Mme Raymonde Le Texier. C’est vrai !
Mme Gisèle Printz. En définitive, ce texte porte un coup sévère à l’égalité entre les hommes et les femmes, lesquelles, en plus d’être soumises à la précarité, devront, en outre, renoncer à leur équilibre familial.
Bref, ce texte, rédigé sans concertation, ni avec les partenaires sociaux ni avec les associations d’élus locaux, suscite un profond malaise. Sous prétexte de régler quelques situations urgentes, on ouvre la porte à un changement de société majeur, un changement aux conséquences désastreuses sur la vie familiale de nos concitoyens. Beaucoup l’ont compris, même au sein de la majorité. J’en veux pour preuve le vote sans enthousiasme émis à l’Assemblée nationale.
Pour toutes ces raisons nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à titre personnel, je ne suis pas, par principe, favorable au travail dominical, non pas uniquement pour des raisons religieuses, mais pour des raisons sociales et familiales. Il est important, pour préserver la vie associative, la vie culturelle et les activités de nombreux clubs sportifs, de veiller à ce que le travail dominical ne se généralise pas.
Pour autant, je suis pragmatique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. C’était bien parti, mais il est à craindre que cela ne se gâte !
M. Gérard Cornu. Je dois reconnaître que cette proposition de loi, dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, me paraît juste et équilibrée.
Je félicite les rapporteurs, de l’Assemblée nationale et du Sénat, de leur travail en amont, dont les amendements ont permis d’aboutir à un bon texte.
M. Nicolas About. C’est vrai !
M. Gérard Cornu. Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, l’objectif n’est nullement d’ouvrir les vannes du travail dominical dans tous les commerces et tous les services, en tout point du territoire. Ce n’est pas vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes le champion de la méthode Coué !
M. Gérard Cornu. Bien au contraire, la proposition de loi qui nous est soumise permet de stabiliser le cadre existant et d’éviter la rupture brutale d’équilibre de consommation et d’équilibre du réseau commerçant.
M. Gérard Cornu. Je pense en particulier au commerce de proximité, qu’il faut absolument préserver.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est bien malade !
M. Gérard Cornu. Elle permet aussi de garantir les équilibres sociaux et familiaux ancrés dans notre quotidien, et que nul ne songerait à remettre en cause, surtout en cette période de crise.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais oui, c’est ça…
M. Gérard Cornu. Si tel n’avait pas été le cas, je ne m’apprêterais pas à voter cette proposition de loi ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Le texte qui nous est soumis vise surtout à simplifier des situations trop complexes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça y est, on nous le ressert encore une fois !
M. Gérard Cornu. En effet, le régime d’autorisation actuel, qui repose sur un critère lié à la nature des biens vendus, est à l’origine d’un abondant contentieux. L’introduction d’un régime simplifié d’autorisations de plein droit permettra de réduire considérablement les situations floues, nombreuses, sources d’un contentieux toujours néfaste à l’activité commerciale.
S’agissant du critère permettant de définir une zone ou une commune « d’intérêt touristique », point central de ce texte, il ne s’agit pas, comme on a pu l’entendre ici et là, d’ouvrir la boîte de Pandore, puisque le classement ouvrant droit au régime dérogatoire en matière d’ouverture dominicale des commerces, longtemps débattu à l’Assemblée nationale, sera exclusivement réalisé sur le fondement du code du travail, qui repose sur des critères précis et bien connus.
En définitive, l’ouverture en question devrait finalement concerner environ 500 communes et 200 000 salariés supplémentaires, qui s’ajouteront, mes chers collègues, aux 7,5 millions de Français qui travaillent déjà le dimanche, soit régulièrement, soit occasionnellement.
Ce texte tient donc, au total, davantage de la simplification, toujours bienvenue, que de la révolution sociétale.
M. Roland Courteau. C’est ça !
M. Gérard Cornu. Enfin, en posant comme principe le volontariat des salariés, en consacrant le droit au refus, ce texte est une expression du principe de la liberté du travail, auquel, à la suite du Président de la République, la majorité souscrit et auquel, au fond, on ne peut que souscrire, surtout en période de crise.
L’introduction par les députés du principe du volontariat réversible a opportunément parachevé le dispositif.
