compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Frimat
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Noël Guérini.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Demande d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. Par lettre en date du 8 avril 2009, M. le Premier ministre a demandé à M. le Président du Sénat de lui faire connaître, conformément à la loi organique relative à la nomination des présidents des sociétés audiovisuelles, et à l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, l’avis de la commission des affaires culturelles du Sénat sur le projet de nomination par M. le Président de la République de M. Jean-Luc Hees aux fonctions de président de la société Radio-France.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires culturelles.
Acte est donné de cette communication.
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Dépôt de rapports du Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre a transmis au Sénat :
- en application de l’article 67 de la loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur l’application de la loi no 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire ;
- en application de l’article 12 de la loi no 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi, le rapport sur les modalités du transfert éventuel à l’institution mentionnée à l’article L. 311-7 du code du travail des personnels de l’Association pour la formation professionnelle des adultes chargés de l’orientation professionnelle des demandeurs d’emploi ;
- en application de l’article 28 de la loi no 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, la liste des régimes d’aides relevant du règlement de la Commission européenne no 1998/2006 du 15 décembre 2006 relatif aux aides « de minimis » existant au 1er janvier 2009.
Acte est donné du dépôt de ces trois rapports.
Le premier sera transmis à la commission des affaires culturelles, le deuxième à la commission des affaires sociales et le troisième au président et au rapporteur général de la commission des finances.
Tous trois seront disponibles au bureau de la distribution.
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Diffusion et protection de la création sur Internet
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (no 327).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons ce matin au terme d’un long processus, qui a commencé par une demande du Président de la République. Préoccupé par le développement du piratage sur internet, il a confié en juillet 2007 à Denis Olivennes le soin de mener une concertation qui a abouti à des accords, intervenus le 23 novembre 2007, et a débouché sur un ensemble de mesures proposées par les professionnels de la création.
Le 18 juin 2008, vous avez, madame la ministre, déposé un projet de loi. Nous nous sommes mis au travail, nous avons procédé à un certain nombre d’auditions et, les 29 et 30 octobre dernier, le Sénat a été en mesure de discuter le texte. Il a adopté 84 amendements, dont 48 avaient été déposés au nom de la commission des affaires culturelles et 10 au nom de la commission des affaires économiques, les amendements restants provenant des différents groupes de notre assemblée. À son tour, l’Assemblée nationale a fait son travail, et la commission mixte paritaire s’est réunie ce 7 avril.
Je crois pouvoir affirmer au nom de tous mes collègues, puisque le Sénat a adopté ce projet de loi à la quasi-unanimité le 30 octobre dernier, que nous avons travaillé le plus utilement possible et que nous avons rempli notre rôle d’assemblée parlementaire. Nous nous sommes attachés au fond, mais nous avons également cherché à répondre à deux problématiques principales.
Il s’agissait d’abord de réconcilier deux mondes, le monde de la création et le monde d’internet, de manière qu’ils ne s’opposent pas mais, au contraire, puissent à l’avenir travailler le plus possible ensemble. Il s’agissait ensuite d’accompagner une mutation et de faire évoluer la pratique du piratage telle qu’elle s’était répandue vers une nouvelle pratique respectueuse des auteurs et de la création, vers une pratique que je qualifierai de « républicaine » de l’internaute, celui-ci respectant le droit tout en conservant une grande liberté d’aller et de venir sur la toile.
Les conclusions de la CMP constituent donc un texte équilibré, qui se veut efficace et pédagogique. Je voudrais souligner au passage que nos collègues de l’Assemblée nationale ont apprécié le travail que nous avions fourni pour améliorer autant que faire se pouvait le projet de loi.
Nous avons lutté, durant la CMP ! Je vous rassure, le combat s’est déroulé de façon très républicaine et très courtoise ; il n’en a pas été moins vif. Car, loin de tout corporatisme d’assemblée ou de tout patriotisme de chambre, nous étions portés par la légitimité du vote quasi unanime du Sénat que je rappelais à l’instant.
