverse et, d’autre part, le financement de la création assurant aux artistes une rémunération équitable de leurs œuvres. Permettez-moi de vous dire qu’avec ce texte nous passons à côté d’un tel enjeu !
Réduisant le droit d’accès à la culture à un désir irréalisable, le Gouvernement a préféré s’attacher avant tout à sanctionner l’internaute, repoussant aux calendes grecques la vraie réflexion qui devait être menée, celle du droit d’accès à la culture et de la rémunération équitable des auteurs.
Non, monsieur le ministre, nous ne sommes pas des démagogues. Nous sommes convaincus que vous avez raté l’occasion d’un vrai débat de société entre la jeunesse et les artistes.
Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas pu avoir ce débat. En effet, à la mutualisation des connaissances et des financements, le Gouvernement a préféré la criminalisation, sans aucune compensation pour les auteurs et les artistes. Or nous sommes convaincus qu’un équilibre aurait pu être trouvé ailleurs que devant le prétoire du juge...
Notre position n’est pas d’affirmer que la culture doit être gratuite. Il ne faut pas pratiquer l’amalgame, ni semer l’ambiguïté, monsieur le ministre. Même si c’est une technique, les citoyens, les créateurs et les auteurs ne sont pas dupes ! Nous disons seulement qu’il faut inventer des outils afin de concilier, sans parti pris, les intérêts de ceux qui n’ont pas toujours les moyens d’acheter et de ceux qui ont besoin de vendre pour créer.
Contrairement à ce que prétendent certains, ce qui motive notre démarche d’opposition à ce texte, c’est non pas de vouloir la gratuité sans condition sur internet, mais justement de soutenir les créateurs tout en encourageant le public, du mélomane au spectateur, à accéder à la culture dans les meilleures conditions.
Ce qui nous motive, c’est encore de donner aux artistes et aux créateurs la liberté de choisir le modèle qui leur permettrait au mieux d’assurer leur rémunération, tout en leur garantissant une diffusion maximale.
Or qu’apporte ce texte à la création, au public et à la culture ? Rien, si ce n’est le sentiment que la culture est devenue une affaire de tribunaux, où le plaisir, la découverte et le partage deviennent des infractions caractérisées. Le seul objectif est de satisfaire les sociétés de perception et les bénéficiaires des droits d’exploitation !
Nous sommes bien conscients que les auteurs sont en demande de protection. Mais n’aurait-il pas fallu, alors, plutôt développer les solutions existantes en les adaptant quelque peu ?
Je songe, par exemple, à la plateforme publique de téléchargement, votée ici même au Sénat lors de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « loi DADVSI ». Cette proposition, qui aurait pu constituer un socle de réflexion précieux, est restée lettre morte, faute de décret.
Je songe également à d’autres solutions mises en œuvre par des acteurs majeurs de la culture. Par exemple, la plate-forme Création Publique et Internet a développé un modèle de diffusion des œuvres qui assure à la fois un accès à la culture pour tous et un financement équitable pour les artistes et les créateurs.
Fondé sur la concertation et le dialogue, ce projet vise au financement mutualisé de la création, adossé à une licence collective autorisant les échanges d’œuvres numériques entre individus.
Cinq euros par mois et par internaute suffiraient pour engranger 1,2 milliard d’euros de revenus pour la création ! Cette somme serait affectée, pour partie à la rémunération des contributeurs à la création des œuvres échangées sur internet – auteurs, détenteurs de droits voisins – et pour partie à la création à venir.
Mes chers collègues, nous n’avons pas pu réellement discuter de ces propositions, qui étaient pourtant de vraies solutions concrètes.
Nous avons été privés de ce débat puisque, dès le départ, le Gouvernement a souhaité axer son projet autour de la sanction.
La sanction administrative qui figurait dans le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet s’est muée en sanction pénale impersonnelle dans ce texte, chargeant au passage des officines privées du soin de récolter des preuves, qui, pourtant, incombent normalement à l’autorité judiciaire.
Nous aurions souhaité que, pour une fois, le Gouvernement sorte de cette culture de la punition afin d’aborder le problème de manière moins conflictuelle.
Monsieur le ministre, il faut sortir de cette spirale qui consiste à penser que la régulation pénale et répressive est la solution à tout !
Comme dans de nombreux domaines où le Gouvernement est intervenu, on se rendra bientôt compte que la solution adoptée aujourd’hui est un leurre, qu’elle est impraticable et qu’elle générera plus de problèmes qu’elle n’en réglera.
Les sénatrices et les sénateurs Verts voteront contre les conclusions de la commission mixte paritaire, car, pour eux, on n’a pas réussi à relever le défi culturel et social qui était en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Mes chers collègues, je vous rappelle qu’en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement.
M. Ivan Renar. Hélas ! (Rires.)
M. le président. En outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue par un seul vote sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :