M. Christian Poncelet. Eh oui !
M. Gérard Miquel. Cette épée de Damoclès s’ajoute à un contexte politique qui fait que, depuis plusieurs mois, les départements sont dans l’œil du cyclone.
Dès le lancement de la réflexion sur la refonte de l’organisation territoriale, les conseils généraux ont été cloués au pilori par certains. Le réquisitoire surprend d’autant plus que le département a été lesté de compétences majeures par les lois de décentralisation qui se sont succédé depuis 1982.
Pour certains, la gouvernance locale incarnée dans le nouveau concept d’« élu territorial », à la fois conseiller général et conseiller régional, constituerait la panacée. Cette invention est un leurre en termes de rationalisation et une hérésie sur le plan démocratique.
Ce projet laisse croire à une confusion des responsabilités entre ces deux collectivités, alors qu’il n’existe, en réalité, que très peu de chevauchements entre elles. Par ailleurs, il contredit la volonté affichée de distinguer les compétences entre niveaux territoriaux en diluant l’ancrage territorial des élus.
Nous partageons tous l’idée d’une plus grande clarification des compétences avec, notamment, une refonte de l’intercommunalité permettant d’aboutir à un regroupement de certaines communautés et à un toilettage, voire à la suppression d’un grand nombre de syndicats intercommunaux. L’objectif ne peut toutefois servir de prétexte à la suppression de la clause générale de compétence dévolue aux départements.
À cet égard, je souscris pleinement aux sages conclusions de la mission Belot, qui appelle, à l’unisson des associations d’élus, à préserver la capacité d’initiative des différentes collectivités.
Ne proposons pas une réponse globale, alors que la diversité des territoires exigerait un traitement différencié ! En effet, qu’y a-t-il de commun entre un département de deux millions d’habitants comprenant une métropole, et le mien, le Lot, qui compte 176 000 habitants et une ville chef-lieu de 20 000 habitants ?
Pour esquisser les bonnes réponses, la vraie question à se poser est celle de l’échelon territorial pertinent pour exercer une compétence. Dans de très nombreux départements, le conseil général a apporté la preuve qu’il était le bon niveau d’organisation pour remplir de multiples missions.
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Gérard Miquel. Vous me permettrez aussi d’inviter l’État à balayer d’abord devant sa porte avant de donner de belles leçons d’organisation aux collectivités.
L’État a engagé une restructuration de ses services sur le plan local. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le Lot fut un département test. J’ai soutenu le préfet dans cette orientation. Mais l’État doit aller plus loin encore et supprimer tous les services qui empiètent sur les champs de compétences des collectivités et entravent parfois l’efficacité dans l’action.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la clé de la réussite de la décentralisation, c’est d’abord la confiance dans la capacité des élus locaux à organiser, au plus proche de nos concitoyens, les services dont ils ont besoin et, par voie de conséquence, à mieux gérer les finances publiques.
Il ne faut pas, avec le projet de réforme, tourner le dos à cette relation d’égalité et de respect, sans considération pour les initiatives locales innovantes.
Collectivité pivot des solidarités sociales et territoriales de proximité, le département semble être la première victime de la volonté recentralisatrice des élites. En effet, l’architecture territoriale qui se dessine marque un profond recul de la décentralisation voulue et mise en œuvre par des hommes courageux et visionnaires.
À cet égard, je tiens à saluer notre collègue Pierre Mauroy, qui, lorsqu’il était Premier ministre, a « porté » avec Gaston Defferre la décentralisation. J’ai quelques souvenirs des débats ayant eu lieu alors. Nombreuses étaient les critiques dans les rangs de la majorité sénatoriale. Cette dernière disposant également d’une large majorité dans toutes les collectivités de France, il fallait beaucoup de courage pour défendre ce grand projet.
M. Dominique Braye. Cela a changé !
M. Gérard Miquel. Pierre Mauroy et Gaston Defferre ainsi que l’ensemble du gouvernement de l’époque ont malgré tout engagé le formidable processus de la décentralisation, qui nous a permis de changer complètement notre vision de la France et d’organiser les collectivités territoriales, avec les effets positifs que nous observons aujourd’hui.