Pourquoi ce combat ? Pour la simple raison que, par tradition, le Sénat est attaché à la culture et à la création, à des valeurs comme « la diversité culturelle » ou « l’identité culturelle », et qu’il ne manque pas de le rappeler chaque fois que l’occasion lui en est offerte. Nous considérons que c’est là une composante essentielle d’une République moderne, que c’est la part d’humanité qui nous revient dans un monde en transformation constante et aujourd’hui en crise.
Nous avons aussi voulu adresser un signe aux jeunes artistes français, aux jeunes talents, car ils ont besoin que leur travail soit reconnu, notamment leur travail de création ; ils ont besoin de notre soutien et de notre confiance dans leur œuvre de créateurs.
Imaginons un seul instant que les jeunes générations qui veulent s’engager dans le monde de la création n’aient d’autre perspective, quoi qu’ils fassent, d’être demain spoliés de leurs droits et de n’être pas récompensés de leur travail : ce serait décourageant et susciterait probablement bien peu de vocations !
Vivre en société – et c’est là aussi un signe adressé aux jeunes générations –, cela suppose l’existence de valeurs qui doivent être respectées. Vivre en société, cela a un sens.
Ces valeurs sont ordonnées selon une hiérarchie qu’il est également nécessaire de respecter, mais qui n’est peut-être pas le phénomène qui apparaît le plus spontanément sur internet. Internet est un monde plat, un monde dans lequel tous les usages et toutes les valeurs ont grosso modo le même sens et sont placés sur le même plan, un monde dans lequel tout a, à peu de chose près, la même dimension, où tous les portails connaissent une fréquentation comparable.
À nous de réintroduire du sens, à nous de donner une hiérarchisation à cette consommation frénétique mais intéressante, à cette « gourmandise » pour les œuvres présentes sur la toile.
Internet est donc un territoire virtuel, c’est une terre sympathique et accueillante. Cependant, elle doit être policée, au sens républicain du terme : nous devons faire en sorte qu’on y respecte les droits de chacun.
Le Sénat a pris ses responsabilités. Nous avons voulu répondre au scepticisme ambiant. Les créateurs se désespèrent : Va-t-on laisser durablement piller les œuvres sur internet ? Va-t-on laisser s’effondrer l’économie de la création ? Je rappelle que 2,4 % de la population active de notre pays travaille dans l’univers de la création et, en ces temps de crise, certains de nos concitoyens sont très inquiets pour leur avenir.
Nous avons enfin voulu répondre au cynisme ambiant, au double langage que tiennent certains : Va-t-on fliquer les internautes ? Va-t-on les pénaliser ?
Il ne s’agit ni de fliquer ni de pénaliser, il s’agit tout simplement de faire respecter les libertés et les droits des uns et des autres, si l’on veut que la diversité soit assurée, que la protection des œuvres ait encore un sens, si l’on veut éviter certains abus, voire un certain populisme, selon lequel tout peut être « consommé » gratuitement quelles qu’en soient les conséquences.
J’en reviens aux conclusions de la CMP.
Tout d’abord, nous avons voulu promouvoir l’offre légale. En effet, une offre légale forte et diverse est nécessaire si l’on veut que l’internaute se sente en sécurité sur internet et qu’il puisse consommer le maximum d’œuvres de création.
Nous avons donc souhaité qu’il y ait une concertation entre les producteurs et les acteurs et, à la suite de nos collègues députés, nous avons accepté l’élaboration d’un « recueil des usages », c'est-à-dire un cadre incitatif rassemblant les professionnels afin d’assurer une meilleure circulation des œuvres dans l’avenir.
Nous avons également souhaité que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, puisse mettre en place un portail de référencement de manière à valoriser l’offre légale.
Nous avons encore souhaité, après de nombreux débats, qu’il y ait un cadre pour la révision de la chronologie des médias, permettant une offre légale plus importante sans pour autant mettre en difficulté, voire en péril, le financement des œuvres cinématographiques.
Telle est la raison pour laquelle la CMP a fixé un délai de quatre mois pour la sortie en DVD et prévu la possibilité de raccourcir ou de prolonger ce délai en fonction d’un certain nombre de contraintes ou d’accords qui auront été pris.
