M. Roland Courteau. J’évoquerai à présent une autre demande, un autre point de préoccupation : les droits à paiement unique, les DPU. Il s’agit là d’une demande forte dans certains de nos départements, il s’agit là d’un indispensable complément de revenus.
Or, si la France est en train de procéder à la mise en œuvre du paiement de 250 euros à l’hectare pour les surfaces arrachées définitivement et dans certaines conditions, elle n’a en revanche pas souhaité généraliser les DPU.
« Pas possible ! », avez-vous déclaré, monsieur le ministre, avant d’ajouter que la filière n’avait pas alors souhaité retenir cette option. Il est vrai qu’à cette époque-là la crise viticole n’avait pas l’ampleur qu’elle a aujourd’hui.
Cependant, selon moi, cette question de l’attribution des droits à paiement unique aurait aussi pu se poser de nouveau lors de la discussion sur la réorientation de la politique agricole commune en France, lors du « bilan de santé », en même temps que celle des redistributions auxquelles il a été procédé. C’est, en tout cas, ce qu’avait cru comprendre une délégation syndicale des vignerons du Midi lors d’une rencontre avec vos proches collaborateurs, mais cela n’a pas été le cas.
Pour certaines régions viticoles, notamment la mienne, c’est-à-dire le Languedoc-Roussillon, qui ont déjà beaucoup restructuré leur vignoble et beaucoup arraché, cette mesure aurait permis d’assurer un revenu minimum de base aux viticulteurs qui risquent, sans elle, d’abandonner leur activité.
Monsieur le ministre, peut-être allez-vous me dire que la question des DPU, pour les viticulteurs, pourrait être revue en 2013. Or – j’insiste une fois encore –, un grand nombre de viticulteurs aura disparu d’ici là si l’on ne trouve pas de solution alternative de soutien.
Il faudrait, selon moi, commencer par inscrire ces DPU dans le plan national et examiner dès maintenant, et sans attendre, les différents moyens de soutien franco-français à cette viticulture. Dans certaines de nos régions, c’est ni plus ni moins l’avenir de la ruralité qui est en jeu.
Qu’en est-il, monsieur le ministre, des mesures de dégrèvement de l’impôt sur le foncier non bâti ? Il s’agit là d’une mesure très attendue, nécessaire, indispensable, dans le contexte que nous connaissons. En 2006, tous les dégrèvements ont été acceptés. Depuis 2007, l’enveloppe a été ramenée de 6 millions d’euros à 2,5 millions d’euros ; les bailleurs sont exclus systématiquement et vont être contraints d’arracher, car eux aussi perdent de l’argent avec la crise. Il conviendrait donc que l’enveloppe soit plus importante et que son attribution soit soumise à des critères moins restrictifs.
Sur cette question, je tiens tout particulièrement à obtenir une réponse précise, monsieur le ministre, puisque la décision est franco-française.
J’aborderai maintenant une autre affaire, celle du vin rosé. (Exclamations.)
Le 27 janvier 2009, le comité de réglementation du vin, présidé par un représentant de la Commission européenne mais composé des représentants des différents États membres, a procédé à un vote indicatif sur la possibilité d’autoriser la production de vin rosé en couplant du vin rouge et du vin blanc. Le vote a été positif…
Plusieurs sénateurs socialistes. Eh oui !
M. Roland Courteau. … et il est notable de constater que le représentant de la France s’est prononcé en faveur de cette autorisation.
M. Daniel Raoul. On ne nous dit pas tout !
M. Roland Courteau. Ce fut d’ailleurs plus qu’une erreur, ce fut une faute.
Certes, depuis, devant la colère des producteurs, vous vous êtes élevé, monsieur le ministre, contre cette pratique, mais n’est-ce pas déjà trop tard ? La faute est commise.
M. Roland Courteau. Le représentant de la France aurait dû manifester son opposition dès le 27 janvier. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? La France tiendrait-elle un langage à Paris et un autre à Bruxelles ?
Cette mesure va brouiller l’image de tous les rosés de qualité européens, mais, de surcroît, nous allons assister à un nivellement qualitatif par le bas. Est-ce là la véritable orientation de l’Europe ?
Le rosé ne peut se réduire à n’être qu’une variable d’ajustement de certains stocks des industriels.
