M. Raymond Vall. … ce qui laisse augurer un certain nombre de problèmes eu égard aux décrets d’application de la médecine.
Le remaillage offensif des territoires exige une démocratie sanitaire participative. Or, le mode de gouvernance des ARS ne présage rien en ce sens.
La modernisation du réseau hospitalier doit être négociée et non imposée. Les ARS devront être garantes de la coopération hospitalière entre les grands centres hospitaliers et les hôpitaux de proximité, en évitant le « cannibalisme hospitalier ». Les hôpitaux locaux constituent, me semble-t-il, un renfort indispensable pour les médecins généralistes et un point d’appui pour de nombreuses spécialités.
Dans certains secteurs particulièrement isolés, il faut permettre leur maintien, même en dessous des seuils déjà engagés par les ARS et certaines directions départementales, qui procèdent déjà à des maillages ne correspondant pas aux besoins des populations. Ces petits hôpitaux doivent être maintenus – j’y insiste –, et il faut encourager leur regroupement par fusion volontaire.
Pour conclure, monsieur le président, madame la ministre, vous l’aurez compris, la grande majorité des membres du groupe RDSE n’est pas convaincue par ce projet de loi, même amélioré par la commission des affaires sociales dont nous saluons le travail. Nous serons donc attentifs aux suites qui seront données aux très nombreux amendements dont nous partageons la philosophie, qu’ils émanent ou pas de notre groupe ; c’est en fonction du sort qui leur sera réservé que nous déciderons de voter pour ou contre votre texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE. –Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque j’ai pris connaissance du titre Ier de ce projet de réforme de l’hôpital sur lequel je souhaite intervenir ce soir, il m’est spontanément venu à l’esprit ce qu’écrivait récemment le sociologue Frédéric Pierru, chercheur au CNRS et enseignant à l’université Paris-Dauphine : « La réforme de l’hôpital n’est jamais qu’une illustration parmi d’autres des transformations plus fondamentales du politique. Des élites, délaissant de plus en plus les valeurs du public au profit (dans tous les sens du terme) du privé, avides d’indicateurs de gestion prétendument objectifs, sûres de la supériorité de leurs recettes et jargon passe-partout, coupées de la réalité de l’expérience vécue des citoyens ordinaires, profondément méfiantes à l’égard de toute forme de contre-pouvoirs [...] ». En l’occurrence, il s’agit ici de celui des élus et des médecins.
Ensuite, je me suis posé une question : fallait-il de toute urgence initier une « nouvelle gouvernance » à l’hôpital ? La question mérite d’être posée. Cette « nouvelle gouvernance » intervenait dans un univers hospitalier déjà très fragilisé par une concentration de réformes récemment survenues sur une période très courte. Bref, il nous faut être conscient du fait que l’hôpital peine encore aujourd’hui à intégrer l’impact de ces différentes réformes qui, de plus, n’ont pas été évaluées.
Les professionnels médicaux et paramédicaux, les premiers visés par ces réformes, souhaitent du temps pour repenser leurs missions et leur organisation dans l’intérêt des malades ; l’accumulation accélérée de réformes ne le leur donnant pas, la perspective d’une nouvelle réforme de l’ampleur de celle qui est annoncée eut pour conséquence presque immédiate la cristallisation de la conflictualité sociale latente au sein de l’hôpital depuis de nombreux mois. Vous connaissez la suite : des manifestations, des grèves…
Quel est l’intérêt des malades dans tout cela ? Mais est-ce bien l’intérêt des malades qui guide la réforme proposée par le projet de loi touchant la « gouvernance » de l’hôpital ?
M. François Autain. Non !
M. Jacky Le Menn. Permettez-moi d’en douter, madame la ministre, l’intérêt des malades finissant par disparaître derrière une préoccupation centrale autre de vos services, à savoir la seule rentabilité de la structure hospitalière.
L’hôpital est victime d’un concept qui a lentement mûri, d’abord dans les têtes, puis dans les déclarations de quelques technocrates opiniâtres, économistes de la santé, gestionnaires hospitaliers qui tentent de le faire passer en force aujourd'hui dans la loi.
M. Jean-Luc Fichet. C’est la vérité !
M. François Autain. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Ce concept est celui de « l’hôpital entreprise », n’en déplaise au Président de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Jacky Le Menn. Je vous demande de bien réfléchir sur ce concept, mes chers collègues, si vous souhaitez réellement éviter la mort de l’hôpital public, ce dont je ne doute pas.