Nous avons enfin souhaité, au-delà de l’offre légale et sans revenir sur le fait que la Haute Autorité doit être irréprochable et qu’elle doit favoriser l’offre légale, renforcer encore le caractère pédagogique de l’accompagnement de l’internaute vers un chemin plus vertueux et balisé, notamment en sécurisant la Haute Autorité et en la rendant encore plus indépendante.
Notre collègue Catherine Morin-Desailly a présenté un amendement visant à rétablir l’élection du président de la HADOPI par ses pairs pour qu’elle soit indépendante et impartiale.
La sanction alternative visant à moduler le débit, que le Sénat avait adoptée, a été supprimée sans discussion en commission mixte paritaire, car cette mesure était difficile à mettre en œuvre.
En revanche, nous sommes restés fermes contre la suspension du paiement, qui avait été souhaitée par l’Assemblée nationale. Si, à l’issue du processus, qui comporte un aspect pédagogique, une sanction est décidée, elle consiste en la suspension de l’accès à internet, mais le paiement de l’abonnement doit être maintenu. Un contrat a été signé entre le fournisseur d’accès et l’abonné et il ne nous semble pas souhaitable de revenir sur un contrat signé.
Par analogie, certains ont fait observer que, lorsqu’une voiture est achetée à crédit, en cas de suspension du permis de conduire, les traites continuent à être payées par celui qui ne peut plus conduire. Il en est de même pour l’offre triple play qu’ont contractée certains de nos concitoyens.
Par ailleurs, je veux m’élever contre certains raccourcis. Ce matin, j’ai été abasourdi d’entendre sur une grande chaîne de télévision du service public que les sénateurs avaient annoncé une « double peine ». Il ne s’agit pas de double peine, il s’agit simplement de faire respecter un contrat qui a été signé.
En revanche, je voudrais saluer le travail très pédagogique de la chaîne Public-Sénat.
Nous avons également exclu toute amnistie pour ceux qui contreviennent à la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information en pratiquant un piratage qui n’a rien à voir avec celui des internautes « classiques », pour lesquels il s’agit d’une consommation personnelle de quelques films ou d’un peu de musique. On a affaire à de gros trafiquants et il n’aurait pas été très élégant vis-à-vis des internautes de dire que ceux qui avaient piraté pour en faire commerce se voyaient amnistiés.
Nous avons refusé une mesure, adoptée par l’Assemblée nationale, prévoyant une circonstance atténuante lorsque l’internaute ne trouvant pas en ligne une offre légale la télécharge illégalement. Nous avons considéré que cette mesure était contraire à notre idée du développement de l’offre légale et qu’elle n’était pas un signe positif envers tous ceux qui font l’effort d’avoir des catalogues en ligne suffisants. Cela reviendrait à ce qu’il soit permis d’aller voler chez un voisin le produit qu’on n’a pas trouvé au supermarché !
En définitive, l’indépendance de la Haute Autorité a été confortée et un certain nombre de précautions ont été prises concernant les données personnelles de nos concitoyens. Sa première mission sera de renforcer l’offre légale par des labellisations et par un soutien à son développement. Son rôle sera également renforcé dans le domaine de l’information, de l’explication et du conseil, mais aussi en cas de sanctions, parce qu’il n’y a pas de chemin pédagogique sans sanctions éventuelles.
J’évoquerai enfin la presse, puisque les états généraux sont terminés. Même si nous n’avons pas eu l’occasion d’en débattre en séance, nous avons adopté en CMP un certain nombre de mesures qui permettent de sécuriser les droits d’auteur des journalistes, tout en confortant le statut des éditeurs de presse en ligne.
Cela se traduit par un ensemble de mesures figurant dans ce que l’on appelle aujourd’hui le « média global ». La presse papier et la presse sur internet sont maintenant très complémentaires. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu adopter un texte équilibré qui vise à apporter une plus grande sécurité juridique aux éditeurs, mais qui garantisse également les droits de propriété intellectuelle aux œuvres des journalistes. Les éditeurs pourront exploiter les œuvres, mais ils devront assurer une juste rémunération de leurs auteurs dans le cadre d’accords qui pourront être contractuels.