Cette affaire n’est pas mineure, car autoriser un libéralisme effréné en matière d’élaboration du vin va pénaliser incontestablement les viticulteurs français, qui, grâce à des efforts constants, ont réussi à faire du vin rosé une valeur en hausse depuis quinze ans.
Quant aux propositions d’étiquetage « rosé traditionnel » et « rosé par coupage », elles ne résolvent en rien le problème. Nombre de consommateurs ne vont-ils pas se diriger vers les prix les plus bas,…
M. le président. Mon cher collègue, il ne vous reste qu’une minute !
M. Roland Courteau. … c’est-à-dire vers des mixtures médiocres, tels les coupages vins blancs, vins rouges ?
Il est des erreurs susceptibles d’avoir des conséquences désastreuses. Celle-ci fait suite à une autre mesure communautaire tout aussi malheureuse qui permet à des vins sans indication géographique, donc sans origine, de revendiquer le cépage, sans toutefois être soumis au même cahier des charges.
Il faut convenir que la viticulture, face à une crise sans précédent, n’avait nul besoin de tels handicaps supplémentaires, d’autant que le vin vient de souffrir, une fois de plus, de récentes attaques aussi injustes qu’infondées, pour des motifs d’ordre sanitaire.
Avant de conclure, je me permettrai de vous faire quelques suggestions, monsieur le ministre.
Je tiens, tout d’abord, à vous faire part de cette demande de la profession de voir proroger certains délais, notamment sur les mesures de soutien, y compris sur les conditions relatives à l’utilisation du FEAGA, le Fonds européen agricole de garantie.
La période des dépenses est circonscrite du 15 octobre n au 15 octobre n+1. Il conviendrait, pour les investissements matériels, d’obtenir un report possible des dotations financières d’une année supplémentaire. Il serait regrettable et dommageable que la totalité des financements européens prévus ne puisse être utilisée. Il serait gravissime que nous en laissions repartir une partie.
S’il est vrai que la situation du secteur vitivinicole européen est aujourd’hui difficile et la concurrence des vins du nouveau monde rude, il faut aussi avoir à l’esprit que l’Union européenne a beaucoup d’atouts. Les vins européens s’imposeront plus facilement si l’Europe favorise les investissements commerciaux et fait une meilleure promotion de ses produits, plutôt que d’aligner ses pratiques œnologiques sur celles des autres continents.
Mme Odette Herviaux. Très bien !
M. Roland Courteau. Personnellement, je considère que la Commission européenne dispose de bien trop de pouvoirs, notamment sur les pratiques œnologiques.
Pour valoriser ses produits, l’Union européenne doit valoriser sa tradition viticole, la qualité et l’authenticité de ses vins et leur lien fort avec les terroirs.
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Roland Courteau. Voilà le vrai message que doit porter l’Union européenne. C’est aussi celui que devrait porter la France ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Gérard César applaudit également.)
M. Paul Raoult. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour six minutes.
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, je ne dispose que de six minutes pour parler d’un sujet aussi important, ce qui est bien court ! J’irai donc droit au but : mon propos sera direct et exempt de toute fioriture.
Pour ma part, je partage totalement les objectifs du Gouvernement. Dans la mesure où ils ont été rappelés au début du débat par Henri de Raincourt, je me contenterai d’en citer quelques-uns.
Ainsi, qui pourrait s’opposer, dans le cadre de la protection de notre environnement, à une utilisation limitée des pesticides ?
Pour autant, il est parfois difficile de concilier de tels objectifs avec la satisfaction des besoins alimentaires de l’ensemble de la planète.
On développe les biocarburants ? C’est une excellente initiative. On affiche la volonté d’aider les filières ovines et les exploitations laitières de montagne ? C’est un souhait que je partage tout à fait, n’y voyant aucun inconvénient. On veut adapter la PAC aux marchés mondiaux ? Bien sûr ! On entend soutenir le développement durable ? Qui peut s’y opposer ? On prétend assurer la couverture du risque climatique et aider les zones intermédiaires chères à notre collègue Henri de Raincourt ? Bien entendu, la solidarité de la profession ne peut jouer qu’en faveur de ces zones fragilisées.
