M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. François Rebsamen. Je conclus, monsieur le président.
Quand nous voulons que cette proposition soit mise en application, le Gouvernement la refuse !
Avec mes collègues du groupe socialiste, j’avais déposé, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2009, deux amendements visant à accroître la justice fiscale.
Le premier tendait à moduler l’impôt sur les sociétés selon le principe du bonus-malus, c’est-à-dire en encourageant celles qui investissent et en pénalisant celles qui ne songent qu’à servir leurs actionnaires. M. Éric Woerth m’avait répondu que cette question méritait un débat approfondi.
Le second visait à créer une contribution exceptionnelle acquittée par les sociétés qui obtiennent des superprofits.
En conclusion, au moment où l’on tente de trouver des solutions, et alors que la présidente du MEDEF, fière de l’annonce de la suppression de la taxe professionnelle, suggère aux collectivités locales de « travailler sur des gains de productivité » pour compenser la perte de ressources – ce que l’on peut appeler faire preuve d’audace ou d’irresponsabilité, selon le point de vue – les grandes entreprises, notamment celles du secteur de l’énergie, doivent prioritairement concourir, dans un contexte de crise, à la solidarité nationale.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande pourquoi vous n’envisagez pas, compte tenu de la situation que j’ai exposée, d’établir de façon temporaire une contribution de solidarité touchant ces grandes entreprises.
Le prélèvement effectué, dont le montant serait débattu au Parlement, puisque c’est son rôle, pourrait permettre d’abonder le fonds stratégique d’investissement, ce que nous approuverions, ou encore de doubler l’enveloppe du fonds d’investissement social, dont le Président de la République a annoncé la création et qui est doté aujourd’hui de 1,5 milliard d’euros.
La justice et la solidarité sont des éléments clés de l’efficacité économique. Je lance donc ce matin un appel afin que, ensemble, nous fassions bouger les lignes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question que vient de poser François Rebsamen est importante à l’heure où notre pays traverse une crise sans précédent. Il s’agit, certes, d’une crise financière mondiale, mais aussi d’une crise de notre modèle républicain.
Au moment de dresser le bilan des deux premières années du mandat du Président de la République, les tensions dans notre pays sont exacerbées. Le « chacun pour soi » et l’individualisme sont érigés en modèles.
Il est temps aujourd’hui d’apaiser les tensions.
Il est temps de rassembler les Français au lieu de les diviser. Une nation rassemblée saura réagir. Des Français mobilisés sauront se serrer les coudes pour affronter les difficultés.
Il est temps de donner des signes forts en direction des Français, notamment de ceux qui ont l’impression que ce n’est jamais pour eux, de ceux qui se sentent dépossédés du droit à la parole, de ceux qui triment sans recevoir les fruits de leur travail, de ceux qui aimeraient travailler, mais qui n’ont aucune perspective.
Cet hémicycle est le lieu où chaque mot, chaque engagement doit peser. Il faut mettre au cœur de nos débats des mots qui représentent des valeurs que les Français attendent et appellent de leurs vœux.
Ces mots, ces valeurs, justice, solidarité et exemplarité, sont des mots simples et des valeurs sûres que chaque Français peut comprendre.
Oui, il faut redonner espoir.
Oui, il faut que les Français croient à nouveau à l’action publique. Nous devons faire la démonstration que l’action politique peut transformer leur quotidien.
Oui, il est urgent d’introduire plus de justice au sein de notre système, parce que c’est une valeur par laquelle on rend à chacun ce qui lui est dû.
Le sentiment d’injustice est aujourd’hui de plus en plus fort. Il suffit d’entendre ces grévistes qui, séquestrant leurs dirigeants, disent qu’ils ont tout perdu et n’ont donc plus rien à perdre.
Ce qui était acceptable par le passé, parce que des perspectives existaient, est aujourd’hui devenu intolérable. Le seuil de tolérance des Français est atteint.
M. François Patriat. Absolument !
M. Didier Guillaume. Quand vous vivez dans un bassin d’emploi et une région sinistrés, quand vous allez, après des années de fidélité à votre entreprise, vous inscrire au chômage, quand les files d’attente au pôle emploi anéantissent tout espoir de retrouver du travail, il est naturel d’en appeler aux pouvoirs publics pour réclamer plus de justice.