À l’issue de cette longue démarche, qui a duré près de dix-huit mois, le texte auquel nous sommes parvenus est d’abord un signal fort en direction du monde de la création.
Nous disons de nouveau ce matin aux auteurs et aux artistes que notre pays leur fait confiance, que nous avons besoin d’eux, car la culture est un moteur de notre mode de vie.
Nous protégeons leurs droits, nous renforçons la liberté de créer, la liberté d’offrir le maximum d’œuvres sur internet et la liberté de les découvrir dans l’égalité républicaine de traitement entre les internautes et les créateurs de sorte qu’un élan de fraternité l’emporte. La République doit s’adapter aux nouvelles technologies, mais sans abdiquer de ses principes et de ses valeurs. Elle ne doit pas se laisser engloutir par les nouvelles technologies.
Tel était le sens de notre travail.
Je remercie le président de la commission des affaires culturelles, Jacques Legendre, ainsi que tous ceux qui m’ont accompagné en tant que rapporteur, que ce soit au sein de la commission ou dans cette assemblée. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque jour, plus de 8 millions de MP3 et plus d’un demi-million de films sont échangés illégalement sur internet. Ces chiffres, très alarmants, montrent à quel point les industries culturelles, musicales et cinématographiques sont menacées. Ils rappellent l’urgence de trouver une réponse adaptée afin d’endiguer ce phénomène d’atteinte massive aux droits de propriété intellectuelle et à la création. Le contournement sur internet des règles de la propriété intellectuelle demeure à ce jour assimilé au délit de contrefaçon passible dans notre arsenal juridique de trois ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Pragmatique, le groupe centriste approuve donc la mise en œuvre de mesures alternatives à cette pénalisation systématique et inapplicable des internautes instituée par la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI, contre laquelle d’ailleurs il avait voté.
Notre groupe a toujours montré son attachement à la prévention et à un système mesuré de graduation des sanctions. Pour être précise, je dois dire que certains membres de notre groupe émettent des réserves sur ce qui est qualifié de « double peine », à savoir la suspension de l’accès à internet, attachée à la poursuite du paiement de l’abonnement.
Pour autant, ils mesurent les difficultés que cela suscite pour les offres triple play. Il est vrai que le principe de la suspension partielle – télévision et téléphone doivent rester disponibles – implique de déterminer le coût individualisé de l’accès à internet, ce qui est difficilement mesurable du fait de la mutualisation des coûts d’exploitation de la boucle locale et du service ADSL. Autrement dit, dans la mesure où le projet de loi implique de dissocier des services qui ont toujours été proposés dans le cadre d’offres forfaitaires globales et que cette séparation a un coût important, la vraie question est de savoir qui doit supporter ce coût. Convenons-en, il apparaissait donc difficile de faire supporter aux fournisseurs d’accès à internet, ou FAI, les conséquences engendrées par les téléchargements illégaux d’un de leurs abonnés. De la même manière, doit-il revenir aux contribuables de s’acquitter des conséquences de cette faute, en supposant que l’État aurait été mis à contribution ?
Au-delà de ces interrogations, je tenais à revenir sur les avancées du projet de loi auxquelles le groupe centriste est particulièrement sensible.
En premier lieu, le texte issu de la CMP ne remet pas en cause les grands équilibres atteints à l’issue des accords interprofessionnels dits de l’Élysée, qui ont été à la base du travail et de l’élaboration du projet de loi. De même, il ne remet pas en cause les grands équilibres du texte tel que voté en première lecture au Sénat et sur lequel s’était dégagée une quasi-unanimité de notre assemblée.
En second lieu, s’agissant du procédé de désignation du président de la HADOPI, un amendement qui prévoyait la nomination de celui-ci par décret avait été adopté par nos collègues députés. Or, le texte adopté au Sénat, comme l’a rappelé notre collègue Michel Thiollière, prévoyait que le président de la HADOPI était élu au sein des membres du collège de la Haute Assemblée.