M. Yvon Collin. Exact !
M. Gérard Miquel. Je tenais à apporter ce témoignage, afin d’exprimer toute notre reconnaissance à Pierre Mauroy pour le beau travail qu’il a mené. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. Depuis, les progressistes ont changé de camp ! Et les conservateurs aussi ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Miquel. Selon moi, la nouvelle vision qui prévaut aujourd’hui va complètement à rebours des nouvelles attentes de nos concitoyens et des urgences, notamment écologiques, auxquelles notre planète et notre pays sont confrontés.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de notre organisation territoriale ne peut se faire au forceps, contre les élus et les citoyens. Le travail de la mission conduite par nos collègues Claude Belot, Jacqueline Gourault et Yves Krattinger a débouché sur des conclusions empreintes d’ambition et de pragmatisme pour toutes les collectivités. Je forme le vœu qu’elles ne restent pas lettre morte et qu’elles contribuent à former l’ossature de la réforme qui nous sera soumise demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite centrer mon propos sur la question des métropoles, qui constituent à elles seules un enjeu majeur en termes de développement, de gouvernance et de financement.
Constituer des grandes métropoles françaises de taille européenne dont les compétences et le territoire soient élargis représente un défi qu’il nous appartient de relever. Ce point a été confirmé par les réflexions et consultations menées de façon pertinente par les rapporteurs de la mission sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.
Je tenterai donc de répondre aux deux questions suivantes : pourquoi et comment constituer de grandes métropoles ?
Tout d’abord, observons ce qui se passe en Europe. Le Royaume-Uni a créé le Grand Londres ; Lisbonne, Madrid ou Barcelone disposent de statuts particuliers ; Milan ou Francfort ont entamé une réflexion sur la modification de leur statut.
La compétition internationale est aussi territoriale. Dans ce domaine, la France souffre d’un véritable retard sur ses concurrents européens. Il nous faut donc favoriser le développement de grands centres d’attractivité économique, démographique ou universitaire capables de rivaliser avec des villes européennes comme Barcelone, Milan, Turin, Francfort ou Hambourg.
L’objectif est de rendre plus lisible et plus efficace l’action publique pour donner de nouvelles conditions de développement aux grandes aires métropolitaines, afin d’assurer leur compétitivité en Europe et dans le monde. Les nouvelles métropoles doivent avoir un statut, un périmètre et des compétences clairement définies.
Il est selon moi impératif de créer par la loi un nombre limité de métropoles aux pouvoirs réellement renforcés.
Aujourd’hui, le « fait métropolitain » recouvre des situations très disparates. Je prendrai l’exemple de la métropole de Nantes–Saint-Nazaire, que je connais bien pour y être née. Celle-ci a bien sûr le mérite d’exister, mais de façon très floue, en ce qui concerne tant son image et sa visibilité que ses moyens, qui sont mal définis. Mal répertoriée, elle souffre d’un déficit de notoriété, donc d’impact, pour tout ce qui touche les grandes décisions d’aménagement et les implantations potentielles.
Pour moi, il ne s’agit pas de concevoir la métropole comme le simple prolongement des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines. Face à la concurrence internationale, il est souhaitable de concevoir un périmètre qui dépasse les limites du département et, encore plus, des intercommunalités.
Pour autant, il ne s’agit pas non plus de couvrir la France de métropoles. Le nombre de métropoles créées par la loi doit, au moins dans un premier temps, être limité à six, par souci de cohérence. Il me semble en effet que, en les multipliant à l’envi, on diluerait indéniablement l’importance que l’on souhaite leur donner. Il faudra bien sûr examiner de près les critères d’accès au statut de métropole.
Huit métropoles sont citées dans le rapport d’information de la mission temporaire excellemment présidée par notre collègue Claude Belot : Lyon, Lille, Marseille, Toulouse, Nice, Bordeaux, Nantes et Strasbourg, en tenant compte des spécificités de cette dernière.
Pour éviter une fracture territoriale éventuelle, il faudra trouver un équilibre entre la métropole et le reste du territoire, en affirmant tout naturellement la pérennité des communes, qui assurent un lien de proximité direct avec nos concitoyens.