Monsieur le ministre, je conclurai par une question et une suggestion.
La question d’abord : les grandes surfaces alimentaires ne sont pas incluses dans le dispositif ; jusque-là autorisées à ouvrir jusqu’à midi le dimanche, et ce sur l’ensemble du territoire, elles pourront désormais ouvrir jusqu’à treize heures partout en France. Cette mesure ne peut pas nuire au commerce de proximité. Mais qu’en est-il, monsieur le ministre, du régime des grandes surfaces qui réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires avec les produits non alimentaires ?
La distinction entre alimentaire et non-alimentaire continuera-t-elle d’être effectuée sur la base des critères posés par la cour d’appel de Paris dans l’arrêt Continent du 2 février 1989, à savoir le chiffre d’affaires réalisé dans les différents rayons, les surfaces occupées et l’effectif employé dans ces rayons ? Il me semble très important que vous vous exprimiez sur ce point.
Par ailleurs, la grande surface alimentaire située dans le périmètre d’usage de consommation exceptionnel, le PUCE, ou en zone touristique visée par le texte, aura-t-elle la possibilité d’ouvrir uniquement ses rayons blancs – l’électroménager – et bruns – hi-fi, téléviseurs et ordinateurs –, et, dans ce cas, toute la journée du dimanche ?
En clair, a-t-on raison, ou non, de craindre le contournement de la loi par la grande distribution ?
Permettez-moi de faire une suggestion concernant les dérogations accordées par les maires, pour cinq dimanches par an.
J’estime qu’il faut simplifier et alléger le travail administratif. La procédure est lourde, notamment pour les petites communes, et il convient de réaffirmer l’autorité du maire dans la délivrance de ces cinq autorisations.
Il me semble que la concertation préalable à la prise de l’arrêté est inutile, car les réponses sont connues à l’avance. Le maire n’en tient pas compte et donne directement son autorisation. Il suffirait donc qu’il prenne son arrêté et qu’après contrôle par les services de l’État il avertisse les syndicats et les organisations patronales.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment, c’est plus simple…
M. Gérard Cornu. Mais oui, et comme nous sommes tous animés de la volonté de simplifier….
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En fait, on ne tient aucun compte de la réponse des syndicats.
M. Gérard Cornu. Leur réponse est toujours la même, ce qui lui enlève tout intérêt !
Mme Annie David. Celle des patrons aussi est toujours la même !
M. Gérard Cornu. Mais oui, elle n’a pas plus d’intérêt. C’est bien pour cela que le maire doit être souverain.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On pourrait demander au curé, au pasteur ou au rabbin… (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Gérard Cornu. Cette proposition de loi réaffirme donc le principe du repos dominical et adapte les dérogations à ce principe dans des conditions de pragmatisme et d’équilibre qui emportent l’adhésion, d’autant que les étudiants devraient en être les principaux bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’interroge sur les conséquences de ce texte sur le tourisme.
M. Alain Fouché. Aujourd’hui, 85 millions de touristes étrangers séjournent en France ou la traversent. On estime à 70 millions le nombre de visiteurs qui fréquentent les parcs - parcs de loisirs, animaliers, technologiques, aquatiques, parcs à thème – et 80 % de ces parcs sont situés en province. Ce sont des chiffres qu’il faut retenir.
Le dimanche est considéré par les Français comme la journée du repos et des loisirs. C’est le jour où l’on se retrouve entre amis et en famille pour se divertir, se promener, visiter le patrimoine, les musées, bref, se balader et en profiter pour se livrer à un certain nombre d’activités.
Selon l’INSEE, l’industrie du tourisme représentait 7,5 % du PNB en 1995 contre seulement 6,3 % aujourd’hui. Il s’agit par conséquent d’une industrie qui se fragilise et sur laquelle nous perdons des parts de marché.
Ce secteur économique a permis, et permet encore, grâce à l’action de nombreux intervenants, les collectivités locales en particulier, de réaliser un aménagement et un rééquilibrage des territoires, chers à notre assemblée.
Avec l’avènement d’internet, le mode de consommation touristique est en profonde mutation. Les gens ne partent plus en masse durant les mois de juillet et d’août. Ils choisissent des courts séjours répartis sur l’ensemble de l’année, notamment en fin de semaine.