Quand en même temps les Français découvrent que certains profits, bonus ou parachutes dorés représentent plusieurs centaines d’années de SMIC, quand un journal titre aujourd’hui : « Le temps des inégalités fait son grand retour », « Hausse des salaires : des cadres gâtés », « Le niveau de vie des riches progresse plus vite que celui des pauvres », comme le révèle l’étude de l’INSEE mentionnée par François Rebsamen, alors il ne faut pas s’étonner de trouver dans la rue des centaines de milliers de gens aux profils différents : salariés craignant pour leur emploi, chômeurs de fraîche date dont l’avenir s’est obscurci et dont les perspectives de retour à l’emploi ont été anéanties, étudiants qui s’interrogent sur la valeur de leurs études et de leur bagage, fonctionnaires qui s’inquiètent de l’avenir du service public où rentabilité et profits ont remplacé devoir et solidarité, et tout simplement citoyens qui ne veulent plus de cette société bloquée reproduisant les injustices et les inégalités sociales et se disant que décidément non seulement l’ascenseur social est bloqué, mais qu’il a aussi tendance à descendre !
C’est notamment ce que disent les jeunes générations qui, dans un sondage récent, dont chacun a pris connaissance, pensent que leurs conditions de vie seront moins bonnes que celles de leurs parents.
Les Français demandent donc une redistribution sociale et un soutien au pouvoir d’achat. Avec plus de justice sociale, il est indispensable qu’il y ait plus de solidarité.
J’évoquerai maintenant la situation que connaissent les collectivités locales. Le désengagement financier de l’État à leur égard se poursuit. Ce sont pourtant elles qui portent également de façon très forte les valeurs de solidarité. Il s’agit bien sûr de solidarité territoriale, mais aussi de solidarité envers les plus démunis.
Je veux prendre, sur ce sujet, deux exemples concernant plus particulièrement le département que j’ai l’honneur de présider, mais qui valent pour l’ensemble des départements. Je ne dispose pas des chiffres consolidés.
Je veux évoquer le fonds d’urgence pour l’habitat et le logement et le revenu minimum d’insertion.
L’utilisation du fonds de solidarité énergie permet d’intervenir spécifiquement pour l’aide au maintien dans leur logement des personnes les plus fragiles : aide aux impayés de loyers et participation au paiement des factures d’eau, d’électricité et de chauffage...
Dans mon département de la Drôme, depuis le mois de janvier, 600 personnes sont concernées chaque mois, contre 300 en 2008. Le nombre de bénéficiaires a donc doublé, ce qui représente plus de 1 million d’euros de dépenses supplémentaires, soit une augmentation de 32 %, à la seule charge du département.
En ce qui concerne la prise en charge du RMI, qui participe évidemment à la solidarité nationale, là encore le constat est le même. Pour les trois premiers mois de 2009, on compte 580 RMIstes supplémentaires, ce qui représentera 3 millions d’euros de plus à la charge du département, absolument non compensés.
Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, le Gouvernement doit donner un signal fort. C’est le sens de cette question, qui vise à demander une plus grande justice sociale et une solidarité nationale accrue.
Permettez-moi de vous livrer cette citation : « Ce système où celui qui est responsable d’un désastre peut partir avec un parachute doré, […] où l’on exige des entreprises des rendements trois ou quatre fois plus élevés que la croissance de l’économie réelle, ce système a creusé les inégalités, il a démoralisé les classes moyennes et alimenté la spéculation sur les marchés […]. L’économie de marché, c’est le marché régulé, le marché mis au service du développement, au service de la société, au service de tous. Ce n’est pas la loi de la jungle, ce n’est pas des profits exorbitants pour quelques-uns et des sacrifices pour tous les autres. »
M. Jean-Pierre Bel. Qui a pu dire cela ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. C’est un discours prononcé non pas par le Premier secrétaire du parti socialiste, mais par le Président de la République, à Toulon, voilà quelques mois. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Sur les points que je viens de citer, je pense que nous pouvons être tous d’accord.
Il est donc temps de passer aux actes et de ne pas se contenter de belles paroles, voire d’incantations qui dépendent du public en face duquel on se trouve !
Il est temps de s’attaquer à certains symboles, afin que la notion d’exemplarité soit remise à l’ordre du jour. Après le temps de l’argent-roi, il faut introduire de la moralité et de l’exemplarité dans notre société.