Monsieur le ministre, je ne trouve donc rien à redire aux objectifs affichés. Cela étant, j’ai quelques divergences avec vous, et je souhaite les exprimer. Mais je sais que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, tant nos différents échanges sur la politique agricole ont toujours été directs et tout à fait cordiaux. Je n’ai d’ailleurs eu de cesse d’apporter mon soutien à votre action. Je dois le reconnaître, vous avez su, chaque fois que la possibilité vous en était offerte, défendre les intérêts de la France dans les négociations menées à Bruxelles au niveau européen, tout en sachant que votre marge de manœuvre était très étroite et vos moyens d’action en faveur de la profession extrêmement limités sur le plan national.
Permettez-moi donc, en tant que représentant d’un département de grandes cultures, notamment céréalières et betteravières, d’exprimer quelque émoi devant la méthode et les mesures que vous avez retenues.
Ainsi, la réorientation des aides directes à hauteur de 1,4 milliard d’euros consiste tout simplement à déshabiller Pierre pour habiller Paul ou, devrais-je dire, pour habiller Michel (sourires) puisque, même si ce n’est pas vous qui allez en profiter directement, les agriculteurs du département que vous représentez par ailleurs ne manqueront pas de bénéficier de cette mesure !
Faire appel au premier pilier dans la conjoncture que traversent les régions de grandes cultures ne me paraît pas la bonne solution. J’aurais très bien compris, monsieur le ministre, que cette mesure soit prise au moment de la flambée des cours des céréales et des oléagineux.
En 2008, lorsque le prix du blé a atteint des sommets, oscillant entre 250 euros et 300 euros la tonne, si vous aviez pris des mesures immédiates de redéploiement au profit des éleveurs ovins et des exploitations laitières de montagne, personne dans la profession agricole, me semble-t-il, n’aurait trouvé à redire à une telle initiative. Il aurait été normal que l’ensemble des aides publiques soit dirigé vers ceux qui étaient les premières victimes de la flambée des cours. En effet, un niveau très élevé du prix des céréales a pour corollaire une augmentation des coûts de production pour les éleveurs. Étant moi-même producteur céréalier et éleveur, j’ai bien senti les effets négatifs de cette flambée des cours.
Mais le fait de prendre une telle décision aujourd'hui, au moment où les cours sont en train de retrouver le niveau que nous avons connu en 2006, c’est véritablement agir à contre-courant : c’est du plus mauvais effet et ne correspond à rien dans la conjoncture actuelle.
Lors d’une annonce faite en votre présence, le Président de la République a souhaité que la politique conduite en matière de redéploiement des aides s’appuie notamment sur l’évolution des cours et des marchés. Or, lorsque M. Sarkozy a reçu un groupe de représentants de la profession agricole, après la manifestation qui s’est tenue voilà quelques semaines, j’avais cru comprendre qu’une mesure serait prise en ce sens. Personnellement, je reste sur ma faim !
Certes, un certain nombre de mesures ont été prises, notamment le plan d’accompagnement de 170 millions d’euros avec l’aide à la diversité des assolements de 25 euros par hectare, qu’a évoquée Henri de Raincourt. Cette aide retournera donc aux producteurs de céréales, quels que soient d’ailleurs leurs départements d’origine, c’est-à-dire aussi bien les zones intermédiaires que les autres. Par conséquent, mon département en bénéficiera également.
Monsieur le ministre, si cette mesure va dans le bon sens et permettra de rééquilibrer l’ensemble du dispositif, elle est très nettement insuffisante. Voici donc l’une des questions auxquelles il m’importe d’avoir une réponse : quid de la mesure annoncée par le Président de la République tendant à moduler le concours des aides publiques en fonction de l’évolution des marchés et des cours ?
Au moment où le prix des céréales « se casse la figure », au moment où les agriculteurs se retrouvent dans une situation fortement préjudiciable à leur pouvoir d’achat et à leur trésorerie, il paraîtrait tout à fait naturel de procéder au rétablissement d’au moins une bonne partie des aides, afin de leur permettre de passer ce cap ô combien difficile. Aussitôt que les cours remonteront, il serait tout aussi légitime de donner un coup de balancier en faveur de celles et de ceux qui souffrent d’une telle remontée.
Monsieur le ministre, les mesures prises vont donc plutôt dans le bon sens, et je vous remercie de ne pas avoir été sourd à l’appel de la profession dont je me fais l’écho aujourd’hui.