Regardons donc de plus près ce que recouvre ce concept mortifère pour l’hôpital public, dans ses déclinaisons inscrites dans le projet de loi portant réforme de l’hôpital, et relatif aux patients, à la santé et aux territoires tel qu’il nous est arrivé en commission des affaires sociales, et dont de grosses scories demeurent encore dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui.
Premièrement, il recouvre une centralisation extrême du pouvoir dans la fonction directoriale tout entière incorporée, au sens bourdieusien du terme, dans un seul homme, à savoir « le directeur de l’hôpital », le « patron », selon le Président de la République, qui le qualifie ainsi dans une rhétorique empruntée à une vision bonapartiste de la « gouvernance » des institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Ce directeur, rendu puissant en interne dans la structure hospitalière, est aussi, paradoxalement, un colosse aux pieds d’argile, dont on découvre rapidement qu’il n’est que le porte-voix du directeur général de l’agence régionale de santé, véritable préfet sanitaire, hyperpuissant, nouveau « maître Jacques » de la politique sanitaire régionalisée qui nous est annoncée, en fait le véritable patron de l’hôpital ou plutôt des hôpitaux de la région.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Nous voilà en pleine théâtralisation de « l’illusionnisme social » : celui que l’on croit être l’acteur principal ne l’est pas vraiment, alors que celui qui l’est, le directeur général de l’ARS, se tient hors dudit hôpital, haut fonctionnaire à la manœuvre, lui-même aux ordres, ayant parfaitement intégré sa mission prioritaire consistant à rechercher l’efficience financière, supposée, du système sanitaire français, quel qu’en soit le prix à payer pour les malades et les soignants de l’hôpital public.
M. René-Pierre Signé. Honneur aux sans-compétences !
M. Jacky Le Menn. Le directeur de l’hôpital, promu président d’un « directoire miroir », dont il choisit les membres, pense sans doute, de bonne foi, pouvoir piloter son établissement. Certes, il le pilotera, mais sous contrôle étroit du directeur général de l’ARS, qui, l’évaluera, lui attribuera un budget pour son établissement à l’issue d’une caricature de négociation budgétaire, un budget dont il vaudra mieux qu’il se satisfasse et avec lequel il devra se débrouiller pour éviter de tomber dans l’ « enfer » de l’administration provisoire, promise à son hôpital s’il franchit la ligne blanche d’un déficit budgétaire auquel il sera pourtant, dans la majorité des cas, condamné. Il y sera condamné, compte tenu des conditions de calcul irréalistes du budget des hôpitaux soumis aux contraintes de la tarification à l’activité, doublé d’un enjeu pervers visant une convergence totale, à moyen terme, entre cliniques privées à but lucratif, ayant le choix de leurs malades, et hôpitaux publics, astreints à accueillir tous les malades.
On nous promettait cette convergence totale pour 2012. Mais, madame la ministre, la récente lettre que vous avez adressée au président de la Fédération hospitalière de France la renvoie à 2018, une sage et prudente décision que nous estimons encore, pour notre part, insuffisante, puisque nous voulons la suppression totale de cet objectif de convergence, un objectif meurtrier pour l’hôpital public, mais qui constitue, en revanche, une réelle aubaine pour les chaînes de cliniques privées à but lucratif.
M. François Autain. Très bien !
Mme Patricia Schillinger. Bravo !
M. Jacky Le Menn. Deuxièmement, ce concept mortifère fait apparaître un effacement renforcé du conseil d’administration de l’hôpital, qui détenait déjà bien peu de pouvoirs. Changement de terminologie – novlangue managériale propre à « l’hôpital entreprise » oblige –, le conseil d’administration devait devenir un simple conseil de surveillance anémié si nous n’y avions mis un frein en commission des affaires sociales, frein tout relatif, du reste, malgré quelques avancées, dont celle de se prononcer sur la stratégie de l’hôpital. On m’a assuré en commission que la stratégie financière y était incluse ; …
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr ! Y compris sur le budget prévisionnel !
M. Jacky Le Menn. … je reste cependant sceptique. Une avancée a également été consentie au niveau des communautés hospitalières de territoires, puisque le conseil de surveillance a désormais la possibilité d’émettre des avis dans quelques domaines, ce qui est satisfaisant.
