M. le président. Il vous reste une minute, mon cher collègue !
M. Jacques Muller. La non-dégressivité et le non-plafonnement des aides par exploitation, ou par UTA, c'est-à-dire par unité de travail annuel, accentuent, s’il en était encore besoin, la concentration des exploitations. L’agriculture est le seul secteur économique où les pouvoirs publics subventionnent le capital au détriment du travail. Vous avez dit « emploi », monsieur le ministre ?
« La réforme de la PAC a été une affaire de boutiquiers, elle n’a pas été une affaire qui a conduit à repenser l’agriculture et sa place dans la société, à présenter l’agriculture sous un autre jour à la société » déclarait l’un des pères fondateurs de la PAC, Edgard Pisani, en conclusion du colloque mentionné précédemment, tout en soulignant : « Vous ne progresserez pas en ayant de petites idées. Vous avez à mobiliser des rêves, des espoirs, en vue de dessiner un schéma qui a un sens » !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu de nous projeter dans l’avenir et de proposer aux agriculteurs d’Europe un contrat profondément renouvelé avec la société : arrêter la fuite en avant vers une agriculture industrielle, « chimisée » et déterritorialisée, promouvoir une agriculture paysanne, fondée sur l’agronomie et l’agroécologie, qui valorise nos terroirs, si riches de leur diversité, et refuser le leurre de la compétitivité mondiale pour choisir l’autonomie alimentaire, l’emploi, l’environnement et la qualité des produits.
Toutefois, à l'échelle nationale, nous devrons avoir le courage politique de nous affranchir enfin de ces lobbies que nous ne connaissons que trop bien et qui n’ont cessé, au nom de la « défense de la profession », de manœuvrer à tous les niveaux pour défendre leurs privilèges !
À l'échelon européen, il sera nécessaire d’oser aller au conflit au sein des instances mondiales pour sortir, enfin, l’agriculture de l’OMC. Il s’agit non pas seulement d’accroître nos possibilités de réorienter notre agriculture européenne en fonction de nos priorités sociétales internes, mais aussi de permettre aux peuples du tiers-monde de reconquérir leur souveraineté alimentaire.
M. le président. Veuillez conclure M. Muller !
M. Jacques Muller. Je laisse le mot de la fin à Guy Paillotin, qui s’exprimait ainsi lors du colloque sur l’agriculture précité : « Le nombre de personnes qui meurent de faim augmente. Or on nous avait dit que le libre-échange des marchandises ferait que ce nombre diminuerait. Ce n’est pas vrai ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel, pour six minutes.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez de commencer mon intervention par un souvenir personnel.
L’année dernière, nous avions rencontré Jacques Barrot, alors commissaire européen aux transports. À la fin de notre entretien, il aborda quelques sujets qui sortaient de son champ de compétences, notamment la PAC. Il eut alors cette formule qui me reste en mémoire : « Ou bien la France initie la réforme de la PAC, ou bien celle-ci lui sera imposée ». On ne peut être plus clair !
Il ne s’agit pas de savoir s’il y aura une nouvelle réforme, car chacun voit bien qu’elle se dessine, les derniers instruments d’intervention étant éliminés peu à peu. Il ne s’agit pas non plus de savoir quand cette réforme aura lieu, car, on le sait, la préparation du prochain cadre financier 2014-2020 sera aussi et surtout le grand rendez-vous de la PAC. La seule question qui demeure est la suivante : la France sera-t-elle copilote de la réforme, ou la subira-t-elle ?
Je souhaite aborder cette question en restant dans une logique communautaire et en examinant trois volets.
Le premier porte sur les principes. Monsieur le ministre, ces derniers temps, l’analyse européenne s’est enrichie d’un nouveau concept : celui de « valeur ajoutée européenne ». Une action ou, plus encore, un financement n’est acceptable et légitime que si la mesure envisagée a une véritable valeur ajoutée européenne.