Cette proposition de loi, et cela m’inquiète, permettra à des grandes surfaces et à des commerces d’ouvrir le dimanche dans les principales métropoles, mais aussi dans d’autres communes.
En cet instant, plusieurs interrogations subsistent : combien de communes seront concernées ? Certains parlent de 600, d’autres de 6 000 ! Combien de salariés et de professions indépendantes seront touchés par ces mesures ?
Quelles peuvent être les conséquences et les risques de l’ouverture des grandes surfaces le dimanche ?
J’ai évoqué ce texte avec de nombreux acteurs du tourisme, à l’échelon tant national que local. Beaucoup m’ont fait part de leur profonde inquiétude.
Il est évident que les grandes chaînes mettront en place des politiques commerciales financièrement très fortes et agressives sur le plan de la communication. Elles offriront des spectacles et des animations gratuites, à l’instar de ce qui se fait aux États-Unis, et n’auront qu’un seul souci : happer les populations des territoires voisins vers les métropoles et leurs hypermarchés. C’est la crainte de nombreux responsables de sites touristiques mais aussi de parcs de loisirs, animaliers et à thème. L’Association française des parcs zoologiques, lesquels accueillent 25 millions de visiteurs par an, est très opposée à ce texte.
Dans la Vienne, département touristique dont je suis l’élu, la fréquentation touristique des sites le dimanche représente 25% à 30 % de la fréquentation hebdomadaire. Ne risquons-nous pas de revenir vingt-cinq ans en arrière, n’allons-nous pas assister à une recentralisation commerciale ?
Par ailleurs, ce texte présente des risques pour les petits commerces qui n’auront pas les moyens financiers et humains d’ouvrir le dimanche. Ils ne peuvent en effet pas supporter des charges salariales supplémentaires. L’ouverture des grandes surfaces dans les métropoles importantes entraînera donc sans doute une distorsion de la concurrence.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que Paris, Marseille et Lille seraient concernées. À Lille, les grandes surfaces devraient ouvrir pour faire face aux propositions commerciales de la Belgique. Dont acte ! Mais lorsque les grandes surfaces de Lille ouvriront le dimanche, elles attireront une clientèle située plus au sud.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Alain Fouché. Dès lors, à quel titre devrions-nous refuser aux grandes surfaces d’Arras, d’Amiens ou de Valenciennes d’ouvrir également ce jour-là ?
Mme Annie David. Eh oui !
M. Alain Fouché. Cela risque d’engendrer une cascade d’ouvertures.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Alain Fouché. Monsieur le ministre, je crains que les pressions ne soient telles que les dispositions de cette loi se généralisent rapidement.
M. Jean-Claude Peyronnet. Évidemment !
M. Alain Fouché. La France doit-elle s’aligner – c’est le cas avec ce texte – sur les modèles américain et anglo-saxon ?
Pour ma part, je ne trouve pas déshonorant de proposer aux touristes étrangers qui séjournent à Paris de visiter en priorité le Louvre, la tour Eiffel ou des musées plutôt que les grandes surfaces de la capitale.
M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !
M. Alain Fouché. La France doit-elle abandonner son exception culturelle qui fait que les touristes étrangers aiment la France et que beaucoup de pays nous envient ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Je considère que non. La France doit garder son exception culturelle et son identité propre. Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous me répondiez sur ces points, car le tourisme est important pour les territoires et pour l’emploi dans notre pays. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est décidément un pays formidable, dans lequel le vice vaut souvent mieux que la vertu, le premier étant souvent plus récompensé que la seconde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
On bafoue délibérément la loi en ouvrant en toute illégalité des magasins. Ensuite, on exige que l’on modifie la loi parce que les juges vous ont sanctionnés. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) C’est appliquer la loi de la jungle ou celle du far-ouest !
Je ne crois pas que le législateur s’honorerait en votant ce texte qui récompense la délinquance économique et sociale.
Certes, on nous dit que la nouvelle mouture du texte est très édulcorée – et je ne mets pas en doute la sincérité du propos – mais, en fait, elle relève toujours de la même philosophie. Si tel n’était pas le cas, nous demander de discuter cette proposition de loi n’aurait pas de sens.