Trois politiques ont une véritable cohérence entre elles : elles gagneraient, sur un territoire homogène, à être mises en œuvre par une seule collectivité. Il est donc nécessaire de regrouper et de coordonner sur ces aires fortement peuplées des compétences aujourd’hui dispersées. Il s’agit tout d’abord de la politique urbaine, aujourd’hui confiée à la commune, par ailleurs des politiques sociales, exercées principalement par le département – je considère personnellement que la compétence sociale doit majoritairement rester dévolue au département, mais il convient de rester prudent : les départements auront-ils les moyens financiers d’assurer cette compétence ? – et, enfin, des politiques économiques, qui sont assurées par la région.
Il me paraît important de clarifier les compétences des uns et des autres, pour éviter les doublons et pour limiter les financements croisés, auxquels nous sommes tous opposés depuis longtemps. Cessons cette politique des guichets ! Ayant exercé par deux fois le mandat de vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, j’ai souvent entendu François Fillon, qui en était alors le président, critiquer les financements croisés et la politique des guichets.
Les métropoles doivent disposer des moyens financiers de leurs ambitions : rien ne serait pire qu’un colosse territorial aux pieds d’argile.
Il existe des pistes. Je pense notamment à la dotation globale de fonctionnement métropolitaine, que les rapporteurs de la mission temporaire, Mme Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, proposent d’instituer à la demande des communes membres.
La mission souhaite également permettre l’institution, par décision des communes membres, d’une fiscalité communautaire se substituant progressivement aux fiscalités communales. Nous aurons besoin de débattre de cette question, afin de la clarifier.
En ce qui concerne la gouvernance, le fait urbain s’impose à tous. Il convient donc d’adapter nos institutions locales à cette réalité.
Les métropoles seraient ainsi des collectivités locales qui bénéficieraient sur l’ensemble de leur territoire de la clause de compétence générale, des compétences départementales et de la compétence économique, partagée avec la région. Quant aux communes, elles conserveraient naturellement la clause de compétence générale.
Par ailleurs, les conseillers métropolitains devraient être élus au suffrage universel direct, au moment des élections municipales, selon un système de fléchage. Cette proposition est attendue depuis fort longtemps pour les EPCI, ou établissements publics de coopération intercommunale. Nous en avons tant parlé que je l’avais qualifiée d’« arlésienne » !
Toutes les listes élues seraient représentées à la représentation proportionnelle des résultats obtenus au scrutin municipal : cela s’appelle l’exercice de la démocratie. Il est également proposé d’attribuer, au sein du conseil métropolitain, un siège au moins à chaque commune membre.
Telle est, pour l’essentiel, ma position sur les métropoles.
En conclusion, il est évident que les collectivités locales sont appelées à jouer un rôle croissant dans le développement économique et social de notre pays. Les grandes agglomérations doivent disposer des outils et de l’organisation à la hauteur de ce défi. Ce sera tout l’enjeu de la création des métropoles, qui devra s’accompagner d’une volonté politique forte. La question de leur statut, question véritablement centrale, devra être posée. Mes chers collègues, additionner les poids démographiques, les talents et les atouts des territoires, c’est à coup sûr nous donner les moyens de réussir cet ambitieux projet ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, même si je ne suis pas convaincu de l’urgence de mener à bien cette réforme, personne ne peut reprocher au chef de l’État et au Gouvernement de vouloir la conduire à terme dans les délais qu’ils se sont impartis.
Le débat qui nous réunit et le long travail que nous avons mené en commun avec M. Claude Belot, président de la mission temporaire, intéressent sans doute les élus. Intéressent-t-ils autant qu’on le dit les Français ? Pour ma part, je n’en suis pas sûr. En revanche, je suis persuadé que ces questions les concernent directement, dans leur vie quotidienne, pour l’éducation de leurs enfants, leur travail, leur santé et leurs déplacements.
Monsieur le ministre, le 8 octobre dernier, lors de la première séance des questions d’actualité au Gouvernement, j’interrogeai votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie. Je lui posai en substance la question suivante : le débat sur la réforme des collectivités locales est engagé. Pouvez-vous me dire aujourd’hui si le scénario est déjà écrit ou si le débat qui s’engage va être long, fructueux et ouvert ? Devons-nous, comme l’a dit notre Président, être imaginatifs et ne rien nous interdire ?