Je terminerai mon propos en vous posant une question complémentaire sur l’aide annoncée d’un montant de 25 euros, dans la mesure où celle-ci est notamment soumise à un double effet de seuil : d’une part, la culture majoritaire devra ainsi couvrir au moins 45 % de la sole cultivée, ce qui pose problème dans nos départements ; d’autre part, les trois cultures les plus représentatives ne devront pas couvrir plus de 90 % de la surface totale. Envisagez-vous des assouplissements à cet égard ?
Si vous étiez en mesure de me répondre, vous me rendriez service, car je pourrais alors apaiser les inquiétudes de la profession dans le département que je représente.
Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je viens d’exprimer est non pas tant une critique de l’action du Gouvernement qu’un souhait, celui de contribuer à faire évoluer les actions menées afin d’aboutir à une politique équilibrée pour l’ensemble de la profession agricole. Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des mesures que vous voudrez bien prendre à cette fin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour six minutes.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disposant, moi aussi, de six minutes pour m’exprimer, je m’efforcerai d’être le plus synthétique possible.
Je tiens, tout d’abord, à remercier le président Henri de Raincourt, qui a demandé l’inscription de ce débat, fort utile, à l’ordre du jour.
Monsieur le ministre, je voudrais également vous remercier, à la fois pour la méthode que vous avez su mettre en œuvre, puisque vous êtes à l’origine de ce bilan de santé de la politique agricole commune, et pour vos résultats. Diverses interprétations ont pu être faites, peu importe ! L’essentiel, c’est que vous ayez réussi à obtenir un accord des vingt-sept ministres européens de l’agriculture, ce qui, il faut tout de même le rappeler, était loin d’être évident.
Cet accord nous permet de définir des perspectives de développement de notre agriculture dans un cadre budgétaire fixé jusqu’en 2013 et de préparer l’avenir, au travers d’un certain nombre de mesures : la mise en œuvre d’outils efficaces de gestion des marchés ; une réorientation des aides, certes difficile à réaliser, vers des zones de productions fragiles ; la sortie progressive et, donc, sans dégâts, des quotas laitiers ; le renforcement des mesures de développement rural ; la mise en place d’outils de gestion des risques climatiques et sanitaires pour les États membres. Voilà tout de même un vaste programme !
Je n’hésite pas à le dire, je me retrouve davantage dans les propos de M. Courteau que dans ceux de mon prédécesseur à cette tribune ! Il importe en effet de défendre la viticulture. Au demeurant, mon collègue socialiste s’est, me semble-t-il, trompé dans ses affirmations, car, à ma connaissance, le représentant de la France n’a pas voté cette proposition folle de faire du rosé à partir de vin rouge et de vin blanc.
Monsieur le ministre, le rosé est et doit rester un produit authentique. Vous avez réussi à obtenir le report de cette décision, et je vous en félicite. Il nous revient désormais de tous nous mobiliser, quelles que soient nos sensibilités politiques, pour obtenir, comme je l’espère, les quatre-vingt-onze voix correspondant à la minorité de blocage et faire ainsi échouer cette idée qui ne correspond à rien et qui remet en cause l’attachement fondamental de notre pays à l’authenticité des produits agricoles.
J’interviendrai maintenant en tant que président du groupe d’études sénatorial sur le développement économique de la montagne. Là encore, monsieur le ministre, je veux vous remercier des mesures prises. Certes, les céréaliers souffrent un peu, mais, chacun le sait, un effort était véritablement nécessaire pour soutenir notre élevage et pour sauvegarder les capacités agricoles dans les zones fragiles, notamment en montagne.
M. Alain Vasselle. D’accord, mais pas au détriment des céréaliers !
M. Jacques Blanc. Vous avez eu le courage de prendre des mesures de compensation, que mon collègue Alain Vasselle vient de rappeler et qui reçoivent, bien sûr, notre approbation. Les éleveurs ont pâti de l'augmentation des prix des céréales. Il était donc indispensable de procéder à un rééquilibrage en leur faveur.
De telles mesures, mes chers collègues, permettent en outre de légitimer notre demande de maintenir une politique agricole commune. À cet égard, n’ayons aucun complexe, ne tombons pas dans les travers de la pensée unique, nous intimant de choisir entre la politique agricole et le développement technologique !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole est la seule vraie politique commune européenne !