Pour moi, ce texte est la clé qui ouvre la porte à la banalisation, puis à la généralisation du travail le dimanche.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est bien dit !
M. André Lardeux. Les recettes sont connues. Il suffira de multiplier les cas particuliers et, si cela ne suffit pas, de faire comme aujourd’hui : violer la loi !
M. Jacky Le Menn. Absolument !
M. André Lardeux. Je voterai donc résolument contre ce texte, d’autant qu’il est interdit au Sénat de le modifier.
M. Jean Desessard. Et pourquoi ? (Sourires.)
M. André Lardeux. Pour moi, il s’agit d’une question de principe. Ce qui est en jeu, c’est notre conception de la vie en société, à l’encontre de laquelle va ce texte. En fait, on nous propose un changement sociétal qui ne veut pas dire son nom.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. André Lardeux. Certes, ce n’est pas un problème simple, mais pourquoi, au nom d’une pseudo-modernité, regarder tout par le petit bout de la lorgnette économique ? Ce n’est pas ainsi que l’on pourra répondre à la question éthique du rapport à l’argent.
M. Jacky Le Menn. C’est exact !
M. André Lardeux. Étendre l’obligation du travail le dimanche présente des avantages, pour la plupart hypothétiques, et des inconvénients, à peu près tous certains.
Les termes de l’échange me paraissent particulièrement déséquilibrés. Ce n’est pas parce que 7 millions de Français environ travaillent déjà régulièrement ou occasionnellement le dimanche qu’il faut en augmenter le nombre, au contraire.
Je suis donc opposé à cette proposition qui ne me paraît ni de bon sens ni respectueuse de la dignité des personnes.
Qu’on le veuille ou non, le dimanche n’est pas un jour comme les autres et j’ai au moins dix bonnes raisons de l’affirmer.
M. Jean Desessard. Allons-y !
M. André Lardeux. La première, c’est que c’est un acquis social qui, depuis plus de cent ans, a plutôt fait ses preuves.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. André Lardeux. La loi du 13 juillet 1906, en instituant le repos dominical, mettait fin à plusieurs décennies de régression sociale. Le non-travail le dimanche a toujours pour objet le repos, mais évite aussi, me semble-t-il, l’accentuation de l’atomisation de notre société.
La deuxième est que le dimanche est favorable à la famille.
En qualité de rapporteur du budget de la branche famille, cela me tient particulièrement à cœur.
M. Jacky Le Menn. Bravo !
M. André Lardeux. C’est le jour où les deux ou trois générations d’une famille peuvent se retrouver ensemble, quelles que soient les activités des uns et des autres.
Les salariés qui ont de jeunes enfants seront confrontés à des problèmes de garde. Faudra-t-il payer double les assistantes maternelles qui travailleront le dimanche ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacky Le Menn. Bonne question !
M. André Lardeux. Faudra-t-il faire doubler aussi les aides de la caisse d’allocations familiales ?
De plus, que devient une famille dans laquelle chacun vit à un rythme différent ? Cela risque de déstabiliser un peu plus les familles avec le cortège de difficultés sociales qui en résultent. Or, de nombreuses études le montrent, trop de parents et d’enfants ne passent pas assez de temps ensemble.
La troisième raison est que le repos du dimanche est propice au sport, au jeu et à la vie en société.
Sans la présence des parents, beaucoup d’activités du dimanche – compétitions sportives, mouvements de jeunes, activités culturelles diverses – seront difficiles à organiser et de nombreux enfants en seront exclus. Ce serait un beau progrès !
La quatrième raison est que le travail du dimanche est un leurre économique.
Un gâteau partagé en sept n’est pas plus gros qu’un gâteau partagé en six. (M. Jean Desessard applaudit.) L’effet sur la consommation n’est qu’un déplacement, non un accroissement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. André Lardeux. Selon une étude de l’OSCE, ouvrir plus longtemps ne fait pas consommer plus. Ouvrir un jour supplémentaire ne permet une augmentation de l’activité que si les concurrents sont fermés au même moment. Les budgets des consommateurs n’étant pas extensibles, hélas ! surtout en ce moment, les dépenses faites le dimanche ne le seront pas les autres jours.