Il est temps de prendre les mesures qui s’imposent à tous afin que les grands groupes du secteur de l’énergie participent à cette solidarité nationale.
C’est le sens du débat de ce matin, organisé sur l’initiative de notre collègue François Rebsamen et de notre groupe.
Parce que les bénéfices de ces grands groupes se font au détriment des consommateurs, qui sont leurs clients, parce qu’il est immoral de s’enrichir et en même temps de licencier, parce que ces grands groupes en ont les moyens et qu’ils en ont aussi le devoir, parce que cet effort, au lieu d’opposer les entreprises aux citoyens, les en rapprochera, parce qu’il en va de la cohésion de notre société, cette contribution spécifique de solidarité doit marquer le signal fort d’un retour à des valeurs devant refonder notre cohésion nationale. Ces valeurs sont la justice sociale, la solidarité et l’exemplarité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est indéniable que les profits faramineux des grandes entreprises du secteur de l’énergie pourraient être mis à contribution pour créer de l’emploi, augmenter les salaires et diminuer les factures des consommateurs, plutôt qu’à poursuivre les distributions de dividendes à leurs actionnaires et de bonus qui s’ajoutent aux salaires indécents de leurs dirigeants.
Les mouvements sociaux qui se développent au sein d’EDF, de GDF-Suez comme du groupe Total depuis plusieurs semaines mettent en lumière les incohérences et les contradictions, que nous dénonçons depuis des années, de l’application du modèle libéral au secteur de l’énergie.
Les effets pervers de la crise financière et économique, qui pèsent chaque jour plus lourdement sur nos concitoyens, ne sont pas ressentis de la même façon, on le sait, selon que l’on est salarié d’un grand groupe comme Total ou GDF-Suez et de leurs filiales, ou que l’on en est actionnaire !
Les profits du groupe pétrolier Total ont été, je le rappelle, de 14 milliards d’euros en 2008 et ils seront sans doute équivalents en 2009 si l’on extrapole à partir des chiffres du premier trimestre de l’année. Or, ils sont avant tout le résultat de restructurations drastiques dans la plupart des activités qui touchent notamment le raffinage : 200 à 300 suppressions de postes ont été annoncées le 10 mars dernier et, dans la société Hutchinson, filiale du groupe, 6 000 salariés sont au chômage partiel depuis janvier.
De même, chez GDF-Suez, alors que l’assemblée générale des actionnaires du 4 mai dernier décidait d’attribuer 6,8 milliards d’euros aux détenteurs de parts sociales, alors que le bénéfice net du groupe s’élève pour 2008 à 6,5 milliards d’euros, les salariés ont manifesté leur colère plus que légitime et rappelé que les négociations salariales, malgré les mouvements de grève qui durent depuis sept semaines, étaient dans l’impasse du fait d’une direction sourde à leurs revendications de justice sociale.
Cette même direction n’a renoncé à une distribution providentielle de stock-options pour les principaux dirigeants qu’à la suite de cette mobilisation des personnels et de leurs représentants.
Le fameux rapport Cotis, commandé au directeur général de l’INSEE le 5 février dernier par le Président de la République, et qui devrait, nous a-t-on dit, donner lieu prochainement à une proposition de loi portée par la majorité parlementaire, montre que les écarts de salaires n’ont fait que croître.
En l’espèce, les plus hauts salaires se sont envolés. La part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises est stable depuis le milieu des années quatre-vingt, ce qui signifie, en clair, plus d’argent pour les actionnaires et toujours moins pour les salariés !
Les entreprises n’investissent plus ni dans le capital humain ni dans l’outil de production, car le dogme de la valeur ajoutée pour l’actionnaire est devenu dominant.
Les grandes entreprises du secteur de l’énergie cotées en bourse, qui nous occupent aujourd’hui, entrent parfaitement dans ce modèle absurde, où l’on verse des dividendes aux actionnaires et où l’on supprime des emplois : « Les dividendes nets représentent 16 % de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières en 2007, contre seulement 7 % en 1993 », précise ce rapport.
Pour mémoire, le groupe Total bat des records de rentabilité depuis 2005, puisque, comme l’ont déjà souligné certains de nos collègues, ses profits sont passés de 11 milliards d'euros à 14 milliards d’euros au cours des trois dernières années.