Dans la même veine, on note l’effacement des élus politiques locaux. Heureusement, là aussi, la commission des affaires sociales, faisant écho à plusieurs amendements, dont de nombreux issus de nos rangs, a partiellement rectifié le projet gouvernemental.
Mais, madame la ministre, comment pouviez-vous souhaiter minorer l’influence, dans les conseils de surveillance, de ces « médiateurs naturels » que sont les élus locaux investis d’une forte légitimité aux yeux des populations – tous les sondages le soulignent –, alors même que les projets de restructuration accélérée que vous envisagez vont perturber tous les territoires de l’Hexagone, …
M. Jacky Le Menn. … avec notamment la mise en place des futures communautés hospitalières de territoires, des opérations à haut risque s’il en est et sur lesquelles je reviendrai ultérieurement ? En effet, les élus sont les seuls à pouvoir dire où se trouve l’intérêt de la population et des malades dans ces opérations de restructuration.
M. François Autain. Bien sûr !
M. Jacky Le Menn. Les élus sont bien plus opérants pour mettre en mots des explications pertinentes lorsqu’elles sont fondées et les rendre audibles et crédibles pour nos concitoyens que toute la technocratie administrative locale, régionale et nationale réunie.
Troisièmement, ce concept recouvre également une mise à l’écart délibérée de la communauté médicale et soignante des processus de décisions essentiels de l’hôpital.
Du coup, cette communauté et, principalement, le corps médical hospitalier, qui va du médecin de base au professeur de médecine, s’apprêtait à vivre la « nouvelle gouvernance hospitalière » annoncée sur un mode catastrophique bien compréhensible.
Madame la ministre, vous le savez, s’agissant des médecins hospitaliers, l’immense majorité d’entre eux, qu’ils exercent en province ou à Paris, sont très loin des clichés complaisamment répandus, qui en font tous des « mandarins ».
Non, nos médecins hospitaliers sont des « médecins de terrain » fortement impliqués dans une approche moderne d’une gestion optimisée des moyens médicaux, en accord avec les progrès et innovations de la médecine qu’ils connaissent et maîtrisent et les besoins de la population en matière de santé auxquels ils s’attachent avec conscience, constance et détermination à apporter des réponses.
Oui, nos médecins hospitaliers travaillent avec le sens des responsabilités en matière économique et financière à l’égard de la structure de soins qui les emploie. En plus, ils font preuve d’un immense dévouement, et cette grande humanité est dégagée, pour la grande majorité d’entre eux, de tout esprit de lucre, ce qui n’est pas rien à une époque où, hélas ! l’argent et la richesse sont devenus la mesure obligée de l’excellence.
M. Jacky Le Menn. Or, que demandent ces médecins de l’hôpital public ? Contrairement à ce qui prévaut dans la conception de « l’hôpital entreprise », ils demandent que soit reconnue par le législateur l’évidente nécessité de médicaliser certaines décisions administratives essentielles concernant le pilotage de l’hôpital, son organisation et la nomination de ses responsables fonctionnels médicaux, et ce dans l’intérêt de l’hôpital qu’ils s’estiment, selon moi, à juste titre, être les plus à même de définir.
D’abord, il faut accepter que le projet médical, qui constitue l’épine dorsale du projet d’établissement d’un hôpital, soit élaboré, et non pas simplement préparé, par la communauté médicale. Il s’agit là non pas d’une banale affaire de sémantique, mais d’une conception de fond extrêmement importante, sur laquelle notre assemblée doit prendre parti dans l’intérêt des malades accueillis à l’hôpital.
Il faut bien comprendre que ce projet médical concernera tous les pôles d’activités médicales de l’établissement. Il sous-tendra la contractualisation interne relative aux pôles où se déploient les activités de soins et, dans les CHU, les activités d’enseignement et de recherche. Nous sommes bien là au cœur de la raison d’être de l’établissement hospitalier. Les réflexions menées par les pôles d’activités nourrissent le projet médical et le déclinent une fois établi. Il ne s’agit donc pas là d’une affaire subalterne.
Dans ces conditions, l’élaboration du projet médical doit pouvoir se faire sous l’autorité conjointe du directeur de l’hôpital et du président de la commission médicale d’établissement. Le président de la commission médicale doit pouvoir coordonner avec le directeur de l’hôpital la politique médicale mise en œuvre dans l’hôpital. Ce point est, à mes yeux, essentiel.