Or quelques commentateurs qui appliquent ce concept à l’agriculture considèrent que, justement, la PAC n’a pas de valeur ajoutée européenne ! Ainsi, la contestation de cette politique porte non plus seulement sur son budget, ses modalités, sa répartition ou son principe : la PAC, finalement, ne servirait à rien, car elle n’aurait aucune valeur ajoutée européenne !
Je dois avouer que je suis navré de cette analyse. Je puis comprendre que l’on conteste le budget de la PAC, la part que la France prend dans cette politique – certains ne s’en privent pas – ou ses modalités, mais nier l’intérêt de la PAC, c’est contester l’essence même du processus communautaire !
Tout d'abord, la PAC constitue en réalité la seule politique commune pleine et entière, l’unique domaine où il y ait à la fois une stratégie, une politique, une réglementation et des moyens. Mes chers collègues, si l’on regarde bien, il n’y en a pas d’autre ! Il peut y avoir des affichages politiques sans moyens, des réglementations sans budget, des crédits sans véritable politique, mais aucune autre politique européenne n’est aussi complète que la PAC.
Ensuite, l’agriculture constitue l’un des rares domaines où les États ont accepté un abandon ou un transfert de leur souveraineté au profit d’un échelon supranational. Et ce qu’il était possible de décider à six ne le sera pas à vingt-sept. Si la PAC disparaît, on peut douter qu’une autre politique aussi complète prenne le relais.
La PAC constitue une expérience historique et politique sans précédent. Critiquer son absence de valeur ajoutée est un contresens et même une insulte pour les partisans de la construction européenne.
Monsieur le ministre, je me souviens que, bien conscient de cette dérive, vous avez annoncé une riposte sous la forme d’une question : combien coûterait l’absence de PAC ?
Je dois avouer que j’étais un peu réservé sur la méthode, car la seule analyse financière me semble quelque peu partielle pour apprécier une politique ou une action. Toutefois, force est de constater que la critique de la PAC prend de l’ampleur et qu’il faut y répondre, l’analyse du coût de la non-PAC prenant alors tout son intérêt.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est ce projet ? Pensez-vous rendre public un document avant le lancement de la grande négociation budgétaire ?
Ma deuxième question porte sur les objectifs de la PAC, en particulier la sécurité alimentaire. Pour un Français, cette notion paraît élémentaire. Le traité ne reprend pas explicitement ce concept, mais dispose que la PAC a pour but de « garantir la sécurité des approvisionnements ». Ce n’est pas tout à fait la même chose, car certains considèrent que l’Europe ne risque pas la pénurie et peut garantir ses approvisionnements autrement qu’en développant sa propre production !
La France a développé une autre conception et ne se résigne pas à faire reposer l’alimentation des Européens sur des importations dont ni la qualité ni la pérennité ne sont garanties.
Heureusement, nous ne sommes pas les seuls à raisonner ainsi. Un responsable roumain, que nous avons reçu, me disait récemment que la sécurité alimentaire était de toute évidence un besoin vital, avant même la religion, ajoutait-il.
Le Président de la République a fait de cette question, sur laquelle il estimait que la France pouvait rassembler une majorité d’États membres, y compris des états non agricoles, une des priorités de la présidence française de l’Union européenne. Il faut bien admettre que nous n’avons pas été tout à fait suivis…
La France voulait que le concept de sécurité alimentaire figure dans les conclusions du Conseil européen de fin de présidence. Cela n’a pas été le cas. Ces conclusions ne font que souligner « l’importance de l’accord intervenu au Conseil sur le bilan de santé de la politique agricole commune ». On ne pouvait faire moins !
Pensez-vous, monsieur le ministre, que ce combat sur la sécurité alimentaire est perdu ? Peut-on encore rallier une majorité d’États membres sur ce concept ? Ou bien encore – ce serait un comble – faudra-t-il attendre qu’une crise alimentaire éclate en Europe pour s’apercevoir que la PAC avait tout de même un sens ?
La troisième question que je souhaite aborder concerne les alliances.
La France doit s’engager dans cette nouvelle négociation avec une véritable stratégie d’alliances. Elle ne réussira pas contre les autres, mais avec les autres. L’initiative solitaire et la position du bastion sont condamnées.