Pourtant, les suppressions de postes au sein de ce groupe se comptent par centaines sur la même période – 329 à la raffinerie de Gonfreville en Seine-Maritime, 200 chez Paulstra sur les sites de Vierzon et Chateaudun –, tandis que 6 000 salariés sont placés en chômage partiel à hauteur de dix jours par mois depuis janvier dernier et jusqu’en juillet prochain chez Hutchinson.
Faut-il rappeler que Hutchinson est une filiale à 100 % de Total et que cette entreprise a reversé 115 millions d’euros à sa maison mère en 2008 ? Il apparaît clairement que la construction du profit et l’obsession de la rentabilité financière se font au prix de restructurations drastiques, qui pèsent directement sur les salariés et, plus largement, sur tous les bassins d’emplois.
Pour cette entreprise comme pour tant d’autres, il est plus que jamais urgent de légiférer, comme l’avait réclamé notre groupe en mars dernier à travers une proposition de loi visant à interdire les licenciements boursiers aux entreprises qui distribuent des bénéfices. Et ce n’est malheureusement pas en taxant de façon ponctuelle les résultats financiers de telle ou telle entreprise que nous parviendrons à moraliser le capitalisme et à rendre leur dignité aux salariés !
La taxation des profits des compagnies pétrolières était déjà inscrite dans le projet de loi de finances pour 2001, une disposition d’ailleurs qui a été rapidement supprimée ! Le capitalisme n’est ni moral, ni juste.
En outre, les salariés des petites comme des grandes entreprises, dans tous les secteurs économiques, demandent autre chose qu’un impôt ponctuel ou qu’une contribution exceptionnelle de solidarité : ce qu’ils veulent, c’est que le législateur leur reconnaisse « des droits pour empêcher tout licenciement visant à accroître la rentabilité financière au détriment des intérêts collectifs », comme le soulignait Charles Foulard, coordinateur CGT du groupe Total.
Nous reprendrons son propos à notre compte, et le prolongerons même : il est urgent que les salariés soient mieux représentés dans les enceintes de décisions des entreprises et disposent d’un véritable droit de veto permettant de bloquer les projets de licenciements en cas de bénéfices. À l’appui des revendications des salariés et des organisations syndicales représentatives, c’est à une remise en cause du système que nous appelons.
Pour ce qui est des consommateurs, il est à noter que le système de concurrence libre et non faussée qui a conduit à la recomposition du marché de l’énergie partout en Europe, et surtout en France, n’a pas conduit à une baisse des tarifs pour les usagers : les marchés spéculatifs de matières premières énergétiques fonctionnent parfaitement bien à la hausse, mais les freins à la baisse des prix acquittés par les consommateurs finaux sont toujours de moindre ampleur !
À cet égard, les pratiques commerciales de GDF-Suez, la principale entreprise intermédiaire en matière de fourniture de gaz naturel, ont été largement dénoncées par les associations de consommateurs. Pourtant, les tarifs réglementés sont l’outil qui aurait pu servir au Gouvernement pour faire baisser les prix.
Or, en dépit de la disparition programmée de ces tarifs réglementés dans le cadre de l’Europe libérale, les nouveaux contrats de service public, dont la renégociation est quasiment bouclée pour la période 2009-2013, ne modifieront pas cette situation. Le prix du gaz continuera à ne plus être calculé en fonction des résultats comptables de l’entreprise.
Taxer les profits reviendrait donc, dans ce cadre, à imposer indirectement les consommateurs, ce qui n’est pas satisfaisant. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est à craindre que d’autres fournisseurs d’énergie, comme EDF, dont le contrôle public est de moins en moins effectif, ne s’arrangent avec leurs concurrents pour augmenter les prix, dans une logique similaire.
C'est pourquoi la constitution d’un pôle public de l’énergie, que nous réclamons depuis des années, constituerait un substitut à ce système qui détruit l’emploi et brime les consommateurs.
Ce pôle public permettrait de mettre en place un véritable contrôle citoyen sur les ressources et l’approvisionnement, donc sur les prix et les missions de service public qui reviennent aux entreprises de ce secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne contesterai pas la réalité de la crise financière, ni la gravité de ses conséquences économiques et sociales pour notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il s’agit, sans conteste, de la crise la plus inquiétante, par sa vitesse de propagation comme par son extension, qu’ait connue le monde depuis la Seconde Guerre mondiale.