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Jacques Blanc. Nous pouvons toujours comparer les sommes dépensées pour la PAC à celles que l'Europe peut consacrer à d’autres domaines, notamment à la recherche et à la mise en œuvre du traité de Lisbonne. Mais ne l’oublions jamais, c’est grâce à la politique agricole commune que l'Europe a pu assurer sa sécurité alimentaire et s’ouvrir des possibilités à l’exportation. Hier, on nous disait que les produits agricoles étaient surabondants ; aujourd'hui, on va en manquer ! La meilleure preuve, c’est la polémique sur les biocarburants : certains les considèrent comme une dérive, estimant que les surfaces ainsi utilisées devraient être consacrées à la satisfaction des besoins alimentaires de la planète.
Par conséquent, je le répète, n’ayons aucun complexe par rapport à la politique agricole commune, qui a été une chance pour l'Europe. Certes, il faut la faire évoluer, mais elle doit subsister, car elle est indispensable au maintien de la réalité européenne. D’ailleurs, le traité de Lisbonne prévoit – enfin ! – une exigence de cohésion territoriale. Sa ratification permettra de donner une chance supplémentaire à la PAC, puisqu’il ne pourra y avoir de cohésion territoriale et d’aménagement du territoire sans maintien d’une politique agricole commune. Voilà encore un argument pour nous inciter à préparer sa nécessaire évolution !
Le 2 décembre dernier, à Aumont-Aubrac, en Lozère, j’ai réuni en séminaire la commission du développement durable du Comité des régions d’Europe. Les représentants des régions et collectivités territoriales européennes se sont tous accordés sur la nécessité de mettre en place une véritable politique de la montagne, dotée d’un volet agricole et d’un volet développement durable. Un livre vert doit ainsi lui être dédié. Certes, il en existe un sur la cohésion globale, qui comporte une dimension « montagne », mais ce n’est pas suffisant.
M. le président. Mon cher collègue, il vous reste une minute pour conclure.
M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, tout en vous félicitant encore une fois pour votre action, je terminerai mon propos en abordant un sujet majeur. Si vous maintenez, ainsi que cela est prévu, comme critère pour le bénéfice de la prime à l’herbe le seuil de 0,5 UGB, ou unités de gros bétail, à l’hectare, au-dessous duquel celle-ci serait donc supprimée, ce sera une catastrophe pour les espaces ruraux comme les nôtres.
À cet égard, deux possibilités méritent d’être étudiées : soit partir des UGB pour déterminer les hectares éligibles en prenant le nombre d’UGB sur exploitation avec un seuil minimum théorique de 0,5 ; soit, à la limite, retirer certaines surfaces de pâtures ou de parcours du calcul du chargement à l’hectare. Cela permettrait à des exploitations qui ont à la fois une valeur économique et une valeur environnementale de ne pas être privées de ce soutien indispensable qu’est la prime à l’herbe.
Dans nombre de zones méditerranéennes ou de montagne, cette annonce de modification des critères d’éligibilité provoque une très grande inquiétude et de nombreuses interrogations. J’espère, monsieur le ministre, que vous irez au bout de la logique que vous avez su mettre en œuvre. Je n’aurai de cesse de le répéter, nous vous félicitons pour les actions que vous avez développées. Nous comptons donc sur vous, pour que, demain, vous nous apportiez une réponse permettant aux exploitations agricoles se situant au-dessous de ce seuil de 0,5 UGB de sortir de ce système qui les pénalise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains, pour six minutes.
Mlle Sophie Joissains. Monsieur le ministre, permettez-moi de revenir sur un point qui a été largement abordé par mes collègues, et sur lequel j’ai déjà attiré votre attention.
En tant qu’élue des Bouches-du-Rhône, un département particulièrement concerné et consterné par la menace qui plane actuellement sur notre vin rosé, ...
M. Gérard César. Eh oui !
Mlle Sophie Joissains. ... je ne puis rester silencieuse.
Contrairement à certaines idées reçues, le vin rosé, fleuron de notre Provence, est un vin de fabrication très ancienne, que les Grecs connaissaient déjà. À cette époque, le vin rouge était appelé « vin noir », et le vin rosé « vin de saignée » ou « vin rouge ». Il constituait le jus de première pression et était soumis à une fermentation beaucoup moins étendue dans le temps que celle du vin noir.