Ensuite, la commission médicale ne doit pas être exclue de la contractualisation interne concernant les pôles d’activités médicales. Cette contractualisation ne peut être réservée au seul directeur de l’hôpital, qui signerait des contrats avec des chefs de pôles, qu’il aurait par ailleurs souverainement nommés, ou presque. Là encore, un avis – pourquoi pas conforme ? – de la commission médicale d’établissement s’impose ; tout comme s’impose, par ailleurs, son implication non marginale ou, au moins, celle de son président, dans le choix des chefs de pôles d’activités cliniques ou médico-techniques par le directeur de l’hôpital, président du directoire.
Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales a permis d’apporter, sur ces sujets, un minimum de solutions qui peuvent être acceptables dans un souci de compromis.
Pourquoi prenons-nous toutes ces précautions, qui peuvent vous paraître, mes chers collègues, comme autant de contraintes lourdes, voire inutiles, imposées à l’action du directeur de l’hôpital ? Ce n’est nullement par défiance, mais tout simplement par prudence.
En effet, madame la ministre, le projet médical doit être arrêté en conformité avec le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, le CPOM, qui sera signé entre le seul directeur de l’hôpital, dont nous avons vu la faiblesse externe, et le puissant directeur de l’agence régionale de santé, dans des conditions de subordination que l’on peut imaginer, et, de plus, sans impact vraiment sensible du corps médical de l’établissement sur ledit CPOM et avec mise à l’écart de son conseil de surveillance.
L’économie d’ensemble de ce processus ne pouvait qu’alimenter les craintes non seulement du corps médical, mais aussi des soignants, ainsi que de l’ensemble du personnel hospitalier, sur les risques réels, notamment en période de crise, que la logique économico-financière – logique comptable que 74 % de nos concitoyens rejettent dans le dernier sondage mensuel BVA-Les Échos – soit systématiquement « priorisée » par rapport à la logique médico-soignante dans les choix à faire par le directeur de l’hôpital, sous influence forte du directeur général de l’ARS, pour permettre à l’hôpital d’assumer ses missions de service public.
Madame la ministre, l’hôpital n’est pas une entreprise accueillant des consommateurs éclairés. Comment penser pouvoir traiter de « consommateur éclairé » le patient hospitalisé en urgence, celui qui est terrassé par l’annonce d’une maladie grave, l’hypocondriaque tyrannisé par son angoisse, le malade chronique qui n’arrive pas à suivre son traitement de peur d’être réduit à sa maladie, ou encore le patient victime de son addiction et mettant sa vie en danger pour échapper à la souffrance du manque ?
Traiter les malades en clients avertis et libres de leurs choix est une imposture servant à justifier la transformation de la médecine en un commerce, le médecin en un producteur, le patient en un client et l’hôpital en une « usine à soins », ce qui est inadmissible pour le vieil hospitalier qui vous parle. (M. Jean-Luc Fichet applaudit.)
L’hôpital est une organisation complexe dans laquelle les professionnels, médecins et soignants sont en première ligne. L’hôpital est le lieu où un « corps souffrant », et souvent socialement démuni ou exclu, vient d’abord à la rencontre d’un médecin et d’un soignant. C’est aussi le lieu où l’étudiant reçoit l’enseignement de ses maîtres, les CHU devant répondre à une triple mission, et où la recherche biomédicale s’élabore.
Le mode de fonctionnement de ce type d’organisation complexe requiert la mise en place de stratégies décisionnelles spécifiques où la valorisation du jeu coopératif entre les opérateurs – en l’occurrence les professionnels médicaux, soignants et administratifs – est capitale et où les processus de régulation conjointe des décisions majeures à prendre par l’organisation sont essentiels.
Nous avons présenté en commission des affaires sociales de nombreux amendements pour apporter notre contribution à la construction de ce type de fonctionnement.
Quatrièmement, dans la conception de l’« hôpital entreprise », il devient banal d’ériger la masse salariale en variable d’ajustement budgétaire. Mais hélas ! n’est-ce pas déjà ce qui se passe aujourd’hui ?