Je n’interviendrai pas non plus en défense des choix réalisés par le Gouvernement en réponse à cette crise. Non que je n’en sois pas solidaire, mais je suis convaincu que M. Hervé Novelli pourra nous en exposer les raisons bien mieux que je ne saurais le faire.
Mon propos sera plus limité, néanmoins éclairant, je l’espère, pour notre débat d’aujourd’hui. Je m’exprime au nom du groupe UMP, bien sûr, mais c’est en ma qualité de président du groupe d’études de l’énergie du Sénat que je voudrais vous convaincre, mes chers collègues, que surtaxer les entreprises du secteur de l’énergie serait une bien mauvaise idée.
Certes, l’énergie apparaît comme un secteur relativement épargné par la crise, si l’on s’en tient aux seuls résultats financiers. Comme plusieurs de nos collègues l’ont rappelé, les grandes entreprises qui travaillent dans ce domaine ont annoncé pour l’année 2008 des résultats que nombre d’autres sociétés peuvent leur envier.
Toutefois, il serait erroné de considérer les entreprises énergétiques comme de véritables vaches à lait, dans la trésorerie desquelles on pourrait puiser pour boucher les trous du budget de la France ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Tout d’abord, une telle mesure poserait un problème de principe.
Lorsque les bénéfices d’une entreprise s’accroissent, il est normal que celle-ci paye davantage d’impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle. En revanche, il serait contraire aux principes de stabilité et de prévisibilité de l’impôt de tirer argument de cette situation pour instaurer une contribution exceptionnelle. En d’autres termes, toute taxe dérogatoire et exceptionnelle me paraît suspecte.
Ce genre d’arbitraire fiscal serait de nature à inciter les entreprises qui possèdent une dimension internationale, car ce sont celles que vous visez à travers votre proposition, monsieur Rebsamen, à délocaliser leurs bénéfices dans d’autres pays que la France. Elles peuvent le faire aisément en jouant sur les prix de transfert entre leurs différentes filiales, mais aussi, de manière plus définitive, en privilégiant leurs investissements à l’étranger. J’appelle donc à la plus grande prudence les partisans de la fiscalité d’exception.
Au-delà de cette réserve de principe, une contribution exceptionnelle sur les entreprises du secteur de l’énergie constituerait surtout une grave erreur économique.
Monsieur Rebsamen, dans le texte de votre question orale, vous citez plus particulièrement le montant des résultats réalisés en 2008 par GDF-Suez et par Total, même si vos propositions visent toutes les entreprises de l’énergie. Ces résultats, effectivement impressionnants, s’expliquent en grande partie par l’envolée des cours des hydrocarbures.
Or il ne vous a pas échappé que, sous l’effet de la crise, ces cours se sont aujourd’hui effondrés. Même s’il est encore trop tôt pour l’affirmer, les résultats de ces entreprises seront, de toute évidence, moins flamboyants en 2009.
Plus fondamentalement, au-delà de ces fluctuations temporaires, il faut avoir bien conscience que les entreprises du secteur de l’énergie ont besoin de ressources financières importantes pour faire face à des besoins d’investissements considérables et à long terme.
Dans le texte de votre question, mon cher collègue, vous mentionnez le résultat de certaines entreprises. Pour ma part, je voudrais vous citer d’autres chiffres, …
M. François Rebsamen. De grâce, pas de bataille de chiffres !
M. Ladislas Poniatowski. … qui concernent les investissements réalisés par ces groupes.
Ainsi, en 2008, GDF-Suez a investi 11,8 milliards d’euros dans le monde, dont 3 milliards en France. Cette même année, Total a investi 12,4 milliards d’euros dans le monde, dont 1,7 milliard en France.
Vous savez comme moi que la prospection des hydrocarbures représente un effort constant, dont les coûts marginaux s’accroissent toujours. Dans une perspective stratégique, cet effort doit être soutenu en permanence, indépendamment des fluctuations des cours et des résultats.
Mes chers collègues, ce serait rendre un bien mauvais service à l’économie de notre pays que d’afficher une surtaxation des profits exceptionnels des entreprises du secteur de l’énergie. Je peux vous garantir que les seuls qui s’en réjouiraient seraient, bien sûr, les concurrents étrangers !