Comme le montre l’exemple allemand, la législation sur les plages d’ouverture du commerce de détail a été assouplie en 2003 sans que cela modifie la consommation ou l’épargne des allemands.
M. Daniel Raoul. Tout à fait !
M. André Lardeux. Les créations d’emplois sont incertaines alors que les suppressions de postes semblent assurées. Les commerces indépendants, notamment les plus petits d’entre eux, seront définitivement écrasés par la grande distribution. Je ne pense pas que l’objectif que nous avons les uns et les autres soit de faire disparaître les commerces de proximité.
M. Daniel Raoul. Exactement !
M. André Lardeux. La cinquième raison est que le travail du dimanche est un piège pour les salariés.
En effet, cela conduira à la banalisation du travail le dimanche et, très probablement, à la déréglementation totale. Le salarié qui ne souhaite pas travailler le dimanche ne sera pas embauché et risquera, ensuite, d’être licencié le premier. Quoi qu’il en soit, il subira de très fortes pressions.
La surrémunération de 100 % est alléchante, mais elle peut se faire au détriment de ceux qui ne travaillent pas le dimanche. Il est d’ailleurs assez surprenant que le travail le dimanche puisse être payé le double alors que la grande distribution, principal employeur des travailleurs pauvres, refuse très souvent d’accorder des augmentations, même minimes, sur le reste de la semaine. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Nous venons d’en avoir une illustration récente au moins dans deux grandes agglomérations de notre pays.
Il est donc hypocrite, à mon sens, de nous dire que le travail le dimanche serait une réponse aux difficultés des travailleurs pauvres. Cela constituera par ailleurs une solide base de revendication salariale pour tous ceux qui travaillent déjà le dimanche par nécessité de service public ou pour les usages de certaines activités.
Les arguments avancés montrent bien que ce sont les plus fragiles qui seront amenés à travailler le dimanche, quand on nous dit que c’est le souhait des femmes seules avec enfants ou des célibataires. Au demeurant, la situation familiale est extrêmement changeante : on peut, à vingt-cinq ans, vouloir travailler si on est seul et ne plus avoir la même volonté, deux ou trois ans plus tard, après s’être marié et avoir deux ou trois enfants.
On nous dit que les étudiants financeraient ainsi leurs études : est-on sûr que le travail dominical est une réponse au problème du financement des études supérieures ? (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.) Ces étudiants travaillent-ils uniquement pour financer leurs études ? De plus, un commerce ne fonctionne pas seulement avec des étudiants.
Enfin, l’argument de la surrémunération risque d’être mis à mal par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a considéré, dans un arrêt du 31 janvier 2006, qu’un salarié travaillant habituellement le dimanche ne peut prétendre à une majoration de salaire.
Ne tombons pas dans l’addiction au travail, n’en faisons pas une nouvelle idole ! Le travail doit participer à l’épanouissement de l’homme, non à son assujettissement ; aussi, ne créons pas de nouvelles formes de servage !
La sixième raison est qu’il ne faut pas tomber non plus dans l’addiction à la consommation,…
M. Daniel Raoul. Voilà !
M. André Lardeux. … problème que des associations aux États-Unis essaient de traiter. Avons-nous besoin d’acheter sept jours sur sept ?
On fera miroiter, à coup de crédits coûteux, des tentations auxquelles les plus modestes ne pourront céder, sauf à se surendetter.
Même si on en a les moyens, la consommation doit-elle être l’horizon indépassable de notre société ? Ce serait avoir une bien piètre opinion de la personne humaine. L’argent ne peut pas tout et il n’est pas besoin d’être un pousseur de chariot pour être un bon citoyen !
Comment à la fois revendiquer la possibilité de consommer n’importe quand et fustiger, du fait de la crise, les dérives résultant d’une trop grande liberté des acteurs économiques ?
La septième raison est que des temps de repos sont indispensables, sous peine d’épuisement !
La société doit se permettre de relâcher la cadence de travail et d’octroyer à ses membres un temps non soumis à l’économique. Les hommes ne sont pas que des producteurs et des consommateurs !
Ce temps de pause est nécessaire à la santé des adultes et des enfants. Se relaxer sur un terrain de sport ou dans la nature me paraît plus profitable que de déambuler dans une galerie marchande.