Sept mois plus tard, je m’aperçois que j’avais pour partie raison : le scénario était écrit. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Pourtant, y ayant cru, nous nous sommes engagés dans ce débat avec passion. Le maire de Lyon citait tout à l’heure saint Augustin. Devant tant de personnes souhaitant aboutir à un bon résultat, je me suis dit, comme Teilhard de Chardin, que « tout ce qui monte converge ». Je m’aperçois finalement que, parfois, tout ce qui monte peut diverger.
En partant de l’a priori selon lequel personne ne veut remettre en cause les différentes collectivités, il fallait donc passer ces dernières au peigne fin et, en fin de compte, comme l’a dit tout à l’heure Mme Gourault en évoquant le travail mené par la mission temporaire, faire œuvre de simplification, de clarification et d’efficacité, l’objectif étant aussi sans doute un souci d’économies.
Mais aujourd’hui, à l’issue des travaux menés, les masques sont tombés : il s’agissait en fait, d’une part, de changer le mode de scrutin (M. Dominique Braye fait un signe de dénégation.) et, d’autre part, de créer des conseillers territoriaux.
Monsieur le ministre, peut-être allez-vous nous apporter quelques éclaircissements sur ce que nous apprendrons sans doute à la fin du mois. En effet, le sort de nos collectivités – l’une sera maintenue, l’autre supprimée – dépendra du choix qui sera effectué. Si tous les conseillers territoriaux élus par les départements siègent au conseil régional, le sort des départements est scellé. Si, au contraire, une partie seulement des conseillers territoriaux est « fléchée » pour siéger au conseil régional, nous revenons alors à l’ancien établissement public régional, l’EPR, et le sort de la région est scellé !
Au moment du vote des premières lois de décentralisation – je me tourne vers vous, cher Pierre Mauroy –, j’étais alors député. Je me souviens des débats du mois d’août, qui ont été longs et, parfois, tumultueux. Ils ont abouti à ce que tous, sur ces travées, à droite comme à gauche, considèrent aujourd’hui comme une grande réforme que nous devons continuer de mener à bien.
Tous les orateurs ont évoqué la question des financements. Pour ma part, j’ai rencontré ce matin à la Banque de France les rapporteurs spéciaux des différents budgets. J’ai pu découvrir certains détails de la réforme de la taxe professionnelle. La partie qui reviendra aux régions proviendra, d’une part, d’une dotation de l’État et, d’autre part, d’un tiers de la part assise sur la valeur ajoutée. Le taux de celle-ci étant fixé par l’État, les régions ne disposeront donc plus d’aucune liberté ni autonomie fiscale ! Cela signifie que, demain, les collectivités auront des budgets dédiés, qui leur seront attribués d’autorité.
Ce matin, je rappelais à M. Mariton, le grand pourfendeur des collectivités, celui qui pense que nous dépensons trop, qu’il avait prétendu un jour que nous ne devrions jamais faire ce pour quoi nous n’avons pas été élus. Or je constate que, dans le cadre du plan de relance, l’État envisage de financer à hauteur de 50 % la déviation de Moiry dans la Nièvre, à condition que la région et le département y contribuent chacun à hauteur de 25 %. Je m’interroge donc sur la réelle volonté du Gouvernement. Comment peut-on, d’un côté, reprocher aux collectivités d’être trop dépensières, et, de l’autre, les obliger à financer des compétences pour lesquelles elles n’ont pas été élues ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
J’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques clarifications et que vous nous dévoiliez une partie du scénario. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Saugey.
M. Bernard Saugey. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de répondre à François Patriat. Contrairement à lui, je ne crois pas que tout soit déjà décidé. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Demandez à Charles Guené !
M. Bernard Saugey. Des voix discordantes se font entendre au sein même de l’UMP. Nous devrions être tous du même avis, mais c’est loin d’être le cas.
La mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales a fait un excellent travail, et je félicite son président Claude Belot, les vice-présidents Pierre-Yves Collombat et Rémy Pointereau, ainsi que les rapporteurs Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, ici présents. Pour autant, le contenu de son rapport ne sera pas intégralement repris, loin s’en faut.
Il ne s’agit que d’une boîte à outils parmi d’autres – je pense au rapport du comité Balladur ou à celui de l’Assemblée nationale –, dans lesquelles le Gouvernement va piocher. Nous espérons qu’il en fera bon usage. L’avenir nous le dira.
Il y a des sujets qui coulent de source, comme le maintien des communes. À cet égard, certains de nos collègues me semblent excessivement pessimistes : j’espère bien que nos communes ne se transformeront pas en pots de fleur ! Nous ferons tout pour qu’elles restent bien vivantes et qu’elles conservent des compétences. De même, il faut achever la mise en place de l’intercommunalité : cela tombe sous le sens ! La quasi-totalité des communes sont regroupées en communautés, et il convient d’aller jusqu’au bout de cette logique. Quant aux grandes métropoles, même si nous connaissons quelques divergences, notamment en ce qui concerne le Grand Paris, il nous semble essentiel que la France soit dotée de grands pôles urbains.
La première divergence vraiment sérieuse aurait pu venir de la désignation des conseillers communautaires. En effet, certains voulaient qu’ils soient élus au suffrage universel, tandis que d’autres souhaitaient qu’ils soient désignés par les communes. Finalement, le fameux fléchage sur la liste des candidats aux élections municipales devrait mettre tout le monde d’accord.
La seule révolution concerne donc les conseillers territoriaux, comme nos collègues de gauche l’ont remarqué à juste titre. En lieu et place des 6 000 élus existants – 4 000 conseillers généraux et 2 000 conseillers régionaux –, il ne resterait tout au plus que 3 000 élus. Je peux vous dire que, dans les réunions publiques auxquelles j’ai participé dans mon département, nos concitoyens se réjouissent d’une telle diminution ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Patriat prétend que cela signifierait la mort d’un conseil ou de l’autre. Pas nécessairement : dans un passé déjà lointain, j’ai été, vers 1974, à la fois conseiller général et régional, et cela ne m’empêchait pas de remplir ces deux fonctions.
M. Gérard Longuet. Fort bien au demeurant ! On s’en souvient !
M. Bernard Saugey. Un conseiller territorial qui cumulerait ces deux fonctions deviendrait incontournable.
Certes, il est difficile de supprimer 3 000 sièges d’élus. Je souhaite bonne chance à MM. les ministres pour le travail qu’ils devront accomplir !
Il faudra aussi regrouper les petits cantons. Le conseiller général que je suis depuis 1973 sait que c’est un vrai problème, qu’il conviendra de résoudre. Dans mon département, trois ou quatre cantons ne comptent que 2 000 habitants lorsque deux autres en regroupent 45 000 chacun.
Mme Nathalie Goulet. C’est la même chose dans mon département !
M. Bernard Saugey. C’est encore pire à Saint-Pierre-et-Miquelon, le département de Denis Detcheverry où j’ai effectué une mission voilà quelques années : il y a un conseil général pour 6 000 habitants, avec dix-neuf conseillers généraux.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Il y a aussi un sénateur et un député !
M. Bernard Saugey. Je sais que c’est un cas extrême, et même le record de France !
Par ailleurs, avec un mode de scrutin uninominal à deux tours pour les petits cantons et proportionnel dans les grandes villes, où faudra-t-il placer le curseur ? Là encore, je souhaite bon courage aux ministres…
Enfin, même si l’on n’échappera pas aux procès d’intention, on pourrait tous s’accorder sur le problème des compétences. François Patriat a abordé la question des financements croisés. Il n’y a rien de pire que les compétences générales qui s’enchevêtrent. Je suis élu depuis longtemps, et l’expérience m’a appris qu’il vaut mieux que chaque assemblée dispose d’une compétence particulière.
Messieurs les ministres, tous mes vœux vous accompagnent ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Louis Pinton.
M. Louis Pinton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, réformer le fonctionnement de nos collectivités territoriales est une nécessité. Notre réflexion doit être inspirée par des principes et des règles, en conformité avec notre conception républicaine de la vie démocratique.