J’ai été particulièrement sensible à cette modification, car c’est notre groupe qui avait été porteur, lors de son examen par le Sénat, de l’amendement qui prévoyait d’abandonner cette nomination par décret au profit d’une élection. Par ce système d’élection, calqué sur le modèle de celui de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ce sont l’indépendance et l’impartialité de la Haute Autorité qui se trouvent garanties.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire confirme également les dispositions en faveur d’une mise à disposition plus immédiate de l’offre légale, que ce soit dans le domaine de la musique, avec un amendement que j’avais déposé et visant à supprimer les dispositifs de protection des fichiers et de gestion des droits, levant ainsi l’un des principaux freins au déploiement des nouvelles offres, ou dans le domaine des œuvres cinématographiques, la commission mixte paritaire ayant finalement tranché en faveur du dispositif voté à l’Assemblée nationale, qui prévoit de ramener le délai entre la sortie en salle et l’exploitation sous forme de vidéogramme à quatre mois.
Pour autant, nous sommes conscients que cette loi ne règle pas définitivement la question du téléchargement illégal ni, plus largement, celle du piratage numérique. Les technologies évolueront toujours plus vite que le droit. Il faudra être vigilant pour s’adapter, et le législateur devra réfléchir à des améliorations futures, à la lumière des travaux de la HADOPI, chargée de veiller aussi bien à limiter les mauvaises pratiques qu’à susciter les bonnes.
Je le répète, cette loi, qui ne sera certainement que transitoire, doit être une étape importante dans une prise de conscience collective.
Tout d’abord, la prise de conscience doit venir des internautes. Il est indispensable de faire passer un double message clair : la culture a un coût et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. À quoi bon multiplier les canaux de diffusion si, à terme, la diversité des contenus disparaît, les contenus étrangers deviennent prédominants et la création française est asséchée ?
Nous nous félicitons d’être parvenus à un texte de nature à favoriser et à accompagner de nouveaux usages, à la fois protecteurs des œuvres et ouverts au monde de la création, venant se substituer aux pratiques qui, au contraire, lui nuisent.
Les consommateurs peuvent aujourd’hui naviguer d’une plate-forme de téléchargement à une autre et d’un baladeur à l’autre en gardant la pleine jouissance d’œuvres légalement acquises. On le sait, le marché du disque vendu à l’unité a fait long feu, et s’ouvre aujourd’hui une profusion de nouveaux modèles : plates-formes légales, mais aussi streaming, catalogues, offres technologiques conviviales et à un prix attractif.
Ensuite, la prise de conscience doit venir des créateurs, qu’ils soient producteurs, éditeurs, réalisateurs ou artistes. Ils doivent aussi se remettre en cause et penser à s’adapter en trouvant de nouveaux modèles économiques adaptés à l’ère du Net. Ils doivent se rendre compte des évolutions : le phénomène « internet » n’est pas temporaire, c’est une réalité durable, qu’il faut transformer en atout, plutôt que de chercher à le combattre.
L’ensemble des acteurs concernés, les propriétaires et fournisseurs de contenus, devront demain se rapprocher encore plus, car l’expérience montre aujourd’hui que le monde de la création et le monde numérique ne peuvent plus continuer à s’ignorer. Ils doivent réfléchir ensemble au développement de moyens innovants susceptibles d’offrir demain aux internautes de multiples possibilités pour avoir accès aux savoirs et aux œuvres de la création.
Enfin, concernant les sanctions, je suis heureuse que la rédaction finale tende à favoriser la transaction, solution plus pédagogique, ce qui reste l’objectif premier de cette réforme.
Le passage de la suspension de l’accès à internet à deux mois rétablit un différentiel, rendant la transaction plus « attractive ». Certains ont vu dans ce retour à un minimum de deux mois un renforcement de la répression. En réalité, l’objectif est tout autre : il s’agit de renforcer l’attractivité de la transaction face à la sanction « sèche ». Or, je reste persuadée qu’une transaction entre la HADOPI et l’abonné pour l’établissement de la sanction sera toujours gage d’une plus grande souplesse, mais, surtout, renforcera le caractère pédagogique de la sanction.
Enfin, je terminerai mon intervention en évoquant la prévention.