Est-il normal que, pour gagner honnêtement notre vie, nous soyons invités à renoncer à une certaine qualité de vie ? On ne peut pas impunément remplacer le « Je pense donc je suis » par le « Je bouge donc j’existe » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, des études réalisées dans certains pays européens indiquent que la probabilité de développer une maladie est plus importante dans les entreprises où les salariés travaillent le samedi et le dimanche, puisqu’on avance le chiffre de 30 %.
Enfin, tout cela est-il conforme à l’intérêt écologique et positif pour le bilan carbone ? Il semble que le coût global, pour la collectivité, de l’ouverture le dimanche – j’appelle de mes vœux des études approfondies sur ce point – soit supérieur à ce que celle-ci est susceptible de lui rapporter.
Le fait que le repos du dimanche soit un repère pour l’homme constitue une huitième raison. Ce repère est inscrit dans toutes ses dimensions, notamment la dimension spirituelle. Notre horloge interne nous fait éprouver la nécessité de l’alternance entre-temps de travail et moments de repos. C’est le temps réglé qui permet le développement de la civilisation.
Qu’est-ce qu’une société sans rythme commun ? Une jungle déréglée par un individualisme exacerbé !
La culture du gain doit-elle passer avant celle de l’homme ? Dans ce cas, on fait de la personne un moyen ; on ne regarde pas si les âmes se perdent, on surveille si les affaires se font. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.) L’argent, valeur suprême, dévore les individus et réifie les salariés. C’est un appauvrissement spirituel sans enrichissement économique.
Tel est d’ailleurs le point de vue qu’a exprimé, au moins à deux reprises, le Président de la République. Le 20 décembre 2007, il a dénoncé, dans son discours du Latran, la frénésie de la consommation. (Rires ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Le 12 septembre 2008, quand il a reçu le Pape à l’Élysée, il a fait une déclaration à laquelle je ne peux que souscrire : « La croissance économique n’a pas de sens si elle est sa propre finalité. Consommer pour consommer, croître pour croître n’a aucun sens. Seuls l’amélioration de la situation du plus grand nombre et l’épanouissement de la personne en constituent ses buts légitimes ? »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un homme de contradictions !
M. André Lardeux. La neuvième raison tient au fait que le repos dominical fait partie de nos racines. Ce serait un paradoxe de les gommer, alors que l’on semble se rappeler qu’elles ont une grande importance pour la cohésion de notre société.
Enfin – c’est la dernière raison – en tant que catholique, je ne peux pas ne pas évoquer le caractère sacré de ce jour, jour différent, jour de repos prescrit par Dieu. Je préfère les amateurs de vie spirituelle aux théologiens du marché ! (Mme Anne-Marie Payet applaudit.)
Le chrétien se fait le promoteur de ce qui ne sert à rien, de ce que l’on croît à tort inutile. Il montre les limites d’un monde où tout s’échange, s’achète et se vend. Il rappelle que nous ne devons pas dépendre du caprice et du désir. Il souligne le sens du gratuit et la culture du don.
Certains objecteront qu’en permettant la messe du samedi soir, l’Église a ouvert une brèche, puisque le jour liturgique va en principe de minuit à minuit.
M. Dominique Braye. Vous devriez vous associer avec Mme Boutin !
M. André Lardeux. Or, comme l’a rappelé le Concile, il ne s’agit que d’une extension de la vigile : en souvenir du sabbat juif, la célébration du dimanche peut commencer dès la veille au soir.
En somme, l’extension du travail le dimanche est non pas une affaire d’efficacité économique, mais un choix de société.
Qu’il faille remettre de l’ordre dans le maquis des dérogations existantes, soit, mais alors, il convient d’en supprimer un certain nombre au lieu de les étendre ! En effet, selon le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, aucun économiste ne peut dire que l’on a besoin d’ouvrir partout le dimanche.
Le travail du dimanche est non pas une liberté, mais un leurre, et il y a mieux à faire et à proposer à nos concitoyens que « métro, boulot, conso » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Je souhaiterais répondre brièvement à Mmes Le Texier et Printz.
En 2007, je le rappelle, nous avons voté un amendement visant à permettre aux commerces de meubles d’ouvrir le dimanche.