M. Guy Fischer. Bien sûr !
M. Jacky Le Menn. Tout le personnel des hôpitaux français l’a bien compris depuis la montée en puissance de la tarification à l’activité, la fameuse T2A. Le personnel est devenu la principale variable d’ajustement budgétaire de l’hôpital.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jacky Le Menn. La suppression massive d’emplois dans les hôpitaux – 20 000 emplois, nous prédit-on ! – n’est plus un mythe. Pensez-vous, madame la ministre, que ce personnel va continuer à subir sans réagir ? Le personnel hospitalier est fatigué, épuisé même. De plus, il est mal payé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Ses conditions de travail sont de plus en plus dégradées, et les plans de suppression de postes qui vont frapper les hôpitaux de plein fouet ne vont que les aggraver encore. Le personnel devient désabusé, craignons qu’il ne se révolte !
On aura beau « euphémiser », neutraliser « la violence potentielle » que porte en elle la T2A dans l’hôpital public, en convertissant la décision politique qu’elle dissimule en un mécanisme d’allocations de ressources aux atours techniques, voire automatiques, personne parmi le personnel hospitalier n’est dupe.
Chacun a bien compris que l’enjeu sous-jacent à ce mode de tarification est de parfaire la définition arbitraire d’un « produit » hospitalier qui soit mesurable et comparable, et ce dans la perspective d’une augmentation de la « productivité » de l’hôpital public jugée insuffisante par rapport à celle d’une clinique privée à but lucratif.
Sur la base d’hypothèses hautement discutables, sans qu’il y ait une discrimination pertinente entre traitements pour malades aigus et traitements pour malades chroniques, les malades sont d’abord considérés, dans la conception de l’« hôpital entreprise », comme des « centres de coûts » qu’il faut minimiser et/ou transférer à d’autres.
Vous allez de nouveau me dire, madame la ministre, que toutes les questions relatives à la T2A concernent le projet de loi de financement de la sécurité sociale et n’ont rien à voir avec la réforme qui nous est aujourd’hui proposée.
Mais ne nous laissons pas abuser, mes chers collègues ! Cette réforme est en profonde cohérence avec le nouveau mode de financement des hôpitaux et la stratégie de convergence entre ceux-ci et les cliniques privées commerciales. Il s’agit d’une cohérence globale idéologiquement connotée libérale, dans une période où l’on constate, dans d’autres secteurs de notre économie, les ravages que sa mise en œuvre a induits. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Jacky Le Menn. En ce qui concerne notre discussion d’aujourd’hui, rappelons que cette sélection des patients en fonction d’une « rentabilité supérieure escomptée », cette « marchandisation de la santé », n’appartient pas à la culture hospitalière française.
Je tiens maintenant à vous rappeler, madame la ministre, que le groupe socialiste est farouchement opposé à l’objectif pernicieux de votre gouvernement d’introduire dans notre législation une conception des missions du service public de santé « à la carte », si ce n’est « à la découpe », pour être plus facilement vendues au privé commercial, qui n’acceptera de prendre en charge que ce qui est rentable à court et à moyen terme.
M. Jacky Le Menn. Les cliniques privées commerciales sont prêtes à accueillir les internes de quatrième ou de cinquième année tout simplement pour utiliser leurs compétences acquises en fin de formation en CHU et embaucher ensuite ces jeunes professionnels pour leur propre compte. Ainsi la part belle sera faite aux cliniques privées à but lucratif, du reste souvent regroupées dans des chaînes à capitaux étrangers, dont les responsables ont prioritairement l’œil fixé sur un taux de rentabilité à deux chiffres,…
M. Guy Fischer. 16 % !
M. Jacky Le Menn. … et ce aux frais de notre sécurité sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
On ne nous fera pas croire que ces cliniques privées choisiront parmi les treize missions de service public prévues dans le projet de loi, celles qui ne conforteront pas leurs intérêts.
M. Jacky Le Menn. Choisiront-elles la huitième, qui a trait à la lutte contre l’exclusion sociale, ou la sixième, qui concerne les actions d’éducation et de prévention, ou encore la neuvième, qui vise les actions de santé publique ? Pour ma part, j’en doute.
Monsieur le président, mes chers collègues, j’en appelle au refus de la politique hospitalière qu’on nous propose, et pour laquelle les maîtres mots sont productivisme, sélection des patients et concurrence.
M. François Autain. Très bien !
M. Jacky Le Menn. J’en appelle au refus de toute politique qui émiette les missions du service public de santé dans l’intérêt des établissements privés à but lucratif, écarte les élus du pilotage des hôpitaux sis sur leur territoire, démédicalise la prise de décision à l’hôpital, ignore la parole des soignants et dénie l’utilité indispensable du travail de tous les autres personnels de l’hôpital, car il s’agit là d’une politique suicidaire pour l’hôpital public.