Il faut aborder cette question avec lucidité. Le camp des anti-PAC est clairement identifié. En revanche – c’est là tout le problème ! – le camp des partisans de la PAC est beaucoup plus diffus. La France doit donc rester à l’écoute et tenter de rassembler autour d’elle un maximum de pays.
Enfin, quelle sera la position de l’Allemagne ? Les quelques points d’accord ponctuels ne masquent-ils pas un vrai désaccord de fond sur la PAC et son budget ?
De même qu’il existe en Europe la « banane bleue » qui, comme son nom ne l’indique pas, désigne une grande bande industrielle et urbaine allant du Royaume-Uni à l’Italie du Nord, pourquoi ne pas imaginer une sorte d’ « œillet vert » qui partirait de l’Irlande, descendrait vers la France et les pays méditerranéens et remonterait par la Pologne et la Roumanie ? Il ne s’agit pas d’exclure, mais de fédérer autour d’une force vive.
J’ai débuté mon intervention par un souvenir personnel. Je la terminerai également par une note personnelle.
Je suis certain, monsieur le ministre, qu’en acceptant ce grand ministère, vous n’imaginiez pas ce que serait votre vie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’action n’a pas manqué ! Il faut beaucoup de cran et de travail pour mener à bien cette mission, mais ce poste nécessite avant tout un talent de conciliateur.
Pendant ces quelques années, vous ne vous êtes pas ménagé, assurant une présence systématique sur le terrain, plusieurs fois par semaine et sans oublier aucun secteur ni aucune région. Vous terminez votre action en appelant à une PAC plus juste. Il y a beaucoup de sous-entendus dans cette affirmation, mais je crois, monsieur le ministre, que c’est le plus beau message que l’on puisse entendre.
Pour tout cela, bravo et merci ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, pour dix minutes.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément des diverses interventions de mes collègues, je me bornerai à évoquer la question essentielle du développement rural.
En 2006, j’ai participé avec votre prédécesseur, monsieur le ministre, à une mission sur la ruralité en Europe. Nous avons ainsi pu constater à quel point les notions de ruralité et de développement rural pouvaient être vécues différemment d’un pays à l’autre. L’Écosse, l’Autriche, la Finlande, l’Allemagne, l’Espagne ont une appréhension qui leur est propre de l’espace rural.
On peut dire qu’il s’agit là, avant tout, d’un choix politique. Certains pays mènent une vraie politique du rural. Pour d’autres, seul le retour sur investissement a un sens. L’absence de couverture téléphonique, d’école ou de services en milieu rural constituerait un choix de vie de la part de certains citoyens, qui auraient décidé de vivre sur les territoires concernés en connaissance de cause. Aucune intervention publique ne serait en conséquence de mise.
Par exemple, la politique rurale est stratégique pour la Finlande. Elle a pour objectif d’assurer le maintien de la population sur les territoires. L’agriculture est donc conçue, dans ce pays, bien plus comme un outil d’aménagement du territoire que comme une activité purement productive.
L’Espagne affiche une volonté très claire de penser la ruralité dans sa globalité, et non uniquement dans sa composante agricole. On peut effectivement parler du rural sans parler d’agriculture, alors que l’inverse n’est pas vrai. Un partenariat fort entre l’État espagnol, les communautés autonomes et l’Europe permet donc d’assurer des financements dont nous ne bénéficions pas sur le territoire français.
En Écosse, il n’existe pas de politique particulière en faveur du rural isolé ni d’intervention sur le rural accessible. Le programme écossais de développement rural est centré sur l’environnement, qui représente 80 % des crédits.
En Autriche, le développement rural constitue une priorité, aussi marquée qu’en Espagne. Le pays lui consacre autant de financement qu’au premier pilier de la PAC. Il organise une conférence de l’aménagement du territoire chaque année et dispose d’un management régional, qui correspond à une sorte d’agence de développement.
En France, la ruralité compte ! Elle repose sur une association de forces : élus locaux, socioprofessionnels, représentants associatifs, etc. La ruralité, c’est aussi la mise en forme de projets et de programmes : les groupes d’action locale, les GAL, sont bien une réalité.