Aujourd’hui, le vin rosé répond à des normes très précises et spécifiques. Des vignobles entiers lui sont consacrés, et sa vinification est extrêmement particulière. Précieux, son raisin est parfois vendangé la nuit. Les cépages spécifiques qui lui sont réservés sont ceux du vin rouge et ne peuvent en aucun cas être confondus avec ceux qui sont utilisés pour le vin blanc.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mlle Sophie Joissains. Est-il besoin de rappeler ici que le vin de coupage qui prétend usurper le titre de vin rosé est constitué à 90 % de vin blanc ?
M. Roland Courteau. Ce n’est même pas du vin !
Mlle Sophie Joissains. Agir ainsi, c’est dénaturer le vin rosé !
Les élus vignerons de mon département ne se laisseront pas faire et ont d’ailleurs décidé d’ester en justice contre ce qu’ils qualifient de contrefaçon.
M. Alain Vasselle. Ils ont raison !
Mlle Sophie Joissains. Ce vin aux racines antiques est emblématique de la Provence et il est inconcevable que son appellation puisse être utilisée pour qualifier une boisson frelatée dont l’utilité est avant tout – il faut bien l’avouer ! – d’écouler les stocks d’invendus.
M. Alain Vasselle. Très bien !
Mlle Sophie Joissains. Nous avons besoin d’une Europe à l’agriculture forte, d’une Europe politique et solidaire, au sein de laquelle chaque État est respecté et accueilli dans sa spécificité agricole et viticole.
Je ne répéterai pas les propos de mon collègue, qui siège avec moi au sein du groupe d’études de la vigne et du vin du Sénat. J’insisterai simplement sur le fait que les efforts qualitatifs fournis par nos vignerons sont couronnés de succès : la consommation de rosé a doublé en dix ans. Ces efforts ont, me semble-t-il largement dépassé les attentes de la Commission européenne au moment de la réforme de l’Organisation commune de marché du vin, l’OMC « vin » !
Monsieur le ministre, pourquoi ce retournement de situation, pour ne pas dire de position, de la part de la Commission européenne ?
Si l’on autorise que le coupage de vin rouge et de vin blanc porte l’appellation de « vin rosé », le véritable vin rosé n’existera plus. Il faut donner à cette nouvelle boisson, à ce nouveau vin, une appellation qui ne trompe pas le consommateur et qui, sans risque d’ambiguïté, lui appartienne en propre.
L’Europe se doit d’être protectrice et garante de notre diversité. Il s’agit là des bases de l’Europe politique que nous nous devons de construire. C’est un argument auquel nos électeurs ne pourront manquer d’être sensibles lors des prochaines élections. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Je tiens à vous dire, monsieur le ministre, comme l’ont fait un certain nombre de mes collègues, tout le bien que je pense de votre action et de votre détermination sans faille pour assurer le devenir de notre agriculture dans ce monde si mouvant et si difficile, et de la large concertation que vous vous êtes toujours efforcé de mener avec les acteurs concernés tout au long de l’exercice de vos fonctions ministérielles.
Étant moi-même un ancien éleveur, je connais toutes les difficultés de ce métier ; par ailleurs, je préside actuellement le groupe d’études de l’élevage du Sénat : vous comprendrez donc que mon intervention porte sur ce domaine d’activité.
Je ne peux que vous féliciter et vous remercier, monsieur le ministre, pour le geste fort que vous avez accompli en opérant ce rééquilibrage ô combien justifié, à mon avis, compte tenu des chutes de revenus subies par les éleveurs au cours des dernières années. Ce geste que toute la filière attendait, certains de vos prédécesseurs auraient voulu le faire ; mais c’est vous qui en avez eu l’initiative.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Gérard Bailly. C’est vous qui avez décidé de réduire les écarts entre les montants d’aides attribués aux exploitants agricoles, et ce au terme de nombreuses concertations.
Les quatre objectifs que vous avez définis pour le redéploiement de cette somme de 1,4 milliard d’euros répondent à la nécessité d’orienter notre agriculture vers un nouveau modèle agricole durable et sont, à ce titre, tout à fait pertinents.
Je ne m’attarderai pas sur le bien-fondé de l’amélioration des outils de couverture des risques climatiques ou sanitaires, comme le développement de l’assurance récolte ou l’encouragement de l’agriculture biologique. Il ne faut pas oublier non plus de procéder à l’organisation des filières et au développement de nouveaux débouchés, et de mieux prendre en compte les risques économiques.