M. Jacky Le Menn. Madame la ministre, mes chers collègues, je ne saurais terminer mon intervention sans vous faire part de la position du groupe socialiste sur les communautés hospitalières de territoires.
Pour nous, le principe qui doit guider ces regroupements d’établissements est le volontariat, à égalité de droits entre les établissements concernés, sans subordination d’une structure à une autre, assis sur des conventions claires et reflétant la volonté des conseils de surveillance des établissements en cause.
Ce n’est qu’exceptionnellement, dans les cas où la sécurité des malades est en jeu, que le représentant de l’État doit intervenir d’une manière régalienne par la voie de la fusion. Enfin, la définition des conventions de regroupement doit scrupuleusement tenir compte des situations géographique et/ou spécifique des établissements concernés.
Pour conclure, je dirai que l’habileté de ce projet de loi consiste à avoir noyé la réforme de la gouvernance hospitalière dans une série de propositions visant à donner à la population le sentiment que le Gouvernement agit pour la défense de l’accès à des soins de qualité pour tous sur tout le territoire, ce qui n’est pas le cas.
En fait, les objectifs sous-jacents à ce projet sont le démantèlement du service public de santé et une privatisation accélérée de l’offre sanitaire sur notre territoire…
M. Jacky Le Menn. … et le renforcement d’une médecine à deux vitesses au détriment de nos concitoyens les plus démunis.
Bien évidemment, cet objectif est très éloigné de nos valeurs et de notre conception de la santé, en particulier des valeurs de solidarité tant au niveau humain qu’au niveau territorial.
C’est pour cela, madame la ministre, mes chers collègues, que nous continuerons, tout au long de la discussion qui s’annonce, de nous battre avec détermination pour que ce projet de loi soit encore davantage modifié ou, ce qui serait mieux pour nos concitoyens malades, tout simplement retiré. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Mon collègue de l’Union centriste Jean-Marie Vanlerenberghe a conclu ses propos en parlant d’une réforme de la gouvernance territoriale et de l’hôpital qui reste à peaufiner.
Cependant, en matière d’organisation des soins ambulatoires, nous sommes encore loin du peaufinage.
M. René-Pierre Signé. Très loin !
Mme Muguette Dini. Certes, ce projet de loi présente, surtout au sortir des travaux de notre commission des affaires sociales, de nouvelles avancées en matière de structuration et d’organisation des soins primaires.
Toutefois, par ses amendements, notre groupe avait souhaité aller plus loin dans ce processus de réorganisation du secteur ambulatoire, en accord avec ce que préconisent de nombreux chercheurs et observateurs et avec ce que réclament une grande majorité des professionnels de santé libéraux.
Quelles sont les avancées réelles ? Quelles avancées restent trop timides ?
Au nombre des éléments positifs de ce texte, citons tout d’abord une véritable coordination entre l’offre de soins hospitalière et l’offre de soins ambulatoire.
L’ensemble des acteurs du monde de la santé s’accordait, depuis plusieurs années, à dire que la réforme de l’assurance maladie de 2004 avait échoué sur ce point. Il était en effet urgent de sortir du schéma qui veut que l’assurance maladie s’occupe de la médecine de ville et l’État de l’hôpital. Un pilotage commun du système de soins, permettant d’en avoir une vision globale, avec, enfin, des priorités de santé publique clairement fixées, s’imposait. La création des agences régionales de santé atteint cet objectif.
On retrouve aussi une coordination ville-hôpital plus affirmée par le biais d’une permanence des soins qui ne reposera plus uniquement sur les seuls praticiens hospitaliers mais sera également assurée par les médecins libéraux. C’est un véritable service public de la permanence des soins que nous allons offrir à la population.
J’évoquerai également une meilleure articulation et une meilleure complémentarité, voire subsidiarité, entre les secteurs hospitalier et ambulatoire au travers des pôles de santé. Ces derniers permettront de véritables passerelles entre les différents acteurs de santé, pour une prise en charge globale et continue des patients.
Ce projet de loi pose, de même, les premiers jalons d’une véritable structuration de l’organisation des soins ambulatoires.
Ainsi que nous le rappelle une très récente étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, l’IRDES, cette organisation est encore largement déterminée par les principes de la charte de la médecine libérale de 1927, …