Toutefois, nous sommes obligés de constater, au vu de cette étude réalisée en 2006, que nous sommes les mauvais élèves de l’Europe en matière d’utilisation des financements du deuxième pilier. Or, celui-ci est tout de même un des principaux compléments du premier pilier, donc de l’agriculture.
Compte tenu de ces approches différentes, il est aisément concevable qu’il soit difficile de parvenir à une solution européenne qui satisfasse chacun des vingt-sept pays membres de l’Union européenne. J’en conviens pleinement, monsieur le ministre. Le 20 novembre 2008, vous avez abouti à un compromis et, je tiens à le souligner, vous nous avez associés à ce travail tout au long de la présidence française de l’Union européenne.
Soyons conscients de la difficulté de cette tâche, alors que la PAC demeure l’un des postes budgétaires les plus importants et est devenue un sujet presque tabou ! Jalonnant l’histoire de l’intégration européenne, elle a cristallisé une fracture entre les acteurs, certains la jugeant obsolète, d’autres la jugeant au contraire nécessaire.
Après quinze années de réforme, la PAC est toujours critiquée.
En 1992, le découplage des paiements et la réduction des interventions sur les marchés ont freiné l’intensification. Les programmes agro-environnementaux ont créé des formes de soutien favorables à une agriculture productive, mais plus vertueuse. La réforme de 2003 a découplé les paiements des marchés, mais les droits à paiement unique, les DPU, posent problème du fait de règles inégalitaires de répartition. Est-il envisagé, monsieur le ministre, de revoir ce système ?
En tout état de cause, au fur et à mesure des réformes, la PAC s’est orientée de plus en plus vers des paiements directs, en réduisant les fuites possibles dans le système et en transmettant une plus grande partie de l’argent public aux agriculteurs exploitants eux-mêmes. Cela ne signifie pas pour autant que les revenus agricoles sont bons. Mais on pourrait imaginer le pire si ces soutiens étaient supprimés, par exemple pour les éleveurs.
Ce constat vaut naturellement pour les aides du deuxième pilier, qui représentent une manne non négligeable et sur lesquelles, monsieur le ministre, nous avons beaucoup à faire au niveau national.
L’inégalité dans la répartition des aides, quant à elle, n’a pas été réglée et le phénomène de concentration demeure à travers les réformes.
Monsieur le ministre, il n’existe aucun consensus sur la notion de transferts équitables au sein de l’Union européenne !
Certains pays trouvent normal que les plus gros exploitants captent les transferts les plus importants ou admettent que les exploitations des zones défavorisées, jugées peu viables, bénéficient de plus faibles paiements. Certains ne sont pas convaincus par la notion de compensation des handicaps naturels. Comment trouver une ligne juste dans tout cela ?
Le bilan environnemental et rural de la PAC est nuancé.
Par exemple, le soutien aux prix, qui était en place avant la réforme de 1992, a eu un effet incitatif sur le recours aux pesticides et aux engrais. En dix ans, les prairies ont beaucoup diminué, en surface, au profit des terres arables. Quant aux incitations à de meilleures pratiques, qui ont permis jusqu’ici d’éviter l’application du principe pollueur-payeur, leur traduction concrète n’est pas évidente. Les critères d’éco-conditionnalité seront-ils, monsieur le ministre, suffisants ?
À l’avenir, il faudrait faire en sorte de développer de manière massive l’éco-agriculture, en rendant obsolète le clivage entre agriculture intensive et agriculture extensive. De toute manière, les pratiques devront changer car il sera bientôt inconcevable d’assumer tous les coûts de transport liés au fait que l’on consomme des produits en provenance de l’autre bout de la planète, alors qu’ils peuvent être produits localement.
M. Marcel Rainaud. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le ministre, je dois dire que nous avons tous été surpris de l’utilisation de l’expression « bilan de santé », même si nous savons que la Commission européenne voulait éviter d’appeler « révision à mi-parcours » ce qui s’avère être un exercice de modernisation de la PAC.