Je l’ai déjà dit, la réponse graduée a pour objectif de faire évoluer les mentalités et les comportements. L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour faire prendre conscience aux jeunes générations des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique.
En 2006, lors des travaux sur la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, nous avions plaidé l’importance de l’éducation de nos concitoyens à la culture tant ces pratiques de téléchargement peuvent accréditer l’idée selon laquelle tout est gratuit et la culture ne coûte rien. Or c’est méconnaître l’investissement personnel, intellectuel et financier, ainsi que le travail des artistes.
Comment peut-on laisser dire que le fait d’encadrer l’utilisation des œuvres constitue une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide ? C’est consternant !
Je me réjouis que le texte prévoie toujours une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale. Il est également bienvenu que les fournisseurs d’accès à internet soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes en faisant passer des messages appropriés.
En tout cas, il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est bien d’assurer l’avenir de la création culturelle, comme l’a indiqué M. le rapporteur. II faut garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est l’internet.
Quoi qu’il en soit, il convient de rester humble dans le traitement de ce sujet difficile.
Aussi, je tiens à saluer le travail de chacun, non seulement bien sûr celui de mon collègue Michel Thiollière, mais également celui de Bruno Retailleau, qui a eu le mérite de poser avec courage de bonnes questions, même si certaines n’ont pas encore obtenu de réponses, et je remercie la commission des affaires culturelles et la commission affaires économiques de leur contribution.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus aux termes de l’examen du si controversé projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Le marasme économique dans lequel sont plongées les industries phonographiques et la fragilité des industries cinématographiques dans le contexte de l’avènement du numérique vous commandaient d’agir, madame la ministre, pour lutter notamment contre la piraterie.
Toutefois, nous déplorons que ce projet de loi ait été présenté au Sénat près d’une année après la signature des accords Olivennes. Dans cet intervalle, rien n’a été fait pour consolider le consensus obtenu par la signature des accords de l’Élysée, si bien que certains signataires les ont depuis dénoncés et les frictions entre les différents acteurs de la filière – auteurs, producteurs, diffuseurs, fournisseurs d’accès et internautes consommateurs – se sont ravivées.
Près de dix-huit mois vous auront été nécessaires pour faire voter en urgence ce texte par le Parlement. Au final, après l’échec de la loi DADVSI, vous avez mis plus de deux ans et demi pour tenter de trouver une réponse adaptée au piratage destructeur pour la création et les auteurs.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif de la riposte graduée, car il a été très largement décrypté, d’abord par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale. Dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, nous sommes parvenus à un compromis acceptable entre les droits et obligations des internautes, des créateurs et des fournisseurs d’accès à internet.
Pour ce qui est de la suspension de l’abonnement à internet, dernier étage de la riposte, nous sommes satisfaits de la solution retenue par la commission mixte paritaire, qui est d’ailleurs celle que le Sénat avait votée en première lecture. Les abonnés sanctionnés devront continuer de payer leur abonnement le temps de la sanction. On ne peut pas rendre responsables les fournisseurs d’accès à internet des manquements commis par leurs abonnés, d’autant que l’offre triple play leur permettra de continuer de recevoir la télévision et le téléphone.
Les nouvelles pratiques d’accès aux biens culturels par le biais du Net et le développement de l’attractivité de l’offre légale de films rendaient, par ailleurs, nécessaire une adaptation de la chronologie des médias.
Le groupe socialiste du Sénat avait d’ailleurs déposé un amendement en première lecture pour ramener la fenêtre d’exploitation des films en DVD entre quatre mois et neuf mois après la sortie en salle.
Nous nous étions finalement ralliés à l’amendement voté sur l’initiative de M. le rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, qui souhaitait en quelque sorte donner une dernière chance à la négociation interprofessionnelle pour parvenir à un accord sur ce délai.
Cet accord n’est malheureusement pas intervenu, et c’est de manière fort opportune que la commission mixte paritaire, unanime, a ramené le délai de sortie des films en DVD à quatre mois après la sortie de l’œuvre en salle, avec des dérogations possibles selon le succès ou la nature du film, qui peut nécessiter un temps d’exposition en salle plus important pour rencontrer son public.