Simplicité, efficacité, responsabilité : ces trois principes élémentaires et de bon sens devraient toujours guider la pratique de notre démocratie, particulièrement à l’échelon local, qui constitue le premier lieu de rencontre de la politique et du citoyen. Oubliez ces principes, et le citoyen se détourne de l’exercice de la vie démocratique : il boude les urnes et abdique toute implication personnelle dans la vie de la cité pour retourner à sa sphère privée. Ce repli individualiste est fatalement préjudiciable au « vivre ensemble », sentiment civique fondamental qui cimente la collectivité humaine et fonde les solidarités.
La règle constitutionnelle précise que notre république est décentralisée. Il en découle une double interrogation. Comment démultiplier sans excès les lieux de pouvoir tout en les inscrivant dans la diversité territoriale ? Comment faire en sorte que cette démultiplication, qui libère les énergies et favorise une gestion au plus près du terrain, se fasse dans l’efficacité, autrement dit en évitant l’éparpillement des compétences et des financements ?
En réponse à ces questions, on peut esquisser plusieurs propositions.
La première, bien évidemment, concerne le couple formé par les communes et les communautés de communes. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet, à propos duquel tout ou presque a été dit et sur lequel tout le monde semble peu ou prou s’accorder. Je soulignerai simplement que, si la communauté de communes ne constitue qu’un outil du fonctionnement communal, rien n’oblige à modifier le mode de représentation des conseillers municipaux à la communauté de communes, cette dernière n’étant pas une collectivité susceptible d’entrer en compétition avec la commune.
En ce qui concerne maintenant l’échelon supérieur, j’oserai faire une analogie entre le bloc formé par les communes et les communautés de communes et le couple constitué par les départements et les régions. Suivant cette logique, je vous propose un couple départements-régions dont les rapports seraient de même nature que ceux qui unissent les communes et les communautés de communes. Il s’agirait de faire des régions des communautés de départements.
M. François Patriat a posé une bonne question : dès lors que ces deux collectivités se rapprochent, il faut savoir laquelle aura la prééminence.
Comme au sein des communautés de communes, le bloc constitué des départements et des régions pourrait se voir attribuer une liste de compétences, dont certaines reviendraient obligatoirement à l’un des deux niveaux, tandis que d’autres seraient facultatives et pourraient être exercées par l’un ou l’autre des deux niveaux. Cela permettrait à chaque territoire de s’adapter au mieux à ses spécificités. Bien évidemment, cette proposition devrait logiquement se traduire par l’élection d’un conseiller territorial, qui siégerait dans les assemblées départementale et régionale.
Ces réformes, simples et lisibles, constituent selon moi le minimum que nous puissions faire. Elles conditionnent l’adhésion du citoyen au pouvoir local et favorisent l’efficacité et l’adaptabilité de nos productions collectives. Tout en donnant leur pleine puissance à ces deux regroupements, elles confortent la place centrale de la commune et du département dans l’esprit républicain.
Cet esprit représente la spécificité première de la démocratie française, la « marque de fabrique » originale de notre République ; il génère une grande partie de nos valeurs communes et imprègne puissamment notre imaginaire et les comportements collectifs.
La réussite de la réforme territoriale rejoint ainsi un enjeu de taille : la réaffirmation de cet esprit républicain qui fait notre Nation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir organisé ce débat. À l’évidence, en dépit des divergences, des différences et des nuances qui se sont exprimées, chacun des intervenants a pris la peine de dépasser la critique pour apporter sa contribution positive.
Ce débat rappelle de bons souvenirs à l’ancien ministre des collectivités territoriales que je suis : je pense en particulier à la réforme de la fonction publique territoriale, conduite notamment avec l’aide de Jacqueline Gourault, qui a permis de rénover le statut de 1,8 million de fonctionnaires territoriaux.
Quelques jours après avoir pris mes fonctions de ministre de l’intérieur, je suis heureux que la première discussion parlementaire à laquelle je participe porte sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.