La PAC est-elle en forme ? Si elle essaye de mieux intégrer certaines préoccupations sociétales relatives au changement climatique, à la gestion de l’eau et aux bioénergies, ses perspectives de vie sont inconnues au delà de 2013.
Que deviendra le deuxième pilier, monsieur le ministre ? Sera-t-il encore une variable d’ajustement de la politique agricole ? Il ne faut pas oublier que le développement rural tente de préserver des communautés viables dans les régions rurales. Pour cela, les habitants doivent avoir accès aux services et pouvoir bénéficier d’une vie sociale normale.
L’agriculture continue bien sûr d’occuper une place importante dans cet espace. Or, dans le cas de l’élevage extensif, on voit apparaître un hiatus : la taille des exploitations ne va pas de pair avec le souhait d’accroître la densité de population. En même temps, la fragilité de l’élevage en montagne reste avérée. Les revenus, les difficultés du secteur laitier bovin et ovin, ainsi que de la filière viande, le renouvellement générationnel, etc. sont autant de points de précarité que la fièvre catarrhale a aggravés.
Monsieur le ministre, vous allez bientôt être élu député européen. On peut considérer que votre bilan est intéressant et, surtout, que votre action personnelle a été très adroite. Je dis « adroite » en un seul mot, mais on pourrait aussi certainement le dire en deux. (Sourires.)
Il n’en reste pas moins que des zones d’ombre subsistent et l’augmentation de la prime à l’herbe ne parviendra pas à les dissiper, comme l’illustrent le plan d’urgence de la fièvre catarrhale ou l’éventualité d’une sortie des quotas laitiers avec, à l’heure actuelle, des problèmes de prix et de répartition des marges. Mais, par-dessus tout, c’est l’absence de perspectives au sein de l’Europe des vingt-sept qui préoccupe le monde rural.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je souhaite que vous nous précisiez la nature du projet que vous comptez mener demain, en qualité de député européen, par rapport à cette question du développement rural et du deuxième pilier de la politique agricole commune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Monsieur le président, monsieur le ministre, le 3 décembre dernier, lors de l’examen des crédits affectés à l’agriculture dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009, j’ai déjà exprimé des interrogations quant à la future politique agricole commune, qui sera mise en place dès 2013.
Les questions que je me posais alors, et que je continue à me poser, prennent toute leur dimension au regard de la part qu’occupe l’agriculture dans le budget européen, c’est-à-dire environ 40 % de ce budget. Cela fait de l’agriculture la seule politique devenue totalement européenne, les budgets nationaux étant en réalité subsidiaires ou complémentaires.
Quel soutien pourrait être apporté, dès 2013, à nos filières ovines et bovines qui, comme l’ont indiqué mes collègues, sont particulièrement sinistrées par la fièvre catarrhale et les prix de marché ?
Devrons-nous nous résoudre, dans quelques années, à acheter notre bétail au Commonwealth ? La compensation que la Grande-Bretagne a obtenue il y a quelques années – vous vous en souvenez – ne sert-elle pas pour partie à subventionner les cheptels australiens et néo-zélandais et à venir casser les prix des produits de nos éleveurs ?
Faudra-t-il pour entretenir nos zones d’élevage embaucher des jardiniers de l’espace ? À quel prix ? Que deviendront nos éleveurs qui sont attachés à leur cheptel et qui méritent notre respect et notre appui ?
Aujourd’hui, l’organisation d’un débat sur la PAC me donne l’occasion d’évoquer plus particulièrement les inquiétudes qu’ont suscitées en Haute-Garonne les décisions présentées le 23 février dernier et mettant en œuvre le bilan de santé de la PAC depuis la conclusion de l’accord du 20 novembre 2008.
En Midi-Pyrénées, où l’activité agricole agroalimentaire reste le premier secteur économique avec environ 100 000 emplois, soit le double du tourisme ou de l’aéronautique, les aides de la PAC représentent un apport extrêmement important.