S’agissant de la vidéo à la demande, elle bénéficiera des mêmes délais que le DVD si aucun accord interprofessionnel n’est intervenu dans le mois qui suivra la publication de la présente loi au Journal officiel, ce dont nous sommes satisfaits. Cette évolution de la chronologie des médias devrait renforcer l’attractivité de l’offre légale de films et contribuer parallèlement à l’érosion du piratage.
Concernant la musique, des dispositions sont prévues pour inciter les éditeurs phonographiques à renoncer aux mesures techniques de protection qui empêcheraient l’interopérabilité des œuvres sur tous les supports de lecture, ce qui est également positif pour accentuer l’intérêt pour l’offre légale numérique de musique.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire n’est cependant pas parfait, loin s’en faut.
Si ce projet de loi a l’avantage de graver dans le marbre de la loi le principe selon lequel le piratage des œuvres culturelles est un vol vis-à-vis du droit d’auteur, auquel il convient de répondre en prévoyant une sanction graduée et proportionnée, il manque, toutefois, cruellement d’un volet pédagogique qu’il aurait fallu développer en amont de son vote par le Parlement.
Il faut expliquer aux jeunes internautes et à leurs parents, les titulaires de l’abonnement à internet, les dangers pour la création artistique du piratage des œuvres. Il faut également insister sur le fait que la gratuité n’existe pas, sur internet comme partout ailleurs. Tout se paie, et cette rémunération, directe ou indirecte, est la source indispensable du financement du cinéma, de la musique et de l’ensemble de la création artistique.
Par ailleurs, il faut sensibiliser les internautes sur le caractère vital pour la création artistique de la défense du droit à rémunération des auteurs pour éviter que le dispositif de la riposte graduée ne soit pas compris et pas accepté et se solde, au final, par un échec pour la rémunération de l’ensemble de la chaîne des ayants droit de la création via internet.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoyait que, à l’instar des présidents de Radio France et de France Télévisions, le président de la HADOPI était nommé par décret, autant dire, dans le contexte actuel, par l’Élysée. La commission mixte paritaire est revenue sur cette disposition, puisqu’il sera élu par les membres du collège, une disposition très sage pour notre démocratie.
Nous regrettons tous que ce texte ne réponde pas de manière satisfaisante à la question fondamentale de la rémunération de la création à l’ère numérique. Un modèle reste à inventer et la révolution numérique appelle une vigilance particulière pour assurer la préservation et le développement du cinéma, de l’édition et de la musique enregistrée.
Dans le contexte actuel de l’érosion des recettes publicitaires sur tous les supports d’information et de communication, il ne nous semble pas suffisant d’encourager un modèle économique consistant à asseoir une partie de la rémunération des auteurs sur le partage de recettes publicitaires de plus en plus incertaines.
Simultanément, il nous faudra revisiter le thème de la démocratisation culturelle, en prenant en compte les nouvelles pratiques artistiques et sociales qui se déploient sur le Net.
Pour notre part, nous serons toujours disponibles pour participer à la recherche d’une solution économique permettant le respect du droit d’auteur, tout en favorisant la diffusion culturelle pour le plus grand nombre, en rassemblant les internautes et les artistes, et non en les opposant.
Pour les raisons que j’ai évoquées, nous restons sceptiques sur l’efficacité de ce texte et sa propension à réduire significativement le piratage des œuvres.
Afin de manifester notre soutien indéfectible aux auteurs dont les œuvres sont piratées, nous avions accepté de soutenir votre projet de loi lors de son examen en première lecture par le Sénat. Cependant, vous n’avez que trop tardé, madame la ministre, pour faire adopter ce texte.
Permettez-moi d’ajouter que l’amendement de M. Christian Kert prévoyant que la collaboration des journalistes dans une entreprise de presse est désormais multi-support est tout à fait inacceptable tant sur le fond, sans l’accord des journalistes, que sur la forme, car il est, à nos yeux, un cavalier. Un débat sur la presse au sein de notre assemblée nous paraît indispensable.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste du Sénat s’abstiendra sur ce texte.