Le Président de la République m’a confié, ainsi qu’à Alain Marleix, la mission importante de préparer – j’insiste sur ce terme, car, si des pistes sont effectivement tracées, le débat reste ouvert – la réforme des collectivités territoriales, qui sera débattue et votée par le Parlement, afin de la mettre en œuvre le plus rapidement possible au service des Français.
Je me réjouis donc d’avoir pu participer à ce débat, en compagnie, notamment, des ministres Michel Mercier et Henri de Raincourt.
Conformément à la logique de notre Constitution, c’est donc ici, au Sénat, qu’il m’appartient aujourd’hui de vous faire part d’un certain nombre d’observations et des orientations privilégiées par le Gouvernement.
Si le Président de la République a souhaité qu’un débat national puisse dessiner l’avenir des collectivités territoriales, c’est parce qu’il a la conviction réelle, sincère et entière que l’organisation territoriale actuelle n’est plus adaptée à notre temps.
Après avoir écouté les différents intervenants, sur quelque travée qu’ils siègent, je constate que cette vision est globalement partagée par la Haute Assemblée.
Lorsqu’il a confié à Édouard Balladur le soin de présider le comité pour la réforme des collectivités locales, en octobre dernier, le Président de la République soulignait ceci : « Depuis vingt ans, on a beaucoup approfondi la décentralisation, on a transféré beaucoup de compétences, on a créé de nouveaux échelons d’administration, mais on a peu réfléchi aux structures profondes de notre organisation locale, presque rien changé à la fiscalité locale, laissé dériver les finances locales. Cette situation ne peut plus durer. Le chantier est d’une grande difficulté, mais personne ne peut en contester ni la nécessité impérieuse ni l’urgence manifeste. »
Encore une fois, je suis heureux de constater que cette analyse est largement partagée. Des nuances s’expriment, comme c’est normal, mais personne ne conteste que l’organisation territoriale de notre pays n’est pas satisfaisante et qu’elle peut et doit être réformée.
C’est la première vertu du rapport remis par Édouard Balladur que d’avoir créé les conditions d’un débat serein. La présence de l’ancien Premier ministre à la tête de ce comité a été décisive : son expérience d’homme d’État, sa parfaite connaissance des affaires publiques et sa sagesse ont permis l’expression de propositions de très grande qualité, dessinant un chemin ambitieux et réaliste pour réussir la réforme des collectivités territoriales.
Rejoignant un certain nombre d’intervenants, j’ajoute que la composition du comité, qui rassemblait des personnalités éminentes, de grande expérience et d’horizons variés, au-delà des clivages partisans, a facilité l’émergence d’un consensus sur un certain nombre de points. Je tiens tout particulièrement à remercier de leur concours actif l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy, mais aussi le sénateur Gérard Longuet et les députés Dominique Perben et André Vallini, sans oublier, naturellement, les autres membres du comité.
Qui pourrait contester que ce « jardin à la française » – pardonnez-moi de reprendre le titre d’un ouvrage que j’ai écrit, mais dont la diffusion a été très confidentielle… (Sourires.) – a été envahi, au fil du temps, par de mauvaises herbes, au point de ressembler, ici ou là, sinon à une friche, du moins à une jachère ?
Regardons la réalité en face, avec bonne foi.
Premier constat, les échelons des collectivités sont trop nombreux et mal articulés. Je le dis très directement, la multiplicité des niveaux de décisions et les enchevêtrements de compétences ne sont pas toujours compris par nos concitoyens, pour la simple raison qu’ils sont incompréhensibles.
Chacun d’entre nous mesure que coexistent souvent, dans les zones rurales, dans un même périmètre, les communes, une communauté de communes, des syndicats intercommunaux, un pays, voire la structure spécifique gérant le schéma de cohérence territoriale, sans oublier le conseil général et le conseil régional.
L’empilement des structures n’est pas moins complexe dans les zones urbaines, où les citoyens connaissent généralement leur seul maire et très peu leurs autres élus. Gérard Collomb l’a dit avec beaucoup de talent : cette situation lui convient ! (Sourires.)
Il est parfaitement normal que les citoyens s’y perdent, et il serait parfaitement anormal que l’on se satisfasse d’un statu quo synonyme de confusion pratique et source d’une indifférence civique qui serait inéluctablement amenée à progresser.