Je veux surtout exprimer mon approbation s’agissant des mesures de soutien à l’élevage à l’herbe, qui représenteront près de 1 milliard d’euros par an dès 2010 : 700 millions d’euros pour les prairies consacrées à l’élevage et 240 millions d’euros pour préserver la prime herbagère agro-environnementale, la PHAE. Les surfaces herbagères représentent plus de 45 % de la surface agricole nationale. Comme vous le savez, monsieur le ministre, l’élevage permet de maintenir de l’activité et des emplois dans des zones, surtout en montagne, qui n’ont souvent pas d’autre alternative agricole. Il contribue aussi, et vous le savez bien, mes chers collègues, à la qualité des paysages et à la biodiversité.
Après l’effondrement du revenu des éleveurs ces dernières années, le secteur méritait bien un coup de pouce, surtout les productions les plus fragiles comme l’élevage ovin ou caprin et la production laitière en montagne.
François Fortassin et moi-même, alors que nous préparions un rapport sur l’élevage ovin, avons parcouru quelques régions françaises pratiquant cet élevage. Nous avons pu mesurer la détresse de ces éleveurs face aux innombrables difficultés auxquelles ils étaient confrontés. Nous sommes contents, monsieur le ministre, d’avoir été entendus. Au nom de ces éleveurs, nous vous disons merci pour les 135 millions d’euros consacrés à la production ovine ! Leurs difficultés ne vont pas disparaître du jour au lendemain, car la fièvre catarrhale ovine, la FCO, et les prédateurs continuent de sévir. Mais leur horizon s’éclaircit largement, et les producteurs ovins sont bien décidés à lancer un plan de reconquête ovine.
En outre, comme l’a dit notre collègue Jacques Blanc, nous devons être attentifs au seuil de chargement afin que certains élevages situés en zone de montagne ne soient pas évincés.
Malheureusement, nous savons que ce ne sera pas vous, monsieur le ministre, qui mènerez les discussions de fin d’année sur les perspectives financières qui vont s’entamer au niveau communautaire. Nous souhaitons bonne chance à votre successeur et nous lui donnons rendez-vous lors de l’examen de la loi de modernisation annoncé pour la fin de 2009.
Je vous redis toute ma satisfaction d’avoir pu travailler avec vous sur le bilan de santé de la PAC. Je suis heureux que cet accord ait pu être conclu pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Je ne doute pas que vous jouerez, dans quelques semaines, un rôle important dans les instances communautaires, et je m’en réjouis.
Nous devrons, tous ensemble, être très vigilants à l’égard des instances de Bruxelles, principalement dans deux domaines. Il est impensable, dans le domaine agricole, de ne pas accepter les systèmes de régulation et de stockage mis en place par les interprofessions. La hausse du prix des céréales et de la poudre de lait en 2007, suivie douze mois plus tard d’une baisse encore plus importante, est inacceptable. Vous savez quelles en sont les conséquences pour les pays pauvres !
C’est inacceptable, car l’agriculture dépend en grande part des aléas climatiques. Nous ne pouvons gérer une production, donc un marché, avec des productions particulières.
Je prendrai l’exemple d’une appellation fromagère que je connais bien, le comté, qui représente une production de 50 000 tonnes. Il y a deux ans, il y en avait trop. Actuellement, on en manque cruellement. Pourquoi ? Parce que les vaches ont décidé, cette année, de produire deux litres de lait de moins par jour (sourires), à cause de la mauvaise qualité du foin. En conséquence, nous perdons des parts de marché et les prix s’envolent. Et, lorsque les vaches produiront davantage de lait, les prix chuteront à nouveau.
Une exploitation agricole ne fonctionne pas comme une usine de plastique. (Nouveaux sourires.) Ce n’est pas l’agriculteur qui décide de produire sur sa parcelle 80 quintaux à l’hectare ! Ce n’est pas l’éleveur qui décide si sa vache donnera 21 kilos de lait par jour ou seulement 19 ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) Il y a tant d’aléas climatiques qui interfèrent ! C’est la raison pour laquelle il faut maintenir dans le domaine agricole les mécanismes de stockage, les aides au stockage, la possibilité d’achats par adjudication de beurre et de poudre de lait, et poursuivre les restitutions à l’exportation.
Je suis persuadé, monsieur le ministre, que vous assumerez d’importantes responsabilités dans les instances européennes. Je souhaite qu’à ce titre vous soyez attentif au problème du rosé.