Des nouvelles règles édictées par Bruxelles, il résulte une réorientation, en 2010, de 1,4 milliard d’euros – soit 18 % des aides directes reçues par les agriculteurs – afin de mettre en place un soutien à l’herbe, de consolider celui qui est accordé à certaines productions fragiles, comme les productions ovines, et d’accompagner les systèmes de production durable, notamment la performance énergétique des exploitations agricoles, le développement de l’agriculture biologique et la production des protéines végétales.
À ce sujet, je souhaiterais, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l’intérêt que présente le soja, protéine noble dont il faudra pérenniser l’essor.
En effet, il s’agit d’une culture bonne pour l’environnement – on ne le répétera jamais assez –, qui est désormais bien ancrée dans le Sud-Ouest : ainsi, au cœur du Lauragais, pays dans lequel je vis, la valorisation de cette culture permet de fournir aujourd’hui environ 3 500 tonnes de soja non génétiquement modifié dans un rayon de quatre-vingts kilomètres.
Monsieur le ministre, cette culture doit être poursuivie et encouragée.
J’en reviens aux nouvelles mesures prises par Bruxelles : elles suscitent des inquiétudes en Haute-Garonne, où il apparaît, après simulation, qu’une perte d’environ 20 millions d’euros est à envisager, en raison, notamment, du traitement des aides allouées aux exploitations en grande culture et aux exploitations mixtes de polyculture-élevage.
Il faut savoir que les conditions pédologiques et climatiques de la Haute-Garonne ne permettent qu’un rendement moyen, en grande culture, de 5,2 tonnes par hectare, alors que la moyenne nationale est d’environ 6 tonnes à l’hectare. Jusqu’à présent, les aides, s’agissant des grandes cultures, assuraient aux exploitants un minimum de revenus, même si la Haute-Garonne ne se situe qu’au quatre-vingt-troisième rang national.
Il me semble nécessaire, monsieur le ministre, de prendre un certain nombre de mesures : tout d’abord, le classement de notre département défavorisé en zone intermédiaire, ensuite, la redistribution du solde des aides aux grandes cultures à destination des zones intermédiaires, compte tenu de la contribution de la Haute-Garonne à la réorientation des aides prévues, puis, la mise en place des mesures agro-environnementales spécifiques, d’application souple et simple, qui conforteront le revenu des agriculteurs tout en ayant un effet positif sur les territoires, enfin, l’application du supplément de vingt euros par tonne de lait sur l’intégralité du massif pyrénéen tel que défini par la loi de 1985, c’est-à-dire au-delà de la zone montagne.
J’aborderai un ultime point en matière de politique agricole européenne : la politique du flux tendu a conduit à l’effacement des stocks agricoles, pourtant indispensables pour mieux réguler les prix des denrées alimentaires. L’Europe doit de nouveau assurer le financement de ces stocks, ce qu’elle ne fait plus, malheureusement – c’est bien regrettable ! – depuis un certain nombre d’années.
Je rappellerai également que, 58 000 hectares de terres agricoles disparaissant chaque année, il serait peut-être bon, nous inspirant de l’exemple de l’Allemagne, de nous demander s’il ne conviendrait pas, par une loi, de modérer l’avancée des grandes métropoles, qui dévorent petit à petit ces terres.
Ainsi, l’agglomération toulousaine consomme chaque année 1 350 hectares de terres agricoles.
Je tiens à saluer l’engagement que vous avez pris, s’agissant du développement des pôles de compétitivité. Les dix orientations qui ont été retenues permettront – j’en suis sûr – de donner un nouveau dynamisme à nos entreprises agroalimentaires et de favoriser ainsi ce travail en filières indispensable entre l’agriculture, le monde de la transformation et, bien sûr, celui de la distribution, et de faire en sorte que nos éleveurs et nos agriculteurs puissent être directement intéressés au prix final du produit.
Je ne saurais conclure sans vous rendre hommage, monsieur le ministre : votre action a été déterminante, notamment au sein du conseil des ministres européens de l’agriculture. Vous avez œuvré en faveur des intérêts de la France : nous ne pouvons que vous en remercier et vous inciter à continuer dans cette voie, au poste que vous occuperez désormais. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour dix minutes.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la viticulture européenne est en crise. En France, hélas ! elle n’y échappe pas.