En outre, si l’on poursuit votre raisonnement jusqu’à son terme, monsieur François Rebsamen, il faut aussi appliquer cette contribution exceptionnelle de solidarité à EDF, qui a également réalisé un résultat important, soit 4,3 milliards d’euros, en 2008.
Ce serait logique ; nous ne pouvons nous contenter de surtaxer les concurrents d’EDF ! Or le président-directeur général de cette entreprise, M. Pierre Gadonneix, a fait des déclarations fort intéressantes lorsqu’il est venu devant les membres du groupe d’études de l’énergie la semaine dernière, à l’invitation de M. le président du Sénat. Plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont d'ailleurs participé à cette rencontre.
À cette occasion, il nous a fait part des besoins d’investissements colossaux de l’entreprise qu’il préside, qui sont nécessaires pour assurer à la fois l’indépendance énergétique de notre pays et le renouvellement du parc électronucléaire de la France.
Ainsi, EDF investira 8 milliards d’euros en 2009, puis au moins 4 milliards d'euros chaque année pendant dix ans. C’est pourquoi, en dépit de ses résultats plus qu’honorables, l’entreprise devrait malheureusement accroître cette année son endettement de quelque 4 milliards d’euros ; elle envisage d'ailleurs de prendre des mesures pour remédier à ce problème.
Dans ce contexte, il ne serait vraiment pas pertinent, me semble-t-il, d’instaurer une contribution exceptionnelle sur les résultats des entreprises du secteur de l’énergie.
Vous auriez pu citer d'ailleurs un autre exemple, mon cher collègue : le président d’Alstom a présenté voilà deux jours les résultats de son groupe, avec un chiffre d’affaires de 18,7 milliards d'euros et un résultat de 1,1 milliard d'euros, dans deux métiers que vous connaissez bien, à savoir, d'une part, les transports – TGV, tramways et métros –, et, d'autre part, l’énergie. Toutefois, ses activités dans ce dernier domaine sont encore davantage soumises à la concurrence des pays étrangers. Si vous instaurez une taxe exceptionnelle contre Alstom, vous pénaliserez une entreprise française, l’un des fleurons de l’économie de notre pays !
La capacité d’investissement de toutes ces entreprises garantit leur croissance de demain, mais aussi celle de notre pays.
Mes chers collègues, je n’ai pas besoin de souligner combien l’énergie est vitale pour une économie avancée comme celle de la France. Ce sont des flux d’énergies qui irriguent notre tissu économique national. Même des activités dites immatérielles, comme celles du secteur des nouvelles technologies, en ont besoin pour fonctionner. Et si la hausse de la consommation d’énergie des secteurs industriels marque le pas, celle des ménages continue de croître rapidement, en raison de la diffusion des nouveaux matériels informatiques et électroniques.
C’est pourquoi, à mon avis, ce serait une grave erreur d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité sur les entreprises de ce secteur.
Cette mesure, loin de constituer une solution miracle pour combler les déficits publics, serait parfaitement contre-productive. En venant réduire la capacité d’investissement des entreprises concernées, une telle surtaxe porterait atteinte à l’un des atouts majeurs de l’économie française.
Je vous rappelle que toutes les entreprises énergétiques françaises contribuent à assurer l’indépendance de notre pays. Il faut qu’elles demeurent en bonne santé financière, pendant la crise que nous traversons, notamment pour être en état de réagir rapidement, lorsque les premiers signes d’un retour de la croissance en France se feront sentir. Elles pourront alors accompagner les autres secteurs de l’économie nationale dans leur développement et participer ainsi à la création d’emplois.
Telles sont, mes chers collègues, les considérations qui me conduisent à me prononcer très nettement, au nom de mon groupe, contre l’idée d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité sur les entreprises du secteur de l’énergie.
Une telle mesure serait néfaste à tous égards. Elle affaiblirait l’un des secteurs essentiels de l’économie de notre pays.
Certes, il est tout à fait légitime que les entreprises du secteur de l’énergie participent normalement au financement des charges publiques, en acquittant les impôts auxquels elles sont tenues. Toutefois, il n’y a aucune raison de les désigner comme boucs émissaires et de les soumettre à une surtaxation arbitraire et parfaitement contre-productive. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)