Or, certains des outils que la Commission européenne a placés au cœur de sa proposition de réforme de l’organisation commune de marché vitivinicole et qui ont été validés par les États membres ne nous permettront sans doute pas de sortir plus rapidement des graves difficultés que connaît cette filière et qui perdurent depuis 2004 au moins.
Mes collègues MM. Marcel Rainaud, Didier Guillaume, Jean-Marc Pastor, élus de régions viticoles, Bernard Piras, Jean Besson, Robert Tropeano, Marc Daunis ou encore Daniel Raoul – pour ne citer qu’eux – ne me démentiront pas, non plus que vous, monsieur le ministre.
M. Jacques Blanc. Et nous non plus !
M. Roland Courteau. J’imagine que vous témoignerez de nos difficultés languedociennes, mon cher collègue !
À l’heure actuelle, dans certaines de nos régions, les vignerons perdent jusqu’à 1 000 euros par hectare. Ce n’est pas tenable. M. Rainaud ne vous dira pas le contraire. D’ailleurs, des pans entiers de notre économie sont en train de disparaître ; des secteurs entiers sont en train de mourir.
Les mots peuvent être plus durs encore, monsieur le ministre. Ainsi, les viticulteurs concernés vous diraient : « Nous sommes en train de crever dans l’indifférence générale ! »
Savez-vous à combien s’élevait, en 1982, la recette correspondant à la vente d’un hectolitre de vin de pays, tous frais de vinification déduits ? À 208 francs, c’est-à-dire à 31,70 euros nets. Savez-vous à combien s’est élevée cette recette pour un même hectolitre, tous frais de vinification déduits, en 2007, soit vingt-cinq ans plus tard ? À 30 euros !
Concernant le prévisionnel 2008, tout porte à penser que la recette se situera autour de 27 euros, une fois déduits les frais de vinification, plus importants encore en raison de la suppression des contrats de stockage et autres prestations, et de la hausse des coûts divers de productions.
Tout est dit : la très grande majorité des viticulteurs est dans le rouge… c’est-à-dire en déficit.
La seule issue, pour de nombreux vignerons, faute de soutien, c’est parfois le RMI, très souvent l’arrachage, parfois même l’abandon définitif. Certains arrachent sans prime, monsieur le ministre ! C’est à un véritable sacrifice que se livrent d’innombrables vignerons : pour pouvoir simplement vivre, ils sacrifient leur propre potentiel de production.
La crise est en train de faire le « sale travail », c’est-à-dire de rayer des secteurs entiers de la carte viticole de certaines régions.
La désespérance des vignerons est telle que les représentants de la profession vous demandent, monsieur le ministre – c’est tout dire ! –, de prendre toutes initiatives auprès des instances européennes afin qu’une rallonge financière soit accordée pour satisfaire des demandes d’arrachage définitif de plus en plus nombreuses. Ils sollicitent également une année supplémentaire d’application de cette mesure d’arrachage, un véritable crève-cœur pour eux et, en même temps, une nécessité impérieuse. C’est ainsi. Ils n’ont plus d’autre choix.
En l’absence de véritables soutiens financiers et à cause d’une crise qui les enfonce chaque jour davantage dans la précarité, la seule alternative dont ils disposent pour sauver leurs exploitations, c’est d’arracher certaines parcelles pour obtenir un peu de trésorerie.
Quelle suite, monsieur le ministre, comptez-vous donner à cette demande ?
Je veux également revenir sur la décision de supprimer, d’ici à quelques années, les restrictions de plantation via le régime des droits de plantations. Cette mesure, contre laquelle nous nous étions élevés lors de notre rencontre avec Mme Fischer-Bohl, à Bruxelles, risque de faire la part belle à de grands groupes financiers et d’aboutir à une concentration des exploitations viticoles au détriment des petits producteurs indépendants et des coopératives.